E. Fasquelle (p. 181-184).
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XXXV


Sortie du village, comme elle se sentait un peu mieux, Hermine prit un sentier, gravit un léger monticule d’où elle savait dominer la mer lointaine.

Elle était venue là autrefois avec son père, qui tenait sa petite main frêle dans sa forte main, et qui l’aidait à grimper sur la butte. Si elle était fatiguée, il l’enlevait vite dans ses bras, avec un bon rire, il la tenait solidement contre lui, tournait, virait, lui montrait le grand espace, les côtes, les phares, les bateaux, lui disait des noms qu’elle avait retenus. Cette vision si brusquement apparue derrière cette motte de terre, au bord du chemin, c’était une des grandes sensations de son enfance, la plus grande même. Il lui fallait, avant de partir, revoir la mer.

Elle la revit, en effet. Le temps était clair. La côte se dessina nettement à sa vue. Elle se réjouit d’une belle plage où de légères vagues d’émeraude venaient broder le sable d’or de leur mousseline d’argent. C’était frais et délicieux. On eût dit que le monde venait d’éclore dans la lumière. Au loin, tant que la vue pouvait s’étendre, le grand mouvement de l’eau enflait la mer vers le ciel. Il y avait sur l’Océan de grandes moires vertes et les ombres violettes de légers nuages, qui s’effilochaient bientôt sous le vent dans l’espace bleuâtre. Partout les vagues se formaient pour se défaire aussitôt, se brisant avec une légère écume étincelante. Un bateau à voile surgit, passa devant l’horizon en s’inclinant sous les injonctions impérieuses de la brise et de la houle. Mais il louvoyait, allait son chemin, et Hermine se promit de partir comme lui, et de connaître comme lui l’arrivée au port.

Cette idée enthousiasma son âme sensible, elle eut la fierté de la décision de départ qu’elle avait prise, et elle faillit parler à Zélie, lui montrer la beauté de cette nature harmonieuse, lui faire honte de la vilenie humaine. Peut-être y avait-il encore quelque chose de bon en cette enfant pervertie, et pourrait-elle faire jaillir d’elle un bon sentiment, comme l’eau d’une source d’un sol qui paraît aride ?

Elle s’appuya de nouveau sur l’épaule de Zélie, et ouvrit la bouche pour parler. Mais elle s’arrêta, une imprudence pouvait la perdre, la rejeter à l’esclavage qu’elle voulait fuir.

— Nous allons retourner chez nous, — dit-elle paisiblement.

Un dernier regard à la mer si fraîche et si joyeuse, au bateau si allègre et si habile, et Hermine s’en va vers la maison paternelle de son jeune âge, devenue la prison de son existence de femme.