Éditions Prima (Collection gauloise ; no 7p. 47-51).

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Dernière entrevue ?


Léontine vint elle-même ouvrir à son amant :

— Ah ! te voilà | fit-elle… Tu as bien fait de venir… autrement, je serais retournée au ministère.

Le ton n’était pas très aimable, Prosper le constata, mais il s’y attendait bien un peu.

Il suivit Léontine dans sa chambre.

La maîtresse du directeur, contrairement à ce qu’il attendait, ne se répandit pas en invectives contre lui.

Elle débuta ainsi :

— Alors, c’était bien vrai, ce que disait cette lettre anonyme que j’ai reçue hier soir ?

On se doute que cette troisième lettre dénonçant la trahison de Prosper et son mariage, était due à la collaboration de Juliette, qui depuis la veille, n’avait jamais autant écrit.

Mais toutes ces épitres concordantes avaient été élaborées pour que Prosper n’eut jusqu’à la fin aucun soupçon de la vérité.

Après avoir fait lire cette lettre à son ami, Léontine ajouta :

— Je ne voulais pas croire une chose pareille, et je me suis rendue dès le matin au ministère.

« Ah ! Je n’ai pas eu de peine à savoir la vérité.

« C’est alors que l’idée me vint subitement de te télégraphier pour que tu reviennes, en même temps que je laissais à l’huissier la lettre qu il a dû te remettre…

— Tu as osé faire une chose pareille !… Signer du nom du chef de cabinet du ministre !… Mais c’est un faux !…

— Est-ce que j’ai réfléchi à cela, moi ? Je voulais te voir à tout prix…

— Tu es bien avancée maintenant.

« Eh bien ! oui. Je suis marié. Il n’y a plus à y revenir.

« Que veux-tu, ma chère amie ? Tu dois être raisonnable, en prendre ton parti…

— En prendre mon parti, dis-tu… Mais je ne pourrai jamais !

« Prosper, tu ne peux pas me quitter de cette façon… Non, tu ne le peux pas ! Souviens-toi des bons moments que nous avons eus… Souviens-toi, il y a huit jours encore, de notre voyage…

— Tu n’es plus une enfant, Tu dois comprendre que la vie a des exigences.

— Et tu me rejettes pour une petite fille, qui est bien plus jeune que toi… qui te trompera sûrement.

— Enfin, n’espère plus rien de moi. Tout est fini.

— Tu as le courage de prononcer des phrases pareilles…

« J’en mourrai, Prosper… et ce sera le remords de ta vie.

Léontine ponctua cette déclaration de profonds soupirs, et se mit à pleurer…

Le directeur était bien embarrassé devant cette femme en pleurs.

— Je comprends ta peine. Mais que veux-tu ? Ça ne pouvait pas être éternel.

— Pourquoi ?… Je le croyais, moi…


Chère amie ! lui dit-elle (page 59).

« J’espérais même que tu m’épouserais un jour. Après tout, n’étais-je pas pour toi un aussi bon parti que cette petite fille d’un modeste employé…

— Je t’ai aimée beaucoup… Léontine,

— Mais maintenant c’est l’autre que tu aimes.

— Écoute. Je suis venu, mais n’en augure pas que je faiblisse un moment !… J’ai simplement voulu te convaincre que tu devais t’incliner devant le fait accompli.

— Et si je ne m’incline pas…

— C’est de la folie !… Que feras-tu ?…

— Alors, c’est vrai… Tu vas t’en aller, ainsi, sans une douce parole, sans un mot de regret.

— Nous parlons pour ne rien dire. Je veux bien oublier ce que tu as fait, ta démarche au ministère, ton télégramme… mais il faut que tu me promettes, maintenant que tu sais à quoi t’en tenir, d’être raisonnable, de ne plus penser à moi, et de ne pas essayer de briser mon ménage.

Il s’était levé et se dirigeait vers la porte.

Elle courut à lui :

— Tu ne vas pas partir ainsi ?… Prosper… Prosper… Je ne veux pas.

Elle s’était accrochéé à lui, lui avait passé les deux bras autour du cou.

Et tout doucement, elle lui dit :

— Aimons-nous… une dernière fois…

— Tu n’y penses pas !… fit-il, essayant de se dégager…

— Oh ! mon chéri… Tu ne peux pas me refuser cela !… Pas un homme ne refuse cela à une amie de cinq ans…

« Tu n’es pas devenu méchant à ce point…

— Je ne suis pas méchant.

— Alors ?…

Elle le caressait maintenant, se frottait câline contre lui, si bien qu’il sentait sa décision fléchir, son énergie faiblir,

Léontine devenait provocante, ses yeux levés vers son amant, semblaient lui dire « Prends-moi ! »

Elle était bien tentante ainsi et, malgré lui, Prosper ne pouvait s’empêcher de se revoir la nuit précédente, couché à côté d’elle, car, de nouveau, c’était sa maîtresse qu’il croyait avoir possédée à Fontainebleau, en essayant d’évoquer, pour fortifier sa résistance, l’image de sa jeune épouse…

La chair est faible…

Et, ma foi, le pauvre directeur n’était plus en état de résister à ses sens.

Il se laissa donc entraîner vers le lit, sans plus se soucier de Juliette qui devait l’attendre, seule, dans la maison de Fontainebleau.

L’instant d’après, il retrouvait toute son ardeur dans les bras de son amie, qui se montra plus caressante, plus passionnée qu’elle l’avait jamais été, et qui lui disait :

— Prosper !… Prosper !… garde-moi quand même…

« Reste mon amant…

Et Prosper, encore sous l’impression de l’étreinte amoureuse, promettait à Léontine tout ce qu’elle voulait.

Il le promettait, en maudissant sa propre faiblesse, et en pestant contre lui-même, se disant : « Je me suis mis dans un beau cas… Comment vais-je m’en sortir. »

— Nous sommes si bien ainsi ! lui disait sa maîtresse.

— Oh oui ! Nous sommes bien… mais nous voilà dans de jolis draps.

— Dans de jolis draps, dis-tu ?… Mes draps ne te plaisent pas ?

— Tu sais bien ce que je veux dire…

— Prosper, tu m’as promis de me garder comme amante…

— J’ai promis, mais comment ferons-nous ?

— Si tu veux, tu sauras t’y prendre ! Tu avais bien réussi à me tromper moi-même, en me donhant un faux nom, et en me faisant croire que tu étais représentant de commerce.

« Ta femme, qui sort de chez ses parents sera certainement aussi crédule et aussi confiante que moi…

« D’abord, pour le moment, je ne veux pas que tu y penses. Tu dois être tout à moi… Embrasse-moi.

Et, prévenant son amant, ce fut elle qui lui donna un et même plusieurs baisers, heureuse au fond de le reprendre, quoi qu’elle fût certaine de ne l’avoir jamais réellement perdu…

Puis elle se leva, tandis qu’il restait couché, méditant sur sa situation.

Comme elle se dirigeait vers la fenêtre, il lui dit :

— Que regardes-tu donc ?

— Oh ! rien… Il fait un beau soleil… Nous devrions sortir tous les deux !…

— Non… c’est impossible… on pourrait nous rencontrer.

Elle poussa un soupir, disant :

— Autrefois, tu n’avais pas de ces craintes… Hélas ! Il va falloir à présent nous cacher… Enfin, j’en prendrai mon parti…

Prosper ne remarqua pas que Léontine avait levé et abaissé le rideau.

Comment l’eut-il remarqué ? S’il avait pu avoir des soupçons, ils étaient alors dissipés, Et puis, il goûtait à ce moment le bien-être qui suit toujours les grandes voluptés.

Et pourtant, sa quiétude était bien près d’être troublée…

Juliette et sa mère gravissaient les trois étages.

Prosper considérait amoureusement son amie ; il allait même lui demander de revenir se coucher à son côté, lorsqu’on frappa nerveusement à la porte.

Elle jeta rapidement un peignoir sur ses épaules, et comme on frappait de nouveau :

— Voilà, dit-elle.

Et le plus tranquillement du monde, elle se dirigea vers la porte.