Heures perdues/Ne pleurez pas

Imprimerie générale A. Côté (p. 85-87).


NE PLEUREZ PAS

sur la tombe de ma sœur juliette

À peine du trépas les ombres solennelles
Ont fait la nuit autour de moi,
Que mon regard ouvert aux splendeurs éternelles
A contemplé Dieu sans effroi.
Lorsqu’on a fait le bien, la mort comme une amie,
Souriante, nous tend les bras…
Pour m’éveiller là haut je me suis endormie,
Vous qui m’aimiez, ne pleurez pas !



Hélas ! je vois couler les larmes de ma mère !
Pour les tarir faites, Seigneur,
Rayonner dans la nuit de sa vie éphémère
L’éclat de l’éternel bonheur.
Dans de beaux jours sans fin, mère chérie, espère.
La mort qui sépare ici-bas
Nous réunit là-haut… je suis près de mon père…
Pauvre mère, ne pleure pas !


Que vois-je ? Est-ce pour moi ces apprêts funéraires,
Ces sombres tentures de deuil !
Quelle cendre renferme, oh ! dites-moi, mes frères,
Le plomb glacé de ce cercueil ?
Qui pleurez-vous ? Pourquoi ce crêpe aux plis funèbres
Emblème trompeur du trépas ?
Pour les cieux rayonnants j’ai laissé les ténèbres…
Frères aimés, ne pleurez pas !



Dieu ! qu’entends-je ? Au milieu de plaintes violentes,
La prière des trépassés
Arrive à mon oreille, et des larmes brûlantes
Réchauffent mes restes glacés !
Élevez vers les cieux votre âme désolée,
Car, m’endormant entre vos bras,
Vers mes deux sœurs du ciel je me suis envolée…
Ô bonnes sœurs, ne pleurez pas !

Janvier 1884.