Éditions Prima (Collection gauloise ; no 7p. 16-20).

iv

Veillée des armes.


Le jour où Mlle Juliette Arnaud allait devenir légitimement Mme Prosper Benoît, était proche. On s’y préparait avec fièvre, côté Arnaud et côté Benoît.

Une seule chose l’ennuyait bien un peu, c’est la façon dont elle pourrait donner à son mari l’illusion jusqu’au bout… mais elle trouva une amie obligeante qui lui fournit sur ce point de précieux conseils qu’elle mit à profit, au grand dam d’ailleurs d’Albert, à qui elle fit comprendre qu’il devait rester sage pendant les huit jours qui précéderaient le mariage.

— Tu comprends, mon chéri, il le faut… C’est pour sauvegarder mon honneur :…

« Après nous nous rattraperons.

Albert maudit une fois de plus le directeur, et cette déconvenue affermit davantage encore sa résolution de vengeance.

Quant à Léontine, elle était si bien entrée dans les vues d’Albert qu’elle jouait à la perfection le rôle qui lui avait été assigné.

Ce rôle, pour le moment, consistait à se montrer très amoureuse, afin que M. Benoît fût le moins brillant possible le soir de ses noces.

Léontine était, comme bien l’on pense, absolument de cet avis et jamais son amant ne l’avait connue si passionnée.


Voilà qui vaut un baiser
(page 12).

Il ne put s’empêcher de lui en faire la réflexion.

— T’en plaindrais-tu par hasard ? lui demanda sa maîtresse.

— Oh non ! Pas du tout, Au contraire ce renouveau m’enchante…

— Le traître, pensa Léontine, comme il cache son jeu !

Mais elle ajouta :

— Tu comprends, tu vas me quitter pendant longtemps. Cette longue séparation m’est si pémible (ici Léontine soupira) que je veux, avant que tu ne partes, me griser d’amour.

— J’ai peur d’être bien fatigué pour le voyage…

— Oh ! Voyez-vous ça ! Tu as peur d’être fatigué… Eh bien ! Tant mieux. De cette façon, tu auras moins l’envie de me tromper.

— Peux-tu faire pareille supposition ?

— D’ailleurs, j’y veillerai… quoique éloignée de toi… J’ai même envie d’aller te retrouver…

En entendant cette déclaration inattendue, Prosper Benoît bondit :

— Tu n’y penses pas !

« Et puis, la grosse maison que je représente n’admettrait pas que je me fasse accompagner par une femme dans un voyage d’affaires.

— Vraiment ! Les directeurs de cette maison sont sévères !

Prosper Benoît pourtant était très ennuyé des exigences amoureuses de son amie.

Il craignait de ne plus être en forme pour le soir de son mariage, et il éprouvait le besoin de prendre une semaine de repos.

Aussi, annonça-t-il à Léontine qu’il avait reçu un télégramme lui ordonnant d’avancer de huit jours son départ pour Milan. Naturellement, son amie n’accepta pas ce contre-temps sans protestations.

Toutefois, comme elle ne voulait pas éveiller les soupçons de Prosper, elle fit mine de croire ce qu’il lui racontait.

— Ah ! C’est bien ennuyeux, dit-elle. C’est une semaine d’amour que tu me voles.

— Ce n’est pas de ma faute, ma chérie… Tu comprends que je ne peux pas faire autrement.

Mais Léontine voulut jusqu’au bout le tracasser.

— Mon chéri, lui dit-elle, tu ne sais pas à quoi j’ai pensé ?

— Ma foi non !

— Eh bien ! J’irai t’accompagner jusqu’à Lyon… Ce sera amusant de faire un peu du voyage avec toi.

— Ça n’est pas raisonnable, répondit Prosper embarrassé.

— Pourquoi ? Nous passerons la nuit dans le train…

Et elle ajouta tout bas :

— Nous nous aimerons une dernière fois dans le compartiment !…

Ça, par exemple, c’était une complication.

Léontine riait sous cape de l’embarras de son amant.

Finalement, il dut céder et accepter ce voyage avec Léontine.

Celle-ci, alors, ne lui parla plus que de cette nuit en chemin de fer pour laquelle elle manifestait le plus grand enthousiasme.

Léontine avait voulu que son amant retint un coupé-lit, afin qu’ils fussent bien seuls tous les deux.

— Oh ! mon chéri ! lui dit-elle, comme nous allons nous aimer… Ça ne m’est jamais arrivé… ce sera un plaisir nouveau…

Elle se fit très câline et, ma foi, Prosper s’exécutas avec la meilleure grâce du monde, en pensant que c’était la dernière nuit qu’il consacrait à sa brune amie…

Lorsque Léontine revint à Paris, elle convoquüa chez elle Albert, qui arriva accompagné de son ami Robert et de Fernande.

Fernande raconta comment elle avait été agréée en qualité de femme de chambre par Juliette.

— Ah ! dit-elle. Ça n’a pas été tout seul.

« Figurez-vous que cette petite mijorée ne voulait pas de moi.

« — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? disait-elle… c’est un coup monté par Albert.

« — Pas du tout, lui répondis-je. Albert l’ignore complètement. Seulement, voilà : Robert m’a lâchée, et puis j’en ai assez de faire la purée avec les artistes… alors je me suis dit : Juliette était bien avec moi, elle ne me refusera pas de me prendre à son service, ça me fera une situation. »

« De sorte que je suis à présent engagée définitivement et je dois être à mon poste le jour même du mariage.

— Je te félicite, dit Robert. Maintenant, il s’agit de savoir où M. Prosper Benoît compte emmener sa femme en voyage de noces.

— Je le sais.

— Déjà !

— Oui. Figurez-vous que l’idée de Mme Violet d’accompagner son ami en Italie et d’aller le rechercher a fait modifier tout le programme primitif.

« Le directeur avait d’abord projeté de partir pour Venise avec sa jeune épouse sitôt après la cérémonie. Mais il a eu peur sans doute d’être suivi de ce côté,

« Depuis, il a expliqué que ça n’était pas possible, que le ministre n’avait pas voulu qu’il s’éloignât de Paris et que le voyage en Italie aurait lieu plus tard.

« Justement la tante de M. Benoît possède dans la forêt, près de Fontainebleau, une maison un peu isolée qu’elle mettra à la disposition de son neveu, et c’est là que les jeunes mariés iront passer leur lune de miel.

— Tant mieux, dit Albert, cela arrange mieux nos affaires. « Il s’agit maintenant de reconnaître les lieux.

Ils étaient munis de toutes les indications possibles, et ils déjeunèrent dans une auberge voisine de la propriété où M. Benoît devait passer sa nuit de noces.

Habilement questionné, l’aubergiste fournit les renseignements complémentaires que désiraient ces touristes, qui trouvèrent du plus haut intérêt artistique cette maison entourée d’un parc, qu’ils brûlaient du désir de visiter pour prendre quelques croquis.

— Ce sera facile, dit le restaurateur, le personnel se compose en tout et pour tout d’un vieux jardinier qui vous donnera l’autorisation pourvu que vous lui payiez à boire, car c’est son péché mignon. Il est plus souvent saoul qu’à jeun, le père Onésime.

Les conspirateurs notèrent ce renseignement précieux.

L’aubergiste obligeant, alla lui-même chercher Onésime qui largement abreuvé, se fit le cicerone complaisant des deux artistes et de madame Violet, née Briquet.

— Seulement, dit-il, faudra rien dire, car la patronne en veut pas que je laisse entrer personne chez elle.

On juge que la recommandation d’Onésime était parfaitement inutile et qu’il pouvait compter sur la discrétion des visiteurs.

Albert et Robert visitèrent la maison de fond en comble. Les deux artistes prirent de nombreux croquis.

En prenant congé du jardinier, Léontine, qui avait une fois pour toutes pris à sa charge les frais de l’entreprise, remit au vieux paysan un pourboire qui donna, à ce brave homme une haute idée de la générosité des artistes parisiens.

Le soir même, les quatre alliés se retrouvaient chez Mme Violet.

Les deux jeunes gens avaient dressé un plan très détaillé de la maison de Fontainebleau et grâce à ce plan, ils donnèrent à Fernande les instructions les plus précises sur cet qu’elle aurait à faire le soir du mariage quand les nouveaux époux arriveraient, dans leur villa.

Albert se frottait les mains.

— Je l’avais dit ! Je le savais bien que j’empêcherais ce directeur de malheur de coucher avec sa femme.

Léontine acquiesçait :

— Non ! Il n’y couchera pas !

« Ah ! Prosper !… Prosper ! Tu ne te doutes pas de la surprise que je te réserve.

— Et Juliette non plus ne s’en doute pas… la petite rosse ! opina Albert.

Sur quoi, tous quatre, contents d’eux et satisfaits de leur journée, s’en furent joyeusement dîner à Montmartre.