Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 4/Chapitre 9

LIVRE 4 CHAPITRE 9

CHAPITRE IX.

Des établissemens que Clovis aura pû faire dans les Gaules après la réduction des Armoriques, & de la jalousie que les Visigots conçurent contre lui. De l’époque tirée de l’année de la mort de Saint Martin.


Les deux évenemens importans dont nous venons de faire l’histoire, et qui rendirent Clovis maître de tous les pays qui sont entre la Seine et la Loire, ainsi que du Berri et des autres contrées que pouvoient encore tenir les troupes Romaines qui capitulerent avec lui, le rendirent en même-tems un prince puissant, et en état de faire beaucoup de graces à ceux qui s’attacheroient à lui. En effet les revenus de tant de riches provinces donnoient au roi de la tribu des Saliens le moyen de faire toucher régulierement une grosse solde à ses troupes et le moyen de pourvoir avantageusement les soldats mariés ou ceux qui voudroient se retirer. Ainsi l’on croira sans peine que dès-lors plusieurs Francs des autres tribus s’en séparerent pour s’incorporer dans celle des Saliens, et même que des tribus entieres s’attacherent à Clovis, afin d’obtenir de ce prince qu’il leur donnât dans les Gaules des quartiers tels que les Romains y en avoient donné dans les tems précedens aux confédérés. C’est apparemment ce que fit alors la tribu qui avoit pour son chef Regnomer, frere de Ragnacaire roi des Francs du Cambresis. Comme nous trouverons que ce Regnomer étoit établi dans le Maine, lorsque nous viendrons à parler du traitement que Clovis fit aux autres rois des Francs vers l’année cinq cens dix, on peut croire que Clovis lui avoit donné des quartiers dans cette contrée, ou qu’il l’avoit maintenu dans ceux qu’il y avoit déja. Le roi des Saliens aura eu, en se conduisant ainsi, la même vûe et le même motif qui soixante ans auparavant avoient engagé Aetius à donner des quartiers sur la Loire aux Alains ; c’est-à-dire, le dessein de contenir les Armoriques. Nous avons déja parlé plus d’une fois du caractere de ces peuples-là.

La vénération que tous les Romains des Gaules avoient pour Clovis depuis sa conversion, aussi-bien que la réduction des Armoriques et des troupes Romaines à l’obéissance de ce prince, réveillerent contre lui la jalousie des Visigots, dont les états depuis ces évenemens étoient devenus frontieres des siens. Aussi l’histoire de ce tems-là, toute imparfaite qu’elle est, nous apprend-elle que ces barbares regardoient alors les Romains leurs sujets, et principalement les ecclésiastiques, comme des partisans secrets de Clovis, et qu’ils sacrifierent à leurs défiances bien ou mal fondées, plusieurs évêques. Je rapporterai ici la disgrace de deux de nos prélats qui furent persécutés et chassés de leur siége par ces hérétiques, qui ne leur reprochoient autre chose que d’être les créatures du prince qui venoit d’embrasser à Reims la religion catholique. Ce fut peu de tems après cet évenement que le premier de nos deux évêques souffrit persécution.

On peut voir par le catalogue des évêques de Tours qui se trouve à la fin du dixiéme livre de l’Histoire ecclésiastique des Francs, que Perpetuus, troisiéme successeur de saint Martin, sur le siége de l’église de cette ville, mourut vers l’année quatre cens quatre-vingt-onze : voici ce qu’on lit dans le second livre de cette histoire concernant le successeur de Perpetuus. » On mit à sa place Volusianus un des Sénateurs. Il devint suspect aux Visigots, qui, la septiéme année de son Episcopat, l’emmenerent comme un captif en Espagne, c’est-à-dire, dans la partie des Gaules, qui, comme nous l’expliquerons ailleurs, s’appelloit dans le tems où écrivoit Gregoire de Tours, l’Espagne Citérieure. Voici ce qu’il dit encore dans son catalogue des évêques de Tours, concernant Volusianus.

» Volusianus fut élu le septiéme Evêque de Tours à compter depuis Saint Gatien premier Evêque de cette Ville. Volusianus étoit pieux, riche, sorti d’une famille Sénatoriale, & même parent de Perpetuus son prédecesseur. Dans le tems que Volusianus étoit Evêque, Clovis regnoit déja sur plusieurs Contrées de la Gaule. Ce fut ce qui donna lieu aux soupçons que les Visigots conçurent contre notre Prélat qu’ils accuserent d’avoir formé le dessein de mettre son Diocèse sous le pouvoir des Francs. Ayant été traduit à Toulouse, il y fut condamné à être relegué, & il mourut dans le lieu de son exil. Son Episcopar fur de sept ans & deux mois. »

Le Pere Ruinart observe dans ses notes sur Gregoire de Tours, que le martyrologe romain fait mention de Volusianus sur le dix-huitiéme janvier, comme d’un martyr, et qu’il dit que notre saint est en grande vénération dans le pays de Foix, qui suivant les apparences fut le lieu de son exil et celui de sa mort.

En supposant comme Gregoire De Tours le dit positivement, que saint Martin soit mort sous le consulat de Flavius Caesarius et de Nonius Atticus[1], marqué dans les Fastes sur l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept de l’ère chrétienne, et en supputant relativement à cette année-là, les années d’épiscopat que notre historien donne à chacun des successeurs de l’apôtre des Gaules, on trouvera que Volusianus quatriéme successeur de S. Martin a été élevé sur le siége de Tours[2] vers la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-onze, et par conséquent que la sixiéme année révolue de son pontificat qui me paroît celle où il fut traduit à Toulouse, tombe en quatre cens quatre-vingt-dix-sept, tems où la conversion de Clovis devoit faire l’entretien de tous les Romains des Gaules. Voyons donc ce qu’on peut sçavoir avec certitude sur l’année de la mort de saint Martin qui souvent a servi d’époque dans notre histoire.

On ne sçauroit établir une date et fixer la premiere année d’une époque plus distinctement ni plus affirmativement, que Gregoire de Tours établit et fixe celle de l’époque tirée de la mort de saint Martin ; et cela, soit dans l’Histoire ecclésiastique des Francs, soit dans l’histoire des miracles de notre saint.

Gregoire De Tours dit dans l’Histoire ecclésiastique des Francs. » La seconde année du regne d’Arcadius & d’Honorius, mourut Saint Martin Evêque de Tours à l’âge de quatre-vingt-un an, & après vingt-six ans d’Episcopat. Il déceda dans le lieu de Candes qui est de son Diocèse, sous le Consulat d’Atticus & de Cæsarius, & ce fut un Dimanche sur le minuit. » Nous avons déja observé que ce consulat tomboit en l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept de Jesus-Christ, et l’on pouvoit dire que cette même année Arcadius et Honorius étoient encore dans la seconde année de leur regne, en comptant par années révoluës, puisque leur pere Théodose Le Grand n’étoit mort que le dix-septiéme janvier trois cens quatre-vingt-quinze, et qu’ainsi la troisiéme année de leur regne ne devoit être révoluë que le dix-septiéme janvier de l’année trois cens quatre-vingt-dix-huit. On ne sçauroit donc établir une date plus distinctement et plus positivement que Gregoire de Tours établit dans son histoire la date de la mort de saint Martin.

Le pere de nos annales dit encore dans son premier livre des miracles de notre saint. » L’Apôtre des Gaules après vingt-cinq ans, quatre mois & dix jours d’Episcopat, mourut étant âgé de quatre-vingt-un an, sous le Consulat d’Atticus & de Cæsarius. Ce fut très-certainement un Dimanche vers le matin qu’expira le serviteur de Dieu. Nous en avons, ainsi qu’on va le voir dans le Chapitre suivant, des preuves positives. »

En effet, dans ce chapitre suivant, Gregoire de Tours raconte la vision que Sévérinus évêque de Cologne eut le même jour que mourut saint Martin, et il écrit. » Un Dimanche que Sévérinus faisoit ses stations, il entendit à l’heure même que Saint Martin expiroit, un chæur céleste qui chantoit dans les airs. » Sévérinus s’étant mis en priere, il apprit par révelation, que les chants qu’il entendoit étoient ceux des puissances célestes qui venoient recevoir l’ame de saint Martin.

Notre historien dit encore en parlant de la naissance de saint Martin qu’il vint au monde la onziéme année de l’empire de Constantin, laquelle tombe en l’année trois cens seize de Jesus-Christ. Or en ajoutant à cette année les quatre-vingt-un an que s Martin a vécu suivant Gregoire De Tours, on trouvera que ce saint doit être mort en trois cens quatre-vingt-dix-sept.

Enfin une hymne qui se chante le dixiéme novembre veille du jour de la fête de saint Martin dans l’église bâtie sur son tombeau, dit : « Le saint qui venoit de rétablir la paix parmi les ecclésiastiques de Candes, y mourut le jour du seigneur sur le minuit. » Tout le monde sçait que dans le style de la religion chrétienne, le jour du seigneur veut dire le dimanche.

Il est donc hors de doute que saint Martin est mort un dimanche. Quant à l’année de cette mort, comment est-il possible que notre historien s’y soit trompé, lui qui étoit évêque de Tours, et qui par conséquent avoit à sa disposition les diptiques de son église et je ne sçais combien de Chartres datées par consulat, et dans lesquelles il devoit souvent être fait mention de l’année de la mort de saint Martin le plus illustre de ses prédecesseurs. On observera encore qu’il n’y avoit pas deux cens ans que l’apôtre des Gaules étoit mort lorsque Gregoire De Tours écrivoit, et la tradition soutenue par les fêtes anniversaires qui furent instituées en l’honneur de notre saint soixante ans après sa mort, devoit avoir conservé dans la Touraine la mémoire de l’année où il étoit décedé[3]. Supposé que Gregoire de Tours se fût trompé sur la date de la mort de saint Martin, en écrivant celui de ses deux ouvrages que nous avons cités lequel fut publié le premier, ses propres diocésains se seroient soulevés contre l’erreur ; ils lui auroient indiqué des monumens, ils lui auroient allegué des faits capables de l’éclairer. Notre auteur auroit corrigé sa faute, et il se seroit bien gardé d’y retomber dans celui de ses deux ouvrages, qui fut publié le dernier.

Il faut dire cependant, ou qu’il n’y a pas de faute dans Gregoire de Tours, ou qu’il y a fait deux fois et en differens tems une faute grossiere, en donnant la date de la mort du plus illustre de ses prédecesseurs. La faute seroit de telle nature, qu’elle ne pourroit être imputée qu’à lui ? Comment la rejetter sur les copistes ? C’est de la négligence qu’on leur reproche ordinairement, et non pas de la mauvaise foi. Or l’inattention peut bien faire mettre quelquefois un chiffre numéral pour un autre chiffre numéral, mais elle ne sçauroit faire écrire en deux endroits differens, le nom de deux consuls pour celui de deux autres consuls, ni marquer avec précision, le rapport de la date de l’évenement principal, avec la date des années du regne d’Arcadius et d’Honorius.

Plusieurs sçavans néanmoins se sont inscrits en faux contre cette date. Monsieur Gervaïse prévôt de l’église de saint Martin de Tours prétend que ce saint est mort, non pas en quatre cens quatre-vingt-dix-sept, mais dès l’année quatre cens quatre-vingt-seize. Il écrit dans sa vie de saint Martin[4]. » La premiere année du regne d’Arcadius & d’Honorius ayant commencé le seiziéme Janvier de l’année trois cens quatre-vingt-quinze, jour de la mort de Théodose le Grand, leur pere, la seconde a dû aussi commencer au seiziéme Janvier de l’année trois cens quatre-vingt-seize, & Saint Martin decedé en Novembre a dû être mort cette même année ? » Il n’est pas possible néanmoins de transporter à l’année trois cens quatre-vingt-seize le consulat d’Atticus et de Caesarius, qui suivant le rapport que toutes les tables des Fastes consulaires qui nous sont restées, ont avec l’ère chrétienne, ne furent consuls qu’en l’an de grace trois cens quatre-vingt-dix-sept.

Aussi n’est-il pas nécessaire de faire une pareille transposition, pour trouver que saint Martin est mort la seconde année du regne d’Arcadius et d’Honorius. Il suffit de supposer que Gregoire de Tours a compté les années du regne de ces princes par années révolues, et non point par années courantes. C’est ainsi qu’il calcule les années de l’épiscopat de saint Martin dans le passage qui vient d’être cité[5]. Alors on trouvera, comme nous l’avons déja dit, que saint Martin sera mort dans le mois de novembre de l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept. Il sera mort quand ces princes, qui ne monterent sur le thrône que le seiziéme janvier de l’année trois cens quatre-vingt-quinze, comptoient encore la deuxiéme année de leur regne en calculant par années révolues.

Le Pere Pétau, dont le nom seul prévient en faveur du sentiment qu’il veut établir, fait deux objections contre la date dont il est ici question, et la premiere paroît d’autant plus solide, qu’elle émane de l’astronomie. Il est certain, dit ce sçavant homme, que saint Martin est mort un dimanche, et que ce dimanche étoit un onziéme jour de novembre, puisque c’est l’onziéme jour de novembre que l’église de Tours et les autres églises célebrent la fête de saint Martin absolument dite, ou le jour de sa mort. Or en l’année de Jesus-Christ trois cens quatre-vingt-dix-sept, l’onziéme jour de novembre n’échéoit pas en dimanche, mais en mercredi. L’apôtre des Gaules étant donc mort certainement un dimanche, il faut qu’il soit mort en une autre année qu’en trois cens quatre-vingt-dix-sept. Ainsi saint Martin doit être mort en l’année quatre cens, la nuit du samedi au dimanche, qui cette année-là étoit un onziéme de novembre, ou bien il doit être mort en quatre cens-un, la nuit du dimanche au lundi, qui cette année-là étoit l’onziéme jour de novembre. Le texte de Gregoire De Tours laisse la liberté d’opter entre ces deux nuits-là.

La seconde des objections qui se trouvent dans les ouvrages du Pere Pétau, est que Sévere Sulpice qui a vécu long-tems sous la direction de S. Martin, a écrit que ce saint avoit survécu seize ans au concile tenu à Tréves sous l’empire du tyran Maximus, pour juger Ithacius sur la conduite qu’il avoit tenue dans l’affaire des Priscillianistes. Or comme ce concile fut assemblé sous le consulat d’Evodius qui remplit cette dignité en l’année trois cens quatre-vingt-six, il s’ensuit que saint Martin ne sçauroit être mort plûtôt qu’en l’année quatre cens-un.

Il se trouve encore dans Sévere Sulpice, et même dans Gregoire de Tours quelques autres dates de faits particuliers, lesquelles ne quadrent pas avec la date de la mort de notre saint, telle qu’elle se trouve dans les deux passages de ce dernier auteur qui ont été rapportés. Ces contradictions ont été recueillies par les sçavans qui ont discuté le plus exactement la matiere dont il s’agit.

Je dirai en répondant à la premiere objection, qu’elle n’est point aussi solide qu’elle le paroît d’abord, et cela, parce qu’elle est fondée sur la fausse supposition, que l’église célebre le jour de la mort de saint Martin l’onziéme de novembre. Cela n’est point. La fête que l’église celebre ce jour-là, n’est point la fête anniversaire du passage de saint Martin à une meilleure vie, mais bien la fête anniversaire de son inhumation. Elle est in depositione, et non pas in transitu beati martini. Entrons en preuve.

Il est dit dans le préambule des actes du premier concile de Tours qui commença ses séances le dix-huitiéme novembre de l’année quatre cens soixante et un. « Plusieurs évêques s’étant assemblés à Tours pour y assister à la fête qui s’y célebre en mémoire de la réception du corps de saint Martin. » Ce saint étant mort à Candes le dimanche huitiéme novembre de l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept ; et il est très-vraisemblable que son corps n’ait été apporté à Tours que trois ou quatre jours après son décès, et qu’il ait été inhumé le même jour qu’il y arriva, dans la crainte des inconvéniens qui seroient arrivés, si l’on eût tardé à l’inhumer. Cette crainte aura été d’autant mieux fondée, que les Poitevins prétendoient que les reliques de l’apôtre des Gaules leur dussent appartenir, qu’on ne les avoit enlevées que par surprise, et que dans ce tems-là on inhumoit encore en France les morts à visage découvert et hors des villes.

D’ailleurs, ce qui suffiroit seul à prouver ce que nous avons avancé, Gregoire De Tours lui-même dit positivement que la fête anniversaire que l’église fait l’onziéme novembre en l’honneur de s Martin, se célebre en mémoire de la déposition ou de l’inhumation de notre saint. On va lire les propres paroles dont se sert cet auteur dans l’endroit de son Histoire, où il fait mention de l’église bâtie sur le tombeau de l’apôtre des Gaules par saint Perpéte l’un de ses successeurs. C’est le même évêque de Tours dont nous avons souvent fait mention dans cet ouvrage, sous le nom de Perpetuus, et qui est connu en Touraine sous ce nom François.

» La fête solemnelle de cette Eglise rassemble en un seul jour trois fêtes anniversaires ; celle qui se fait en mémoire de la Dédicace de l’Eglise, celle qui se fait en mémoire de la Translation du Saint, & enfin celle qui se fait en mémoire de son Sacre. Toutes ces fêtes réunies se célebrent le quatriéme Juillet[6]. » Aussi célebroit-on autrefois trois messes solemnelles le quatriéme jour de juillet. On peut lire dans Gregoire de Tours ce qui fut cause que ces trois solemnités se trouverent réunies. Cet auteur va reprendre la parole. » Quant à la déposition de Saint Martin, la mémoire de cer évenement se celebre l’onziéme jour de Novembre. » Cela n’empêchoit que le jour de la mort du saint arrivée le dimanche huitiéme de novembre, il ne se fît suivant les apparences, une vigile à son tombeau.

Le religieux de l’abbaye de Marmoustier Lez-Tours, auteur de l’écrit intitulé Louanges de la Touraine, et abregé de la vie de ses archevêques, et qui a vêcu dans le treiziéme siecle, dit mot pour mot la même chose que l’historien ecclesiastique des Francs. On trouve l’ouvrage de ce religieux dans l’édition de l’histoire de Gregoire de Tours, que Bouchel nous a donnée.

Quant à la seconde objection que plusieurs sçavans ont faite contre la date de la mort de saint Martin donnée par Gregoire de Tours dans les deux passages qui ont été rapportés au commencement de cette discussion, et qui consiste à dire que cette date ne quadre point avec les dates de plusieurs faits particuliers lesquelles se trouvent dans Sévere Sulpice et dans Gregoire de Tours lui-même, je suis pleinement de l’avis du Pere Le Cointe. Il faut corriger toutes ces dates, de maniere qu’en les rétablissant on les concilie avec la date de la mort de saint Martin que Gregoire de Tours certifie dans les deux endroits de son ouvrage où il en parle expressément. En effet, s’il est constant que Severe Sulpice a été disciple de saint Martin, il est aussi très-vrai que lors qu’il nous indique la date de quelques évenemens particuliers de la vie de saint Martin, ce n’est, pour ainsi dire, que par occasion qu’il parle du tems de la mort de cet évêque, et moins pour nous apprendre en quelle année elle arriva, que pour nous dire que saint Martin ne voulut pas depuis le concile de Tréves assister à aucune assemblée d’évêques, quoiqu’après ce concile il eut encore vêcu un grand nombre d’années. Sévere Sulpice quand il écrivoit dans cette intention, n’aura point calculé bien exactement les années qui pouvoient s’être écoulées depuis le concile de Tréves, jusques à la mort de saint Martin. Pour ce qui regarde Grégoire de Tours, n’est-il pas mille fois plus probable que les copistes ayent alteré les chiffres numeraux des dates qui ne quadrent point avec celle qu’il a lui-même établie expressément et en comptant par consuls, qu’il ne l’est que cet historien se soit trompé sur les consuls ? Car, comme nous l’avons observé déja, s’il y a faute dans ces deux endroits, elle retombe nécessairement sur lui, elle ne sçauroit être rejettée sur ses copistes. Ces dates rebelles, si j’ose m’exprimer ainsi, auront été alterées, comme la date de la mort d’Euric l’a été du consentement de tous les critiques, et comme l’a été encore, de leur consentement unanime, la date de l’élévation de Licinius à l’épiscopat de Tours. C’est ce que nous exposerons plus bas. Comme notre discussion n’est déja que trop longue, je supplie le lecteur de trouver bon, que pour la conciliation de toutes ces dates particulieres, je le renvoye au livre du Pere Le Cointe, à celui de Monsieur Anthelmi, enfin à celui de Monsieur Gervaise.

Ce fut donc vers l’année quatre cens quatre-vingt-dix-huit que Volusianus mourut dans le pays de Foix, où il étoit relegué. Verus son successeur eut la même destinée que lui. » Verus, dit notre historien, fut le huitiéme évêque de Tours, & le cinquiéme successeur de saint Martin. La réputation d’être attaché aux interêts des Francs, laquelle avoit rendu Volusianus son predécesseur suspect aux Visigots, leur rendit aussi Verus très-suspect. Ils le releguerent, & il mourut dans le lieu de son exil après un Pontificat de onze ans & huit jours. » Ainsi Verus ayant été élû en quatre cens quatre-vingt-dix-huit, il sera mort en cinq cens neuf, et avant que Clovis, qui étoit encore en guerre avec les Visigots cette année-là, les eût obligés à mettre en liberté ce prélat qu’ils avoient relégué dans quelque lieu éloigné de son diocèse. Suivant le récit de Gregoire de Tours, il paroît que Verus fut exilé peu de tems après son élection, ainsi j’ai cru devoir placer son histoire immédiatement après celle de Volusianus. On verra encore dans la suite d’autres évêques persecutés par les Gots pour le même sujet qui leur avoit fait releguer les deux prélats dont nous venons de parler, et qui n’étoient point, suivant les apparences, les seuls de leur parti.

  1. Hist. lib. 1, cap. 43.
  2. Hist. lib. 1, cap. 32.
  3. Gr. Tur. Histor. 1. cap. 84.
  4. Pag. 370.
  5. De Mir. lib. 1 cap. 3.
  6. Vie de St. Mar. par Gervaise, page 264.