Heures perdues/Le Nicolet

Imprimerie générale A. Côté (p. 227-231).


LE NICOLET


L’humble Nicolet qui descend
À travers vallons et collines
Va mêler ses eaux cristallines
Aux vagues du fleuve puissant.



Sur la croupe de ses falaises,
Penchant sur lui leurs verts rameaux,
Se dressent les pins, les ormeaux,
Les mélancoliques mélèzes.


Comme tout cours d’eau bien noté,
Il a ses îles, ses presqu’îles
Qu’il lèche de ses flots tranquilles
Durant les tièdes nuits d’été.


Après avoir, torrent qui gronde,
Du roc moussu rongé le flanc
Ou baisé, paresseux et lent,
La rive où croit la moisson blonde ;



Après avoir du ciel profond
Reflété les lueurs stellaires,
Et des blancheurs crépusculaires
Argenté son flot vagabond ;


Après avoir dans ses eaux calmes
Réfléchi plus de dix clochers,
Et vu de lourds sapins penchés
Pour plonger dans l’onde leurs palmes ;


Après avoir, dans un détour,
Surpris quelque robuste fille
Mêlant à l’onde qui babille
Sa première larme d’amour ;



Après avoir dans la ravine
De son limon nourri le lin,
Et fait mouvoir du vieux moulin
La bruyante et lourde turbine ;


Il va se perdre en murmurant
Dans les eaux vertes du grand fleuve,
Et croit que lui seul il abreuve
L’immense soif du Saint-Laurent !


Le géant demeure impassible ;
Il n’a pas le moindre reflux.
Que lui fait cette onde de plus ?
Une goutte à peine visible !



Le Nicolet pourrait tarir,
Porter ailleurs dans sa colère
Le tribut de son onde claire ;
Vers le Sud il pourrait courir ;


Le fleuve poursuivrait sa course
Sans même soupçonner jamais
Que le Nicolet désormais
À déplacé son humble source !