Histoire de Jonvelle/Saint-Marcel


SAINT-MARCEL


En 579, Godin et Lautrude, son épouse, de la première noblesse de Bourgogne, donnèrent aux bénédictins de Saint-Bénigne, de Dijon, leur domaine allodial d’Albiniacum, situé dans le canton Collatin, appelé depuis le canton Portusien : « allodium Albiniacum situm in pago de Colatunse, quod nunc generaliter Porluensis dicitur[1] ». Ces derniers mots démontrent déjà que l’on s’est trompé en prenant Albiniacum tantôt pour l’ancien Hubillacus, où fut érigée la célèbre abbaye de Saint-Marcel près de Chalon, tantôt pour Aubigny-en-Prauthois, tantôt pour Aubigney-lez-Pesmes, dédié à saint Nicolas et appelé Abeneius, Albeneius, au treizième siècle. Nous ajoutons, avec Perreciot, que ce lieu ne peut être que Saint-Marcel-lez-Jussey, et voici nos preuves :

Le canton ou comté Collatin, appelé aussi Colerensis ou de Corre, ne fut pas autre que le comté de Port : la chronique de Saint-Bénigne le dit expressément. De plus, une ordonnance de Charles le Chauve (877) enjoignant à son ministre Bozon de faire restituer tous les domaines enlevés à Saint-Bénigne, mentionne formellement Albiniacum situé dans le Portois : in pago Portensi. Nous trouvons encore la même désignation dans une charte par laquelle Otte-Guillaume, comte de Bourgogne, et Brunon, évêque de Langres, ordonnent à leur tour, de rendre à l’abbé Guillaume de Saint-Bénigne la terre d’Albiniacum, située dans le comté de Port, autrefois donnée à sa maison et depuis longtemps entre des mains usurpatrices : « in pago Portuensi Albiniacum villam in proestariâ datam et longinquitale temporum perditam (1003). » L’évêque de Langres intervenait ici parce que ce bénéfice était de sa juridiction, quoique du diocèse de Besançon. Rentré dans ses droits, l’abbé construisit, sous l’invocation de Notre-Dame, un vaste monastère de son ordre à Albiniacum, où, déjà depuis longtemps, ses prédécesseurs avaient élevé une église dédiée à saint Marcel. Dans la première dotation de cette abbaye entrèrent les églises d’Enfonvelle, de Cemboing et de Noroy, in Cimbinno et in Duellare Villare, avec de grands domaines provenant de la pieuse générosité du comte Otte-Guillaume. Cinquante ans après, l’empereur Henri III, cédant aux instances d’Agnès, son épouse, du comte Regnaud Ier et de l’archevêque Hugues Ier, confirma deux fois les religieux de Saint-Bénigne dans la possession de tous leurs biens de Bourgogne (1053 et 1056). Les deux diplômes mentionnent les églises de Saint-Marcel, de Cemboing, Cymbiliacum, et de Noroy, Duellaris Villare, avec « l’église et le monastère très anciens d’Enfonvelle, Offonis vilice, consacrés à saint Léger. » L’archevêque Guillaume d’Arguel à son tour, par une charte de 1114, reconnut comme étant de la mense abbatiale de Saint-Bénigne les églises de Saint- Marcel, de Cemboing et de Noroy, avec celles d’Ische, Ischinon, de Fresne, de Frayno, de Serqueux, de Sarcophagis et quelques autres, toutes appartenant à son diocèse. Enfin les papes Calixte II (1124), Alexandre III (1177) et Célestin III (1193), ajoutèrent l’autorité de leurs bulles à ces lettres impériales et épiscopales[2].

Le prieuré de Saint-Marcel fut longtemps conventuel avant de devenir rural. Enrichi dès ses premiers temps par les comtes de Bourgogne, il demeura toujours sous leur garde[3], et il en reçut les franchises et les privilèges les plus signalés. Ainsi le prieur, avec ses hommes de Saint-Marcel, de Noroy et de Cemboing, était exempt de contributions militaires. Les baillis de Chaumont et de Macon, les receveurs de l’impôt de guerre, les prévôts de Coiffy et de Jussey, respectèrent cette immunité dans les années 1247,1342 et suivantes. En 1395, Marguerite de Bourgogne, qui gouvernait le Comté en l’absence de Philippe le Hardi, son époux, confirma les anciens privilèges accordés à Saint-Marcel, défendit à ses baillis et autres officiers d’y porter atteinte, et fit apposer ses armoiries et panonceaux sur les maisons des religieux, pour les garantir contre la violence et les rapines. Il est vrai, lorsque les gendarmeries de Jussey allaient en guerre pour le service du souverain, les hommes du prieuré devaient les remplacer au château. Mais ils n’étaient tenus ni à la corvée pour les fortifications ni à la fourniture des vivres. En effet, le duc Eudes manda, le 10 mai 1343, à Guy de Vy, son bailli d’Amont, de réprimer les exactions commises à cet égard au préjudice de Saint-Marcel. En 1317, les principaux habitants ayant été requis par Jean-Esteveniot Leveille, prévôt de Jussey, pour travailler aux réparations de la grande porte du château, ils ne consentirent à cette corvée qu’à raison de l’éminent péril, et sous la condition expresse que cette violation de leurs franchises serait sans conséquence pour l’avenir. Du reste, Philippe le Bon, par une ordonnance adressée au parlement de Dole (1421), exempta formellement les sujets du couvent de contribuer pour les fortifications de Jussey, et leur confirma tous les privilèges accordés par sa mère. Déjà l’année précédente, il avait donné mandement à Aimé Darbon, capitaine de Montigny-le-Roi, ainsi qu’à tous les gens d’armes, sujets et alliés du roi de France, pour leur défendre d’imposer ni logements ni subsides militaires aux hommes du prieuré de Saint-Marcel, vu les charges excessives que les guerres précédentes avaient fait peser sur eux. Néanmoins, dans les cas pressants, ils payaient les taxes demandées, soit pour la guerre, soit pour l’université de Dole, soit pour le mariage des princes. La taxe varia de quinze à quarante francs dans les années 1422,1423, 1424 à 1425. Celle de 1425 avait pour motif le mariage d’Agnès de Bourgogne avec Charles de Bourbon, pour laquelle occasion le clergé et les villes fournirent 8,000 francs.

A l’exemple du souverain, les seigneurs de Bougey, de Chauvirey, de Faverney, de Fouvent, de Cemboing et quelques autres du voisinage de Saint-Marcel, comblèrent à l’envi le prieuré de leurs bienfaits en tout genre, dont les titres remplissent son cartulaire. En 1217, Guy de la Résie, co-seigneur de Bougey, lui quitta le cens annuel d’une voiture de vin, una charreya (1247). Mais cette concession était intéressée : Gislebert, abbé de Saint-Bénigne, et le prieur de Saint-Marcel, avaient promis, en compensation, qu’ils feraient entrer dans un monastère la petite-fille du donateur. Ce projet n’ayant pas reçu d’exécution, la famille exigea du prieur, pour dédit, la somme de quinze livres estevenantes avec un muid pair de froment et d’avoine, mesure de Jussey (1242).

Le couvent de Cherlieu et celui de Saint-Marcel firent ensemble de fréquentes transactions. En 1251, l’abbé Guillaume acense à perpétuité aux religieux du prieuré la Grange de Valotte, Vilotta, et un champ sur Montigny, pour trois muids pairs de froment et d’avoine. En 1266, Bisontius ou Besançon, successeur de Guillaume, leur acense de même la ferme de Girecourt, pour cinq muids de froment et autant d’avoine. De plus, en échange de ce qu’ils possédaient entre Montigny et Cherlieu, en hommes, terres et maisons, il leur quitte les trois pairs de Valotte, et il accorde à leur moulin de l’étang de Noroy, situé entre ce village et Montigny, des droits de pâturage très étendus et l’usage de mort-bois dans la forêt voisine, appelée le Chêne-Gilbert, depuis la Saint-Martin jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste. Cet arrangement eut pour témoins les abbés du Gard et de Beaulieu.

Le prieur de Saint-Marcel avait rang dans les états généraux de la province. En 1290, les revenus du monastère étaient de cinq cents livres estevenantes, équivalant à 7,500 francs d’aujourd’hui. Le supérieur avait la totale justice, le droit de sceau, de corvées et de tailles sur les villages de Saint-Marcel, Noroy et Cemboing, comme on le voit par les titres des années 1266, 1337, 1339, 1340, 1342, 1343, 1381, 1387, 1400, 1403, 1446, 1420, etc. Jean de Cemboing avait vendu aux moines les dîmes de son village pour cent vingt livres (1284). Le même supérieur avait le patronage des trois églises de ces paroisses, et il en partageait le casuel avec les curés, suivant un règlement ainsi arrêté entre le prieur dom Guillaume et Besançon Chemaden, curé de Cemboing, sous les sceaux de l’official diocésain et de Richard, curé de Chauvirey, secrétaire de la chancellerie archiépiscopale (1304) : « Le prieur aura la moitié de tout ce qui vient à l’autel des aumônes mortuaires ou de mariage ; mais il abandonnera aux curés les offrandes pour les baptêmes, les confessions, les bénédictions de maison neuve et de pèlerin, celles qu’on appelle oblationes cassellarum, celles des relevailles et des visites pastorales, les deniers de charité, les quêtes de vin, les deux deniers et la poule de mariage, enfin les cierges offerts à la fête patronale, et pour sa pitance douze deniers pris sur l’offrande. Après la mort des titulaires actuels, le prieur aura la moitié des cierges. Dans cette même fête, le curé aura alternativement la totalité ou le tiers des offrandes, et dans ce dernier cas, les prêtres assistants seront rétribués sur la part du prieur. »

Entraînés par le courant des idées libérales, les prieurs de Saint-Marcel surent accorder à propos les franchises réclamées par les habitants du lieu. Ainsi, en 1322, ils reçurent la permission de gérer leurs intérêts communaux, dans un procès qu’ils soutinrent contre Jean de Choiseul, seigneur d’Aigremont et de Rosières, pour le droit d’usage dans le bois de Lignemont, La sentence du bailli d’Amont leur fut favorable.

Ils avaient un autre procès sur les bras en 1410. Le prieur, Jean de Bourbonne, leur donna licence et congé de s’assembler en lieu licite et honeste, d’élire un ou plusieurs prud’hommes pour défendre les biens et les droits de la communauté, et de lever une imposition ne dépassant pas soixante livres, pour couvrir les frais du procès. La permission fut renouvelée en 1413 par frère Aimé de Montrion, successeur de Jean de Bourbonne. En 1429 et 1444, d’autres franchises furent accordées à différents particuliers et aux villages de Saint-Marcel et de Noroy. Tous ces droits portaient le sceau du prieuré, représentant en chef l’image de la Vierge sous un arceau gothique, avec un ange de chaque côté sous deux arceaux pareils, et saint Benoît en pointe, le tout entouré de cette légende : Sigillum prioratûs Scti. Marcelli.

L’église du prieuré, dédiée à Notre-Dame et à saint Marcel, avait trois nefs. On y voyait les chapelles de la sainte Vierge, de sainte Catherine et de sainte Yolande, dont le patronage appartenait au prieur. La statue de la sainte Vierge, antique souvenir de cette église, que l’on conserve dans l’église paroissiale, a toujours été en grande vénération. Le cloître du monastère existait encore en 1670, avec les cellules des religieux : peu de temps après, tout fut détruit par des gens intéressés à faire disparaître tout indice de conventualité.

PRIEURS CONNUS DE SAINT-MARCEL.

Lembert, vers 1109.

Halinard, vers 1140.

Frédéric, 1226.

Jacques, 1286.

Guillaume, 1291.

Guillaume de Vadans, 1307.

Aimé de Rye, 1334.

Humbert de Poitiers, 1357.

Pierre de Rupt, 1395.

Jean de Chairey, 1400.

Jean de Bourbonne, 1410.

Aimé de Montrion, 1417.

Jean de Thoissy, 1420.

Jean de Saint-Jean-de-Losne, 1423.

Il fut convoqué par le duc de Bourgogne aux états de 1424.

Guy de Vaudrey, 1431.

Guillaume de Bauffremont, 1486.

Il fut inhumé au chœur de l’église prieurale, en 1500.

Richard de Trestondans, 1501.

Antoine de Mypont, 1525.

Il fut appelé par Charles-Quint aux états de 1530 et de 1533. Dernier prieur conventuel, il fut inhumé au chœur de l’église, sous une tombe qui représentait un religieux bénédictin, avec cette épitaphe : « Cy gist noble et scientifique personne frère Antoine de Mypont, docteur ez droits, en son vivant prieur d’Esclans et sacristain de Saint-Bénigne de Dijon, et jadis général prieur dudit lieu, qui trespassa le neuvième de mars 1547. Dieu ayt son âme. Amen. » François d’Igny, premier prieur commendataire nommé par le pape, 1544.

Marc de Rye… Thomas… François-Claude Ladvocat, clerc bisontin, nommé par le cardinal de Givry, évêque et duc de Langres, 1552. N…, sacristain de Saint-Bénigne, 1572.

Ferdinand de Rye, 1580.

Né Vers 1556, il devint successivement prieur de Saint-Marcel, prieur d’Arbois (1584), haut doyen du chapitre métropolitain, évêque de Césarée, abbé de Cherlieu et de Saint-Claude, archevêque de Besançon (1586) et abbé d’Acey (1615) Il mourut en 1636. Henri Othenin, Marin Boyvin, nommé sur la présentation de Philippe IV, roi d’Espagne, 1656.

Egidius Brunet, nommé sur la présentation de dom le Tellier, abbé de Saint-Bénigne, 1670.

Durand de Remilly, parent de Brunet, lui succéda par résiliation, 1740.

Pierre-Jean de Siry, abbé de Saint-Etienne et chanoine d’Autun, successeur du précédent, par résiliation,

François-Gabriel-Eléonore Jouffroy d’Abbans, chanoine de Saint-Claude, 1785.

Colbert, dernier prieur.

  1. V. pages 13 et 14
  2. Chroniques de Saint-Bénigne et de Bèze dans ACHÉRY ; pouillé du diocèse de Besançon ; cartulaire de Saint-Marcel aux archives du Doubs.
  3. V. pages 60 et suiv.