Dezobry & Magdeleine (p. 24-28).

CHAPITRE II.


La complète de la Bourgogne complète l’établissement des Francs. — La monarchie deux fois partagée est deux fois réunie sous un seul roi ; mais une longue période de guerres civiles prépare et hâte la décadence des Mérovingiens.

Successeurs de Clovis jusqu’à la mort de Dagobert
(511-638).

10. premier partage de la monarchie. — Les quatre fils de Clovis se partagèrent son royaume : Thierry, l’ainé, alla régner à Metz ; Clodomir fut roi d’Orléans, Childebcrt de Paris, et Clotaire de Soissons.

11. conquête de la bourgogne, 534.. — Les rois d’Orléans, de Paris et de Soissons s’unirent pour achever la conquête de la Bourgogne ; ils s’en s’emparèrent après une guerre de dix années, soumirent aussi la Thuringe et imposèrent un tribut aux Bavarois. Mais ils attaquèrent sans succès les Visigoths dans la Septimanie et les Ostrogoths dans la Provence, que le roi de Bourgogne leur avait cédée.

12. clotaire i seul roi, 558-561. — Les quatre royaumes gouvernés par les enfants de Clovis et agrandis par leurs conquêtes formèrent pour la seconde fois une seule monarchie en 558, sous l’autorité de Clotaire I, roi de Soissons, qui survécut à ses trois frères. Mais il n’en jouit pas longtemps ; il fut obligé de combattre son fils Chramne révolté contre lui, le vainquit, et le fit brûler vif avec toute sa famille dans une chaumière où il s’était réfugié. Cette atroce vengeance ne resta pas impunie. Clotaire mourut un an après, dévoré de remords, et en s’écriant : « Quelle est donc la puissance de ce roi du ciel, qui fait ainsi mourir les plus grands rois de la terre ! »

13. second partage de la monarchie. — La mort de Ciotaire fut suivie d’un nouveau partage de la monarchie en quatre royaumes, comme à la mort de Clovis : Caribert fut roi de l’aris ; Gontran roi d’Orléans et de Bourgogne ; Sigchert I roi de Metz ou d’Ostrasie ; Chilpéric I roi de Soissons ou de Neustrie[1]. Caribert étant mort bientôt après, ses frères se partagèrent son royaume.

14. commencement des guerres civiles ; frédégonde et brunedaut. — Les fils de Clolaire ne firent aucune conquête et ne connurent que les horreurs de la guerre civile ; cette triste période est une des plus sanglantes et des plus déplorables de notre histoire. L’Église seule interposa sa médiation et ne cessa de lutter contre le débordement des passions déchaînées. Mais sa voix fut souvent méconnue ; ses efforts furent impuissants à empêcher les crimes. La rivalite de deux femmes fut la première cause de ces dissensions intestines. Brunehaut, fille du roi des Visigolhs Athanagild, avait épousé Sigebert : sa sœur Galsuinthe fut demandée en mariage par Chilpéric, et devint reine de Neustrie. Quelque temps après, Galsuinthe fut trouvée morte dans son lit, et Frédégonde, une des femmes du palais, la remplaça. Brunehaut jura de venger sa sœur ; elle excita Sigebert à prendre les armes contre son frère.

15. mort de sigebert et de chilpéric ; double minorité. — Sigebert fut d’abord vainqueur ; il prit Paris, assiégea Chilpéric dans Tournai, et il venait de se faire reconnaître pour roi de Soissons, quand il périt poignardé dans son camp par deux émissaires de Frédégonde (575). Les Ostrasiens proclamèrent son jeune fils, Childebert II, pendant la minorité duquel Brunehaut gouverna le royaume. Frédégonde voulut aussi régner en Neustrie, comme sa rivale régnait en Ostrasie. Elle se débarrassa, dit-on, de Chilpéric par un assassinat (584), et fit couronner son fils Clotaire II, âgé de quatre mois, en lui ménageant la protection de son oncle Gontran, roi de Bourgogne, le seul des princes de cette époque qui ne se soit pas souillé de crimes.

16. traité d’andelot, 587. — Cette première période de guerres civiles se termina par le traité d’Andelot[2], conclu entre Gontran, Childebert II, Brunehaut et les leudes ou seigneurs Ostrasiens. Ce traité assurait au roi d’Ostrasie la succession de son oncle Gontran, qui mourut six ans après. Mais il fut surtout avantageux aux leudes ; il garantit à chacun d’eux, sa vie durant, la propriété des domaines qui lui avaient été donnés. C’était un premier pas vers l’hérédité des terres.

17. mort de brunehaut. — Une nouvelle guerre civile éclata à propos de la possession de l’Alsace, entre Thierry II et Théodebert, fils de Childebert II, qui avaient succédé à leur père, l’un en Bourgogne, l’autre en Ostrasie. La mort successive de ces deux princes survenue à un an d’intervalle (612 et 613) livra l’Ostrasie et la Bourgogne à Brunehaut, leur aïeule. Elle résolut d’y anéantir l’autorité des grands ; elle ne réussit qu’à les soulever contre elle. Clotaire, étant intervenu, se fit livrer la vieille reine, qu’il condamna à périr par un affreux supplice. Cette princesse ambitieuse, fille, femme et mère de rois, qui s’était aliéné le clergé par ses persécutions et les seigneurs ostrasiens par son despotisme, fut accusée de tousles crimes qui avaient été commis pendant cette sanglante période. On lui reprocha la mort de l’évêque de Vienne saint Didier, l’exil du missionnaire saint Colomban, le meurtre même de saint Prétextât, assassiné par ordre de Frédégonde. On lui reprocha d’avoir substitué la loi romaine aux lois germaniques, d’avoir livré l’administration à des hommes qui écrasaient le peuple d’impôts pour enrichir le trésor royal. En expiation de tous ces crimes, on l’attacha par les cheveux, par un bras et par une jambe à la queue d’un cheval indompté, qui mit son corps en lambeaux. La cruauté de ce supplice a presque effacé les fautes de la reine d’Ostrasie. Le souvenir des grandes choses qu’elle a faites lui a survécu, et son nom est resté populaire dans le nord-est de la France et en Belgique : on voit encore des chaussées et des tours de Brunehaut ; il y a un château de Brunehaut près de Bourges.

18. clotaire ii seul roi, 613-622. — Clotaire II se trouva alors, comme son aïeul, maître de toute la monarchie et gouverna seul pendant neuf ans. Mais en 622, l’Ostrasie exigea un roi particulier, et Clotaire y envoya son fils aîné Dagobert, âgé de 18 ans, avec Pépin de Landen.

19. Constitution perpétuelle.— Pour affermir la paix, Clotaire II réunit à Paris en 614 une assemblée de seigneurs et d’évêques, qui décréta la Constitution perpétuelle. Entre autres dispositions importantes, cet acte célèbre abolissait tous les impôts établis par les fils de Clotaire I, restituait aux églises et aux seigneurs les biens dont ils avaient été dépouillés, assurait l’élection des évêques par le peuple, attribuait aux évêques le droit de juger les membres du clergé ainsi que la connaissance d’une foule de crimes publics et privés, qui étaient jugés précédemment par les officiers royaux, et défendait aux juges de condamner un accusé, quel qu’il fût, sans l’entendre.

20. dagobert et caribert. — À la mort de Clotaire II (628), Dagobert abandonna l’Ostrasie et vint fixer sa résidence en Neustrie. Pour la première fois, la monarchie ne fut point partagée entre les deux fils du feu roi. Mais l’Aquitaine se souleva et prit pour roi son frère Caribert, qui la gouverna trois ans. Après lui, elle conserva son indépendance comme duché relevant de la couronne et non plus comme royaume à part. L’Ostrasie à son tour, voyant que Dagobert s’entourait de ministres d’origine romaine, voulut un roi particulier. Dagobert la donna à son fils aîné Sigebert, âgé de trois ans, qui fut couronné à Metz (633), et au nom duquel gouvernèrent Pépin de Landen et saint Arnulf, évêque de Metz, tige des Carlovingiens.

21. saint éloi et saint ouen. — Si le règne de Dagobert eut quelque éclat, tout l’honneur doit en être rapporté à ses ministres, l’orfèvre Eligius ou saint Eloi, évêque de Noyon, qui administra les finances avec une grande habileté, et le référendaire Audoënus ou saint Ouen. C’est à leur influence qu’il faut attribuer ces fondations pieuses et cette magnificence de la cour, qui répandirent la renommée de Dagobert dans tout l’Occident, et firent comparer le roi des Francs à Salomon ; c’est par leur conseil que ce prince s’occupa de réviser et de publier la loi salique. Ils lui ménagèrent la soumission de Judicaël, duc des Bretons, qui vint offrir ses hommages à Dagobert dans son palais de Clichy-la-Garenne, près de Paris.

22. guerre contre les vénèdes. — Dagobert ne fut pas aussi heureux avec le Franc Samon, que les Véncdes, peuple germain, avaient mis à leur tête. Ce marchand parvenu interceptait le commerce et pillait les caravanes des Francs qui traversaient la Germanie pour aller trafiquer en Orient. Il résista aux attaques combinées des Francs et de leurs alliès les Allemands et les Lombards.

23. richesse et corruption. — Vers la fin de sa vie, Dagobert laissa la corruption envahir son palais ; d’énormes richesses y affluèrent, amenées par le commerce avec les nations de l’Orient. Saint Eloi fit, dit on, pour le roi un trône d’or massif. Dagobert crut en vain pouvoir se faire pardonner ses vices par de nombreuses donations aux églises. On lui doit la célèbre basilique de Saint-Denis, qui est devenue le lieu de sépulture des rois de France. Il mourut en 638.


Synchronisme. — Justinien et Bélisaire. Grandeur passagère de l’empire romain d’Orient, 527-565. — Les lombards en Italie, 568. — Mahomet, 570-632. — L’hégire ou ère musulmane, 622.

  1. Le mot Ostrasie signifie royaume oriental ; Neustrie, royaume occidental.
  2. Petite ville au N.-E. de Chaumont (Haute-Marne).