Heures perdues/Le Navire allemand

Imprimerie générale A. Côté (p. 199-220).


LE NAVIRE ALLEMAND


Poésie dite par l’auteur à une séance de l’Institut-Canadien de Québec,
le 15 octobre 1888.

Le vent de la tempête à travers la nuit sombre
A cessé sa clameur. Des nuages sans nombre,
Courant dans le ciel noir, par l’orage emportés,
Rasent d’un vol plus lourd les flots moins tourmentés.
L’abîme est au repos, la voûte est sans étoiles ;
Vapeur au fond de cale et brise dans les voiles,

Le vaisseau, fatigué par ce double aiguillon,
Se creuse avec effort un mobile sillon.
Voici plus de huit jours que d’un lointain rivage
Il partit, peint à neuf, pour ce rude voyage :
Voici plus de huit jours qu’entre l’onde et les cieux,
Comme un brûlot battu des vents capricieux,
Et jouet de la vague, il lutte avec adresse
Sans avoir amené ses signaux de détresse.
Il a vaincu la mer dont le vaste roulis
À failli l’engloutir dans ses mobiles plis.
Fatigué du gros temps l’équipage sommeille.
Un puissant réverbère est à l’avant qui veille
Et défend le vaisseau de l’abordage affreux.
À l’arrière quelques marins causent entre eux
Du port qu’ils ont laissé, de la rive lointaine
Où les pousse aujourd’hui la fortune incertaine.
Les autres plus lassés sur le pont sont blottis
Et dorment. C’est la nuit. Sauf le lourd clapotis
De l’onde sur les flancs du navire intrépide,

Le silence est partout. L’astre des nuits, rapide,
Descend vers le couchant, puis l’orient se teint,
Grâce à l’aube qui luit, des blancheurs du matin.
Du continent nouveau portant la bienvenue,
Une troupe d’oiseaux sauvages est venue
De l’horizon brumeux. Hardis et familiers,
Ils viennent sur le pont s’abattre par milliers.
Plus qu’au temps de Colomb ils sont amis de l’homme ;
Sans demander comment le navire se nomme,
Qu’il vienne de Norvège ou des ports du Levant,
Quelque soit le drapeau qui flotte au gré du vent,
Qu’importe du marin le langage ou la race,
Escortant tout joyeux le navire qui passe,
Ils lui font fête, et par leurs cris et leurs ébats
Provoquent sur le pont un joyeux branle bas.
Car ils sont messagers d’une bonne nouvelle ;
L’instinct les a conduits de la terre nouvelle
Au devant du vaisseau qui, pour atteindre au port,
Chauffe avec plus d’ardeur, souffle avec plus d’effort.

Enfin l’homme de quart a lancé le cri : « Terre ! »
C’est le but du proscrit, l’espoir du prolétaire
Qui, vers l’Ouest poussé par un destin fatal,
Fuit pour toujours le ciel de son pays natal.
Terre ! Ce mot magique a remué la foule
Qui sur le pont tantôt désert, malgré la houle,
Se rassemble, se presse, et d’un regard ardent
Sonde les profondeurs du brumeux Occident.
Ce continent nouveau qui sur les flots se lève
Et monte à l’horizon, tous l’ont vu dans un rêve :
Aussi la foule, à l’heure où le couchant rougit,
Salue avec transport la plage qui surgit,


Amérique Amérique ! ô terre libre et belle
Sur qui le ciel sema tous les dons de Cybèle,
Terre où naît, méprisant l’or des vieux écussons,
Une race géante ; où de grasses moissons

Ondulent dans des champs, futurs greniers du monde,
Que le travail nourrit et que la paix féconde ;
Terre de l’industrie et de la liberté,
Nourricière du pauvre et du déshérité,
Qui reçois dans ton sein, ô bienfaisant asile,
Le peuple qu’on pressure et l’homme qu’on exile !
Amérique ! Amérique ! ô sol vierge et fécond
Qu’à travers la distance avait rêvé Colomb,
Terre où — moisson étrange — on voit toutes les races
Renaître de ton sein et peupler les espaces ;
Pays des monts altiers et des fleuves géants,
Des lacs que l’œil trompé prend pour des océans ;
Éden du monde entier, terre libre de chaînes,
Où des peuples nouveaux remplacent les vieux chênes ;
De l’émigration les flots toujours croissants
Vont fonder sur tes bords des empires puissants.
Là-bas dans le Far-West sont des plaines fertiles
Où naissent les hameaux, où surgissent les villes :
Essor prodigieux, l’aigle républicain

Embrasse dans son vol le sol américain,
Tandis que vers le Nord le lion britannique,
Près du voisin jaloux devenu pacifique,
Contemple avec orgueil l’un et l’autre océan
Et jusqu’au pôle a mis sa griffe de géant.
Du vieux monde affamé c’est la Terre Promise :
Les rives de l’Escaut, les bords de la Tamise,
Les champs de Lombardie et les plaines du Rhin
Fournissent leur tribut au nouveau suzerain.
Ici pour oublier leurs anciennes disputes
Et le jeu meurtrier de leurs sanglantes luttes,
De l’ancien continent trois grands peuples rivaux
Poursuivent dans la paix leurs immortels travaux ;
Et dans le noble effort de leur triple génie
La superbe Albion, la blonde Germanie
Et la Gaule héroïque ont sur ces bords lointains
Oublié leur fierté sans mêler leurs destins.
Terre, ce sont les bras oisifs de l’ancien monde,
La sueur du proscrit qui te rendent féconde.

Décimé par le fer, grevé par les impôts,
Ne lui promets-tu pas l’aisance et le repos ?
Regarde ! C’est vers toi que court ce grand navire.
Il ne t’apporte pas l’or pur ni le porphyre,
Ni du midi vermeil les tissus opulents ;
Seul, un peuple en haillons se presse dans ses flancs.
Comme un troupeau qu’on parque ils sont là près de mille ;
L’intimité du bord n’en fait qu’une famille.
Argonautes nouveaux, par de là l’horizon
Ils croient voir briller l’or qui séduisit Jason.
L’Amérique est pour eux la nouvelle Colchide ;
Des vallons embaumés de la blonde Floride
Aux rivages déserts du sombre Labrador
Ces malheureux s’en vont chercher la Toison d’or !


Du vieux monde fuyant la lutte fratricide,
D’où viennent-ils ? Des docks de la bruyante Clyde,

Vont-ils, tentant les flots du superbe océan,
Chercher un gîte aux bords de quelque lac géant ?
L’Irlande aux verts coteaux est-elle leur patrie ?
Viennent-ils du midi, de la rive fleurie
Que baigne avec orgueil le Tage au flot profond,
Ou l’Arno paresseux, le Tibre vagabond ?
Vont-ils troquer, enfants du pays scandinave,
Leur robuste métier pour un travail esclave ?
Marins de Saint-Malo, paysans du Béarn,
Vont-ils, laissant les bords de la Manche ou du Tarn,
— Reprenant le passé — retrouver presqu’au pôle
Les colons oubliés, fils de l’ancienne Gaule ?
Non ! Car l’aigle qui plane au grand mât tristement
Nomme au vaisseau qu’il croise un navire allemand.


Ce fier pays hanté par l’esprit de conquête,
Vrai cauchemar pesant sur l’Europe inquiète,

Ce pays de guerriers farouches et pillards.
N’a pas encore assez, France, de tes milliards.
Ironique destin ! la puissante Allemagne
Qui sur le Rhin rêva les jours de Charlemagne,
Et mire dans ses flots ses drapeaux triomphants,
Voit fuir de leurs foyers ses robustes enfants.
Oui, ceux qu’a réunis la haine de la France,
Bavarois et Saxons qu’une même espérance
— Voir la Gaule écrasée — a rués sur Paris,
Par la sombre misère aujourd’hui sont proscrits.
Ces fiers soldats, l’orgueil de l’invincible armée,
Loin du pays natal s’en vont, troupe affamée,
Fuyant de lourds impôts et de plus lourdes lois,
Au pays de Chactas rêver à leurs exploits.
Ce vainqueur arrogant qui jadis faisait boire.
Son coursier dans les eaux surprises de la Loire,
Fuit la patrie et va, près du Meschacébé,
Sans honte demander, sur la glèbe courbé,
Du pain car il a faim, et la paix, car la guerre,

Minotaure moderne, a décimé naguère
Les familles en pleurs et les foyers en deuil,
Et fait de la Champagne un immense cercueil.
Bourreaux de la Lorraine, oppresseurs de l’Alsace,
Ils ont des bords du Rhin proscrit toute une race,
Et Metz sanglote encor, Strasbourg est frémissant,
Et Sédan veut laver sa honte dans leur sang.
Ils ont, malgré la nuit, vu rayonner la France,
Se relevant sereine et pleine d’espérance,
Et cachant dans les plis de ses nouveaux drapeaux
Un mot qui les effraie et trouble leur repos.
Ô Germains, l’herbe à peine a poussé sur vos tombes
Que vos fils prévoyant les sombres hécatombes
De la lutte à venir, dans un pays lointain
En foule vont chercher un paisible destin.
Ils s’en vont soucieux ; le vaisseau les emporte,
Vieillard aux cheveux blancs ou jeune fille accorte
Qui peut-être là bas laissa, le cœur troublé,
Un amant dans l’armée, un père mutilé…

Ils s’en vont soucieux. Ah ! plus d’un sombre drame
Se lit dans tous ces cœurs ulcérés. Plus d’une âme
Exhale un long sanglot trop longtemps contenu ;
Car ce pays lointain pour eux c’est l’inconnu.
C’est l’inconnu qui s’offre avec tout son mystère
De travaux à poursuivre ou de douleurs à taire,
De fortune à tenter dans ce vaste pays
Qui va bientôt paraître à leurs yeux ébahis.
Mais ce sombre inconnu pour eux vaut mieux encore
Que la guerre qui tue ou l’impôt qui dévore.
Aussi ces exilés, courbant leurs fronts altiers,
Plutôt qu’être soldats sont prêts à tous métiers.
Pourtant de bien des yeux, faiblesses fugitives,
S’échappent, dans la nuit, quelques larmes furtives ;
Plus d’un cœur, s’est gonflé, car plus d’un souvenir
Vers les champs délaissés les a fait revenir ;
C’est qu’on quitte à jamais une terre chérie,
Et, malgré les impôts, c’est toujours la patrie
Qu’on ne voit plus des yeux, mais qu’on porte en son cœur,

Comme un dernier débris de son premier bonheur.
Car malgré les soucis du foyer domestique,
L’homme prend tôt racine à la chaumière antique,
Et l’on quitte toujours le cœur plein de sanglots
Le toit qui nous vit naître et le modeste enclos,
Témoin des premiers jeux et des jeunes années.
Ah ! quand le tourbillon des folles destinées
Sans pitié nous emporte à travers l’avenir,
Le seul bien qui nous reste est de nous souvenir !


Terreneuve aux tons bleus que le couchant décore
Comme un frêle ruban de vapeur que l’aurore
Suspend, superbe artiste, entre l’onde et les cieux,
Fait battre tous les cœurs et fixer tous les yeux.
Déjà, malgré la nuit, le détroit de Belle-Isle
À l’avant se dessine, et le vaisseau qui file

Approche avec lenteur de ces sombres rochers,
Nid des oiseaux de proie et tombeau des nochers.
Pour guider le vaisseau qui lutte dans la brume
La cloche sonne au loin et le phare s’allume.
Le navire y répond par son sifflet strident.
Ô golfe, ô vaste golfe au flot toujours grondant,
Ô l’immense estuaire où se perd le grand fleuve,
Que ton onde soit calme ou que le vent la meuve,
Le regard ébloui de ta sombre grandeur,
En vain cherchant tes bords, admire ta splendeur.
Tu berces le vaisseau sur tes vagues hautaines,
Et quand du jour qui naît les lueurs incertaines
Ont glissé sur les eaux de l’abîme béant,
Le marin croit voguer sur un autre océan !


La rive a disparu ! Sondant en vain l’espace,
Le regard ne voit rien qu’un goëland qui passe,

Traversant l’horizon de son vol fatigué.
Enfin l’homme de quart, le soir a distingué
La changeante lueur d’un lointain sémaphore.
Un seul cri fend les airs : Voici la terre encore !
C’est l’île des sanglots, la sombre Anticosti
Qui surgit. Le navire a soudain ralenti
Sa course ; alerte à bord ! Chacun sur le qui-vive
Voit l’ombre de Gamache errer sur cette rive.
Puis dans le lointain bleu, vers le sud, s’est dressé
Cet étrange granit, le rocher de Percé,
Arche immense où la mer jusque là sans servage
Vient resserrer ses flots pour atteindre au rivage,
Fantasque monument, dont les vastes arceaux
Disent de l’océan les terribles assauts.
Enfin, le fleuve immense a reçu sur son onde
Le navire emportant les pleurs de l’Ancien-Monde.
Ô géant, tu pourrais dans tes flots écumants
À jamais engloutir tous ces blonds Allemands.
Et venger d’un seul coup, ô suprême hécatombe !

Ceux qui, tombés vaincus, sont demeurés sans tombe.
Tu pourrais, sans pitié pour leur folle terreur,
Offrir cet holocauste à leur jeune empereur…
Mais non, tu restes calme, et ta vague docile
Doucement bat les flancs du navire qui file ;
Car dans les profondeurs de la cale sont là,
Suivant dans leur exil tous ces fils d’Attila,
Des femmes que la mer rend pâles, trébuchantes,
Des enfants au berceau dont les plaintes touchantes,
S’échappant vers le ciel à travers les hublots,
Ont calmé ta fureur et fait taire tes flots.
Le navire creusant son mobile sillage
Atteindra sûrement le terme du voyage.


Le jour est revenu. Le fleuve rétréci
Laisse voir de plus près ces deux rives. Ici

C’est le Bic, dont l’agreste et puissante nature
Leur rappelle le Rhin. Plus loin, sombre structure,
Se dresse vers le Nord le cap Éternité.
L’Île Verte apparaît dans toute sa beauté.
Tous contemplent, muets, le spectacle féerique
Qu’offre à leurs yeux surpris ce fleuve d’Amérique
Qui, comme un bras de mer, dans son cours étonnant,
S’enfonce avec audace au cœur du continent.
Dans la brume du soir apparaît la Grosse Isle.
La lunette du bord sur son axe mobile
Vers l’avant est tournée, et bien loin dans la nuit
Le pilote a cru voir le vieux Québec qui luit.
Le vaisseau ne subit aucune quarantaine.
« Pas de malade à bord ! », a dit le capitaine
Qui paraît ignorer dans son rapport menteur
Que ces proscrits ont tous une blessure au cœur !
L’inénarrable ennui de la patrie absente
Défie, ô médecin, ta science impuissante,
Et le Temps, ce grand maître, aux arrêts sans appel,

Pour guérir tous ces cœurs vaut mieux que ton scalpel.
L’officier de santé s’en retourne au rivage.
Le vaisseau reprenant son pénible voyage
Lève l’ancre aux lueurs de ses rouges falots,
Vrais spectres de la nuit qui dansent sur les flots.


Mais déjà de Québec la fière citadelle
À l’aube se dessine, et groupée autour d’elle
La ville nonchalante est endormie encor.
Le canon a troublé la nature qui dort ;
Son tonnerre se mêle au fracas de la Chute
Et sur le flanc des monts deux fois se répercute.
Le mortier de la ville à ce signal répond.
L’ancre glisse en criant. La foule est sur le pont
Et brûle de fouler la terre d’Amérique
Où sans doute l’attend un accueil sympathique,

Car elle a vu flotter sur le Cap Diamant
Un étendard ami déployant fièrement
Des couleurs qu’Albion, cette reine de l’onde,
Promène avec orgueil aux quatre coins du monde.
Aussi l’aurore à peine a coloré les cieux
Qu’on les voit défiler déjà moins soucieux.
Du quartier le plus près, la foule curieuse
Se presse sur le quai, morne et silencieuse,
Afin de voir passer tous ces déshérités
Que sur ces bords lointains la misère a jetés.
Ils approchent déjà. Fibre nationale,
Qui dirà ton pouvoir ? La foule matinale.
Dans ses rangs sent courir de longs frémissements.
Chacun se pousse et dit : « ce sont des Allemands ! »
Alors, ô noir passé, dans nos cœurs tu t’éveilles,
Et sans les insulter nous songeons à Bazeilles,
À Sédan, sombre fosse où faillit s’engloutir,
Sanglant et mutilé, le grand peuple martyr !
Pour les laisser passer la foule leur fait place.

Cette attitude sombre et les trouble et les glace ;
C’est le silence morne au lieu des longs bravos
Qu’ils pensaient soulever dans ces pays nouveaux ;
Car, méprise cruelle et nouvelle souffrance,
L’Allemand sur ces bords a retrouvé la France ;
La France rajeunie et portant sur son front
Un laurier jeune encore et vierge de l’affront ;
Une France nouvelle ayant avec l’ancienne
Communauté d’amour, communauté de haine,
Et qui du vieux pays redoutant l’avenir,
Des maux qu’il a soufferts garde le souvenir.
Ce spectacle imprévu de chagrin les abreuve ;
Ils croyaient saluer sur les bords du grand fleuve
La morgue britannique et le flegme écossais,
Et voilà que soudain le doux parler français
Déchire sans pitié leur oreille teutonne,
Et l’antique fierté gauloise les étonne !
Oh ! foulez sans regrets ce sol hospitalier,
Enfants de Germanie : on peut sans oublier

Offrir à l’étranger l’hospitalité sainte,
Levez vos fronts pensifs et défilez sans crainte.
La France américaine, ô Germains, voit en vous
Non de fiers ennemis ni des vainqueurs jaloux,
Mais de pauvres proscrits qui, les yeux pleins de larmes,
Ont quitté pour toujours le Fatherland en armes ;
Car devant le malheur la froide inimitié
Dans un cœur généreux se fond vite en pitié.
Vous voyant défiler, la foule soulagée
Se dit le ciel est juste et la France est vengée !


Ils ne font que passer. Chauffant pour le départ,
Le train qui les attend va partir sans retard.
La machine de feu déjà brûle l’espace…
Salue, ô Canada, l’Allemagne qui passe
Et va chercher plus loin pour ses fils malheureux
Un plus paisible toit, un sol plus généreux.

Sur le bord des grands lacs, au sein des vastes plaines
Que foulaient les bisons aux sauvages haleines,
Sur la côte où l’orange étend ses grappes d’or,
Dans les sombres forêts dont le sol vierge encor
Va frémir sous l’effort des semences prochaines,
Sur les sommets rocheux où poussent les vieux chênes,
Partout où le destin aveugle les conduit
Le spectre de la France est là qui les poursuit ;
Ou plutôt sa grande ombre en tous lieux les précède
Et comme un cauchemar sans pitié les obsède :
Car devant eux se dresse un étrange passé ;
Où se portent leurs pas nos aïeux ont passé !
Marquette et Joliet, Vérandrye et Lasalle
Font surgir du désert leur œuvre colossale.
Le Germain qu’enivra la clameur des canons
Se trouble au souvenir de ces glorieux noms,
Et lisant nos récits d’héroïque souffrance,
Demande, plein d’émoi : « Qu’est-ce donc que la France ? »
La France est un apôtre, et si vous l’ignorez,

Aux champs américains bientôt vous l’apprendrez.
Trois siècles de travaux sont là pour vous confondre,
Mais la voix des cercueils n’est pas seule à répondre,
Car sur ce sol témoin de tous ses dévouements
Elle n’a pas laissé que de vieux ossements ;
Et tout un peuple né de son souffle héroïque,
Dans son naïf espoir et sa force stoïque,
Resté maître du sol arrosé de son sang,
Repousse vers les lacs l’étranger frémissant.
Et si jamais la France, ardent foyer de gloire,
Sombrait, faisait la nuit aux fastes de l’histoire,
Son génie immortel sur ces bords planera
Et son image sainte en nos cœurs survivra !