Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 4/Chapitre 8

LIVRE 4 CHAPITRE 8

CHAPITRE VIII.

Reduction des Armoriques à l’obéïssance de Clovis, & Capitulation des Troupes Romaines avec lui. Epoque tirée du Baptême de Clovis. Qu’il faut lire Armoriques, & non pas Arboriques, dans l’endroit de l’Histoire de Procope, où il est fait mention de ces évenemens.


Il est tems de reprendre le fil de l’histoire de Clovis, et de rapporter ce que nous pouvons sçavoir encore concernant les progrès qu’il fit dans les Gaules, immédiatement après son baptême. Ce fut durant l’année qui le suivit que les provinces confédérées se soumirent à la domination de ce prince.

Ce fut aussi dans cette même année que les troupes reglées qui restoient à l’empire dans les Gaules, passerent au service du roi des Saliens, et qu’elles remirent à ce prince en lui prêtant le serment de fidelité, les pays qu’elles avoient jusques là gardés au nom de Rome, c’est-à-dire les pays qui sont entre la Loire et le Loir, ainsi que quelques contrées adjacentes, et peut-être le Berry ; je dis peut-être le Berry, parce qu’il paroît qu’en l’année cinq cens six le Berry, ou du moins une partie de cette cité, étoit sous la domination des Visigots. Tétradius son évêque est un de ceux qui ont souscrit les actes du concile[1] tenu dans Agde cette année-là, sous le bon plaisir d’Alaric second. Il se peut faire aussi que le Berry ayant été remis aux Francs dès l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, Alaric leur en eût enlevé du moins une partie au commencement du sixiéme siecle, et avant l’année cinq cens six. Cette occupation aura peut-être été l’une des causes qui fit prendre les armes à Clovis en l’année cinq cens sept contre les Visigots.

Nous avons vû que c’étoit dans tous ces païs-là que les troupes romaines s’étoient comme concentrées, parce qu’ils étoient la frontiere des provinces obéïssantes et des provinces confédérées du côté des visigots et du côté des bourguignons. Mais avant que de faire lire ce que Procope a écrit des deux grands évenemens dont je parle, je crois qu’il est à propos de faire souvenir le lecteur de la maniere dont est amenée la digression dans laquelle cet auteur nous donne l’histoire abregée de l’établissement de la monarchie Françoise dans les Gaules.

Procope ayant omis d’expliquer dès le commencement de son histoire de la guerre commencée par Justinien en l’année cinq cens trente-cinq contre les Ostrogots d’Italie, en quel état l’Europe se trouvoit alors, cet écrivain se voit obligé lorsqu’il lui faut parler de la part que les Francs prirent à cette guerre, à faire une digression pour exposer qui étoient ces Francs, de quel pays ils étoient sortis, de quelle maniere ils s’étoient rendus maîtres des Gaules, et de quelle maniere enfin ils s’étoient établis dans le voisinage de l’Italie. Ainsi la digression de Procope contient un récit abbregé de tout ce que les Francs avoient fait depuis qu’ils eurent commencé à s’établir sur la rive gauche du Rhin qui étoit du territoire de l’empire, jusqu’à l’année cinq cens trente-six, qu’ils prirent part à la guerre que Justinien faisoit en Italie contre les Ostrogots.

On peut diviser la digression de Procope en deux chapitres ou en deux parties, et cela en composant la premiere du récit de tout ce que firent les Francs depuis leur premier établissement dans les Gaules jusques à l’année cinq cens qu’ils s’allierent avec les Ostrogots contre les Bourguignons ; et la seconde partie, de tout ce qu’ils firent depuis cette alliance jusqu’à l’année cinq cens trente-six qu’ils s’interesserent dans la querelle de Justinien avec les Ostrogots.

La premiere partie de la digression de Procope se subdivise naturellement en deux sections, dont la premiere contient le récit de ce que les Francs avoient fait depuis leur premier établissement dans les Gaules jusqu’à la réduction des Armoriques. La seconde section de ce premier chapitre contient et le récit de cette réduction, qui, comme le remarque Procope, fut la principale cause de l’agrandissement de Clovis, et le récit de ce qui se passa depuis jusqu’à l’alliance de ce prince avec les Ostrogots en l’année cinq cens.

Quoique j’aye déja rapporté par fragmens la premiere section du premier chapitre de la digression de Procope, je crois cependant devoir transcrire ici tout ce premier chapitre en entier. Le lecteur voyant ainsi d’un seul coup d’œil l’idée génerale que Procope donne des progrès des Francs depuis leur premier établissement dans les Gaules, jusques-à l’exécution pleine et entiere de la capitulation que firent les troupes Romaines avec eux, il en sera mieux en état de juger si le plan de mon ouvrage quadre avec l’idée que nous donne de la fondation de la monarchie Françoise, un historien qui avoit de la capacité, et qui avoit vû en Italie, où il étoit secretaire de Bélisaire le géneral de Justinien, plusieurs Francs et plusieurs Romains contemporains de Clovis.

» Je vais expliquer quelle étoit la premiere habitation de ces Francs connus autrefois sous le nom de Germains, de quelle maniere ils s’étoient rendus maîtres des Gaules, & ce qui les avoit fait devenir ennemis des Ostrogots. » Procope commence ensuite cette exposition par donner une notion generale de la Partie Occidentale de l’Europe, & dès qu’il l’a donnée, il continuë ainsi : » Le Rhin avant que de se jetter dans l’Ocean forme plusieurs marécages, où habitoient autrefois les Germains connus aujourd’hui sous le nom de Francs. Cette Nation étoit encore peu célebre dans ces tems-là. Elle confinoit d’un côté avec les Armoriques, qui de même que tous les autres Peuples des Gaules & de l’Espagne, avoient été dans les tems précedens Sujets de l’Empire Romain. A l’Orient des Armoriques habitoient les Turingiens, Nation Barbare, à qui Octavius Cesar, le premier des Empereurs qui ait porté le nom d’Auguste, avoit permis de s’établir dans cette Contrée. En marchant du côté du Midi, on trouvoit à quelque distance du Pays des Turingiens, les Provinces que tenoient les Bourguignons. Plus avant dans les Gaules, c’est-à-dire, plus près de la rive gauche du Rhin que ne l’est le Pays des Turingiens, étoit la contrée tenuë par les Suéves & par les Allemands, Nations libres, puissantes & qui ne reconnoissoient point l’Empire. Il étoit encore arrivé que les Visigots avoient envahi le territoire de l’Empire Romain & qu’après plusieurs hostilités, ils s’étoient rendus ses Maîtres & même Souverains de l’Espagne, & de celles des Provinces des Gaules qui sont au Couchant du Rhône. Les Armoriques néan » moins étoient demeurés tes Alliés des Romains ausquels ils fournissoient des troupes auxiliaires. Les Francs qui confinoient avec les Armoriques, voulaient se prévaloir des troubles qui surviennent ordinairement dans un Etat où l’on a introduit une nouvelle forme de gouvernement, afin de les soumettre à leur domination. D’abord les Francs se contenterent de vexer les Armoriques par des courses, afin de les amener au but ; mais voyant bien que ces incursions ne suffiroient point pour cela, ils leur firent la guerre dans toutes les formes. Tant qu’elle dura, les Armoriques montrerent beaucoup de courage & d’attachement aux interêts de l’Empire : Enfin les Francs s’étant convaincus qu’ils ne pouvoient point exécuter leur projet par la voie des armes, ils eurent recours à celle de la négociation ; & ils leur proposerent d’unir leurs deux Nations par une alliance qui les rendît en quelque sorte un seul & même Peuple. La proposition fut acceptée, parce que les Francs qui la faisoient étoient Chrétiens, & que les Armoriques à qui on la faisoit étoient aussi Chrétiens, & la puissance où cette Nation jumelle se trouve parvenuë aujourd’hui, est le fruit de l’union dont je parle. Les troupes Romaines qui étoient postées sur la frontiere du pays que l’Empire tenoit encore dans les Gaules, se voyant ainsi coupées & ne pouvant pas d’un autre côté se résoudre à se jetter entre les bras des Ariens à qui elles faisoient tête, elles prirent le parti de capituler avec les Francs & les Armoriques, au service de qui elles passerent, & à qui elles remirent le Pays confié à leur garde. Les Soldats de ces troupes conserverent la maniere de faire le service en usage dans la Milice Romaine, & même ceux qui les ont remplacés, observent encore aujourd’hui cette discipline. Lorsqu’ils sont commandés, c’est toujours selon l’ordre reglé dans l’ancienne Matricule[2], & ils ne marchent que dans les cas où ceux à la place desquels ils sont enrollés, auroient été en tour de marcher. Quand ces légions se mettent en bataille, c’est sous des enseignes subordonnées les unes aux autres, & pareilles en cela aux enseignes qu’elles avoient avant leur capitulation avec les Francs & les Armoriques. Enfin elles observent en tout leur ancienne discipline. Elles sont toujours armées comme vêtuës à la Romaine, & même le simple Soldat y porte encore cette espece de chaussure particuliere au simple Soldat Romain, & connuë sous le nom de Caliga. Pour mettre mieux le Lecteur au fait de ma narration ; il faut le faire souvenir que tant que la Ville de Rome se maintint dans son ancien état, l’autorité de ses Empereurs fut toujours reconnuë dans une partie des Gaules, laquelle s’étendoit même jusques au Rhin ; mais après qu’Odoacer se fut rendu maître par force de cette Capitale de l’Occident, il ceda les droits de l’Empire sur les Gaules aux Visigots, qui s’étoient emparés de toutes celles des Provinces de cette vaste Contrée qu’ils avoient pû occuper, de maniere qu’ils avoient étendu leurs quartiers jusques aux Alpes, qui la séparent de la Ligurie. » Procope a raison d’ajouter cet éclaircissement à sa narration. En effet, comme nous l’avons vû, ce fut cette cession faite d’abord par Julius Nepos, puis confirmée un an après par Odoacer, et contre laquelle tous les Romains des Gaules se révolterent, qui donna lieu à la confusion où tomba leur patrie vers l’année quatre cens soixante et seize, et les progrès des Francs, dont notre historien rend compte, furent une suite de cette confusion.

Si Procope ne parle que de la cession faite par Odoacer, et s’il ne dit rien de celle que Julius Népos avoit faite un an auparavant, c’est parce qu’il écrit un abregé, ou peut-être pour rejetter entierement sur un roi barbare la faute qu’un empereur partageoit du moins avec lui. Les détails que cet historien rapporte concernant le service des troupes Romaines qui prêterent serment de fidelité à Clovis, semble marquer qu’il y avoit parmi elles et des troupes de campagne et des troupes de frontiere. Comme il a écrit soixante ans après l’évenement dont il s’agit, et comme il avoit pû voir, lorsqu’il étoit encore en Italie, des Francs et des Romains qui en avoient été témoins oculaires, les moindres circonstances dont il rend compte, sont dignes d’une grande attention, d’autant plus que c’est lui seul qui peut nous instruire aujourd’hui de ce point de l’histoire de l’établissement du royaume des Francs, dans laquelle il n’y en a pas de plus important. Ces évenemens arriverent, comme on le va voir, en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, et quand Clovis avoit déja regné seize ans.

Procope ne dit point, il est vrai, en quelle année les Armoriques et les troupes Romaines qui gardoient les frontieres des Gaules contre les ariens, c’est-à-dire, contre les Visigots et contre les Bourguignons, se soumirent au roi des Francs. Il se contente de nous apprendre que les Francs étoient déja chrétiens lorsque cet évenement arriva. Heureusement il nous est resté une chartre de Clovis qui nous instruit de deux choses. La premiere, est que Clovis comptoit en même-tems la seiziéme année de son regne, et la premiere année d’après son baptême. La seconde, c’est que Clovis comptoit aussi en même-tems et la premiere année d’après son baptême et la premiere année d’après la soumission des Gaulois  : ainsi cette chartre précieuse nous enseigne que la soumission des Gaules à ce prince, est un évenement qui appartient à l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Entrons en preuve et commençons par rapporter les endroits de cette chartre qui font foi sans avoir besoin d’aucun commentaire, que la premiere année du christianisme de Clovis, se rencontroit avec la seiziéme année de son regne.

J’ai déja parlé de l’autenticité de la vie de S. Jean De Reomay, écrite par Jonas, et que le Pere Rouyer jesuite nous a donnée dans son histoire de l’abbaye du Moutier-Saint-Jean. Or nous lisons dans cette vie : » On ne sçauroit douter de l’extrême considération que les Rois des Francs contemporains de saint Jean de Reomay avoient pour lui, quand on jette seulement les yeux sur leurs Chartres qui se gardent dans le Trésor de son Abbaye, & par lesquelles ces Princes accordent tant de bienfaits au Serviteur de Dieu. » Cela dispose à croire sans peine que parmi ces chartres il y en avoit une octroyée par Clovis, qui, comme on l’a vû, fut un des rois Francs contemporains du saint personnage Jean. Aussi le Pere Rouyer en raporte-t-il une qu’il dit être tirée du cartulaire de l’abbaye du Moustier-Saint-Jean, et qui est intitulée Ordonnance de Clovis. On peut voir cette chartre dans son livre imprimé en mil six cens trente-sept. Quand bien même nous n’aurions pas une expedition plus autentique de cette chartre, nous ne laisserions pas d’être en droit de la citer avec quelque confiance, mais nous l’avons en original. C’est la premiere piece d’un livre imprimé en mil six cens soixante et quatre, intitulé : Recueil de plusieurs pieces curieuses pour l’histoire de Bourgogne, par Monsieur Perard doyen de la chambre des comptes de Dijon ; et l’auteur nous assure qu’il a fait la copie de la chartre de Clovis qu’il nous donne, sur l’original même de cette chartre conservée dans les archives, dont la garde est confiée à la compagnie, de laquelle il se trouvoit alors le doyen. Voici les endroits essentiels de cette piece.

» Clovis Roi des Francs & Personnage illustre : Qu’il soit notoire à tous les Evêques, &c. Que le saint Homme Jean si connu par ses bonnes œuvres, étant venu la premiere année que nous avons fait profession du Christianisme & que les Gaulois ont reconnu notre autorité, mettre sous notre protection son Monastere situé dans le lieu dit Tornatrinse, afin qu’il fût désormais sous notre sauvegarde & sous celle des Rois nos Successeurs, nous croyons devoir pour meriter de plus en plus les faveurs célestes, lui octroyer sa demande. » Clovis dit ensuite, qu’il a fait expédier les presentes lettres signées de sa main, afin qu’il fût notoire à tous presens et à venir qu’il a octroyé au saint homme Jean sa demande, qu’il lui a donné encore differens droits et franchises, et qu’il entend que le monastére de Reomay demeure toujours sous la protection et sauvegarde des rois ses successeurs. La date de la chartre est : « Donné à Reims le vingt-neuviéme decembre en la cinquiéme indiction. » On y lit ensuite. Moi, Anachalus, j’ai remis cette chartre la seiziéme année du regne du grand Clovis. » En voilà suffisamment pour montrer que la premiere année du christianisme de Clovis, et la seiziéme année de son regne, se rencontrerent. Or cette année est la même que l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Clovis est mort en cinq cens onze[3], la trentiéme année de son regne, comme le dit Grégoire de Tours, à la fin du second livre de son Histoire. Ainsi Clovis a dû commencer son regne en quatre cens quatre-vingt-un, et supposé qu’il l’ait commencé le premier janvier de cette année-là, car nous n’avons aucune notion ni du jour ni du mois qu’il parvint à la couronne, la seiziéme année de son regne, se rencontrera parfaitement avec l’année de Jesus-Christ, quatre-cens quatre-vingt-dix-sept. Ainsi cette année et celle de la date de la chartre, quadrent très-bien. Ce calcul est encore confirmé par une circonstance décisive, et qui se trouve dans notre chartre. Il y est dit que l’année où l’on se trouvoit quand elle fut expediée, étoit la cinquiéme de l’indiction courante, et l’on peut voir dans le glossaire latin de Monsieur Du Cange[4], que l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, a été réellement la cinquiéme année d’une indiction. On sçait de quel poids doit être une pareille preuve dans le cas dont il est ici question. Enfin, j’ajouterai que plusieurs manuscrits de Gregoire de Tours portent, que ce fut l’année quinziéme de son regne que Clovis eut contre les Allemands la guerre dans laquelle se donna la bataille de Tolbiac, et par consequent que ce fut à la fin de cette année-là, que se fit la cérémonie du baptême de ce prince. L’auteur des Gestes dit encore dans tous ses manuscrits, que la bataille de Tolbiac et la conversion de Clovis sont deux évenemens qui appartiennent à la quinziéme année du regne de ce prince ; c’est-à-dire, à l’année de Jesus-Christ quatre cens quatre-vingt-seize. Or puisque la quinziéme année de Clovis quadre avec l’année quatre cens quatre-vingt-seize, comme nous l’avons vû, il s’ensuit que sa seiziéme année quadre avec l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept de Jesus-Christ.

Dès qu’il est constaté que la seiziéme année de Clovis revient à l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept de l’ère chrétienne, il est clair que ce fut dans cette derniere année que les Armoriques et les troupes Romaines qui gardoient la Loire se soumirent à Clovis. En effet la chartre associe la date du baptême de Clovis, ainsi que la date de ces deux autres évenemens, avec la seiziéme année du regne de Clovis, en énonçant que la supplication du S. Homme Jean, laquelle donnoit lieu à l’expedition de cet acte, avoit été faite l’année premiere d’après le baptême de Clovis, et d’après la soumission des Gaulois. Suivant la narration de Procope, la capitulation des troupes Romaines avec Clovis, a dû suivre de près la réduction des Armoriques à l’obéïssance de ce prince.

Il est vrai qu’on pourroit faire sur ce point-là une difficulté en disant ; selon la date apposée à la chartre, elle est du vingt-neuviéme decembre de l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Or ce jour-là l’on ne devoit plus compter la premiere, mais la seconde année d’après le baptême de Clovis, puisque Clovis reçut ce sacrement le vingt-cinquiéme decembre de l’année quatre cens quatre-vingt-seize. On pourroit faire plusieurs réponses à cette difficulté, mais je me contenterai d’en alleguer une. C’est qu’il y a si peu de tems entre le vingt-cinquiéme et le vingt-neuviéme de decembre, qu’il se peut très-bien faire que saint Jean De Reomay eût mis son monastére sous la protection du roi des Francs quelques jours avant Noël, et que cependant l’acte qu’il demandoit ne lui ait été expedié que le premier jour ouvrable après Noël ; c’est-à-dire, le vingt-neuviéme decembre.

En attribuant ce que dit notre chartre de la soumission des Gaulois, à la soumission des Armoriques, et des troupes Romaines, deux évenemens assez importans pour en faire une espece d’époque, puisque Procope dit formellement que ce fut au premier que les Francs eurent la principale obligation de leur agrandissement, notre chartre n’est plus exposée à aucune contradiction, elle n’est plus sujette aux soupçons qui tombent sur les actes anciens qu’on ne sçauroit expliquer que par des interprétations ou forcées ou purement arbitraires. Aussi toutes les contradictions que la chartre dont il s’agit peut avoir reçûës venoient-elles de ce que ce diplome avoit été mal expliqué, parce qu’on avoit supposé que la phrase, la soumission des Gaulois, fût rélative à des évenemens qui certainement ne sont point arrivés la premiere année après le baptême de Clovis, ni par consequent la seiziéme année après son avenement à la couronne des Saliens.

En effet, les notes dont le Pere Rouyer, qui autant que je puis le sçavoir, est le premier éditeur de cette chartre, a bien voulu l’accompagner, se trouvent plus propres à faire douter de son autenticité qu’à la prouver, parce que cet auteur faute d’avoir connu à quels événemens de la vie de Clovis, il falloit appliquer la phrase la premiere année d’après la soumission des Gaulois, en fait une application qui n’est point soutenable d’autant qu’elle est contredite par la chronologie. Or une chartre mal expliquée passe aisément pour une chartre fausse.

Le Pere Rouyer donc, après avoir allegué que dans plusieurs auteurs les Gaulois dits absolument, signifient les Gaulois de celles des provinces des Gaules qui portoient le nom de Lyonnoises, ajoute : » Je ne doute point que la soumission des Gaulois que la Chartre place dans la même année que le Baptême de Clovis, ne doive s’entendre de ce qui arriva immédiatement après la conversion de ce Prince, lorsqu’il défit Gondebaud & qu’il le contraignit à se rendre son Tributaire. Clovis qui n’étoit maître auparavant que d’une partie de la Gaule Lyonnoise, la subjugua en entier alors, &’il s’empara même de la Ville de Lyon. » Comme il est aisé de convaincre de fausseté une telle supposition par les Fastes seuls de Marius Aventicensis, où l’on voit clairement que ce ne fut qu’en l’année cinq cens, c’est-à-dire, trois ou quatre ans après le baptême de Clovis, que ce prince fit la guerre à Gondebaud, il a dû résulter d’une pareille explication, plusieurs soupçons contre l’acte mal expliqué. L’autenticité de la chartre en question aura donc paru suspecte à plusieurs sçavans, parce qu’elle contenoit, suivant cette interprétation, des faits qui ne pouvoient être conciliés avec les faits certains de notre histoire. Comme on vient de le voir ; ce fut la quatriéme année et non la premiere année d’après son baptême que Clovis fit la guerre à Gondebaud. Je ne sçais point si quelques-uns de ces sçavans ont mis leurs doutes par écrit, ou s’ils se sont contentés de les expliquer de vive voix. Ce que je sçais, c’est que leurs doutes ont donné lieu à Monsieur Pérard de dire dans une note qu’il a fait imprimer immédiatement après notre chartre : Quelques personnes dont j’estime la censure, ont eu de la peine à confeniir à la verité de cette Chartre sur des conjectures d’Histoire assez plausibles. Mais outre qu’elle se trouve originale dans la chambre des Comptes de Dijon, en la maniere qu’elle est ici rapportée, c’est qu’il y a titre pour justifier qu’on s’en est servi il y a plus de trois cens ans, & qu’elle a été reconnue en justice. Cet auteur cite ensuite quelques occasions où la chartre de Clovis a été reconnue pour autentique dans les tribunaux, et il rapporte encore une chartre de Clotaire Premier, où il est énoncé qu’il confirme le contenu dans celle de son pere Clovis.

Notre explication est propre à dissiper toutes ces difficultés. En admettant cette explication très-plausible par elle-même, les faits que la chartre contient servent autant que le lieu même où cet instrument se trouve déposé et que les autres preuves d’autenticité qu’il porte avec lui, à montrer qu’il est une piece dont la verité est incontestable.

Je ne vois qu’une difficulté qu’on puisse faire désormais avec quelque fondement sur ce sujet-là. C’est que le lieu où l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean est bâtie, n’a point été sous la domination de Clovis. Ce lieu est dans la cité ou diocèse de Langres, et le diocèse de Langres appartenoit aux Bourguignons six ans après la mort de Clovis, puisque Grégoire évêque de Langres souscrivit au concile tenu à Epaone en cinq cens dix-sept, sous la protection et par les soins de leur roi Sigismond.

Il est vrai que tant que Clovis a vécu, le diocése de Langres a toujours été sous la domination des Bourguignons ; mais l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean qui est bâtie à l’extrêmité septentrionale de ce diocèse, comme l’observe le Pere Daniel[5], pouvoit bien être sur le territoire de Clovis. Quoique les Bourguignons tinssent la ville capitale de la cité de Langres et la plus grande partie du plat-pays de cette cité, il pouvoit bien se faire que les Francs en eussent occupé quelque canton après le désastre de Syagrius. Nous l’avons observé déja, dans des revolutions pareilles à celle qui arriva pour lors, les bornes légales des provinces et des autres districts, ne sont pas toujours respectées : elles ne sont pas toujours celles qui limitent les acquisitions des conquerans. Ils les étendent jusques aux fleuves, aux montagnes et aux autres bornes naturelles, capables par elles-mêmes d’arrêter les progrès d’un vainqueur. Quoiqu’il en ait été, il sera toujours certain que l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean étoit du moins voisine de la frontiere des Francs. Ainsi elle pouvoit très-bien tenir des terres et d’autres possessions dans les pays de l’obéïssance de Clovis. On sçait d’ailleurs qu’une abbaye bâtie sur les liziéres d’un Etat, a presque autant de besoin de la protection du prince avec le territoire de qui elle confine, que de celle du souverain du lieu où elle est assise.

Après avoir constaté la date de la réduction des Armoriques et des troupes Romaines à l’obéissance de Clovis, il me reste encore à faire deux observations sur ces évenemens. La premiere, sera pour en montrer la vraisemblance : et la seconde, pour rendre raison de la correction qu’on fait ordinairement dans le texte de Procope, en y lisant les Armoriques, au lieu des Arboriques.

Quant à l’union des Armoriques avec les Francs, je me flatte qu’après avoir fait quelques réflexions sur l’histoire de la confédération Maritime, on trouvera probable que les peuples qui étoient entrés dans cette ligue, se soient enfin unis avec les Francs dans les circonstances où l’on a vû que les uns et les autres ils associerent leurs fortunes. On pourra peut-être avoir plus de peine à concevoir que des troupes Romaines ayent pû se résoudre à passer au service d’un roi barbare. Les trois réflexions que je vais faire à ce sujet, rendront l’évenement très-vraisemblable.

Clovis étoit véritablement un roi barbare ; mais quoiqu’il n’eût point encore été fait consul, il ne laissoit point d’avoir déja une commission de l’empire, telle qu’elle pût être. Ainsi l’on peut conjecturer que les troupes Romaines qui gardoient la Loire, lui auront prêté serment en cette qualité.

En second lieu, les troupes Romaines qui servoient dans les Gaules durant le cinquiéme siecle, n’étoient pas des légions composées de citoyens nés au-delà des Alpes, ni de soldats élevés à l’ombre du Capitole, dans le sein des pénates de la république, et qui lui fussent aussi dévoués que l’étoient les légionaires, qui durant les sept premiers siecles de l’Etat, fondé par Romulus, avoient porté les armes pour son service, et qui presque tous avoient leurs domiciles dans les environs de Rome ou même dans Rome. La plûpart des soldats des troupes qui servoient encore sous ses enseignes ; et principalement ceux des troupes de frontieres, étoient nés dans les Gaules, dans l’Illyrie, dans la Germanie, dans l’Espagne, et dans d’autres provinces où leurs peres tenoient des bénefices militaires, et le plus grand nombre d’entr’eux n’avoit jamais vû, ni le Tibre, ni le Capitole. Nous avons remarqué dès le premier livre de cet ouvrage, que depuis Caracalla tous les citoyens des Etats soumis à l’empire, joüissoient du droit de bourgeoisie romaine, et qu’ils pouvoient par conséquent entrer dans les légions. D’ailleurs le nom de Rome avoit cessé à la fin du cinquiéme siecle, d’être un nom si respectable. Rome autrefois la reine du monde, n’étoit plus qu’une ville conquise et assujettie par les Ostrogots. Est-il donc si surprenant après ce qui vient d’être exposé, que les troupes Romaines qui servoient dans les Gaules en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, et dont les soldats nés la plûpart dans cette heureuse contrée, ne vouloient ni quitter leur profession, ni abandonner les établissemens qu’ils avoient dans leur patrie, ayent prêté à un prince victorieux un serment qui ne faisoit encore que les attacher à lui un peu plus étroitement qu’ils ne l’avoient été jusques-là. On a vû encore dans notre premier livre que long-tems avant Clovis les troupes Romaines qui étoient destinées à la deffense des Gaules, et dont les quartiers étoient dans ce pays-là, avoient déja la réputation d’être peu affectionnées au Capitole, et de chercher les occasions de se cantonner.

En effet, et c’est ma troisiéme réflexion, long-tems avant Clovis, et quand la monarchie Romaine étoit encore très-florissante, des légions du nombre de celles qui servoient dans les Gaules, ont prêté serment de fidelité à une puissance qui s’élevoit, je ne dis pas contre l’empereur regnant, mais contre l’empire. Durant la guerre que Civilis fit à l’empire sous le regne de Vespasien, plusieurs légions Romaines prêterent le serment militaire à l’empire des Gaules ; vain titre qu’une bande de rebelles attroupés donnoit à son phantôme de monarchie. Mais sans nous engager davantage dans ces discussions, citons deux exemples qui seuls rendroient très-croyable le fait dont il s’agit d’établir la vraisemblance.

Procope rapporte que lorsque Théodoric roi des Ostrogots se fût rendu maître de Rome, il y conserva les cohortes qui servoient de gardes aux empereurs, et qui faisoient à-peu-près le même service que faisoient les anciens prétoriens. Le roi des Ostrogots fit donner aux soldats dont il est question, la même subsistance qu’ils avoient sous les derniers Cesars : Croira-t’on que ce prince ne se fût point fait prêter serment de fidelité par les troupes qu’il voulut bien continuer d’entretenir. Passons au second exemple.

Isidore De Séville auteur né dans le sixiéme siecle, dit en parlant de Sisébutus qui monta sur le trône des Visigots en six cens douze, et dont le pouvoir fut reconnu dans toute l’Espagne. » C’est sous le regne de Sisébutus que les Visigots parvinrent au comble de leur fortune, car ce fur alors qu’après avoir soumis la terre, ils firent encore respecter leur Pavillon sur la mer, & qu’ils réduisirent à porter les armes pour leur service, ces Soldats Romains qui avoient donné autrefois la loi aux Nations, & de qui les Peuples de l’Espagne l’avoient eux-mêmes reçûë. »

Rendons compte maintenant des raisons que nous avons eûës pour lire dans le texte de Procope les Armoriques, au lieu des Arboriques. Comme M De Valois et la plûpart des sçavans qui ont eu l’occasion de parler de ce peuple-là, ont fait dans le texte de Procope la même correction que nous, et qu’ils y ont lû Armorici, au lieu d’Arborici, je ne serois point entré en aucune explication sur ce point-là, si le Pere Daniel qui a écrit depuis eux[6], n’avoit pas épousé le sentiment opposé au leur, et soutenu qu’il y avoit dans les Gaules sous le regne de Clovis, une nation nommée réellement les Arboriques.

Je dirai donc en premier lieu, qu’aucun auteur ancien, si l’on en excepte Procope, ne dit qu’il y ait eu jamais dans les Gaules non plus qu’ailleurs un peuple nommé Arborique. Cluvier, qui nous a donné tant d’excellens livres sur la géographie ancienne, s’explique en ces termes : » Personne n’a pû découvrir encore où étoient ces Arboriques, que Procope dit avoir été Sujets de l’Empire Romain en des tems antérieurs à ceux dont il écrivoit l’Histoire. Ce qui est certain, ajoûte notre Géographe, c’est que Procope entend parler dans cet endroit de son Livre, de quelque Peuple des Gaules. «  Si Cluvier n’a pas porté plus loin ses recherches sur les Arboriques, c’est qu’il ne faisoit point la description de la Gaule dans celui de ces ouvrages, où il dit ce qu’on vient de lire, mais bien la description de la Germanie.

Le Pere Daniel, il est vrai, assigne à ses Arboriques un territoire dans la Gaule, et il les place entre la Meuse, l’ocean, et l’Escault, dans la carte géographique qu’il a mise à la tête de son histoire. Mais cette position n’est pas soutenable. Nous avons huit ou dix notices ou recensemens des Gaules, composées sous les derniers empereurs. Quoiqu’il y soit fait un dénombrement assez exact des peuples qui habitoient la seconde Belgique, où devoit être le pays que le Pere Daniel assigne aux Arboriques pour leur demeure, il n’y est fait aucune mention de ces Arboriques, qui devoient néanmoins être un peuple nombreux. Enfin, si dans le cours du cinquiéme siecle il se fût établi dans les Gaules quelque peuple étranger appellé Arborique, et qui eût été aussi puissant que l’étoient les Armoriques lorsqu’ils s’associerent avec les Francs sous le regne de Clovis : pourquoi Sidonius Apollinaris n’en auroit-il point parlé, lui qui s’est plû tant de fois à faire, soit en prose, soit en vers, l’énumération de tous les barbares qui se cantonnoient dans cette grande province ? Pourquoi n’en trouveroit-on rien dans Salvien, ni dans Avitus, ni dans aucun autre auteur que Procope ? Enfin, pourquoi si les Arboriques eussent été placés à l’extrémité de la seconde Belgique, leur association avec les Francs, auroit-elle mis dans la nécessité de capituler avec Clovis, les troupes Romaines postées sur la Loire qui étoit la frontiere du territoire de l’empire du côté où il confinoit au pays tenu par les ariens, c’est-à-dire, par les Visigots et par les Bourguignons.

Aussi voyons-nous que les auteurs étrangers ou François qui ont écrit depuis que le Pere Daniel a eu publié le premier volume de son histoire, et qui ont eu occasion de parler des Arboriques, n’ont pas laissé de suivre la correction presque géneralement reçûë, et qu’ils ont écrit les Armoriques.

L’illustre M Leibnits dit dans son traité sur l’origine des Francs. » Les Arboriques, qui comme nous l’apprenons de Procope se soumirent aux Francs, n’étoient point une Nation particuliere, quoique le Pere Daniel & d’autres Ecrivains l’ayent cru. Ces Arboriques étoient les Peuples des Gaules lesquels habitoient sur la rive droite de la Loire & sur la côte de la mer dans laquelle se jette ce Fleuve, & qui avoient vécu autrefois sous la domination des Romains. A cet égard, je suis du sentiment de M. de Valois ; d’ailleurs Zosime tranche la difficulté, lorsque dans son sixiéme Livre, il désigne par le nom d’Armoriques, les Peuples dont il s’agit. C’est là probablement que Procope a pris son nom d’Arboriques, en alterant un peu celui d’Armoriques. »

Monsieur Hertius un des jurisconsultes du droit public les plus estimés en Allemagne, dit positivement dans sa notice de l’ancien royaume des francs, qui fut publiée par son fils en mil sept cens treize, qu’il est de l’avis de M De Valois et qu’il faut lire dans Procope, les Armoriques.

Un autre sçavant de la même nation, M Eccard qui nous donna en mil sept cens vingt, une nouvelle édition de la loi Salique et de la loi des Ripuaires, les deux loix suivant lesquelles la nation des Francs a été gouvernée sous les deux premieres races de nos rois, dit à propos d’une faute du Pere Daniel, qui fait venir les Ripuaires des Arboriques. » Les Arboriques ont été sans aucun doute, le même Peuple que les Ecrivains de l’antiquité nomment les Armoriques, dont le Pays étoit le long de la Loire, & s’étendoit jusqu’à l’Ocean. Si le Pere Daniel qui a tant de lumiere avoit lû Procope avec plus d’attention, & s’il eût ensuite conferé ce qu’écrit l’Historien Grec, avec ce qui se trouve dans Gregoire de Tours, il n’auroit pas manqué d’appercevoir la verité. »

Le pere Lobineau dit dans le second volume de son Histoire de Bretagne imprimé en mil sept cens sept. » Il y aura peut » être bien des gens qui ne voudront pas se persuader que les Arboriques de Procope soient les mêmes que les Armoriques, mais en verité la difference des noms n’est point assez grande pour imaginer sur un fondement si leger je ne sçais quelle Nation d’Arboriques ou d’Arbouches dans l’Allemagne & dans le Brabant. Ce que dit Procope, que ces Arboriques étoient à l’extrémité des Gaules, qu’ils étoient Chrétiens, qu’ils étoient à craindre aux Francs, & qu’il y avoit auprès d’eux des Ariens, ne peut convenir à aucune Nation du Brabant & de l’Allemagne, & convient parfaitement aux Armoriques. Il reste à répondre sur la difference des noms, mais quand elle seroit plus grande, l’éloignement des lieux, la diversité des Langues, & peut-être un manque d’exactitude, ont pû faire tomber Procope dans cette surprise. Au reste ce changement de l’M en B, est fort naturel comme on peut le voir par ce passage d’Aeschile, &c. »

Je ne crois pas néanmoins que Procope ait écrit lui-même Arborici pour Armorici, et je pense que cette faute doit être imputée à quelque copiste, qui l’aura commise d’autant plus aisément que les lettres courantes, dont les Grecs se sont servis long-tems encore après Procope, pour l’m et pour le b, étoient deux caracteres qui se ressembloient si fort qu’il étoit facile de s’y tromper et de prendre l’un pour l’autre dans le manuscrit que l’on transcrivoit. On peut voir dans la paléographie grecque du sçavant Dom Bernard De Montfaucon, que l’m ne differoit du b, figuré à peu près comme un u, que parce qu’elle avoit un jambage. Un copiste pressé aura omis ce jambage, et il aura fait d’Armorici, Arborici. C’est donc à l’aide d’un changement si leger qu’il mérite à peine le titre de correction, qu’on rend très-clair le passage de Procope, qui ne sçauroit être bien expliqué autrement. Nous sçavons par ce moyen quelle fut la fin de cette république des Armoriques, dont Zosime nous a raconté l’origine, dont Salvien nous parle comme d’un Etat subsistant encore en quatre cens cinquante, dont l’auteur de la vie de saint Germain-L’Auxerrois, nous apprend les malheurs, et dont Sidonius et Prosper disent aussi quelque chose. Enfin ce passage de Procope entendu, comme on vient de l’expliquer, nous met au fait de ce qu’ont voulu dire l’auteur des Gestes et Hincmar, lorsqu’immédiatement après avoir parlé du mariage de Clovis, fait vers l’année quatre cens quatre-vingt-treize, ils ont écrit l’un et l’autre. « Dans ce tems-là Clovis étendit son royaume jusques à la Seine, mais ce ne fut que dans les tems posterieurs qu’il l’étendit jusques à la Loire. » En effet, Clovis dont le pouvoir avoit été reconnu par les provinces obéissantes dès quatre cens quatre-vingt-treize, comme nous l’avons exposé, ne soumit qu’après son baptême, suivant Procope, et les Armoriques et les soldats Romains qui gardoient contre les Visigots plusieurs pays voisins de la Loire. Ainsi ce ne fut qu’en quatre cens quatre-vingt-dix-sept qu’il étendit son royaume jusques à ce fleuve.

Il me reste encore une chose à dire en faveur de notre correction, si petite quant au changement qu’elle fait dans la leçon de Procope, et d’une si grande importance quant à notre histoire ; c’est qu’il se trouve dans le texte de cet historien beaucoup d’autres noms propres mal écrits, et qu’il est nécessaire du consentement de tout le monde, de rétablir. Nous n’irons pas bien loin pour en chercher des preuves. Dans le même passage dont il est ici question, on lit le Po, où certainement Procope avoit mis le Rhône. Cet auteur qui avoit été long-tems en Italie sçavoit trop bien que le Po étoit un fleuve de ce pays-là, et non point un fleuve des Gaules. Si la faute de mettre Arborici pour Armorici, est faite plus d’une fois dans notre passage, celle d’avoir écrit Eridani pour Rhodani, et d’avoir ainsi fait du Rhône le Po, s’y trouve aussi repetée plusieurs fois.

Nous parlerons encore dans la suite de cet ouvrage, d’autres noms propres défigurés par les copistes de Procope. Ces copistes Grecs ayant vécu dans les derniers tems de l’empire de Constantinople, il n’est pas étonnant qu’ils ayent eu assez peu de connoissance de la géographie des Gaules, pour estropier le nom des villes, des fleuves et des nations de cette vaste contrée.

Je finirai ce chapitre par une conjecture que Vigner fait sur la réduction des Armoriques à l’obéissance de Clovis. La voici : » Ils avoient été incités par leurs Evêques à se ranger sous la loi des François plûtôt que des Visigots par les causes alleguées ci-dessus. En confirmation de quoi plusieurs ont écrit que S. Mélaine Evêque de Rennes[7] fut fort familier, voire un des Conseillers, du Roi Clovis, ce qui ne pouvoit être vrai s’il avoit été Sujet d’un autre Roi & non de lui. » Il seroit bien inutile après tout ce que j’ai dit des Armoriques, d’avertir le lecteur qu’il ne faut point les confondre comme l’ont fait quelques auteurs modernes, avec les Bretons Insulaires qui vinrent s’établir dans les Gaules, un petit nombre d’années après la réduction des premiers à l’obéissance de Clovis. Nous parlerons plus au long de ces Bretons Insulaires, qui n’ont rien eu de commun avec les Armoriques, si ce n’est d’avoir occupé une portion de la patrie des derniers.

  1. Sirm. Conc. Gall. tom. pr. 174.
  2. Vid. Procop. Hoeschelii, pag. 184.
  3. Petav. Rat. temp. Part. 1 lib. 7. cap. 3.
  4. Cangi. Gl. Lat. rom. pr. pag. 211.
  5. Préface Histor.
  6. Edition de 1696. p. 67. Edition de 722. pag. 19.
  7. Ancien Etat de la petite Bret. pag. 93