Heures perdues/Notre petit Jules

Imprimerie générale A. Côté (p. 143-148).


NOTRE PETIT JULES


Car dans tout berceau
Il germe une tombe.
victor hugo.

À peine a-t-il connu sa mère
Que son œil vient de se fermer.
Dans son existence éphémère
Il n’a pas eu le temps d’aimer !



Il avait appris à sourire,
Quand, de nos caresses jaloux,
Un ange vint tout bas lui dire :
« Petit frère, viens avec nous ! »


Du ciel entrevoyant les charmes,
Avec l’ange vite il partit…
S’il eut pu voir couler nos larmes,
Il serait resté, le petit !


Jamais notre oreille ravie
N’entendra son rire enfantin.
Il repose, pâle et sans vie,
Les lèvres closes, l’œil éteint.



Ils sont pour toujours immobiles
Ces bras qui se tendaient vers nous.
Jamais ses petits pieds débiles
Ne grimperont sur nos genoux !


Dans son étroite bière ouverte
On va bientôt le déposer.
Nous avons sur sa joue inerte
Imprimé le dernier baiser.


Il faut demain qu’il disparaisse,
Malgré nos pleurs, malgré nos vœux.
Le trépas jaloux ne nous laisse
Qu’une boucle de ses cheveux !



La mère par les pleurs brisée
Rassemble les langes épars,
Triste confusion causée
Par le plus triste des départs.


Tableau touchant ! Je vois sa lèvre
Mettre un baiser dans chaque pli
Encore imprégné de la fièvre
Du petit être enseveli.


Je m’approche, je la console,
Moi, pauvre père inconsolé ;
Moi que le désespoir affole,
Qu’étouffe un sanglot refoulé !



Car en sondant la peine extrême
Qui pèse sur mon cœur en deuil
Je sens qu’une part de moi-même
Est là dans ce petit cercueil !


Pauvre berceau ! Le voilà vide
De son fardeau si précieux ;
Une main amie et rapide
L’enlève et le cache à nos yeux.


Mais à la place accoutumée
Le petit berceau reviendra.
Bientôt une figure aimée
Dans ses langes nous sourira !



Pour caresser le petit être
Ensemble nous nous pencherons ;
Ravis, nous croirons reconnaître
L’ange envolé que nous pleurons !

13 juillet 1884.