Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 4/Chapitre 11

LIVRE 4 CHAPITRE 11

CHAPITRE XI.

Récit des évenemens de la guerre de Clovis & de Theodoric contre Gondebaud Roi des Bourguignons, tel qu’il se trouve dans Procope. Que Clovis n’a point fait deux guerres differentes contre les Bourguignons. Que Theodoric garda plusieurs cités des Gaules conquises durant la guerre qui se fit contre Gondebaud, en l’année cinq cens.


Si Gregoire de Tours n’a point jugé à propos de rapporter ceux des évenemens de la guerre de Clovis et de Theodoric contre Gondebaud, qui concernoient particulierement les Ostrogots, Procope de son côté a jugé à propos de ne faire qu’une mention très-superficielle de ceux de ces évenemens qui concernoient les Francs en particulier. Il se contente d’en raconter avec quelque détail les évenemens qui faisoient une partie des annales de la nation des Ostrogots, parce qu’ils avoient profité de ces évenemens-là, pour s’emparer de plusieurs cités des Gaules qu’ils tenoient encore actuellement lorsque l’empereur Justinien leur fit la guerre dont notre auteur écrivoit l’histoire. Voilà pourquoi j’ai cru devoir faire lire séparément le récit de Gregoire de Tours et le récit de Procope, afin de montrer mieux ensuite, que bien que nos deux historiens ne se rencontrent gueres, ils ont néanmoins parlé de la même guerre dans les endroits de leurs ouvrages que j’employe ici.

Procope immédiatement après avoir donné l’extrait du traité de ligue conclu entre les Francs et les Ostrogots contre les Bourguignons, ajoute : » En conséquence de ce Traité, le Roi des Francs se mit en campagne avec de nombreuses troupes, & il entra hostilement dans le Pays des Bourguignons. Theodoric au contraire se contenta de hâter en apparence les préparatifs de la campagne qu’il devoir faire de son côté, tandis qu’il donnoit des ordres secrets d’agir lentement, afin d’avoir le loisir de voir quels feroient les premiers succès de l’expédition de son Allié. Ce ne fut donc qu’à l’extrémité qu’il mit ses troupes en marche : Il ordonna même à ceux qui les commandoient de ne s’avancer qu’à petites journées, jusqu’à ce qu’ils eussent été informés du succés des armes des Francs. Voilà quels furent les premiers ordres que reçurent les Generaux de Theodoric. Leurs seconds ordres étoient de faire des marches forcées, s’ils apprenoient en route que les Francs eussent défait les Bourguignons ; mais que s’ils apprenoient que les Bourguignons eussent défait les Francs, ils s’arrêtassent au lieu même où ils se trouveroient, quand ils en recevroient la nouvelle. Les Generaux de Theodoric étoient donc encore en marche lorsque les Francs livrerent seuls bataille aux Bourguignons. Le combat fut opiniâtré, & ce ne fur qu’après beaucoup de résistance que les Bourguignons furent défaits. Les Francs poursuivirent leur ennemi jusqu’à l’extrémité du Pays qu’il occupoir. C’étoit là qu’il avoit ses meilleures Places, & lorsqu’il s’y fut jetté, les Vainqueurs s’emparerent du reste de ses Etats. Dès que les Ostrogots eurent appris que les Francs étoient victorieux, ils se hâterent de les joindre. Les Francs ne manquerent pas de reprocher aux Ostrogots la lenteur de leur marche. Votre peu de diligence, dirent-ils, a été cause que nous avons eu affaire à toutes les forces de l’ennemi commun. Les Ostrogors après s’être excusés sur le vilain tems qu’ils avoient eu, & sur les mauvais chemins qu’ils avoient trouvés dans la route, offrirent de payer le dédomagement ou l’espece d’amende que la teneur du Traité les condamnoit à payer. Les Francs accepterent l’offre, & après avoir touché l’argent des Ostrogots, ils les mirent en possession du Pays, qui suivant ce même Traité devoit leur demeurer. Dans toute cette entreprise Theodoric fit bien connoître sa prudence, puisque moyennant une somme d’argent assez modique, il conquit sans exposer la vie de ses Sujets, une portion considérable du territoire de son ennemi. C’est ainsi, dit Procope, en parlant relativement à ce qu’il venoit d’écrire touchant les Ostrogots, & à ce qu’il avoir déja écrit précedemment concernant les progrès des Francs & ceux des Visigots : » Que les Francs & les Gots s’emparerent d’une partie des Gaules. »

Quels furent les pays dont Theodoric se mit alors en possession. Ce fut la ville de Marseille et la province Marseilloise prises sur les Visigots par les Bourguignons après la mort du roi Euric. Ce fut à l’exception de la ville d’Arles, qui, comme on l’a déja vû, demeura au pouvoir des Visigots, et qui appartenoit encore à leur roi Alaric second en cinq cens trois, et qui suivant la vie de S. Césaire, passa immédiatement des mains des Visigots en celles des Ostrogots, tout le pays renfermé entre la Durance, les Alpes, la Mediterranée et le bas-Rhône. En effet, on verra lorsque nous en serons à l’année cinq cens sept, que Marseille et les places voisines étoient déja cette année-là au pouvoir des Ostrogots. Or comme aucun auteur ancien ne dit en quelle année précisément Theodoric conquit sur Gondebaud Marseille et les cités adjacentes, on ne sçauroit mieux placer cette conquête qu’en l’année cinq cens, et cela d’autant plus que Procope écrit positivement que dans la guerre qui se fit cette année-là entre Theodoric et Gondebaud, Theodoric se rendit maître d’une portion considérable des Etats de Gondebaud. Ainsi ç’aura été durant cette guerre que Theodoric se sera fait dans les Gaules une petite province, dont nous le verrons dans la suite étendre encore les limites, à la faveur d’autres conjonctures.

Il est vrai que le Pere Laccary et plusieurs autres historiens ont cru que Theodoric n’avoit jamais été souverain de son chef dans la partie des Gaules dont il s’agit. Ils soutiennent qu’elle faisoit encore une portion de la monarchie des Visigots, la cinquiéme année du sixiéme siecle, et que Theodoric n’y fut le maître durant plusieurs années qu’au nom et en qualité de tuteur de son petit-fils Amalaric roi des Visigots, lorsque cet enfant eût perdu son pere Alaric second tué par Clovis dans la bataille donnée à Vouglé en cinq cens sept. Ils alleguent pour appuyer leur sentiment que parmi les évêques qui ont souscrit les actes du concile tenu dans Agde en cinq cens six sous le bon plaisir d’Alaric second, il y en a plusieurs qu’on sçait avoir eû leurs sieges en Provence, et qui n’y auroient point assisté si ces sieges n’avoient pas été encore dans ce tems-là sous la domination d’Alaric.

Cette raison ne me paroît pas bien fondée. La regle qu’on suppose generale, et qui vouloit que les évêques n’assistassent point aux conciles nationaux tenus dans un autre Etat que celui dont ils se trouvoient sujets, n’étoit pas, comme nous le dirons ailleurs, une regle sans exception. Or si elle a pû en souffrir une, ç’a été à l’occasion du concile tenu dans Agde en sept cens six sous le bon plaisir d’Alaric souverain de cette ville-là. Theodoric étoit originairement de même nation qu’Alaric. Theodoric étoit beau-pere de ce prince, et comme nous le verrons, son fidele confederé. Ainsi le roi des Ostrogots aura bien pû permettre aux évêques de cinq ou six diocèses qu’il tenoit alors dans les Gaules et qui n’étoient point en assez grand nombre pour tenir un concile national en leur particulier, de se rendre au concile d’Agde pour y conferer et statuer conjointement avec leurs collegues, sujets d’Alaric, sur les besoins communs de leurs églises.

D’un autre côté l’on trouve dans les lettres de Cassiodore plusieurs choses qui font voir que ce n’a point été comme tuteur d’Amalaric, mais à titre de conquerant que Theodoric a agi en maître dans la province Marseilloise et dans la partie des Gaules dont il est ici question. Rapportons quelques-unes de ces lettres, et commençons par celle que Theodoric lui-même adresse à tous les citoyens de la province qu’il tenoit dans les Gaules, et dans laquelle il leur donne part de la nomination qu’il venoit de faire du senateur Gemellus, pour exercer par interim l’emploi de préfet du prétoire d’Arles, et leur enjoint d’obéir à ce magistrat. On verra dans la suite que Gemellus, ce qui est important ici, étoit déja en place dès cinq cens huit, quand les Francs firent le siege d’Arles sur les Ostrogots, qui s’étoient saisis de cette ville immédiatement après la mort d’Alaric second, mais pour la conserver au fils de ce prince.

» Il faut, dic Theodoric, vous soumettre sans répugnance à la forme du gouvernement en usage dans l’Empire Romain dont, après en avoir été séparés long-tems, vous voilà enfin redevenus une portion. Puisque la Providence a daigne vous affranchir du joug que vous portiez, il convient que vous re » preniez les mœurs des Citoyens Romains, & que vous vous défassiez des mauvaises habitudes que vous avez prises tandis que vous étiez sous les Barbares. Oubliez donc entierement la ferocité que vous pourriez avoir contractée avec eux, à present que vous voilà Sujets d’un Prince aussi respectueux envers les loix que nous le sommes. Pour concourir de notre côté à cet heureux changement autant qu’il nous l’est possible, nous avons jugé à propos de nommer pour régir votre Province en qualité de Vicaire de la Préfecture des Gaules, Gemellus, personnage considerable, & dont la fidelité & la capacité nous sont suffisamment connues. Vous obéirez donc sans y faire faute, à tous les ordres que vous recevrez par son canal »

Nous avons plusieurs lettres adressés par Theodoric à notre Gemellus, qui, comme on le verra, étoit certainement vicaire de la préfecture des Gaules dès l’année cinq cens huit, mais qui peut l’avoir été dès l’année cinq cens. Elles contiennent des ordres, soit à l’occasion du siege que Clovis mit devant Arles en cinq cens huit, soit à l’occasion des besoins de la ville de Marseille, soit à l’occasion des incidens arrivés dans les Gaules tandis qu’il y exerçoit la préfecture du prétoire par interim Nous en ferons usage dans la suite. Ici nous nous contenterons de rapporter le contenu de la dépêche que ce prince lui écrivit lorsqu’il lui confera un emploi si délicat.

« Suivez si fidellement vos instructions, c’est Theodoric qui parle : Que votre Province reconnoisse que vous êtes le Lieutenant d’un Prince dont les sentimens sont vraiment Romains. Après les maux qu’elle a soufferts, elle a besoin d’une administration également ferme & prudente. Faites donc en sorte qu’elle se sçache bon gré d’avoir été conquise, & pour cet effet, qu’elle n’endure plus rien de tout ce qu’elle a souffert dans les tems où elle étoit réduite à souhaiter inutilement de vivre sous la domination Romaine. »

Si Theodoric n’eut commandé dans cette partie des Gaules que comme tuteur d’Amalaric, si, comme on l’a cru, il n’eut été le maître dans ce pays-là, que parce que les Visigots y auroient reçû ses troupes après la bataille de Vouglé, afin qu’elles le gardassent contre les Francs, les Visigots en seroient toujours demeurés les veritables proprietaires. Theodoric auroit-il donc pû dire dans cette conjoncture, comme nous venons de voir qu’il le dit dans deux lettres : que cette province avoit changé depuis peu de domination ; qu’après avoir gemi long-tems sous le joug des barbares, elle étoit retournée sous le gouvernail de Rome, en un mot, qu’elle avoit été conquise les armes à la main ? Est-il même à croire que ce prince, s’il n’eut été qu’administrateur du pays dont il s’agit, y eût changé la forme du gouvernement établi par Euric, et qu’il y eut destitué les officiers Visigots pour installer des officiers Romains en leur place ?

Enfin, si Theodoric n’eut été que l’administrateur de la province des Gaules dont il est ici question, si son petit-fils Amalaric, le fils et le successeur d’Alaric second tué à Vouglé par Clovis en cinq cens sept, en fut toujours demeuré le souverain proprietaire, cette province après la mort de Theodoric seroit retournée sous le gouvernement d’Amalaric, elle auroit suivi le sort de l’Espagne comme de la partie de la premiere Narbonnoise que les Gots sauverent des mains des Francs après le désastre de Vouglé. L’administration perpetuelle de ces pays-là qui avoit été déferée à Theodoric, ayant pris fin à sa mort, ils passerent immédiatement après cette mort sous le pouvoir d’Amalaric. Nous verrons cependant, qu’à la mort de Theodoric[1], la province que ce prince tenoit dans les Gaules entre les Alpes, la Méditerranée, et le Rhône, ne passa point sous la domination d’Amalaric, ainsi que l’Espagne et la premiere Narbonnoise y passerent. Au contraire, la province que Theodoric tenoit entre les Alpes, la Méditerrannée, et le Rhône, eut à la mort de Theodoric la même destinée que les autres états où Theodoric regnoit de son chef. Elle passa ainsi que l’Italie sous la domination d’Athalaric son petit-fils et l’héritier de ses Etats.

Je conclus donc que la province des Gaules que nous venons de désigner, étoit, comme le dit Gregoire De Tours, au pouvoir des Bourguignons, lorsque Theodoric et Clovis leur firent la guerre l’année cinq cens, et qu’elle fut l’acquisition que le roi des Ostrogots fit alors sans effusion de sang, et de la maniere que le raconte Procope.

Quelques historiens ont cru que Clovis avoit fait deux fois la guerre aux Bourguignons, et que la narration de Grégoire de Tours et la narration de Procope, lesquelles nous venons de rapporter, ne sont pas le récit de la même guerre, mais bien les récits de deux guerres differentes. Suivant ces auteurs modernes, Clovis eut pour allié dans la premiere de ces deux guerres, qui est celle dont parle Gregoire de Tours, le roi Godégisile, frere de Gondebaud ; et dans la seconde qui est celle, dont parle Procope, il eut pour allié Theodoric roi des Ostrogots. Les auteurs dont je parle, placent, mais sans marquer précisément en quelle année, la guerre où Clovis eut Theodoric pour allié, après celle où ce prince avoit eu Godégisile pour allié, et qui se fit constamment en l’année cinq cens. C’est déja une espece de préjugé contre la verité de cette seconde guerre, qu’on ne puisse point en trouver l’année. D’ailleurs leur supposition est démentie par le témoignage de l’évêque d’Avanches, dont on ne sçauroit contester la validité, attendu le tems et le lieu où a vêcu celui qui le rend. » L’année même, dit cet Auteur, que Gondebaud avoit été défait auprès de Dijon, c’est-à-dire, l’année cinq cens, il remit une armée sur pied, & vint assieger Vienne où son frere Godégisile se tenoit. Gondebaud après avoir pris la Place, fit tuer son frere, & il fit mourir dans les supplices les plus cruels, un grand nombre de Senateurs & de Bourguignons qui s’étoient déclarés contre lui. Il recouvra donc les Etats qu’il avoit perdus, & il se mit encore en possession de ceux qui avoient appartenu à Godégisile. Gondebaud regna ensuite heureusement jusques à sa mort. » L’évêque d’Avanches ne se seroit point expliqué de cette maniere, si Gondebaud eût essuyé après son rétablissement arrivé l’année cinq cens, une guerre aussi désavantageuse que celle dont parle Procope.

Il est vrai qu’il paroît étrange dès que Procope et Gregoire de Tours ont voulu parler tous deux de la guerre faite en cinq cens aux Bourguignons, que d’un côté Procope n’ait rien dit des liaisons des Francs avec Godégisile, et que d’un autre côté Gregoire de Tours n’ait pas fait mention de l’alliance des Francs avec Theodoric. Mais sans redire ici les raisons que ces historiens auront euës d’en user comme ils ont fait, et que nous avons touchées ci-dessus, ne leur fait-on point commettre une omission bien plus blâmable, quand on veut supposer qu’ils ont entendu parler de deux guerres differentes ? Procope seroit-il excusable de n’avoir rien dit de la premiere guerre des Francs contre les Bourguignons ? Et Gregoire de Tours le seroit-il de n’avoir rien dit de la seconde ?

Enfin je répondrai, que le silence de Gregoire de Tours sur le traité de ligue offensive conclu entre Clovis et Theodoric contre Gondebaud vers l’année cinq cens, ne doit pas plus faire douter de la verité de cette alliance, que ce silence de cet historien sur un pareil traité conclu entre Clovis et Gondebaud l’année cinq cens six contre les Visigots, doit faire douter de la verité de ce second traité[2]. Or l’on verra quand il sera question de la guerre de Clovis contre Alaric, qu’il y eut certainement dans ce tems-là un traité de ligue offensive, conclu entre Clovis et Gondebaud contre les Visigots, quoique Gregoire De Tours ne dise rien de cette alliance.

Nous observerons encore qu’en conferant la narration de Procope avec celle de Gregoire De Tours, on ne laisse pas, nonobstant leurs omissions, de voir que l’un et l’autre ils ont voulu parler de la même guerre. Procope et Gregoire de Tours s’accordent à dire que dès le commencement de la guerre dont ils parlent, il se donna une bataille décisive, dans laquelle les Francs défirent à platte-couture les Bourguignons. Si Gregoire De Tours raconte que Gondebaud après la perte de la bataille de Dijon, ne put faire mieux que de se jetter dans Avignon, qui étoit à l’autre bout de son royaume, et que Clovis ayant mis le siege devant cette place, il fut obligé à le lever ; Procope rapporte aussi que les Bourguignons se sauverent dans les places qui étoient à l’extrêmité de leur pays, après qu’ils eurent perdu la bataille, et que ces places furent leur salut.

Enfin nous sçavons par les actes d’une conference tenue à Lyon sur les matieres de religion en quatre cens quatre-vingt-dix-neuf, et dont nous allons parler, que Clovis qui pour lors se disposoit actuellement à faire sa premiere guerre contre les Bourguignons, s’étoit joint publiquement à un allié qui étoit déja en guerre avec eux[3]. Gondebaud le dit positivement en parlant aux évêques qui étoient de la conference : certainement l’allié qu’il reprochoit à Clovis, n’étoit point Godégisile. Il pouvoit bien veritablement être dès-lors ligué avec Clovis, mais leur union étoit si secrette que Gondebaud qui parle lui-même dans les actes de notre conference de cet allié, déclaré qu’avoit Clovis, ne sçut les liaisons de son frere avec le roi des Francs, qu’après le commencement de la bataille de Dijon. D’ailleurs, quand on fait réflexion à la situation où les Gaules étoient en l’année cinq cens, on voit bien que cet allié de Clovis déclaré dès l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf, ne pouvoit être autre que Theodoric qui depuis quelques années étoit déja en guerre contre Gondebaud. En effet, Alaric roi des Visigots entroit si peu dans cette querelle, que Gondebaud mit comme en dépôt entre les mains de ce prince, les Francs que les Bourguignons firent prisonniers de guerre à la prise de Vienne. Dès qu’il paroît que Theodoric a été l’allié de Clovis dans la guerre que celui-ci fit aux Bourguignons l’année cinq cens, il est inutile d’imaginer une seconde guerre des Francs contre ces barbares, pour appliquer à cette guerre, l’endroit de Procope que nous expliquons.

Le Pere Le Cointe[4] embarrassé par les difficultés que nous avons tâché d’éclaircir, a cru que Procope avoit voulu parler dans cet endroit-là, de la guerre que les fils de Clovis firent aux Bourguignons en cinq cens vingt-trois et quand Theodoric vivoit encore. Mais les circonstances de la guerre que les Francs firent aux Bourguignons en cinq cens vingt-trois, et que nous rapporterons quand il en sera tems, ne quadrent point avec celles qu’on lit dans le passage de Procope dont il est ici question. D’ailleurs, il est sensible par le tissu de la narration de cet historien, que dans le passage qui vient d’être rapporté, il veut parler d’un évenement antérieur à la guerre que Clovis fit contre les Visigots en cinq cens sept, et non pas d’un évenement qui n’est arrivé qu’en cinq cens vingt-trois, et seize ans après la guerre de cinq cens sept.

En effet, Procope dans la digression qu’il fait pour instruire son lecteur de la maniere dont la monarchie des Francs avoit été établie dans les Gaules[5], dit immédiatement après avoir parlé de leur association avec les Armoriques, et du serment prêté par les troupes Romaines, que les Visigots et les Turingiens proposerent à Theodoric de se liguer avec lui pour faire la guerre à Clovis. L’historien ajoute que Theodoric n’écouta point cette proposition, et qu’il aima mieux faire une alliance offensive avec les Francs contre les Bourguignons. Il raconte ensuite l’histoire de la guerre que les Francs et les Ostrogots firent en consequence de cette alliance contre les Bourguignons, et comment il arriva que les Francs combattirent seuls contre l’ennemi commun. Enfin Procope après avoir parlé de la somme d’argent que Theodoric donna aux Francs, conformément aux stipulations du traité qu’il avoit fait avec eux, et après avoir écrit : Voilà comment les Francs et les Gots occuperent une partie des Gaules, ajoute immédiatement ce qu’on va lire. » Dans la suite les Francs dont les forces avoient été considerablement accrues, ne tinrent plus grand compte de Theodoric, & enhardis contre la crainte de ses armes qui les retenoit auparavant, ils oserent bien attaquer Alaric Roi des Visigots. Dès qu’Alaric se vit attaqué, il pria Theodoric de venir à son secours. » Ce qui suit ces paroles dans Procope, est le récit de la bataille de Vouglé, et des autres évenemens de la guerre que Clovis déclara aux Visigots en cinq cens sept. Cette date est certaine, comme nous le verrons dans la suite. Ainsi l’ordre où Procope range les faits qu’il narre, prouveroit seul, s’il en étoit besoin, que la guerre que les Francs et les Ostrogots ont faite conjointement aux Bourguignons, est un évenement antérieur de quelques années à l’an cinq cens sept.

  1. Arrivée en 526.
  2. Voyez ci-dessous.
  3. Se cum inimicis meis sociavit.
  4. Ann. Eccles. Fran. Tom. 1. p. 331.
  5. En 497.