Dezobry & Magdeleine (p. 155-175).

CHAPITRE XVII.


Guerres de religion.

François II, 1559-1560. — Charles IX, 1560-1574. — Henri III, 1574-1589. — Première partie du règne de Henri IV, dit le Grand, 1589-1598.

287. état des partis en 1559. — Henri II laissait quatre fils, dont trois portèrent successivement la couronne ; l’aîné de ces princes, àgé seulemenl de quinze ans, fut proclamé roi sous le nom de François II. Faible de corps et d’esprit, il abandonna le pouvoir à sa mère, l’artificieuse Catherine de Médicis, et aux Guses, oncles de sa femme Marie Stuart. Parmi cette foule de courtisans médiocres qui entouraient le trône, les princes Lorrains étaient seuls dignes du pouvoir par leurs talents et la fermeté de leurs vues. Défenseurs zélés du catholicisme, ils jouissaient d’une grande popularité dans les masses ; la nation, qui était catholique, se confiait en eux et comptait sur d’énergiques mesures de répression à l’égard des protestants. L’affaire du conseiller Dubourg fut reprise et promptement terminée par une condamnation capitale. Dufour parvint à s’échapper. Le parti protestant effrayé s’organisa, et prit pour chefs deux princes du sang, Antoine de Bourbon, roi de Navarre[1], et son frère Louis, prince de Condé, auxquels on adjoignit l’amiral Colîgny et ses deux frères, le cardinal de Châtillon et d’Andelot, colonel-général de l’infanterie française. Antoine de Bourbon était d’un caractère faible ; Condé, violent et impétueux. Coligny seul joignait à une grande austérité de mœurs une inébranlable fermeté et une grande habileté à réparer les échecs, sans jamais désespérer de la fortune. Entre les protestants et les catholiques, Catherine de Médicis ne poursuivit qu’un seul but, ne se proposa qu’une seule fin, conserver et accroître son autorité. C’est à cette soif insatiable du pouvoir qu’on doit attribuer toute sa politique et les crimes qu’elle commit ou fît commettre.

288. conjuration d’amboise. — mort de françois ii. — Pour renverser les Guises, la noblesse et tout le parti protestant eurent recours aux complots ; ils résolurent d’enlever le jeune roi, afin de gouverner en son nom ; le prince de Condé devait être créé lieutenant général du royaume. Ce complot, dont le chef apparent était un gentilhomme nommé la Renaudie, et le chef véritable le prince de Condé, est connu sous le nom de conjuration d’Amboise ; il fut découvert par l’indiscrétion d’un avocat de Paris. La cour était à Blois ; elle pouvait y être surprise facilement ; d’après les conseils du duc de Guise, elle se transporta au château d’Amboise, qui était fortifié, Les conjurés n’en persistèrent pas moins dans leur entreprise ; mais toutes les précautions étaient déjà prises contre eux. Ils furent arrêtés pour la plupart et pendus aux murs du château. Condé paya d’audace ; il se présenta devant le jeune roi, et défia en combat singulier quiconque oserait l’accuser. Les Guises dissimulèrent ; mais quelques mois après, ils se saisirent de lui et le livrèrent à une commission de juges qui le condamna à mort. La fin prématurée du roi sauva seule le prince de Condé (1560) ; François II n’avait régné que dix-sept mois. Sa jeune veuve, Marie Stuart, quitta alors la France pour aller régner sur les Écossais Elle fit de touchants adieux à ce beau pays de France, dont elle ne s’éloignait qu’avec les plus vifs regrets : on eut dit qu’elle avait un pressentiment des malheurs qui l’attendaient en Écosse.

289. influence de catherine de médicis. — Charles IX, frère de François II, n’avit que dix ans lorsqu’il lui succéda. L’éloignement de Marie Stuart avait fait perdre aux Guises leur influence souveraine dans le gouvernement. La reine-mère. Catherine de Médicis, se saisit de l’autorité sans avoir le titre de régente, el la conserva pendant tout ce règne, grâce à une politique astucieuse, dont les conséquences furent aussi funestes que le principe en était odieux et mesquin. Au lieu de prendre résolument en main la cause de la religion catholique, qui était celle de la nation, elle ne songea qu’à entretenir, les factions qui divisaient la cour et le royaume, en les opposant les unes aux auires pour les mieux dominer. Elle commença par rendre la liberté au prince de Condé, donna la lieutenance générale du royaume au roi de Navarre, rappela Montmorency à la cour, et convoqua des Êtats-Généraux.

290. états-généraux d’orléans, 1560. — triumvirat. — Les États se tinrent à Orléans ; mais leur réunion ne produisit que peu de bien pour la France. Les partis y essayèrent leurs forces, et leurs passions soulevèrent de tels orages, qu’il fallut ajourner l’assemblée. D’un autre coté, des attaques imprudentes dirigées contre les princes Lorrains par ceux de leurs ennemis qui siégeaient dans les États, décidèrent le duc de Guise à se rapprocher du vieux connétable de Montmorency et du maréchal de Saint-André, tous deux zélés catholiques, et a former avec eux l’union connue sous le nom de triumvirat, qui alarma Catherine de Médicis et les protestants tout à la fois.

291. colloque de poissy. — édit de janvier. — La reine-mère et son ministre le chancelier Michel de l’Hôpital, qui flottaient irrésolus entre les partis, et aggravaient ou adoucissaient tour à tour la rigueur des édits contre les hérétiques, proposèrent une entrevue dans laquelle les théologiens catholiques et les protestants exposeraient et discuteraient leurs croyances religieuses. Cette entrevue, désignée sous le nom de colloque, eut lieu à Poissy (1561) ; elle ne fit qu’envenimer les haines réciproques, et enhardit les calvinistes à tenir publiquement leurs assemblées nonobstant les édits. Ce fut ce moment que Catherine de Médicis choisit pour leur faire de nouvelles concessions. L’édit de janvier (1562) leur accorda la liberté de conscience, et même la liberté de culte dans les campagnes, en la présence des officiers royaux.

292. massacre de vassy, 1562. — Cette mesure excita l’indignation des catholiques, et le Parlement de Paris ne l’enregistra qu’avec peine. Le duc de Gnise, appelé par eux ; profita du mécontentement général, pour tenter de reconquérir le pouvoir qu’il avait perdu. Il se mit en marche vers Paris ; comme il passait par la petite ville de Vassy (Haute-Marne), en Champagne, des protestants réunis dans une grange pour assister au prêche se prirent de querelle avec les gens de sa suite. Des disputes on en vint aux coups ; des pierres furent lancées ; le duc lui-même fut atteint. À la vue de son sang, ceux qui l’entouraient tombèrent sur les protestants et en tuèrent soixante. « Le massacre de Vassy, dit un contemporain, fut le premier son de la trompette guerrière qui, dans toute La France, appelait les séditieux à prendre les armes, » Trente-six années de dissensions civiles furent la conséquence de cet événement (1562-1598).

293. Intervention des étranger. — Dès les premières hostilités, catholiques et protestants abjurant tout sentiment de patriotisme, recherchèrent l’alliance de quelque puissance étrangère. Les Guises se liguèrent avec Philippe II, roi d’Espagne, qui voulait assurer le triomphe du catholicisme, et qui se flattait en même temps d’asservir la France à la faveur des troubles intérieurs. Les protestants et Condé s’allièrent, de leur côté, avec la reine d’Angleterre Elisabeth, dont ils achetèrent l’appui en lui livrant le Hàvre et en lui promettant la restitution de Calais ; ils appelèrent en même temps d’Allemagne un corps de cavalerie mercenaire ou réitres, dont la férocité rendit ces guerres civiles encore plus affreuses.

294. première guerre civile, 1563 — paix d’amboise. — On compte ordinairement huit guerres civiles, La première fut marquée par la prise de la ville de Rouen, au siège de laquelle le roi de Navarre fut tué, par la défaite des protestants à Dreux, et par le meurtre du duc de Guise, Le prince lorrain, devenu lieutenant général, du royaume, tenait à s’emparer d’Orléans, dont la position centrale commandait tout le midi de la France et qui était on des boulevards du calvinisme. Déjà il s’était rendu maître d’un des faubourgs, lorsqu’il fut traîtreusement assassiné par un gentilhomme protestant, nommé Poltrot de Méré, qui prétendit avoir commis ce crime à l’instigation de l’amiral Coligny. Cette accusation n’a jamais été prouvée, et l’on ne saurait l’admettre sans preuves ; mais il est impossible d’excuser la joie indécente que l’amiral et ceux de son parti firent paraître à la nouvelle de ce meurtre. L’exemple de l’assassinat était donné. Désormais les guerres de religion furent signalées par d’affreuses représailles : du coté des catholiques, Montluc, lieutenant général de la Guienne, surnommé le Boucher ; du côté des protestants, le baron des Adrels, gouverneur du Dauphiné, effrayèrent la France par leurs cruautés, la mort du duc de Guise était un échec pour les catholiques ; néanmoins, l’ambitieuse Catherine de Médicis n’eut pas honte de s’en réjouir, parce qu’elle redoutait déjà l’ascendant que les talents et les services du duc devaient lui assurer, et elle se hâta de signer la paix d’Amboise, qui accordait aux protestants la liberté du culte dans certaines villes désignées. Ainsi fui terminée la première guerre de religion.

295. majorité du roi. conférence de bayonne. — Les Français des deux camps, comme pour expier leurs discordes civiles, allèrent reprendre le Havre aux Anglais. Anrès cette courte et brillante expédition, le jeune roi fut déclaré majeur, conformément à l’ordonnance de Charles V, et il entreprit avec sa mère un voyage dans le midi de la France. Plusieurs forteresses protestantes furent démolies. À Bayonne, Catherine de Médicis eut une entrevue avec le duc d’Albe, ministre de Philippe II. Que se passa-t-il dans ces conférences ? On l’ignore ; mais il parait difficile d’admettre qu’ils aient arrêté, comme on l’a dit, diverses mesures propres à assurer la ruine des protestants, entre autres le massacre de la Saint-Barthélémy.

296. deuxième guerre civile ; paix de longjumeau, 1567. — Les huguenots, effrayés par les projets qu’il prétaient à la reine-mère et par les restrictions que l’édit de 1564 apporta aux concessions du traité d’Amboise, reprirent les armes, et la guerre recommença. Condé et Coligny faillirent enlever le roi aux portes de Paris ; mais ils furent encore battus à Saint-Denis. Le connétable de Montmorency, qui commandait l’armée royale malgré ses soixante-quinze ans, fut lâchement égorgé dans cette bataille par un soldat écossais. Les vaincus purent opérer leur retraite sur la Lorraine sans être inquiétés. Bientôt, renforcés par un corps d’Allemands, ils attaquèrent la ville de Chartres. Si cette place succombait, Paris pouvait être affamé ; Catherine traita de nouveau. La paix de Longjumeau ou de Chartres, appelée la petite paix parce qu’elle ne dura que six mois, confirma le traité d’Amboise.

297. troisième guerre civile, 1568. paix de saint-germain, 1570. — La cour n’avait pas renvoyé ses troupes étrangères, et les protestants n’avaient pas rendu les places qu’ils avaient prises. Une tentative faite par Catherine de Médicis pour s’assurer de la personne des chefs du parti calviniste fut l’occasion de la troisième guerre. Condé et Coligny s’enfuirent à la Rochelle, où Jeanne d’Albret, reine de Navarre, vint les rejoindre avec son fils le prince de Béarn, et ils entrèrent aussitôt en campagne. Les bords de la Charente furent le théâtre des hostilités ; les protestants, toujours battus dans les actions générales, furent défaits à Jarnac et à Montcontour par le duc d’Anjou Henri, frère du roi, ou plutôt par le maréchal de Tavannes, qui commandait sous ses ordres. À Jarnac, Condé, couvert de blessures et presque mourant, fut lâchement assassiné par un capitaine des gardes du duc d’Anjou. C’était désormais un enfant de seize ans, Henri de Béarn, qui devenait le chef nominal du parti protestant ; Coligny en conserva la direction. Malgré ses succès, l’armée royale était épuisée, tandis que par l’habileté de Coligny, les huguenots se relevaient le lendemain d’une défaite, aussi menaçants que la veille. Catherine, désespérant de triompher par la force ouverte, résolut d’employer d’autres armes pour abattre un ennemi qu’elle retrouvait toujours debout. Elle signa la paix de St-Germain, qu’on appela la paix boiteuse et mal assise[2], et que les huguenots qualifièrent plus tard de vrai coupe-gorge, quand ils aperçurent le piège affreux que leur avait tendu la reine-mère. Amnistie générale, libre exercice du calvinisme, qualre places de sûreté, la Rochelle, Montauban, Cognac et la Charité : tels furent les avantages qu’on accorda aux protestants. Leur chef le jeune roi de Navarre devait en outre épouser Marguerite de Valois, fille de Catherine et sœur du roi.

298. mort de jeanne d’albret. — Une année se passa dans une trompeuse sécurité. Au commencement de l’année suivante (1572), on prépara les fêtes du mariage qui devait réconcilier, disait-on, les catholiques et les protestants et rendre pour toujours la paix à la France. Tous les princes furent mandés à la cour. On fit bon accueil aux chefs des huguenots ; on leur prodigua les caresses et les prévenances ; ils ne trouvèrent que des visages ouverts et amis, et toutes leurs défiances disparurent. Mais voilà qu’au mois de juin, Jeanne d’Albret meurt subitement, à quarante-quatre ans, sans avoir été malade. On crie à la trahison ; on dit que Jeanne a été empoisonnée par des gants parfumés que lui a vendus le fournisseur de la cour. Le roi ordonne l’autopsie du cadavre, et rien ne prouve que cette mort soit le résultat d’un crime. Sur ces entrefaites, Henri de Navarre arrive à Paris, et, le 18 août, il épouse à Notre-Dame la sœur du roi. Au milieu même de la cérémonie, la foule catholique crie déjà sur la place : « Mort aux huguenots ! » Enfin, le 22 du même mois, Coligny, en sortant du Louvre, est blessé au bras d’un coup d’arquebuse tiré par Maurevel, assassin aux gages du nouveau duc de Guise. Charles IX se hâte de lui rendre visite, et s’écrie : « Mon père, la blessure est pour vous, mais la douleur est pour moi. » Et il promet de le venger.

299. saint-barthélemy, 24 août 1572. — Peut-être alors les protestants crurent-ils qu’on avait prémédité leur ruine, et qu’on ne les avait réunis tous à Paris que pour les exterminer plus facilement ; ce qui n’est pas démontré. Peut-être laissèrent-ils échapper des paroles de vengeance, et songèrent-ils à se défendre en tramant quelque conspiration. On le fit croire du moins au jeune roi ; on lui représenta que son autorité, que sa vie même exigeait un grand coup, et qp’il fallait frapper ce coup à l’improvisle, afin de ne laisser échapper aucune victime. Il finit par céder à ces fatales et incessantes obsessions. « Par la mort-Dieu ! s’écria-t-il, égaré sans doute par la frayeur, tuez-les donc ; mais tuez-les tous, et qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher. » Dans la nuit du 21 août sur les deux heures du matin, au son de la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois, Henri de Guise commença le massacre en faisant égorger Coligny, qu’il avait toujours affecté de regarder comme l’assassin de son père. « Alors, dit un historien, on n’entendit plus qu’un cri : Tue ! tue ! La plupart des protestants furent surpris dans leurs lits. Un gentilhomme fut poursuivi, la hallebarde dans les reins, jusque dans la chambre et dans la ruelle de la reine de Navarre… Le lendemain, une aubépine ayant refleuri dans le cimetière des Innocents, le fanatisme fut ranimé par ce prétendu miracle, et le massacre recommença. » Le roi fit venir dans son cabinet Henri de Navarre, son beau frère, et le prince de Condé, et les somma de choisir entre la messe ou la mort, les deux princes ne sauvèrent leur vie qu’en abjurant. Par ordre de la cour, le carnage s’étendit aux provinces ; mais quelques gouverneurs eurent le courage de désobéir. Celui de Bayonne, le vicomte d’Orthez, écrivit au roi : » Sire, j’ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison ; je n’y ai trouvé que de bons citoyens et de braves soldats, mais pas un bourreau. C’est pourquoi, eux et moi, supplions très-humblement Votre Majesté de vouloir employer nos bras et nos vies en choses possibles ; quelque hasardeuses qu’elles soient, nous y mettrons jusqu’à la dernière goutte de notre sang : » Il est probable que d’autres gouverneurs, sans oser résister ouvertement, n’exécutèrent pas en tout point les ordres qu’ils avaient reçus, en sorte que le nombre des morts, qu’on évalue ordinairement à trente mille, ne fut sans doute pas aussi considérable. On aime aussi à rappeler le nom de l’évêque de Lisieux Jean Hennuyer, qui sauva les protestants de son diocèse en les recueillant dans son palais, et en ramena un grand nombre à la foi catholique par sa charité.

300. quatrième guerre civile. — On croyait le parti protestant anéanti ; on se trompait : le nombre des religionnaires était seulement diminué momentanément. Ceux qui restaient se réfugieront dans leurs places de sûreté, principalement à la Rochelle, et s’y défendirent en désespérés ; ainsi éclata la quatrième guerre civile. Ce crime tout politique de Catherine, qu’elle avait cherché à colorer d un prétexte de religion, fut donc inutile comme tous les crimes politiques, ou plutôt il tourna contre le but qu’elle voulait atteindre[3]. Les protestants trouvèrent des auxiliaires parmi les catholiques eux-mêmes. Un parti s’était formé, qui prêchait la modération, et qu’on appela le parti des’’Politiques ; à sa tête était le plus jeune frère du roi, le duc d’Alençon. Aussi la cour jugea-t-elle à propos de signer la paix ; elle accorda aux huguenots la Rochelle, Nîmes et Montauban pour places de sûreté.

301. mort de charles ix, 1574. — Depuis la nuit fatale du 2 août, Charles IX. languissait dévoré de remords et atteint d’un mal étrange et horrible : le sang lui sortait par les pores. Épuisé par une fièvre ardente qui lui donnait le délire, il croyait voir à tout moment, dans la veille et pendant son sommeil, les cadavres de ses victimes se présenter à lui la face hideuse et couverte de sang ; il ne tarda pas à mourir au milieu de ces cruelles souffrances. Comme il ne laissait pas d’enfant, le trône revenait à son frère Henri, qui était alors en Pologne ; en attendant son retour, Catherine de Médicis administra le royaume.

302. Jugement sur Charles IX. — Réforme du calendrier. — Si Charles IX ne peut être absous par l’histoire, il est juste de reconnaître qu’une grande part des malédictions qu’il mérite doit retomber sur la tête de sa mère. C’est elle qui apporta à la cour de France les honteux plaisirs, la fausse et hypocrite dévotion, et toutes les turpitudes qui déshonoraient les cours italiennes d’alors. C’est elle qui, pour satisfaire son exécrable ambition, abusa de l’empire qu’elle exerçait sur le faible esprit de son fils, et en fit l’instrument de son odieuse politique. Enfant, elle le priva de toute éducation généreuse ; adolescent, elle le corrompit afin de le mieux dominer ; jeune homme, elle le poussa à des crimes qui ont voué son nom a une exécration éternelle. — C’est à partir du régne de Charles IX seulement que le commencement de l’année a été fixé au 1er  janvier par l’édit de Roussillon[4], publié en 1564. Jusqu’à cet édit, l’année avait toujours commencé à Pâques ; cette fête étant mobile, il en était résulté une grande confusion dans les calculs chronologistes.

303. henri revient en france. — Dès que Henri III apprit la mort de son frère, il se disposa à quitter la Pologne, où le vœu de la nation l’avait appelé à régner, et fit ses préparatifs de départ avec une précipitation qui trahissait sa joie. Habituè à la vie élégante et aux plaisirs de la cour de France, il trouvait dur de passer sa vie au milieu des Polonais, presque barbares encore, d’entendre leurs longs discours en latin au lieu des gais propos du Louvre, et d’assister à cheval, au milieu d’une plaine poudreuse, à d’interminables diètes, au lieu de conduire un tournoi ou de diriger une chasse. D’ailleurs ses idées de pouvoir absolu s’accordaient mal avec les prétentions de la noblesse polonaise. Dans la crainte qu’on ne voulût le retenir, il se sauva pendant la nuit, courut à bride abattue jusqu’à la frontière, et ne prit de repos que lorsqu’il se vit à l’abri des poursuites de ses sujets. Mais, par une étrange inconséquence de caractère, ce prince qui délassait son royaume en fugitif, comme s’il ne pouvait arriver trop tôt en France, prit la route la plus longue pour y revenir, et s’arrêta partout où on lui donna des fêtes, dépensant follement son argent ei endettant le trésor déjà épuisé. Parvenu à Lyon, il se fit admettre dans la confrérie des Flagellants, et assista à de solennelles processions, dans lesquelles il fouettait jusqu’au sang ses royales épaules pour l’édification du public. Mais la nuit, il courait les bals avec une troupe de jeunes seigneurs qu’il appelait ses mignons, donnant ainsi le déplorable exemple d’une alliance monstrueuse des excès de la débauche avec les pratiques de la dévotion.

304. cinquième guerre civile ; paix de loches, 1575. — La nation tout entière s’effraya de l’avénement d’un tel roi. Son propre frère, le duc d’Alençon, que l’on surveillait comme suspect depuis la Saint-Barthélemy, s’échappa de la cour pour aller rejoindre les Politiques ses amis. Henri de Navarre fit de même, et abjura sa conversion forcée ; puis il leva une armée dans le midi, et se réunit au prince de Condé, qui amenait d’Allemagne vingt mille reitres et lansquenets. Alors les Politiques levèrent le masque et s’allièrent publiquement aux calvinistes, menaçant à la fois la religion de l’État et le trône des Valois. La cinquième guerre civile éclata. Henri de Guise gagna la bataille de Dormans, dans laquelle il reçut au visage une blessure qui lui valUt le surnom de Balafré ; mais sa victoire n’empêcha pas qu’un traité favorable aux huguenots ne fût signé à Loches. Henri III désavoua la Saint-Barthélemy, rendit les biens confisqués, céda l’Anjou, la Touraine et le Berry à son frère d’Alençon, le gouvernement de la Picardie au prince de Condé, consentit le libre exercice du culte protestant dans tout le royaume, excepté à Paris, et ajouta six places de sûreté à celles de Nîmes, de Montauban et de la Rochelle, dont les calvinistes étaient déjà en possession.

305. la ligue, 1376. — Le traité de Loches conduisait inévitablement à la ruine de l’autorité royale et au démembrement de la monarchie ; il excita l’indignation de ceux dont le patriotisme voulait conserver l’unité de la France, et des catholiques qui tenaient à sauver leur foi en écrasant le parti calviniste. De ces deux causes, du besoin de l’unité et de la foi religieuse, résulta l’association de la Sainte Ligue. Deja sous l’inspiration des princes Lorrains, qui ne comprenaient pas de salut ni de grandeur pour la France en dehors du catholicisme, plusieurs ligues partielles s’étaient formées pour la défense de la religion et de la royauté. Il importait de les relier entre elles et d’en faire un faisceau capable de contre-balancer la confédération puissante des Huguenots et des Politiques. Ce fut à Peronne que fut publié le premier acte de cette association générale, dont Paris devait être le centre. Le gouverneur de Peronne, Jacques d Humières, gentilhomme catholique, convaincu qu’il ne pouvait, sans péril pour sa foi, se soumettre a l’autorité du prince de Condé, entraîna les habitants de la province à signer une formule de serment, par laquelle ils s engageaient « à défendre là religion catholique, à ne déposer les armes qu’après l’accomplissement de leurs projets, et à obéir au chef qui serait nommé. »

306. Jugement de la Ligue, — Ambition des Guises. — La Ligue, comme toutes les associations, comptait dans son sein des hommes de conviction et des ambitieux. Ceux-ci furent, comme toujours, les meneurs et les chefs ; ils exploitaient à leur profit la bonne foi des gens sinsères, et les jetèrent parfois dans des voies tout autres que elles où chacun d’eux avait cru sans doute s’engager. C’est ce qui explique comment la Ligue a été tout à la fois un bienfait et un malheur pour la France : elle a sauvé et raffermi la foi menacée ; elle a maintenu la nationalité française en empêchant la division et le morcellement du royaume. Mais elle n’a pu atteindre ce double but qu’au prix d’une lutte énergique de plus de vingt années. La défense des causes même les meilleures n’a-t-elle pas ses tristes nécessité. Ajoutons pour être vrai et impartial, que si le principe de la Ligue était honorable et sain, les vues de tous ceux qui en firent partie ne furent pas également désintéressées et loyales ; ainsi l’ont peut reprocher au duc de Guise et au roi d’Espagne d’avoir fait souvent des Ligueurs les instruments de leur ambition personnelle. Philippe II espérait s’enrichir des dépouilles de la France à la faveur de la guerre civile, et peut être assurer la couronne de France à un membre de sa famille. Les Guises, ou plutôt Henri le Balafré aspirait à remplacer les Valois sur le trône. Depuis la mort de François Ier, les princes lorrains avaient fait circuler dans la nation Une genéalogie qui les rattachait au dernier roi carlovingien : il était bien-temps, disaient leurs émissaires, de les rétablir dans les droits de leur naissance, et de substituer à une race d’usurpateurs, protecteurs d’une détestable hérésie, une famille antique, renommée pour sa bravoure et surtout pour sa piété.

307. henri iii se déclare chef de la ligue. — Le nom du chef de la Ligue, qui en réalité n’était autre que le duc de Guise, ayant été laissé en blanc, le roi crut faire un acte d’habile politique et déconcerter les projets de ses ennemis en se proclamant lui-même chef de l’association aux États-Généraux qui s’assemblèrent à Blois, en vertu du traité de Loches. Mais le Balafré n’en conserva pas moins toute son influence.

308. sixième et septième guerre, 1577 et 1580. — Pendant que la Ligue faisait de rapides progrès dans les provinces et dans Paris, elle essayait aussi de mesurer ses forces avec celles des protestants, Deux guerres civiles, suivies chacune d’un traité, qui ne fit que renouveler les conditions de la paix de Loches se succédèrent en peu de temps. Les hostilités devinrent plus sérieuses en 1584, après la mort du duc d’Alençon, qui depuis 1576 avais pris ie titre de duc Anjou. Ce prince n’avait pas d’enfant, et le roi ne paraissait pas non plus devoir laisser de postérité. La couronne revenait donc de droit à Henri de Bourbon, roi de Navarre, qui : descendait en ligne directe de Robert de Clermont, quatrième fils de saint Louis, et se trouvait, quoique parent de Henri III au 22e degré seulement, le plus proche héritier du trône.

309. le roi de la ligue. — les seize. — Les constitutions du royaume éloignaient du trône un prince hérétique. Toute la France catholique redoutait l’avènement de Henri de Navarre. Le duc de Guise mit à profil cette disposition des esprits ; il fit monter en chaire tous les prédicateurs, pour tonner contre le Béarnais, et resserra son alliance avec le roi d’Espagne, sauf à le combattre ensuite pour avoir seul les dépouilles de Henri III. En attendant l’élection d’un roi sérieux, un manifeste de la Ligue, publié à Joinville (1585), reconnut pour héritier légitime et pour chef de l’association le vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre. En même temps, la Ligue s’organisait plus fortement dans Paris. Les chefs des seize quartiers de la ville lui étaient dévoués et formaient le fameux conseil des Seize. Par ce conseil, le duc de Guise dirigeait l’association entière, tandis que des processions nombreuses entretenaient l’ardeur et l’enthousiasme de la multitude, el que les prédications des curés excitaient le zèle des indifférents.

310. huitième guerre, 1586-1598. — journée des barricades. — Le roi de Navarre, excommunié par le pape Sixte V, fit afficher au Vatican une protestation contre cet anathème, et se décida à prendre les armes. Ainsi éclata la huitième et dernière guerre civile, dite la guerre des trois Henri, à cause des trois chefs : Henri III, Henri de Guise, et Henri de Navarre. Pour la première fois, la fortune se déclara dans une bataille générale en faveur des protestants commandés par le Béarnais ; ils vainquirent, près de Coutras en Périgord, l’armée royale, que commandait Joyeuse, l’un des mignons du roi. La défaite de Coutras d’une part, de l’autre la victoire que le duc de Guise remporta sur un corps de reitres allemands venus au secours des huguenots, rendirent la situation de Henri III plus difficile. Effrayé de la popularité qui entourait le prince lorrain, et sachant que ce prince avait pour lui le conseil des Seize, il lui défendit d’entrer dans Paris ; mais Guise ne tint pas compte de cet ordre. Henri III appela alors, pour se défendre, un corps de six mille Suisses. À leur approche, la populace, qui venait de recevoir le duc en triomphe, dépava les rues et fit des barricades pour arrêter la cavalerie (9 mai 1588). La ville était en feu ; Guise, devenu l’idole de la multitude, qui l’appelait le nouveau Gédéon, le nouveau Macchabée, disposait en maitre de Paris. Un pas de plus, et la couronne était à lui ; mais il n’osa pas faire tonsurer et enfermer dans un couvent le dernier descendant des Valois et prendre sa place. Dès ce moment, la partie fut perdue pour les Guises. En vain, le Balafré voulut s’appuyer sur le Parlement ; le premier président, Achille de Harlai, refusa d’obéir à ses ordres : « C’est grand’-pitié, lui dit-il, quand le valet chasse le maître ; au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur est au roi, et mon corps aux méchants. »

311. états de blois ; assassinat des guises. — Henri III s’était enfui à Chartres. Loin de son rival, il songea à se défendre ; mais il ne retrouva d’énergie que pour ordonner un assassinat. Ce lâche projet fut exécuté aux États-Généraux, qui eurent lieu pour la seconde fois à Blois. « Le jeudi 23 décembre 1588, le duc de Guise, se mettant à table pour dîner, trouva sous sa serviette un billet dans lequel était écrit : Donnez-vous de garde ; on est sur le point de vous jouer un mauvais tour. L’ayant lu. il écrivit au bas : On n’oserait, et il le rejeta sous la table. Voilà, dit-il, le neuvième d’aujourd’hui. Malgré ces avertissements, il persista à se rendre au conseil, et comme il traversait la chambre où se tenaient les quarante-cinq gentilshommes ordinaires, il fut égorgé[5]. » Le lendemain, le cardinal de Lorraine, son frère, eut le même sort.

312. fureurs des seize ; soulèvement de paris et des provinces. — mort du roi. — Henri III se crut délivré. Il courut en porter la nouvelle à sa mère, qui était mourante. « Le roi de Paris n’est plus, lui dit-il ; je suis roi désormais. » II oubliait que sa conduite équivoque et cauteleuse, que ses concessions aux huguenots lui avaient depuis longtemps aliéné tous les cœurs, alors même que l’assassinat des Guises n’exciterait pas une réprobation unanime. Le peuple prit le deuil ; les Seize déclarèrent le trône vacant, mirent à la tête de la Ligue le duc de Mayenne, frère du Balafré, emprisonnèrent à la Bastille la moitié du Parlement, qui s’obstinait à demeurer fidèle au roi, et firent publier que le meurtre du tyran (ils désignaient ainsi Henri III) était licite et agréable à Dieu. Henri III comprit alors qu’il devait se rapprocher du Béarnais, dont la cause était désormais la sienne ; il se réconcilia avec lui, et tous deux marchèrent sur Paris révolté. Déjà ils occupaient les hauteurs de Saiut-Cloud, et la ville allait être forcée de se rendre, lorsqu’un fanatique, nommé Jacques Clément, égaré par les folles maximes et par les monstruosités qui se débitaient chaque jour à Paris, s’introduisit auprès du roi, et le frappa d’un coup de couteau dans le ventre, pendant qu’il lui faisait lire un message qu’il lui avait apporté. Henri III expira le lendemain, dans les bras du Béarnais, après l’avoir reconnu pour son successeur, et avoir engagé ses officiers à embrasser sa cause.

313. batailles d’arques et d’ivry. — Henri de Navarre, que nous appellerons désormais Henri IV, avait à conquérir le trône auquel l’appelait sa naissance, mais d’où l’écartait sa religion. Paris, dominé par les Seize, venait de proclamer roi, sous le nom de Charles X, le vieux cardinal de Bourbon, et refusait obstinément d’ouvrir ses portes. Le Béarnais, abandonné en même temps par une grande partie des seigneurs catholiques qui composaient l’armée de Henri III, fut obligé de lever le siège de la capitale, et de se replier vers la Normandie, pour attendre les secours de sa fidèle alliée la reine d’Angleterre. Mayenne, gouverneur de Paris et lieutenant général du royaume, alla l’attaquer à Arques, près de Dieppe, avec une armée dix fois plus nombreuse, et fut battu. L’année suivante, il ne fut pas plus heureux à Ivry (Eure), quoiqu’il fût soutenu par un corps nombreux d’Espagnols. Avant l’action, Henri invoqua, selon sa coutume, le Dieu des combats ; puis, s’adressant aux siens : « Mes compagnons, leur dit-il, vous êtes Français, je suis votre roi, et voilà l’ennemi ; nous courons aujourd’hui même fortune ; je veux vaincre ou mourir avec vous. Gardez bien vos rangs, et si vous perdez de vue vos enseignes, cornettes ou guidons, ralliez-vous à mon panache blanc ; vous le verrez toujours au chemin de l’honneur et du devoir. » Il paya en effet de sa personne, comme le plus brave soldat, et remporta une victoire complète, qu’il honora en ordonnant qu’on épargnât tous les Français du parti opposé.

314. siège de paris. — Du champ de bataille d’Ivry le roi se dirigea aussitôt vers Paris, qu’il bloqua. La ville ne tarda pas à subir les horreurs de la famine. Les vivres épuisés, on fit du pain avec des ossements de morts ; une mère, dit-on, fut assez dénaturée pour manger son enfant. Henri IV ne put voir tant de maux sans être ému de pitié : « Il aimait mieux, disait-il, n’avoir point Paris, que de l’avoir ruiné par la mort de tant de personnes. » Il laissa sortir de la ville les bouches inutiles, c’est-à-dire les vieillards, les femmes et les enfants, qui consommaient une partie des vivres sans contribuer à la défense. De pauvres paysans avaient vendu aux assiégés un peu de pain ; non-seulement il leur fit grâce, mais il leur donna tout l’argent qu’il avait sur lui, en regrettant de ne pouvoir faire mieux. Ainsi secouru par Henri IV lui-même, Paris prolongea sa résistance jusqu’au moment où le duc de Parme Alexandre Farnèse, envoyé par Philippe II au secours des habitants avec une armée espagnole, parvint à jeter des vivres et des renforts dans la ville, et fit ainsi lever le siège.

315. états-généraux de paris. — Cependant la Ligue commençait à se diviser. Charles X, ce vrai roi de théâtre et en peinture, était mort en 1590. Les prétentions opposées de Mayenne, qui s’appuyait sur la noblesse et le Parlement, et du roi d’Espagne, qui était soutenu par d’obscurs démagogues, et qui voulait faire donner la couronne de France à sa fille Isabelle, en la mariant au jeune duc de Guise, fils du Balafré ; les cruautés des Seize, qui allèrent jusqu’à étrangler trois magistrats accusés de royalisme, tout cela finit par dégoûter le peuple parisien, et l’attirer vers la bonne cause. En vain les Ligueurs firent un dernier et suprême effort, en convoquant des États-Généraux à Paris pour l’élection d’un roi ; en vain Philippe II, dont ils étaient devenus les instruments, se flattait déjà de toucher au but de ses espérances ambitieuses. Le Parlement quoique captif et estropié, suivant l’expression de l’historien Péréfixe, rendit un arrêt pour empêcher « que, sous prétexte de religion, la couronne ne fût transférée en des mains étrangères. »

316. abjuration de henri iv. — L’abjuration de Henri IV porta le dernier coup à la faction espagnole, et rallia la masse de la nation à la cause royale. Henri n’avait ni haine ni prévention contre la foi dans laquelle ses pères avaient vécu. Les rois ses prédécesseurs avaient tous été catholiques ; l’immense majorité de ses sujets partageait ces croyances, et sa conversion était le seul moyen de mettre fin à la guerre civile ; il n’hésita pas à se faire catholique. Après plusieurs entretiens avec les évêques, il abjura le 25 juillet 1593, dans l’église de Saint-Denis, entre les mains de l’archevêque de Bourges, et au mois de février suivant il se fil sacrer à Chartres. Désormais tous les cœurs furent pour lui.

317. Satire Ménippée. — La faction des Ligueurs expirait en même temps sous l’arme du ridicule. La Satire Ménipée[6], composée contre Mayenne et l’influence espagnole par les plus spirituels royalistes, Pithon, Rapin, Passerat, etc. acheva la ruine des ennemis du Béarnais en publiant un Abrégé de l’Histoire de la Ligue, un Abrégé de la farce des États de la Ligue, des Nouvelles des régions de la lune, une Histoire des singeries de la Ligue, etc., et une foule d’épigrammes mordantes, telles que celle-ci :

De l’élection d’un roi par les Seize.

Les Seize à force de doublons,
S’efforcent de forger un roi,
Qui en plusieurs pièces se rompt,
Pour n’être pas de bon aloi.

318. entrée de henri iv à paris. — soumission des provinces. — Les villes de Meaux, Pontoise, Orléans, Bourges et Lyon furent les premières à ouvrir leurs portes aux troupes royales. Enfin, le 22 mars 1594, le comte de Brissac, gouverneur de Paris pour Mayenne, introduisit Henri IV dans la capitale, à minuit. Dès le lendemain, les royalistes s’étant déclarés en foule, Ligueurs et Espagnols durent renoncer à toute résistance. Ceux-ci capitulèrent. Le roi les laissa partir avec armes et bagages ; seulement, lorsqu’ils vinrent à passer sous les fenêtres du Louvre : « Messieurs, leur dit-il, avec cette ironie gasconne qui lui était familière, recommandez-moi à votre maître ; mais n’y revenez plus. » Une fois maître de Paris, Henri IV dut s’attacher à poursuivre dans les provinces les débris des factions, et à purger le sol français des garnisons espagnoles qui y restaient encore. Beaucoup de gouverneurs s’obstinaient à ne pas faire leur soumission ; Henri IV leur envoya des émissaires avec de grosses sommes d’argent, ou bien il alla les trouver lui-même, et traita avec chacun d’eux en particulier. Tous se soumirent ou se laissèrent acheter ; il en coûta trente-deux millions[7]. Henri IV ne déploya pas seulement dans ces négociations beaucoup d’adresse ; il mon

  • tra encore une grande générosité. On aime à redire comment

il se vengea de Mayenne, le plus déterminé de ses ennemis. C’était un homme d’un extrême embonpoint ; Henri, ce Biarnois comme dit la Satire Mènippèe, qui faisoit mille tours de Basque, et qui ne passoit pas si longtemps au lit que Mayenne à table, lui fit faire une longue promenade en doublant toujours le pas, et quand il le vit suant, essoufflé, hors d’haleine : « Mon cousin, lui dit-il, c’est tout le mal que je vous ferai de ma vie. »

319. fin de la guerre contre les espagnols et des guerres de religion, 1598. — Vis-à-vis des Espagnols, ce fut les armes et non l’argent qu’il employa ; l’or de la France n’était pas fait, disait-il, pour solder la retraite des étrangers. Il marcha contre eux et les battit à Fontaine-Française, près de Dijon. Cependant les Espagnols ne s’avouèrent pas vaincus : ils prirent, l’année suivante, Calais et Arras, et envahirent la Picardie. Pour les repousser, il fallait de l’argent, et le roi n’en avait pas ; il voulut en obtenir de la confiance de ses sujets, et il convoqua à cet effet une assemblée des Notables à Rouen. Le patriotisme de l’assemblée et le génie de Sully fournirent à Henri IV les sommes nécessaires pour mieux guerroyer et pour mater l’Espagnol. Amiens, dont les ennemis venaient encore de s’emparer, fut repris après six mois de siège ;

La paix de Vervins termina enfin la guerre avec l’Espagne (1598) ; la France rentra en possession de toutes les places que les Espagnols avaient prises en Picardie et leur abandonna au nord Cambrai. La même année, l’Édit de Nantes accorda aux protestants l’exercice public de leur religion dans les villes désignées par les derniers édits de pacification, et une chambre dans chaque Parlement, composée de juges catholiques et de juges protestants en nombre égal ; il les déclarait admissibles à tous les emplois et charges de l’État et les assimilait en tout point aux catholiques. Mais en leur donnant tous les droits de citoyens, on se garda bien de ressusciter à leur profil ces privilèges qui auraient fait du parti protestant un État dans l’État, et compromis l’unité de la France. On leur permit seulement de tenir des assemblées générales où se rendraient leurs députés, de payer eux-mêmes leurs ministres, de lever parmi eux des taxes pour les besoins de leurs églises ; enfin on leur assura pour huit ans la Rochelle, Montauban et plusieurs autres places de sûreté. Ainsi furent terminées les guerres de religion.

Synchronisme. — Le protestantisme est définitivement établi en Angleterre, sous la reine Elisabeth, 1558-1603. — Mort de Marie Stuart, 1587. — Philippe II roi d’Espagne, 1556-1598 — Insurrection des Pays-Bas, 1579. — Conquête du Portugal par l’Espagne, 1580. — Bataille de Lépante, 1571. — Calendrier Grégorien, 1582.


  1. Antoine de Bourbon fut le père de Henri IV.
  2. Ainsi nommée parce qu’elle fut négociée par le sire de Biron qui était boiteux, et le sire de Mesmes, seigneur du Malassise.
  3. La cause du catholicisme n’avait rien à gagner a massacre des protestants ; elle ne pouvait au contraire qu’être compromise par un semblable moyen. C’est donc vainement qu’on chercherait à rendre la religion responsable des crimes et de l’ambition de Catherine de Médicis.
  4. Roussillon, bourg sur la rire gauche du Rhône, à 20 kil. au S. de Vienne (Isère).
  5. Nous avons emprunté ces détails à un historien moderne.
  6. Ainsi nommée de Ménippe, ancien poëte satirique.
  7. Cette somme représente près de 100 millions de notre monnaie actuelle. Sully, baron de Rosny, resté protestant, mais toujours fidèle ami et ministre de Henri IV, s’effrayait de ces dépenses, et tâchait d’arrêter le roi dans ses transactions. Henri lui écrivit le 8 mars 1594 : « Mon ami, vous êtes une bête d’apporter tant de difficultés en une affaire dont la conclusion m’est de si grande importance pour l’établissement de mon autorité et le soulagement de mes peuples, etc. Ne vous amusez plu » à faire le bon ménager… Nous payerons tout des mêmes choses que l’on nous livrera, lesquelles, s’il fallait prendre par la force, nous coûteraient dit fois autant… »