E. Fasquelle (p. 91-94).
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XX


L’unique chambre servait de tout, de chambre à coucher, de salle à manger, de cuisine. L’ordre y était parfait. On sentait là une existence installée depuis un siècle, et qui pouvait rester ainsi pendant un autre siècle, et même plusieurs, — pendant toute l’éternité !

Le haut lit à colonnes occupait une encoignure, rustique et majestueux à la fois, sous ses rideaux de cretonne rouge à grands ramages jaunes, avec sa couette de plumes et son édredon rouge bombé aussi haut qu’il se pouvait, tout gonflé aussi de fin duvet. La vieille horloge, dans sa gaine en forme de cercueil, faisait entendre le bruit monotone et rythmé de la vie qui passe, du temps qui s’enfuit, avec le cortège sans fin qui l’accompagne, des minutes et des heures, des jours et des années. Le grand balancier de cuivre poli passait et repassait, brillait comme un soleil, s’en allait dans la nuit.

Hermine vit cela rapidement, comme à la lueur d’un éclair. Elle vit aussi la cruche et la cuiller vendéennes — la buie et la coussotte, — elle vit la vieille commode au marbre gris, aux poignées de cuivre, un coussin de velours rouge sur lequel se desséchait et jaunissait un bouquet de fleurs d’oranger abrité d’un globe de verre, des tasses à café en porcelaine blanche, à filets d’or, symétriquement rangées sur un plateau de verre, une corbeille de mousse piquée de fleurs tricotées à la laine, des roses, des pensées, des marguerites.

Tout sentait l’ancien temps, la vie puérile, le goût enfantin et naïf, l’existence casanière, vécue à la même place, parmi les reliques de la jeunesse et du mariage. Ici, un cœur ignorant s’était épanoui, avait fleuri, s’était racorni, et s’en allait maintenant en poussière, comme tout le reste.

En même temps qu’elle regardait l’humble mobilier, Hermine regardait aussi la vieille femme qui se tenait devant elle, appuyée sur un bâton.

De petite taille, assez voûtée, obligée de lever la tête pour voir le visage de la visiteuse, la vieille Olympe avait des yeux noirs encore vifs, des joues creuses, mais fraîches, marquées de rouge comme des pommes d’api. Elle ressemblait à une petite fée Carabosse, avec sa bouche sans dents, aux lèvres rentrées, presque invisibles, son long menton en galoche, son nez fort, recourbé comme le bec de l’aigle.

Elle était proprement vêtue, d’une jupe d’indienne, d’une camisole de coton, coiffée d’un bonnet blanc, au bord duquel se voyait un peu de cheveux gris bien lissés.

La vieille figure et les yeux vifs se levèrent donc vers Hermine, et une voix fine et cassée prononça :

— Je n’vous connais point… vous n’êtes point d’ici ?