E. Fasquelle (p. 85-90).
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XIX


Après avoir frappé, elle se sentit défaillir. Le silence lui fit peur, et il lui sembla que tout brûlait dans la chaleur de brasier qui tombait du soleil. Elle ferma les yeux, puis les rouvrit, en s’agrippant à la muraille si chaude qu’elle en eut à la main une sensation de brûlure. Elle espéra qu’il n’y avait personne, qu’elle n’entendrait aucun pas, aucune voix, que personne ne viendrait lui ouvrir, et qu’elle pourrait s’en aller comme elle était venue. Elle écouta, son oreille près de la porte, elle n’entendit que le tic tac lent et régulier d’une horloge.

Sûrement, la grand’mère était sortie, et peut-être ne rentrerait-elle pas de la journée. Mieux valait, après tout, repartir sans l’avoir vue. Que lui dirait-elle, si elle la voyait ? Elle n’y avait pas encore pensé. Oserait-elle seulement aborder le sujet de sa visite ? Depuis tant d’années, la plaie douloureuse avait dû, peu à peu, se cicatriser, mais qui sait ? peut-être sa parole allait-elle remettre à nu une marque indélébile et raviver cette ancienne douleur. Comment serait-elle reçue ? Bien ou mal ? Devait-elle se nommer ou rester l’étrangère ?

Telles étaient les pensées qui tournèrent pendant une seconde dans sa tête en feu, cherchant une issue.

Hermine avait agi ce jour-là sous le coup d’une impulsion plus forte que sa volonté habituelle. De nature, elle était timide et passive. Elle était née pour vivre la vie telle qu’elle l’avait trouvée auprès de ses parents et de ceux qui l’entouraient. En cela elle était semblable à beaucoup de femmes qui resteraient volontiers des petites filles, obéissantes aux habitudes, aux occupations toutes faites, aux événements prévus. Celle-ci, depuis qu’elle avait subi la bousculade du sort, ne reconnaissait plus la vie, allait un peu devant elle comme dans un songe.

Elle regrettait maintenant d’être venue. Comment se trouvait-elle dans ce village ? Que voulait-elle de cette vieille femme ?

Oui, elle allait repartir, redescendre la rue, et elle ne s’arrêterait qu’au bas de la pente, à l’ombre de la colline, de l’autre côté du ruisseau. Elle s’assoirait sur une pierre, elle resterait là un moment, tremperait ses mains dans l’eau courante, boirait comme un animal qui a soif, rafraîchirait ses tempes. Oui, elle allait faire cela.

On ne vint pas ouvrir, et elle n’osa pas frapper une seconde fois. Décidément, elle repartirait.

Elle quitta le seuil, ne sachant plus si elle était heureuse ou non de n’avoir pas vu la grand’mère de Jean.

Quand elle eut posé le pied sur le sol caillouteux de la ruelle, elle resta encore à la même place, hésitante, pendant quelques secondes, se demandant s’il fallait rester ou partir. Elle vit alors, à l’angle des deux chemins, la femme qui l’avait renseignée et qui l’attendait avec curiosité.

— Y a donc personne chez Olympe ?… sa porte est donc fermée ? — demanda la paysanne.

— Je ne sais pas, — répondit un peu craintivement Hermine, — j’ai frappé, et personne ne m’a répondu.

— Faut pas frapper… elle a l’oreille dure… faut entrer… la porte doit être ouverte…

Et tout en disant ces mots, la femme fit les quelques pas nécessaires, monta, tourna le loquet. La porte s’ouvrit.

— J’savais ben, — dit victorieusement la paysanne, — Olympe sort si peu, pas même pour aller à la messe…

Au même moment, pour savoir qui ouvrait la porte sans entrer, Olympe vint elle-même sur le seuil, reconnut sa voisine.

— Qu’est-ce qu’il y a donc que vous n’pouvez pas entrer ? — dit la vieille femme.

— C’est de la visite pour vous, Olympe… Madame s’en allait, c’est moi qui viens d’la retenir.

Et la femme s’en fut, pas très loin, pour voir au moins le départ d’Hermine. Au village, tout est muet, tout est immobile, mais il y a pourtant des yeux qui voient par la vitre close, à travers une guipure de rideau, des yeux ardents et patients, qui resteront là toute la journée s’il le faut, pour voir passer une silhouette, pour surprendre un geste, une grimace, ou pour ne rien voir du tout ! Combien d’yeux avaient ainsi vu Hermine à travers les carreaux et les murailles, dans ce village qui paraissait désert !

Hermine entra chez la vieille Olympe.