Éditions Prima (Collection gauloise ; no 7p. 52-58).

xi

Flagrant délit.


Prosper entendit un bruit de voix féminines.

— C’est sans doute une amie de Léontine, se dit-il.

Cependant, il crut distinguer la voix de sa femme.

— Décidément, pensa-t-il, voilà les hallucinations qui me reprennent.

Les paroles se rapprochaient, et il lui sembla entendre une discussion :

— Mais, Mesdames, disait Léontine, je ne sais ce que vous voulez dire, vous vous trompez certainement.

— Nous ne nous trompons pas. Vous êtes bien Madame Violet ?

— Certainement, mais je vous assure que vous vous méprenez.

— Et moi, je vous assure que mon mari est ici. Je l’ai suivi… Laissez-nous passer. S’il n’est pas là, vous ne devez rien avoir à craindre.

Cette fois, Prosper ne pouvait se méprendre. C’était bien Juliette qui survenait.

Il sauta en bas du lit, et se mit en devoir de s’habiller…

Léontine reparut la première, échevelée, l’air affolée :

— Ah ! Mon Dieu ! disait-elle !… N’entrez pas !… Je vous jure qu’il n’y a personne.

— Nous allons bien voir !… Viens, Maman !

Et Juliette, Juliette que son mari croyait à Fontainebleau, fit irruption dans la pièce, suivie par Mme Arnaud, qui levait les bras au ciel, en criant :

— Est-ce possible !… Est-ce possible !…

La jeune Mme Benoit alla droit à son mari :

— Vous ! fit-elle ! Vous ! C’était donc vrai…

« Ah ! que je suis malheureuse !… Que je suis malheureuse !

Et elle tomba ef larmes, sur une chaïse.

Car elle pleurait, la mâtine ! Elle pleurait pour de bon, comme si réellement elle ne s’attendait pas à la trahison de son époux…

Mme Arnaud ne put contenir son indignation :

— Oh ! Monsieur… disait-elle… Monsieur !… Une conduite pareille de votre part… le lendemain de votre mariage…

« Est-ce pour la tromper ainsi que je vous ai donné mon enfant ?

Prosper était interloqué. Il ne trouvait rien à dire.

Il regardait hébété, les trois femmes.

Léontine s’était réfugiée dans un angle de la pièce. Elle ne disait rien non plus, Léontine, elle attendait.

Juliette se releva et, s’essuyant les yeux, elle dit à son mari :

— Vous êtes le dernier des misérables !… Vous avez abusé de ma candeur !…

Prosper retrouva enfin l’usage de la parole :

— Calmez-vous ! dit-il… Je vous jure, malgré les apparences…

— Vous n’allez pas nier, je pense, que Madame soit votre maîtresse…

— Madame, je vous en prie, intervint Léontine, ne faites pas de scandale.

« J’ignorais que vous fussiez l’épouse de Monsieur…

— Évidemment, dit Mme Arnaud, vous ne vous attendiez pas à la visite de ma fille…

— Oh ! Maman ! disait Juliette, quel homme m’as-tu fait épouser ?…

— Permettez… Permettez, dit Prosper…

— Et vous osez encore parler… vous n’avez pas honte ! Vous n’avez donc pas conscience de votre infamie !…

— Écoutez-moi, je vous en supplie, disait Prosper…

« Je ne veux pas nier.

— Vous seriez mal venu à le faire… quand nous vous prenons en flagrand délit…

— Madame vous le dira comme moi. J’étais venu, appelé par elle, pour rompre définitivement une ancienne liaison…

— Ah ! dit Juliette avec un rire affecté, vous veniez pour rompre… Vous avez une singulière façon de rompre…

— Les apparences…

— Je crois qu’il y a plus que les apparences…

Prosper essayait vainement de se disculper et s’embarrassait dans des explications embrouillées, si embrouillées que Léontine lui coupa la parole.

Au contraire de son amant, elle était décidée, elle, à envenimer les choses. La scène n’avait-elle pas été prévue et préparée à l’avance entre eller et Juliette ?

Elle prit donc une attitude provocante.

— Eh bien ! oui, dit-elle. Monsieur Benoît est mon amant !

« Après tout, puisque vous nous avez surpris, ce n’est plus la peine de rien vous cacher.

« Vous ferez ce que vous voudrez, ça m’est égal.

— Quel cynisme ! s’écria Mme Arnaud,

La brave femme était certainement plus indignée que sa fille.

Cela se comprend, elle ne jouait aucun rôle, elle, et elle était absolument sincère.

— Oh ! dit Juliette, ce que je ferai est bien simple…

« Puisque Monsieur est revenu vous trouver, il doit comprendre qu’il ne saurait plus dorénavant revendiquer aucun droit sur moi.

— Juliette ! fit le directeur.

— Je vous défends, Monsieur, de m’appeler ainsi.

« Je suis honteuse que vous ayez un seul instant prononcé mon nom familièrement.

« Comment, au lendemain de notre union, alors que vous m’aviez laissée malade chez moi, vous attendant bien naïvement, vous avez eu l’audace de venir ici retrouver votre maîtresse !

« Je comprends tout maintenant. Je sais quel motif grave vous appelait à Paris, et j’ai deviné que c’est d’accord avec vous que Madame vous a envoyé ce télégramme faussement signé du directeur du cabinet.

« Il sera certainement flatté le directeur du cabinet et le ministre aussi sera flatté d’apprendre que vous vous servez de leurs noms pour tromper votre femme, votre pauvre petite femme, qui vous avait donné son cœur en toute confiance.

« Ah ! naïve que j’étais !… Naïve !…

Mais Prosper à la fin se révoltait !

— Je ne peux pas vous laisser dire que je me suis fait adresser ce télégramme. J’ignorais complètement de qui il provenait…

— Vous l’ignoriez… Allons donc !

« Et l’histoire extraordinaire de cette nuit, qu’est-ce que c’est encore ?

« Quand vous me disiez que vous aviez cru voir une autre femme que moi dans votre lit ! C’était sans doute de Madame qu’il s’agissait…

« Mais cette minute ne vous a pas suffi. Non content de rêver à ma rivale, il vous a fallu venir la retrouver. Vous m’avez trompée deux fois, hier en imagination, et aujourd’hui pour de bon…

« Et vous voulez que je vous pardonne…

« Demandez à ma mère si une femme peut pardonner une chose semblable…

— Non, dit énergiquement Mme Arnaud, non, ma fille ne peut pas pardonner…

— Madame, dit alors Juliette en se tournant vers Léontine, soyez heureuse, votre amant vous préfère à moi, puisque même lorsqu’il me tenait dans ses bras, c’est encore à vous qu’il croyait prodiguer ses caresses.

« Eh bien ! Puisqu’il a pour vous un si grand amour, je m’incline… Gardez-le, je vous le laisse !…

Prosper cependant ne capitulait pas encore :

— Qu’allez-vous donc faire ? demanda-t-il à Juliette.

— Je retourne chez ma mère et puisque, malheureusement je suis mariée avec vous, je vais demander le divorce !…

— Mais je n’y consentirai pas.

— Naturellement. Vous préférez partager « votre tendresse » entre votre femme et votre maîtresse…

« C’est avec cette intention, n’est-ce pas, que vous m’aviez épousée, parce que vous ne pouviez pas me séduire autrement.

« Ah ! Vous avez de jolis mœurs, Monsieur le Directeur.

Prosper commençait à s’exaspérer :

— Vous oubliez, dit-il, que votre père dépend de moi.

— Oh ! Par exemple !… Vous oseriez abuser de votre situation pour me faire chanter… Tu l’entends, maman, tu l’entends, il veut se venger sur papa…

Mme Arnaud était bien un peu intimidée à présent. Depuis un moment, son indignation était tombée et déjà elle pensait à la haute situation de son gendre, redoutant les foudres du directeur pour son mari.

Ce fut d’un ton suppliant qu’elle dit :

— Monsieur Benoît, vous ne ferez pas ça !…

Léontine heureusement était là. Elle se rendit compte de l’avantage momentané de Prosper et se dit qu’il était temps pour elle d’intervenir à son tour.

— Non, Madame, il ne le fera pas… M. Benoît acceptera l’inévitable.

« Et mot aussi, je l’accepterai… quoique j’étais disposée, je vous le jure, à m’effacer…

« Je laisse votre gendre libre. S’il l’exige, je consentirai à ne plus le voir, j’en mourrai peut-être, mais je m’inclinerai,

— C’est un sacrifice que je n’accepte pas, dit Juliette.

« Non. Je sais à présent à quoi m’en tenir… Et puis, je ne pourrai plus jamais appartenir à cet homme. Vous serez toujours, que vous le vouliez où non, entre lui et moi.

« Monsieur, ajouta-t-elle en se tournant vers son mari, si vous êtes un galant homme, vous ne m’imposerez pas une vie commune qui, dorénavant me serait odieuse.

« Adieu. Ce sont maintenant les tribunaux qui prononceront entre vous et moi.

« Viens, maman… Nous sommes déjà trop longtemps restées ici. Viens… Laissons M. le Directeur à ses amours.

Et, très digne, Juliette sortit, toujours suivie par sa mère.

Celle-ci était toute tremblante, partagée entre des sentiments divers, qu’elle résuma ainsi :

— Qu’est-ce que ton père va dire ?

— Il dira ce qu’il voudra. Il ne pouvait tout de même pas me forcer à rester mariée avec un homme qui était décidé à garder sa maîtresse.

« Tu ne veux pas que je partage.

— Je ne dis pas cela.

« Mais tu connais ton père. Il ne va pas accepter en souriant l’idée d’entrer en lutte avec son directeur.

— Et après, il ne le révoquera pas pour ça… Il n’en a pas le droit.

« Et puis, maintenant, c’est comme ça ; il n’y a plus à y revenir.

« Pensons seulement à trouver un bon avocat qui me fasse accorder une pension convenable par le tribunal.

Tel était l’état d’esprit des deux femmes lorsqu’elles arrivèrent chez elles.

M. Gustave Arnaud les attendait non sans inquiétude.

Lorsqu’il vit revenir sa femme et sa fille, il se précipita au devant d’elles.

— Toi, Juliette, s’écria-t-il, toi… Et ton mari ?

— Ne me parle plus jamais de cet ignoble individu… Tu entends, papa, plus jamais !

Tu oublies, mon enfant, qu’il s’agit de mon directeur au ministère… Que t’a-t-il donc fait ?

— Ce qu’il m’a fait ? Raconte-le, maman… Raconte-le… !

Mme Arnaud hésitait… Elle regardait alternativement sa fille et son mari…

— Eh bien ! dit celui-ci, raconte…

— Voilà, mon ami, voilà :

Et la brave femme fit le récit de ce qu’elle savait :

— Et tu as suivi cette petite folle comme ça !

Mme Arnaud s’arrêta interdite.

— Comment, tu me reproches ?…

— Eh bien, oui ! Je te reproche. Après tout, dans toute cette affaire, il n’y à pas de quoi fouetter un chat.

« Je comprends encore que Juliette ait attaché une importance exagérée à la visite de son mari à cette femme… mais toi, qui es une personne raisonnable, tu aurais dû lui faire comprendre qu’elle avait tort…

— Oh ! Papa ! s’écria Juliette indignée.

— Mon enfant, reprit sentencieusement M. Arnaud, on ne gâche pas inconsidérément une belle situation pour des vétilles…

— Des vétilles… Être trompée le lendemain de ses noces !

— Tu ne pensais tout de même pas que ton mari n’avait pas de maîtresse avant de te connaitre !

« Il te l’a dit lui-même, il faisait une visite de rupture…

« Tu n’avais qu’à fermer les yeux, ne rien dire, et le ramener tout doucement à toi.

« Au lieu de cela tu fais du scandale, tu casses les vitres…

« Te voilà bien avancée maintenant… !

— Je vais demander le divorce !…

Mais, à cette phrase, M. Arnaud se leva, indigné.

— Le divorce ! Quand tu as eu l’honneur d’épouser un aussi haut fonctionnaire… Le divorce, malheureuse !… Que fais-tu donc de ma situation… ?

— Il ne s’agit pas de ta situation… Il s’agit de moi.

« Je ne veux plus voir mon mari. Je veux le forcer à me faire une pension. Il le doit…

— Et moi, alors, je vais être obligé de demander à changer de service… pour ne plus être sous les ordres de M. Benoît.

« Non… Non… Je ne veux pas que toute ma vie soit bouleversée pour un caprice de cette gamine.

— Un caprice ?… Par exemple, papa, tu me permettras…

— Oui, un caprice. Quand il y avait des rois, les reines acceptaient qu’il y ait des favorites sans récriminer.

— Oh ! Oh ! Ton directeur n’est pas un roi.

— C’est tout de même un important personnage.

« Et tu devrais être très honorée, puisqu’après tout, c’est toi qui as le meilleur rôle comme épouse légitime.

— Oh ! Gustave !… fit Mme Arnaud.

Cette fois, c’était elle qui était indignée.

Mais son mari continuait :

— Bref, voici ma décision :

« Juliette va retourner auprès de son mari. Elle lui dira qu’elle est convaincue à présent de son innocence et persuadée, comme il le lui a dit, qu’il n’était venu chez cette femme que pour rompre avec-elle.

« En conséquence elle demandera pardon à son mari de la scène ridicule…

— Non… Non… ça, jamais ! dit Juliette.

« Je ne m’abaisserai pas ainsi, quand bien même mon mari serait le ministre ou le président de la République…

« Je suis majeure… Je ferai ce que je voudrai. Et je veux divorcer.

— Alors, tu n’es plus ma fille ! s’écria Gustave Arnaud.

« C’est moi qui ferai demain, des excuses à M. le Directeur.

« Quant à toi, ou tu retourneras avec ton mari, ou tu ne reparaitras plus chez moi !

— Tu me chasses, tu as le cœur de me chasser de chez toi !

— J’autorise ta mère à aller te voir… mais, tant que tu seras séparée de ton mari, tu me compromets…

— C’est bien, dit Juliette… C’est bien, je m’en vais !

« Adieu, maman… Demain, je te ferai savoir mon adresse !

Et après cette scène familiale, laissant son père et sa mère poursuivre leur discussion à son sujet, la jeune Mme Benoît quitta le domicile paternel.

— Où va-t-elle aller ? dit Mme Arnaud.

— Où elle va aller… à Fontainebleau, parbleu, retrouver son mari… Elle va réfléchir et se rendra compte que c’est moi qui ai raison.

« Tu penses que je ne veux pas d’un divorce dans ces conditions, Ce serait un déshonneur pour l’administration tout entière.