Dezobry & Magdeleine (p. 19-24).

HISTOIRE

DE FRANCE

ABRÉGÉE.


PREMIÈRE PÉRIODE.
Les Mérovingiens, 481-752.




CHAPITRE I.


La monarchie fondé.

Clovis, 481-511.

1. clovis premier roi. — Trente-cinq ans s’étaient à peine écoulés depuis la mémorable bataille de Châlons-sur-Marne, qui avait sauvé la Gaule et peut-être l’Occident du joug des Huns, lorsque Clovis, fils et successeur de Childéric, anéantit la domination romaine dans ce pays par la victoire de Soissons. Clovis est donc le véritable fondateur de la dynastie mérovingienne, à laquelle son aïeul a donné son nom ; il est réellement le premier roi de la monarchie des Francs. C’est à son règne qu’il convient de commencer notre histoire.

2. état de la gaule à l’avénement de clovis. — Lors de l’avénement de Clovis, le territoire de la Gaule était partagé entre les Romains, maîtres du pays depuis cinq cents ans, les anciennes populations de l’Armorique, les Francs qui dataient du iiie siècle, les Bourguignons et les Visigoths, peuples d’origine germanique comme les Francs, à peine arrivés depuis 60 ans environ. La Gaule romaine comprenait le centre du pays entre la Somme et la Loire. Le long des côtes de l’Océan, entre les embouchures de la Loire et de la Seine, dans cette contrée qu’on appelait Armorique, et qui depuis fit partie de la Bretagne, était la confédération des cités Armoricaines, qui avaient conservé leur indépendance. Les Visigoths occupaient Toulouse et tout le sud-ouest ; les Bourguignons, Lyon et le bassin du Rhône, dans l’est et le sud-est. Les diverses tribus des Francs, soumises à des chefs particuliers, s’étaient fixées à Cambrai, à Tournai, à Térouanne, à Cologne et au Mans, formant ainsi cinq petits royaumes : le plus important de ces royaumes était celui des Francs Saliens, établis à Tournai ; il obéissait à Clovis.

3. bataille de soissons, 486. — vase de reims. — C’est à la tête de la tribu des Saliens, et avec le secours de quelques-unes des tribus voisines, que Clovis envahit la Gaule romaine. Syagrius y régnait alors sous l’autorité nominale de l’empereur d’Orient ; battu près de Soissons, il se réfugia chez les Visigoths, qui le livrèrent au vainqueur. Soissons et la plupart des villes de la domination romaine passèrent sous la loi des Francs. Pendant cette première campagne, un grand nombre d’églises furent pillées par l’armée de Clovis : ce prince était encore païen. Après la bataille, les Francs, suivant leur coutume, se partagèrent le butin par la voie du sort. Parmi les dépouilles, se trouvait un vase précieux qui avait été enlevé à l’église de Reims. L’évèque de cette ville, Remi, canonisé depuis par l’Eglise, étant venu le réclamer, Clovis se disposait à le lui rendre, lorsqu’un soldat le brisa d’un coup de sa francisque, espèce de hache à deux tranchants : « Tu n’auras rien ici, dit-il au roi, que ce que le sort t’aura donné. » Clovis contint sa colère ; mais l’année suivante, passant une revue de ses troupes, il s’approcha de ce même soldat, et lui dit : « Pas un de mes guerriers n’a des armes en aussi mauvais état que les tiennes ; » et il lui arracha sa francisque qu’il jeta par terre. Comme le soldat se baissait pour la ramasser, le roi lui abattit la tête, en disant : « C’est ainsi que tu as frappé le vase à Soissons. » Un si cruel châtiment, tout à fait digne d’une époque barbare, était bien fait pour inspirer une terreur salutaire à ces farouches guerriers, et comprimer cet esprit d’indépendance dont ils avaient joui en Germanie avant la conquête ; il leur apprit à entourer désormais de leur respect et l’autorité de leur roi et le clergé qu’il prenait si hautement sous sa protection.

4. mariage de clovis, 493. — Quelques années après, Clovis épousa Clolilde, princesse catholique, nièce du roi des Bourguignons Gondebaud. Ce mariage lui concilia l’affection des populations catholiques et les sympathies du clergé ; il prépara la conquête de la Bourgogne. Clotilde pressa son époux d’abandonner le culte des idoles, et elle réussit bientôt à le convertir.

5. bataille de tolbiac ; baptême de clovis, 496. — Les Allemands[1] ayant envahi le territoire des Francs Ripuaires[2], Clovis marcha contre eux. Les deux armées se rencontrèrent près de Tolbiac[3]. Déjà les Francs commençaient à plier, lorsque Clovis, levant les yeux au ciel, s’écria : « Ô Jesus-Christ, toi que Clotilde appelle le fils du Dieu vivant, si tu me donnes la victoire, je croirai en toi et me ferai baptiser en ton nom ! » Cette prière achevée, il revint à la charge, et ses soldats, animés par son exemple, mirent les ennemis en déroule. Clovis, vainqueur, fut fidèle à sa promesse ; il se fit instruire par l’évêque saint Remi, et le 25 décembre 496, il reçut le baptême dans la cathédrale de Reims, avec plus de trois milie guerriers : « Sicambre[4], lui dit le saint prélat, courbe docilement la tête ; adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré. » Sa conversion fut suivie de la soumission volontaire des cités Armoricaines et de celle des Bretons, qui avaient été chassés de la Grande-Bretagne par les Anglo-Saxons et étaient venus chercher un refuge dans l’Armorique. L’influence de la pieuse reine Clotilde sur son époux servait donc mieux ses intérêts que la force des armes et les calculs de la politique, et l’acte de foi du chef Salien tournait au profit de son autorité, en lui assurant une position exceptionnelle entre tous les rois barbares, qui étaient alors païens ou hérétiques[5]. Le pape lui adressa de Rome des lettres de félicitation, et l’évêque de Vienne Avitus, sujet du roi de Bourgogne, lui écrivit : « Quand vous gagnez une bataille, c’est la religion qui triomphe. » En faisant ainsi le premier profession d’orthodoxie, Clovis fut en effet comme le fils aîné de l’Église, et ce titre est devenu, avec celui de roi très-chrétien l’une des prérogatives de la couronne de France.

6. guerres contre la bourgogne et contre les visigoths. — Les deux guerres que Clovis entreprit après sa conversion témoignent de l’influence qu’exerça dès lors la religion sur l’esprit du roi des Francs, et du soin qu’il prit de se concilier la faveur et l’appui du clergé. Elles ont toutes deux un caractère religieux : l’expédition de Bourgogne dans ses résultats seulement, la guerre contre les Visigoths dans ses causes, ses événements et ses conséquences. Le roi de Bourgogne Gondebaud, trahi par son frère, fut vaincu et réduit à payer tribut ; il promit d’abjurer l’arianisme et conserva ses États. Le roi des Visigoths, Alaric II, fut moins heureux. Les évêques du midi, persécutés par lui, implorèrent la protection de Clovis. Le chef des Francs réunit un jour ses guerriers : « Il m’est importun, dit-il, de voir ces hérétiques occuper la meilleure partie des Gaules. Marchons contre eux, et Dieu aidant, nous soumettrons leur terre. » Sur la route, Clovis ne laissa pas piller les églises et les domaines des évèques ; il fit mettre à mort, près de Tours, un soldat qui avait commis un vol sur les terres du glorieux apôtre de la Touraine : « Où est l’espoir du succès, disait-il, si nous offensons saint Martin ? » Lorsqu’il arriva avec son armée sur les bords de la Vienne, il ne savait comment passer cette rivière, que des pluies considérables avaient grossie. Il pria, et le lendemain matin, dit Grégoire de Tours, une biche d’une taille extraordinaire lui indiqua un gué.

7. bataille de vouillé, 507. — La bataille eut lieu dans les plaines de Vouillé, petit village près de Poitiers ; Alaric II y périt, et son armée fut mise en déroute. Clovis s’empara de Bordeaux et de Toulouse, pendant que son fils aîné allait soumettre l’Auvergne. Toutes les possessions des Visigoths en Gaule passèrent sous la loi des Francs, moins la partie S. O. de l’ancienne Province entre la Méditerranée, le Rhône, l’Ardèche, les Cévennes et les Pyrénées, qu’on appelait alors Septimanie.

8. relations avec l’empire d’orient. — La guerre durait encore, lorsque l’empereur d’Orient Anastase, qui voulait se ménager l’appui du roi des Francs contre les Ostrogoths maîtres de l’Italie, lui envoya les insignes de la dignité consulaire. Clovis les revêtit solennellement dans la basilique de Saint-Martin à Tours, et parut ensuite dans les rues de la ville. Cette cérémonie légitima son pouvoir aux yeux des Gallo-Romains, qui conservaient un reste de fidélité à l’Empire.

9. réunon des diverses tribus franques. mort de clovis. — À son retour de l’Aquitaine, Clovis alla résider à Paris et y fixa le siège de son royaume (508). Puis il s’occupa d’étendre son pouvoir et de compléter l’établissement de la monarchie par la réunion des diverses tribus franques sous ses lois. Cette seconde période de son règne fut marquée par des actes odieux de barbarie ; il se défit par des assassinats des rois de Cologne, de Térouanne, de Cambrai et du Mans, s’empara de leurs États, et se trouva ainsi seul maître de la Gaule, moins la Bourgogne et la Septimanie. Mais, sa puissance fut surtout affermie par l’appui que lui prèta le clergé en retour des privilèges importants dont Clovis dota l’Église. Le fondateur de la monarchie franque mourut à Paris le 27 novembre 511, à l’âge de quarante-cinq ans.


Synchronisme. — Fin de l’empire romain d’Occident, 476. — Les Ostrogoths et Théodoric le Grand en Italie, 493-526. — Les Anglo-Saxons dans la Grande-Bretagne, 448-584.


  1. Les Allemands ou Alemans étaient une confédération de plusieurs tribus germaniques, cantonnées sur la droite du Rhin, dans le S.-O. du grand-duché de Bade actuel.
  2. Ripuaires signifie riverins. On donnait ce nom aux Francs de Cologne, parce qu’ils étaient établis sur la rive du Rhin.
  3. Aujourd’hui Zulpich, près de Cologne.
  4. Les Sicambres étaient une tribu de la confédération des Francs.
  5. On appelle hérétique celui qui suit ou qui défend une erreur contraire au dogme de l’Église. L’arianisme ou hérésie d’Arius, qui niait la divinité de J.-C., était l’hérésie la plus répandue alors.