Heures perdues/Strophes à M. Rameau

Imprimerie générale A. Côté (p. 221-226).


STROPHES À M. RAMEAU

(Déclamées à la même séance, du 15 octobre 1888.)

Et vous, noble vieillard, dont les cheveux blanchis
Nous disent l’âge moins que le travail austère,
Père qui vous trouvez au milieu de vos fils,
Merci d’avoir aimé cette lointaine terre.



À la France oublieuse un jour vous avez dit :
« Sur ce sol d’Amérique,
Oublié, méconnu, peine, lutte, grandit
Un rameau d’Armorique.


« Elle a beaucoup souffert malgré de fiers exploits,
Cette race bénie,
Mais elle a su garder tout, tes autels, tes lois,
Et jusqu’à ton génie.


« Elle parle ta langue, et c’est le même sang
Généreux et fécond qui coule dans ses veines,
Et c’est le même espoir, le même effort puissant
Vers le beau, vers le bien, vers les hauteurs sereines.



« Et, grâce au sang des preux, ce peuple surgira,
Brisant tous les obstacles ;
Car la foi sur ces bords lointains — qui le croira !
Fait encor des miracles. »


Et vous avez dit vrai. Vous n’avez pas menti
À la France orageuse.
Seul des Français du temps vous avez pressenti
Notre œuvre courageuse.


Nouveau Jacques Cartier, pour la deuxième fois
Par vous fut découverte une plage inconnue ;
Et la Gaule guidée un jour par votre voix
D’un immortel passé s’est enfin souvenue.



Et lorsqu’elle oubliait, vous seul vous souveniez,
Ami toujours fidèle ;
Dans vos nobles écrits c’est vous seul qui veniez,
Ému, nous parler d’elle.


Et quand vous l’obligiez à se ressouvenir
Au sein de ses orages,
C’est vous qui, nous soufflant l’espoir dans l’avenir,
Ranimiez nos courages.


Vous seul avez conçu dans nos heures de deuil
De nos succès futurs l’espérance hardie.
« C’est le berceau d’un peuple et non pas son cercueil ! »
Disiez-vous en foulant le sol de l’Acadie.



Des bords du Saint-Laurent aux rives de Grand-Pré,
Des vieux suivant la trace,
Vous avez retrouvé, comme un dépôt sacré,
Les dons de votre race,


Et malgré l’abandon, et malgré le mépris
Qui l’avait condamnée,
Vous seul, ô noble ami, vous seul avez compris
L’œuvre prédestinée.


Après plus de vingt ans vous êtes revenu,
Heureux dans votre orgueil de voir ce que nous sommes.
Tout le terrain conquis nous l’avons retenu,
Et les enfants d’alors sont devenus des hommes.



Et ce qu’ont accompli nos pères avant nous,
Nous le ferons de même,
Méprisant qui nous hait et — devoir bien plus doux —
Respectant qui nous aime.


Oui, l’arbre produira des rejetons nombreux
Dans son exubérance,
Car nous savons par vous combien sont vigoureux
Les « rameaux » de la France !