Heures perdues/Un combat avec ma Muse

Imprimerie générale A. Côté (p. 65-68).


UN COMBAT AVEC MA MUSE


Le beau travail de la pensée
Parfois fatigue mon esprit.
Quand penche ma tête lassée
La muse alerte me sourit.
Autour de l’humble forteresse

Voilà déjà que la traîtresse
Fait résonner tous ses pipeaux.
À cette charge irrésistible
Mon cerveau demeure insensible
Et je reste dans mon repos.


Pour faire un véritable siège
Elle va chercher du secours
Et revient avec son cortège,
Doux pensers, souvenirs, amours.
D’abord, joyeuses et pareilles
À de bruyants essaims d’abeilles
Qui s’échappent de leur prison,
Arrivent de belles pensées,
Complices à l’assaut lancées
Qui me font perdre la raison !



Avec courage je tiens ferme
Contre l’aimable régiment ;
Toujours mon oreille se ferme
À ce joyeux bourdonnement.
Mais un autre renfort arrive !
Poète, sois sur le qui-vive ;
Voici venir les blonds amours.
Tirailleurs aux superbes poses,
Ils me décochent leurs traits roses,
Et leurs carquois en ont toujours !


Je tiens bon ! ma muse perfide
Désirant plus vite en finir,
Commande d’un geste rapide
À mon plus aimé souvenir.
C’est le signal de ma défaite !

De sa victoire satisfaite
La muse entre sans hésiter.
Ses vaillants complices comme elle
Font irruption pêle-mêle…
La place est prise… Il faut chanter !


Alors dans mon cerveau bourdonne
Longtemps l’étrange bataillon,
Comme dans un clocher quand sonne
Un étourdissant carillon.
De sa victoire déjà lasse,
La muse pour vider la place
Aux souvenirs donne congé ;
Pensers, amours suivent bien vite.
Et grâce à cinq strophes sans suite
Voilà mon esprit soulagé !