Heures perdues/L’hospitalité du poète

Imprimerie générale A. Côté (p. 39-43).


L’HOSPITALITÉ DU POÈTE


Le silence s’est fait dans mon humble demeure,
Les enfants sont partis, les ormes effeuillés ;
Et parmi les débris d’un bel été je pleure 
Mes petits oiseaux envolés.



Les vents doux qui faisaient courber les tiges vertes
Et berçaient les rameaux de l’érable orgueilleux
Ne viennent plus le soir aux fenêtres désertes
Caresser mes rideaux soyeux.


Tous les chants se sont tus, et cette étroite allée,
Où souvent se perdait mon rêve aux ailes d’or,
N’a plus de frais ombrage, et voici la gelée
Qui tisse un blanc linceul à la source qui dort.


Plus rien……… Mais, ô bonheur ! sur la neige durcie
J’ai vu s’abattre un soir de petits oiseaux gris
Qui voltigent par bande et dont l’aile transie
Laisse les bois frileux pour de plus chauds abris.



Ils avaient fait leurs nids dans la forêt voisine
Et se faisaient l’amour à l’ombre des halliers,
Mais la neige est venue, et la troupe mutine
Fond sur nos toits hospitaliers.


Soyez les bienvenus, hôtes toujours fidèles
Qui n’avez pas suivi dans leur rapide essor
Les merles oublieux, les folles hirondelles,
Et qui restez ici pour partager mon sort !


Je vous ai fait construire une retraite douce.
Quand les rameaux plieront sous l’effort des autans,
Vous y réchaufferez dans des nids faits de mousse
Vos petits membres grelottants.



Au lieu de disputer à la nature avare
Le petit grain de mil sous la neige oublié,
Vous trouverez au nid que ma main vous prépare
Le grain de mil multiplié.


Fuyez le trait perfide et l’embûche méchante
Que suspend l’oiseleur aux tiges des roseaux ;
Approchez-vous de moi : le poète qui chante
Toujours fut l’ami des oiseaux.


Libres vous resterez, car, mes chers petits êtres,
Vous aimez comme moi la douce liberté.
La cage vous effraie et mes larges fenêtres
Vous offrent l’hospitalité !



Que le vent de novembre effeuille le bocage,
Que la brise de mai ramène les beaux jours,
Pour vous c’est la patrie, et votre aile voyage
De ma main bienfaisante au lieu de vos amours.


Soyez les bienvenus, hôtes toujours fidèles,
Qui n’avez pas suivi dans leur rapide essor
Les merles oublieux, les folles hirondelles,
Et qui restez ici pour partager mon sort.