Dezobry & Magdeleine (p. 142-155).


CHAPITRE XVI.


Rivalité de la France et de la maison d’Autriche. — La Renaissance. — La royauté commence à devenir absolue. — Troubles religieux, qui sont le prélude des guerres dites de religion.

François Ier, 1515-1547. — Henri II, 1547-1559.

261.Avénement des Valois-Angoulême. — Caractère du nouveau roi. — Avant de raconter la rivalité de la France, et de la maison d’Autriche, Il convient de dire quelques mots sur l’avènement et le caractère du successeur de Louis XII : nous avons omis d’en parler plus haut, pour ne pas interrompre le récit des guerres d’Italie. François 1er  arrière-petit-fils du duc d’Orléans Louis, frère de Charles VI, fut appelé au trône le 1er  janvier 1515. Il est le chef de la famille des Valois-Angoulême, dite seconde branche des Valois, qui a donné cinq rois à la France (v. tabl. gén. IV), et qui n’a occupé le trône que 74 ans (1515-1589). Louis XII avait élevé avec soin le jeune prince auquel il donna sa fille Claude de France, et qui était appelé à lui succéder. Mais il voyait avec peine que la passion de la gloire et une ardeur chevaleresque le poussaient aux entreprises aventureuses : « Ce gros garçon, disait-il, gâtera tout après nous. » Si cette prédiction ne fut pas précisément accomplie, on ne saurait méconnaître que François 1er  fut plutôt un héros du moyen âge qu’un souverain des temps modernes, et qu’au point de vue politique, son rival Charles-Quint lui fut de beaucoup supérieur. Nous ne parlons pas ici ne son amour pour le faste et les plaisirs, qui eut aussi son mauvais côté.

262. rivalité de la france et de la maison d’autriche. — La France et la maison d’Autriche élevaient d’égales prétentions sur l’héritage des ducs de Bourgogne. Une courte guerre avait éclaté à ce sujet entre les deux puissances dès la mort de Charles-le-Tèméraire ; mais le traité d’Arras avait arrêté les hostilités presque au début. La lutte fut reprise et devint sérieuse et durable après la mort de Maximilien (1519), en se compliquant d’une question personnelle. Le roi de France et le jeune Charles d’Autriche, roi d’Espagne depuis 1516, aspirèrent en même temps à l’Empire. François 1er , dont le nom venait de retentir dans toute l’Europe, comptait sur la gloire qu’il s’était acquise à Marignan pour l’emporter sur son compétiteur. Mais ce fut cette gloire même qui effraya les électeurs auxquels appartenait le droit de décerner la couronne impériale ; ils craignirent de se donner un maitre en choisissant le vainqueur des Suisses, et ils lui préférèrent le roi d’Espagne, qui était encore inconnu. Cependant Charles-Quint était déjà maitre de l’Espagne, des Pays-Bas, du royaume de Naples et des contrées de l’Amérique récemment découvertes, auxquelles Fernand Cortez et Pizarre devaient bientôt ajouter le Mexique et le Pérou, si importants par leurs riches mines d’or et d’argent. Entourant ainsi de tous côtés le territoire français, il en menaçait l’indépendance. Aussi la guerre qui éclata entre ces deux rivaux peut-elle être considérée comme une véritable guerre défensive, bien que François 1er  l’ait entreprise avant tout pour venger son amour-propre blessé. C’est alors que commence véritablement cette période de la lutte entre la France et la maison d’Autriche, qu’on désigne plus spécialement sous le nom de rivalité des deux puissances, et qui se termine à la paix de Cateau-Cambrésis. Nous en indiquons ci-après le caractère, (v. n° 269.)

263. le camp du drap d’or. — premières hostilités. — François 1er  essaya d’abord de s’assurer l’alliance du roi d’Angleterre Henri VIII, et, à cet effet, il lui donna de magnifiques fêtes dans l’entrevue qu’ils eurent au Camp du Drap d’or[1], entre Guines et Ardres ; mais Henri VIII se déclara peur l’empereur. Les hostilités commencèrent du côté de l’Espagne, où une insurrection avait éclaté contre Charles-Quint, Les Français arrivèrent trop tard pour secourir les insurgés, et ne firent rien de mémorable. En même temps, François Ier excitait contre l’Empereur le duc de Bouillon, maître de Sedan. Charles-Quint répondit à cette agression en envahissant la Champagne ; heureusement Bayard sauva Mézières assiégé. Sur un troisième champ de bataille, en Italie, Lautrec, lieutenant du roi, se fît battre à la Bicoque près de Milan, et cette défaite amena la perte du Milanais.

264. défection du connétable de bourbon. — mort de bayard. — Une nouvelle armée française repassa les Alpes sous le commandement de Bonnivet, et essaya de reprendre Milan. Le roi lui-même se disposait à la rejoindre, lorsqu’il apprit que l’un des plus puissants seigneurs du royaume, le connétable de Bourbon, venait de passer aux ennemis. Charles, comte de Montpensier, dauphin d’Auvergne et duc de Bourbon, était un de ceux qui avaient le plus contribué à la victoire de Marignan. Au lieu de le traiter avec les égards dus à ses services, le roi l’avait froissé déjà une première fois en lui faisant un passe-droit. Bientôt il le sacrifia à la vengeance de sa mère Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, qui, n’ayant pu l’épouser, lui disputait ses domaines, afin de le ruiner. Le connétable poussé à bout traita avec l’Empereur et entra à son service, oubliant qu’il n’est jamais permis de prendre les armes contre sa patrie. Sa présence assura l’avantage aux Impériaux, et Bonnivet fut battu à Biagrasso et à Romagnano. Dans ce dernier combat, Bayard, qu’on appelait le chevalier sans peur et sans reproche, fut atteint d’un coup mortel, pendant qu’il couvrait la retraite de l’armée. Se sentant défaillir, il ordonna qu’on le déposât au pied d’un arbre, la tête tournée vers l’ennemi. Là, pendant que, les mains jointes, et les yeux fixés sur la poignée de son épée, qui formait une croix, il recommandait son âme à Dieu, vint à passer le connétable de Bourbon. Comme il s’apitoyait sur la mort d’un si vaillant homme : « Pleurez sur vous, monsieur, lui dit Bayard, pleurez sur vous même ; moi, je ne suis pas à plaindre ; je meurs comme un homme d’honneur, en faisant mon devoir : mais j’ai pitié de vous, qui combattez contre votre roi, votre patrie et vos serments. » Et il expira ensuite.

265. invasion de la provence. — bataille de pavie, 1525 — Le connétable vainqueur envahit la Provence à la suite des Français qui battaient en retraite. Il se flattait que sa présence attirerait tous ses vassaux dans le parti de l’empereur ; mais aucun d’eux ne bougea. En vain il fit le siège de Marseille. La résistance de cette ville donna au roi le temps d’accourir. Les Impériaux furent repoussés et rentrèrent en Italie ; François Ier les y suivit ; il s’empara de Milan, et marcha sur Pavie. Les Impériaux s’étant avancés au secours de la place, il leur livra bataille malgré l’avis de ses officiers, et fut complètement vaincu. Désarçonné, blessé au front, perdant son sang en abondance, abandonné par les siens et entouré par les Espagnols, François Ier fut forcé de se rendre, après avoir tué sept ennemis de sa main. Du camp espagnol, il écrivit à sa mère, pour lui annoncer le résultat de la bataille, cette phrase chevaleresque, arrangée depuis par les historiens : « Madame, de toutes choses il ne m’est demeuré que l’honneur et la vie. »

266. traité de madrid, 1526. — Louise de Savoie, qui avait été chargée de la régence, répara tout par son habileté. Elle sut mettre la France à l’abri d’une invasion, et bientôt François Ier, qui avait été conduit en Espagne, recouvra sa liberté en signant le traité de Madrid. Il renonçait à toutes ses prétentions sur l’Italie, donnait la Bourgogne à Charles-Quint, laissait ses deux fils comme otages en Espagne, promettait de restituer au connétable de Bourbon tous ses biens et d’épouser Éléonore d’Autriche, sœur de l’empereur. Mais à peine libre, François Ier protesta contre un pareil traité, auquel il n’avait consenti, disait-il, que sous l’empire de la nécessité et de la violence, et qui, par conséquent, devait être nul de plein droit. Son rival lui avait appris à fausser sa parole, et, comme le dit un historien moderne, il ne sortit pas tout entier de cette fatale prison de Madrid ; il y laissa cette bonne foi et cette confiance héroïque, qui avaient fait sa gloire jusqu’alors. Il s’ensuivit une seconde guerre entre les deux rivaux.

267. prise et sac de rome, 1527. — Le connétable de Bourbon marcha sur Rome a la tête d’une armée de pillards, qui avait saccagé pendant dix mois la malheureuse ville de Milan, et qui se grossit en route d’une foule d’aventuriers de toute nation. Le pape effrayé licencia ses troupes, espérant apaiser les ennemis par cette preuve de soumission. Mais Bourbon n’en livra pas moins l’assaut le 6 mai 1527. Le premier coup d’arquebuse tiré des remparts lui donna la mort. Ses soldats le vengèrent en prenant la ville et en la livrant au pillage. Le pontife lui-même fut Fait prisonnier et n’obtint sa liberté qu’à de très-dures conditions. L’Europe entière fut indignée de cet attentat, et François 1er profita de l’occasion pour envoyer une nouvelle armée en Italie. Lautrec, qui la commandait, se dirigea vers Naples ; il venait de bloquer cetie ville et allait s’en emparer, quand l’amiral génois André Doria, mécontent de la France, se jeta dans les bras de l’empereur et lui donna sa flotte, Naples reçut des vivres et des renforts ; les maladies se mirent dans l’armée française ; Lautrec lui-même mourut de la contagion, et il fallut encore quitter l’Italie. Mais cette fois, c’était pour n’y plus reparaître.

268. traité de cambrai, 1529. — Un traité signé à Cambrai, et qu’on ajppeLle la paix des Dames, parce qu’il fut négocié par Louise de Savoie, mère du roi de France, et Marguerite d’Autriche, tante de l’empereur, termina cette seconde guerre. François 1er abandonna tous ses alliés d’Italie, mais il conserva la Bourgogne. Charles-Quint accepta deux millions d’écus d’or pour la rançon des deux fils du roi, et l’on célébra le mariage d’Éléonore, sœur de Charles-Quint avec François Ier, devenu veuf depuis quelques années.

269. Équilibre européen. — Nouveau système d’alliances. — Le traité de Cambrai marque selon quelques historiens la fin des guerres d’Italie, que d’autres prolongent même jusqu’à la paix de Cateau-Lambrésis (v. no 285). La lutte entre les maisons de France et d’Autriche est transportée en effet hors de l’Italie, à partir de cette époque ; mais la question qui s’agite depuis 1520 n’est plus celle de la possession de l’Italie septentrionale ou méridionale ; c’est une question de prépondérance dans l’Europe. Aussi avons nous cru devoir placer en 1516 la fin des guerres d’Italie. Dans les guerres qui vont suivre, et qui auront pour principal théâtre les Pays-Bas et le nord de la France, on verra se dessiner d’une manière plus nette le caractère de cette rivalité, qui eut pour objet le maintien de l’équilibre européen. On désigne ainsi un système d’organisation des puissances européennes, tel qu’aucune d’elles ne devienne jamais assez redoutable pour menacer l’indépendance des autres États. C’est la le point fondamental sur lequel roule toute la politique des temps modernes. À la France revient l’honneur d’avoir la première posé et soutenu ce principe contre la maison d’Autriche. La défense de ce grand intérêt lui fit adopter un nouveau système d’alliances, contraire à son ancienne politique ; ses rois ne cherchèrent plus exclusivement leur appui dans les États dont les souverains leur étaient unis par la communauté des croyances ou par des liens de famille ; ils consultèrent avant tout les nécessités du moment, les besoins de la lutte qu’ils soutenaient, les avantages qu’ils pouvaient tirer de leurs alliés. C’est ainsi que François Ier, sans être arrêté par son titre de roi très-chrétien, fit cause commune avec les Turcs et les protestants d’Allemagne, parce que les Turcs et les protestants étaient les ennemis de son rival Charles-Quint.

270. La Réforme et les protestants. — Le protestantisme était apparu en Europe à l’occasion du besoin d’une réforme dans la discipline ecclésiastique, réforme reconnue nécessaire par des conciles mêmes ; mais au lieu de demander le redressement des abus, oh avait attaqué le dogme et la foi même. En 1520, le moine allemand Luther s’était séparé publiquement de l’église de Rome, et l’Allemagne du nord, en grande partie, avait embrassé sa cause. L’empereur ayant voulu étouffer ces premiers germes de division, les disciples de Luther avaient protesté contre toutes ses mesures, au nom de la liberté de conscience : de la cette appellation de protestants qui leur resta. L’Allemagne eut désormais dans son sein, à côté de la maison d’Autriche et de ses sujets, presque tous catholiques, les princes du Nord protestants, ne reconnaissant plus l’autorité du Pape. De l’Allemagne, la nouvelle doctrine allait pénétrer dans les pays voisins, en Suède et en Danemark. Préchée plus tard en suisse par le français Calvin, elle devait reenir de là en France. En Angleterre enfin, le roi Henri VIII allait en préparer le triomphe en rompant aver le Saint-Siège et faisant un shisme.

271. ressources de françois Ier. En même temps qu’il se créait d’utiles auxiliaires au dehors, François Ier metait la paix à profit, pour développer les ressoures de la France. Depuis 1533, il s’était décidé à avoir une infanterie nationale, afin de n’étre plus à la merci des Suisses, dont l’indiscipline et la témérité avaient fait perdre plus d’une bataille, ni des lansquenets (landsknechts) allemands, que l’empereur pouvait rappeler à tout moment. Il organisa donc sept légions de six mille hommes chacune, divisées en six compagnies égales. Ces légions furent tirées principalement des provinces frontières qui étaient les plus belliqueuses. Il chercha à améliorer son artillerie ; enfin il fit construire des vaisseaux, et s’assura, par un traité avec des armateurs, la coopération de la marie marchande en cas de guerre.

272. troisième guerre contre charles-quint. — trêve de nice, 1538. — La guerre recommença en 1536 à l’occasion de l’assassinaT d’un agent français, que le roi avait envové en Italie. Pendant que Charles-Quint était en Afrique, occupé par une expédition contre Tunis, François Ier fit envahir la Savoie et menacer le Milanais. L’empereur dirigea aussitôt contre la France deux armées qui pénétrèrent à la fois, l’une au sud en Provence, l’autre au nord en Champagne et en Picardie. François Ier prit un parti désespéré. D’après les conseils du maréchal Anne de Montmorency, il ravagea lui-même la Provence devant les Impériaux, et les réduisit ainsi à regagner en toute hâte l’Italie. Une trêve de dix ans, conclue à Nice, sous la médiation du pape, mit fin à cette troisième guerre. Les deux rivaux eurent une entrevue dans laquelle ils se prodiguèrent les témoignages d’une affection cordiale. Ces témoignages étaient sincères de la part de François Ier : ce n’était qu’un piége de la part de son rival, qui avait besoin de lui. En promettant de donner le Milanais au second fils du roi. Charles-Quint obtint la permission de traverser ta France pour aller châtier les Gantois révoltés. Mais quand il eut comprimé cette révolte, il refusa d’exécuter sa promesse.

273. dernière guerre — mort du roi. — Cette perfidie, jointe à l’assassinat de deux ambassadeurs envoyés par le roi à Venise et à Constantinople, ralluma la guerre. Les hostilités eurent lieu dans le Luxembourg et le Roussillon contre les Impériaux, et en Picardie contre dix mille Anglais que Henri VIII y avait débarqués. Paris était menacé ; mais les ennemis n’agirent pas de concert, et bientôt la victoire remportée par le comte d’Enghien à Cérisoles en Piémont, termina la guerre. Charles-Quint signa la paix le premier à Crespy en Laonnais(1544). Le traité d’Ardres avec Henri VIII ne fut conclu que deux ans après. François Ier abandonna ses prétentions sur Naples, Charles-Quint les siennes sur la Bourgogne. Henri VIII conserva Boulogne-sur-mer ; mais la France se réservait le droit de racheter cette ville moyennant deux millions d’écus d’or. François Ier survécut à peine un an à la conclusion de la paix ; il mourut au mois de mars 1547, à l’âge de 53 ans, trois mois après Henri VIII, et eut pour successeur son fils Henri II

274. Massacre des Vaudois, 1545. — Les dernières années de François Ier furent troublées au dedans par des discordes religieuses qui aboutirent à un saillant massacre. Au milieu des Alpes qui séparent le Dauphiné du Piémont, vivait une population de plusieurs milliers d’hommes qui avaient adopté les erreurs de Manès, hérésiarque du IIIe siècle de l’ère chrétienne. Un marchand de Lyon, nommé Pierre Vaud ou Valdo les avait renouvelées au XIIe siècle et répandues dans tout le Midi ; de là le nom de Vaudoix. À l’époque où les opinions de Calvin se répandirent de Genève en France, les disciples imaginèrent de s’allier aux Vaudois, afin de représenter leurs croyances comme remontant à une très-haute antiquité. À la requête du parlement d’Aix, François Ier autorisa des poursuites contre ces hérétiques, dont les doctrines menaçaient la société même. Le baron d’Oppède, président du Parlement, se chargea d’exécuter la sentence qu’il avait prononcée, et il le fit avec une rigueur inouïe. Les villages de Cabrières et de Mérindol, principaux asiles des Vaudois, furent incendiés. Près de trente bourgades furent mises à feu et à sang, et des milliers de personnes, vieillards, femmes et enfants, furent égorgés ou brûlés, le pays devint un désert. Ces atrocités inspirèrent des remords au roi, quoiqu’il ne les eût pas ordonnées, et, avant de mourir, il prescrivit que l’on en recherchât les auteurs et qu’on les punît.

275. Gouvernement et administration. — Le gouvernement de François Ier fut celui d’un roi absolu. Il est le premier qui ait employé dans ses édits cette formule : Tel est notre bon plaisir. Les impôts ordinaires furent constamment réglés par sa seule volonté. Une seule fois il consulta les Notables[2] : ce fut à l’occasion de la rançon de ses fils. Il n’accorda, du reste, aucune autorité aui États-Généraux, qu’il n’assembla pas. Quant au Parlement de Paris, qui s’était avisé de ne pas vouloir enregistrer quelques-unes de ses ordonnances, il lui défendit « de s’entremettre en quelque chose que ce fût de l’État ni d’autre chose que de la justice. » D’ailleurs, aidé par le chancelier Poyet, il opéra d’utiles réformes dans la justice et l’administration. Il renouvela l’ancienne insitiution des Gtands-Jours : on appelait ainsi des commissions de magistrats, qui parcouraient les provinces à certaines époques de l’année, pour y rendre la justice au nom du roi ; les nobles surtout tremblaient devant la sévérité de ces tribunaux. Parmi les nombreuses ordonnances du régne de François Ier, on cite celle de Villers-Cotterets (août 1530), dont les différentes dispositions abrégèrent les procès, substituèrent dans les actes l’usage de la langue française à celui d’un latin barbare, et donnèrent aux accusés les garanties qui leur manquaient. Le même acte établissait dans les paroisses des registres où les sépultures et les baptêmes furent désormais exactement inscrits. Toutes ces réformes nous offrent l’imposant spectacle d’une nation qui s’organise peu à peu, non sans de pénibles efforts, et se façonne à une administration régulière.

276. La Renaissance. — C’est surtout comme protecteur des lettres, des sciences et des arts, que François Ier a bien mérité de la France et de l’Europe entière. Son nom et celui du pape Léon X sont inséparables du nom de la Renaissance, par lequel on désigne la première moitié du XVIe siècle, et quelquefois même le siècle tout entier, c’est-à dire l’époque où l’on vit renaître en quelque sorte les chefsd’œuvre de la liltéraiure grecque et latine, qui avaient été comme ensevelis dans ie long oubli du moyen âge. L’étude de ces chefs-d’œuvre, restaurés et restitués par la patienté studieuse et l’habileté des érudîts du XVe siècle, créa ce mouvement littéraire, auquel la langue française doit ses perfectionnement, son illustration et sa forme moderne. En même temps les sciences et les arts brillèrent de tout l’éclat qui s’attache encore aujourd’hui aux noms de Raphaël et de Michel-Ange. La découverte de l’impiimerie et la prise de Constantinople, qui rejeta vers l’Occident les trésors littéraires et les savants de l’empire grec, sont les première causes de ce grand mouvement intellectuel, auquel on a reproché, non sans quelque raison, d’avoir été parfois trop empreint de l’influence du paganisme. L’Italie avait devancé les autres nations dans cette route, grâce à la généreuse protection dont Léon X et les Médicis entouraient les savants. François Ier voulut marcher sur leurs traces ; il commença par fonder de grand établissements pour le haut enseignement. Le Collège royal qui est aujourd’hui le Collège de France, créé en 1529, eut pour premiers professeurs de grec, de latin et d’hébreu les hommes les plus savants de l’époque, et parmi eux le célèbre Ramus, qui avait été d’abord domestique, et qui s’était instruit à la dérobée. À côté du Collège royal s’élevèrent l’Imprimerie royale el la Bibliothèque royale, embellie et augmentée.

277. Lettres et arts. — François Ier honora les lettres en comblant de dignités et de largesses ceux qui les cultivaient. Parmi les personnages célèbres dont il encouragea les travaux, nous pouvons citer Guillaume Budé, le fondateur du Collège royal, les frères Dubellay, à la fois négociateurs et historiens ; le poëte Clément Marot, les jurisconsultes Dumoulin et Cujas, et la sœur même du roi, Marguerite, duchesse d’Alençon, puis reine de Navarre. Pour assurer le progrès des arts, François Ier fit venir d’Italie tous les artistes qu’il lui fui possible d’attirer en France : Léonard de Vinci, le Rosso, Benvenuto Cellini, le Primatice. À l’école de ces illustres étrangers se formèrent d’habiles artistes nationaux. Maîtres et élèves achevèrent pendant ce règne les peintures et les sculptures que nous admirons aujourd’hui aux châteaux de Fontainebleau, de Chamhord et de Mendon. L’école française, une fois l’élan donné, allait produire Jean Cousin, le Michel-Ange français, et les sculpteurs Germain Pilon, Jean Goujon, Philibert Delorrne, en un mot, tous ces grands artistes auxquels on doit le Louvre et la fontaine des Innocents à Paris, les tombeaux de François Ier et de Henri II à Saint-Denis, et beaucoup d’autres monuments.

278. Politique de Henri II. — Le nouveau règne ne fut que la continuation de celui qui avait précédé. Au dehors, le fils de François Ier essaya, comme son père, de maintenir l’équilibre européen ; au dedans, il combattit les progrès du protestantisme, favorisa le mouvement de la Renaissance, et conserva à la royauté sou pouvoir absolu.

279. troubles intérieurs. — De nouveaux impôts établis au commencement même du règne de Henri II excitèrent des révoltes dans le midi ; le vieux connétable Anne de Monlmorency assiégea Bordeaux, et punit le soulèvement par de nombreux suppliées. Les Anglais ayant profité de ce qu’ils possédaient Boulogne-sur-mer pour favoriser et même pour excirer ces troubles, Henri II bloqua cette ville et la racheta, conformément au trailé de 1546.

280. montmorency ; les guises. — À la cour comme à la tête des armées, Montmorency fut tout-puissant sous le fils de François Ier. On vit cependant s’élever et grandir auprès de lui la famille lorraine des Guises. Les deux frères, François, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine, obtinrent un grand crédit auprès du roi, surtout quand leur nièce Marie Stuart, reine d’Écosse, eut été fiancée au dauphin François.

281. conquête des trois-évêchés. — Henri II avait observé la paix de Crespy pendant cinq ans. Mais la puissance de l’empereur était devenue si menaçante, qu’il fallait reprendre les armes pour le combattre. Non-seulement Charles-Quint, vainqueur des protestants à Muhlberg (1547), dictait ses volontés à toute l’Allemagne : mais il disposait en maître souverain de l’Italie. Henri envahit tout d’abord les Trois-Évêchés[3], dont il s’empara prèsque sans résistance. Il songeait à y joindre l’Alsace, a fin de donner le Rhin pour barrière à la France : mais il dut pourvoir à la défense de Metz, que l’empereur venait d’attaquer avec cent mille hommes. Le duc de Guise repoussa l’ennemi et lui fit éprouver des pertes considérables. La guerre se faisait en même temps en Italie et en Piémont, et le maréchal de Brissac s’y montrait prudent général, économe du sang des soldat et habile tacticien.

282. abdication de charles-quint, 1556. — Tout à coup une étonnante nouvelle vint suspendre les hostilités : Charles-Quint, n’était plus empereur, ni roi de toutes les Espagnes, ni souverain des Pays-Bas et du Nouveau Monde. Soit dégoût d’une lutte stérile de trente-cinq années, soit conviction du néant des grandeurs humaines et de l’instabilité de la fortune, qui, disait-il, n’aime pas les vieillard, soit besoin du repos qu’exigeaient son âge et ses infirmités, soit tous ces motifs ensemble, il résignait volontairement cette puissance qui lui avait tant coûté à acquérir. Mais en quittant la scène politique, il voulut donner au monde une grande leçon. Après avoir conclu une trêve à Vaucelles, afin de pouvoir régler eu paix le partage de sa succession, il abandonna l’Espagne, les Pays-Bas ei le Nouveau-Monde à son fils Philippe II, l’Allemagne et l’empire à son frère Ferdinand ; puis il alla s’enfermer au couvent de Sainl-Just en Espagne, où il mourut après deux années de retraite consacrées en partie à des exercices de piété (1558).

283. bataille de saint-quentin, 1557. — Ce n’était pas Charles-Quint, c’était la maison d’Autriche et ses projets de domination que combattait Henri II. Quoique divisée en deux branches, cette maison n’avait rien perdu de ses vues ambitieuses ; la branche espagnole, représentée par Philippe II, entourait et menaçait toujours la France par ses possessions de l’Espagne, des Pays-Bas et de l’Italie. Henri II recommença d onc la guerre. Soixante mille Espagnols commandés par Philibert Emmanue de Savoie vinrent assiéger la ville de Saint-Quentin, qui était mal fortifiée, mais que défendait le brave amiral de Coligny. Le connétable de Montmorency, envoyé au secours des assiégés, eut l’imprudence d’accepter une bataille générale contre une arinée six fois plus forte que la sienne ; il fut vaincu et fait prisonnier. Le roi d’Espagne, au lieu de marcher immédiatement sur Paris, s’obstina à prendre Saint-Quentin ; il donna ainsi à la France le temps de se remettre de sa frayeur.

284. prise de calais, 1558. — Le duc de Guise, qui combattait en Italie, fut rappelé et investi de pouvoirs illimités ; c’était le seul homme jugé capable de sauver le royaume. Il répara le désastre de Saint-Quentin par un beau fait d’armes. Au milieu de l’hiver, ce grand capitaine marcha sur Calais, et reconquit en huit jours sur les Anglais cette clef du royaume ; il y avait 211 ans qu’Edouard III s’en était emparé.

285. paix de cateau-cambrésis, 1559. — mort de henri ii. — La paix de Cateau-Cambrésis mit fin à la guerre : la France garda les Trois-Évechés et la ville de Calais ; Philibert-Emmanuel fut remis en possession de son duché de Savoie, dont il avait été dépouillé, et Henri II renonça à toute espèce de droits sur le royaume de Naples. Un double mariage scella ce traité : la fille du roi de France épousa Philippe II, et sa sœur, Philibert-Emmanuel. Au milieu des fêtes et des tournois qui eurent lieu à cette occasion, le roi fut blessé à l’œil gauche par un éclat de lance en joutant avec son écuyer Montgemery, et il expira au bout de quelques heures. Il n’avait régné que douze ans.

286. Troubles religieux. — Le règne de Henri II, comme celui de son père, se termina par des troubles religieux. Le protestantisme avait fait de Grands progrès. Dès 1547, il y avait en France dix-sept provinces et trente-trois villes dans lesquelles avaient pénétré les idées nouvelles. Henri II avait voulu en arrêter le développement par des édits qui ne firent qu’échauffer le zèle des protestants. Le peuple suivait dans les rues leurs processions, et chantait en chœur avec eux les Psaumes, traduits en français par Clément Marot ; les hautes classes de la société et le Parlement même passaient pour être en grande partie favorables a ceux qu’en appelait les’’huguenots, par corruption du mot allemand eidgenossen, qui signifie confédérés par serment. Déjà les protestants formaient presque un État dans l’État : Henri II se décida à frapper un coup vigoureux ; il fit saisir et mettre en jugement deux conseillers soupçonnés d’hérésie, Dufaur et Anne Dubourg ; mais, quelque diligence que l’on mît à instruire leur procès, le roi mourut avant que l’affaire fut terminée.

Synchronisme. — Charles Quint empereur d’Allemagne et roi d’Espagne, 15516-1556. — — La Réforme en Allemagne avec Luther (15171540), en Suisse avec Zwingle (1516-1551) et Calvin. (1535-1564. — Philippe II, roi d’Espagne, 1556. — Schisme de l’Angleterre sous Henri VIII, 1532-1547 ; la Réforme sous Edouard VI, 1547-1553 ; triomphe du catholicisme sous Marie Tudor, 1555-1558. — Gustave Wasa affranchit la Suède, 1523. — Solima-le-Grand, 1520-1566. — Les chevaliers de Rhodes chassés de leur île (1522) s’établissent à Malte, 1530.

  1. Cette entrevue fut nommée le Camp du Drap d’or, à cause de la magnificence que déployèrent dans leur camp les deux rois et leur suite. Les étoffes de brocart et de drap d’or y furent prodiguées.
  2. On ainsi l’assemblée des députés, de la noblesse, du clergé et du Tiers-État, choisis par le roi, au lieu d’être élus par chacun des trois ordres, comme aux États-Généraux.
  3. On nommait ainsi les territoires des évêchés de Metz, de Toul et de Verdun, qui relevaient de l’Empire.