Heures perdues/À Tire-d’ailes

Imprimerie générale A. Côté (p. 55-59).


À TIRE-D’AILES


Quand l’horizon se rembrunit,
Voyez l’oiseau gagner son nid
À tire-d’ailes.
Voyez les serins égrillards,
Les rossignols si babillards,
Les merles moqueurs et pillards, 
Les gracieuses hirondelles !



La gent ailée est aux abois,
Et chacun cherche sous les bois
Une retraite,
Car depuis l’heure du matin
Se dresse dans le ciel lointain,
Fantôme d’abord incertain,
Le fier géant de la tempête !


Le lapin, hôte des fourrés,
Voyant les oiseaux effarés,
En vain regarde
Dans son horizon rétréci,
Où Dieu plaça tout son souci,
Si la lune au disque aminci
Jette sa lumière blafarde.



Mais non, le soleil brille encor.
Une nuée aux teintes d’or
Est son escorte.
À peine un zéphir attiédi
Vient rider le flot engourdi
Où vogue à l’heure du midi
Le brin d’herbe ou la feuille morte.


Alors il vante son repos,
Et, s’animant par maint propos,
Blâme leurs ailes
De battre ainsi l’air calme et pur,
Par un beau ciel chargé d’azur
Lorsque midi sur l’épi mûr
Fait chanter les cigales grêles.



Mais bientôt, surpris par le vent
Qui courbe le sommet mouvant
Des pins sublimes,
Il voit l’orbe immense des cieux
Lancer mille gerbes de feux,
Et soudain l’éclair radieux
Illuminer toutes les cimes.


Il est trop tard Son gîte est loin.
Sous la grêle tombent le foin
Et les charmilles.
Le laboureur s’est empressé
De laisser son pré menacé ;
Le vent d’orage a remplacé
Le chant joyeux des jeunes filles.



Heureux les serins babillards,
Les pinsons, les merles pillards,
Les hirondelles !
Heureux les oiseaux querelleurs,
Qui, laissant la prairie en fleurs,
Vers leurs nids aux mille couleurs
Sont accourus à tire-d’ailes !