Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Tome 2 - Appendice


Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de France, édition 1893p. 509-581).

APPENDICE



1 — page 4En latitude, les zones de la France se marquent par leurs produits…

Arthur Young, Voyage agronomique, t. II de la traduction, p. 189 : « La France peut se diviser en trois parties principales, dont la première comprend les vignobles ; la seconde, le maïs ; la troisième, les oliviers. Ces plants forment les trois districts : 1o du Nord, où il n’y a pas de vignobles ; 2o du Centre, où il n’y a pas de maïs ; 3o du Midi, où l’on trouve les vignes, les oliviers et le maïs. La ligne de démarcation entre les pays vignobles et ceux où l’on ne cultive pas la vigne, est, comme je l’ai moi-même observé, à Coucy, à trois lieues du nord de Soissons ; à Clermont dans le Beauvoisis, à Beaumont dans le Maine, et à Herbignai près Guérande, en Bretagne. » — Cette limitation, peut-être trop rigoureuse, est pourtant généralement exacte.

Le tableau suivant des importations dont le règne végétal s’est enrichi en France, donne une haute idée de la variété infinie de sol et de climat qui caractérise notre patrie :

« Le verger de Charlemagne, à Paris, passait pour unique, parce qu’on y voyait des pommiers, des poiriers, des noisetiers, des sorbiers et des châtaigniers. La pomme de terre, qui nourrit aujourd’hui une si grande partie de la population, ne nous est venue du Pérou qu’à la fin du seizième siècle. Saint Louis nous a apporté la renoncule inodore des plaines de la Syrie. Des ambassadeurs employèrent leur autorité à procurer à la France la renoncule des jardins. C’est à la croisade du trouvère Thibault, comte de Champagne et de Brie, que Provins doit ses jardins de roses. Constantinople nous a fourni le marronnier d’Inde au commencement du dix-septième siècle. Nous avons longtemps envié à la Turquie la tulipe, dont nous possédons maintenant neuf cents espèces plus belles que celles des autres pays. L’orme était à peine connu en France avant François Ier, et l’artichaut avant le seizième siècle. Le mûrier n’a été planté dans nos climats qu’au milieu du quatorzième siècle. Fontainebleau est redevable de ses chasselas délicieux à l’île de Chypre. Nous sommes allés chercher le saule pleureur aux environs de Babylone ; l’acacia dans la Virginie ; le frêne noir et le thuya, au Canada ; la belle-de-nuit, au Mexique ; l’héliotrope, aux Cordillères ; le réséda en Égypte ; le millet altier, en Guinée ; le ricin et le micocoulier, en Afrique ; la grenadille et le topinambour, au Brésil ; la gourde et l’agave, en Amérique ; le tabac, au Mexique ; l’amomon, à Madère ; l’angélique, aux montagnes de la Laponie ; l’hémérocalle jaune, en Sibérie ; la balsamine, dans l’Inde ; la tubéreuse, dans l’île de Ceylan ; l’épine-vinette et le chou-fleur, dans l’Orient ; le raifort, à la Chine ; la rhubarbe, en Tartarie ; le blé sarrasin, en Grèce ; le lin de la Nouvelle-Zélande, dans les terres australes. » Depping (Description de la France, t. I, p. 51). — V. aussi de Candolle, sur la Statistique végétale de la France, et A. de Humboldt, Géographie botanique.


2 — page 7Le génie de la Bretagne, etc…

Il a percé bien loin sur une ligne droite, sans regarder à droite ni à gauche ; et la première conséquence de cet idéalisme qui semblait donner tout à l’homme, fut, comme on le sait, l’anéantissement de l’homme dans la vision de Malebranche et le panthéisme de Spinoza.


3 — page 8Saint-Malo et Nantes, etc…

Ce sont deux faits que je constate. Mais que ne faudrait-il pas ajouter si l’on voulait rendre justice à ces deux villes, et leur payer tout ce que leur doit la France ?

Nantes a encore une originalité qu’il faut signaler : la perpétuité des familles commerçantes, les fortunes lentes et honorables, l’économie et l’esprit de famille ; quelque âpreté dans les affaires, parce qu’on veut faire honneur à ses engagements. Les jeunes gens s’y observent, et les mœurs y valent mieux que dans aucune ville maritime.


4 — page 11, note 3Dans les Hébrides et autres îles, etc…

V. Tolland’s Letters, p. 2-3 et Martin’s Hebrides, etc. Naguère encore, le paysan qui voulait se marier demandait femme au lord de Barra, qui régnait dans ces îles depuis trente-cinq générations. Solin, c. xxii, assure déjà que le roi des Hébrides n’a point de femmes à lui, mais qu’il use de toutes.


5 — page 14 et noteSuperstitions bretonnes

D’autres se découvrent quand l’étoile de Vénus se lève (Cambry, I, 193). — Le respect des lacs et des fontaines s’est aussi conservé : ils y apportent à certain jour du beurre et du pain. (Cambry, III, 35. Voy. aussi Depping, I, 76.) — Jusqu’en 1788, à Lesneven, on chantait solennellement, le premier jour de l’an : Guy-na-né. (Cambry, II, 26.) — Dans l’Anjou, les enfants demandaient leurs étrennes, en criant : Ma guillanneu (Bodin, Recherches sur Saumur). — Dans le département de la Haute-Vienne en criant : Gui-gne-leu. — Il y a peu d’années que dans les Orcades la fiancée allait au temple de la Lune, et y invoquait Woden (? Logan, II, 360.) — La fête du Soleil se célébrerait encore dans un village du Dauphiné, selon M. Champollion-Figeac (Sur les Dialectes du Dauphiné, p. 11). — Aux environs de Saumur, on allait, à la Trinité, voir paraître trois soleils. — A la Saint-Jean, on allait voir danser le soleil levant. (Bodin, loco citato.) — Les Angevins appelaient le soleil Seigneur, et la lune Dame. (Idem, Recherches sur l’Anjou, I, 86.)


6 — page 16Un mot profond a été dit sur la Vendée, etc…

Témoignage de M. le capitaine Galleran, à la cour d’assises de Nantes, octobre 1832.


7 — page 18Le dolmen de Saumur

C’est une espèce de grotte artificielle de quarante pieds de long sur dix de large et huit de haut, le tout formé de onze pierres énormes. Ce dolmen, placé dans la vallée, semble répondre à un autre qu’on aperçoit sur une colline. J’ai souvent remarqué cette disposition dans les monuments druidiques, par exemple, à Carnac.


8 — page 21L’abbaye de Fontevrault

En 1821, il restait de l’abbaye trois cloîtres, soutenus de colonnes et de pilastres, cinq grandes églises, et plusieurs statues, entre autres celle de Henri II. Le tombeau de son fils, Richard Cœur-de-Lion, avait disparu.


9 — page 22Le Poitou, le pays du mélange, des mulets

Les mules du Poitou sont recherchées par l’Auvergne, la Provence, le Languedoc, l’Espagne même. — La naissance d’une mule est plus fêtée que celle d’un fils. — Vers Mirebeau, un âne étalon vaut jusqu’à 3,000 francs. (Dupin, Statistique des Deux-Sèvres.)

Des vipères

Les pharmaciens en achetaient beaucoup dans le Poitou. — Poitiers envoyait autrefois ses vipères jusqu’à Venise. (Stat. de la Vendée, par l’ingénieur La Bretonnière.)


10 — page 25Vers La Rochelle, une petite Hollande, etc…

Le marais méridional est tout entier l’ouvrage de l’art. La difficulté à vaincre, c’était moins le flux de la mer que les débordements de la Sèvre. — Les digues sont souvent menacées. — Les cabaniers (habitants de fermes appelées cabanes) marchent avec des bâtons de douze pieds pour sauter les fossés et les canaux. — Le Marais mouillé, au delà des digues, est sous l’eau tout l’hiver. (La Bretonnière.) — Noirmoutiers est à douze pieds au-dessous du niveau de la mer, et on trouve des digues artificielles sur une longueur de onze mille toises. — Les Hollandais desséchèrent le marais du Petit-Poitou, par un canal appelé Ceinture des Hollandais. (Statistique de Peuchet et Chanlaire. Voyez aussi la Description de la Vendée, par M. Cavoteau, 1812.)


11 — page 26Le pape protégea La Rochelle contre les seigneurs

Raymond Perraud, né à La Rochelle, évêque et cardinal, homme actif et hardi, obtint en 1502, pour les Rochellois, des bulles qui défendent à tout juge forain de les citer à son tribunal.


12 — page 27La Vendée qui a quatorze rivières, et pas une navigable

Voy. Statist. du départ. de la Vienne, par le préfet Cochon, an X. — Dès 1537, on proposa de rendre la Vienne navigable jusqu’à Limoges ; depuis, de la joindre à la Corrèze qui se jette dans la Dordogne ; elle eût joint Bordeaux et Paris par la Loire ; mais la Vienne a trop de rochers. — On pourrait rendre le Clain navigable jusqu’à Poitiers, de manière à continuer la navigation de la Vienne. Châtellerault s’y est opposé par jalousie contre Poitiers. — Si la Charente devenait navigable jusqu’au-dessus de Civray, cette navigation, unie au Clain par un canal, ferait communiquer en temps de guerre Rochefort, la Loire et Paris. — Voy. aussi Texier, Haute-Vienne ; et La Bretonnière, Vendée.

N’était ni plus religieuse ni plus royaliste que bien d’autres provinces frontières

J’ai déjà cité le mot remarquable de M. le capitaine Galleran. — Genoude, Voyage en Vendée, 1821 : « Les paysans disent : Sous le règne de M. Henri (de Larochejaquelein). » — Ils appelaient patauds ceux des leurs qui étaient républicains. Pour dire le bon français, ils disaient le parler noblat. — Les prêtres avaient peu de propriétés dans la Vendée ; toutes les forêts nationales, dit La Bretonnière (p. 6), proviennent du comte d’Artois ou des émigrés ; une seule, de cent hectares, appartenait au clergé.


13 — page 29Dans les montagnes d’Auvergne

L’hiver, ils vivent dans l’étable, et se lèvent à huit ou neuf heures. (Legrand d’Aussy, p. 283.) Voy. divers détails de mœurs, dans les Mémoires de M. le comte de Montlosier, 1er vol. — Consulter aussi l’élégant tableau du Puy-de-Dôme par M. Duché ; les curieuses Recherches de M. Gonod sur les antiquités de l’Auvergne : Delarbre, etc.


14 — page 31Le Rouergue

C’est, je crois, le premier pays de France qui ait payé au roi (Louis VII) un droit pour qu’il y fît cesser les guerres privées. Voy. le Glossaire de Laurière, t. I, p. 164, au mot Commun de paix, et la Décrétale d’Alexandre III sur le premier canon du concile de Clermont, publié par Marca. — Sur le Rouergue, voyez Peuchet et Chanlaire, Statistique de l’Aveyron, et surtout l’estimable ouvrage de M. Monteil.


15 — page 34Dans les Landes les troupeaux de moutons noirs, etc.

Millin, t. IV, p. 347. — On trouve aussi beaucoup de moutons noirs dans le Roussillon (Voy. Young, t. II, p. 59) et en Bretagne. Cette couleur n’est pas rare dans les taureaux de la Camargue.

Vous les rencontrez montant des plaines, etc…

Arthur Young, t. III, p. 83. — En Provence, l’émigration des moutons est presque aussi grande qu’en Espagne. De la Crau aux montagnes de Gap et de Barcelonnette, il en passe un million, par troupeaux de dix mille à quarante mille. La route est de vingt à trente jours. (Darluc, Hist. nat. de Provence, 1782, p. 303, 329.) — Statistique de la Lozère, par M. Jerphanion, préfet de ce département, an X, p. 31 : « Les moutons quittent les basses Cévennes et les plaines du Languedoc vers la fin de floréal, et arrivent sur les montagnes de la Lozère et de la Margéride, où ils vivent pendant l’été. Ils regagnent le bas Languedoc au retour des frimas. » — Laboulinière, I, 245 : Les troupeaux des Pyrénées émigrent l’hiver jusque dans les landes de Bordeaux.

En Espagne, sous la protection de la compagnie de la Mesta, etc…

A year in Spain, by an American, 1832 : Au seizième siècle, les troupeaux de la Mesta se composaient d’environ sept millions de têtes. Tombés à deux millions et demi au commencement du dix-septième, ils remontèrent sur la fin à quatre millions, et maintenant ils s’élèvent à cinq millions, à peu près la moitié de ce que l’Espagne possède de bétail. — Les bergers sont plus redoutés que les voleurs même ; ils abusent sans réserve du droit de traduire tout citoyen devant le tribunal de l’association, dont les décisions ne manquent jamais de leur être favorables. La Mesta emploie des alcades, des entregadors, des achagueros, qui, au nom de la corporation, harcèlent et accablent les fermiers.


16 — page 36L’escalier colossal des Pyrénées, etc…

Dralet, I, 5, — Ramond : « Au midi tout s’abaisse tout d’un coup et à la fois. C’est un précipice de mille à onze cents mètres, dont le fond est le sommet des plus hautes montagnes de cette partie de l’Espagne. Elles dégénèrent bientôt en collines basses et arrondies, au delà desquelles s’ouvre l’immense perspective des plaines de l’Aragon. Au nord, les montagnes primitives s’enchaînent étroitement et forment une bande de plus de quatre myriamètres d’épaisseur… Cette bande se compose de sept ou huit rangs, de hauteur graduellement décroissante. » Cette description, contredite par M. Laboulinière, est confirmée par M. Élie de Beaumont. L’axe granitique des Pyrénées est du côté de la France.


17 — page 38Comparez les deux versants, etc…

Dralet, II, p. 197 : « Le territoire espagnol, sujet à une évaluation considérable, a peu de pâturages assez gras pour nourrir les bêtes à cornes ; et comme les ânes, les mules et mulets se contentent d’une pâture moins succulente que les autres animaux destinés aux travaux de l’agriculture, ils sont généralement employés par les Espagnols pour le labourage et le transport des denrées. Ce sont nos départements limitrophes et l’ancienne province de Poitou qui leur fournissent ces animaux ; et la quantité en est considérable. Quant aux animaux destinés aux boucheries, c’est nous qui en approvisionnons aussi les provinces septentrionales, particulièrement la Catalogne et la Biscaye. La ville seule de Barcelone traite avec des fournisseurs français pour lui fournir chaque jour cinq cents moutons, deux cents brebis, trente bœufs, cinquante boucs châtrés, et elle reçoit en outre plus de six mille cochons qui partent de nos départements méridionaux pendant l’automne de chaque année. Ces fournitures coûtent à la ville de Barcelone deux millions huit cent mille francs par an, et l’on peut évaluer à une pareille somme celles que nous faisons aux autres villes de la Catalogne. La Catalogne paie en piastres et quadruples, en huile et lièges, en bouchons. » Les choses ont dû, toutefois, changer beaucoup depuis l’époque où écrivait Dralet (1812).


18 — page 38Aux foires de Tarbes, etc…

Arthur Young, t. I, p. 57 et 116 : « Nous rencontrâmes des montagnards qui me rappelèrent ceux d’Écosse ; nous avions commencé par en voir à Montauban. Ils ont des bonnets ronds et plats, et de grandes culottes. » — « On trouve des flûteurs, des bonnets bleus, et de la farine d’avoine, dit sir James Stewart, en Catalogne, en Auvergne et en Souabe, ainsi qu’à Lochabar. » — Toutefois, indépendamment de la différence de race et de mœurs, il y en a une autre essentielle entre les montagnards d’Écosse et ceux des Pyrénées : c’est que ceux-ci sont plus riches, et sous quelques rapports plus policés que les diverses populations qui les entourent.

Le Béarnais et le Basque

Iharce de Bidassouet, Cantabres et Basques, 1825, in-8o : « Le peuple basque, qui a conservé avec ses pâturages le moyen d’amender ses champs, et avec ses chênes celui de nourrir une multitude infinie de cochons, vit dans l’abondance, tandis que dans la majeure partie des Pyrénées… » — Laboulinière, t. III, p. 416 :

Bearnes
Faus et courtes.
Bigordan
Pir que can.

« Le Béarnais est réputé avoir plus de finesse et de courtoisie que le Bigordan, qui l’emporterait pour la franchise et la simple droiture mêlée d’un peu de rudesse. » — Dralet, I, 170 : « Ces deux peuples ont d’ailleurs peu de ressemblance. Le Béarnais, forcé par les neiges de mener ses troupeaux dans les pays de plaine, y polit ses mœurs et perd de sa rudesse naturelle. Devenu fin, dissimulé et curieux, il conserve néanmoins sa fierté et son amour de l’indépendance… Le Béarnais est irascible et vindicatif autant que spirituel ; mais la crainte de la flétrissure et de la perte de ses biens le fait recourir aux moyens judiciaires pour satisfaire ses ressentiments. Il en est de même des autres peuples des Pyrénées, depuis le Béarn jusqu’à la Méditerranée : tous sont plus ou moins processifs, et l’on ne voit nulle part autant d’hommes de loi que dans les villes du Bigorre, du Comminges, du Conserans, du comté de Foix et du Roussillon, qui sont bâties le long de cette chaîne de montagnes. »


19 — page 41Quantité de hameaux ont quitté les hautes vallées faute de bois de chauffage

Dralet, II, 105. Les habitants allaient voler du bois jusqu’en Espagne. — Il y a de fortes amendes pour quiconque couperait une branche d’arbre dans une grande forêt qui domine Cauterets, et la défend des neiges. — Diodore de Sicile disait déjà (lib. II) : « Pyrénées vient du mot grec pur (feu), parce qu’autrefois, le feu ayant été mis par les bergers, toutes les forêts brûlèrent. » — Procès-verbal du 8 mai 1670 : « Il n’y a aucune forêt qui n’ait été incendiée à diverses reprises par la malice des habitants, ou pour faire convertir les bois en prés ou terrains labourables. »


20 — page 43, note 2Le Cers, etc…

Senec. Quæst. natur. l. III, c. xi : « Infestat… Galliam Circius : cui ædificia quassanti, tamen incolæ gratias agunt, tanquam salubrilatem cœli sui debeant ei. Divus certe Augustus templum illi, quum in Gallia moraretur, et vovit et fecit. »


21 — page 45Les deux Chénier

Les deux Chénier naquirent à Constantinople, où leur père était consul général ; mais leur famille était de Limoux, et leurs aïeux avaient occupé longtemps la place d’inspecteur des mines de Languedoc et de Roussillon.


22 — page 48Ils ont préféré les figues fiévreuses de Fréjus

Millin, II, 487. Sur l’insalubrité d’Arles, id., III, 645. — Papon, I, 20, proverbe : Avenio ventosa, sine vento venenosa, cum vento fastidiosa. — En 1213, les évêques de Narbonne, etc., écrivent à Innocent III qu’un concile provincial ayant été convoqué à Avignon, « multi ex prælatis, quia generalis corruptio aeris ibi erat, nequivimus colloquio interesse ; sicque factum est ut necessario negotium differetur. » (Epist. Innoc. III, éd. Baluze, II, 762.) Il y eut des lépreux à Martigues jusqu’en 1731 ; à Vitrolles, jusqu’en 1807. En général, les maladies cutanées sont communes en Provence. (Millin, IV, 35.)

Les marais pontins de la Provence

Il y a quatre cent mille arpents de marais. (Peuchet et Chanlaire, Statistique des Bouches-du-Rhône.) Voy. aussi la Grande statistique de M. de Villeneuve, 4 vol. in-4o. — Les marais d’Hyères rendent cette ville inhabitable l’été ; on respire la mort avec les parfums des fruits et des fleurs. De même à Fréjus. (Statistique du Var, par Fauchet, préfet, an IX, p. 52, sqq.)


23 — page 49Le Rhône symbole de la contrée

On trouve le long de tout le cours du Rhône des traces du culte sanguinaire de Mithra. On voit à Arles, à Tain et à Valence des autels tauroboliques ; un autre à Saint-Andéol. À la Bâtie-Mont-Saléon, ensevelie par la formation d’un lac, et déterrée en 1804, on a trouvé un groupe mithriaque. — À Fourvières, on a trouvé un autel mithriaque consacré à Adrien ; il y en a encore un autre à Lyon consacré à Septime-Sévère. (Millin, passim.)

Page 49 et note 1Le drac, la tarasque

Millin, III, 453. Cette fête se retrouve, je crois, en Espagne. — L’Isère est surnommée le serpent, comme le Drac le dragon ; tous deux menacent Grenoble :

Le serpent et le dragon
Mettront Grenoble en savon.

— À Metz, on promène le jour des Rogations un dragon qu’on nomme le graouilli ; les boulangers et les pâtissiers lui mettent sur la langue des petits pains et des gâteaux. C’est la figure d’un monstre dont la ville fut délivrée par son évêque, saint Clément. — À Rouen, c’est un mannequin d’osier, la gargouille, à qui on remplissait autrefois la gueule de petits cochons de lait. Saint Romain avait délivré la ville de ce monstre, qui se tenait dans la Seine, comme saint Marcel délivra Paris du monstre de la Bièvre, etc.


24 — page 51Fréjus

« Cette ville devient plus déserte chaque jour, et les communes voisines ont perdu, depuis un demi-siècle, neuf dixièmes de leur population. » (Fauchet, an IX, loc. cit.)


25 — page 52 et note 1Fidélité du peuple provençal aux vieux usages

Millin, III, 346. La fête patronale de chaque village s’appelle Romna-Vagi, et par corruption Romerage, parce qu’elle précédait souvent un voyage de Rome que le seigneur faisait ou faisait faire (?) — Millin, III, 336. C’est à Noël qu’on brûle le caligneau ou calandeau ; c’est une grosse bûche de chêne qu’on arrose de vin et d’huile. On criait autrefois en la plaçant : Calene ven, tout ben ven, calende vient, tout va bien. C’est le chef de la famille qui doit mettre le feu à la bûche ; la flamme s’appelle caco fuech, feu d’amis. On trouve le même usage en Dauphiné. (Champollion-Figeac, p. 124.) On appelle chalendes le jour de Noël. De ce mot on a fait chalendal, nom que l’on donne à une grosse bûche que l’on met au feu la veille de Noël au soir, et qui reste allumée jusqu’à ce qu’elle soit consumée. Dès qu’elle est placée dans le foyer, on répand dessus un verre de vin en faisant le signe de la croix, et c’est ce qu’on appelle : batisa la chalendal. Dès ce moment cette bûche est pour ainsi dire sacrée, et l’on ne peut pas s’asseoir dessus sans risquer d’en être puni, au moins par la gale. — Millin, III, 339. On trouve l’usage de manger des pois chiches à certaines fêtes, non seulement à Marseille, mais en Italie, en Espagne, à Gênes et à Montpellier. Le peuple de cette dernière ville croit que, lorsque Jésus-Christ entra dans Jérusalem, il traversa une sesierou, un champ de pois chiches, et que c’est en mémoire de ce jour que s’est perpétué l’usage de manger des sesès. — A certaines fêtes, les Athéniens mangeaient aussi des pois chiches (aux Panepsies.)


26 — page 52, note 2Procession du bon roi René à Aix, etc…

Millin, II, 299. On y voyait le duc d’Urbin (le malheureux général du roi René) et la duchesse d’Urbin montés sur des ânes ; on y voyait une âme que se disputaient deux diables ; les chevaux frux ou fringants, en carton ; le roi Hérode, la reine de Saba, le temple de Salomon, et l’étoile des Mages au bout d’un bâton, ainsi que la Mort, l’abbé de la jeunesse couvert de poudre et de rubans, etc., etc.


27 — page 56Ces hommes de la frontière, raisonneurs et intéressés

On trouve dans les habitudes de langage des Dauphinois des traces singulières de leur vieil esprit processif. « Les propriétaires qui jouissent de quelque aisance parlent le français d’une manière assez intelligible, mais ils y mêlent souvent les termes de l’ancienne pratique, que le barreau n’ose pas encore abandonner. Avant la Révolution, quand les enfants avaient passé un an ou deux chez un procureur, à mettre au net des exploits et des appointements, leur éducation était faite, et ils retournaient à la charrue. » (Champollion-Figeac, Patois du Dauphiné, p. 67.)


28 — page 60Metz, Toul et Verdun

Sur les mœurs des habitants des Trois-Évêchés et de la Lorraine en général, voyez le Mémoire manuscrit de M. Turgot, qui se trouve à la bibliothèque publique de Metz : Description exacte et fidèle du pays Messin, etc. — Les trois évêques étaient princes du Saint-Empire. — Le comté de Créange et la baronnie de Fenestrange étaient deux francs-alleus de l’Empire.


29 — page 61On portait l’épée devant l’abbesse de Remiremont

Piganiol de la Force, XIII. Elle était pour moitié dans la justice de la ville, et nommait, avec son chapitre, des députés aux états de Lorraine. — La doyenne et la sacristaine disposaient chacune de quatre cures. La sonzier, ou receveuse, partageait avec l’abbesse la justice de Valdajoz (val-de-joux), consistant en dix-neuf villages ; tous les essaims d’abeilles qui s’y trouvaient lui appartenaient de droit. L’abbaye avait un grand prévôt, un grand et un petit chancelier, un grand sonzier, etc.


30 — page 62Les légendes du Rhin

Un duc d’Alsace et de Lorraine, au septième siècle, souhaitait un fils ; il n’eut qu’une fille aveugle, et la fit exposer. Un fils lui vint plus tard, qui ramena la fille au vieux duc, devenu farouche et triste, solitairement retiré dans le château d’Hohenbourg. Il la repoussa d’abord, puis se laissa fléchir, et fonda pour elle un monastère, qui depuis s’appela de son nom, sainte Odile. On découvre de la hauteur Baden et l’Allemagne. De toutes parts les rois y venaient en pèlerinage : l’empereur Charles IV, Richard Cœur-de-Lion, un roi de Danemark, un roi de Chypre, un pape… Ce monastère reçut la femme de Charlemagne et celle de Charles-le-Gros. — A Winstein, au nord du Bas-Rhin, le diable garde dans un château taillé dans le roc de précieux trésors. — Entre Haguenau et Wissembourg, une flamme fantastique sort de la fontaine de la poix (Pechelbrunnen) ; cette flamme, c’est le chasseur, le fantôme d’un ancien seigneur qui expie sa tyrannie, etc. — Le génie musical et enfantin de l’Allemagne commence avec ses poétiques légendes. Les ménétriers d’Alsace tenaient régulièrement leurs assemblées. Le sire de Rapolstein s’intitulait le Roi des Violons. Les violons d’Alsace dépendaient d’un seigneur, et devaient se présenter, ceux de la Haute-Alsace à Rapolstein, ceux de la Basse à Bischwiller.


31 — page 70Les Segusii lyonnais étaient une colonie d’Autun

Gallia Christiana, t. IV. — Dans un diplôme de l’an 1189, Philippe-Auguste reconnaît que Lyon et Autun ont l’une sur l’autre, quand l’un des sièges vient à vaquer, le droit de régale et d’administration. — L’évêque d’Autun était de droit président des états de Bourgogne. — On se rappelle les liaisons qui existaient entre saint Léger, le fameux évêque d’Autun, et l’évêque de Lyon.


32 — page 70En vain Autun déposa sa divinité

Inscription trouvée à Autun :

DEAE BIBRACTI
P. CAPRIL PACATUS
I n n I VIR AUGUSTA.
V. S. L. M.
Millin, I, 337.

Et se fit de plus en plus romaine

Il semble que l’aristocratie se livra entièrement à Rome, tandis que le parti druidique et populaire chercha à ressaisir l’indépendance. « Le sage gouvernement d’Autun, dit Tacite, comprima la révolte des bandes fanatiques de Maricus, Boïe de la lie du peuple, qui se donnait pour un dieu et pour le libérateur des Gaules. » (Annal., l. II, c. lxi.) On a vu, au Ier vol., la révolte de Sacrovir. — Enfin les Bagaudes saccagèrent deux fois Autun. Alors furent fermées les écoles Mœniennes, que le Grec Eumène rouvrit sous le patronage de Constance Chlore. — François Ier visita Autun en 1521, et la nomma « sa Rome française ». Autun avait été appelée la sœur de Rome, selon Eumène, ap. Scr. fr. I, 712, 716, 717.

Toutes les grandes guerres des Gaules, etc…

Elle fut presque ruinée par Aurélien, au temps de sa victoire sur Tétricus, qui y faisait frapper ses médailles. — Saccagée par les Allemands en 280, par les Bagaudes sous Dioclétien, par Attila en 451, par les Sarrasins en 732, par les Normands en 886 et 895. En 924, on ne put en éloigner les Hongrois qu’à prix d’argent. (Histoire d’Autun, par Joseph de Rosny, 1802.)


33 — page 71En Bourgogne les villes mettent des pampres dans leurs armes

Un bas-relief de Dijon représente les triumvirs tenant chacun un gobelet. Ce trait est local. — La culture de la vigne, si ancienne dans ce pays, a singulièrement influé sur le caractère de son histoire, en multipliant la population dans les classes inférieures. Ce fut le principal théâtre de la guerre des Bagaudes. En 1630, les vignerons se révoltèrent sous la conduite d’un ancien soldat, qu’ils appelaient le roi Machas.

Pays de bons vivants, etc…

La Fête des Fous se célébra à Auxerre jusqu’en 1407. — Les chanoines jouaient à la balle (pelota), jusqu’en 1538, dans la nef de la cathédrale. Le dernier chanoine fournissait la balle, et la donnait au doyen ; la partie finie, venaient les danses et le banquet. (Millin, I.)


34 — page 72L’aimable sentimentalité de la Bourgogne, etc…

N’oublions pas non plus la pittoresque et mystique petite ville de Paray-le-Monial, où naquit la dévotion du Sacré-Cœur, où mourut madame de Chantal. Il y a certainement un souffle religieux sur le pays du traducteur de la Symbolique et de l’auteur de l’Histoire de la Liberté de conscience, MM. Guigniaut et Dargaud.


35 — page 74La coutume de Troyes déclare que « le ventre anoblit »

Cette noblesse de mère se trouve ailleurs aussi en France, et même sous la première race (Voy. Beaumanoir). Charles V (15 novembre 1370) assujettit les nobles de mère au droit de franc fief. A la deuxième rédaction de la Coutume de Chaumont, les nobles de pères réclament contre ; Louis XII ordonne que la chose reste en suspens. — La Coutume de Troyes consacrait l’égalité de partage entre les enfants ; de là l’affaiblissement de la noblesse. Par exemple, Jean, sire de Dampierre, vicomte de Troyes, décéda, laissant plusieurs enfants qui partagèrent entre eux la vicomté. Par l’effet des partages successifs, Eustache de Conflans en posséda un tiers, qu’il céda à un chapitre de moines. Le second tiers fut divisé en quatre parts, et chaque part en douze lots, lesquels se sont divisés entre diverses maisons et les domaines de la ville et du roi.


36 — page 76Les histoires allégoriques et satiriques de Renard et Isengrin

L’esprit railleur du nord de la France éclate dans les fêtes populaires.

En Champagne et ailleurs, roi de l’aumône (bourgeois élu pour délivrer deux prisonniers, etc.) ; roi de l’éteuf (ou de la balle) (Dupin, Deux-Sèvres) ; roi des arbalétriers avec ses chevaliers (Cambry, Oise, II) ; roi des guétifs ou pauvres, encore en 1770 (almanach d’Artois, 1770) ; roi des rosiers ou des jardiniers, aujourd’hui encore en Normandie, Champagne, Bourgogne, etc. — A Paris, fêtes des sous-diacres ou diacres soûls, qui faisaient un évêque des fous, l’encensaient avec du cuir brûlé ; on chantait des chansons obscènes ; on mangeait sur l’autel. — A Évreux, le 1er mai, le jour de Saint-Vital, c’était la fête des cornards ; on se couronnait de feuillages, les prêtres mettaient leur surplis à l’envers, et se jetaient les uns aux autres du son dans les yeux ; les sonneurs lançaient des casse-museau (galettes). — A Beauvais, on promenait une fille et un enfant sur un âne… à la messe, le refrain chanté en chœur était hihan ! — A Reims, les chanoines marchaient sur deux files, traînant chacun un hareng, chacun marchant sur le hareng de l’autre… — A Bouchain, fête du prévôt des étourdis ; à Chalon-sur-Saône, des gaillardons ; à Paris, des enfants sans-souci, du régiment de la calotte, et de la confrérie de l’aloyau. — A Dijon, procession de la mère folle. — A Harfleur, au mardi gras, fête de la scie. (Dans les armes du président Cossé-Brissac, il y avait une scie.) Les magistrats baisent les dents de la scie. Deux masques portent le bâton friseux (montants de la scie). Puis on porte le bâton friseux à un époux qui bat sa femme. — Dès le temps de la conquête de Guillaume existait l’association de la chevalerie d’Honfleur.


37 — page 81Plus on avance au nord dans cette grasse Flandre, etc…

Voy. les Coutumes du comté de Flandre, traduites par Legrand, Cambrai, 1719, 1er vol. Coutume de Gand, p. 149, rub. 26 : Niemandt en sal bastaerdi wesen van de mœder : Personne ne sera bâtard de la mère ; mais ils succéderont à la mère avec les autres légitimes (non au père). Ceci montre bien que ce n’est pas le motif religieux ou moral qui les exclut de la succession du père, mais le doute de la paternité. Dans cette Coutume, il y a communauté, partage égal dans les successions, etc.

La Flandre est une Lombardie prosaïque

Vous y retrouvez la prédilection pour le cygne, qui, selon Virgile, était l’ornement du Mincius et des autres fleuves de Lombardie. Dès l’entrée de l’ancienne Belgique, Amiens, la petite Venise, comme l’appelait Louis XIV, nourrissait sur la Somme les cygnes du roi. En Flandre, une foule d’auberges ont pour enseigne le cygne.


38 — page 84 et note 1Cette frontière des races et des langues

La Marche, ou marquisat d’Anvers, créée par Othon II, fut donnée par Henri IV au plus vaillant homme de l’Empire, à Godefroi de Bouillon. — C’est au Sas de Gand qu’Othon fit creuser, en 980, un fossé qui séparait l’Empire de la France. A Louvain, dit un voyageur, la langue est germanique, les mœurs hollandaises et la cuisine française. — Avec l’idiome germanique commencent les noms astronomiques (Al-ost, Ost-ende) ; en France, comme chez toutes les nations celtiques, les noms sont empruntés à la terre (Lille, l’île).

Les hommes poussent vite, multiplient à étouffer

Avant l’émigration des tisserands, en Angleterre, vers 1382, il y avait à Louvain cinquante mille tisserands. (Forster, I, 364.) A Ypres (sans doute en y comprenant la banlieue), il y en avait deux cent mille en 1342. — En 1380, « ceux de Gand sortirent avec trois armées. (Oudegherst, Chronique de Flandre, folio 301.) — Ce pays humide est dans plusieurs parties aussi insalubre que fertile. Pour dire un homme blême, on disait : « Il ressemble à la mort d’Ypres. » — Au reste, la Belgique a moins souffert des inconvénients naturels de son territoire que des révolutions politiques. Bruges a été tuée par la révolte de 1492 ; Gand, par celle de 1540 ; Anvers, par le traité de 1648, qui fit la grandeur d’Amsterdam en fermant l’Escaut.


39 — page 90 — … dans les chefs-lieux des clans galliques, Bourges, etc…

Bourges était aussi un grand centre ecclésiastique. L’archevêque de Bourges était patriarche, primat des Aquitaines, et métropolitain. Il étendait sa juridiction comme patriarche sur les archevêques de Narbonne et de Toulouse, comme primat sur ceux de Bordeaux et d’Auch (métropolitain de la 2me et 3me Aquitaine) ; comme métropolitain, il avait anciennement onze suffragants, les évêques de Clermont, Saint-Flour, le Puy, Tulle, Limoges, Mende, Rodez, Vabres, Castres, Cahors. Mais l’érection de l’évêché d’Albi en archevêché ne lui laissa sous sa juridiction que les cinq premiers de ces sièges.


40 — page 91La tour des Coucy

La tour de Coucy a cent soixante-douze pieds de haut, et trois cent cinq de circonférence. Les murs ont jusqu’à trente-deux pieds d’épaisseur. Mazarin fit sauter la muraille extérieure en 1652, et, le 18 septembre 1692, un tremblement de terre fendit la tour du haut en bas. — Un ancien roman donne à l’un des ancêtres des Coucy neuf pieds de hauteur. Enguerrand VII, qui combattit à Nicopolis, fit placer aux Célestins de Soissons son portrait et celui de sa première femme, de grandeur colossale. — Parmi les Coucy, citons seulement : Thomas de Marie, auteur de la Loi de Vervins (législation favorable aux vassaux), mort en 1130 ; Raoul Ier, le trouvère, l’amant, vrai ou prétendu, de Gabriel de Vergy, mort à la croisade en 1191 ; Enguerrand VII, qui refusa l’épée de connétable et la fit donner à Clisson, mort en 1397. — On a prétendu à tort qu’Enguerrand III, en 1228, voulut s’emparer du trône pendant la minorité de saint Louis. (Art de vérifier les dates, XII, 219, sqq.)


41 — page 92 et note 3L’Artois

Arras est la patrie de l’abbé Prévost. Le Boulonnais a donné en un même homme un grand poète et un grand critique, je parle de Sainte-Beuve.


42 — page 103Le monde devait finir avec l’an 1000…

Concil. Troslej., ann. 909 (Mansi, XVIII, p. 266) : « Dum jamjamque adventus imminet illius in majestate terribili, ubi omnes cum gregibus suis venient pastores in conspectum pastoris æterni, etc. » — Trithemii Chronic., ann. 960 : « Diem jamjam imminere dicebat (Bernhardus, eremita Thuringiæ) extremum, et mundum in brevi consummandum. » — Abbas Floriacensis, ann. 990 (Gallandius, XIV, 141) : « De fine mundi coram populo sermonem in ecclesia Parisiorum audivi, quod statim finito mille annorum numero Antechristus adveniret, et non longo post tempore universale judicium succederet. » — Will. Godelli chronic., ap. Scr. fr. X, 262 : « Ann. Domini MX, in multis locis per orbem tali rumore audito, timor et mœror corda plurimorum occupavit, et suspicati sunt multi finem sæculi adesse. » — Rad. Glaber, l. IV, ibid. 49 : « Æstimabatur enim ordo temporum et elementorum præterita ab initio moderans secula in chaos decidisse perpetuum, atque humani generis interitum. »


43 — page 104Le diable lui disait : « Tu es damné ! »

Raoul Glaber, l. V, c. i : « Astitit mihi ex parte pedum lectuli forma homunculi teterrimæ speciei. Erat enim statura mediocris, collo gracili, facie macilenta, oculis nigerrimis, fronte rugosa et contracta, depressis naribus, os exporrectum, labellis tumentibus, mento subtracto ac perangusto, barba caprina, aures hirtas et præacutas, capillis stantibus et incompositis, dentibus caninis, occipitio acuto, pectore tumido, dorso gibbato, clunibus agitantibus, vestibus sordidis, conatu æstuans, ac toto corpore præceps ; arripiensque summitatem strati in quo cubabam, totum terribiliter concussit lectum… »


44 — page 105Calamités qui précèdent l’an 1000

Translatio S. Genulfi, ap. Scr. fr. X, 361. — Chronic. Ademari Cabannens, ibid. 147.

Page 106Plusieurs tirant de la craie du fond de la terre, etc…

Chronic Virdunense, ap. Scr. fr. X, 209. On sait que les sauvages de l’Amérique du Sud et les nègres de Guinée mangent habituellement de la glaise ou de l’argile pendant une partie de l’année. On la vend frite sur les marchés de Java. — Alex. de Humboldt, Tableaux de la Nature, trad. par Eyriès (1808), I, 200.


45 — page 107La paix ou la trêve de Dieu

Glaber, l. V, c. i : « On vit bientôt aussi les peuples d’Aquitaine et toutes les provinces des Gaules, à leur exemple, cédant à la crainte ou à l’amour du Seigneur, adopter successivement une mesure qui leur était inspirée par la grâce divine. On ordonna que, depuis le mercredi soir jusqu’au matin du lundi suivant, personne n’eût la témérité de rien enlever par la violence, ou de satisfaire quelque vengeance particulière, ou même d’exiger caution ; que celui qui oserait violer ce décret public payerait cet attentat de sa vie, ou serait banni de son pays et de la société des chrétiens. Tout le monde convint aussi de donner à cette loi le nom de treugue (trêve) de Dieu. »


46 — page 113Capet

Quelques-uns ont cru que le mot de Capet était une injure, et venait de Capito, grosse tête. On sait que la grosseur de la tête est souvent un signe d’imbécillité. Une chronique appelle Capet Charles-le-Simple (Karolus Stultus vel Capet. Chron. saint Florent., ap. Scr. fr. IX, 55). — Mais il est évident que Capet : est pris pour Chapet, ou Cappatus. — Plusieurs chroniques françaises, écrites longtemps après, ont traduit Hue Chapet ou Chappet. (Scr. fr. X, 293, 303, 313.) — Chronic. S. Medard. Suess., ibid. IX, 56 : Hugo, cognominatus Chapet. Voy. aussi Richard de Poitiers, ibid. 24, et Chronic. Andegav, X, 272, etc. Alberic. Tr.-Font. IX, 286 : Hugo Cappatus, et plus loin : Cappet. — Guill. Nang. IX, 82 : Hugo Capucii. — Chron. Sith., VII, 269. — Chron. Strozz. X, 273 : Hugo Caputius. — Cette dernière chronique ajoute que le fils d’Hugues, le pieux Robert, chantait les vêpres revêtu d’une chape. — L’ancien étendard des rois de France était la chape de saint Martin ; c’est de là, dit le moine de Saint-Gall, qu’ils avaient donné à leur oratoire le nom de Chapelle : « Capella, quo nomine Francorum reges propter cappam S. Martini quam secum ob sui tuitionem et hostium oppressionem jugiter ad bella portabant, Sancta sua appellare solebant. » (L. I, c. iv.)


47 — page 114La lettre où Gerbert appelle tous les princes au nom de la cité sainte…

Gerberti epist. 107, ap. Scr. fr. X, 426 : « Ea quæ est Hierosolymis, universali Ecclesiæ sceptris regnorum imperanti : « Cum bene vigeas, immaculata sponsa Domini, cujus membrum esse me fateor, spes mihi maxima per te caput attollendi jam pene attritum. An quicquam diffiderem de te, rerum domina, si me recognoscis tuam ? Quisquamne tuorum famosam cladem illatam mihi putare debebit ad se minime pertinere, utque rerum infima abhorrere ? Et quamvis nunc dejecta, tamen habuit me orbis terrarum optimam sui partem : penes me Prophetarum oracula, Patriarcharum insignia ; hinc clara mundi lumina prodierunt Apostoli ; hinc Christi fidem repetit orbis terrarum, apud me redemptorem suum invenit. Etenim quamvis ubique sit divinitate, tamen hic humanitate natus, passus, sepultus, hinc ad cœlos elatus. Sed cum Propheta dixerit : « Erit sepulchrum ejus gloriosum », paganis loca cuncta subvertentibus, tentat Diabolus reddere inglorium. Enitere ergo, miles Christi, esto signifer et compugnator, et quod armis nequis, consilii et opum auxilio subveni. Quid est quod das, aut cui das ? Nempe ex multo modicum, et ei qui omne quod habes gratis dedit, nec tamen gratis recipit ; et hic eum multiplicat et in futuro remunerat ; per me benedicit tibi, ut largiendo crescas ; et peccata relaxat, ut secum regnando vivas. » — « Les Pisans partirent sur cette lettre, et massacrèrent, dit-on, un nombre prodigieux d’infidèles en Afrique. » (Scr. fr. X, 426.)

Ce Gerbert n’était pas moins qu’un magicien…

Guill. Malmsbur., l. II, ap. Scr. fr. X, 243 : « Non absurdum, si litteris mandemus quæ per omnium ora volitant… Divinationibus et incantationibus more gentis familiari studentes ad Saracenos Gerbertus perveniens, desiderio satisfecit… Ibi quid cantus et volatus avium portendit, didicit ; ibi excire tenues ex inferno figuras… Per incantationes Diabolo accersito, perpetuum paciscitur hominium. » — Fr. Andreæ chronic., ibid. 289 : « A quibusdam etiam nigromancia arguitur… a Diabolo enim percussus dicitur obiisse. » — Chronic. reg. Francorum, ibid., 301… « Gerbertum monachum philosophum, quin potius nigromanticum. »


48 — page 117Les traditions romanesques du moyen âge, etc…

Dans le panégyrique allemand d’Hannon, archevêque de Cologne, César, exécutant les ordres du Sénat, envahit la Germanie, bat les Souabes, les Bavarois, les Saxons, anciens soldats d’Alexandre. Il rencontre enfin les Francs, descendus comme lui des Troyens, les gagne, les ramène en Italie, chasse de Rome Caton et Pompée, et fonde la monarchie barbare. (Schilter, t. I.)


49 — page 118Une reine qui a un pied d’oie…

P. Damiani epist., t. II, ap. Sec. fr. X, 492 : « Ex qua suscepit filium, anserinum per omnia collum et caput habentem. Quos etiam, virum scilicet et uxorem, omnes fere Galliarum episcopi communi simul excommunicavere sententia. Cujus sacerdotalis edicti tantus omnem undique populum terror invasit, ut ab ejus universi societate recederent, etc. » — Voy. la Dissertation de Bullet sur la reine Pédauque (pied-d’oie).


50 — page 120Constance, fille du comte de Toulouse, etc…

Fragment historique, ap. Scr. fr. X, 211. — Will. Godellus, ibid. 262. « Cognomento, ob suæ pulchritudinis immensitatem, Candidam. » (Rad. Glaber, l. III, c. ii.) — Guillaume Taille-Fer l’avait eue d’Arsinde, fille de Geoffroi Grise-Gonelle, comte d’Anjou, et sœur de Foulques.

Hugues de Beauvais fut tué impunément sous les yeux du roi Robert…

Rad. Glaber, l. III, c. ii : « Missi a Fulcone… Hugonem ante regem trucidaverunt. Ipse vero rex, licet aliquanto tempore tali facto tristis effectus, postea tamen, ut decebat, concors reginæ fuit. »


51 — page 131Ces prêtres imposent des pénitences avec la masse d’armes, etc…

Voy. un chant suisse inséré dans le Des Knaben Wunderhorn. — V. aussi Actes du concile de Vernon, en 845, article 8. (Baluze, II, 17.) — Dithmar. chron., l. II, 34 : « Un évêque de Ratisbonne accompagna les princes de Bavière dans une guerre contre les Hongrois. Il y perdit une oreille et fut laissé parmi les morts. Un Hongrois voulut l’achever, « Tune ipse confortatus in Domino post longum mutui agonis luctamen victor hostem prostravit ; et inter multas itineris asperitates incolumis notos pervenit ad fines. Inde gaudium gregi suo exoritur, et omni Christum cognoscenti. Excipitur ab omnibus miles bonus in clero, et servatur optimus pastor in populo, et fuit ejusdem mutilatio non ad dedecus sed ad honorem magis. » — Gieseler, Kirchengeschichte, t. II, p. 197.


52 — page 132Il ne manquait à ces vaillants prêtres, etc…

Nicol. a Clemangis, de præsul., simon., p. 165 : « Denique laïci usque adeo persuasum habent nullos cælibes esse, ut in plerisque parochiis non aliter velint presbyterum tolerare, nisi concubinam habeat, quo vel sic suis sit consultum uxoribus, quæ nec sic quidem usquequaque sunt extra periculum. » — Voy. aussi Muratori, VI, 335. On avait déclaré que les enfants nés d’un prêtre et d’une femme libre seraient serfs de l’Église ; ils ne pouvaient être admis dans le clergé, ni hériter selon la loi civile, ni être entendus comme témoins. (Schroeckh, Kirchengeschichte, p. 22, ap. Voigt, Hildebrand, als Papst Gregorius der siebente, und sein Zeitalter, 1815.)

Rex immortalis ! quam longo tempore talis
Mundit risus erunt, quos presbyteri genuerunt ?

Carmen pro nothis, ap. Scr. fr. XI, 444.

Page 132 et note 2Les prêtres mariés au moyen âge

D. Lobineau, 110. D. Morice, Preuves, I, 463, 542. — Il en était de même en Normandie, d’après les biographes des bienheureux Bernard de Tiron et Harduin, abbé du Bec. « Per totam Normanniam hoc erat ut presbyteri publice uxores ducerent, filios ac filias procrearent, quibus hereditatis jure ecclesias relinquerent et filias suas nuptui traductas, si alia deesset possessio, ecclesiam dabant in dotem. »


53 — page 133Les cloîtres se peuplaient de fils de serfs

Le clergé de Laon reprocha un jour à son évêque d’avoir dit au roi : « Clericos non esse reverendos, quia pene omnes ex regia forent servitute progeniti. » (Guibertus Novigentinus, de Vita sua, l. III, c. viii.) — Voy. plus haut comment l’Église se recrutait sous Charlemagne et Louis-le-Débonnaire. L’archevêque de Reims, Ebbon, était fils d’un serf. — Voy. un passage de Thégan, App. 162, au 1er volume.


54 — page 137L’adultère et la simonie du roi de France

Gregor. VII epist. ad episc : « Francorum Rex vester qui non rex, sed tyrannus dicendus est, omnem ætatem suam flagitiis et facinoribus polluit… Quod si vos audire noluerit, per universam Franciam omne divinum officium publice celebrari interdicite. » — Bruno, de Bello Sax., p. 121, ibid. : « Quod si in his sacris canonibus noluisset rex obediens existere… se eum velut putre membrum anathematis gladio ab unitate S. Matris Ecclesiæ minabatur abscindere. »


55 — page 137Sur la terre il y a le pape, et l’empereur qui est le reflet du pape, etc…

Gregorii VII epist. ad reg. Angl., ibid. 6 : « Sicut ad mundi pulchritudinem oculis carneis diversis temporibus repræsentandam, Solem et Lunam omnibus aliis eminentiora disposuit (Deus) luminaria, sic… » — V. aussi Innoc. III, l. I, epist. 401. — Bonifacii VIII epist., ibid. 197 : « Fecit Deus duo luminaria magna, scilicet Solem, id est, ecclesiasticam potestatem, et Lunam, hoc est, temporalem et imperialem. Et sicut Luna nullum lumen habet nisi quod recipit a Sole, sic… » — La glose des Décrétales fait le calcul suivant : « Cum terra sit septies major luna, sol autem octies major terra, restat ergo ut pontificatus dignitas quadragies septies sit major regali dignitate. » — Laurentius va plus loin : « … Papam esse millies septingenties quater imperatore et regibus sublimiorem. » (Gieseler, II.)


56 — page 141Les Normands parlaient français dès la troisième génération, etc…

Guill. Gemetic, l. III, c. viii : « Quem (Richard I) confestim pater Baiocas mittens… ut ibi lingua eruditus danica suis exterisque hominibus sciret aperte dare responsa. » — Voy. Depping, Hist. des expéditions normandes, t. II ; Estrup, Remarques faites dans un voyage en Normandie, Copenhague, 1821 ; et Antiquités des Anglo-Normands. — On trouve aux environs de Bayeux Saon et Saonet. Plusieurs familles portent le nom de Saisne, Sesne. Un capitulaire de Charles-le-Chauve (Scr. fr. VII, 616) désigne le canton de Bayeux par le mot d’Otlingua Saxonia. — Le nom de Caen est saxon aussi : Cathim, maison du conseil. (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXXI, p. 242.) — Beaucoup de Normands m’ont assuré que dans leur province on ne rencontrait guère le blond prononcé et le roux que dans le pays de Bayeux et de Vire.

Page 142Les Allemands se moquaient de leur petite taille

Guill. Apulus, l. II, ap. Muratori, V, 259.

Corpora derident Normannica, quæ breviora
Esse videbantur.

Dans leur guerre contre les Grecs et les Vénitiens, se montrent peu marins

Gibbon, XI, 151.

Rasés comme les prêtres

Guill. Malmsbur., ap. Scr. fr. XI, 183.

Il leur fallait aller gaaignant par l’Europe

Gaufred. Malaterra, l. I, c. iii : « Est gens astutissima, injuriarum ultrix ; spe alias plus lucrandi, patrios agros vilipendens, quæstus et dominationis avida, cujuslibet rei simulatrix : inter largitatem et avaritiam quoddam modium habens. » — Guill. Malmsb., ap. Scr. fr. XI, 185 : « Cum fato ponderare perfidiam, cum nummo mutare sententiam. » — Guill. Apulus, l. II, ap. Muratori, 259.

Audit… quia gens semper Normannica prona
Est id avaritiam ; plus, qui plus præbet, amatur.

— « Ceux qui ne pouvaient faire fortune dans leur pays, ou qui venaient à encourir la disgrâce de leur duc, partaient aussitôt pour l’Italie. » (Guill. Gemetic, l. VII, xix, xxx.) — Guill. Apul., l. I, p. 259.


57 — page 144Les fils de Tancrède de Hauteville

Chronic. Malleac, ap. Scr. fr. XI, 644 : « Wiscardus… cum generis esset ignoti et pauperculi. » — Richard. Cluniac. : « Robertus Wiscardi, vir pauper, miles tamen.  » — Alberic. ap. Leibnitzii Access. histor., p. 124 : « Mediocri parentela. »

Ils s’en allèrent sans argent, etc…

Gaufred. Malaterra, l. I, c. v : « Per diversa loca militariter lucrum quærentes. »

Le gouverneur (ou Kata pan)

Κατἁ πᾶν, commandant général. C’est ce que Guillaume de Pouille exprime par ce vers :

Quod Catapan Græci, nos juxta dicimus omne.

L. I, p. 254.

Cette république de condottieri, etc…

Chacun des douze comtes y avait à part son quartier et sa maison :

Pro numero comitum bis sex statuere plateas,
Atque domus comitum totidem fabricantur in urbe.

Id., ibid., p. 256.

58 — page 147Guillaume-le-Bâtard (il s’intitule ainsi lui-même).

« Ego Guillelmus, cognomento Bastardus… » Voy. une charte citée au douzième volume du Recueil des Historiens de France, p. 568. — Ce nom de Bâtard n’était sans doute pas une injure en Normandie. On lit dans Raoul Glaber, l. IV, c. vi (ap. Scr. fr., X, 51) : « Robertus ex concubinâ Willelmum genuerat… cui… universos sui ducaminis principes militaribus adstrinxit sacramentis… Fuit enim usui a primo adventu ipsius gentis in Gallias, ex hujusmodi concubinarum commixtione illorum principes extitisse. »

Page 147C’était un gros homme chauve, etc…

Will. Malmsb., l. III, ap. Scr. fr. XI, 190 : « Justæ fuit staturæ, immensæ corpulentiæ : facie fera, fronte capillis nuda, roboris ingentis in lacertis, magnæ dignitatis sedens et stans, quanquam obesitas ventris nimium protensa. »


59 — page 148, note 1En 1003, Ethelred avait envoyé une expédition contre les Normands

« Quand ses hommes revinrent, il leur demanda s’ils amenaient le duc de Normandie : « Nous n’avons point vu le duc, répondirent-ils, mais nous avons combattu pour notre perte, avec la terrible population d’un seul comté. Nous n’y avons pas seulement trouvé de vaillants gens de guerre, mais des femmes belliqueuses, qui cassent la tête avec leurs cruches aux plus robustes ennemis. » A ce récit, le roi, reconnaissant sa folie, rougit, plein de douleur. » (Will. Gemetic, l. V, c. iv, ap. Scr. fr. X, 186.) En 1034, le roi Canut, par crainte de Robert de Normandie, aurait offert de rendre aux fils d’Ethelred moitié de l’Angleterre. (Id., l. V, c. xii ; ibid., XI, 37.)


60 — page 149L’Église saxonne, comme le peuple, semble avoir été grossière et barbare

« Les Anglo-Saxons, dit Guillaume de Malmesbury, avaient, longtemps avant l’arrivée des Normands, abandonné les études des lettres et de la religion. Les clercs se contentaient d’une instruction tumultuaire ; à peine balbutiaient-ils les paroles des sacrements, et ils s’émerveillaient tous si l’un d’eux savait la grammaire. Ils buvaient tous ensemble, et c’était là l’étude à laquelle ils consacraient les jours et les nuits. Ils mangeaient leurs revenus à table, dans de petites et misérables maisons. Bien différents des Français et des Normands, qui, dans leurs vastes et superbes édifices, ne font que très peu de dépense. De là tous les vices qui accompagnent l’ivrognerie, qui efféminent le cœur des hommes. Aussi, après avoir combattu Guillaume avec plus de témérité et d’aveugle fureur que de science militaire, vaincus sans peine en une seule bataille, ils tombèrent eux et leur patrie dans un dur esclavage. — Les habits des Anglais leur descendaient alors jusqu’au milieu du genou ; ils portaient des cheveux courts, et la barbe rasée ; leurs bras étaient chargés de bracelets d’or, leur peau était relevée par des peintures et des stigmates colorés ; leur gloutonnerie allait jusqu’à la crapule, leur passion pour la boisson jusqu’à l’abrutissement. Ils communiquèrent ces deux derniers vices à leurs vainqueurs ; et, à d’autres égards, ce furent eux qui adoptèrent les mœurs des Normands. De leur côté, les Normands étaient et sont encore (au milieu du douzième siècle, époque où écrivait Guillaume de Malmesbury) soigneux dans leurs habits jusqu’à la recherche, délicats dans leur nourriture, mais sans excès, accoutumés à la vie militaire et ne pouvant vivre sans guerre ; ardents à l’attaque, ils savent, lorsque la force ne suffit pas, employer également la ruse et la corruption. Chez eux, comme je l’ai dit, ils font de grands édifices et une dépense modérée pour la table. Ils sont envieux de leurs égaux ; ils voudraient dépasser leurs supérieurs, et, tout en dépouillant leurs inférieurs, ils les protègent contre les étrangers. Fidèles à leurs seigneurs, la moindre offense les rend pourtant infidèles. Ils savent peser la perfidie avec la fortune, et vendre leur serment. Au reste, de tous les peuples ils sont les plus susceptibles de bienveillance ; ils rendent aux étrangers autant d’honneur qu’à leurs compatriotes, et ils ne dédaignent point de contracter des mariages avec leurs sujets. » (Willelm. Malmesburiensis, de Gestis regum Anglorum, l. III, ap. Scr. fr. XI, 185.) — Math. Paris (éd. 1644), p. 4 : « Optimates (Saxonum)… more christiano ecclesiam mane non petebant, sed in cubiculis et inter uxorios amplexus matutinarum solemnia ac missarum a presbytero festinantes auribus tantum prælibabant… Clerici… ut esset stupori qui grammaticam didicisset. » — Order. Vital, l. IV, ap. Scr. fr. XI, 242 : « Anglos agrestes et pene illiteratos invenerunt Normanni. »


61 — page 150Harold livré à Guillaume

Guill. Pictav., ap. Scr. fr. XI, 87 : « Heraldus ei fidelitatem sancto ritu Christianorum juravit… Se in curia Edwardi, quamdiu superesset, ducis Guillelmi vicarium fore, enisurum…, ut anglica monarchia post Edwardi decessum in ejus manu confirmaretur ; traditurum interim… castrum Doveram. » (Voy. aussi Guill. Malmsb., ibid. 176, etc.). — Suivant les uns, dit Wace (Roman de Rou, ap. Scr. fr. XIII, 223), le roi Édouard détourna Harold de ce voyage, lui disant que Guillaume le haïssait et lui jouerait quelque tour. (Voy. aussi Eadmer, XI, 192.) Suivant les autres, il l’envoya pour confirmer au duc la promesse du trône d’Angleterre :

N’en sai mie voire ocoison,
Mais l’un et l’autre escrit trovons.

Guillaume de Jumièges (ap. Scr. fr. XI, 49), Ingulf de Croyland (ibid., 154), Orderic Vital (ibid., 234), la Chronique de Normandie (XIII, 222), affirment qu’Édouard avait désigné Guillaume pour son successeur. Eadmer même ne le nie point (XI, 192). — Au lit de mort, Edward, obsédé par les amis d’Harold, rétracta sa promesse. (Roger de Hoved., ap. Scr. fr. XI, 312, Roman de Rou et Chronique de Normandie, t. XIII, p. 224.)


62 — page 156Le conquérant essaya même d’apprendre l’anglais

Order. Vital, ap. Scr. fr. XI, 243. « Anglicam locutionem plerumque sategit ediscere… Ast a perceptione hujusmodi durior ætas illum compescebat. » — Il avait commencé par réprimer par des règlements sévères la licence de ses mercenaires. Guill. Pictav., ibid., 101 : « Tutæ erant a vi mulieres ; etiam illa delicta quæ fierent consensu impudicarum… vetabantur. Potare militem in tabernis non multum concessit… seditiones interdixit, cædem et omnem rapinam, etc. Portus et quælibet itinera negotiatoribus patere, et nullam injuriam fieri jussit. » Ce passage du panégyriste de Guillaume a été copié par le consciencieux Orderic Vital, ibid., 238. — « L’homme faible et sans armes, dit encore Guillaume de Poitiers, s’en allait chantant sur son cheval, partout où il lui plaisait, sans trembler à la vue des escadrons des chevaliers. » — « Une fille chargée d’or, dit Huntingdon, eût impunément traversé tout le royaume. » — (Scr. fr. XI, 211.) Plus tard, la résistance des Anglo-Saxons irrita Guillaume, et le poussa à ces violences dont retentissent toutes les Chroniques.


63 — page 168La chair maudite par l’islamisme

« Chez les musulmans les mots « femmes » et « objet défendu par la religion » peuvent se dire l’un pour l’autre. (Bibl. des Croisades, t. IV, p. 169.)

Ils se battent depuis mille ans pour Fatema

Fatema entrera dans le Paradis la première après Mahomet ; les musulmans l’appellent la Dame du Paradis. — Quelques Schyytes (sectateurs d’Ali) soutiennent qu’en devenant mère Fatema n’en est pas moins restée vierge, et que Dieu s’est incarné dans ses enfants. (Description des Monuments musulmans du cabinet de M. de Blacas, par M. Reinaud, II, 130, 202.)

Ils proclament l’incarnation d’Ali

Aujourd’hui encore des provinces entières, en Perse et en Syrie, sont dans la même croyance. « Ceux mêmes des Schyytes qui n’ont pas osé dire qu’Ali était Dieu ont été persuadés que peu s’en fallait, et les Persans disent souvent : « Je ne pense pas qu’Ali soit Dieu ; mais je ne crois pas qu’il en soit loin. » — Les Schyytes disent à ce sujet que tel était l’éclat qui reluisait sur la personne d’Ali, qu’il était impossible de soutenir ses regards. Dès qu’il paraissait, le peuple lui criait : Tu es Dieu ! — A ces mots, Ali les faisait mourir ; ensuite il les ressuscitait, et eux de crier encore plus fort : Tu es Dieu, tu es Dieu ! De là ils l’ont surnommé le Dispensateur des lumières ; et, quand ils peignent sa figure, ils lui couvrent le visage. » (Reinaud, II, 163.)

Mahomet est la lumière incarnée

Suivant quelques docteurs, au moment de la création, l’idée de Mahomet était sous l’œil de Dieu, et cette idée, substance à la fois spirituelle et lumineuse, jeta trois rayons : du premier, Dieu créa le ciel ; du second, la terre ; du troisième, Adam et toute sa race. Ainsi la Trinité rentre dans l’islamisme, comme l’incarnation. — Les Occidentaux crurent y voir aussi la hiérarchie chrétienne. « Ces nations, dit Guibert de Nogent, ont leur pape comme nous. » (L. V, ap. Bongars, p. 312-13.)


64 — page 169Les Fatémites fondèrent au Caire la loge ou maison de la sagesse

Hammer, Histoire des Assassins, p. 4. — La maison de la sagesse n’est peut-être qu’une même chose avec ce palais du Caire dont Guillaume de Tyr nous a laissé une si pompeuse description. La progression de richesses et de grandeur semblerait correspondre à des degrés d’initiation. Quoi qu’il en soit, nous donnons la traduction de ce précieux monument :

« Hugues de Césarée et Geoffroi, de la milice du Temple, entrèrent dans la ville du Caire, conduits par le soudan, pour s’acquitter de leur mission ; ils montèrent au palais, appelé Casher dans la langue du pays, avec une troupe nombreuse d’appariteurs qui marchaient en avant, l’épée à la main et à grand bruit ; on les conduisit à travers des passages étroits et privés de jour, et à chaque porte des cohortes d’Éthiopiens armés rendaient leurs hommages au soudan par des saluts répétés. Après avoir franchi le premier et le second poste, introduits dans un local plus vaste, où pénétrait le soleil, et exposé au grand jour, ils trouvent des galeries en colonnes de marbre, lambrissées d’or et enrichies de sculptures en relief, pavées en mosaïque, et dignes dans toute leur étendue de la magnificence royale ; la richesse de la matière et des ouvrages retenait involontairement les yeux, et le regard avide, charmé par la nouveauté de ce spectacle, avait peine à s’en rassasier. Il y avait aussi des bassins remplis d’une eau limpide ; on entendait les gazouillements variés d’une multitude d’oiseaux inconnus à notre monde, de forme et de couleur étranges, et pour chacun d’eux une nourriture diverse et selon le goût de son espèce. Admis plus loin encore, sous la conduite du chef des eunuques, ils trouvent des édifices aussi supérieurs aux premiers en élégance que ceux-ci l’emportaient sur la plus vulgaire maison. Là était une étonnante variété de quadrupèdes, telle qu’en imagine le caprice des peintres, telle qu’en peuvent décrire les mensonges poétiques, telle qu’on en voit en rêve, telle enfin qu’on en trouve dans les pays de l’Orient et du Midi, tandis que l’Occident n’a rien vu et presque jamais rien ouï de pareil. — Après beaucoup de détours et de corridors qui auraient pu arrêter les regards de l’homme le plus occupé, on arriva au palais même, où des corps plus nombreux d’hommes armés et de satellites proclamaient par leur nombre et leur costume la magnificence incomparable de leur maître ; l’aspect des lieux annonçait aussi son opulence et ses richesses prodigieuses. Lorsqu’ils furent entrés dans l’intérieur du palais, le soudan, pour honorer son maître selon la coutume, se prosterna deux fois devant lui, et lui rendit en suppliant un culte qui ne semblait dû qu’à lui, une espèce d’adoration. Tout à coup s’écartèrent avec une merveilleuse rapidité les rideaux, tissus de perles et d’or, qui pendaient au milieu de la salle et voilaient ainsi le trône ; la face du calife fut alors révélée : il apparut sur un trône d’or, vêtu plus magnifiquement que les rois, entouré d’un petit nombre de domestiques et d’eunuques familiers. » Willelm. (Tyrens., l. XIX, c. xvii.)

Ils menaient par neuf degrés de la religion au mysticisme

Ce mysticisme des Alides leur a souvent fait appliquer à la dévotion le langage de l’amour, comme il leur a donné une tendance à s’élever de l’amour du réel à celui de l’idéal.

Un poète persan dit en s’adressant à Dieu :

« C’est votre beauté, ô Seigneur ! qui, toute cachée qu’elle est derrière un voile, a fait un nombre infini d’amants et d’amantes ;

« C’est par l’attrait de vos parfums que Leyla ravit le cœur de Medjnoun ; c’est par le désir de vous posséder que Vamek poussa tant de soupirs pour celle qu’il adorait. » (Reinaud, I, 52.)

Du mysticisme à l’absolue indifférence

Le principe de la doctrine ésotérique était : Rien n’est vrai et tout est permis. (Hammer, p. 87.) Un imam célèbre écrivit contre les Hassanites un livre intitulé : De la Folie des partisans de l’indifférence en matière de religion.


65 — page 178Pierre-l’Ermite

Guibert. Nov., l. II, c. viii : « Le petit peuple, dénué de ressources, mais fort nombreux, s’attacha à un certain Pierre-l’Ermite, et lui obéit comme à son maître, du moins tant que les choses se passèrent dans notre pays. J’ai découvert que cet homme, originaire, si je ne me trompe, de la ville d’Amiens, avait mené d’abord une vie solitaire sous l’habit de moine, dans je ne sais quelle partie de la Gaule supérieure. Il partit de là, j’ignore par quelle inspiration ; mais nous le vîmes alors parcourant les villes et les bourgs, et prêchant partout : le peuple l’entourait en foule, l’accablait de présents, et célébrait sa sainteté par de si grands éloges, que je ne me souviens pas que l’on ait jamais rendu à personne de pareils honneurs. Il se montrait fort généreux dans la distribution de toutes les choses qui lui étaient données. Il ramenait à leurs maris les femmes prostituées, non sans y ajouter lui-même des dons, et rétablissait la paix et la bonne intelligence entre ceux qui étaient désunis, avec une merveilleuse autorité. En tout ce qu’il faisait ou disait, il semblait qu’il y eût en lui quelque chose de divin ; en sorte qu’on allait jusqu’à arracher les poils de son mulet, pour les garder comme reliques : ce que je rapporte ici, non comme louable, mais pour le vulgaire qui aime toutes les choses extraordinaires. Il ne portait qu’une tunique de laine, et, par-dessus, un manteau de bure qui lui descendait jusqu’aux talons : il avait les bras et les pieds nus, ne mangeait point ou presque point de pain, et se nourrissait de vin et de poissons. »


66 — page 180Tous ensemble descendirent la vallée du Danube

Les environs du Rhin prirent peu de part à la croisade. — Orientales Francos, Saxones, Thoringos, Bavarios, Alemannos, propter schisma quod tempore inter regnum et sacerdotium fuit, hæc expeditio minus permovit. (Alberic, ap. Leibnit. Acces., p. 119.) — Voyez Guibert, l. II, c. i.


67 — page 181Le comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles

Willelm. Tyr., l. VIII, c. vi, 9, 10. — Guibert. Novig., l. VII, c. viii : Au siège de Jérusalem « il fit crier dans toute l’armée, par les hérauts, que quiconque apporterait trois pierres pour combler le fossé recevrait un denier de lui. Or il fallut, pour achever cet ouvrage, trois jours et trois nuits. » — Radulph. Cadom., c. xv, ap. Muratori, V, 291 : « Il fut tout d’abord un des principaux chefs, et plus tard, lorsque l’argent des autres s’en fut allé, le sien arriva et lui donna le pas. C’est qu’en effet toute cette nation est économe et non point prodigue, ménageant plus son avoir que sa réputation ; effrayée de l’exemple des autres, elle travaillait non comme les Francs à se ruiner, mais à s’engraisser de son mieux. » — Raymond reçut aussi force présents d’Alexis (… quibus de die in diem de domo regis augebatur. Albert. Aq., l. II, c. xxiv, ap. Bongars, p. 205). Godefroi en reçut également, mais il distribua tout au peuple et aux autres chefs. (Willelm. Tyr., l. II, c. xii.)

Ces gens du Midi, commerçants, industrieux, etc…

Guibert. Nov., l. II, c. xviii : « L’armée de Raymond ne le cédait à aucune autre, si ce n’est à cause de l’éternelle loquacité de ces Provençaux. » — Radulph. Cadom., c. lxi : « Autant la poule diffère du canard, autant les Provençaux différaient des Francs par les mœurs, le caractère, le costume, la nourriture ; gens économes, inquiets et avides, âpres au travail ; mais pour ne rien taire, peu belliqueux… Leur prévoyance leur fut bien plus en aide pendant la famine que tout le courage du monde à bien des peuples plus guerriers ; pour eux, faute de pain, ils se contentaient de racines, ne faisant pas fi des cosses de légumes ; ils portaient à la main un long fer avec lequel ils cherchaient leur vie dans les entrailles de la terre : de là ce dicton que chantent encore les enfants : « Les Francs à la bataille, les Provençaux à la victuaille. » Il y avait une chose qu’ils commettaient souvent par avidité, et à leur grande honte ; ils vendaient aux autres nations du chien pour du lièvre, de l’âne pour de la chèvre ; et, s’ils pouvaient s’approcher sans témoin de quelque cheval ou de quelque mulet bien gras, ils lui faisaient pénétrer dans les entrailles une blessure mortelle, et la bête mourait. Grande surprise de tous ceux qui, ignorant cet artifice, avaient vu naguère l’animal gras, vif, robuste et fringant : nulle trace de blessure, aucun signe de mort. Les spectateurs, effrayés de ce prodige, se disaient : Allons-nous-en, l’esprit du démon a soufflé sur cette bête. Là-dessus, les auteurs du meurtre approchaient sans faire semblant de rien savoir, et comme on les prévenait de n’y pas toucher : Nous aimons mieux, disaient-ils, mourir de cette viande que de faim. Ainsi celui qui supportait la perte s’apitoyait sur l’assassin, tandis que l’assassin se moquait de lui. Alors s’abattant tous comme des corbeaux sur ce cadavre, chacun arrachait son morceau, et l’envoyait dans son ventre ou au marché. »


68 — page 182Bohémond

Guibert, l. III, c. i : « Lorsque cette innombrable armée, composée des peuples venus de presque toutes les contrées de l’Occident, eut débarqué dans la Pouille, Bohémond, fils de Robert Guiscard, ne tarda pas à en être informé. Il assiégeait alors Amalfi. Il demanda le motif de ce pèlerinage, et apprit qu’ils allaient enlever Jérusalem, ou plutôt le sépulcre du Seigneur et les lieux saints, à la domination des Gentils. On ne lui cacha pas non plus combien d’hommes, et de noble race et de haut parage, abandonnant, pour ainsi dire, l’éclat de leurs honneurs, se portaient à cette entreprise avec une ardeur inouïe. Il demanda s’ils transportaient des armes, des provisions, quelles enseignes ils avaient adoptées pour ce nouveau pèlerinage ; enfin quels étaient leurs cris de guerre. On lui répondit qu’ils portaient leurs armes à la manière française ; qu’ils faisaient coudre à leurs vêtements, sur l’épaule ou partout ailleurs, une croix de drap ou de toute autre étoffe, ainsi que cela leur avait été prescrit ; qu’enfin, renonçant à l’orgueil des cris d’armes, ils s’écriaient tous humbles et fidèles : Dieu le veut ! »


69 — page 190Un matin les Francs virent flotter sur la ville le drapeau de l’empereur, etc…

« Il envoya en même temps de grands présents aux chefs, sollicitant leur bienveillance par ses lettres et par la voix de ses députés ; il leur rendit mille actions de grâces pour ce loyal service, et pour l’accroissement qu’ils venaient de donner à l’empire. » Willelm. Tyr., l. III, c. xii. — Il envoya, dit Guibert, l. III, c. ix, des dons infinis aux princes, et aux plus pauvres d’abondantes aumônes ; il jetait ainsi des germes de haine parmi ceux de condition moyenne, dont sa munificence semblait se détourner. » Voy. aussi Raymond d’Agiles, p. 142.


70 — page 192Un homme du peuple, averti par une vision, etc…

Raymond. de Agil., p. 155 : « Vidi ego hæc quæ loquor, et Dominicam lanceam ibi (in pugna) ferebam. » — Foulcher de Chartres s’écrie : Audite fraudem et non fraudem ! et ensuite : Invenit lanceam, fallaciter occultatam forsitan, c. x.


71 — page 193Antioche resta à Bohémond, malgré les efforts de Raymond, etc…

« Tancrède, dit son historien Raoul de Caen, eut d’abord grande envie de tomber sur les Provençaux ; mais il se souvint qu’il est défendu de verser le sang chrétien ; il aima mieux recourir aux expédients de Guiscard. Il fit entrer ses hommes pendant la nuit, et, lorsqu’ils furent en nombre, ils tirèrent leurs épées et chassèrent les soldats de Raymond, avec force soufflets. — L’origine de cette haine, ajoute-t-il, c’était une querelle pour du fourrage, au siège d’Antioche. Des fourrageurs des deux nations s’étaient trouvés ensemble au même endroit, et s’étaient battus à qui aurait le blé. — Depuis lors, chaque fois qu’ils se rencontraient, ils déposaient leurs fardeaux et se chargeaient d’une grêle de coups de poing ; le plus fort emportait la proie. » C. 98, 99, p. 316. — Ensuite Raymond et les siens soutinrent l’authenticité de la sainte lance ; « parce que les autres nations, dans leur simplicité, y apportaient des offrandes ; ce qui enflait la bourse de Raymond. Mais le rusé Bohémond (non imprudens, multividus, Rad. Cad., p. 317 ; Robert. Mon., ap. Bongars, p. 40) découvrit tout le mensonge. Cela envenima la querelle. » C. 101, 102.


72 — page 196Le nom de Francs devint le nom commun des Occidentaux

Guibert, l. II, c. i : « L’année dernière je m’entretenais avec un archidiacre de Mayence au sujet de la rébellion des siens, et je l’entendais vilipender notre roi et le peuple, uniquement parce que le roi avait bien accueilli et bien traité partout le seigneur pape Pascal, ainsi que ses princes : il se moquait des Français à cette occasion, jusqu’à les appeler par dérision Francons. Je lui dis alors : « Si vous tenez les Français pour tellement faibles ou lâches que vous croyiez pouvoir insulter par vos plaisanteries à un nom dont la célébrité s’est étendue jusqu’à la mer indienne, dites-moi donc à qui le pape Urbain s’adressa pour demander du secours contre les Turcs ? N’est-ce pas aux Français ? » — Id., l. IV, c. iii : « Nos princes, ayant tenu conseil, résolurent alors de construire un fort sur le sommet d’une montagne qu’ils avaient appelée Malreguard, pour s’en faire un nouveau point de défense contre les agressions des Turcs. » La langue française dominait donc dans l’armée des croisés. Voyez aussi les suites de la quatrième croisade.

Le roi de France n’en était pas moins appelé par les Grecs : ὁ βασιλεὺς τῶν βασιλέων, καί ἀρχηγὸς τοῦ Φραγγικοῦ στρατοῦ.

Mathieu Paris (ad ann. 1254) et Froissart (t. IV, p. 207) donnent au roi de France le titre de Rex regum, et de chef de tous les rois chrétiens. — Les Turcs eux-mêmes voulurent descendre des Francs : « Dicunt se esse de Francorum generatione, et quia nullus homo naturaliter debet esse miles nisi Turci et Franci. » Gesta Francorum, ap. Bongars, p. 7.


73 — page 198Godefroi languit et mourut

Guibert. Nov., l. VII, 22 : « Un prince d’une tribu voisine de Gentils lui envoya des présents infectés d’un poison mortel. Godefroi s’en servit sans défiance, tomba tout à coup malade, s’alita, et mourut bientôt après. Selon d’autres, il mourut de mort naturelle. »


74 — page 198Le langage des contemporains avant la croisade

Raym. d’Agiles, ap. Bongars, p. 149 : « Jocundum spectaculum tandem post multa tempora nobis factum… Accidit ibi quoddam satis nobis jocundum atque delectabile. » — Il raconte encore que le comte de Toulouse fit un jour arracher les yeux, couper les pieds, les mains et le nez à ses prisonniers, et il ajoute : « Quanta ibi fortitudine et consilio comes claruerit non facile referendum est. »


75 — page 200Les chrétiens de la croisade ont essayé de valoir mieux qu’eux-mêmes

Guib. Nov., l. IV, c. xv : « Unde fiebat, ut nec mentio scorti, nec nomen prostibuli toleraretur haberi : præsertim cum pro hoc ipso scelere, gladiis Deo judice vererentur addici. Quod si gravidam inveniri constitisset aliquam earum mulierum quæ probabantur carere maritis, atrocibus tradebatur cum suo lenone suppliciis. » — « Les mœurs sensuelles des Turcs contrastaient avec cette chasteté chrétienne. Après la grande bataille d’Antioche, on trouva dans les champs et les bois des enfants nouveau-nés dont les femmes turques étaient accouchées pendant le cours de l’expédition. » Guibert, l. V.


76 — page 201Avant l’an 1000 les paysans de la Normandie s’étaient ameutés

Will. Gemetic, l. V, ap. Scr. fr. X, 185 : « Rustici unanimes per diversos totius normannicæ patriæ plurima agentes conventicula, juxta suos libitus vivere decernebant ; quatenus tam in silvarum compendiis quam in aquarum commerciis, nullo obsistente ante statuti juris obice, legibus uterentur suis… Truncatis manibus ac pedibus, inutiles suis remisit… His rustici expertis, festinato concionibus omissis, ad sua aratra sunt reversi. »


77 — page 203Ils se dirent avec le poète du douzième siècle

Rob. Wace, Roman de Rou, vers 5979-6038 :

Li païsan e li vilain
Cil del boscage et cil del plain,
Ne sai par kel entichement,
Ne ki les meu primierement ;
Par vinz, par trentaines, par cenz
Uni tenuz plusurs parlemenz…
Privéement ont porparlè
E plusurs l’ont entre els juré
Ke jamez, par lur volonté,
N’arunt seingnur ne avoé.
Seingnur ne lur font se mal nun ;
Ne poent aveir od els raisun,
Ne lur gaainz, ne lur laburs ;
Chescun jur vunt a grant dolurs…
Tute jur sunt lur bestes prises
Pur aïes e pur servises…
Pur kei nus laissum damagier !
Metum nus fors de lor dangier ;
Nus sumes homes cum il sunt,
Tex membres avum cum il unt,
Et altresi grans cors avum,
Et altretant sofrir poum.
Ne nus faut fors cuer sulement ;
Alium nus par serement,
Nos aveir e nus defendum,
E tuit ensemble nus tenum.
Es nus voilent guerreier,
Bien avum, contre un chevalier,
Trente u quarante païsanz
Maniables e cumbatans. »


78 — page 218Abailard était un beau jeune homme

Epistola I, Heloissæ ad Abel. (Abel. et Hel. opera, edid. Duchesne) : « Quod enim bonum animi vel corporis tuam non exornabat adolescentiam ? » — Abelardi Liber Calamitatum mearum, p. 10 : « Juventutis ei formæ gratia. »

Personne ne faisait comme lui des vers d’amour en langue vulgaire, etc.

Abel. Liber Calam., p. 12 : « Jam (à l’époque de son amour) si qua invenire licebat carmina, erant amatoria, non philosophiæ secreta. Quorum etiam carminum pleraque, adhuc in multis, sicut et ipse nosti, frequentantur et decantantur regionibus, ab his maxime quos vita simul oblectabat. » — Heloissæ epist. Ia : « Duo autem, fateor, tibi specialiter inerant quibus feminarum quarumlibet animos statim allicere poteras : dictandi videlicet, et cantandi gratia. Quæ cæteros minime philosophos assecutos esse novimus. Quibus quidem quasi ludo quodam laborem exerciti recreans philosophici, pleraque amatorio metro vel rhythmo composita reliquisti carmina, quæ præ nimia suavitate tam dictaminis quam cantus sæpius frequentata, tuum in ore omnium nomen incessanter tenebant : ut etiam illiteratos melodiæ dulcedo tui non sineret immemores esse. Atque hinc maxime in amorem tuum feminæ suspirabant. Et cum horum pars maxima carminum nostros decantaret amores, multis me regionibus brevi tempore nunciavit, et multarum in me feminarum accendit invidiam. »


Page 218Il avait renoncé à l’escrime des tournois, par amour pour les combats de la parole

Liber Calam., p. 4 : « Et quoniam dialecticorum rationum armaturam omnibus philosophiæ documentis prætuli, his armis alia commutavi et trophæis bellorum conflictus prætuli disputationum. Præinde diversas disputando perambulans provincias… »

Les seigneurs l’encourageaient

Liber. Calam., p. 5 : « Quoniam de potentibus terræ nonnullos ibidem habebat (Guillelmus Campellensis) æmulos, fretus eorum auxilio, voti mei compos extiti. »


79 — page 219Le hardi jeune homme simplifiait, expliquait, popularisait, humanisait

« De là l’enivrement des laïques et la stupéfaction des docteurs. Nouveau Pierre-l’Ermite d’une croisade intellectuelle, il entraînait après lui une jeunesse tourmentée de l’inextinguible soif de savoir, aventureuse et militante, impatiente de s’élancer vers un autre Orient inconnu, et d’y conquérir, non pas le tombeau du Christ, mais le Verbe éternellement vivant et Dieu lui-même. De l’Europe entière accouraient par milliers ces jeunes et ardents pèlerins de la pensée, tout bardés de logique et tout hérissés de syllogismes. « Rien ne les arrêtait, dit un contemporain, ni la distance, ni la profondeur des vallées, ni la hauteur des montagnes, ni la peur des brigands, ni la mer et ses tempêtes. La France, la Bretagne, la Normandie, le Poitou, la Gascogne, l’Espagne, l’Angleterre, la Flandre, les Teutons et les Suédois célébraient ton génie, t’envoyaient leurs enfants ; et Rome, cette maîtresse des sciences, montrait en te passant ses disciples que ton savoir était encore supérieur au sien. » (Foulques, prieur de Deuil.) « Lui seul, ajoute un autre de ses admirateurs, savait tout ce qu’il est possible de savoir. » De son école, où cinq mille auditeurs ordinairement venaient acheter sa doctrine à prix d’or, sortirent successivement un pape (Célestin II), dix-neuf cardinaux, plus de cinquante évêques ou archevêques, une multitude infinie de docteurs, et avec eux une espèce de régénération intérieure de l’Église d’Occident. » Les Réformateurs au douzième siècle, par M. N. Peyrat, p. 128, 1860.


80 — page 220Cette philosophie passa en un instant la mer et les Alpes

Guill. de S. Theodor. epist. ad. S. Bern. (ap. S. Bernardi opera, t. I, p. 302) : « Libri ejus transeunt maria, transvolant Alpes. » — Saint Bernard écrit en 1140, aux cardinaux de Rome : « Legite, si placet, librum Petri Abelardi, quem dicit Theologiæ ; ad manum enim est, cum, sicut gloriatur, a pluribus lectitetur in Curia. »

Partout on discourait sur les mystères

Les évêques de France écrivaient au pape, en 1140 : « Cum per totam fere Galliam, in civitatibus, vicis et castellis, a scholaribus, non solum inter scholas, sed etiam triviatim, nec a litteratis aut provectis tantum, sed a pueris et simplicibus, aut certe stultis, de S. Trinitate, quæ Deus est, disputaretur… » S. Bernardi opera, I, 309. — S. Bern. epist. 88 ad Cardinales : « Irridetur simplicium fides, eviscerantur arcana Dei, quæstiones de altissimis rebus temerarie ventilantur. »


81 — page 225, note 1Abailard voulut réformer les mœurs de l’abbaye de Saint-Denis

« Sciebam in hoc regii consilii esse, ut quo minus regularis abbatia illa esset, magis regi esset subjecta et utilis, quantum videlicet ad lucra temporalia. » Liber Calamit., p. 27.


82 — page 226Saint Bernard vint avec répugnance au concile de Sens

S. Bern. epist. 189 : « Abnui, tum quia puer sum, et ille vir bellator ab adolescentia : tum quia judicarem indignum rationem fidei humanis committi ratiunculis agitandam. »

Innocent II haïssait Abailard dans son disciple Arnaldo de Brescia

S. Bern. epist. ad papam, p. 182 : « Procedit Golias (Abælardus.)… antecedente quoque ipsum ejus armigero, Arnoldo de Brixia. Squama squamæ conjungitur, et nec spiraculum incedit per eas. Si quidem sibilavit apis, quæ erat in Francia, api de Italia, et venerunt in unum adversus Dominum. » — Epist. ad episc. Constant. p. 187 : « Utinam tam sanæ esset doctrinæ quam districtæ est vitæ ! Et si vultis scire, homo est neque manducans, neque bibens, solo cum diabolo esuriens et sitiens sanguinem animarum. » — Epist. ad Guid., p. 188 : « Cui caput columbæ, cauda scorpionis est ; quem Brixia evomuit, Roma exhorruit, Francia repulit, Germania abominatur, Italia non vult recipere. » — Il avait eu aussi pour maître Pierre de Brueys. Bulæus, Hist. Universit. Paris., II, 155. Platina dit qu’on ne sait s’il fut prêtre, moine ou ermite. — Trithemius rapporte qu’il disait en chaire, en s’adressant aux cardinaux : « Scio quod me brevi clam occidetis ?… Ego testem invoco cœlum et terram quod annuntiaverim vobis ea quæ mihi Dominus præcepit. Vos autem contemnitis me et creatorem vestrum. Nec mirum si hominem me peccatorem vobis veritatem annuntiantem morti tradituri estis, cum etiam si S. Petrus hodie resurgeret, ei vitia vestra quæ nimis multiplicia sunt, reprehenderet, et minime parceretis. » Ibid., 106.


83 — page 231Robert d’Arbrissel bâtit aux femmes Fontevrault, etc…

L’ordre de Fontevrault eut trente abbayes en Bretagne. — Fondé vers 1100, il comptait déjà, selon Suger, en 1145, près de cinq mille religieuses. — Les femmes étaient cloîtrées, chantaient et priaient ; les hommes travaillaient. — Malade, il appelle ses moines, et leur dit : « Deliberate vobiscum, dum adhuc vivo, utrum permanere velitis in vestro proposito ; ut scilicet, pro animarum vestrarum salute, obediatis ancillarum Christi præcepto. Scitis enim quia quæcumque, Deo cooperante, alicubi ædificavi, earum potentatui atque dominatui subdidi… Quo audito, pene omnes unanimi voce dixerunt : Absit hoc, etc. » Avant de mourir il voulut donner un chef aux siens. « Scitis, dilectissimi mei, quod quidquid in mundo ædificavi, ad opus sanctimonialium nostrarum feci : eisque potestatem omnem facultatum mearum præbui : et quod his majus est, et me et meos discipulos, pro animarum nostrarum salute, earum servitio submisi. Quamobrem disposui abbatissam ordinare. » Considérant qu’une vierge élevée dans le cloître, ne connaissant que les choses spirituelles et la contemplation, ne saurait gouverner les affaires extérieures, et se reconnaître au milieu du tumulte du monde, il nomme une femme veuve et lui recommande que jamais on ne prenne pour abbesse une des femmes élevées dans le cloître. — Il recommande aussi de parler peu, de ne point manger de chair, de se vêtir grossièrement.

Il enseignait la nuit et le jour au milieu d’une foule de disciples des deux sexes, etc…

Lettre de Marbodus, évêque de Rennes, à Robert d’Arbrissel : « Mulierum cohabitationem, in quo genere quondam peccasti, diceris plus amare… Has ergo non solum communi mensa per diem, sed et communi occubitu per noctem digeris, ut referunt, accubante simul et discipulorum grege, ut inter utrosque medius jaceas, utrique sexui vigiliarum et somni leges præfigas. » D. Morice, I, 499. « Feminarum quasdam, ut dicitur, nimis familiariter tecum habitare permittis et cum ipsis etiam et inter ipsas noctu frequenter cubare non erubescis. Hoc si modo agis, vel aliquando egisti, novum et inauditum, sed infructuosum martyrii genus invenisti… Mulierum quibusdam, sicut fama sparsit, et nos ante diximus, sæpe privatim loqueris earum accubitu novo martyrii genere cruciaris. » Lettre de Geoffroi, abbé de Vendôme, à Robert d’Arbrissel, publiée par le P. Sirmond (Daru, Histoire de Bretagne, I, 320) : « Taceo de juvenculis quas sine examine religionem professas, mutata veste, per diversas cellulas protinus inclusisti. Hujus igitur facti temeritatem miserabilis exitus probat ; aliæ enim, urgente partu, fractis ergastulis, elapsæ sunt ; aliæ in ipsis ergastulis pepereunt. » Clypeus nascentis ordinis Fontebraldensis, t. I, p. 69.


84 — page 232 et note 1Louis VII reconnaît expressément aux femmes le droit de siéger comme juges

Voy. dans Duchesne, t. IV, la réponse du roi… « apud vos deciduntur negotia legibus imperatorum ; benignior longe est consuetudo regni nostri, ubi si melior sexus defuerit, mulieribus succedere et hæreditatem administrare conceditur. »


85 — page 236, note 1Sur les sceaux, le roi de France est toujours assis

Si Louis VII est quelquefois représenté à cheval (1137, 1138, Archives du Royaume, K. 40), c’est comme Dux Aquitanorum. L’exception confirme la règle.


86 — page 236Le descendant de Guillaume-le-Conquérant, quel qu’il soit, etc.

On sait l’énorme grosseur de Guillaume-le-Conquérant (Voy. plus haut). « Quand donc accouchera ce gros homme ? » disait le roi de France. Lorsqu’il fallut l’enterrer, la fosse se trouva trop étroite et le corps creva. Il dépensait pour sa table des sommes énormes (Gazas ecclesiasticas conviviis profusioribus insumebat, Guill. Malmsb., l. III, ap. Scr. fr. XI, 188). Les auteurs de l’Art de vérifier les Dates (XIII, 15) rapportent de lui, d’après une chronique manuscrite, un trait de violence singulière. Lorsque Baudoin de Flandre lui refusa sa fille Mathilde, « il passa jusques en la chambre de la comtesse ; il trouva la fille au comte, si la prist par les trèces, si la traisna parmi la chambre et défoula à ses piés. » — Son fils aîné Robert était surnommé Courte-Heuse, ou Bas-Court (Order. Vit., ap. Scr. fr. XII, 596 : … facie obesa, corpore pingui, brevique statura, unde vulgo Gambaron cognominatus est, et Brevis-ocrea) ; il se laissait ruiner par les histrions et les prostituées (ibid., p. 602 : Histrionibus et parasitis ac meretricibus ; item, p. 681). — Le second fils du Conquérant, Guillaume-le-Roux, était de petite taille et fort replet ; il avait les cheveux blonds et plats, et le visage couperosé (Lingard, t. II de la trad., p. 167). « Quand il mourut, dit Orderic Vital, ce fut la ruine des routiers, des débauchés et des filles publiques, et bien des cloches ne sonnèrent pas pour lui, qui avaient retenti longtemps pour des indigents ou de pauvres femmes » (Scr. rer. fr. XII, 679). — Ibid. « Legitimam conjugem nunquam habuit ; sed obscœnis fornicationibus et frequentibus mœchiis inexplebiliter inhæsit. » P. 635 : « Protervus et lascivus. » P. 624 : « Erga Deum et ecclesiæ frequentationem cultumque frigidus extitit. » — Suger, ibid., p. 12 : « Lasciviæ et animi desideriis deditus… Ecclesiarum crudelis exactor, etc. » — Huntingd., p. 216 : « Luxuriæ scelus tacendum exercebat, non occulte, sed ex impudentia coram sole, etc. » — Henri Beauclerc, son jeune frère, eut de ses nombreuses maîtresses plus de quinze bâtards. Suivant plusieurs écrivains, sa mort fut causée par sa voracité en mangeant un plat de lamproies (Lingard, II, 241). Ses fils, Guillaume et Richard, se souillaient des plus infâmes débauches. (Huntingd., p. 218 : « Sodomitica tabe dicebantur, et erant irretiti. » Gervas., p. 1339 : « Luxuriæ et libidinis omni tabe maculati. » Glaber (ap. Scr. fr. X, 51) remarque que dès leur arrivée dans les Gaules, les Normands eurent presque toujours pour princes des bâtards. — Les Plantagenets semblèrent continuer cette race souillée. Henri II était roux, défiguré par la grosseur énorme de son ventre, mais toujours à cheval et à la chasse. (Petr. Bles., p. 98.) Il était, dit son secrétaire, plus violent qu’un lion (Leo et leone truculentior, dum vehementius excandescit, p. 75) ; ses yeux bleus se remplissaient alors de sang, son teint s’animait, sa voix tremblait d’émotion (Girald. Cambr., ap. Caroden, p. 783). Dans an accès de rage, il mordit un page à l’épaule. Humet, son favori, l’ayant un jour contredit, il le poursuivit jusque sur l’escalier, et ne pouvant l’atteindre, il rongeait de colère la paille qui couvrait le plancher. « Jamais, disait un cardinal, après une longue conversation avec Henri, je n’ai vu d’homme mentir si hardiment (Ep. S. Thom., p. 566). Sur ses successeurs, Richard et Jean, voyez plus bas. — L’idéal, c’est Richard III, le Richard III de Shakespeare, comme celui de l’histoire.


87 — page 238Tous vrais saints quoique l’Église n’ait canonisé que le dernier

Encore Louis VII est-il saint lui-même, suivant quelques auteurs. On lit dans une chronique française, insérée au douzième volume du Recueil des historiens de France, p. 226 : « Il fu mors… ; sains est, bien le savons » ; et dans une chronique latine (ibid.) : « … Et sanctus reputatur, prout alias in libro vitæ suæ legimus. »


88 — page 239Louis VII avait été élevé dans le cloître de Notre-Dame

Voy. une charte de Louis VII, ap. Scr. fr. XII, 90… « Ecclesiam parisiensem, in cujus claustro, quasi in quodam maternali gremio, incipientis vitæ et pueritiæ nostræ exegimus tempora. »


89 — page 241Saint Bernard refusa d’aller lui-même à la croisade

En 1128, il détourne un abbé du pèlerinage de Jérusalem. (Operum, t. I, p. 85 ; voy. aussi p. 323.) — En 1129, il écrit à l’évêque de Lincoln, au sujet d’un Anglais nommé Philippe, qui, parti pour la terre sainte, s’était arrêté à Clairvaux et y avait pris l’habit : « Philippus vester volens proficisci Jerosolymam, compendium viæ invenit, et cito pervenit quo volebat… Stantes sunt jam pedes ejus in atriis Jerusalem, et quem audierat in Euphrata, inventum in campis silvæ libenter adorat in loco ubi steterunt pedes ejus. Ingressus est sanctam civitatem… Factus est ergo non curiosus tantum spectator, sed et devotus habitator, et civis conscriptus Jerusalem, non autem terrenæ hujus, cui Arabiæ mons Sina conjunctus est, quæ servit cum filiis suis, sed liberæ illius quæ est sursum mater nostra. Et si vultis scire, Claræ-Vallis est » (p. 64). — Voici un passage d’un auteur arabe, qui offre, avec les idées exprimées par saint Bernard, une remarquable analogie : « Ceux qui volent à la recherche de la Caaba, quand ils ont enfin atteint le but de leurs fatigues, voient une maison de pierre, haute, révérée, au milieu d’une vallée sans culture ; ils y entrent, afin d’y voir Dieu ; ils le cherchent longtemps et ne le voient point. Quand avec tristesse ils ont parcouru la maison, ils entendent une voix au-dessus de leurs têtes : O adorateurs d’une maison ! pourquoi adorer de la pierre et de la boue ? Adorez l’autre maison, celle que cherchent les élus ! » (Ce beau fragment, dû à un jeune orientaliste, M. Ernest Fouinet, a été inséré par M. Victor Hugo dans les notes de ses Orientales, p. 416 de la première édition.)


90 — page 254Les jurisconsultes appelés par Frédéric-Barberousse, etc.

Radevicus, II, c. iv, ap. Giesler, Kirchengeschichte, II, P. 2, p. 72. « Scias itaque omne jus populi in condendis legibus tibi concessum, tua voluntas jus est, sicuti dicitur : « Quod principi placuit, legis habet vigorem, cum populus et in eum omne suum imperium et potestatem concesserit. » — Le conseiller de Henri II, le célèbre Ranulfe de Glanville, répète cette maxime (de leg. et consuet. reg. anglic., in proem.).


91 — page 257Becket conduisait en son propre nom, etc…

Newbridg., II, 10. Chron. Norm. Lingard, II, 325. — Lingard, p. 321 : « Le lecteur verra sans doute avec plaisir dans quel appareil le chancelier voyageait en France. Quand il entrait dans une ville, le cortège s’ouvrait par deux cent cinquante jeunes gens chantant des airs nationaux ; ensuite venaient ses chiens, accouplés. Ils étaient suivis de huit chariots, traînés chacun par cinq chevaux, et menés par cinq cochers en habit neuf. Chaque chariot était couvert de peaux, et protégé par deux gardes et par un gros chien, tantôt enchaîné, tantôt en liberté. Deux de ces chariots étaient chargés de tonneaux d’ale pour distribuer à la populace ; un autre portait tous les objets nécessaires à la chapelle du chancelier, un autre encore le mobilier de sa chambre à coucher, un troisième celui de sa cuisine, un quatrième portait sa vaisselle d’argent et sa garde-robe ; les deux autres étaient destinés à l’usage de ses suivants. Après eux venaient douze chevaux de somme sur chacun desquels était un singe, avec un valet (groom) derrière, sur ses genoux ; paraissaient ensuite les écuyers portant les boucliers et conduisant les chevaux de bataille de leurs chevaliers ; puis encore d’autres écuyers, des enfants de gentilshommes, des fauconniers, les officiers de la maison, les chevaliers et les ecclésiastiques, deux à deux et à cheval, et le dernier de tous enfin, arrivait le chancelier lui-même, conversant avec quelques amis. Comme il passait, on entendait les habitants du pays s’écrier : « Quel homme doit donc être le roi d’Angleterre, quand son chancelier voyage en tel équipage ? » Steph., 20, 2.


Page 258Un second lui-même

Le prédécesseur de Becket, au siège de Kenterbury, lui écrivait : « In aure et in vulgis sonat vobis esse cor unum et animam unnam » (Bles. epist. 78). — Petrus Cellensis : « Secundum post regem in quatuor regnis quis te ignorat ? » (Marten. Thes, anecd. III.) — Le clergé anglais écrit à Thomas : « In familiarem gratiam tam lata vos mente suscepit, ut dominationis suæ loca quæ boreali Oceano ad Pyrenæum usque porrecta sunt, potestati vestræ cuneta subjecerit, ut in his solum hos beatos reputarit opinio, qui in vestris poterant oculis complacere. » Epist. S. Thom., p. 190.


92 — page 259Depuis le fameux Dunstan

S. Dunstan, archev. de Kenterbury, fit des remontrances à Edgar, et lui fit faire pénitence. Il ajouta deux clauses à leur traité de réconciliation : 1o qu’il publierait un code de lois qui apportât plus d’impartialité dans l’administration de la justice ; 2o qu’il ferait passer à ses propres frais dans les différentes provinces des copies des saintes Écritures pour l’instruction du peuple. — Et même, selon Lingard, le véritable texte d’Osbern doit être : « … Justas legum rationes sanciret, sanctitas conscriberet, scriptas per omnes fines imperii sui populis custodiendas mandaret » au lieu de sanctas conscriberet scripturas. — Lingard, Antiquités de l’Église anglo-saxonne, I, p. 489.


93 — page 265La lutte de Becket fut imitée par l’évêque de Poitiers

Henri II lui avait adressé par deux de ses justiciers des instructions plus dures encore que les coutumes de Clarendon. Voy. la lettre de l’évêque ap. Scr. fr. XVI, 216. — Voyez aussi (ibid., 572, 575, etc.) les lettres que Jean de Salisbury lui écrit pour le tenir au courant de l’état des affaires de Thomas Becket. — En 1166, l’évêque de Poitiers céda, et fit sa paix avec Henri II. Joann. Saresber. epist., ibid., 523.


94 — page 273Becket se retira fort abattu

Mais Louis se repentit d’avoir abandonné Becket ; peu de jours après, il le fit appeler. Becket vint avec quelques-uns des siens, pensant qu’on allait lui intimer l’ordre de quitter la France. — « Invenerunt regem tristi vultu sedentem, nec, ut solebat, archiepiscopo assurgentem. Considerantibus autem illis, et diutius facto silentio, rex tandem, quasi invitus abeundi daret licentiam, subito mirantibus cunctis prosiliens, obortis lacrymis projecit se ad pedes archiepiscopi, cum singultu dicens : « Domine mi pater, tu solus vidisti. » Et congeminans cum suspirio : « Vere, ait, tu solus vidisti. Nos omnes cæci sumus… Pœniteo, pater, ignosce, rogo, et ab hac culpa me miserum absolve : regnum meum et meipsum ex hac ora tibi offero. » Gervas. Cantuar., ap. Scr. fr. XIII, 33. Vit. quadrip., p. 96.


95 — page 265Jean de Salisbury

Salisbury fait partie du pays de Kent, mais non du comté de ce nom. Du temps de l’archevêque Thibaut, ce fut Jean de Salisbury qu’on accusa de toutes les tentatives de l’Église de Kenterbury pour reconquérir ses privilèges. Il écrit, en 1159 : « Regis tota in me incanduit indignatio… Quod quis nomen romanum apud nos invocat, mihi imponunt ; quod in electionibus celebrandis, in causis ecclesiasticis examinandis, vel umbram libertatis audet sibi Anglorum ecclesia vindicare, mihi imputatur, ac si dominum Cantuariensem et alios episcopos quid facere oporteat solus instruam… » J. Sareber. epist., ap. Scr. fr. XVI, 496. — Dans son Policraticus (Leyde, 1639, p. 206), il avance qu’il est bon et juste de flatter le tyran pour le tromper, et de le tuer (Aures tyranni mulcere… tyrannum occidere… æquum et justum.). — Dans l’affaire de Thomas Becket, sa correspondance trahit un caractère intéressé (il s’inquiète toujours de la confiscation de ses propriétés, Scr. fr. XVI, 508, 512, etc.), irrésolu et craintif, p. 509 : il fait souvent intercéder pour lui auprès de Henri II, p. 514, etc., et donne à Becket de timides conseils, p. 510, 527, etc. Il ne semble guère se piquer de conséquence. Ce défenseur de la liberté n’accorde au libre arbitre de pouvoir que pour le mal (Policrat., p. 97). Il ne faut pas se hâter de rien conclure de ce qu’il reçut les leçons d’Abailard ; il vante saint Bernard et son disciple Eugène III. (Ibid., p. 311.)


96 — page 287Henri II déclara l’Angleterre fief du saint-siège

« Præterea ego et major filius meus rex, juramus quod a domino Alexandro papa et catholicis ejus successoribus recipiemus et tenebimus regnum Angliæ. » Baron. Annal., XII, 637. — A la fin de la même année il écrivait encore au pape : « Vestræ jurisdictionis est regnum Angliæ, et quantum at feudatirii juris obligationem, vobis duntaxat teneor et astringor. » Petr. Bles., epist., ap. Scr. fr. XVI, 650.


97 — page 300Philippe Ier, couronné à sept ans, lut lui-même le serment qu’il devait prêter

Coronatio Phil. I, ap. Scr. fr. XI, 32 : « Ipse legit, dum adhuc septennis esset : « Ego… defensionem exhibebo, sicut rex in suo regno unicuique episcopo et ecclesiæ sihi commissæ… debet. »


98 — page 302Philippe II à quatorze ans malade de peur, etc.

Chronica reg. Franc, ibid., 214 : « … Remansit in silva sine societate Philippus ; unde stupefactus concepit limorem, et tandem per carbonarium fuit reductus Compendium ; et ex hoc timore sibi contigit infirmitas, quæ distulit coronationem. »

Il chasse et dépouille les Juifs

Ibid… « Fecit spoliari omnes una die… Recesserunt omnes qui baptizari noluerunt. » « Ils donnèrent pour se racheter 15.000 marcs. » Rad. de Diceto, ap. Scr. fr. XIII, 204. — Rigordus, Vita Phil. Aug., ap. Scr. fr. XVII. Philippe remit aux débiteurs des Juifs toutes leurs dettes, à l’exception d’un cinquième qu’il se réserva. Voy. aussi la chronique de Mailros, ap. Scr. fr. XIX, 250.

Les hérétiques furent impitoyablement livrés à l’Église

Guillelmi Britonis Philippidos, l. I : « Dans tout son royaume il ne permit pas de vivre à une seule personne qui contredît les lois de l’Église, qui s’écartât d’un seul des points de la foi catholique, ou qui niât les sacrements. »


99 — page 306 et note 1Un messie paraît dans Anvers

Bulæus, Historia Universit. Pariensis, II, 98. — « Per matronas et mulierculas… errores suos spargere. » — « Veluti rex, stipatus satellitibus, vexillum et gladium præferentibus… declamabat. » Epistol. Trajectens. eccles. ap. Gieseler, II, IIe partie, p. 479.


100 — page 306 et note 2En Bretagne, Éon de l’Étoile

Guill. Neubrig., l. I : « Eudo, natione Brito, agnomen habens de Stella, illiteratus et idiota… sermone gallico Eon ; … eratque per diabolicas præstigias potens ad capiendas simplicium animas… ecclesiarum maxime ac monasteriorum infestator. » Voy. aussi Othon de Freysingen, c. liv, lv, Robert du Mont, Guibert de Nogent ; Bulæus, II, 241, D. Morice, p. 100, Roujoux, Histoire des ducs de Bretagne, t. II.


101 — page 306Amaury de Chartres et David de Dinan, etc…

Rigord., ibid., p. 375 : « … Quod quilibet Christianus teneatur credere se esse membrum Christi. » — Concil. Paris, ibid. : « Omnia unum, quia quidquid est, est Deus, Deus visibilibus indutus instrumentis. — Filius incarnatus, i. e. visibili formæ subjectus. — Filius usque nunc operatus est, sed Spiritus sanctus ex hoc nunc usque ad mundi consummationem inchoat operari. »


102 — page 307Aristote prend place presque au niveau de Jésus-Christ

Averroès, ap. Gieseler, IIe partie, p. 378 : « Aristoteles est exemplar, quod natura invenit ad demonstrandam ultimam perfectionem humanam. » Corneille Agrippa disait, au quatorzième siècle : « Aristoteles fuit præcursor Christi in naturalibus ; sicut Joannes Baptista… in gratuitis. » Ibid.


103 — page 314Les évêques de Maguelonne et de Montpellier faisaient frapper des monnaies sarrasines

Epistola papæ Clementis IV, episc. Maglonensi, 1266 ; in Thes. novo anecd., t. II, p. 403 : « Sane de moneta Miliarensi quam in tua diœcesi facis cudi miramur plurimum cujus hoc agis consilio… Quis enim catholicus monetam debet cudere cum titulo Machometi ?… Si consuetudinem forsan allegas, in adulterino negotio te et prædecessores tuos accusas. » — En 1268, saint Louis écrit à son frère Alfonse, comte de Toulouse, pour lui faire reproche de ce que dans son comtat Venaissin, on bat monnaie avec une inscription mahométane : « In cujus (monetæ) superscriptione sit mentio de nomine perfidi Mahometi, et dicatur ibi esse propheta Dei ; quod est ad laudem et exaltationem ipsius, et detestationem et contemptum fidei et nominis christiani ; rogamus vos quatinus ab hujusmodi opere faciatis cudentes cessare. » — Cette lettre, selon Bonamy (ac. des Inscr., XXX, 725), se trouverait dans un registre longtemps perdu, et restitué au Trésor des Chartes en 1748. Cependant ce registre n’y existe point aujourd’hui, comme je m’en suis assuré.


104 — page 315Le bourgeois paraissait dans les tournois

Dans les Preuves de l’Histoire générale du Languedoc, t. III, p. 607, on trouve une attestation de plusieurs Damoisels (Domicelli), chevaliers, juristes, etc. « Quod usus et consuetudo sunt et fuerunt longissimis temporibus observati, et tanto tempore quod in contrarium memoria non existitit in senescallia Belliquadri et in Provincia, quod Burgenses consueverunt a nobilibus et baronibus et etiam ab archiepiscopis et episcopis, sine principis auctoritate et licentia, impune cingulum militare assumere, et signa militaria habere et portare, et gaudere privilegio militari. » — Chron. Languedoc. ap. D. Vaissète, Preuves de l’Histoire du Languedoc : « Ensuite parla un autre baron appelé Valats, et il dit au comte : « Seigneur, ton frère te donne un bon conseil (le conseil d’épargner les Toulousains), et si tu me veux croire, tu feras ainsi qu’il t’a dit et montré ; car, seigneur, tu sais bien que la plupart sont gentilshommes, et par honneur et noblesse, tu ne dois pas faire ce que tu as délibéré. »


105 — page 315Les cours d’Amour

Raynouard, Poésies des troubadours, II, p. 122. La cour d’Amour était organisée sur le modèle des tribunaux du temps. Il en existait encore une sous Charles VI, à la cour de France ; on y distinguait des auditeurs, des maîtres des requêtes, des conseillers, des substituts du procureur général, etc., etc. ; mais les femmes n’y siégeaient pas.


106 — page 319Dans les récits de leurs ennemis, on impute aux Albigeois des choses contradictoires, etc…

Selon les uns, Dieu a créé ; selon d’autres, c’est le Diable (Mansi ap. Gieseler). Les uns veulent qu’on soit sauvé par les œuvres (Ébrard), et les autres par la foi (Pierre de Vaux-Cernay). Ceux-là prêchent un Dieu matériel ; ceux-ci pensent que Jésus-Christ n’est pas mort en effet, et qu’on n’a crucifié qu’une ombre. D’autre part, ces novateurs disent prêcher pour tous, et plusieurs d’entre eux excluent les femmes de la béatitude éternelle (Ébrard). Ils prétendent simplifier la loi, et prescrivent cent génuflexions par jour (Heribert). La chose dans laquelle ils semblent s’accorder, c’est la haine du Dieu de l’Ancien Testament. « Ce Dieu qui promet et qui ne tient pas, disent-ils, c’est un jongleur. Moïse et Josué étaient des routiers à son service. »

« D’abord il faut savoir que les hérétiques reconnaissaient deux créateurs : l’un, des choses invisibles, qu’ils appelaient le bon Dieu ; l’autre, du monde visible, qu’ils nommaient le Dieu méchant. Ils attribuaient au premier le Nouveau Testament, et au second l’Ancien, qu’ils rejetaient absolument, hors quelques passages transportés de l’Ancien dans le Nouveau, et que leur respect pour ce dernier leur faisait admettre.

« Ils disaient que l’auteur de l’Ancien Testament était un menteur, parce qu’il est dit dans la Genèse : « En quelque jour que vous mangiez de l’arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez de mort » ; et pourtant, disaient-ils, après en avoir mangé, ils ne sont pas morts. Ils le traitaient aussi d’homicide, pour avoir réduit en cendres ceux de Sodome et de Gomorrhe, et détruit le monde par les eaux du déluge, pour avoir enseveli sous la mer Pharaon et les Égyptiens. Ils croyaient damnés tous les pères de l’Ancien Testament, et mettaient saint Jean-Baptiste au nombre des grands démons. Ils disaient même entre eux que ce Christ qui naquit dans la Bethléem terrestre et visible et fut crucifié à Jérusalem, n’était qu’un faux Christ ; que Marie-Madeleine avait été sa concubine, et que c’était là cette femme surprise en adultère dont il est parlé dans l’Évangile. Pour le Christ, disaient-ils, jamais il ne mangea ni ne but, ni ne revêtit de corps réel, et ne fut jamais en ce monde que spirituellement au corps de saint Paul.

« D’autres hérétiques disaient qu’il n’y a qu’un créateur, mais qu’il eut deux fils, le Christ et le Diable. Ceux-ci disaient que toutes les créatures avaient été bonnes, mais que ces filles dont il est parlé dans l’Apocalypse les avaient toutes corrompues.

« Tous ces infidèles, membres de l’Antéchrist, premiers-nés de Satan, semence de péché, enfants de crime, à la langue hypocrite, séduisant par des mensonges le cœur des simples, avaient infecté du venin de leur perfidie toute la province de Narbonne. Ils disaient que l’Église romaine n’était guère qu’une caverne de voleurs, et cette prostituée dont parle l’Apocalypse. Ils annulaient les sacrements de l’Église à ce point qu’ils enseignaient publiquement que l’onde du sacré baptême ne diffère point de l’eau des fleuves, et que l’hostie du très saint corps du Christ n’est rien de plus que le pain laïque ; insinuant aux oreilles des simples ce blasphème horrible, que le corps du Christ, fût-il aussi grand que les Alpes, il serait depuis bien longtemps consommé et réduit à rien par tous ceux qui en ont mangé. La confirmation, la confession étaient choses vaines et frivoles ; le saint mariage une prostitution, et nul ne pouvait être sauvé dans cet état en engendrant fils et filles. Niant aussi la résurrection de la chair, ils forgeaient je ne sais quelles fables inouïes, disant que nos âmes sont ces esprits angéliques qui, précipités du ciel pour leur présomptueuse apostasie, laissèrent dans l’air leurs corps glorieux, et que ces âmes, après avoir passé successivement sur la terre par sept corps quelconques, retournent, l’expiation ainsi terminée, reprendre leurs premiers corps.

« Il faut savoir en outre que quelques-uns de ces hérétiques s’appelaient Parfaits ou Bons Hommes ; les autres s’appelaient les Croyants. Les Parfaits portaient un habillement noir, feignaient de garder la chasteté, repoussaient avec horreur l’usage des viandes, des œufs, du fromage ; ils voulaient passer pour ne jamais mentir, tandis qu’ils débitaient, sur Dieu principalement, un mensonge perpétuel ; ils disaient encore que pour aucune raison on ne devait jurer. On appelait Croyants ceux qui, vivant dans le siècle, et sans chercher à imiter la vie des Parfaits, espéraient pourtant être sauvés dans la foi de ceux-ci ; ils étaient divisés par le genre de vie, mais unis dans la foi et l’infidélité. Les Croyants étaient livrés à l’usure, au brigandage, aux homicides et aux plaisirs de la chair, aux parjures et à tous les vices. En effet, ils péchaient avec toute sécurité et toute licence, parce qu’ils croyaient que sans restitution du bien mal acquis, sans confession ni pénitence, ils pouvaient se sauver, pourvu qu’à l’article de la mort ils pussent dire un Pater, et recevoir de leurs maîtres l’imposition des mains. Les hérétiques prenaient parmi les Parfaits des magistrats qu’ils appelaient diacres et évêques ; les Croyants pensaient ne pouvoir se sauver s’ils ne recevaient d’eux en mourant l’imposition des mains. S’ils imposaient les mains à un mourant, quelque criminel qu’il fût, pourvu qu’il pût dire un Pater, ils le croyaient sauvé, et, selon leur expression, consolé ; sans faire aucune satisfaction et sans autre remède, il devait s’envoler tout droit au ciel.

« … Certains hérétiques disaient que nul ne pouvait pécher depuis le nombril et plus bas. Ils traitent d’idolâtrie les images qui sont dans les églises, et appelaient les cloches les trompettes du démon. Ils disaient encore que ce n’était pas un plus grand péché de dormir avec sa mère ou sa sœur qu’avec toute autre. Une de leurs plus grandes folies, c’était de croire que si quelqu’un des Parfaits péchait mortellement en mangeant, par exemple, tant soit peu de viande, ou de fromage, ou d’œufs, ou de toute autre chose défendue, tous ceux qu’il avait consolés perdaient l’Esprit-Saint, et il fallait les reconsoler ; et ceux mêmes qui étaient sauvés, le péché du consolateur les faisait tomber du ciel.

« Il y avait encore d’autres hérétiques appelés Vaudois, du nom d’un certain Valdus, de Lyon. Ceux-ci étaient mauvais, mais bien moins mauvais que les autres ; car ils s’accordaient avec nous en beaucoup de choses, et ne différaient que sur quelques-unes. Pour ne rien dire de la plus grande partie de leurs infidélités, leur erreur consistait principalement en quatre points : en ce qu’ils portaient des sandales à la manière des apôtres ; qu’ils disaient qu’il n’était permis en aucune façon de jurer ou de tuer ; et en cela surtout que le premier venu d’entre eux pouvait au besoin, pourvu qu’il portât des sandales, et sans avoir reçu les ordres de la main de l’évêque, consacrer le corps de Jésus-Christ.

« Qu’il suffise de ce peu de mots sur les sectes des hérétiques. — Lorsque quelqu’un se rend aux hérétiques, celui qui le reçoit lui dit : « Ami, si tu veux être des nôtres, il faut que tu renonces à toute la foi que tient l’Église de Rome. Il répond : J’y renonce. — Reçois donc des Bons Hommes le Saint-Esprit. Et alors il lui souffle sept fois dans la bouche. Il lui dit encore : — Renonces-tu à cette croix que le prêtre t’a faite, au baptême, sur la poitrine, les épaules et la tête, avec l’huile et le chrême ? — J’y renonce. — Crois-tu que cette eau opère ton salut ? — Je ne le crois pas. — Renonces-tu à ce voile qu’à ton baptême le prêtre t’a mis sur la tête ? — J’y renonce. C’est ainsi qu’il reçoit le baptême des hérétiques et renie celui de l’Église. Alors tous lui imposent les mains sur la tête et lui donnent un baiser, le revêtent d’un vêtement noir, et dès lors il est comme un d’entre eux. » Petrus Vall. Sarnaii, c. i, ap. Scr. fr. XIX, 5, 7. Extrait d’un ancien registre de l’Inquisition de Carcassonne. (Preuves de l’Histoire du Languedoc, III, 371.)

Un Nicétas de Constantinople avait présidé comme pape, etc…

Voy. Gieseler, II, P. 2a, p. 494 — Sandii Nucleus hist. eccles., IV, 404 : « Veniens papa Nicetas nomine a Constantinopoli… »

Un certain Ydros

Steph. de Borb., ap. Gieseler, II, P. 2a, 508.


107 — page 321 et note 1Innocent III

« Fuit… matre Claricia, de nobilibus urbis, exercitatus in cantilena et psalmodia, statura mediocris et decorus aspectu. » Gesta Innoc. III (Baluze, folo), I, p. 1, 2. — Erfurt Chronic. S. Petrin. (1215) : « Nec similem sui scientia, facundia, decretorum et legum peritia, strenuitate judiciorum, nec adhuc visus est habere sequentem. »


108 — page 324Les évêques devaient être nommés, déposés par le pape, etc.

Decretal. Greg., l. II, tit. 28, c. xi (Alex. III) : « De appellationibus pro causis minimis interpositis volumus te tenere, quod eis, pro quacumque levi causa fiant, non minus est, quam si pro majoribus fierent, deferendum. »

Le pape défaisait les rois et faisait les saints

Decr. Greg., l. III, tit. 45, c. i (Alex. III) : « … Etiamsi per eum miracula plurima fierent, non liceret vobis ipsum pro Sancto, absque auctoritate romanæ ecclesiæ publice venerari. » — Conc. Lat. IV, c. lxii : « Reliquias inventas de novo nemo publice venerari præsumat, nisi prius auctoritate romani pontificis fuerint approbatæ. » — Innocent III en vint à dire (l. II, ep. 209) : « Dominus Petro non solum universam ecclesiam, sed totum reliquit seculum gubernandum. »


109 — page 329Zenghi et son fils Nurheddin, deux saints de l’islamisme

Extraits des histor. arabes, par M. Reinaud (Bibl. des Croisades, III, 242) : « Lorsque Noureddin priait dans le temple, ses sujets croyaient voir un sanctuaire dans un autre sanctuaire. » — Il consacrait à la prière un temps considérable, il se levait au milieu de la nuit, faisait son ablution et priait jusqu’au jour. » — Dans une bataille, voyant les siens plier, il se découvrit la tête, se prosterna et dit tout haut : « Mon Seigneur et mon Dieu, mon souverain maître, je suis Mahmoud, ton serviteur ; ne l’abandonne pas. En prenant sa défense, c’est ta religion que tu défends. Il ne cessa de s’humilier, de pleurer, de se rouler à terre, jusqu’à ce que Dieu lui eût accordé la victoire. » — Il faisait pénitence pour les désordres auxquels on se livrait dans son camp, se revêtant d’un habit grossier, couchant sur la dure, s’abstenant de tout plaisir, et écrivant de tous côtés aux gens pieux pour réclamer leurs prières. Il bâtit beaucoup de mosquées, de khans, d’hôpitaux, etc. Jamais il ne voulut lever de contributions sur les maisons des sophis, des gens de loi, des lecteurs de l’Alcoran. « Son plaisir était de causer avec les chefs des moines, les docteurs de la loi, les Oulamas ; il les embrassait, les faisait asseoir à ses côtés sur son sopha, et l’entretien roulait sur quelque matière de religion. Aussi les dévots accouraient auprès de lui des pays les plus éloignés. Ce fut au point que les émirs en devinrent jaloux. » — Les historiens arabes, ainsi que Guillaume de Tyr, le peignent comme très rusé.

Les esprits forts ou philosophes furent poursuivis avec acharnement

Bibliothèque des Croisades, p. 370. — On accusait Kilig Arslan d’avoir embrassé cette secte. Noureddin lui fit renouveler sa profession de foi à l’islamisme. « Qu’à cela ne tienne, dit Kilig Arslan ; je vois bien que Noureddin en veut surtout aux mécréants. »


Page 330Nuhreddin était un légiste

Hist. des Atabeks, ibid. Il avait étudié le droit, suivant la doctrine d’Abou-Hanifa, un des plus célèbres jurisconsultes musulmans ; il disait toujours : Nous sommes les ministres de la loi, notre devoir est d’en maintenir l’exécution ; et quand il avait quelque affaire, il plaidait lui-même devant le cadi. — Le premier il institua une cour de justice, défendit la torture, et y substitua la preuve testimoniale. — Saladin se plaint dans une lettre à Noureddin de la douceur de ses lois. Cependant il dit ailleurs : « Tout ce que nous avons appris en fait de justice, c’est de lui que nous le tenons. » — Saladin lui-même employait son loisir à rendre la justice ; on le surnomma le Restaurateur de la justice sur la terre.


Page 330Salaheddin, etc…

La générosité de Saladin à l’égard des chrétiens est célébrée avec plus d’éclat par les historiens latins, et principalement par le continuateur de G. de Tyr, que par les historiens arabes : on trouve dans ceux-ci quelques passages, obscurs à la vérité, mais qui indiquent que les musulmans avaient vu avec peine les sentiments généreux du sultan. Michaud, Hist. des Croisades, II, 346.


110 — page 344En vain Simon de Montfort et plusieurs autres se séparèrent des croisés

Guy de Montfort, son frère, Simon de Néauphle, l’abbé de Vaux-Cernay, etc. Villehardouin, p. 171. — A Corfou, un grand nombre de croisés résolurent de rester dans cette île « riche et plenteuroise ». Quand les chefs de l’armée en eurent avis, ils résolurent de les en détourner. « Alons à els et lor crions merci, que il aient por Dieu pitié d’els et de nos, et que il ne se honissent, et que il ne toillent la rescousse d’oltremer. Ensi fu li conseils accordez, et allèrent toz ensemble en une vallée où cil tenoient lor parlemenz, et menèrent avec als le fils l’empereor de Constantinople, et toz les evesques et toz les abbez de l’ost. Et cùm il vindrent là, si descendirent à pié. Et cil cùm il les virent, si descendirent de lor chevaus, et allèrent encontre, et li baron lor cheirent as piez, mult plorant, et distrent que il ne se moveroient tresque cil aroient creancé que il ne se mouroient d’els (avant qu’ils n’eussent promis de ne pas les abandonner). Et quant cil virent ce, si orent mult grant pitié, et plorèrent mult durement. » Ibid., p. 173-177. Lorsque ceux de Zara vinrent proposer à Dandolo de rendre la place : « Endementières (tandis) que il alla parler as contes et as barons, icèle partie dont vos avez oi arrières, qui voloit l’ost depecier, parlèrent as messages, et distrent lor : Pourquoy volez vos rendre vostre cité, etc. » Ces manœuvres firent rompre la capitulation. — Dans Zara, il y eut un combat entre les Vénitiens et les Français.


111 — page 363Dans le Midi, dédaigneuse opulence

« Les princes et les seigneurs provençaux qui s’étaient rendus en grand nombre pendant l’été au château de Beaucaire, y célébrèrent diverses fêtes. Le roi d’Angleterre avait indiqué cette assemblée pour y négocier la réconciliation de Raymond, duc de Narbonne, avec Alphonse, roi d’Aragon ; mais les deux rois ne s’y trouvèrent pas, pour certaines raisons ; en sorte que tout cet appareil ne servit à rien. Le comte de Toulouse y donna cent mille sols à Raymond d’Agout, chevalier, qui, étant fort libéral, les distribua aussitôt à environ dix mille chevaliers qui assistèrent à cette cour. Bertrand Raimbaud fit labourer tous les environs du château, et y fit semer jusques à trente mille sols en deniers. On rapporte que Guillaume Gros de Martel, qui avait trois cents chevaliers à sa suite, fit apprêter tous les mets dans sa cuisine avec des flambeaux de cire. La comtesse d’Urgel y envoya une couronne estimée quarante mille sols. Raimand de Venous fit brûler, par ostentation, trente de ses chevaux devant toute l’assemblée. » Histoire du Languedoc, t. III, p. 37. — (D’après Gaufrid. Vos., p. 321.)


112 — page 363Cluny eut bientôt besoin d’une réforme

Dans une Apologie adressée à Guillaume de Saint-Thierry, saint Bernard, tout en se justifiant du reproche qu’on lui avait fait d’être le détracteur de Cluny, censure pourtant vivement les mœurs de cet ordre (édit. Mabillon, t. IV, p. 33, sqq.), c. x : « Mentior, si non vidi abbatem sexaginta equos et eo amplius in suo ducere comitatu. » c. xi : « Omitto oratoriorum immensas altitudines… etc. »

Cîteaux s’éleva à côté de Cluny, etc…

Ceux de Cluny répondaient aux attaques de Cîteaux : « O, ô, Pharisæorum novum genus !… vos sancti, vos singulares… unde et habitum insoliti coloris prætenditis, et ad distinctionem cunctorum totius fere mundi monachorum, inter nigros vos candidos ostentatis. »


113 — page 367Innocent III avait écrit aux princes des paroles de ruine et de sang

Innocent III écrit à Guillaume, comte de Forcalquier, une lettre, sans salut, pour l’exhorter à se croiser : « Si ad actus tuos Dominus hactenus secundum meritorum tuorum exigentiam respexisset, posuisset te ut rotam et sicut stipulam ante faciem venti, quinimo multiplicasset fulgura, ut iniquitatem tuam de superficie terræ deleret, et justus lavaret munus suas in sanguine peccatoris. Nos etiam et prædecessores nostri… non solum in te (sicut fecimus) anathematis curassemus sententiam promulgare, imo etiam universos fidelium populos in tuum excidium armassemus. » Epist. Inn. III, t. I, p. 239, anno 1198.


114 — page 368Raymond VI, comte de Toulouse

Nous citons le fragment suivant comme un monument de la haine des prêtres.

« D’abord, dès le berceau, il chérit et choya toujours les hérétiques ; et comme il les avait dans sa terre, il les honora de toutes manières. Encore aujourd’hui, à ce que l’on assure, il mène partout avec lui des hérétiques, afin que s’il venait à mourir, il meure entre leurs mains. — Il dit un jour aux hérétiques, je le tiens de bonne source, qu’il voulait faire élever son fils à Toulouse, parmi eux, afin qu’il s’instruisît dans leur foi, disons plutôt dans leur infidélité. — Il dit encore un jour qu’il donnerait bien cent marcs d’argent pour qu’un de ses chevaliers pût embrasser la croyance des hérétiques ; qu’il le lui avait mainte fois conseillé, et qu’il le faisait prêcher souvent. De plus, quand les hérétiques lui envoyaient des cadeaux ou des provisions, il les recevait fort gracieusement, les faisait garder avec soin, et ne souffrait pas que personne en goûtât, si ce n’est lui et quelques-uns de ses familiers. Souvent aussi, comme nous le savons de science certaine, il adorait les hérétiques en fléchissant les genoux, demandait leur bénédiction et leur donnait le baiser. Un jour que le comte attendait quelques personnes qui devaient venir le trouver, et qu’elles ne venaient point, il s’écria : « On voit bien que c’est le diable qui a fait ce monde, puisque rien ne nous arrive à souhait. » Il dit aussi au vénérable évêque de Toulouse, comme l’évêque me l’a raconté lui-même, que les moines de Cîteaux ne pouvaient faire leur salut, puisqu’ils avaient des ouailles livrées à la luxure. O hérésie inouïe !

« Le comte dit encore à l’évêque de Toulouse qu’il vînt la nuit dans son palais, et qu’il entendrait la prédication des hérétiques ; d’où il est clair qu’il les entendait souvent la nuit.

« Il se trouvait un jour dans une église où on célébrait la messe ; or, il avait avec lui un bouffon, qui, comme font les bateleurs de cette espèce, se moquait des gens par des grimaces d’histrion. Lorsque le célébrant se tourna vers le peuple en disant : Dominus vobiscum, le scélérat de comte dit à son bouffon de contrefaire le prêtre. — Il dit une fois qu’il aimerait mieux ressembler à un certain hérétique de Castres, dans le diocèse d’Albi, à qui on avait coupé les membres et qui traînait une vie misérable, que d’être roi ou empereur.

« Combien il aima toujours les hérétiques, nous en avons la preuve évidente en ce que jamais aucun légat du siège apostolique ne put l’amener à les chasser de sa terre, bien qu’il ait fait, sur les instances de ces légats, je ne sais combien d’abjurations.

« Il faisait si peu de cas du sacrement de mariage, que toutes les fois que sa femme lui déplut, il la renvoya pour en prendre une autre ; en sorte qu’il eut quatre épouses, dont trois vivent encore. Il eut d’abord la sœur du vicomte de Béziers, nommée Béatrix ; après elle, la fille du duc de Chypre ; après elle, la sœur de Richard, roi d’Angleterre, sa cousine au troisième degré ; celle-ci étant morte, il épousa la sœur du roi d’Aragon, qui était sa cousine au quatrième degré. Je ne dois pas passer sous silence que lorsqu’il avait sa première femme, il l’engagea souvent à prendre l’habit religieux. Comprenant ce qu’il voulait dire, elle lui demanda exprès s’il voulait qu’elle entrât à Cîteaux ; il dit que non. Elle lui demanda encore s’il voulait qu’elle se fît religieuse à Fontevrault ; il dit encore que non. Alors elle lui demanda ce qu’il voulait donc : il répondit que si elle consentait à se faire solitaire, il pourvoirait à tous ses besoins ; et la chose se fit ainsi…

« Il fut toujours si luxurieux et si lubrique, qu’il abusait de sa propre sœur au mépris de la religion chrétienne. Dès son enfance, il recherchait ardemment les concubines de son père et couchait avec elles ; et aucune femme ne lui plaisait guère s’il ne savait qu’elle eût couché avec son père. Aussi son père, tant à cause de son hérésie que pour ce crime énorme, lui prédisait souvent la perte de son héritage. Le comte avait encore une merveilleuse affection pour les routiers, par les mains desquels il dépouillait les églises, détruisait les monastères, et dépossédait tant qu’il pouvait tous ses voisins. C’est ainsi que se comporta toujours ce membre du diable, ce fils de perdition, ce premier-né de Satan, ce persécuteur acharné de la croix et de l’Église, cet appui des hérétiques, ce bourreau des catholiques, ce ministre de perdition, cet apostat couvert de crimes, cet égout de tous les péchés.

« Le comte jouait un jour aux échecs avec un certain chapelain, et tout en jouant il lui dit : « Le Dieu de Moïse, en qui vous croyez, ne vous aiderait guère à ce jeu », et il ajouta : « Que jamais ce Dieu ne me soit en aide ! » — Une autre fois, comme le comte devait aller de Toulouse en Provence, pour combattre quelque ennemi, se levant au milieu de la nuit, il vint à la maison où étaient rassemblés les hérétiques toulousains, et leur dit : « Mes seigneurs et mes frères, la fortune de la guerre est variable ; quoi qu’il m’arrive, je remets en vos mains mon corps et mon âme. » Puis il emmena avec lui deux hérétiques en habit séculier, afin que s’il venait à mourir il mourût entre leurs mains. — Un jour que ce maudit comte était malade dans l’Aragon, le mal faisant beaucoup de progrès, il se fit faire une litière, et dans cette litière se fit transporter à Toulouse ; et comme on lui demandait pourquoi il se faisait transporter en si grande hâte, quoique accablé par une grave maladie, il répondit, le misérable ! « Parce qu’il n’y a pas de Bons Hommes dans cette terre, entre les mains de qui je puisse mourir. » Or, les hérétiques se font appeler Bons Hommes par leurs partisans. Mais il se montrait hérétique par ses signes et ses discours, bien plus clairement encore ; car il disait : « Je sais que je perdrai ma terre pour ces Bons Hommes ; eh bien ! la perte de ma terre, et encore celle de la tête, je suis prêt à tout souffrir. »


115 — page 383Le pape fut un instant ébranlé

Il reprocha à Montfort « d’étendre des mains avides jusque sur celles des terres de Raymond qui n’étaient nullement infectées d’hérésie, et de ne lui avoir guère laissé que Montauban et Toulouse… » Don Pedro d’Aragon se plaignait qu’on envahît injustement les possessions de ses vassaux les comtes de Foix, de Comminges et de Béarn, et que Montfort lui vînt enlever ses propres terres tandis qu’il combattait les Sarrasins. Epist. Inn. III, 708-10.


116 — page 388Jean se soumit et fit hommage au pape

Rymer, t. I, p. 111 : « Johannes Dei gratia rex Angliæ… libere concedimus Deo et SS. Apostolis, etc., ac domino nostro papæ Innocentio ejusque catholicis successoribus totum regnum Angliæ, et totum regnum Hiberniæ, etc… illa tanquam feodatarius recipientes… Ecclesia romana mille marcas sterlingorum percipiat annuatim, etc. »

Les barons déclarèrent leur roi dégradé par sa soumission aux prêtres

Math. Paris, p. 271 : « Tu Johannes lugubris memoriæ pro futuris sæculis, ut terra tua, ab antiquo libera, ancillaret, excogitasti, factus de rege liberrimo tributarius, firmarius, et vasallus servitutis. »


117 — page 397Innocent III voulut, dit-on, réparer

« Quand le saint-père eut entendu tout ce que lui voulurent dire les uns et les autres, il jeta un grand soupir ; puis s’étant retiré en son particulier et avec son conseil, lesdits seigneurs se retirèrent aussi en leur logis, attendant la réponse que leur voudrait faire le saint-père.

« Quand le saint-père se fut retiré, vinrent devers lui tous les prélats du parti du légat et du comte de Montfort, qui lui dirent et montrèrent que, s’il rendait à ceux qui étaient venus recourir à lui leurs terres et seigneuries et refusait de les croire eux-mêmes, il ne fallait plus qu’homme du monde se mêlât des affaires de l’Église, ni fît rien pour elle. Quand tous les prélats eurent dit ceci, le saint-père prit un livre, et leur montra à tous comment, s’ils ne rendaient pas lesdites terres et seigneuries à ceux à qui on les avait ôtées, ce serait leur faire grandement tort : car il avait trouvé et trouvait le comte Ramon fort obéissant à l’Église et à ses commandements, ainsi que tous les autres qui étaient avec lui. « Par laquelle raison, dit-il, je leur donne congé et licence de recouvrer leurs terres et seigneuries sur ceux qui les retiennent injustement. » Alors vous auriez vu lesdits prélats murmurer contre le saint-père et les princes, en telle sorte qu’on eût dit qu’ils étaient plutôt gens désespérés qu’autrement, et le saint-père fut tout ébahi de se trouver en tel cas que les prélats fussent émus comme ils l’étaient contre lui.

« Quand le chantre de Lyon d’alors, qui était un des grands clercs que l’on connût dans tout le monde, vit et ouït lesdits prélats murmurer en cette sorte contre le saint-père et les princes, il se leva, prit la parole contre les prélats, disant et montrant au saint-père que tout ce que les prélats disaient et avaient dit n’était autre chose sinon une grande malice et méchanceté combinées contre lesdits princes et seigneurs, et contre toute vérité : « Car, seigneur, dit-il, tu sais bien, en ce qui touche le comte Ramon, qu’il t’a toujours été obéissant, et que c’est une vérité qu’il fut des premiers à mettre ses places en tes mains et ton pouvoir, ou celui de ton légat. Il a été aussi un des premiers qui se sont croisés : il a été au siège de Carcassonne contre son neveu le vicomte de Béziers, ce qu’il fit pour te montrer combien il t’était obéissant, bien que le vicomte fût son neveu, de laquelle chose aussi ont été faites des plaintes. C’est pourquoi il me semble, seigneur, que tu feras grand tort au comte Ramon, si tu ne lui rends et fais rendre ses terres, et tu en auras reproche de Dieu et du monde, et dorénavant, seigneur, il ne sera homme vivant qui se fie en toi ou en tes lettres, et qui y donne foi ni créance, ce dont toute l’Église militante pourra encourir diffamation et reproche. C’est pourquoi je vous dis que vous, évêque de Toulouse, vous avez grand tort, et montrez bien par vos paroles que vous n’aimez pas le comte Ramon, non plus que le peuple dont vous êtes pasteur ; car vous avez allumé un tel feu dans Toulouse, que jamais il ne s’éteindra ; vous avez été la cause principale de la mort de plus de dix mille hommes, et en ferez périr encore autant, puisque, par vos fausses représentations, vous montrez bien persévérer en les mêmes torts ; et par vous et votre conduite la cour de Rome a été tellement diffamée que par tout le monde il en est bruit et renommée, et il me semble, seigneur, que pour la convoitise d’un seul homme tant de gens ne devraient pas être détruits ni dépouillés de leurs biens. »

« Le saint-père pensa donc un peu à son affaire ; et quand il eut pensé, il dit : « Je vois bien et reconnais qu’il a été fait grand tort aux seigneurs et princes qui sont venus devers moi ; mais toutefois j’en suis innocent, et n’en savais rien ; ce n’est pas par mon ordre qu’ont été faits ces torts, et je ne sais aucun gré à ceux qui les ont faits, car le comte Ramon s’est toujours venu rendre vers moi comme véritablement obéissant, ainsi que les princes qui sont avec lui. »

« Alors donc se leva debout l’archevêque de Narbonne. Il prit la parole, et dit et montra au saint-père comment les princes n’étaient coupables d’aucune faute pour qu’on les dépouillât ainsi, et qu’on fît ce que voulait l’évêque de Toulouse, « qui toujours, continua-t-il, nous a donné de très damnables conseils, et le fait encore à présent ; car je vous jure la foi que je dois à la sainte Église, que le comte Ramon a toujours été obéissant à toi, saint-père, et à la sainte Église, ainsi que tous les autres seigneurs qui sont avec lui ; et s’ils se sont révoltés contre ton légat et le comte de Montfort, ils n’ont pas eu tort ; car le légat et le comte de Montfort leur ont ôté toutes leurs terres, ont tué et massacré de leurs gens sans nombre, et l’évêque de Toulouse, ici présent, est cause de tout le mal qui s’y fait, et tu peux bien connaître, seigneur, que les paroles dudit évêque n’ont pas vraisemblance ; car si les choses étaient comme il le dit et le donne à entendre, le comte Ramon et les seigneurs qui l’accompagnent ne seraient venus vers toi, comme ils l’ont fait, et comme tu le vois. »

« Quand l’archevêque eut parlé, vint un grand clerc appelé maître Théodise, lequel dit et montra au saint-père tout le contraire de ce que lui avait dit l’archevêque de Narbonne. « Tu sais bien, seigneur, lui dit-il, et es averti des très grandes peines que le comte de Montfort et le légat ont prises nuit et jour avec grand danger de leurs personnes, pour réduire et changer le pays des princes dont on a parlé, lequel était tout plein d’hérétiques. Ainsi, seigneur, tu sais bien que maintenant le comte de Montfort et ton légat ont balayé et détruit lesdits hérétiques, et pris en leurs mains le pays ; ce qu’ils ont fait avec grand travail et peine, ainsi que chacun le peut bien voir ; et maintenant que ceux-ci viennent à toi, tu ne peux rien faire ni user de rigueur contre ton légat. Le comte de Montfort a bon droit et bonne cause pour prendre leurs terres ; et si tu les lui ôtais maintenant, tu lui ferais grand tort ; car nuit et jour le comte de Montfort se travaille pour l’Église et pour ses droits, ainsi qu’on te l’a dit. »

« Le saint-père ayant ouï et écouté chacun des deux partis, répondit à maître Théodise et à ceux de sa compagnie qu’il savait bien tout le contraire de leur dire, car il avait été bien informé que le légat détruisait les bons et les justes, et laissait les méchants sans punition, et grandes étaient les plaintes qui chaque jour lui venaient de toutes parts contre le légat et le comte de Montfort. Tous ceux donc qui tenaient le parti du légat et du comte de Montfort se réunirent et vinrent devant le saint-père lui dire et le prier qu’il voulût laisser au comte de Montfort, puisqu’il les avait conquis, les pays de Bigorre, Carcassonne, Toulouse, Agen, Quercy, Albigeois, Foix et Comminges : « Et s’il arrive seigneur, lui dirent-ils, que tu lui veuilles ôter lesdits pays et terres, nous te jurons et promettons que tous nous l’aiderons et secourrons envers et contre tous. »

« Quand ils eurent ainsi parlé, le saint-père leur dit et répondit que, ni pour eux, ni pour aucune chose qu’ils lui eussent dite, il ne ferait rien de ce qu’ils voulaient, et qu’homme au monde ne serait dépouillé par lui ; car, en pensant que la chose fût ainsi qu’ils le disaient, et que le comte Ramon eût fait tout ce qu’on a dit et exposé, il ne devrait pas pour cela perdre sa terre et son héritage ; car Dieu a dit de sa bouche « que le père ne payerait pas l’iniquité du fils, ni le fils celle de son père », et il n’est homme qui ose soutenir et maintenir le contraire ; d’un autre côté il était bien informé que le comte de Montfort avait fait mourir à tort et sans cause le vicomte de Béziers pour avoir sa terre : « Car, ainsi que je l’ai reconnu, dit-il, jamais le vicomte de Béziers ne contribua à cette hérésie… Et je voudrais bien savoir entre vous autres, puisque vous prenez si fort parti pour le comte de Montfort, quel est celui qui voudra charger et inculper le vicomte, et me dire pourquoi le comte de Montfort l’a fait ainsi mourir, a ravagé sa terre et la lui a ôtée de cette sorte ? » Quand le saint-père eut ainsi parlé, tous ses prélats lui répondirent que bon gré mal gré, que ce fût bien ou mal, le comte de Montfort garderait les terres et seigneuries, car ils l’aideraient à se défendre envers et contre tous, vu qu’il les avait bien et loyalement conquises.

« L’évêque d’Osma, voyant ceci, dit au saint-père : « Seigneur, ne t’embarrasse pas de leurs menaces, car je te le dis en vérité, l’évêque de Toulouse est un grand vantard, et leurs menaces n’empêcheront pas que le fils du comte Ramon ne recouvre sa terre sur le comte de Montfort. Il trouvera pour cela aide et secours, car il est neveu du roi de France, et aussi de celui de l’Angleterre et d’autres grands seigneurs et princes. C’est pourquoi il saura bien défendre son droit, quoiqu’il soit jeune. »

« Le saint-père répondit : « Seigneurs, ne vous inquiétez pas de l’enfant, car si le comte de Montfort lui retient ses terres et seigneuries, je lui en donnerai d’autres avec quoi il reconquerra Toulouse, Agen et aussi Beaucaire ; je lui donnerai en toute propriété le comté de Venaissin, qui a été à l’empereur, et s’il a pour lui Dieu et l’Église, et qu’il ne fasse tort à personne au monde, il aura assez de terres et seigneuries. » Le comte Ramon vint donc devers le saint-père avec tous les princes et seigneurs, pour avoir réponse sur leurs affaires et la requête que chacun avait faite au saint-père, et le comte Ramon lui dit et montra comment ils avaient demeuré un long temps en attendant la réponse de leur affaire et de la requête que chacun lui avait faite. Le saint-père dit donc au comte Ramon que pour le moment il ne pouvait rien faire pour eux, mais qu’il s’en retournât et lui laissât son fils, et quand le comte Ramon eut ouï la réponse du saint-père, il prit congé de lui et lui laissa son fils ; et le saint-père lui donna sa bénédiction. Le comte Ramon sortit de Rome avec une partie de ses gens, et laissa les autres à son fils, et entre autres y demeura le comte de Foix, pour demander sa terre et voir s’il la pourrait recouvrer ; et le comte Ramon s’en alla droit à Viterbe pour attendre son fils et les autres qui étaient avec lui, comme on l’a dit.

« Tout ceci fait, le comte de Foix se retira devers le saint-père pour savoir si la terre lui reviendrait ou non ; et lorsque le saint-père eut vu le comte de Foix, il lui rendit ses terres et seigneuries, lui bailla ses lettres comme il était nécessaire en telle occasion, dont le comte de Foix fut grandement joyeux et allègre, et remercia grandement le saint-père, lequel lui donna sa bénédiction et absolution de toutes choses jusqu’au jour présent. Quand l’affaire du comte de Foix fut finie, il partit de Rome, tira doit à Viterbe devers le comte Ramon, et lui conta toute son affaire, comment il avait eu son absolution, et comment aussi le saint-père lui avait rendu sa terre et seigneurie ; il lui montra ses lettres, dont le comte Ramon fut grandement joyeux et allègre ; ils partirent donc de Viterbe, et vinrent droit à Gênes, où ils attendirent le fils du comte Ramon.

« Or, l’histoire dit qu’après tout ceci, et lorsque le fils du comte Ramon eut demeuré à Rome l’espace de quarante jours, il se retira un jour devers le saint-père avec ses barons et les seigneurs qui étaient de sa compagnie. Quand il fut arrivé, après salutation faite par l’enfant au saint-père, ainsi qu’il le savait bien faire, car l’enfant était sage et bien morigéné, il demanda congé au saint-père de s’en retourner, puisqu’il ne pouvait avoir d’autre réponse ; et quand le saint-père eut entendu et écouté tout ce que l’enfant lui voulut dire et montrer, il le prit par la main, le fit asseoir à côté de lui, et se prit à lui dire : « Fils, écoute, que je te parle, et ce que je veux te dire, si tu le fais, jamais tu ne fauldras en rien.

« Premièrement, que tu aimes Dieu et le serves, et ne prennes rien du bien d’autrui : le tien, si quelqu’un veut te l’ôter, défends-le, en quoi faisant tu auras beaucoup de terres et seigneuries ; et afin que tu ne demeures pas sans terres ni seigneuries, je te donne le comté de Venaissin avec toutes ses appartenances, la Provence et Beaucaire, pour servir à ton entretien, jusqu’à ce que la sainte Église ait assemblé son concile. Alors tu pourras revenir deçà les monts pour avoir droit et raison de ce que tu demandes contre le comte de Montfort. »

« L’enfant remercia donc le saint-père de ce qu’il lui avait donné, et lui dit : « Seigneur, si je puis recouvrer ma terre sur le comte de Montfort et ceux qui la retiennent, je te prie, seigneur, que tu ne me saches pas mauvais gré, et ne sois pas courroucé contre moi. » Le saint-père lui répondit : « Quoi que tu fasses, Dieu te permet de bien commencer et mieux achever. »

Nous avons copié mot pour mot une ancienne chronique qui n’est qu’une traduction du Poème des Albigeois, sans oublier pourtant que la poésie est fiction, sans fermer les yeux sur ce que présente d’improbable la supposition du poète qui prête au pape l’intention de défaire tout ce qu’il a fait avec tant de peine et une si grande effusion de sang. Voy. la note de la page 397.


118 — page 398Tout le Midi se jeta dans les bras de Philippe-Auguste

Raymond VII écrit à Philippe-Auguste (juillet 1222) : « Ad vos, domine, sicut ad meum unicum et principale recurro refugium… humiliter vos deprecans et exorans quatenus mei misereri velitis. » Preuves de l’Histoire du Langued., III, 275. — (Décembre 1222) : « Cum… Amalricus supplicaverit nobis ut dignemini juxta beneplacitum vestrum, terram accipere vobis et hæredibus vestris in perpetuum, quam tenuit vel tenere debuit, ipse, vel pater suus in partibus Albigensibus et sibi vicinis, gaudemus super hoc, desiderantes Ecclesiam et terram illam sub umbra vestri nominis gubernari et rogantes affectuose quantum possumus, quatenus celsæ majestatis vestræ regia potestas, intuitu regis regum, et pro honore sanctæ matris Ecclesiæ ac regni vestri, terram prædictam ad oblationem et resignationem dicti comitis recipiatis ; et invenietis nos et cæteros prælatos paratos vires nostras effundere in hoc negotio pro vobis, et expendere quidquid ecclesia in partibus illis habet, vel est habitura. » Preuv. de l’Hist. du Langued., III, 276. — (1223) : « Dum dudum et diu soli sederemus in Biterris civitate, singulis momentis mortem expectantes, optataque nobis fuit in desiderio, vita nobis existente in supplicium, hostibus fidei et pacis undique gladios suos in capita nostra exerentibus, ecce, rex reverende, intravit kal. Maii cursor ad nos, qui… nuntiavit nobis verbum bonum, verbum consolationis, et totius miseriæ nostræ allevationis, quod videlicet placet celsitudinis vestræ magnificentiæ, convocatis prælatis et baronibus regni vestri apud Melodunum, ad tractandum super remedio et succursu terræ, quæ facta est in horrendam desolationem et in sibilum sempiternum, nisi Dominus ministerio regiæ dexteræ vestræ citius succurratus, super quo, tanto mœrore scalidi, tanta lugubratione defecti respirantes, gratias primum, elevatis oculis ac manibus in cœlum, referimus altissimo, in cujus manu corda regum consistunt, scientes hoc divinitus vobis esse inspiratum, etc… Flexis itaque genibus, reverendissime Rex, lacrymis in torrentem deductis, et singultibus lacerati, regiæ supplicamus majestati quatenus vobis inspiratæ gratiæ Dei non deesse velitis… quod universalis Ecclesiæ imminet subversio in regno vestro, nisi vos occurratis et sucurratis, etc… » Ibid., 278.


119 — page 407Le dogme de l’immaculée conception, etc…

L’Église de Lyon l’avait instituée en 1131. Saint Bernard lui écrivit une longue lettre pour la tancer de cette nouveauté (Epist. 174). Elle fut approuvée par Alain de Lille et par Petrus Cellensis (L. VI, epist 23 ; IX, 9 et 10). Le concile d’Oxford la condamna en 1222. — Les Dominicains se déclarèrent pour saint Bernard, l’Université pour l’Église de Lyon. Bulæus, Hist. Univ. Paris., II, 138, IV, 618, 964. Voyez Duns Scot, Sententiarum liber III, dist. 3, qu. 1, et dist. 18, qu. I. Il disputa, dit-on, pour l’immaculée conception, contre deux cents Dominicains, et amena l’Université à décider : « Ne ad ullos gradus scholasticos admitteretur ullus, qui prius non juraret se defensurum B. Virginem a noxa originaria. » Wadding., Ann. Minorum, ann. 1394. Bulæus, IV, p. 71.

« La Vierge ouvrit son capuchon devant son serviteur Dominique, etc… »

Acta SS. Theodor. de Appoldia, p. 583. « Totam cœlestem patriam amplexando dulciter continebat. » — Pierre Damiani disait que Dieu lui-même avait été enflammé d’amour pour la Vierge. Il s’écrie dans un sermon (Sermo XI, de Annunt. B. Mar., p. 171) : « O venter diffusior cœlis, terris amplior, capacior elementis ! etc. » — Dans un sermon sur la Vierge, de l’archevêque de Kenterbury, Étienne Langton, on trouve ces vers :

Bele Aliz matin leva,
Sun cors vesti et para,
Ens un vergier s’en entra,
Cink fleurettes y truva ;
Un chapelet fit en a
De bele rose flurie.
Pur Dieu trahez vus en là,
Vus ki ne amez mie ;

Ensuite il applique mystiquement chaque vers à la mère du Sauveur, et s’écrie avec enthousiasme :

Ceste est la belle Aliz,
Ceste est la flur,
Ceste est le lis.

Roquefort, Poésies du douzième
et du treizième siècle.

On a attribué au franciscain saint Bonaventure le Psalterium minus et le Psalterium majus B. Mariæ Virginis. Ce dernier est une sorte de parodie sérieuse où chaque verset est appliqué à la Vierge. Psalm. I : « Universas enim fœminas vincis pulchritudine carnis ! »


120 — page 410Vingt-cinq seigneurs et dix-sept archevêques et évêques, etc…

Voy. la lettre des évêques du Midi à Louis VIII, Preuves de l’Histoire du Lang., p. 289, et les lettres d’Honorius III, ap. Scr. fr. XIX, 699-723.


121 — page 411Le testament de Louis VIII, etc…

Archives du royaume, J, carton 401, Lettre et témoignage de l’archevêque de Sens et de l’évêque de Beauvais. — J, carton 403, Testament de Louis VIII.


122 — page 413La régente empêcha le comte de Champagne d’épouser la fille de Mauclerc

Elle lui écrivit, dit-on : « Sire Thibaud de Champaigne, j’ai entendu que vous avez convenancé et promis à prenre à femme la fille au comte Perron de Bretaigne. Partant vous mande que si ne voulez perdre quan que vous avez au royaume de France, que vous ne le faites. Si cher que avez tout tant que amez au dit royaume, ne le faites pas. La raison pourquoy vous sçavez bien. Je n’ai jamais trouvé pis qui mal m’ait voulu faire que luy. » D. Morice, I, 158.


123 — page 414Soumission du comte de Toulouse

Voy. les articles du Traité, inséré au tome III des Preuves de l’Histoire du Languedoc, p. 329, sqq., et au tome XIX du Recueil des Historiens de France, p. 219, sqq.


124 — page 417Saint Louis, Espagnol du côté de Blanche

Il était parent par sa mère d’Alphonse X, roi de Castille ; celui-ci lui avait promis des secours pour la croisade ; mais il mourut en 1252, et saint Louis « en fut fort affligé. » Math. Paris, p. 565. — « A son retour, il fit frapper, dit Villani, des monnaies où les uns voient des menottes, en mémoire de sa captivité ; les autres, les tours de Castille. » Ce qui vient à l’appui de cette dernière opinion, c’est que les frères de saint Louis, Charles et Alphonse, mirent les tours de Castille dans leurs armes. Michaud, IV, 445.


125 — page 417Le sultan d’Égypte était le meilleur ami de Frédéric II

Extraits d’historiens arabes, par Reinaud (Bibl. des Croisades, IV, 117, sqq.). « L’émir Fakr-Eddin était entré fort avant, dit Yaféi, dans la confiance de l’empereur ; ils avaient de fréquents entretiens sur la philosophie, et leurs opinions paraissaient se rapprocher sur beaucoup de points. — Ces étroites relations scandalisèrent beaucoup les chrétiens… « Je n’aurais pas tant insisté, dit-il à Fakr-Eddin, pour qu’on me remît Jérusalem, si je n’avais craint de perdre tout crédit en Occident ; mon but n’a pas été de délivrer la ville sainte, ni rien de semblable ; j’ai voulu conserver l’estime des Francs. » — « L’empereur était roux et chauve : il avait la vue faible ; s’il avait été esclave, on n’en aurait pas donné deux cents drachmes. Ses discours montraient assez qu’il ne croyait pas à la religion chrétienne ; quand il en parlait, c’était pour s’en railler… etc… Un moezzin récita près de lui un verset de l’Alcoran qui nie la divinité de Jésus-Christ. Le sultan le voulut punir ; Frédéric s’y opposa. » — Il se fâcha contre un prêtre qui était entré dans une mosquée l’Évangile à la main, et jura de punir sévèrement tout chrétien qui y entrerait sans une permission spéciale. — On a vu plus haut quelles relations amicales Richard entretenait avec Salaheddin et Malek-Adhel. — Lorsque Jean de Brienne fut assiégé dans son camp (en 1221), il fut comblé par le sultan de témoignages de bienveillance. « Dès lors, dit un auteur arabe (Makrizi), il s’établit entre eux une liaison sincère et durable, et tant qu’ils vécurent, ils ne cessèrent de s’envoyer des présents et d’entretenir un commerce d’amitié. » Dans une guerre contre les Kharismiens, les chrétiens de Syrie se mirent pour ainsi dire sous les ordres des infidèles. On voyait les chrétiens marcher leurs croix levées ; les prêtres se mêlaient dans les rangs, donnaient des bénédictions, et offraient à boire aux musulmans dans leurs calices. Ibid., 445, d’après Ibn-Giouzi, témoin oculaire.


126 — page 420Les Mongols avançaient lents, irrésistibles

« Ils avaient, dit Mathieu Paris, ravagé et dépeuplé la grande Hongrie : ils avaient envoyé des ambassadeurs avec des lettres menaçantes à tous les peuples. Leur général se disait envoyé du Dieu très haut pour dompter les nations qui lui étaient rebelles. Les têtes de ces barbares sont grosses et disproportionnées avec leurs corps ; ils se nourrissent de chairs crues et même de chair humaine ; ce sont des archers incomparables ; ils portent avec eux des barques de cuir, avec lesquelles ils passent tous les fleuves ; ils sont robustes, impies, inexorables ; leur langue est inconnue à tous les peuples qui ont quelque rapport avec nous (quos nostra attingit notitia). Ils sont riches en troupeaux de moutons, de bœufs, de chevaux si rapides qu’ils font trois jours de marche en un jour. Ils portent par devant une bonne armure, mais aucune par derrière, pour n’être jamais tentés de fuir. Ils nomment khan leur chef, dont la férocité est extrême. Habitant la plage boréale, les mers Caspiennes, et celles qui leur confinent, ils sont nommés Tartares, du nom du fleuve Tar. Leur nombre est si grand qu’ils semblent menacer le genre humain de sa destruction. Quoiqu’on eût déjà éprouvé d’autres invasions de la part des Tartares, la terreur était plus grande cette année, parce qu’ils semblaient plus furieux que de coutume ; aussi les habitants de la Gothie et de la Frise, redoutant leurs attaques, ne vinrent point cette année, comme ils le faisaient d’ordinaire, sur les côtes d’Angleterre, pour charger leurs vaisseaux de harengs : les harengs se trouvèrent en conséquence tellement abondants en Angleterre, qu’on les vendait presque pour rien ; même dans les endroits éloignés de la mer, on en donnait quarante ou cinquante d’excellents pour une petite pièce de monnaie. Un messager sarrasin, puissant et illustre par sa naissance, qui était venu en ambassade solennelle auprès du roi de France, principalement de la part du Vieux de la Montagne, annonçait ces événements au nom de tous les Orientaux, et il demandait du secours aux Occidentaux, pour réprimer la fureur des Tartares. Il envoya un de ses compagnons d’ambassade au roi d’Angleterre pour lui exposer les mêmes choses, et lui dire que si les musulmans ne pouvaient soutenir le choc de ces ennemis, rien ne les empêcherait d’envahir tout l’Occident. L’évêque de Winchester, qui était présent à cette audience (c’était le favori d’Henri III), et qui avait déjà revêtu la croix, prit d’abord la parole en plaisantant. « Laissons, dit-il, ces chiens se dévorer les uns les autres, pour qu’ils périssent plus tôt. Quand ensuite nous arriverons sur les ennemis du Christ qui resteront en vie, nous les égorgerons plus facilement, et nous en purgerons la surface de la terre. Alors le monde entier sera soumis à l’Église catholique, et il ne restera plus qu’un seul Pasteur et une seule bergerie. » Math. Paris, p. 318.


127 — page 428Les envoyés du Vieux de la Montagne, etc…

Il envoya demander au roi l’exemption du tribut qu’il payait aux Hospitaliers et aux Templiers. « Darière l’amiral avoit un Bacheler bien atourné, qui tenoit trois coutiaus en son poing, dont l’un entroit ou manche de l’autre ; pour ce que se l’amiral eust été refusé, il eust présenté au roy ces trois coutiaus pour li deffier. Darière celi qui tenoit les trois coutiaus, avoit un autre qui tenoit un bouqueran (pièce de toile de coton) entorteillé entour son bras, que il eust aussi présenté au roi pour li ensevelir, se il eust refusée la requeste au Vieil de la Montaigne. » Joinville, p. 95. — « Quand le viex chevauchoit, dit encore Joinville, il avoit un crieur devant li qui portoit une hache danoise à lonc manche tout couvert d’argent, à tout pleins de coutiaus ferus ou manche et crioit : « Tournés-vous de devant celi qui porte la mort des rois entre ses mains. » P. 97.

Les Francs dans l’abondance s’énervaient

Joinville, p. 37 : « Le commun peuple se prist aus foles femmes, dont il avint que le roy donna congié à tout plein de ses gens, quant nous revinmes de prison ; et je li demandé pourquoy il avoit ce fait ; et il me dit que il avoit trouvé de certein, que au giet d’une pierre menue, entour son paveillon tenoient cil leur bordiaus à qui il avoit donné congié, et ou temps du plus grant meschief que l’ost eust onques été. » — « Les barons qui deussent garder le leur pour bien emploier en lieu et en tens, se pristrent à donner les grans mangers et les outrageuses viandes. »


128 — page 428Un coup de vent ayant poussé saint Louis vers Damiette

« Il est vraisemblable que saint Louis aurait opéré sa descente sur le même point que Bonaparte (à une demi-lieue d’Alexandrie), si la tempête qu’il avait essuyée en sortant de Limisso, et les vents contraires peut-être, ne l’avaient porté sur la côte de Damiette. Les auteurs arabes disent que le soudan du Caire, instruit des dispositions de saint Louis, avait envoyé des troupes à Alexandrie comme à Damiette, pour s’opposer au débarquement. » Michaud, IV, 236.


129 — page 433Saint Louis prisonnier

On dit au roi que les amiraux avaient délibéré de le faire soudan de Babylone… « Et il me dit qu’il ne l’eust mie refusé. Et sachiez que il ne demoura (que ce dessein n’échoua) pour autre chose que pource que ils disoient que le Roy estoit le plus ferme crestien que en peust trouver ; et cest exemple en monstroient, à ce que quant ils se partoient de la héberge, il prenoit sa croiz à terre et seignoit tout son cors ; et disoient que se celle gent fesoient soudanc de li, il les occiroit tous, ou ils deviendroient crestiens. » Joinville, p. 78.

Les Arabes chantèrent sa défaite et plus d’un peuple chrétien, etc…

Suivant M. Rifaut, la chanson qui fut composée à cette occasion se chante encore aujourd’hui. — Reinaud, Extraits d’historiens arabes (Biblioth. des Croisades, IV, 475). — Suivant Villani, Florence, où dominaient les Gibelins, célébra par des fêtes le revers des croisés. Michaud, IV, 373.

Sa mère était morte

Joinville, p. 126 : « A Sayette vindrent les nouvelles au Roy que sa mère estoit morte. Si grand deuil en mena, que de deux jours on ne pot oncques parler à li. Après ce m’envoia querre par un vallet de sa chambre. Quant je ving devant li en sa chambre, là où il estoit tout seul, et il me vit et estandi ses bras et me dit : A ! Seneschal ! j’ai pardu ma mère. » — Lorsque saint Louis traitait avec le soudan pour sa rançon, il lui dit que s’il voulait désigner une somme raisonnable, il manderait à sa mère qu’elle la payât. « Et ils distrent : Comment est-ce que vous ne nous voulez dire que vous ferez ces choses ? et le roy respondi que il ne savoit se la reine le vourroit faire pour ce que elle estoit sa dame. » Ibid., 73.


130 — page 436L’insurrection des Pastoureaux

Math. Paris, p. 550, sqq. — « Aux premiers soulèvements du peuple de Sens, les rebelles se créèrent un clergé, des évêques, un pape avec ses cardinaux. » Continuateur de Nangis, 1315. — Les Pastoureaux avaient aussi une espèce de tribunal ecclésiastique. Ibid., 1320. — Les Flamands s’étaient soumis à une hiérarchie, à laquelle ils durent de pouvoir prolonger longtemps leur opiniâtre résistance. Grande Chron. de Flandre, quatorzième siècle. — Les plus fameux routiers avaient pris le titre d’archiprêtres. Froissart, vol. I, ch. clxxvii. — Les Jacques eux-mêmes avaient formé une monarchie. Ibid., ch. clxxxiv. — Les Maillotins s’étaient de même classés en dizaines, cinquantaines et centaines. Ibid., ch. clxxxii-iii-iv, Juvén. des Ursins, ann. 1382, et Anon. de Saint-Denis, hist. de Ch. VI ; Monteil, t. I, p. 286.


131 — page 440Une association s’était formée, etc…

A la tête se trouvait Robert Twinge, chevalier du Yorkshire, qu’une provision papale avait privé du droit d’élire à un bénéfice provenant de sa famille. Ces associés, bien qu’ils ne fussent que quatre-vingts, parvinrent, par la célérité et le mystère de leurs mouvements, à persuader au peuple qu’ils étaient en bien plus grand nombre. Ils assassinèrent les courriers du pape, écrivirent des lettres menaçantes aux ecclésiastiques étrangers, etc. Au bout de huit mois, le roi interposa son autorité. Twinge se rendit à Rome, où il gagna son procès, et conféra le bénéfice, etc. Lingard, III, 161.


132 — page 447L’empereur Frédéric II

« Frédéric, dit Villani (l. VI, c. i), fut un homme doué d’une grande valeur et de rares talents ; il dut sa sagesse autant aux études qu’à sa prudence naturelle. Versé en toute chose, il parlait la langue latine, notre langue vulgaire (l’italien), l’allemand, le français, le grec et l’arabe. Abondant en vertus, il était généreux, et à ses dons il joignait encore la courtoisie ; guerrier vaillant et sage, il fut aussi fort redouté. Mais il fut dissolu dans la recherche des plaisirs ; il avait un grand nombre de concubines, selon l’usage des Sarrasins ; comme eux, il était servi par des mameluks ; il s’abandonnait à tous les plaisirs des sens, et menait une vie épicurienne, n’estimant pas qu’aucune autre vie dût venir après celle-ci… Aussi ce fut la raison principale pour laquelle il devint l’ennemi de la sainte Église. »

« Frédéric, dit Nicolas de Jamsila (Hist. Conradi et Manfredi, t. VIII, p. 495), fut un homme d’un grand cœur ; mais la sagesse, qui ne fut pas moins grande en lui, tempérait sa magnanimité, en sorte qu’une passion impétueuse ne déterminait jamais ses actions, mais qu’il procédait toujours avec la maturité de la raison… Il était zélé pour la philosophie ; il la cultiva pour lui-même, il la répandit dans ses États. Avant les temps heureux de son règne, on n’aurait trouvé en Sicile que peu ou point de gens de lettres ; mais l’empereur ouvrit dans son royaume des écoles pour les arts libéraux et pour toutes les sciences ; il appela des professeurs de différentes parties du monde, et leur offrit des récompenses libérales. Il ne se contenta pas de leur accorder un salaire ; il prit sur son propre trésor de quoi payer une pension aux écoliers les plus pauvres, afin que dans toutes les conditions les hommes ne fussent point écartés par l’indigence de l’étude de la philosophie. Il donna lui-même une preuve de ses talents littéraires, qu’il avait surtout dirigés vers l’histoire naturelle, en écrivant un livre sur la nature et le soin des oiseaux, où l’on peut voir combien l’empereur avait fait de progrès dans la philosophie. Il chérissait la justice, et la respectait si fort, qu’il était permis à tout homme de plaider contre l’empereur, sans que le rang du monarque lui donnât aucune faveur auprès des tribunaux, ou qu’aucun avocat hésitât à se charger contre lui de la cause du dernier de ses sujets. Mais, malgré cet amour pour la justice, il en tempérait quelquefois la rigueur par sa clémence. » (Traduction de Sismondi. Remarquez que Villani est guelfe, et Jamsila gibelin.)


133 — page 447Le royaume de Naples resta au bâtard Manfred, au vrai fils de Frédéric II

Voici le portrait qu’en font les contemporains, Math. Spinelli, Ricordon, Summonte, Collonueio, etc. Il était doué d’un grand courage, aimait les arts, était généreux et avait beaucoup d’urbanité. Il était bien fait et beau de visage ; mais il menait une vie dissolue ; il déshonora sa sœur, mariée au comte de Caserte ; il ne craignait ni Dieu ni les saints ; il se lia avec les Sarrasins, dont il se servit pour tyranniser les ecclésiastiques, et s’adonna à l’astrologie superstitieuse des Arabes. — Il se vantait de sa naissance illégitime, et disait que les grands naissaient d’ordinaire d’unions défendues. Michaud, V, 43.


134 — page 452L’horreur pour les Sarrasins avait diminué

Saint Louis montra pour les Sarrasins une grande douceur. « Il fesait riches moult de Sarrasins que il avait fèt baptizer, et les assembloit par mariages avecque crestiennes… Quand il estoit outre mer, il commanda et fist commander à sa gent que ils n’occissent pas les femmes ne les enfans des Sarrasins ; ainçois les preissent vis et les amenassent pour fère les baptisier. Ausinc il commandoit en tant come il pooit, que les Sarrasins ne fussent pas ocis, mès fussent pris et tenuz en prizon. Et aucune foiz forfesait l’en en sa court d’escueles d’argent ou d’autres choses de telle manière ; et doncques li benoiez rois le soufroit débonnèrement, et donnoit as larrons aucune somme d’argent, et les envéoit outre mer ; et ce fist-il de plusieurs. Il fut tosjors à autrui moult plein de miséricorde et piteus. » Le Confesseur, p. 302, 388.


135 — page 464Saint Louis envoyait des Mendiants pour surveiller les provinces, etc…

Math. Paris, ad. ann. 1247, p. 493. — Par son testament (1269), il leur légua ses livres et de fortes sommes d’argent, et institua pour nommer aux bénéfices vacants un conseil composé de l’évêque de Paris, du chancelier, du prieur des Dominicains et du gardien des Franciscains. Bulæus, III, 1269. — Après la première croisade, il eut toujours deux confesseurs, l’un dominicain, l’autre franciscain. Gaufred., de Bell. loc., ap. Duchesne, V, 451. — Le confesseur de la reine Marguerite rapporte qu’il eut la pensée de se faire dominicain, et que ce ne fut qu’avec peine que sa femme l’en empêcha. — Il eut soin de faire transmettre au pape le livre de Guillaume de Saint-Amour. Le pape l’en remercia, en le priant de continuer aux moines sa protection. Bulæus, III, 313.


136 — page 466 et note 1En 1246, Pierre Mauclerc forme une ligue contre le clergé, etc…

Trésor des chartes, Champagne, VI, no 84 ; et ap. Preuves des libertés de l’Église gallicane, I, 29.

1247. Ligue de Pierre de Dreux Mauclerc avec son fils le duc Jean, le comte d’Angoulême et le comte de Saint-Pol, et beaucoup d’autres seigneurs, contre le clergé. — « A tous ceux qui ces lettres verront, nous tuit, de qui le seel pendent en cet présent escript, faisons à sçavoir que nous, par la foy de nos corps, avons fiancez sommes tenu, nous et notre hoir, à tousjours à aider li uns à l’autre, et à tous ceux de nos terres et d’autres terres qui voudront estre de cette compagnie, à pourchacier, à requerre et à défendre nos droits et les leurs en bonne foy envers le clergié. Et pour ce que grieffsve chose seroit, nous tous assembler pour cette besogne, nous avons eleu, par le commun assent et octroy de nous tous, le duc de Bourgogne, le comte Perron de Bretaigne, le comte d’Angolesme et le comte de Sainct-Pol ; … et si aucuns de cette compagnie estoient excommuniez, par tort conneu par ces quatre, que le clergié li feist, il ne laissera pas aller son droict ne sa querele pour l’excommuniement, ne pour autre chose que on li face, etc. » Preuv. des lib. de l’Égl. gallic., I, 99. Voy. aussi p. 95, 97, 98.


137 — page 467Cette âme tendre et pieuse, blessée dans tous ses amours, etc…

Lorsque saint Louis eut résolu de retourner en France « lors me dit robe entre ly et moy sanz plus, et me mist mes deux mains entre les seues, et le légat que je le convoiasse jusques à son hostel. Lors s’enclost en sa garde, commensa à plorer moult durement ; et quand il pot parler, si me dit : Seneschal, je sui moult li, si en rent graces à Dieu, de ce que le roy et les autres pèlerins eschapent du grand péril là où vous avez esté en celle terre ; et moult sui à mésaise de crier de ce que il me convendra lessier vos saintes compaingnies, et aler à la court de Rome, entre cel desloial gent qui y sont. »


138 — page 475Guillaume de Saint-Amour contre les Mendiants

Les ordres Mendiants étaient fort effrayés. « Cum prædicto volumini respondere fuisset prædicto doctori (Thomæ), non sine singultu et lacrymis, assignatum, qui de statu ordinis de pugna adversariorum tam gravium dubitabant, Fr. Thomas ipsum volumen accipiens et se fratrum orationibus recommendans… » Guill. de Thoco, vit. S. Thomæ, ap. Acta SS. Martis, I.


139 — page 476Albert-le-Grand déclara que saint Thomas avait fixé la règle

Processus de S. Thom. Aquin., ap. Acta SS. Martis, I, p. 714 : « Concludit quod Fr. Thomas in scripturis suis imposuit finem omnibus laborantibus usque ad finem sæculi, et quod omnes deinceps frustra laborarent. » — « Fuit (S. Thomas) magnus in corpore et rectæ staturæ… coloris triticei… magnum habens caput… aliquantulum calvus. Fuit tenerrimæ complexionis in carne. » Acta SS., p. 672. — « Fuit grossus. » Processus de S. Thom., ibid.


140 — page 482Le roi apparaît à la poésie féodale comme un lâche

Passage de Guill. au court nez (Paris, introd. de Berte aux grands pieds), cité dans Gérard de Nevers.

Grant fu la cort en la sale à Loon,
Moult ot as tables oiseax et venoison.
Qui que manjast la char et le poisson,
Oncques Guillaume n’en passa le menton :
Ains menja tourte, et but aigue à foison.
Quant mengier orent li chevalier baron,
Les napes otent escuier et garçon.
Li quens Guillaume mist le roi à raison :
— « Qu’as en pensé », dit-il, li fiés Charlon ?
« Secores-moi vers la geste Mahon. »
Dist Loéis : « Nous en consillerons,
« Et le matin savoir le vous ferons
« Ma volonté, se je irai o non. »
Guillaume l’ot, si taint, come charbon,
Il s’abaissa, si a pris un baston.
Puis dit au roi : « Vostre fiez vos rendon,
« N’en tenrai mès vaillant une esperon,

« Ne vostre ami ne serai ne voste hom,
Et si venrez, o vous voillez o non. »

(Ms. de Gérard de Nevers, no 7498, treizième siècle, corrigé sur le texte le plus ancien du ms. de Guillaume au Cornès, no 6995.)

141 — page 484On remonte au vieil élément indigène, etc…

Le principal dépôt des traditions bretonnes du moyen âge est l’ouvrage du fameux Geoffroi de Monmouth. Sur la véracité de cet auteur et les sources où il a puisé, voyez Ellis, Intr. metrical romances ; Turner, Quaterly review, janvier 1820 ; Delarue, Bardes armoricains ; et surtout la dernière édition de Warton (1834), avec notes de Douce et de Park ; voyez aussi les critiques de Ritson, quelques passages des poésies de Marie de France, publiés par M. de Roquefort, 1820, etc.


142 — page 487, note 2La fête de l’âne

On chantait la prose suivante :

Orientis partibus
Adventavit asinus
Pulcher et fortissimus
Sarcinis aptissimus.
Hez, sire asnes, car chantez
Belle bouche rechignez,
Vous aurez du foin assez
Et de l’avoine à plantez.
Lentus erat pedibus
Nisi foret baculus
Et eum in clunibus
Pungeret aculeus.
Hez, sire asnes, etc.
Hic in collibus Sichem
Jam nutritus sub Ruben,
Transiit per Jordanem,
Saliit in Bethleem.
Hez, sire asnes, etc.
Ecce magnis auribus
Subjugalis filius
Asinus egregius
Asinorum dominus.
Hez, sire asnes, etc.
Saltu vincit hinnulos,
Damas et capreolos,
Super dromedarios
Velox Madianeos.
Hez, sire asnes, etc.
Aurum de Arabia,
Thus et myrrham de Saba,
Tulit in ecclesia
Virtus asinaria.
Hez, sire asnes, etc.
Dum trahit vehicula
Multa cum sarcinula,
Illius mandibula
Durat terit pabula.
Hez, sire asnes, etc.
Cum aristis hordeum
Comedit et corduum ;
Triticum e palea
Segregat in area.
Hez, sire asnes, etc.
Amen dicas Asine (hic genuflectebatur)
Jam satur de gramine :
Amen, amen itera,
Aspernare vetera.
Hez va ! hez va ! hez va hez !
Biax sire asnes car allez
Belle bouche car chantez.

(Ms. du treizième siècle, ap. Ducange, Glossar.)

143 — page 493La cathédrale de Cologne, le type de l’architecture gothique

Les maîtres de cette ville ont bâti beaucoup d’autres églises. Jean Hültz, de Cologne, continue le clocher de Strasbourg. — Jean de Cologne, en 1369, bâtit les deux églises de Campen, au bord du Zuiderzée, sur le plan de la cathédrale de Cologne. — Celle de Prague s’élève sur le même plan. — Celle de Metz y ressemble beaucoup. — L’évêque de Burgos, en 1442, emmène deux tailleurs de pierres de Cologne pour terminer les tours de sa cathédrale. Ils font les flèches sur le plan de celle de Cologne. — Des artistes de Cologne bâtissent Notre-Dame de l’Épine, à Châlons-sur-Marne. Boisserée, p. 15.


144 — page 496Les méandres de l’église de Reims

On voyait dans plusieurs églises, entre autres à Chartres et à Reims, une spirale de mosaïque, ou labyrinthe, ou dædalus, placé au centre de la croisée. On y venait en pèlerinage ; c’était l’emblème de l’intérieur du temple de Jérusalem. Le labyrinthe de Reims portait le nom des quatre architectes de l’église. Povillon-Pierard, Description de Notre-Dame de Reims. — Celui de Chartres est surnommé la lieue ; il a sept cent soixante-huit pieds de développement. Gilbert, Description de Notre-Dame de Chartres, p. 44.


145 — page 499La peinture sur vitres

Les Romains se servaient depuis Néron des vitres colorées, surtout en bleu. Le beau rouge est plus fréquent dans les anciens vitraux ; on disait proverbialement : Vin couleur des vitraux de la Sainte-Chapelle. Ceux de cette église sont du premier âge ; ceux de Saint-Gervais, du deuxième et du troisième, et de la main de Vinaigrier et de Jean Cousin. Au deuxième âge, les figures, devenant gigantesques, sont coupées par les vitres carrées. A cette époque appartiennent encore les beaux vitraux des grandes fenêtres de Cologne, qui portent la date de 1509, apogée de l’école allemande ; ils sont traités dans une manière monumentale et symétrique. — Angelico da Fiesole est le patron des peintres sur verre. On cite encore Guillaume de Cologne et Jacques Allemand. Jean de Bruges inventa les émaux ou verres à deux couches. — La Réforme réduisit cet art en Allemagne à un usage purement héraldique. Il fleurit en Suisse jusqu’en 1700. La France avait acquis tant de réputation en ce genre, que Guillaume de Marseille fut appelé à Rome, par Jules II, pour décorer les fenêtres du Vatican. À l’époque de l’influence italienne, le besoin d’harmonie et de clair obscur fait employer la grisaille pour les fenêtres d’Anet et d’Écouen ; c’est le protestantisme entrant dans la peinture. En Flandre, l’école des grands coloristes (Rubens, etc.) amène le dégoût de la peinture sur verre. Voyez dans la Revue française un extrait du rapport de M. Brongniart à l’Académie des sciences sur la peinture sur verre ; voyez aussi la notice de M. Langlois sur les vitraux de Rouen.

fin du tome deuxième.