Dezobry & Magdeleine (p. 233-237).

CHAPITRE XXIII


Le Directoire continue avec succès au dehors la lutte engagée par la Convention contre les puissances étrangères, et il accroît la gloire extérieure de la France. — Au dedans, il déjoue les complots, et cherche à calmer les passions ; mais il autorise et propage par son exemple le relâchement des mœurs publiques.

Directoire, 1795-1799.

391. Situation générale — Premiers actes du Directoire.. — Au moment où les cinq Directeurs entrèrent en fonctions, la situation était difficile. Si tous tes partis étaient également fatigués de l’anarchie, si tout le monde avait besoin d’ordre et de repos, le goût effréné du luxe et des plaisirs qui s’empara des hautes classes, la misère profonde du peuple qui mourait de faim, le manque absolu de travail et la pénurie financière, annonçaient une crise imminente. Non-seulement il n’y avait pas un sou dans le trésor, mais l’émission des assignats avait atteint le chiffre énorme de 40 milliards. Les armées, qui n’avaient ni solde, ni chevaux, ni vêtéments, ni munitions, avaient perdu tout enthousiasme ; le vainqueur de la Hollande, Pichegru, s’était laissé gagner par les royalistes émigrés, et la guerre civile se rallumait en Vendée. Le Directoire montra d’abord une louable activité ; il assura l’approvisionnement de Paris, tourna l’ardeur des esprits vers l’industrie et l’agriculture, améliora le système d’instruction publique, déjoua le complot républicain de Babeuf, qui voulait rétablir le jacobinisme, et la conspiration royaliste de l’abbé Brothier et de La Villeheurnois en faveur du comte de Provence Monsieur, frère de Louis XVI, qui depuis la mort de son neveu se faisait appeler roi de France et de Navarre sous le nom de Louis XVIII. En même temps, il replaça la Corse sous la domination française, et mit fin à la guerre de Vendée. Stofflet et Charette furent pris et fusillés, le premier à Angers, le second à Nantes ; Georges Cadoudal, leur compagnon, s’enfuit en Angleterre, et le général Hoche pacifia l’Ouest à la tête de cent mille hommes (1796).

392. Succès au dehors. — Le Directoire fut plus heureux encore à l’extérieur. D’après un plan conçu par Carnot, trois armées, celle de Sambre-et-Meuse, sous les ordres de Jourdan, celle du Rhin, dont on avait retiré le commandement à Pichegru pour le donner à Moreau, et celle d’Italie, confiée au jeune Bonaparte, devaient se réunir sous les murs de Vienne, et frapper ainsi au cœur la maison d’Autriche. Jourdan s’avança jusqu’à Wurzbourg ; mais, battu sous les murs de cette ville, il dut se replier vers le Rhin. L’archiduc Charles, son vainqueur, se tourna contre Moreau, qui avait envahi la Bavière, et le força aussi à rétrograder ; ce fut alors que Moreau exécuta cette admirable retraite qui l’a immortalisé. Mais en Italie, la fortune demeura constamment fidèle aux armes françaises. Bonaparte, secondé par d’habiles lieutenants, Augereau, Masséna, Berthier, Lannes, Joubert, Murât, etc., remporta les brillantes victoires de Montenotte, Millesimo, Mondovi, Lodi, Cestiglione, Arcole et Rivoli (1796 et 1797), organisa la Lombardie en république Cisalpine, s’empara de Mantoue, puis se dirigea sur Vienne, aux portes de laquelle il arriva vers le milieu d’avril. L’empereur François II effrayé signa la paix de Campo-Formio, par laquelle il reconnaissait la république Cisalpine et cédait la Belgique à la France.

393. Journée du 18 fructidor. — Le Directoire avait besoin de cette gloire militaire pour se maintenir contre ses ennemis intérieurs. Le parti royaliste était devenu redoutable : les élections de l’an V s’étaient faites à son profit ; un de ses membres, Barthélémy, venait d’entrer au Directoire en remplacement de Letourneur ; un autre, Pichegru, avait été élu président du conseil des Cinq-Cents ; les émigrés revenaient en foule et ne dissimulaient plus leurs espérances. Rewbell, La Réveillère et Barras se décidèrent à un coup d’Etat : Augereau entra dans Paris le 18 fructidor (4 septembre 1797) avec plusieurs régiments de l’armée de Sambre-et-Meuse, alla droit à la salle des Conseils, y arrêta quarante-deux membres des Cinq-Cents, onze des Anciens, parmi lesquels Pichegru, Boissy-d’Anglas et Portalis, qui furent déportés à Sinnamary dans la Guyane, ainsi que les directeurs Carnot et Barthélémy, et trente-cinq journalistes. Le Directoire prolongea ainsi son existence pour quelque temps. Il profila de sa victoire pour faire rapporter les décrets en faveur des émigrés, établir de nouveaux impôts et réduire la dette publique à un tiers consolidé ; ce qui consacrait la banqueroute des deux autres tiers. En même temps, il créait autour de la France comme une ceinture de républiques : la Hollande avait été transformée en république Batave dès 1796 ; Gênes et son territoire formèrent la république Ligurienne (mai 1797) ; les États de l’Église furent constitués en république Romaine (février 1798), et le Pape fut emmené prisonnier à Valence ; la Suisse enfin devint la république Helvétique (1798).

394. Seconde coalition contre la France. — Ces changements dans la constitution de l’Europe amenèrent une seconde coalition, qui se forma contre la France sous les auspices de l’Angleterre ; la Prusse et l’Espagne seules restèrent neutres. Les hostilités commencèrent par un odieux attentat : trois plénipotentiaires français furent assassinés en sortant de Rastadt. Les deux Conseils décrétèrent la guerre, et deux cent mille hommes partirent pour les armées ; Le roi de Sardaigne vaincu abdiqua (décembre 1798) ; le général Championnet s’avança ensuite vers le sud de l’Italie, emporta Neples d’assaut et y proclame la république parthénopéenne (janvier 1799). La campagne s’ouvrait d’une manière brillante ; mais la fortune changea, lorsque les Autrichiens et les Russes entrèrent en ligne. Jourdan fut battu sur le Danube et Schérer sur l’Adige ; quarante mille Russes, commandés par Souwarov, après avoir refoulé Moreau dans la Ligurie et vaincu Macdonald à la Trebbia, reprirent l’Italie à la République ; enfin quarante mille Anglo-Russes débarquèrent en Hollande sous les ordres du duc d’York. Les ennemis du Directoire, enhardis par les succès de la coalition, relevèrent la tête ; l’Ouest et le Midi reprirent une attitude menaçante ; le Directoire se vit ébranlé de toutes parts. Les victoires de Brune à Berghen sur le duc d’York, et de Masséna à Zurich sur Souwarov ne le sauvèrent pas. Les élections de l’an VII ne lui avaient pas donné la majorité, et trois Directeurs avaient été obligés de se démettre le 30 prairial (19 juin 1799). Les deux Conseils étaient divisés : le parti modéré dominait dans les Anciens, les républicains exaltés aux Cinq-Cents ; l’anarchie faisait de rapides progrès. La France attendait un homme d’action, popularisé par de grands succès militaires, qui pût imposer silence aux partis, rétablir l’ordre et faire face aux dangers extérieurs. Ce fut alors que Bonaparte débarqua à Fréjus, le 17 vendémiaire (9 octobre 1799), revenant d’Egypte.

395. Expédition d’Égypte, 1798-1799. — Les Directeurs l’avaient envoyé conquérir cet antique berceau de la civilisation, parce que sa présence leur faisait ombrage. En effet, le jeune vainqueur de l’Italie avait été reçu avec enthousiasme à Paris, après la paix de Campo-Formio ; ou l’avait fait passer sous une voûte de drapeuux conduis par sont armée, et l’on avait dressé pour lui un autel de la patrie dans le Luxembourg même, sous les yeux du Directoire. Sa fortune le suivit en Orient. Après s’être emparé de Malte en passant (12 juin 1798), Bonaparte avait débarqué à Aboukir le 1er  Juillet, pris Alexandrie le 2, culbuté Mourad-Bey et ses mameloucks à Ramanieh, à Chébréiss, à la bataille das Pyramides (21 juillet), et occupé le Caire le surlendemain. Maître du pays, il l’avait organisé, sans se préoccuper du désastre d’Aboukir, où l’amiral anglais Nelson avait détruit sa flotte ; les savants qu’il avait emmenés à se suite avaient envahi à leur tour las rives du Nil, si riches en souvenirs, et commencé leurs explorations scientifiques sur tous les points, et l’Institut d’Égypte avait été fondé au Caire. Puis Bonaparte était parti pour la Syrie. avait emporté Gaza et Jaffa, commencé le siège de Saint-Jean-d’Acre et écrasé l’armée turque à la bataille du Mont-Thabor (1799) mais la résistance d’Acre l’avait déterminé a rentrer en Égypte. Il trouva an Caire des nouvelles de France et mit aussitôt à la voile, laissant à Kléber le commandement de l’armée.

396. Journée du 18 et 19 brumaire. — Le conquérant de l’Egypte eût bon marché du Directoire. L’accueil qui lui fut fait à Paris, él l’mpressement de la foule, qui assiégeait chaque jour sa petite maison de là rue Chanteraine, le décidèrent à renverser le gouvernement. Assuré de la coopération des généraux et des troupes et de l’assentiment du conseil des Anciens, il force d’abord les Directeurs à se démettre de leurs fonctions le 18 brumaire (9 novembre 1799) ; le lendemain, il se rend avec quelques grenadiers à l’Orangerie de Saini-Cloud, où les Cinq-Cents tenaient leurs séances. On le reçoit avec des cris de mort : À bas le dictateur ! À bas le tyran ! Hors la loi ! Lucien Bonaparte, son frère, qui préside l’assemblée, ne peut contenir l’effervescence. Alors un peloton de troupes, commandé par le général Leclerc, pénètre dans la salle, et chasse les députés la baïonnette dans les reins. Le 20 brumaire, les conseils se réunissent, suppriment le Directoire, et confient provisoirement l’autorité à trois consuls. Dès ce moment la République, détruite de fait, n’existe plus que de nom.


Synchronisme. — Les Anglais font la conquête de l’einpire du Mysore dans l Indoustan, sur Tippou-Saëb 1792-1799