Histoire de Jonvelle/Châtillon


CHATILLON


Châtillon est bâti sur les ruines de l’ancienne ville de ce nom. Son étymologie (castellum), ses routes et ses antiquités romaines, dont nous avons parlé dans notre première époque, sa situation topographique, ses fortifications, ses ruines, sa prévôté, ses seigneurs, en un mot les souvenirs historiques les plus intéressants, attestent l’importance de cette petite ville dans les siècles passés. Élevé sur un promontoire escarpé, au confluent de l’Appance et de la Saône, ce village a toujours servi de point stratégique aux différents maîtres qui l’ont occupé. Ses relations avec trois provinces rivales et souvent ennemies, surtout son voisinage de Jonvelle, en ont fait un poste d’honneur de plus difficiles, à la défense duquel n’a jamais failli le courage de ses habitants.

En 1300, le comte Henri de Bar, mêlé aux querelles de l’empire et de la France, fut fait prisonnier et donna pour sa rançon les châteaux de Conflans, de Lamarche et de Châtillon. Le traité fut signé à Bruges, en 1301, par Philippe le Bel et par l’empereur Adolphe.

En 1402 et 1440, Châtillon fut choisi pour les conférences à tenir entre les plénipotentiaires de Lorraine et de Bourgogne[1].

En 1432, il fut livré pour gage à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, par le duc de Lorraine et de Bar, René d’Anjou[2].

Les guerres de Louis XI et de Charles le Téméraire furent pour Châtillon une époque de malheurs et de désastres. Plus tard, en 1525, le conseil de Bar, au nom du duc de Lorraine, « considérant la pauvreté et les grandes pertes et dommaiges que les habitants de Chastillon ont eu en la prise et destruction de leur ville, désirant qu’ils puissent vivre et demeurer sous ledit seigneur et refaire ladite ville, sur leur requête, les quitte des redevances domaniales. » C’est entre cette date et celle de 1574, inscrite sur quelques pans de murailles, que Châtillon s’est relevé de ses ruines. Du reste, les blasons, les sculptures et les bas-reliefs qui ornent les portes et les fenêtres de plusieurs maisons, sont tous de cette époque. La ville comptait deux cent vingt feux, lorsque la guerre amena les Français et les terribles Suédois sur nos frontières. Dès l’année 1635, cette place fut emportée, démantelée et brûlée avec ses faubourgs, et ses habitants passés par les armes, faits prisonniers ou mis en fuite. La peste venant en aide à la guerre, Châtillon demeura désert pendant toute la durée des hostilités. En 1648, il n’offrait encore qu’un monceau de ruines, habité par huit personnes[3], lorsque le duc de Lorraine fut supplié, par une requête de ses officiers, de relever cette ville de son tombeau[4]. Elle se repeupla et se rebâtit insensiblement ; mais ses fortifications demeurèrent couchées sur le sol ; les ponts-levis, les créneaux, les fossés du château fort, ont fait place à une élégante habitation. Cependant on voit encore partout, dans le vieux Châtillon, des vestiges de remparts, de tours, de bastions, de portes, de places d’armes, d’hôpital et d’écussons, qui restent là comme les derniers témoins d’une puissance anéantie.

Dès le XIIe siècle, Châtillon avait donné son nom à une famille de gentilshommes, qui contracta des alliances avec plusieurs maisons nobles de Franche-Comté. Gauthier, chevalier, fils de Humbert de Châtillon, figure parmi les premiers bienfaiteurs de l’abbaye de Cherlieu (1189). Béatrix, son épouse, Hugues et Girard, ses fils, Chevrière, sa fille, mariée à Thiébaud de Scye, et Valon, son frère, approuvent ses libéralités, en présence de Odon de Rupt et de Vicard, abbé de Saint-Vincent. En 1215, il donne encore au même monastère la moitié de ses dîmes de Cendrecourt.

En 1250 et 1252, Thiébaud, seigneur de Neufchâteau, Jonvelle et Châtillon, est témoin avec Etienne, curé de Châtillon, de plusieurs traités concernant le prieuré d’EnfonvelIe[5]. Robert de Châtillon était connétable de Bourgogne et gardien du Comté de 1337 à 1339[6].

Ensuite le fief de Châtillon passa successivement dans les maisons de Vergy, de Toulongeon et du Châtelet. Jean III de Vergy et Antoine, son fils, seigneurs de Châtillon, portaient dans leurs armoiries : de Vergy, brisé d’une bordure d’argent, écartelé de Châtillon, qui était d’azur à deux barbeaux adossés, côtoyé de deux croix de Lorraine d’argent.

La terre de Châtillon fut possédée par les sires du Châtelet, de 1523 à 1648. Un des plus illustres fut Jean du Châtelet, capitaine de cent hommes d’armes, gouverneur de Langres, surintendant des places du Bassigny et chevalier de l’ordre du Saint-Esprit (vers 1585). Du reste, la plupart des membres de cette famille furent honorés de la confiance des rois de France et des ducs de Lorraine, et remplirent les fonctions les plus importantes à la cour de ces souverains, dans leurs armées ou dans leurs provinces. Les seigneurs de Thons et ceux de Trichâteau étaient des branches de la maison du Châtelet et portèrent aussi le nom de Châtillon.

Parmi les familles importantes de cette petite ville, on doit nommer les Vernisson, les Savarin, les Baudricourt et les Jallin. La première de ces familles donna François Vernisson, tabellion de la prévôté (1561), Jean, Sulpice et Pierre Vernisson, successivement prévôts de la châtellenie (1571-1635). Ce dernier, qui commandait la place en 1635, fut pendu par les Suédois à la porte de sa maison. Du Hay était capitaine de Châtillon en 1574, de Forget en 1581, de Valleroy en 1606, de Grandet en 1633 et du Four de 1689 à 1735. Mentionnons surtout, pour l’honneur du pays, le P. Lenfant et Mme de Saint- Ouen. Anne-Alexandre-Charles Lenfant, né à Lyon, le 6 septembre 1726, d’une famille noble du Maine, entra chez les jésuites et devint bientôt un prédicateur célèbre et très goûté, même des incrédules. Il se fit entendre à Vienne, en présence de l’empereur Joseph II, et à la cour de Louis XVI, pendant le carême de l’année 1791. Arrêté par les ordres iniques du tribunal révolutionnaire et conduit à la prison de l’Abbaye, le 30 août 1792, il tomba sous le glaive des bourreaux malgré les réclamations du peuple, dont il était le bienfaiteur. C’est au château de Châtillon que ce digne religieux venait quelquefois se reposer de ses travaux apostoliques ; c’est là aussi que Laure Lenfant, sa nièce, vint se consoler plus tard des malheurs de sa famille. Mariée à M. Xavier de Saint-Ouen, qui fut sous-préfet de Mirecourt, elle employa désormais sa fortune et ses loisirs à soulager les pauvres et à composer pour la jeunesse différents opuscules, où elle a peint son noble cœur et son aimable caractère. Elle mourut au Charmont de Lironcourt, à l’âge de cinquante-neuf ans, le 5 octobre 1838, et fut inhumée dans l’église de Châtillon.


La ville de Châtillon était le siège d’une prévôté comprenant Blondefontaine, Melay, Grignoncourt, Lironcourt en partie, et quelques autres villages. Melay avait sa juridiction particulière. Les causes civiles et criminelles étaient portées en première instance devant le prévôt du lieu, ensuite au bailliage du Bassigny, et en dernier ressort à Langres et à Paris, comme celles des autres communautés mouvant du Barrois. Le duc de Lorraine en était le haut justicier.

La paroisse de Châtillon appartenait au diocèse de Besançon, et se trouvait unie à la mense capitulaire de SaintEtienne, comme le constate une bulle confirmative de cette union donnée par Eugène III ; le 4 des calendes de mai 1145. Elle continua d’être au chapitre métropolitain, avec plus de quarante-deux autres cures, et ces droits du chapitre furent consacrés par un décret de l’archevêque Vital, en 1314[7]. Ce bénéfice, administré par un vicaire perpétuel, ou curé résidant, était donné au chanoine qui avait le département appelé super Sagonam de la Saône supérieure. Le prébendier de Supt-le-Haut en était le titulaire en 1785. Les dîmes de Châtillon appartenaient toutes à la cure. Le vicaire du chapitre et le curé de Jonvelle, qui alternaient pour le service religieux de Grignoncourt, se partageaient le casuel de cette desserte, depuis que les choses avaient été ainsi réglées à Jonvelle par l’archevêque Antoine-Pierre de Grammont, alors en tournée de confirmation.

L’église est dédiée à saint Sulpice. L’ancienne offrait le style ogival du second âge. Sur la fin du quinzième siècle, le passage des corps d’armée amis et ennemis n’avait laissé que les murailles de l’édifice ; encore étaient-elles en partie ruinées. Le curé et les paroissiens intéressèrent en sa faveur le cardinal Jean, évoque de Sabine et légat du saint-siége. Par décret daté de Clermont, 1er octobre 1497, il accorda une indulgence de sept années et de sept quarantaines à tous ceux qui, s’étant confessés en vrais pénitents, visiteraient dévotement l’église de Châtillon, dans les fêtes de Pâques, de l’Assomption, de saint Barthélemi et de saint Jean-Baptiste, et qui en même temps contribueraient aux réparations ou à la décoration de cette église[8]. Cet appel à la piété des fidèles fut entendu : bientôt le temple sacré sortit de ses ruines et de son indigence. On lisait l’inscription suivante sur la tourelle de l’escalier du clocher :

« Cochlea legato prœsens constructa piorum est,

Quos alto Christus faxit in œthere beet

Amen. 1502.

Larga Ceres moritur ; dum nascor cochlea grandis,

Pax redit in terras. Marte silente fero. »

Ce double distique rappelait tout à la fois la pieuse générosité de ceux qui avaient relevé le monument, les longs malheurs qui venaient de peser sur le pays et l’espérance qui commençait à renaître avec la paix. Un siècle plus tard (1621), les marguilliers Guillemin Gérard et Jean Belin donnaient avec un légitime orgueil l’inventaire de toutes les richesses accumulées dans leur église par la générosité des paroissiens et des autres fidèles. Vases et ornements sacrés, linge, tapisseries et voiles précieux, tableaux et statues, rien n’avait été oublié pour orner et embellir les solennités du saint lieu. Gouverneur, prévôt, bailli, pasteur et troupeau, tout le monde y avait contribué avec une noble émulation, surtout les demoiselles de la conférence, qui, au jour de leur fête patronale, offraient tour à tour leurs joyaux les plus précieux en l’honneur de Marie[9]. Mais soudain les cris de guerre et le fracas des armes interrompirent les fêtes saintement joyeuses, et le désastre de 1635 fit de toutes ces richesses la proie des flammes et du soldat.

Le pavé de l’église était orné de plusieurs tombes, sur lesquelles se trouvaient représentés des chevaliers armés de toutes pièces et des dames en attitude de prière. Sur l’une de ces pierres funéraires, on voyait les armoiries de Cendrecourt et de Bourbévelle, avec cette épitaphe :

« Cy gisent Bernard de Cendrecourt, seigneur dudit lieu, demoiselle de Charmoille et demoiselle Claude de Bourbévelle. »

Noble Pierre-Claude de Francourt de Cendrecourt, prieur d’Enfonvelle et chanoine de la Mothe, fut curé de Châtillon (1577-1610).

Nous l’avons déjà mentionné[10].

  1. V. pages 114 et 115
  2. V. page 121 et Notice sur Chauvirey
  3. V. page 326
  4. Archives de Châtillon, no l, enquête de 1648, après la supplique des habitants du lieu présentée au souverain devant la chambre des comptes du duché de Bar. Entre autres témoins, fut entendu François de Baudricourt, maïeur à Lironcourt, pour les sujets du comté de Bourgogne.
  5. V. page 73
  6. Histoire des sires de Salins, I, 30
  7. Archives du Doubs, inventaire du chapitre métropolitain, fol. 4, verso, et 134
  8. Archives de Châtillon, n 16
  9. Ibidem
  10. Page 342