Heures perdues/Les Saisons

Imprimerie générale A. Côté (p. 61-63).


LES SAISONS


Au doux soleil de mai naissent les primevères ;
Les champs pleins de parfums se couvrent de gazons,
Et l’oiseau déserteur de nos climats sévères
Arrive par essaims des lointains horizons.
Ainsi quand dans les cœurs la jeunesse palpite
Elle y fait à l’instant éclore les amours ;
L’essaim des doux espoirs les fait battre plus vite,
Emportant plus vite leurs jours.



Au chaud soleil d’Août tombent les blondes gerbes.
Adieu la marguerite aux calices penchants !
De plus robustes fleurs vont émailler les herbes,
De plus acres parfums vont embaumer les champs.
À l’été de la vie ainsi le temps dévore
Des espoirs nés d’hier et mûris à moitié.
L’amour frêle se fane et le cœur voit éclore
La forte fleur de l’amitié.


Sur le ciel gris d’Octobre on voit l’épais bocage
Secouer à regret son feuillage jauni.
Sous les vents déjà froids qui soufflent avec rage
Le fruit tombe de l’arbre et la plume du nid.
Ainsi quand l’homme arrive à sa saison d’automne
Il voit se disperser tous ses espoirs flétris,
Et l’hiver dans son cœur que la vieillesse étonne
N’entassera que des débris !



Quand Décembre grelotte on voit l’orme qui plie
Sous la neige tombée en flocons miroitants,
Et sous son froid linceul la plaine ensevelie,
Frileuse, se dérobe aux baisers des autans.
Ainsi l’homme qui touche au terme de sa course
En vain veut se raidir sous le poids lourd des ans ;
Heureux encor si Dieu lui dérobe la source
Où sont les souvenirs cuisants !


La Nature du moins revient à sa jeunesse
Et reprend ses oiseaux, ses chants et ses gazons,
Tandis que l’homme, lui, courant vers la vieillesse,
Ne passe qu’une fois par ses quatre saisons !
Le gazon se refait, la fleur se renouvelle,
Tout sous le grand ciel bleu chante : resurrexit !
La jeunesse qui fuit malgré qu’on la rappelle
Jamais deux fois ne refleurit !