Histoire de Jonvelle/Richecourt


RICHECOURT


Richecourt, nommé Ruschecurtis, Ruchecort dans les vieilles chartes (1150-1217), était primitivement du comté de Bourgogne et de la châtellenie de Jonvelle ; mais plus tard il fut annexé, avec Aisey et Villars, au comté de Champagne, pour le bailliage de Chaumont, sans cesser néanmoins d’appartenir au diocèse de Besançon. Ces enclaves étaient fréquentes sur nos frontières : ainsi Blondefontaine et Conflans relevaient du Barrois. Quelques villages, comme Fresne, Corre et Passavant, étaient partagés en plusieurs juridictions ; tandis que d’autres, tels que Vauvillers et Saint-Loup, étaient laissés en surséance, c’est-à-dire que la souveraineté de ces terres en litige entre différents États se trouvait provisoirement confiée aux mains d’un seigneur choisi par les parties, en attendant une sentence définitive.

Au treizième siècle, Foulques de Rigny, seigneur de Richecourt, ayant tenté d’y élever un château, sur les ruines d’une ancienne forteresse, sans l’autorisation de Guy III de Jonvelle, le comte Othon IV intima l’ordre à celui-ci d’arrêter le projet de son insubordonné vassal, sous peine d’être puni lui-même (1290)[1]. Cependant le château fut achevé, soit par la permission du suzerain, soit par le droit du plus fort. Ses murailles, de trois ou quatre mètres d’épaisseur, appuyées au couchant sur le lit de la Saône et sur un profond ravin, étaient flanquées de quatre tours de trente-six mètres de circonférence, dont les restes montrent encore un de ces terribles cachot appelés oubliettes : c’est une espèce de puits d’étroit orifice, pratiqué dans l’épaisseur de la maçonnerie. Le château de Richecourt était une place d’armes importante, pour surveiller les passages de la rivière et les abords de Jonvelle. Cependant, malgré la force de ses remparts et de sa position, fut pris en 1476, 1595, 1636 et 1644, autant de dates funestes que l’on retrouve marquées par les diverses constructions du vieux manoir.

Jean de Rigny, fils de Foulques et sénéchal de Bourgogne, épousa Guillemette de Vienne (1327). Jeanne, leur petite-fille, porta par mariage la terre de Richecourt à Antoine de Vergy, seigneur de Châtillon, etc., qui la donna, du gré de sa femme, à Jean de Vergy, son frère illégitime (1439). Celui-ci, mari de Catherine d’Haraucourt, mourut en 1457 et fut inhumé à Theuley. Entre autres enfants, il laissait une fille nommée Isabelle. L’année suivante, sa veuve fut remariée à Guillaume de Cicon[2]. Douze ans plus tard, Isabelle fut elle-même donnée à Guy de Cicon, neveu de Guillaume et seigneur de Gevigney et Mercey, qu’elle investit du fief de Richecourt (1470).

François, fils des précédents, s’unit à Huguette de Bessey (1522), et de leur mariage sortirent Guillaume et Claude, qui se partagèrent la seigneurie. Guillaume, l’aîné, eut en préciput le château de Richecourt. Philiberte de Moissy, sa femme, lui donna deux filles, Marie et Jeanne. Celle-ci épousa Henri de Vy-Demangevelle, seigneur de Gevigney et Mercey, qui devint ainsi seigneur de Richecourt en partie. Claire, leur fille, eut pour époux Jean d’Occors, fils de Claude, capitaine de Jonvelle.

Claude de Cicon, frère puîné de Guillaume, seigneur de Richecourt, Gevigney, Mercey, Purgerot, etc., fut capitaine de la prévôté de Conflans et chambellan du prince de Lorraine. Anne d’Achey, sa seconde femme, le rendit père de Charles-François, dont nous parlerons tout à l’heure. Chevalier de Saint-Georges, comme son frère, Claude de Cicon-Richecourt fut en querelle avec Henri de Vy-Gevigney, son neveu, au sujet de certaines prérogatives seigneuriales. Déjà la cour de Dole et les juges royaux de Chaumont étaient saisis du procès, lorsque survint la médiation de la confrérie de Saint-Georges. Le conseil délégua François de Grammont, haut-doyen du chapitre métropolitain, Antoine d’Oiselay la Villeneuve, gouverneur de Jonvelle et chevalier du parlement, François de Leugney, seigneur de Landresse, et Jean de Vaudrey, seigneur de Valleroy-le-Bois, qui s’assemblèrent à Gevigney même. L’affaire fut entendue sur la place publique, en présence des sieurs François d’Achey, seigneur d’Avilley et gouverneur de Dole, Antoine d’Orsans, Jacques de Montureux, BonaventuredeJacquelin, seigneur de Vesoul, Claude de Vy, Hugues Rougeot, curé du lieu, et d’autres notables personnages ; puis une sentence de conciliation fut rendue, et chacune des parties jura de s’y conformer, sous peine de cent francs d’amende au profit de la confrérie (1574). La plupart des procès entre les chevaliers des ordres religieux militaires se terminaient de la même manière, et ce ne fut pas un des moindres services rendus par ces pieuses associations, que de procurer ainsi dans les grandes familles le rétablissement et le maintien de la bonne harmonie.

Charles-François, fils de Claude de Cicon-Richecourt, eut pour femme Anne de Roucy, qui lui donna deux filles, Françoise-Elisabeth et Anne-Catherine. La première, qui épousa Charles-Henri de Saint-Vincent, seigneur de Jouy, eut en partage (1659) le château de Gevigney, la moitié de cette terre, avec le fief de Jussey qui en dépendait, les seigneuries de Mercey, Combeaufontaine et Purgerot, le cens de Fouchécourt, etc. Anne-Catherine conserva la seigneurie de Richecourt, avec une portion dans celles de Bourbévelle, Ameuvelle, Aisey, Ormoy, Vougécourt, Passavant, Oigney, etc., et donna sa main à Charles-François de Mauléon la Bastide, seigneur d’Antigny-la-Tour, bailli et gouverneur du Bassigny. Marc-François de Mauléon, leur fils, seigneur de Richecourt, fut capitaine de cavalerie dans l’armée de Lorraine et gouverneur du Bassigny lorrain (1678).

En 1706, Simon Humblot et Simonne-Ignace Lambert, son épouse, seigneurs en partie de Richecourt, y fondèrent une chapelle en l’honneur de saint Antoine[3].

A moitié démantelée dans les invasions de Tremblecourt et des Suédois, la forteresse de Richecourt acheva de tomber en délabrement après la conquête de la Franche-Comté. Près de ses ruines s’élève le château moderne de M. le baron de Dalmassy, membre du conseil général de la Haute-Saône, qui consacre fort utilement ses loisirs aux affaires de son pays.

  1. V. page 77
  2. V. la Notice sur Demangevelle
  3. Archives du château de Gevigney ; Histoire des sires de Salins, tome I, pages 134 et suiv., généalogie de la maison de Cicon