Éditions Prima (Collection gauloise ; no 7p. 20-24).

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Soirée de Mariage.


Le grand jour arriva enfin, le jour où M. Prosper Benoît, directeur au ministère des Inventions pratiques, conduisit à l’autel la jeune Juliette Arnaud, timide et rougissante (Oh ! combien !) sous son voile blanc. Ce fut un grand mariage.

Les journaux mondains le relatèrent dans leurs échos ; il y eut même quelques discours de prononcés.

Bref, ce fut très bien, et M. Arnaud, auquel son nouveau gendre avait le matin même annoncé sa promotion au grade tant ambitionné de sous-chef de bureau, en pleurait d’attendrissement dans le sein volumineux de son épouse, non moins émue à la vue de sa fille, « cette » colombe qui allait être dévorée par le loup.

Le loup couvait, en effet, de regards significatifs la colombe qu’il était impatient de dévorer. Il se sentait affamé, ce loup.

Une semaine d’un régime reconstituant, au cours duquel les beaftecks confortables avaient été arrosés de vins généreux, avait, en effet, suffi à Prosper Benoît pour lui rendre les forces qu’avait tenté inutilement de lui enlever Mme Vve Violet, née Briquet.

Quant à la douce colombe, elle levait les yeux vers le loup en tâchant de mettre dans son regard toute l’innocence qu’elle n’avait plus, et en se faisant à elle-même des réflexions dans le genre de celle-ci : « Penser que cet imbécile se figure qu’il va cueillir véritablement une fleur d’oranger !… Quelle prétention ! »

Or, M. le Directeur avait cette prétention ; il était même très fier des regards que tous les hommes lançaient vers la jeune mariée, regards qui exprimaient clairement la jalousie de ces hommes, lesquels semblaient tous dire : « En a-t-il de la veine ce Benoît ! » Amère dérision ! Il y a loin de la coupe aux lèvres… et le directeur devait s’en rendre compte quelques heures plus tard.

Les invités étaient encore, sur le coup de cinq heures du soir, occupés à médire des uns des autres en avalant les derniers sandwichs et les derniers petits gâteaux du buffet dressé aux frais du gouvernement, pendant que M. et Mme Benoît roulaient en automobile vers Fontainebleau.

La tante du directeur et-les parents de Juliette ainsi que les témoins les accompagnaient, un dîner intime devant réunir ces personnages à la villa même.

Ce ne fut qu’après ce dîner que Prosper et sa jeune femme se retrouvèrent enfin seuls, les autos remmenant leurs parents ayant fui vers la capitale.

L’heure était venue où M. le Directeur allait — du moins il le pensait — pouvoir coucher avec sa femme.

Avant de poursuivre notre récit, revenons un peu en arrière.

On sait que la villa n’avait pour tout domestique que le brave jardinier Onésime.

Naturellement, pour ce jour-là, la tante de Prosper avait amené ses gens, c’est-à-dire sa cuisinière et sa femme de chambre, cette dernière ayant servi à table aidée par Fernande, qui avait dû se prêter à cette obligation, conséquence fatale du rôle qu’elle avait accepté de remplir auprès de Juliette.

Fernande, qui mangea à l’office avec les trois domestiques, s’était employée à faire boire le jardinier.

— Allons, disait-elle… allons, père Onésime, encore un verre de vin.

Et Fernande versait tant et si bien qu’Onésime recommença plusieurs fois à boire à la santé successivement des futurs petits neveux, des jeunes mariés, de leur tante, de Fernande, même à sa propre santé à lui-même… tant qu’il finit par rouler sous la table où il s’endormit du sommeil le plus profond.

Pendant ce temps, l’amie de Robert était montée à la chambre nuptiale et, tandis que M. Benoît se morfondait dans la pièce voisine, elle aidaït sa patronne d’un jour à se dévêtir.

Elle l’aidait lentement, tout en lui disant :

— Qu’est-ce qu’il va penser, lui qui te croit sage !

— Que tu es bête, ma pauvre petite ? Il ne pensera rien du tout, parce qu’il n’aura pas de désillusion… Au contraire…

Fernande était un peu interloquée.

Juliette se mit à rire.

— Voyons, c’est toi qui t’étonnes de cela… Ce serait malheureux, à notre époque où l’on remplace tout, si on ne pouvait pas remplacer également… une fleur d’oranger.

Fernande s’inclina, mais eut à son tour un sourire énigmatique :

— Ça n’était vraiment pas la peine, se dit-elle, de prendre ce soin là pour son mari, car le pauvre bougre, si tout marche bien, il ne s’en apercevra pas.

Pourtant, le directeur s’impatientait. Il commençait à trouver que sa jeune épouse le faisait beaucoup attendre et qu’il eût peut-être aussi bien que la femme de chambre, aidé Juliette à se dévêtir.

Il frappa donc à la porte de la chambre.

— N’entrez pas, dit la jeune femme… Je suis en corset…

— Justement… J’achèverai de vous déshabiller |

Et il poussa la-porte.

Juliette prit aussitôt un petit air effarouché.

— Oh ! Mon Dieu, dit-elle.

Et elle se cacha la figure dans ses deux mains, ce qui produisit la meilleure impression sur son mari, lequel pensa :

— Quelle pudeur !… Ce que c’est tout de même que les jeunes-filles !…

Mais cela ne lui donna que davantage le désir d’achever la toilette de nuit de son épouse, et, se tournant vers Fernande, il lui dit :

— Vous pouvez vous retirer ; Madame n’a plus besoin de vous ce soir…

Et Fernande s’en fut. Oh ! elle n’alla pas très loin… Non…

Elle se retira seulement de l’autre côté de la porte…

Car elle avait, il ne faut pas l’oublier, un rôle important à jouer.

Pour l’instant, elle devait surtout empêcher que M. Benoît ne poussât trop loin ses épanchements amoureux avec sa femme…

Et pourtant, ledit Prosper Benoît était bien près de voir se réaliser ses plus chers désirs.

Il avait aidé avec tant de diligence Juliette à achever de se déshabiller que celle-ci était maintenant en chemise devant lui et que déjà il la tenait dans ses bras…

Malheureusement, lui-même était toujours en habit, et, tandis que Juliette s’étendait dans le lit, il dut à son tour enlever ses vêtements.

Fernande qui avait collé son œil à la serrure, murmura :

— J’ai encore le temps…

Elle descendit en courant, s’en fut accomplir sans doute quelque mission importante, et revint bientôt reprendre sa faction derrière la porte.

Elle avait mis si peu de temps à descendre et à remonter que lorsque de nouveau, elle regarda ce qui se passait dans la chambre nuptiale, elle revit le directeur qui achevait de se dévêtir.

Un instant plus tard, Prosper Benoît était dans le lit à côté de sa femme,

Oui, il était dans le lit. Autant dire cette fois que la coupe était au bord de ses lèvres et qu’il n’avait plus qu’à porter ladite coupe à sa bouche.

Prosper allait-il, déjouant toutes les embûches, coucher avec sa femme ?

Couché avec… ou du moins à côté de sa femme, il y était.

Il la contemplait, étendue contre lui.

— Ma chérie, dit-il…

Et comme il se penchait vers elle, soudain, la lumière électrique s’éteignit.

Car (avions-nous oublié de le dire ?) la villa de la tante de Prosper était éclairée à l’électricité, détail dont avaient pris bonne note lors de leur visite, quelques jours auparavant, Albert, Robert et Léontine.

La lumière électrique s’éteignit donc.

Ce n’est pas qu’en pareille circonstance la lumière fût nécessaire.

Au contraire, il est des gens qu’elle gêne plutôt. Et le directeur s’en serait fort bien passé pour poursuivre l’entretien qu’il avait à peine ébauché,

Il n’en resta pas moins interloqué :

— Ça, c’est bizarre, dit-il…

— Qu’y a-t-il de bizarre, mon ami ? demanda Juliette.

— Mais la lumière qui s’est éteinte.

— Ce n’est donc pas vous qui avez fait l’obscurité… Je le croyais.

— Non. Ce n’est pas moi…

— Alors, c’est une panne… Ça va revenir peut-être…

Cette panne semblait à Prosper de mauvais augure.

Il se releva, chercha à tâtons le commutateur, dont il ignorait l’emplacement.

Il le trouva enfin, le tourna, mais sans résultat…

— C’est bien une panne, dit-il tout haut.

— Je m’en aperçois, fit Juliette…

Heureusement, son mari, préoccupé de l’incident en lui-même, ne remarqua pas l’ironie avec laquelle cette réponse était faite…

Et tout à coup, comme il cherchait encore avec sa main, à toürner le commutateur, la lumière revint tout d’un coup…

— La panne est finie, s’écria-t-il.

Et il se recoucha :

— Maintenant, dit-il, l’électricité peut s’éteindre ou non, je ne m’en précoccupe plus.

Ce léger incident cependant avait un peu troublé Prosper Benoît qui eut besoin de quelques minutes pour se remettre.

Juliette, qui attendait toujours, poussa un soupir… soupir dont son mari ne comprit pas le sens, mais qui signifiait :

— Je croyais pourtant que la panne était finie !

Enfin, le directeur retrouva ses esprits, et il reprit l’entretien au point où il l’avait laissé.

— Ma chère petite femme, dit-il.

De nouveau, il se penchait vers Juliette.

De nouveau, l’électricité s’éteigmit et l’obscurité se fit.

La panne recommençait.

Prosper avait bien dit qu’il n’y prendrait pas garde. Il s’arrêta cependant, et, poussé par un mouvement instinctif, il bondit hors du lit, s’écriant :

— Ce qui se passe n’est pas normal !