Éditions Prima (Collection gauloise ; no 7p. 45-47).

ix

Prosper Benoît n’y comprend plus rien.


M. Prosper Benoît, dans l’auto qui l’amenait à Paris, se demandait toujours quel événement insolite nécessitait sa présence au ministère.

Las de chercher, il résolut de ne plus s’en préoccuper jusqu’à son arrivée, et sa pensée se reporta vers sa jeune épouse.

Il cherchait à se souvenir de ce qui s’était passé la nuit précédente, mais il avait beau faire des efforts de mémoire l’image de Léontine s’interposait toujours devant celle de Juliette, et c’était avec sa maîtresse qu’il se revoyait couché dans le lit conjugal.

Lorsqu’il arriva au ministère, il se fit annoncer immédiatement au directeur du cabinet.

M. Daniel Bourdon reçut son collègue sans le faire attendre.

Il avança vers lui, le sourire aux lèvres, la main tendue :

— Vous ici ? dit-il avec une surprise d’autant plus naturelle qu’elle était sincère… Vous n’êtes donc pas en pleine lune de miel ?

Prosper Benoît le regarda :

— Mais, dit-il… j’y étais… seulement, votre dépêche était tellement pressante que je suis accouru.

— Ma dépêche ?… Je ne vous ai pas télégraphié…

— Vous ne m’avez pas télégraphié ?… Et ça ?…

Le directeur sortit le télégramme et le mit sous le nez du chef de cabinet qui le parcourut en manifestant le plus vif étonnement.

— Ça, dit-il, c’est une mauvaise plaisanterie ?

— Comment, une mauvaise plaisanterie.

— Certainement. Quelqu’un qui a trouvé spirituel de vous faire une blague.

— On aurait osé se servir de votre nom.

— Il faut le croire, car, en ce qui me concerne, je ne vous ai rien envoyé. Je n’ai même pas vu le ministre ce matin.

— Par exemple ! Je voudrais bien savoir qui s’est permis une chose pareille.

— Peut-être un collègue jaloux.

— Ah ! Je vais bien voir ! s’écria Prosper furieux. Nous allons faire une enquête, et je demanderai au mimistre la révocation du mauvais plaisant qui s’est ainsi joué de moi.

« Et puisque je suis ici, je vais tout de suite aller à mon bureau, peut-être apprendrai-je quelque chose.

Le directeur se rendit, en effet, immédiatement à l’étage où se trouvaient les services qui dépendaient de son autorité.

Et ce qu’il y apprit acheva de le déconcerter.

Dès qu’il le vit apparaître, l’huissier se précipita vers lui :

— Ah ! Monsieur le Directeur ! Vous voilà !… Vous arrivez à propos !

Et, tout bas, l’employé dit à son supérieur :

— La dame est venue.

— Quelle dame ?

— Vous savez bien, Mme Violet, celle que je ne dois pas recevoir, à laquelle je dois dire que Monsieur le Directeur n’est pas là…

— Elle est venue, dites-vous ?… Quand donc ?

— Ce matin.

— Oui, même qu’elle a laissé une lettre.

« Naturellement, je ne voulais pas la prendre, mais la dame a insisté.

« — Mais, lui dis-je, M. le Directeur est en voyage pour un mois.

« Alors elle m’a répondu :

« — Croyez-vous ? Moi, je vous répète qu’il sera ici cet après-midi et qu’il ne vous blâmera pas d’avoir pris cette lettre.

« Alors j’ai gardé la lettre, en me disant que vous en feriez ce que vous voudrez…

— C’est bien. Donnez-la moi.

La lettre que Léontine avait, en effet, apporté elle-même dans la matinée, après être passée chez elle et en revenant du télégraphe où elle avait expédié à Fontainebleau la dépêche dont le texte avait été arrêté entre elle et Juliette, cette lettre disait :

« Prosper

« Je sais tout. Comment ? Peu importe.

« Tu m’as indignement trompée. J’exige de toi une explication. Tu ne peux me refuser une dernière entrevue.

« Si tu veux éviter un scandale — et peut-être de graves catastrophes — tu viendras cet après-midi même chez moi où je t’attendrai.

« Ne cherche pas qui t’a envoyé la dépêche que tu as reçue à Fontainebleau. C’est moi !

« À ce soir.

Léontine. »

Le directeur était médusé… Il tournait et retournait cette lettre entre ses mains… mêlant les incidents de la nuit à ceux de la journée.

— Je n’y comprends plus rien ! dit-il. Mais puisqu’elle m’attend ! Allons-y !…