Imprimerie générale A. Côté (p. 113-116).


MA LAMPE


L’ombre descend des monts et la nuit plus hâtive
Voit trembloter déjà la lumière chétive
Que le pétrole donne au plus humble logis.
Ô toi, par qui le soir je sens mes yeux rougis,
Allume-toi, ma lampe, et d’huile bien pourvue,
Dispense doucement ta lueur à ma vue.
Jette tes feux discrets sans éclat et sans bruit,
Brûle pendant longtemps, brûle toute la nuit,

Car j’ai besoin de toi. Dans ces longues veillées
Au foyer tout flambant les muses réveillées
Voltigent sur mon front rêveur avec amour…
Toujours l’âme s’éveille avec la fin du jour.
Oui, j’ai besoin de toi, car de belles pensées
Vont m’agiter, ce soir, nombreuses et pressées :
Pour suivre leur dictée, il faut que, vrai lutin,
Ma plume sans repos courre jusqu’au matin.
Que ton pétillement, ô flamme vacillante,
Sache activer sa course, hélas ! toujours trop lente ;
Et ne vas pas t’éteindre, amie, avant le jour.
Attends que l’Angélus en sonne le retour.


Ainsi je lui parlais, et la lampe allumée,
Jetant avec sa flamme une brune fumée,
Pétillait avec joie et semblait dire : Ami,
Prends garde ! Avant le jour tu seras endormi !

Puis mon esprit vola vers le pays du rêve,
Et ma plume courut, sans repos et sans trêve ;
Le vers coula rapide, et sous le feu sacré
Je sentis frissonner tout mon être enivré.
Pendant ce temps la lampe, auprès de moi placée,
En éclairant mon front réchauffait ma pensée ;
Témoin de mon travail, son regard vigilant
Voyait le vers éclore en mon cerveau brûlant !
Moments remplis d’ivresse ! Heures délicieuses
Des rêves enchantés, des muses gracieuses !
Ton silence enveloppe, ô belle et calme nuit,
Le poète qui veille et la lampe qui luit !


Mais la fatigue vint. Ma plume nonchalante
Sur le papier courut moins agile et plus lente ;
La muse au léger vol cessa de caresser
Mon front lourd et déjà fatigué de penser,

Et bientôt le sommeil, frère de l’indolence,
Calme enfant de la nuit, hôte aimé du silence,
Me couvrit de son aile, et son charme vainqueur
Vint bercer mon esprit et reposer mon cœur.


Un rêve m’endormit, un songe me réveille.
La muse n’est plus là pour charmer mon oreille.
Jalouse du sommeil qui me fermait les yeux,
Ailleurs elle a porté son vol capricieux.
La nuit est dans mon âme autant qu’à la fenêtre.
Pourtant, premier reflet du jour qui va paraître,
Ma vitre se colore aux lueurs du matin,
Et chargé de sommeil, mon regard incertain
Voit, rivale de l’aube, une flamme encor belle
Obstinément briller. En compagne fidèle,
Éclairant doucement le poète qui dort,
Malgré le jour qui luit, ma lampe veille encor !