E. Fasquelle (p. 189-192).
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XXXVII


Les conversations, qui s’étaient arrêtées un instant, à son entrée, recommencèrent, conversations paysannes, avec des rudesses, des éclats de rire, des propos madrés et gouailleurs.

François Jarry, cette fois, ne dit rien à sa femme, se contenta de la transpercer, de temps à autre, de regards mauvais. Ces regards-là, Hermine, si courageuse qu’elle fût, ne savait pas les supporter. Elle baissait la tête, elle sentait son dos se rétrécir, et le souffle lui manquer. Elle n’avait jamais vu, à personne, des yeux pareils, aussi chargés de haine et de cruauté. C’était de l’acier bleui que cet homme avait dans les prunelles, et lorsqu’il dardait cet acier dans les regards innocents d’Hermine, celle-ci avait la sensation de coups de couteau qui entraient dans ses yeux, à elle.

Sûrement, il y avait le désir et la volonté du mal chez le bandit qui s’était embusqué dans la ferme des Gilquin, il y avait la froide résolution de tuer, puis de dépouiller sa victime. Hermine, qui avait subi les terribles coups de poing et coups de pied de cette brute, frappant un jour sur elle avec une fureur inassouvie, jusqu’à la laisser sur place, — Hermine qui avait dû, ce jour-là, se traîner au dehors comme elle avait pu, geignante et sanglante, s’attendait toujours à voir cet ennemi effrayant se lever de table, bondir sur elle, la terrasser et l’achever. Elle avait connu l’assaut meurtrier de cette bête féroce, et elle s’étonnait qu’elle n’eût pas encore achevé de dépecer sa proie.

Se rappelant tout cela, elle comprit, avec une pitié accrue, la frayeur qui devait être celle de la petite Zélie, et même elle frissonna en songeant à ce qu’il adviendrait de l’enfant lorsqu’on s’apercevrait de l’évasion de la prisonnière. Zélie n’était-elle pas sa gardienne, et ne serait-elle pas rendue responsable de ce départ ? Hermine ne pouvait tout de même tarder davantage, sous peine de succomber elle-même. Il arriverait ce qu’il arriverait ! Si la petite Zélie, plus tard, se souvenait de ce temps de sa vie, elle reconnaîtrait qu’Hermine ne pouvait agir autrement qu’elle n’avait fait, et elle garderait d’elle une image de bonté et de malheur.

Hermine regarda Zélie, placée en face d’elle, à l’autre bout de la table. Mais la petite fille ne la regarda pas, le front penché vers son assiette. Elle avait les yeux rouges, la gorge encore gonflée de sanglots. Elle avait été injuriée et battue, pour avoir laissé Hermine se confier à M. le curé sans assister à l’entretien. Il serait difficile, le lendemain, de tromper la surveillance de l’enfant terrorisée.

Mais Hermine eut alors, de nouveau, la pensée qu’elle avait eue en route : elle emmènerait Pyrame avec elle, et si Zélie la suivait, elle la laisserait venir assez loin pour empêcher toute poursuite, puis lui ordonnerait de rentrer à la ferme, la menaçant de la bête dévouée qui obéissait à son moindre signe. Devant les yeux et les crocs du chien, la petite fille se sauverait, viendrait prévenir François Jarry, — mais trop tard !