E. Fasquelle (p. 185-188).
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XXXVI


Quand Hermine et la petite Zélie arrivèrent en vue de la ferme, il y avait un groupe devant le portail, des servantes, des journaliers, et parmi eux François Jarry.

Ces gens paraissaient assez animés, causaient et gesticulaient en regardant la route, du côté du village. Ils attendaient Hermine certainement, car, aussitôt qu’ils virent sa mante, ils se calmèrent, comme si les chuchotements succédaient aux interrogations et aux débats, comme si le silence succédait aux chuchotements. Peu à peu, ils se dispersèrent. Celle qu’ils attendaient, et qu’ils s’inquiétaient probablement de ne pas voir reparaître, revenait prendre sa place de victime. Tout était donc pour le mieux, et il n’y avait plus rien à regarder sur la route.

Chacun s’en fut à ses occupations qui étaient, à cette heure, presque midi, les derniers préparatifs du déjeuner. La vivacité de gestes de tout à l’heure avait disparu, et les gens semblaient des désœuvrés n’ayant plus rien à penser. Cette différence d’attitudes n’échappa pas à Hermine.

Pendant que la petite Zélie allait vers la cuisine, elle monta à sa chambre déposer son livre de messe et ses vêtements de sortie, entr’ouvrit doucement sa fenêtre, prêta l’oreille aux voix qui pouvaient venir du rez-de-chaussée.

Elle entendit bien les voix, mais ne put distinguer les paroles, la voix pressée de Zélie, désireuse de plaire, la voix sourde et bougonnante de François Jarry, se renseignant sans doute et morigénant la fillette. Celle-ci, à n’en pas douter, racontait les incidents de la route, comment Hermine avait été souffrante, avait dû s’arrêter pour retrouver sa respiration et achever sa course. Peut-être disait-elle aussi au maître comment Hermine l’avait laissée seule dans l’église pour aller converser avec le curé dans la sacristie, car elle entendit la voix de François Jarry s’élever et s’encolérer :

— Je t’avais dit… Je t’avais dit…

Elle n’en comprit pas davantage. La porte de la cuisine, restée ouverte, fut fermée violemment, et ce ne fut qu’un grondement sourd, le bruit d’une gifle, et des pleurs, qui vinrent jusqu’à Hermine.

— Cette Zélie ! — pensa Hermine, — elle n’avait qu’à se taire. Elle est sotte !… Mais, après tout, cela prouve que tout n’est pas encore gâté en elle, puisqu’elle dit la vérité au risque d’une gifle… Je suis étonnée que cette petite fille ait mal tourné… Elle a une jolie figure, des beaux yeux… mais c’est un masque trompeur, puisque la méchanceté habite déjà cette âme toute neuve… La méchanceté ! C’est peut-être seulement la peur… et c’est la misère qui a rendu cette petite fille peureuse… Quoi qu’il en soit, j’ai bien fait de ne pas me fier à elle… Elle m’aurait vendue… mais je puis toujours, sans rien lui dire de mes projets, lui parler, lui faire honte de sa conduite avec moi… Ce sera toujours un peu de bonne semence pour plus tard !…

Elle descendit. Tout le monde était attablé. Il n’y avait plus qu’une place vide, parmi les servantes. Hermine s’y assit fièrement.