Gustave III et la Cour de France
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 52 (p. 359-391).
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GUSTAVE III
ET
LA COUR DE FRANCE

IV.
GUSTAVE ET LA SOCIETE FRANCAISE A LA FIN DU REGNE DE LOUIS XV.


I

Par le coup d’état du 19 août 1772, Gustave III avait en quelques heures, sans une goutte de sang versée, délivré la Suède de l’anarchie, raffermi la puissance royale et détourné de son pays les graves périls qui le menaçaient du dehors. Il croyait cependant n’avoir rien gagné, si les suffrages de la société française ne donnaient à ses actes une consécration suprême. Dans le naufrage de tous les anciens pouvoirs, le pouvoir nouveau de l’opinion avait grandi : c’était en France qu’il avait établi son tribunal et qu’il rendait ses arrêts, et les souverains eux-mêmes commençaient de briguer sa faveur. Gustave III ne comptait certes pas pour rien les applaudissemens de son peuple, et sa clémence, l’abolition de la torture, une ordonnance favorable à la liberté de la presse, lui valurent tout d’abord en Suède même une juste popularité ; mais cela ne lui suffisait pas : il songeait au retentissement que son œuvre pourrait avoir en France, où la cour, les philosophes, la société polie, ces reines des salons dont il s’était fait adroitement le disciple, accueilleraient sa renommée et inscriraient le nom de Gustave III parmi ceux des coryphées du siècle. Le tableau de ses heureux efforts pour épier et capter, au commencement de son règne, une si utile faveur intéresse à la fois l’historien de Gustave et celui de la société française pendant les dernières années du règne de Louis XV.

La révolution suédoise répondait précisément à quelques-unes des préoccupations les plus vives alors dans notre pays. La profonde agitation qu’avait excitée la chute des parlemens durait encore. Avant le coup d’état du chancelier Maupeou, on n’avait vu que leurs erreurs et leurs fautes : depuis on se prenait à les regretter ; on se demandait s’ils n’étaient pas au fond animés de patriotisme, et si l’autorité qu’ils ambitionnaient n’eût pas comblé une grave lacune de la constitution française en opposant une barrière aux excès du pouvoir royal. Louis XV paraissait n’avoir consulté dans cet acte final, comme pendant tout son règne, que les intérêts de son absolutisme ; il avait achevé de détruire toutes les illusions de ceux qui se préoccupaient d’un régime plus libre. À cette inquiétude qu’inspirait la situation intérieure venait s’ajouter le trouble très réel qui s’était emparé de la conscience publique en présence du premier partage de la Pologne. Déjà on avait ressenti douloureusement nos désastres, consacrés par la paix de 1763, et le duc de Choiseul n’avait relevé un instant la politique extérieure que pour léguer à l’inhabile d’Aiguillon une tâche rendue plus difficile par le contraste et par la déception générale. On méditait sur les conditions nécessaires à la vie des peuples, sur les liens de solidarité qui les doivent unir entre eux. À ce double titre, le partage de la Pologne avait suscité en France des craintes et des scrupules qui se traduisaient, nous le verrons, par d’éloquentes sympathies.

Nul moment n’était mieux choisi pour intéresser la France à la Suède. Là aussi une représentation incomplète du pays, destinée en apparence à défendre la liberté, et qui en affichait très haut la prétention, avait été détruite par le pouvoir ; mais la ressemblance n’allait pas plus loin. La diète suédoise n’avait eu en effet d’autre inspiration que celle de l’égoïsme et s’était montrée absolument incapable de venir en aide à la constitution. Gustave l’avait renversée non pas pour s’affranchir lui-même et dominer en maître, mais pour commencer sans doute un beau règne, qui, répondant à l’idéal rêvé par le XVIIIe siècle, serait le règne de la justice et de la philosophie. L’organisme usé de la société française, auquel présidait le vieux roi Louis XV, paraissait voué à une dissolution prochaine, tandis que le jeune souverain du Nord, s’emparant des forces vives, allait régénérer un peuple. La révolution suédoise avait encore l’avantage d’opposer à la déplorable défaite de la Pologne une contre-partie brillante. Ceux qu’irritaient l’indigne politique de la Russie et de la Prusse et l’inaction de la France, Gustave III les charmait par une revanche heureuse : c’était pour eux une consolation de penser qu’un allié de la France avait employé nos subsides à remporter cette victoire. Le roi de Suède n’avait qu’à entretenir ces bonnes dispositions pour se concilier, par les suffrages de la société française, une autorité morale qui lui était fort nécessaire au moment où son pouvoir n’était pas encore entièrement établi.

Le plus pressé était d’observer la cour de Versailles, afin de se ménager constamment la faveur de ceux qui y domineraient. C’était là en effet que des changemens subits pouvaient résulter du contrecoup de l’opinion, soit qu’elle renversât le duc d’Aiguillon pour ramener Choiseul aux affaires, soit qu’elle entraînât Mme Du Barry elle-même. Il fallait prévoir de telles vicissitudes, tenir de puissantes amitiés en réserve, ne se compromettre ni avec les vainqueurs ni avec les vaincus. Gustave devait donc être amplement informé, et c’était pour cela qu’il entretenait avec un zèle infatigable de nombreuses correspondances. Son ambassadeur à Paris, le comte de Creutz, suivait particulièrement avec une attention scrupuleuse et lui traduisait avec exactitude tous les mouvemens de la cour ; c’était à lui de pressentir les changemens de ministres et de favoris, d’annoncer à l’avance les triomphes et les disgrâces, afin que son maître ne fût jamais pris au dépourvu. Aussi ses dépêches politiques sont-elles presque toujours accompagnées de renseignemens purement personnels qui forment de curieux tableaux. Creutz avait plusieurs des qualités nécessaires pour se bien acquitter d’un tel rôle : il était depuis longtemps à Paris, il connaissait à fond la cour et la ville. Causeur agréable, il trouvait bon accueil dans les cercles voisins de Versailles et dans les salons de l’aristocratie comme chez Mme Geoffrin et Mme Du Deffand. Il avait le cœur ouvert, il était insinuant. Son accent étranger donnait du piquant à l’enthousiasme naïf de son langage universellement flatteur. Il disait à chaque femme qu’elle était un anche, et si on lui parlait avec admiration du roi son maître, on lui ouvrait les portes de la béatitude éternelle. Comme il ne manquait d’ailleurs ni de zèle ni de finesse, c’était pour Gustave III un excellent informateur.

Gustave se croyait assuré de l’amitié du roi de France. Il lui avait témoigné la reconnaissance et le respect dus à un protecteur, il honorait de plus en lui un dernier représentant, par ses grâces personnelles, de cette majesté royale dont le roi de Suède était épris en même temps que des nouvelles idées ; mais il savait aussi combien l’invincible apathie de Louis XV rendait son commerce peu sûr : dédaigneux en apparence de l’opinion, le vieux roi voulait cependant la connaître, et ses velléités inconstantes pouvaient tout à coup céder au courant. On se rappelle la persistante durée de sa diplomatie secrète, dont certaines tendances, plus honorables, que les résolutions de sa politique déclarée, demeurèrent stériles et témoignèrent cruellement de son égoïste faiblesse. Après cent preuves bien connues de cette coupable indifférence, Creutz achève sa peinture par un vigoureux coup de pinceau quand il nous le montre pensionnant la femme du directeur des postes à la condition qu’elle lui rendra compte de tout ce qu’on écrit sur la cour, sur le roi lui-même, ses ministres et ses maîtresses[1]. Toutes les histoires de Mme Du Barry et de ses vilains parens lui furent de la sorte exactement rendues, et cette étrange délation se continua jusqu’à la fin du règne sans que personne en sût rien. Ce même directeur des postes, ayant demandé un jour à l’intendant des finances, M. d’Ormesson, une place de receveur-général et se voyant rebuté, lui dit : « Vous avez tort, monsieur, de rejeter ma requête ; j’ai l’honneur d’être particulièrement protégé du roi. En voulez-vous une preuve ? Vous êtes du conseil des dépêches ; sa majesté vous dira, si vous le voulez bien, lors de la prochaine réunion : « Je vous trouve bon visage, monsieur d’Ormesson ; êtes-vous parfaitement remis de votre maladie, et depuis quand êtes-vous revenu de votre campagne ? » Qui fut surpris d’une telle assurance ? Ce fut M. d’Ormesson, qui ne connaissait pas cet homme. Il le fut bien davantage, lui à qui le roi ne parlait presque jamais, quand au premier conseil il entendit en effet Louis XV lui adresser ponctuellement ces mêmes expressions. Il en conclut, comme on pense, qu’il y avait lieu de satisfaire sans examen un tel solliciteur.

Ce n’était donc pas non plus Mme Du Barry qui pouvait offrir un appui solide. Elle était actuellement t toute-puissante, il est vrai, et les courtisans, le maréchal de Richelieu en tête, invoquaient pour elle le respect dû au choix suprême, à la prérogative royale. Sa faveur passait cependant pour n’être pas à l’abri de toute épreuve, et Creutz note avec soin les attaques venues de la cour, les témoignages du mépris public, toutes les intrigues enfin qui menaçaient de la renverser :


« On sent qu’on tomberait dans le néant, écrit-il, si les liens de l’habitude qui l’attachent à Louis XV venaient à se rompre, et ils se rompraient infailliblement, si un déclin de la santé du maître amenait un retour vers la dévotion. La conscience royale serait en repos, si Mme Du Barry n’était pas mariée, et il arriverait la même chose qu’avec Mme de Maintenon. L’obstacle étant insurmontable, un changement serait fatal ; tout le crédit tomberait entre les mains des prêtres ; Mme de Marsan[2] et les Noailles seraient, parmi les grands, ceux qui recueilleraient la plus grande part d’influence. »


Gustave III tenait beaucoup à se ménager les bonnes dispositions de la favorite, mais il lui importait aussi de ne pas se compromettre à cause d’elle auprès de l’opinion. Lors donc que le jeune baron de Liewen vint à Versailles pour y apporter la nouvelle de la révolution du 19 août 1772, et que Mme Du Barry joignit ses félicitations très vives au bon accueil que lui faisait Louis XV, Creutz dut rester sur la réserve :


« Mme Du Barry voulut envoyer à votre majesté, dit-il, son buste et le tableau que Greuze a fait d’elle ; mais cela engagerait votre majesté à lui donner son portrait et à lui écrire, cela pourrait embarrasser votre majesté : ainsi j’ai laissé tomber cette proposition. Il est cependant bien nécessaire de ménager Mme Du Barry ; je supplie votre majesté de me mettre en état de lui dire des choses flatteuses de sa part. Je suis extrêmement dans sa faveur, mais je suis embarrassé de ce que je dois lui répondre, si elle vient de nouveau à me proposer d’envoyer son portrait. Le roi est extrêmement délicat sur tout ce qui la regarde ; il ne pardonne ni n’oublie jamais la moindre chose qui pourrait la blesser. »


Gustave médita l’avis, prit sur lui d’écrire à la comtesse, mais d’un ton discret qui provoquait à peine une réponse. Si Mme Du Barry tombait, et que sa chute amenât le changement prévu par le comte de Creutz, il avait par la vieille comtesse de La Marck, une de ses spirituelles correspondantes, une ouverture et un appui précieux auprès du parti des Noailles.

Le ministère ne se soutenait que par la favorite, sans avoir de lui-même aucune force. Il était d’ailleurs tenu en échec par le duc de Choiseul, resté populaire après sa disgrâce, et qui pouvait à tout moment remonter au pouvoir. Il fallait donc que le roi de Suède, fort intimement lié avec le duc d’Aiguillon, ne se laissât pas non plus oublier du ministre déchu. Bien qu’il fût de mode de faire le voyage de Chanteloup, avec ou sans la permission du roi, par manière d’opposition, le comte de Creutz, ambassadeur étranger, ne pouvait tenter une pareille démarche sans se compromettre ; il ne négligea pas du moins de faire parvenir de temps en temps ses protestations affectueuses au duc et à la duchesse, et Gustave III lui-même se procura dans cet autre camp d’utiles intelligences par Mme de Brionne, très ardente amie des Choiseul, et qui trônait auprès d’eux. Gustave paraît toutefois n’avoir pas eu les sympathies de la charmante maîtresse de la maison. Il y a dans la correspondance de Mme Du Deffand une jolie lettre de Mme de Choiseul qui montre qu’elle a très bien pénétré le sens des perpétuelles flatteries adressées par le roi de Suède au grand-papa et à la grand’maman[3]. Elle a deviné que tant de complimens n’ont d’autre but que de se ménager la bonne volonté de Choiseul pour le cas où il reviendrait aux affaires ; elle sait qu’on tient le même langage à d’Aiguillon : elle s’en irrite, et finit par écrire à la chère petite-fille que son roi de Suède « n’est qu’un petit intrigant. » — Cependant elle ajoute : « Le seul comte de Creutz est resté bon, franc, loyal, galant homme, et plein d’amour pour M. de Choiseul. On voit que Gustave ne fût pas resté sans appui dans la place ; quelle que pût être sa mésaventure auprès de la spirituelle duchesse, il saurait entretenir à Chanteloup le souvenir d’intimes et anciennes relations, et il pouvait compter d’ailleurs sur la communauté persistante des intérêts politiques.

En présence d’un roi insouciant et sexagénaire, d’un ministère impuissant, d’une favorite dont le crédit paraissait menacé, il y avait pourtant une jeune cour à qui appartenait l’avenir, et qui occupait fort l’attention de Creutz :


« Ceux, dit-il, qui sont mécontens de la cour en général (le nombre en est grand) placent toutes leurs espérances sur Mme la dauphine[4]. Cette princesse a infiniment d’agrémens et de grâce : elle est vive, impétueuse, mais pourtant avec de la raison et de l’empire sur soi-même ; elle a sur son mari un pouvoir absolu. — M. le dauphin aime la justice et la vérité ; il n’a pas de favoris et redoute les flatteurs. Une des premières influences qu’il ait subies est celle de Mme de Marsan : elle lui a fait remarquer les abus qui se commettent, les déprédations, les injustices, les exactions des grands ; elle lui a rappelé les principes de son père, l’a engagé à parcourir les papiers qu’il avait laissés, et où feu M. le dauphin lui donnait des préceptes de mœurs, de conduite et d’administration sévères. Tout cela a fait faire au prince des réflexions utiles dans l’âge où les impressions sont le plus vives et où l’on embrasse avec ardeur ce que l’on croit vrai. M. le dauphin sent que son éducation a été négligée, et il tâche de s’instruire. Pour le roi personnellement, cette jeune cour est parfaite ; sans faire de politesses marquées à Mme Du Barry, elle ne lui donne aucun sujet de plainte. Mme la dauphine lui a parlé pour la première fois au premier jour de l’an 1772, ce dont la comtesse et son parti ont été tout glorieux. »


Du côté de cette jeune cour, Gustave III n’avait pas de très fortes attaches. Il avait été bien accueilli, lors de son premier voyage à Paris, en 1771, par le dauphin et par ses frères ; il avait même contracté avec Monsieur, comte de Provence, une liaison qui fut durable ; mais il n’avait que médiocrement plu à Marie-Antoinette, et il y eut longtemps entre eux une sorte d’antipathie qui ne céda que devant les terribles circonstances de la fin de l’un et l’autre règne.

Si Gustave III courtisait avec tant de soin Versailles et Chante-loup, c’était afin de ne pas se trouver au dépourvu en face des changemens que pouvait amener parmi les alliés naturels de sa politique la force de l’opinion ; mais il n’oubliait pas que les hommes de lettres et les philosophes disposaient les premiers, à vrai dire, de cette nouvelle puissance, et qu’il fallait s’emparer d’eux pour détourner utilement le fleuve à sa source. Ses mesures étaient prises de longue main : il était en relations déjà anciennes soit avec les encyclopédistes, dont il s’était déclaré l’élève, soit avec les écrivains en renom, dont il aspirait à devenir le protecteur en titre. Immédiatement après son coup d’état, il en adressa une relation à Voltaire, qui, ayant déjà l’amitié de Frédéric, de Catherine, de Christian VII, et tenant beaucoup à conserver son « brelan de rois quatrième, » lui accusa réception par l’épître bien connue :

Jeune et digne héritier du grand nom de Gustavo, etc.


Il l’adressa par l’entremise du comte de Creutz avec ces lignes :


« Ferney, 16 septembre 1772. — Monsieur, voici ma réponse ; je l’avais faite longtemps avant de recevoir la relation que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Mes vers n’ont pas été faits de génie, mais ils sont partis du cœur. C’est, ce me semble, à vingt-cinq ans que le génie des rois et des poètes est dans sa force ; à mon âge, on ne sait qu’admirer et balbutier. Pardonnez mon radotage en faveur de mes sentimens, et surtout en faveur du respectueux attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, VOLTAIRE[5]. »


Voltaire ne s’était donc pas fait prier ; il écrivait aux amis du roi de Suède que depuis longtemps il était chapeau, mais qu’à la nouvelle de la révolution l’enthousiasme lui avait complètement tourné la tète. Indépendamment du certificat poétique qu’il venait de délivrer à Gustave, il eut par hasard au même moment l’occasion de faire un éloge public et retentissant du coup d’état. Il avait présenté au théâtre une de ses dernières tragédies, les Lois de Minos, qu’il venait d’achever en huit jours ; elle n’en était pas meilleure pour cela, comme il disait lui-même, et tout le succès en devait dépendre d’allusions fort transparentes à plusieurs épisodes de la politique contemporaine. — Le roi de Crète Teucer se trouve en présence de lois détestables qui datent d’un de ses prédécesseurs, le roi Minos ; la couronne crétoise est devenue élective, et le droit de veto accordé à chaque membre d’une aristocratie turbulente maintient une irrémédiable anarchie. Heureusement Teucer a fait de lointains voyages : il a visité, lui aussi, le pays des Velches ; il a vu des cours aussi éclairées que celle de Versailles et des capitales aussi policées que Paris ; il a lu des livres qui ne le cèdent en rien à l’Encyclopédie et à l’Essai sur les mœurs, Teucer est donc, à son retour, un roi philosophe ; mais quand il veut mettre la main aux réformes pour détruire les préjugés et changer les lois qui déshonorent son pays, il rencontre l’opposition des nobles et celle d’un grand-prêtre, par l’ordre duquel, suivant une odieuse coutume, une jeune captive va être sacrifiée. L’archonte Mérione lui représente l’inutilité de sa généreuse entreprise, qui échouera devant le veto des sénateurs. Teucer n’obtiendra rien que par les armes ; il accomplit son coup d’état, renverse l’autel du fanatisme, détruit par la flamme le temple même, et pardonne aux vaincus :

Vis, mais pour me servir, superbe Mérione.
Ton maître t’a vaincu, ton maître te pardonne.
La cabale et l’envie avaient pu t’éblouir,
Et ton seul châtiment sera de m’obéir.

Lequel des rois contemporains Voltaire désignait-il sous le nom de Teucer ? Il disait qu’il avait voulu donner un bon conseil au malheureux roi de Pologne. Le succès de Frédéric II et de Catherine n’était pas entièrement décidé ; on pouvait croire encore que Stanislas-Auguste, par un acte de vigueur, affranchirait son royaume ; un tel résultat se serait trouvé conforme au vœu public, et Voltaire, qui n’avait réellement en vue qu’un seul triomphe, celui de la philosophie, aurait accueilli un coup d’état de Stanislas-Auguste, l’ami de Mlle Geoffrin et le défenseur de la liberté religieuse, tout aussi volontiers qu’il accueillit bientôt après le triomphe du roi de Prusse et de l’impératrice de Russie. L’important, c’était qu’on eût fait place à la philosophie marquée de la bonne estampille ; dès lors on avait bien agi, fût-on Frédéric ou Catherine. Il y avait cependant un point de politique tout intérieure sur lequel Voltaire n’était pas en ce moment d’accord avec l’opinion. La ruine des parlemens lui avait plu, parce qu’il voyait toujours dans ces anciens corps les juges de Calas et de La Barre ; s’inquiétant fort peu des progrès de l’autorité royale, si le fanatisme était puni, il célébrait en prose et en vers l’œuvre récente du chancelier, qu’il comparait aux travaux d’Hercule alors même que l’esprit public la flétrissait. Les Lois de Minos furent soupçonnées d’être un nouvel hommage à la révolution parlementaire, et ce soupçon ne laissait pas que de susciter des obstacles à l’admission de la pièce. La révolution de Suède survint quand Voltaire était dans cet embarras ; l’occasion lui parut favorable d’attacher une amorce de plus aux Lois de Minos en leur prêtant d’autres allusions, et il ne fit aucune difficulté d’appliquer à Gustave ce qu’il avait écrit à l’adresse de Stanislas ou de Maupeou. Le grand-prêtre fanatique représenta l’ordre du clergé, qui faisait partie, comme on sait, des diètes suédoises, et qui était partout bon à dénoncer ; l’orgueilleux Mérione fut, dit Voltaire lui-même, ce pauvre baron Rudbeck, qu’on a vu joué par Gustave III la veille du coup d’état, et qui avait tenté d’organiser une résistance. « On dit que les mourans prophétisent, écrit Voltaire en septembre 1772 ; je me trouve peut-être dans ce cas. Je fis, il y a trois mois, une assez mauvaise tragédie. Il s’est trouvé que c’était mot pour mot, dans deux ou trois situations, l’aventure du roi de Suède. J’en suis encore tout étonné, car en vérité je n’y entendais pas finesse. C’était le roi de Pologne qui devait jouer le rôle de Teucer, et il se trouve que c’est le roi de Suède qui l’a joué ! » Voltaire ne persuada pas tout le monde : on examina, on discuta ; Mme du Deffand[6] opinait pour l’allusion suédoise ; Mme de Choiseul persistait à croire que l’intention secrète avait été l’éloge du chancelier. Ce qui importait à Gustave dans ce débat, c’était que les Lois de Minos porteraient dorénavant son étiquette, et lui vaudraient une sorte de popularité : Voltaire fut l’oracle décidément favorable. Le roi de Suède. eut grand soin d’entretenir le zèle utile du patriarche en le prenant pour témoin de ses premiers actes, conformes sinon aux principes, au moins aux formules du XVIIIe siècle. L’ordonnance suédoise sur la liberté de la presse, à peine publiée, fut traduite pour être envoyée à Ferney. Voltaire une fois gagné, les disciples suivirent. Les lettres de d’Alembert. nous montrent qu’il s’associa aux éloges prodigués par le maître. L’admiration de Marmontel était naturellement acquise ; on se rappelle dans quelle intimité Gustave III l’avait admis. Naguère confident des hardiesses du poète, il avait fort applaudi ce chapitre XV de Bélisaire, que la Sorbonne avait si fort censuré ; c’était maintenant au poète d’exalter devant ses compatriotes les actions et le langage du souverain qui lui écrivait ces lignes : « Puisse mon règne être celui de la vraie philosophie, de cette philosophie bienfaisante qui, respectant tout ce qui est véritablement sacré, attaque seulement les préjugés d’où naissent les malheurs des peuples, éclaire les rois sur leurs devoirs et les sujets sur leur vrai bonheur, et ne peut subsister sans que de part et d’autre on respecte les lois. » — Gustave III n’eut pas Mably. Ce penseur solitaire, qui rejetait tous les genres de despotisme, avait professé dans son traité de la Législation, composé avant 1772, une profonde admiration pour le gouvernement de la Suède tel que l’avait fait la constitution de 1720. Il promettait à ce gouvernement une longue durée, tandis que le système anglais lui paraissait destiné à une ruine prochaine. Vainement Gustave accomplit-il avant la publication de l’ouvrage son coup d’état ; « le roi de Suède peut changer son pays, répond Mably, mais il ne changera pas mon livre ! » et l’obstiné prophète n’en répète pas moins sa prédiction déjà à moitié démentie. Une telle opposition ne pouvait d’ailleurs que profiter à Gustave auprès des encyclopédistes, avec lesquels Mably avait entièrement rompu. Le succès de ce côté était chose acquise, et le jeune roi, vainqueur du fanatisme et de l’anarchie, commençait à rêver une gloire pareille à celle que le XVIIIe siècle décernait aux souverains philosophes, à Catherine et à Frédéric. Pour que sa joie fût complète, il fallait qu’il obtînt les suffrages de nos salons, particulièrement ceux des grandes dames qui y régnaient, et auxquelles il avait vu les hommes de lettres obéir eux-mêmes en humbles courtisans.


II

Un groupe de femmes éminentes par l’esprit et le caractère donnait le ton, vers la fin du règne de Louis XV, à la société polie. Une seconde partie du siècle avait commencé, pendant laquelle l’exaltation romanesque introduite par Rousseau allait être accompagnée d’une noblesse de sentimens, d’une élévation d’idées et de vues politiques ou morales qu’on doit reconnaître, si l’on veut être juste envers ces dernières générations de l’ancienne France, qui se préparaient de la sorte à bien mourir. Que ce mouvement d’esprit amenât quelque pédantisme, apparent ou réel, dans les salons, cela est possible : Chrysale y eût assurément trouvé fort à redire ; mais combien les temps étaient changés ! On était loin de la sécurité d’autrefois ; certains périls étaient devenus trop visibles, et l’on ne se sent pas le cœur aujourd’hui de blâmer ou même de dédaigner des paroles émues décelant, à une telle heure, des cœurs animés de patriotisme et secrètement avertis. Ce changement faisait d’ailleurs partie d’une réforme morale dans laquelle les femmes éminentes pouvaient bien revendiquer leur part d’influence, tant la dignité de leur sexe y était intéressée. Toutefois nous ne connaissons jusqu’à présent qu’un petit nombre de témoignages écrits de l’ardeur avec laquelle les femmes placées alors à la tête de la société française se mêlaient aux grandes questions politiques. — Mme Du Deffand, dont le dehors glacé recouvre un feu à peine éteint, a déjà sans doute de fortes expressions pour détester Frédéric II et Catherine, pour blâmer les adulations de Voltaire. Mlle de Lespinasse, amie de Turgot et de Malesherbes, invoque pour sa patrie les libertés de l’Angleterre et gémit avec larmes des abus qu’autorise l’incomplète et irrémédiable constitution de la France. Mme de Choiseul, dans ses lettres spirituelles et vives, montre enfin une ardeur généreuse. Voilà jusqu’à trois noms ; mais le groupe a été plus nombreux de ces femmes qui ont honoré la société française du XVIIIe siècle par leur dévouement à la liberté, au patriotisme, à tout ce que la philosophie de leur temps enseignait de meilleur. Telles furent certaines institutrices de Gustave III. Le roi de Suède trouvait son compte à encourager leurs efforts : leur esprit le charmait, leurs lettres lui apportaient avec d’utiles informations le retentissement de précieux hommages ; elles, de leur côté, comptaient former et donner au monde le prince idéal que leur temps avait rêvé.

Gustave III correspondait familièrement avec les comtesses d’Egmont, de La Marck, de Boufflers et de Brionne, avec Mme Feydeau de Mesmes, Mme de Luxembourg et Mme de Croy. De ces deux dernières on ne rencontre dans les papiers d’Upsal aucune lettre ; il y en a deux ou trois de Mme Feydeau de Mesmes, qui se confond, par une amitié tendre et une parfaite communauté de vues, avec Mme d’Egmont, et, de Mme de Brionne, une dizaine, qui, n’offrant rien de politique, attestent seulement quelle familiarité aimable présidait à ces lointaines relations. Nous savons pourtant que Mme de Brionne se mêlait ardemment aux factions intérieures d’alors. Femme du prince Louis de Lorraine, grand-écuyer de France, et parente de l’empereur Joseph II, qu’elle reçût pendant son voyage à Paris, en 1777, elle occupait un rang élevé à la cour, et s’était mise à la tête du parti de Choiseul. Ses qualités personnelles et sa beauté lui assuraient d’ailleurs une réelle puissance ; si le duc de Choiseul devait un jour revenir au pouvoir, Gustave III, envers qui elle professait une entière admiration, aurait par elle, nous le savons, un excellent appui auprès de ce ministre. — Les comtesses d’Egmont, de La Marck et de Boufflers n’étaient pas moins dévouées à Gustave ; c’est d’elles que les papiers d’Upsal nous ont conservé de longues et importantes missives. Chacune de ces grandes dames avait mis au service du roi de Suède son crédit dans les cercles les plus brillans ou auprès des familles les plus influentes de la société parisienne ; elles y propageaient sa renommée, et l’estime qu’il savait leur inspirer pouvait devenir, grâce à leur propre mérite, aisément contagieuse. Mme d’Egmont était, comme on sait la fille du célèbre maréchal de Richelieu. Le maréchal fut marié trois fois, d’abord à quatorze ans, en 1710, puis, en 1734, avec la princesse Elisabeth de Lorraine, héritière des Guises et la troisième fois à quatre-vingt-quatre ans. Il eut de son second mariage un fils, le duc de Fronsac, et une fille, née le 1er mars 1740, qui devait être Mme d’Egmont. Privée de très bonne heure de sa mère, Sophie-Jeanne Septimanie de Richelieu fut élevée tendrement par la duchesse douairière d’Aiguillon. Son père, à travers l’extrême dissipation de sa vie brillante et corrompue, ne cessa de l’adorer. Elle figure à ses côtés au milieu des fêtes qu’il prodiguait dans son gouvernement de Guienne ; elle s’y était fait elle-même une sorte de royauté dont l’éclat s’étendait jusqu’à Paris et Versailles. On la retrouve, durant ses années de jeunesse, soit dans les magnifiques réjouissances que le riche Bordeaux du XVIIIe siècle multipliait et que Rulhière a décrites, soit dans ces galantes journées, arrangées par Favart, que la marquise de Moncontour offrait au vainqueur de Mahon ou bien au roi Stanislas à Bagatelle[7], partout enfin où la plus haute société de ce temps prodiguait sa suprême élégance. Après une infortune de cœur, dit-on, elle épousa à seize ans, le 10 février 1756, le plus grand seigneur des Pays-Bas, le comte d’Egmont : un grand surcroît d’illustration et de fortune vint s’ajouter ainsi pour elle à ce que lui donnait déjà sa haute naissance. Six mois à peine après ce mariage, la fameuse prise de Port-Mahon par son père jette sur elle une autre sorte d’éclat[8], et elle se trouve au moment de sa plus vive lumière. C’est alors qu’elle remporte facilement le prix de la beauté, comme parle Mme Du Deffand, lorsque, dans les bals de Mme de Mirepoix, elle préside avec le duc de Chartres à des danses de caractère, ou quand elle porte, à un grand couvert de Versailles, toutes les perles héréditaires de la maison d’Egmont. Comme toutes les nobles dames de son temps, elle avait admis dans sa familiarité les gens de lettres : Jean-Jacques Rousseau, qui lui lut en partie ses Confessions et admira combien elle en était émue ; Marmontel, qui la rencontrait aux dîners de Mme Geoffrin, et qui vante son prestige ; Rulhière, qu’elle encouragea constamment, qui écrivit en son honneur et lui garda un long souvenir.

Si l’on a recours aux portraits que les écrivains de son temps ont laissés de Mme d’Egmont, on se persuade, mais sans bien concilier leurs témoignages avec ceux de sa biographie connue, que les charmes de sa personne ont été pour beaucoup dans sa domination souveraine. Horace Walpole, en 1765 et 1766, la dépeint comme ayant une figure assez peu régulière, mais délicieusement jolie ; il la dit aimable, gaie et de charmante conversation, delighfully pretty and civil and gay and conversable. Mme de Genlis lui trouve une grâce exquise malgré sa mauvaise santé, mais quelque chose de maniéré dans la figure comme dans l’esprit. « Je crois, dit-elle, qu’elle n’était que singulière et non affectée ; elle était née ainsi. On pouvait lui reprocher un sentiment romanesque, et elle a fait, à ce qu’il paraît, beaucoup de grandes passions ; mais ses mœurs ont toujours été pures. Les femmes ne l’aimaient pas ; elles enviaient sa séduction, et ne rendaient nullement justice à sa bonté, à sa douceur, » Sans donner toute confiance aux prétendus Souvenirs de la marquise de Créqui, on peut remarquer que, d’accord ici en plusieurs points avec Mme de Genlis, ils caractérisent avec un certain bonheur d’expression ce que Marmontel, qui n’a qu’un mot sur Mme d’Egmont, appelle assez gauchement son air de volupté. « On n’a jamais été plus étrangement déraisonnable, ni plus injustement calomniée que ne l’a été Mme d’Egmont. Elle y prêtait par un semblant de préoccupation romanesque et surtout par un air d’ennui dédaigneux et mortifiant qu’elle avait toujours avec les ennuyeux… Cette charmante personne était d’une grâce indéfinissable : un composé de charme, d’esprit et de politesse noble, de tradition parfaite et d’originalité piquante, avec des manières exquises et comme une élégance parée sous laquelle on entrevoyait un germe de mort prochaine. »

Voilà certes un curieux portrait, mais qui conserve quelque chose de vague et de mystérieux. Le peu qu’on connaît de la biographie de Mme d’Egmont ne suffit pas à interpréter tout ce qu’on dit sur elle ; où trouver dans la vie de cette grande dame, qu’on nous montre seulement reine des salons et amie des gens de lettres, de quoi justifier cette sorte d’étonnement qu’elle causait, ce charme indéfinissable, cette physionomie souvent sérieuse jusqu’à la tristesse et jusqu’au soupçon d’une mort prochaine ? Les pièces que nous empruntons à la collection des papiers de Gustave III ou à différentes archives vont nous rendre en partie les lumières qui nous manquent. Il ne s’agit cependant que de trois années, les trois dernières de Mme d’Egmont, depuis le commencement de 1771, alors qu’elle rencontra Gustave pour la première fois, jusqu’à la fin de 1773, où une lettre de sa belle-fille nous apprend sa mort. Elle a passé une bonne partie de ces trois années sur un lit de souffrance, mais avec une amie sérieuse à son chevet, Mme Feydeau de Mesmes, et en s’occupant de poursuivre sans cesse quelque généreuse idée. Ses lettres à Gustave III, pendant ce temps de retraite, la montrent sous un aspect que ses contemporains eux-mêmes paraissent n’avoir pas entièrement connu, et qui néanmoins explique et justifie leur jugement. Elles nous révèlent son vrai caractère, composé de grâce originale, de vivacité folle, d’enthousiasme un peu romanesque, de tristesse intérieure, d’ardeur de pensée, et de langueur, devenue bientôt mortelle.

À peine sorti de France depuis quelques jours, Gustave a engagé lui-même sa correspondance, avec Mme d’Egmont par ce billet, daté des bords du Rhin, 5 avril 1771 :


« Plus je m’éloigne de vous, madame la comtesse, plus mes regrets augmentent, et malheureusement ils ne pourront finir… Je ne suis point étonné de la ruse de Mentor, car si Calypso vous ressemblait, Télémaque avait bien raison de ne pas la vouloir quitter… Si je voulais faire le héros, je vous dirais que le plaisir de rendre un peuple heureux et de remplir la grande tâche qui m’est imposée suffira seul pour me consoler d’être à jamais séparé de vous ; j’aime mieux vous dire avec sincérité qu’entre les regrets sans nombre que j’ai d’être roi, celui de perdre l’espoir de vous revoir jamais est un des plus grands. »


La comtesse d’Egmont s’empare immédiatement dans ses réponses des plus hautes questions morales et politiques. L’affaire des parlemens lui tient surtout au cœur. Sans nul doute elle continue, dans ses lettres à Gustave III sur ce sujet, une discussion commencée pendant le séjour du roi à Paris ; bientôt, la maladie l’empêchant de développer à son gré toutes les raisons qu’elle voulait faire valoir, elle appelle à son aide la verve de son intime amie, Mme Feydeau de Mesmes, qui travaille auprès d’elle, et résume ses pensées en y ajoutant les siennes :


« Sire, écrit Mme d’Egmont le 1er septembre 1771, j’ai pensé que vous n’aviez pas pris la peine de discuter les principes de M. le chancelier, et que par conséquent vous n’aviez pas vu ni ce qu’il détruit ni ce qu’il veut rétablir. Dans cette persuasion, j’ai prié Mme de Mesmes de rassembler les faits principaux, afin que votre majesté pût voir sur quoi se fonde ma façon de penser à cet égard. J’étais trop malade pour pouvoir faire ce travail ; d’ailleurs mon amie en est plus capable que moi… Elle a écrit ce petit ouvrage au chevet de mon lit, pendant ma maladie à Braine, et il est certain qu’il n’est venu personne pour nous aider. »


À ces lignes d’envoi était joint un mémoire de dix grandes pages, conservé dans la collection des papiers de Gustave III, à Upsal. Quelques notes marginales sont de la main de Mme d’Egmont, très facile à reconnaître, et le texte nous représente évidemment le travail en commun des deux amies, écrit par Mme de Mesmes, Quand on lit ces pages, qui reparaissent ici après un siècle d’entier oubli, on sent renaître quelque chose de l’émotion qui présidait à une telle scène : l’une de ces deux femmes, minée par la maladie, mais que de grands sentimens animent, est soutenue par l’espoir de faire triompher son ardente propagande dans l’esprit d’un jeune prince devenu son ami y et qui, pour le bonheur d’un peuple, aura les moyens d’appliquer ses doctrines. Grande dame, elle représente cette portion considérable de la noblesse française que le désintéressement et le patriotisme honorent. L’autre, sa fidèle et grave confidente, parfaitement, inconnue de nous en dehors de cet épisode, appartient sans nul doute à l’une des célèbres familles de cette ancienne magistrature française, qui a formé presque un nouvel ordre, comme une nouvelle noblesse dans l’état, et dont le contre-poids, s’il eût été définitivement admis dans la constitution politique, eût modifié les destinées de notre pays. Ce qu’écrivent Mme d’Egmont et Mme Feydeau de Mesmes sur de tels sujets ne dénote pas seulement de la générosité de cœur, mais aussi une vive intelligence de notre histoire, une juste prévision des maux que le despotisme devait attirer sur la nation.

Le mémoire remonte jusqu’aux premiers temps de la monarchie. On ne doit pas s’en étonner : une recherche inquiète préoccupait les esprits ; on reprenait l’enquête ébauchée au temps de la fronde. On voulait examiner et sonder toute la constitution ; il n’était plus question que des lois sur lesquelles elle était fondée ; on reprenait leurs origines, on les commentait ; de grandes idées et aussi de grands mots se mêlaient à toutes les conversations. Voltaire, dans la satire des Cabales, qui est précisément de 1772, est l’écho fidèle de ses contemporains quand il montre un énergumène qui demande ainsi des argumens à toutes les époques de notre histoire :

Mais, monsieur, des Capets les lois fondamentales,
Et le grenier à sel, et les cours féodales,
Et le gouvernement du chancelier Duprat !


Ne prenons pas en moquerie cette effervescence ; elle était généreuse ; venue un peu plus tôt, elle eût pu être féconde. C’est de ce moment du moins que date pour nous une intelligence plus complète de l’histoire de France, et Mably, dont l’école historique moderne a repris et développé plusieurs vues, procède en partie de ce mouvement. Après avoir rappelé les progrès excessifs de la royauté, Mme d’Egmont et Mme de Mesmes démontrent que deux freins restaient contre les excès possibles de sa puissance : d’abord les droits de la noblesse ; mais ils ne consistent déjà plus qu’en quelques distinctions plus idéales que réelles, « comme la possession de nos biens, sur lesquels le roi met des impositions à sa volonté. » Le second frein était précisément ce droit d’enregistrer que possédait naguère encore le parlement. « M. le chancelier est coupable et imprudent de le vouloir détruire… Combien d’hommes à qui ce simulacre de liberté faisait croire, qu’ils n’étaient pas soumis à une autorité arbitraire, — qui, à la place d’un dévouement servile dicté par la crainte, avaient encore pour les rois celui du cœur, et dont les âmes, par cette raison, conservaient l’énergie et l’honneur, qu’on ne trouve plus chez un peuple résigné au despotisme ! Est-ce donc là ce qu’il faut détruire ? La ruine du parlement n’est pas faite pour augmenter la puissance du roi. Un roi dirait en vain : Je suis le maître, ma volonté est la loi. S’il n’était pas le maître, en effet de par les lois, cette prétention n’ajouterait rien à sa puissance. Un roi habile, en détruisant tout pouvoir qui peut mettre un obstacle au sien, se gardera bien d’avertir ses sujets qu’il les a rendus esclaves de sa seule volonté, car cette idée effrayante les fait discuter sur l’injustice d’une autorité si grande, et leur fait examiner sur quel droit on se l’attribue. M. le chancelier, depuis six mois, a fait apprendre l’histoire de France à des gens qui seraient peut-être morts sans l’avoir sue. »

Ces dernières lignes sont éloquentes ; elles rappellent les célèbres paroles de Retz au prince de Condé, lorsque, lui conseillant de se mettre à la tête des cours souveraines, et, par cette alliance entre l’aristocratie princière et la magistrature, de réformer l’état pour des siècles, il lui disait : « Il n’y a que Dieu qui puisse exister par lui seul. Autrefois il existait en France un milieu entre les peuples et les rois ; le renversement de ce milieu a jeté l’état dans les convulsions… On va droit à l’établissement de l’autorité purement et absolument despotique ; ce chemin est de tous les côtés bordé de précipices… » Mmes d’Egmont et de Mesmes ont ici la même inspiration et à peu près la même vue politique. À la fin du règne de Louis XV comme au commencement du règne de Louis XIV, c’est l’intelligente expression d’un sentiment très vif de l’insuffisance de la constitution française et des dangers qui s’accumulent toujours davantage pour l’avenir ; c’est le même avertissement à la royauté et à la nation elle-même, le même vœu de voir employer ce qui subsiste de notre ancienne constitution à sauver le reste de l’édifice, gravement compromis, et, — sans parti-pris encore d’aucune imitation anglaise, — de faire entrer la France dans une voie nouvelle qui se serait rapprochée de celle où s’étaient engagés nos voisins. Retz, avec une sagacité singulière, jette un regard perçant et isolé à travers toute l’histoire de France ; nos grandes dames au contraire sont évidemment les interprètes d’une opinion désormais adoptée autour d’elles par un grand nombre d’esprits attentifs. Cent fois on a discuté ces graves pensées en leur présence ; les gens de lettres, qu’elles admettaient dans leur conversation, en ont fait le sujet de nombreux écrits ; Mably fréquentait le salon de Mme d’Egmont, et nous savons qu’un jour, malgré les maîtres de la maison, il déchira de ses mains, regrettant’ d’en être l’auteur, le livre où il avait fait l’éloge de la royauté.

Gustave III reçut le mémoire de VIII d’Egmont et de Mme de Mesmes ; il paraît qu’il fit des objections, opposant aux nouvelles théories les excès du parlement d’Angleterre et la mort de Charles Ier. Mme de Mesmes se charge cette fois de reproduire seule, par une note assez étendue, où elle fait habilement sentir l’énorme différence des deux constitutions quant à l’autorité parlementaire. Avec une sûreté de raisonnement remarquable, elle affirme que le fanatisme, encore subsistant chez nos voisins au XVIe siècle, a seul pu causer de tels excès, et que la France de son temps est à l’abri d’un si grand fléau. Elle a raison sans doute : elle ne peut pas pressentir le cruel démenti qu’une autre sorte de fanatisme lui infligera vingt ans plus tard en France même, et on n’a pas le droit de l’accuser, elle ni sa digne compagne, quand elle s’élève encore contre le pouvoir absolu.


La cause du parlement n’est devenue générale, dit-elle, que parce qu’on a voulu lui faire enregistrer que la puissance royale est sans bornes. Un tel droit ne doit être celui d’aucun roi, et n’est pas assurément celui d’un roi de France. Tout Français à qui l’on eût porté cette déclaration pour la signer l’eût dû refuser, à plus forte raison un corps qui représente seul la nation, puisque son enregistrement donne la dernière sanction à la loi du souverain, et semble être l’aveu des sujets de s’y soumettre. C’est contre le despotisme érigé en maxime, c’est contre ces grands mots : « je ne tiens ma puissance que de Dieu, et rien sur la terre n’a le droit d’y apporter des limites, » que la nation s’est révoltée. Ce langage est fondé apparemment sur ce qu’il est dit dans l’Écriture que ce fut Dieu qui donna un roi aux Israélites ; mais l’Écriture ajoute que c’est dans sa colère que Dieu donna des rois aux nations. »


Telles étaient les leçons de politique libérale que Gustave III recevait de ses deux éloquentes amies. Leur enthousiasme n’y souffrait pas de ménagemens ni de sous-entendus équivoques :


« Sire, écrit bravement Mme d’Egmont, une chose m’afflige : ce sont les éloges que vous faites de notre roi. Si vous employez la politique avec moi, comment puis-je croire que vous me traitez avec l’amitié dont vous me flattez ? et si ce n’est pas politique, comment puis-je expliquer ce que vous me dites de sa bonté ? Ah ! la faiblesse seule l’arrête… Votre majesté m’accuse de ne pas aimer le roi. Hélas ! ce n’est pas ma faute, et le regret de ne pouvoir jouir des sentimens les plus nobles me fait seul soutenir avec tant de chaleur l’opinion que vous me reprochez… C’est un mouvement si vrai que l’autre jour, à la représentation de Bayard, à Versailles, j’aurais acheté de mon sang une larme du roi ; mais, si vous aviez vu son air d’indifférence, l’ennui de M. le dauphin, les rires, de Mesdames à ce tableau si touchant des sentimens de notre nation pour nos rois[9], vous auriez partagé mon désespoir de voir une si charmante nation dénaturée, et des vertus si intéressantes, si héroïques, devenues pour elle impossibles. Comment supporter que celui qui a joui du bonheur céleste d’être adoré avec ivresse, et qui le serait encore s’il nous a avait laissé la moindre illusion, se soit plu à les détruire toutes, et voie de sang-froid un tel changement ? Ah ! sire, quels ressorts puissans sont dans vos mains ! Vous, l’idole de votre nation et qui seriez celle de la nôtre, vous parlez pour celui qui ne connut jamais un sentiment ! Au nom de Dieu, ne mêlez plus cet apathique tiers dans les lettres charmantes dont vous m’honorez, et croyez qu’on ne fera jamais de nous des esclaves russes, mais les plus soumis et les plus fidèles sujets, Un mot, un regard leur suffit pour répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang ; mais ce mot n’est pas dit !… Après Bayard, exaltée par la pitié, irritée de la froideur des assistans, je courus chez Mme de Brionne parler en liberté. Nous relûmes votre lettre, et nous répétâmes mille fois : voilà donc un roi qu’on peut aimer ! Nous l’avons vu ; il produirait des Bayards, il ferait revivre Henri IV ; il existe, et ce n’est pas pour nous ! Dites encore que nous sommes républicaines ! »


Mme d’Egmont ne s’abstenait pas de conseils encore plus directs ; elle avait prévu les efforts que Gustave III avait dû faire pour conjurer les périls du dehors et accroître au-dedans la puissance royale.


« Le premier de mes vœux, lui écrit-elle, est pour que vous puissiez détruire entièrement l’horrible corruption qui préside à vos diètes, car où règne l’intérêt, la vertu ne peut exister. Pour parvenir à cet important objet, il faudrait que votre royaume devînt indépendant de toute autre puissance et que les sentimens d’honneur fussent les seuls ressorts de votre gouvernement. L’augmentation de votre pouvoir est sans doute le premier pas vers ces heureux changemens ; mais ne souffrez jamais qu’ils puissent ouvrir le chemin au pouvoir arbitraire, et employez toutes les formes qui rendent impossible à vos successeurs de l’établir. Puisse votre règne devenir l’époque du rétablissement d’un gouvernement libre et indépendant, mais n’être jamais la source d’une autorité absolue ! Voilà ce que vous ne sauriez trop peser au sanctuaire de la vertu, vous dépouillant de tout intérêt personnel et de toutes les préventions qu’ont pu vous donner les malheurs qu’une liberté mal entendue a fait éprouver à votre royaume. Une monarchie limitée par des lois me paraît le plus heureux des gouvernemens… Je pense que vous ferez le bonheur des Suédois en étendant votre autorité ; mais, je le répète, si vous n’y mettez pas des bornes qu’il soit impossible à vos successeurs de franchir et qui rendent vos peuples indépendans de l’imbécillité d’un roi, des fantaisies d’une maîtresse et de l’ambition d’un ministre, vos succès deviendront l’occasion de ces abus, et vous en répondrez devant la postérité… Mettez-moi à portée de vous envoyer mon portrait. Je ne le puis sans la parole positive que vous n’avez ni n’aurez celui de Mme Du Barry. — 1er septembre 1771. »


On conçoit qu’avec des traits si hardis la correspondance entre Mme d’Egmont et Gustave III avait besoin d’un secret absolu. Aussi les plus grandes précautions sont-elles prises : la comtesse recommande à Gustave de ne jamais écrire par la poste que ce qu’il veut que l’on connaisse, « car il est certain, dit-elle, que toutes les lettres sont décachetées, et elles ne sont pas toujours fidèlement rendues. » Ils ont pour les lettres qui doivent échapper à tous les regards un chiffre convenu et tout un système d’enveloppes superposées avec des adresses différentes.

Gustave accomplit sa révolution, et il ne tarde pas à en faire part directement à la comtesse, en lui présentant son œuvre sous le plus beau jour :

« Voici le premier moment, madame la comtesse, où je puis vous écrire depuis le grand événement qui vient de se passer ici. Vous ne devez point être surprise de mon peu d’exactitude à vous répondre tout ce temps ; des inquiétudes trop bien fondées ne m’ont pas donné de momens où je fusse bien à moi. J’ai été obligé, pour ma propre conservation et pour celle de mon peuple, de porter un coup aussi hardi qu’heureux. Je me suis saisi du timon de l’état, et j’ai été absorbé pendant deux jours. Je viens de remettre cette puissance entre les mains des états, ou, pour mieux dire, je n’ai gardé que la puissance de faire le bien et d’empêcher la licence. Une loi stable que j’ai écrite consacre l’autorité du roi sans atteindre la domination du peuple telle que nos anciennes lois la portaient sous Gustave Ier, et sous Gustave-Adolphe. Il était temps : les attentats les plus criminels contre ma personne, les plus odieux contre ma famille, allaient se commettre, et, sans ce que j’ai fait, deux heures plus tard ma liberté était perdue et ma vie dans le plus violent danger. Dieu, qui a vu mon cœur, m’a soutenu, et j’ai trouvé dans mon peuple un attachement et un courage sans exemple. Il n’y a eu aucun cheveu de touché, et personne n’a été ni ne sera malheureux. Jamais révolution ne s’est passée plus doucement et plus tranquillement que celle-ci. »


Le jour était donc arrivé où les espérances de Mme d’Egmont allaient pouvoir s’accomplir. Elle promet à Gustave, au prix de quelques réserves, et s’il veut achever noblement son ouvrage, les plus brillantes destinées ; elle rêve pour lui un grand rôle, au milieu des bassesses ou des crimes qu’elle reproche à la politique de son temps.

Précisément elle vient d’apprendre le partage de la Pologne, et, au milieu de son enthousiasme pour le roi de Suède, elle ne peut retenir des paroles d’indignation contre les puissances dont il doit craindre lui-même les dangereux desseins.


« 2 septembre 1772.— Le héros de mon cœur, celui qui m’honore du titre de son amie, celui qui m’a permis de l’appeler mon chevalier, enfin le mortel le plus aimable se montre aussi le plus grand, car, je n’en doute point, sire, vous n’abuserez pas de ce pouvoir qu’un peuple enivré vous a confié sans limites !

« 1er octobre. — Je suis loin de me plaindre que vous ne m’ayez pas écrit plus tôt. Votre gloire est mon premier bonheur, vous le savez ; c’est ainsi que je vous aime : préférez-moi le plus léger besoin du dernier de vos sujets… Je suis indignée du sang-froid avec lequel on voit le brigandage que trois puissances prétendues civilisées exercent contre la malheureuse Pologne. Il n’y eut jamais une telle chose dans l’univers : trois puissances qui se réunissent pour en dépouiller une contre laquelle nulle des trois n’est en guerre ! Imaginez que ces malheureux Polonais ne se sont rassemblés que sur les promesses les plus positives de la France : j’ai vu moi-même (daignez, ne pas le répéter) les promesses les plus positives de secours à la confédération, écrites de la propre main de notre roi et de celle de M. d’Aiguillon. Quelquefois j’aime à penser que, plus heureux et plus prudent que Charles XII, mais non moins généreux, vous rétablirez un jour la balance si nécessaire, et qui déjà n’existe plus. »


Perspective ambitieuse, peu d’accord avec les faibles ressources de Gustave III, mais qu’il n’accueillait que trop volontiers et qui devait l’égarer un jour ! De telles suggestions lui étaient dangereuses, venant de chères et aimables conseillères, et au nom de cette France dont il briguait tant le suffrage. Il ne s’en souviendra que trop lorsqu’il prétendra, non-seulement rétablir à lui seul l’équilibre du Nord, mais s’opposer même au torrent de la révolution française. Gustave III eût mieux fait de se rappeler une autre sorte de conseils ; les réformes économiques et l’agriculture étaient trop à la mode pour que Mme d’Egmont les oubliât, et on la voit recommander au roi de Suède, par humanité, de planter la Dalécarlie en pommes de terre.

N’avions-nous pas raison de dire que ces lettres montreraient un aspect nouveau de l’esprit et du caractère de Mme d’Egmont ? Ce n’est plus ici seulement la brillante héroïne des fêtes de la cour et la spirituelle amie des gens de lettres : c’est aussi l’ardente interprète d’un libéralisme encore sentimental et romanesque, il est vrai, et né d’hier à l’école de Jean-Jacques, mais qui se nourrit de graves et hautes pensées. Gustave n’a obtenu d’elle une sorte de culte que parce qu’elle a vu en lui le héros futur de ses théories généreuses ; son affection était à ce prix. Si jamais il aspirait au despotisme, ou si, par quelque action contraire à l’honneur d’un prince, il ternissait le bel idéal qu’elle avait rêvé, elle cesserait de l’aimer. Ses lettres nous ont découvert un sentiment exalté, mais pur. Elle a offert au jeune roi le secours d’un langage sincère, qui ne dissimulerait jamais la vérité ; Gustave paraît avoir répondu d’abord par une passion égale. Il a écrit à la comtesse d’Egmont une lettre de douze pages le jour même de son couronnement, il a porté le lendemain un habit aux couleurs de la comtesse, lilas et blanc ; puis il semble s’être fatigué de ses conseils ou de ses remontrances. Elle s’en plaint avec tristesse et fierté ; la correspondance languit pendant l’année 1773, à la fin de laquelle (en octobre) Mme d’Egmont s’éteint, à peine âgée de trente-trois ans.


III

Par Mme de Brionne, Gustave III pouvait compter, avons-nous dit, sur le bon vouloir de Choiseul, s’il revenait aux affaires. Mme d’Egmont lui avait donné de familières intelligences parmi la plus haute noblesse, et s’était chargée de surveiller les intérêts suédois auprès de la cour d’Espagne, où son mari avait de l’influence. L’amitié de Mme de La Marck procura également au roi de Suède d’utiles ouvertures. Elle était de la famille de Noailles, puissante à la cour et en possession de toutes les charges qui rapprochaient le plus du roi. Le duc de Noailles et son frère, le comte, avaient été élevés auprès de Louis XV ; la comtesse était dame d’honneur de la dauphine Marie-Antoinette ; elle observait, ainsi que son mari, une sévère étiquette, rachetée par une parfaite bonté. La maison de Noailles avait en outre des relations avec le parti des dévots, destiné à prendre en main l’autorité, si Louis XV renvoyait un jour Mme Du Barry. Gustave III aurait ainsi encore de ce côté des attaches avec tout un monde influent et élevé.

Marie-Anne-Françoise de Noailles, comtesse de La Marck, à laquelle une place importante doit être réservée dans le groupe que nous essayons de reconstituer, est cependant fort peu connue : à peine est-elle nommée en passant dans les mémoires ou dans les correspondances publiés du XVIIIe siècle[10]. Née le 12 janvier 1719, elle était la quatrième fille du célèbre duc et maréchal Adrien-Maurice de Noailles, neveu chéri de Mme de Maintenon par son mariage, avec Mlle d’Aubigné ; elle épousa en avril 1744 Louis Engelbert, comte de La Marck, grand d’Espagne, mort sans enfans le 5 octobre 1773. De 1761 à 1776, elle eut, par faveur royale, la jouissance du joli pavillon du Val, situé à l’extrémité de la terrasse de Saint-Germain, et c’est de là que beaucoup de ses lettres sont datées. C’est aussi à Saint-Germain, dans l’hôtel de la surintendance, qu’elle mourut, âgée, de soixante-quatorze ans, le 29 juin 1793, échappant ainsi, au commencement de la terreur, à l’échafaud sur lequel montaient un si grand nombre de ses anciennes et brillantes compagnes. Elle y eût péri probablement une année plus tard, avec sa belle-sœur, sa nièce et sa petite-nièce, la maréchale, la duchesse d’Ayen et la vicomtesse de Noailles, dans cette fatale journée du 22 juillet 1794 dont un livre récent[11] a donné un beau récit. Ne fût-ce que par son âge, Mme de La Marck se distingue des autres confidentes de Gustave III. Née trois mois avant la mort de Mme de Maintenon, elle a recueilli les derniers retentissemens de la cour de Louis XIV, et il lui en est resté un sentiment de convenance et de dignité que reflètent ses pensées et son style : elle demeure dans une certaine réserve à l’égard des politiques et des philosophes ; elle se tient à l’écart des partis, dans une sorte d’opposition morale sauvegardant l’ancienne constitution de la France, les droits de la noblesse, ceux de la royauté, et prenant en dédain la diminution de majesté dont la cour de Louis XV et de Louis XVI lui offre l’exemple. Parmi les gens de lettres, elle protège ouvertement celui qui fait, trente années durant, la guerre aux philosophes ; Palissot lui a rendu ses bienfaits en méchantes satires, s’il est vrai qu’il l’ait voulu représenter, dans sa fameuse comédie, sous les traits de la pédante Cydalise. Nous n’aurions, pour contrôler ce jugement sur Mme de La Marck, que les lettres inédites dont nous détachons ici quelques pages. Elle paraît bien ne s’être pliée en effet qu’avec une certaine gêne au style nouveau que les allures d’un autre temps l’invitaient à prendre ; mais, tout en grondant contre le ton des femmes plus jeunes qui se mêlaient de parler et d’écrire, on ne saurait nier qu’elle n’adoptât elle-même ce qu’il y avait de généreux dans leurs appréciations sur la politique contemporaine. Cette adhésion librement consentie ne lui faisait rien abdiquer de sa retenue ordinaire, et une sincérité si parfaite doit détourner d’elle, ce semble, jusqu’au soupçon de pédantisme. On en jugera en l’écoutant parler. C’est ici encore Gustave qui prend le premier la parole avec un incontestable entrain :

« En vérité, mon aimable comtesse, n’ai-je pas mille reproches à vous faire ? Voilà deux grands mois qui sont passés depuis mon départ de Paris, et je n’ai point encore eu le plus petit mot de vous. Si je ne comptais pas autant sur votre amitié, je me croirais oublié tout à fait ; mais je me flatte encore que vous vous souvenez un peu de moi. Cette illusion m’est trop chère pour que je la perde facilement. Vous savez que les rois aiment à se flatter. C’est surtout ce titre qui cause mes alarmes ; je sais que vous ne les aimez pas trop. Je vous prie du moins, si cela est vrai, de me croire toujours le comte de Gothland pour vous, et de me traiter de même. Ce titre m’est trop cher pour que je ne le quitte qu’avec peine. C’est sous ce nom que j’ai fait votre connaissance, que j’ai eu le bonheur d’acquérir votre amitié, et j’espère que vous êtes persuadée que le roi de Suède envierait trop au comte de Gothland son bonheur, s’il ne pouvait conserver une place dans votre cœur. Quand je me rappelle ces momens où je vous ai vue, nos disputes mêmes, nos propos, cette société gaie et charmante qui vous entourait, et que je me vois à cinq cents lieues, je crois avoir fait un beau rêve, dont le souvenir est bien agréable, mais dont le réveil est affreux. Vous êtes dans ce moment-ci assise dans votre jardin avec le marquis de Castries, votre aimable chevalier, quelques saints évêques pestant peut-être un peu contre la cour, beaucoup contre le chancelier, et peut-être contre Mme Du Barry ; mais au milieu de cette mauvaise humeur votre gaîté vous fait rire ; un ciel pur, les arts et la nature unis ensemble, ne présentent à vos regards que les objets les plus agréables et les plus variés… Et moi, pauvre animal aquatique, je vogue au milieu de l’océan, je peste contre les vents contraires qui me font faire le double du chemin, et je me dis à moi-même : Si j’étais à Paris, je serais auprès de Mme de La Marck, je la verrais, je disputerais peut-être avec elle, je la ferais un peu enrager en prenant la défense de mes bons amis, qu’elle n’aime pas, et puis nous ririons. Cette réflexion m’attriste au moment que je m’éloigne de vous encore davantage, et je me retire dans ma cahute… Un million de complimens, dont vous voudrez bien vous charger de ma part pour Mme la comtesse d’Usson, pour Mme de Neukirch et pour Mme de Beauvau. À propos de Mme de Beauvau, j’ai un grand procès avec elle, et je vous prie d’être mon avocat. Elle m’accuse, à ce que l’on me mander d’aimer le despotisme… Quoique j’ignore parfaitement sur quoi elle fonde son accusation, je vous prie de lui dire que je souhaite fort qu’elle suspende son jugement jusqu’à ce qu’elle voie, par mes actions si son opinion est fondée. Je vais entrer bientôt dans une carrière où je lui pourrai prouver que je respecte la liberté bien entendue, fondée sur la raison et sur l’humanité, autant que je déteste l’anarchie et la dissolution. Je vais dans quelques heures rentrer dans ma patrie. Les lois, qu’on a défigurées sous les deux derniers règnes par des efforts malheureux d’usurpations réciproques, je vais jurer de les maintenir, et je les soutiendrai scrupuleusement. C’est alors que Mme de Beauvau jugera elle-même si elle a tort ou raison. — Mon frère, qui entre en ce moment, me prie de vous faire ses plus tendres complimens. Je finis en vous faisant mes excuses sur le chiffon que je vous envoie, mais je ne trouve pas ici d’autre papier. — Ce 15e de mai 1771, à bord d’un vaisseau de guerre sur la Baltique. »

Un billet, daté du 13 juin 1771, est certainement la réponse de Mme de La Marck. La correspondance continue ensuite pendant deux années, à intervalles à peu près égaux, et donne lieu à de curieuses peintures de la cour pendant les dernières années du règne de Louis XV. Ce sont de véritables bulletins de nouvelles comme ceux que Gustave III recevra plus tard de Mme de Staël, son illustre ambassadrice.


« Il faut gronder M. le comte de Gothland, écrit Mme de La Marck, de la manière très gaie à la vérité, mais assez libre en même temps, avec laquelle il me parle de Mme Du Barry en toutes lettres, ainsi que du chancelier. Il ignore apparemment qu’on ouvre toutes celles de la poste, et que la sienne l’a été : je l’ai vu positivement au cachet, dont les armes étaient recouvertes par un peu de cire noire. Le roi saura dimanche prochain ce que M. le comte de Gothland m’a fait la grâce de me mander, et si l’on me met à la Bastille, il faudra donc que M. le comte revienne ici pour m’en faire sortir ? Plaisanterie à part, je prie votre majesté de ne point parler de tous ces gens par la poste… — Je fus hier à Marly, où le roi est depuis huit jours. On jouait au lansquenet ; une seule réjouissance fut de 1,200 louis, et tout le monde meurt de faim ! Cet esprit de vertige me rendit triste et rêveuse le reste de la soirée. Mme Du Barry jouait à la table du roi, et entourée de la famille royale. Personne, ni à la table ni dans le salon, ne lui parla de la soirée, si ce n’est le roi et son neveu, le petit Du Barry. Ce courage général devrait ouvrir les yeux du roi.

« le roi ne peut se suffire à lui-même, et ses enfans ne lui sont d’aucune ressource. Ses filles ont de petites têtes !… impossible d’y rien mettre de raisonnable. M. le dauphin montre quelques vertus sauvages, mais sans esprit, sans connaissances, sans lecture, n’en ayant pas même le goût, et dur dans ses principes comme brut dans ses actions. M. le comte de Provence est doux, a de l’esprit, assez d’acquit, mais il est glorieux et… je ne dirai pas le reste de peur de déplaire à votre majesté. Sa femme est laide et maussade ; on dit qu’ils ne s’aiment pas. M. le comte d’Artois a de l’esprit, le désir de plaire et de rendre heureux ce qui l’environne. Tous ceux qui le voient l’aiment ; il grandit et est moins épais ; celui-là fait toute notre espérance, car M. le dauphin et M. le comte de Provence vraisemblablement n’auront point d’enfant… Elle est jolie, cette dauphine, elle a de l’esprit, et une grâce et un agrément dans toute sa personne qui n’appartiennent qu’à elle ; mais sa grande jeunesse et un peu de frivolité, apanage de son âge, la rendent inutile au roi. D’ailleurs il en a été mécontent au sujet de Mme Du Barry. Si celle-ci tombe, elle entraînera plus d’un ministre à sa suite ; je supplie votre majesté de n’en point douter. Le reste de la cour est divisé d’esprit et de principes, et on se déchire à plaisir. Les jésuites entrent pour beaucoup dans cette guerre intestine : les uns veulent les faire revenir, les autres s’y opposent, et on se permet tout pour la plus grande gloire de Dieu. Pour moi, pauvre ermite, je suis dans mes bois, n’entendant que de loin le bruit des orages.

« A Paris, toujours même misère et mêmes cabales. Nos jeunes femmes crèvent d’esprit et ne connaissent que lui ; pour la raison, on n’en parle guère. Elles sont toutes initiées dans les secrets de l’état, elles se mêlent de tout, font l’amour par passe-temps, et donnent tout leur temps à la politique ou à l’intrigue de la cour. Quelques bureaux d’esprit où on se moque de Dieu et de la religion, et où l’on regarde comme des imbéciles ceux qui y croient voilà, sire, en raccourci, un tableau de notre situation. Plus d’émulation, plus de principes ; jusqu’aux spectacles, tout va de travers. Il nous reste un ou deux sculpteurs et trois ou quatre peintres ; la bijouterie va encore son train, mais bientôt elle finira, car on n’achète plus que des brillans ; il est vrai qu’on ne les paie pas. En un mot, nous sommes au-dessous de tout : heureux si on ne nous attaque pas, car je ne sais ce que nous deviendrions ! »


Mme de La Marck, âgée de plus de cinquante ans et un peu trop grondeuse peut-être, n’épargne personne ; c’est tout au plus si elle accorde à Marie-Antoinette un hommage qui, lui échappant comme malgré elle, en a, il est vrai, d’autant plus de prix. Envers Gustave III seulement, elle s’exprime avec une chaleureuse sympathie. L’expression de ses sentimens n’est assurément pas toujours conçue dans un style irréprochable ; mais pourtant son affection est si sincère et son émotion est si vraie que ce style lui-même, en plusieurs occasions, se transforme, comme dans ces lignes vraiment éloquentes :


« 2 avril 1773.— J’ai le cœur déchiré, sire, en pensant à l’orage qui vous menace. Je croyais que l’occupation de manger la Pologne et le barbare plaisir de la dévaster et de ruiner les grands seigneurs qui l’habitent devaient suffire à l’ambition des trois tyrans qui la dévorent. Hélas ! je me suis trompée ; leur rage ne peut être assouvie que lorsqu’ils auront fait éprouver à vos états la triste anarchie de ce royaume. Ma seule espérance est que votre majesté soutiendra ses fidèles sujets par son courage et par son génie, et qu’eux-mêmes, sous la protection de leur roi, ils défendront leur patrimoine et leurs foyers mieux que n’ont fait les Polonais. »


Le reste de la correspondance s’étendant jusqu’en 1780, on n’a fait ici qu’introduire Mme de La Marck. Ses tableaux de la cour de France et les témoignages de son amitié persistante avec Gustave III reviendront dans la série de ces études à leurs dates. On la verra intervenir par ses conseils jusque dans les affaires les plus intimes du roi de Suède ; et finalement souffrir avec peine que Gustave lui donne une sorte de rivale en accueillant aussi les lettres et les conseils de Mme de Boufflers.

C’était la comtesse de Boufflers, bien plutôt que la comtesse de La Marck, qui pouvait être taxée de bel esprit. Sa correspondance avec Gustave III, dont une partie considérable se trouve dans la collection d’Upsal, ajoute à ce qu’on sait d’elle par Mme Du Deffand des traits essentiels qui rendent le reflet de sa vie agitée, et nous expliquent certains témoignages de ses contemporains. On sait sa biographie : M. Sainte-Beuve l’a retracée avec ce goût d’exactitude rigoureuse qui est la première et la plus rare peut-être des convenances littéraires. Elle paraît d’abord dans une situation brillante, mais équivoque, chez le prince de Conti, au milieu de ces fêtes variées et magnifiques dont les tableaux d’Olivier, conservés au musée de Versailles, nous gardent l’agréable souvenir. Elle y est la divine comtesse, l’idole du Temple, et cette domination lui suscite des rivalités jalouses, contre lesquelles ses alliés sont Jean-Jacques et deux étrangers, Hume et Grimm, car avec son esprit vif et curieux elle ne s’enferme pas dans les étroites limites de la société parisienne. Elle a été la première à faire le voyage de Londres après la paix de 1763, et on la citait comme s’étant mise à la tête de notre passagère anglomanie. Agée de quarante-sept ans lors du voyage de Gustave III à Paris, elle régnait au premier rang de l’opposition philosophique, avec la Grande-Bretagne pour alliée et le Temple pour refuge : c’était tout un monde dont le jeune roi de Suède, en quête de partisans, ne pouvait négliger l’accès.

Après la mort du prince de Conti, en 1776, Mme de Boufflers se retire dans sa maison d’Auteuil, où elle fait encore figure au milieu des habitués de la cour et des gens de lettres, qui l’y viennent visiter. Sa correspondance avec Gustave III reste longtemps active ; elle devient sa messagère et comme sa chargée d’affaires principale auprès de la société parisienne, mais en concurrence avec Mme de La Mark. Ici même, et pour la première fois[12], on l’a montrée s’efforçant, dans un âge assez avancé, de bien placer les Suédois qui venaient chercher fortune en France, et de marier les gens. Elle prend volontiers à cette époque de sa vie des allures de duègne qui la font paraître sous un autre aspect que dans le livre de Mme Du Deffand. C’est elle qui travaille avec tant de zèle au mariage de M. de Staël et qui désespère, écrit-elle alors, de faire jamais l’éducation de la future ambassadrice de Suède. Une fois la révolution commencée, elle voit se disperser tout ce qui l’avait admirée jusqu’alors. Émigrée en juillet 1780, elle refuse un asile à la cour de Gustave III, mais reçoit de lui une pension. Assez imprudente pour rentrer en France, ou contrainte peut-être par le danger d’une confiscation, elle est incarcérée avec sa belle-fille, la vertueuse, et charmante Amélie de Boufflers, qui partageait depuis longtemps ses destinées ; on leur rend la liberté à toutes deux après une détention de huit mois et demi, le 5 octobre 1794, et puis la comtesse de Boufflers, la brillante idole du temps de Louis XV, s’éteint dans une telle obscurité que la date de sa mort, encore inconnue, n’est placée en 1800 que sur la foi d’une tradition très vague ; on ne la suit avec certitude que jusqu’à là fin de sa captivité ; elle atteignait alors sa soixante- dixième année.

Tant de mécomptes, même dans la partie brillante de sa longue carrière, cette agitation, ce rôle quelquefois difficilement soutenu, expliquent chez Mme de Boufflers un esprit particulier qui a été remarqué de son temps. Robert Walpole l’appelait une savante. On citait d’elle un recueil écrit de maximes ; elle avait composé une tragédie en prose, et on la voit, vers la fin de 1781, former le projet, qui n’aboutit pas, d’une belle édition de Corneille à deux cents exemplaires. Mme de Genlis la dit une des plus aimables personnes qu’elle ait rencontrées, mais ajoute qu’elle avait dans l’esprit, « une certaine contrariété qui lui faisait soutenir des opinions extraordinaires et même extravagantes ; elle était trop ennemie des lieux communs. » Mlle de Lespinasse écrit de même : « J’ai diné mercredi chez Mme Geoffrin avec Mme de Boufflers ; elle fut charmante ; elle ne dit pas un mot qui ne fût un paradoxe. » Le prince de Ligne enfin, tout en revenant plus d’une fois sur son éloge, indique le même trait distinctif :

Dans le cadre élégant de la simplicité
Elle enfermait ses mots d’une grande beauté.
On pouvait la citer, mais jamais ne la croire,
Car dans le paradoxe elle mettait sa gloire.

Il semble qu’elle offrît en résumé un esprit d’une vivacité native et d’un charme souvent sympathique, mais qui, mis aux prises avec des froissemens et des dépits cachés, avait perdu dans cette lutte quelque chose de sa ferme rectitude en y acquérant peut-être plus d’éclat extérieur. L’ardeur dont ses lettres à Gustave III témoignent paraît avoir quelque chose de factice, et ne ressemble pas à l’ardeur sincère de Mme d’Egmont. Elle fait beaucoup de politique, mais en femme philosophe plutôt qu’en personne de sens et de cœur. En dépit de ses protestations de modestie et d’humilité, elle contracte une raideur qui la rend hautaine, et ce défaut, s’accroissant avec l’âge, risque de lui enlever ses derniers amis. Une de ses premières lettres justifiera tout d’abord une partie de cette appréciation en montrant une galanterie dans le style qui est un des accens habituels à l’auteur. Ce n’est rien moins que le récit d’un Songe adressé au roi de Suède l’année même de son départ de France.


« La lecture des histoires anciennes, des ouvrages des poètes et des romans de chevalerie, qui fait depuis longtemps ma plus agréable occupation, a produit sur mon esprit une impression si vive qu’un jour je me suis crue transportée dans ces temps fabuleux où les demi-dieux, les héros et les rois voyageaient inconnus dans les différentes contrées du monde. Un songe, revêtu des apparences de la vérité, m’a fait voir, au milieu de la France, un jeune prince doué des qualités les plus rares et les plus aimables, que le noble désir de perfectionner ses talens attirait d’un pays éloigné chez les nations étrangères. Je m’imaginais que j’avais le bonheur d’être admise dans sa familiarité, qu’il me permettait de l’entretenir souvent, qu’il souffrait que je lui exposasse avec liberté mes opinions, lors même qu’elles contredisaient les siennes… Mon imagination s’égarant de plus en plus, je pensais avoir reçu le pouvoir de lui faire goûter un bonheur que toute la prospérité d’un long règne ne pouvait lui procurer, celui de se voir aimé pour lui-même et de connaître l’effet de son mérite sur une âme peu touchée des grandeurs et dont l’estime ne s’est point encore rabaissée. Ensuite je mêle représentais de retour dans sa patrie, au milieu des acclamations de ses sujets ; je partageais leur joie, je lui offrais les vœux sincères que mon attachement me dictait pour son bonheur et pour sa gloire ;… mais, tandis que je me livrais aux transports de mon zèle, j’éprouvais en même temps une sensible douleur de la fatalité du sort qui m’avait fait connaître un objet digne d’admiration pour le placer si haut et dans un tel éloignement que l’avantage précieux de l’avoir connu devenait un singulier malheur et une source de regrets pour toute ma vie. Tel a été mon songe. Les belles illusions qui m’enchantaient ont disparu de mes yeux ; tous les sentimens qu’elles m’avaient inspirés me sont demeurés. »


Gustave, essayant de répondre en même monnaie aux grâces apprêtées de Mme de Boufflers, lui adresse un exemplaire des lettres qu’il a, pendant son enfance, écrites en français à son précepteur, et qu’on vient d’imprimer à son insu, dit-il ; mais ce ne sont là de part et d’autre, avec cette recherche et ces réserves de modestie feinte, que des préliminaires : la politique se montre bientôt sans détours. Gustave III lui-même, dans une lettre du 14 juin 1772, aborde ce grave sujet. Il manie avec quelque inexpérience les termes abstraits qui sont à la mode, et l’on dirait qu’il répète une leçon mal apprise ; le contraste avec la facilité de son style ordinaire en devient remarquable.


«… Le spectacle que ma pauvre patrie offre en ce moment peut mériter les regards d’une personne qui réfléchit autant que vous. Le choc de la démocratie contre l’aristocratie expirante, cette dernière préférant se soumettre à la démocratie plutôt que d’être protégée par la monarchie qui lui tendait les bras, voilà la décoration que cet hiver vous aurait présentée. C’est à peu près le même tableau que j’ai vu en France à mon passage : là c’était l’aristocratie luttant contre une monarchie établie depuis longtemps ; mais ce qui était pour vous consolant, c’est que, de quelque côté que la balance l’eût emporté, votre gouvernement eût été bien réglé, au lieu qu’ici nous nous approchions à grands pas de l’anarchie. Le spectacle qu’offre la Pologne devrait seul ouvrir les yeux. Les noms sacrés de religion et de liberté ont réduit les Polonais à l’état où ils se trouvent maintenant ; l’abus des choses les plus salutaires est nuisible. Spectateur de tous les chocs, j’attends en tremblant le moment que je vois approcher où des puissances voisines voudront profiter de nos troubles pour nous assujettir. Je ne me sens pas le flegme du roi de Pologne, qui voit tranquillement ses provinces se partager entre d’autres princes, sans paraître même tenté de s’y opposer. M. le prince de Conti, qui s’est vu si souvent au moment d’être dans une place dont il était plus digne que celui qui se l’est arrogée, doit être vivement affecté de l’état où se trouve en ce moment un royaume qu’il a regardé longtemps comme devant devenir un jour son patrimoine ; je sens par ce que j’éprouve combien son âme doit souffrir de voir ce beau pays abandonné par ses alliés et en proie à ses voisins. Peut-être aussi que le rapport qu’il y a entre la situation de mon pays et celle de la Pologne rend mes sensations plus vives et mon intérêt plus sensible… »


La lettre de Gustave III allait à une double adresse : il voulait être lu en même temps de Mme de Boufflers et du prince de Conti ; peut-être espérait-il devenir, lui aussi, une des divinités du Temple, où il voulait tout au moins des témoins de sa gloire. Le prince lui répondit, mais indirectement, par la comtesse, en exaltant son coup d’état et en critiquant ses épîtres politiques :


« M. le prince de Conti me charge d’avouer à votre majesté qu’il ne peut adhérer à un des traits de la lettre qu’elle m’a fait l’honneur de m’écrire, où il s’agit du choc de l’aristocratie avec la monarchie, et il regrette bien de n’être pas à portée de soumettre avec franchise aux lumières de votre majesté les raisons qui lui font penser qu’elle pourrait être en quelque erreur à cet égard. Il désirerait ardemment pouvoir en trouver l’occasion, aussi bien que celle d’exprimer lui-même avec quelle joie il a vu cette soudaine et brillante réputation que votre majesté vient d’acquérir, et que les hommes les plus illustres n’ont rarement obtenue que par le travail de toute leur vie. Ce sont là les propres mots de M. le prince de Conti, que je n’ai fait que copier. »


Mme de Boufflers répondait pour son compte à des leçons ex professo de libéralisme avec ce titre significatif, comme pour une dissertation ou pour un mémoire : « Effets du despotisme s’il s’établit en Suède. » Si Gustave III devient despote, il n’aura plus d’amis ; « il sera comme le roi de Prusse, qui ne trouve plus personne avec qui converser ; la vérité n’approchera plus de lui qu’avec peine, il sera obligé de la faire venir de Paris. Même sous un bon prince le despotisme ne peut servir à un bon gouvernement. » Mme de Boufflers revient avec d’excessifs développemens sur cette thèse. Elle a pris lecture de la nouvelle constitution suédoise, et elle ne dissimule pas qu’elle considère Gustave III comme ayant pris en main toute la puissance. Il n’est pas vrai, affirme-t-elle dans sa lettre du 23 octobre 1772, que le pouvoir absolu soit le meilleur des gouvernemens entre les mains d’un prince accompli. « Le pouvoir absolu est une maladie mortelle qui, en corrompant insensiblement les qualités morales, finit par détruire les états. C’est une vérité que l’on trouve dans différens auteurs anciens, et que l’expérience de tous les siècles a confirmée. Et même un auteur moderne, à propos des beaux-arts, dit et démontre que, quand la liberté quitte un pays, la source des pensées sublimes et de la véritable gloire est tarie. » Mme de Boufflers veut bien reconnaître que Gustave III n’a pu agir autrement qu’il n’a fait, vu les circonstances ; elle espère du moins qu’une fois les anciennes factions déracinées, il restreindra lui-même une puissance dont ses successeurs abuseraient sans doute. Pour hâter cette heureuse conclusion, elle adresse au jeune roi de curieux conseils, passablement pédantesques, et qui forment tout un plan de direction morale et intellectuelle.


« Parvenu, sire, au point de gloire où vous êtes, j’ose vous avertir que toutes lectures ne vous sont pas également bonnes. Vous devez ne vous livrer qu’à celles qui sont capables de vous soutenir dans un noble enthousiasme, et bannir ces livres qui, défendant tour à tour des opinions opposées, font paraître la vertu arbitraire et en inspirent le dégoût. C’est le détestable emploi que notre siècle fait des lumières qu’il prétend avoir. Le moyen, lorsqu’on est parvenu à croire que toutes choses sont égales, de se résoudre à choisir la plus pénible ? C’est seulement la lecture des auteurs anciens quant à la morale et à l’histoire, celle aussi de plusieurs ouvrages du dernier siècle et de quelques autres, faits sur leur modèle, qui peut entretenir dans une âme élevée l’amour de la vraie gloire, dont vous suivez les nobles inspirations, et qui rendra votre pouvoir recommandable à la postérité… »


De même qu’elle entreprend de former au bon gouvernement le jeune roi de Suède, la comtesse de Boufflers se donne toute liberté de juger, en s’adressant à lui, les derniers actes du règne de Louis XV. Ici son langage devient sévère et digne. Ses lettres à Gustave III respirent, lorsqu’elles touchent à ces graves sujets de la constitution intérieure de la France et des abus qu’elle autorise, une ardeur patriotique assez analogue à celle de Mme d’Egmont, quoique moins pure sans doute et plus entachée d’humeur raisonneuse ; elle ressent de nobles indignations, et dans certaines rencontres elle les exprime fortement. Sans multiplier les citations à l’excès et avant de poursuivre jusque dans une autre période l’examen de la correspondance de Mme de Boufflers, il suffira de faire connaître ici une page importante, écrite par elle au lendemain de la mort de Louis XV, et retraçant un grave épisode, non sans quelques vives couleurs :


« Telle est mon opinion, sire[13], que les actions des souverains sont soumises à la censure de leurs propres sujets comme à celle de l’univers, mais que, le bon ordre exigeant que leurs personnes soient respectées, il faut garder le silence en public sur ce qui les concerne, et, lorsqu’on peut ouvrir son cœur, s’expliquer sans haine et sans mépris. Le feu roi, dans la maladie et dans la mort, à reçu d’une manière effrayante la punition de n’avoir rien aimé : il a été entouré de cabales, d’intrigues, et n’a pas inspiré le simple mouvement de compassion qu’on accorde au plus inconnu et au dernier des hommes. Des gens plus qu’indifférens sur la religion s’employaient avec un zèle furieux à lui faire recevoir les sacremens, sans le souci du danger qu’une révolution pouvait avoir pour le pauvre prince. D’autres, qui, par leur état, auraient dû s’occuper du salut de son âme, trahissaient leur devoir et leur profession, et l’exposaient à donner le plus grand scandale à son peuple pour lui éviter le sacrifice de Mme Du Barry. Tous ceux qui pouvaient entrer dans sa chambre y étaient comme à un spectacle curieux et quelquefois ridicule. On observait tout ce qui se passait pour l’écrire ou le redire ; on en faisait des plaisanteries. Une fois entre autres, il arriva que Mme Du Barry était penchée sur son lit pour lui parler lorsqu’on vint avertir que l’archevêque de Paris allait entrer. Le gentilhomme de la chambre, épouvanté du contraste qu’offrirait une telle rencontre, vint en diligence pour la faire sortir ; un de ceux qui étaient là lui faisait signe de ne rien témoigner, pour donner et pour avoir lui-même le divertissement que présenterait cette scène. Tous souhaitaient la mort, excepté quelques amis mercenaires qui n’avaient rien à attendre du nouveau règne. On ne peut nier cependant qu’outre les autres motifs qui, dans un cas pareil, peuvent exciter la pitié et de mélancoliques réflexions, la tranquillité du roi, la patience, la douceur, le courage avec lesquels il s’est déterminé à remplir ses devoirs ne dussent intéresser pour lui ; mais, pour en détourner l’effet, on se plaisait à croire contre toute apparence qu’il n’avait pas sa raison, et que tout ce qu’il faisait était machinal. Ce n’est point du tout mon opinion ; ayant été presque toujours à Versailles pendant la maladie, je puis assurer à votre majesté que j’ai rassemblé sans partialité toutes les circonstances pour former mon jugement. Il est bien vrai que souvent il a eu des absences momentanées ; mais la majeure partie de sa conduite, la plus importante, a été courageuse et raisonnée. Après sa mort, il fut abandonné, comme c’est l’ordinaire, et d’une manière plus terrible encore à cause du genre de la maladie ; on l’enterra promptement et sans la moindre escorte ; son corps passa vers minuit par le bois de Boulogne pour aller à Saint-Denis. À son passage, des cris de dérision ont été entendus : on répétait taïaut ! taïaut ! comme lorsqu’on voit un cerf, et sur le l’on ridicule dont il avait coutume de le prononcer. Cette circonstance, si elle est vraie, ce que je ne puis assurer, montre bien de la cruauté ; mais rien n’est plus inhumain que le Français indigné, et, il en faut convenir, jamais il n’eut plus sujet de l’être ; jamais une nation délicate sur l’honneur et une noblesse naturellement fière n’avaient reçu d’injure plus insigne et moins excusable que celle que le feu roi nous a faite lorsqu’on l’a vu, non content du scandale qu’il avait donné par ses maîtresses et par son sérail à l’âge de soixante ans, tirer de la classe la plus vile, de l’état le plus infâme, une créature, la pire de son espèce, pour l’établir à la cour, l’admettre à table avec sa famille, la rendre la maîtresse absolue des grâces, des honneurs, des récompenses, de la politique et des lois, dont elle a opéré la destruction, malheurs dont à peine nous espérons la réparation. On ne peut s’empêcher de regarder cette mort soudaine et la dispersion de toute cette infâme troupe comme un coup de la Providence. Toutes les apparences leur promettaient encore quinze ans de prospérité, et, si leur attente n’eût été déçue, jamais peut-être les mœurs et l’esprit national n’auraient pu s’en relever… »

Voilà assurément une hauteur de vues et de langage, une louable indignation par où Mme de Boufflers se rattache au groupe intéressant dont nous avons essayé de restituer le souvenir. Il est évident qu’elle s’est préoccupée, comme Mme d’Egmont et Mme de La Marck, du contraste entre les brillantes promesses du règne nouveau de Gustave III et l’humiliation longuement, profondément ressentie, de l’interminable règne de Louis XV ; mais sur les grands intérêts politiques il y a quelque vague dans ses sentimens et dans son langage. Elle n’a pas l’enthousiasme de Mme d’Egmont, s’élançant vers un avenir idéal et s’éprenant du jeune roi qui en doit être le héros ; elle n’a pas non plus la sagesse de Mme de La Marck, qui emprunte son inspiration au progrès de la raison publique, à son propre bon sens, et au souvenir de ce qu’il y a eu de plus digne dans un autre âge. Mme de Boufflers n’en a pas moins adopté les meilleures maximes de son temps ; elle en veut être, elle aussi, l’interprète, et elle témoigne par là, comme ses brillantes compagnes, des dispositions honorables de l’aristocratie dans cette période critique. La noblesse française, soit qu’elle adoptât ce qui n’était, hélas ! que le rêve généreux d’un chimérique avenir, soit qu’elle voulût tout au moins déraciner les plus graves des maux actuels, invoquait avec un patriotisme incontestable et une parfaite bonne foi certains triomphes de l’esprit nouveau. Loin de s’enfermer dans un étroit égoïsme, elle cherchait à propager cet esprit au-delà de nos frontières, en attendant que le moment fût arrivé d’en appliquer en France même les maximes les plus conformes au droit et à la vérité.

Il y a dans la correspondance de M. de Tocqueville une lettre éloquente sur l’obligation qui s’impose dans tous les temps aux femmes d’intelligence et de cœur de ne pas se désintéresser des grandes questions de morale et de politique à l’étude desquelles elles voient se dévouer leurs maris et leurs pères. Le souvenir de cette noble page ne nous a pas quitté pendant l’étude que les documens conservés parmi les papiers de Gustave III nous suggéraient. Mme de Brionne, Mme Feydeau de Mesmes, Mme d’Egmont, Mme de La Marck, Mme de Boufflers, comme Mlle de Lespinasse et Mme de Choiseul, comme Mme de Staël après elles, ont accepté ce devoir dans les momens les plus difficiles, et l’ont accompli avec autant d’intelligence que de dévouement. Il était juste, nous le croyons, de rendre ce nouvel hommage à ces rares personnes, par qui s’est exprimé ce qu’il y avait peut-être de plus élevé dans l’opinion générale de leur époque, qui ont détesté le pouvoir absolu, gémi de l’abaissement de la France, pleuré, le partage de la Pologne. Plusieurs d’entre elles sont peu connues, et mériteraient de l’être davantage ; mais quoi ! ne sont-elles pas de ce monde expirant de la fin du XVIIIe siècle dont il nous faut disputer le souvenir aux abîmes ? « Il en est d’elles comme de ces pastels de Latour, dont le temps a enlevé la poussière d’un coup de son aile, et de qui Diderot disait dans sa prophétie : Memento quia pulvis es… » L’image ainsi évoquée par M. Sainte-Beuve décrit bien leur suprême et fragile élégance, et le malheur des temps s’est chargé de justifier avec une cruelle précision l’oracle insouciant de Diderot.

La mort de Louis XV marque dans l’histoire des relations entre Gustave et la cour de France le commencement d’une période nouvelle. Gustave III ne sera plus en face du vieux roi dont la politique a protégé sa jeunesse, et envers lequel personnellement il était tenu à tant de déférence. Il pourra réclamer du nouveau roi la conservation d’une alliance héréditaire, et en même temps il lui sera plus facile de revendiquer pour lui seul le principal mérite de la révolution accomplie le 19 août 1772. Son œuvre n’est déjà plus en question : le suffrage de la France, organe de cette puissance nouvelle, l’opinion, l’a désormais consacrée, et si Gustave poursuit encore avec ardeur ses nombreuses correspondances avec la cour, avec les grands, avec les écrivains en renom et les grandes dames de la noblesse française, ce n’est plus pour recruter en faveur de sa cause une force nouvelle, mais pour ajouter un lustre envié à la prospérité d’un règne dont il veut pour témoins les gens d’esprit et les philosophes.


A. GEFFROY.

  1. Nous analysons, pour toute cette peinture de la cour de France, les dépêches politiques de Creutz, qui sont conservées dans les Archives Royales de Stockholm, et ses dépêches privées à Gustave III, qui font partie de la collection d’Upsal, Est-il besoin de dire que ces documens sont entièrement inédits ?
  2. La princesse de Marsan, née Rohan-Rochefort, veuve du prince de Marsan, de la maison de Lorraine, dirigeait, avec Mme de Talmont, Mme de Noailles et le duc de Nivernois, ce qu’on appelait le parti des dévots.
  3. On sait que Mme Du Deffand désigne toujours ainsi le duc et la duchesse de Choiseul, ses parens.
  4. Marie-Antoinette.
  5. Ce billet de Voltaire est conservé comme autographe dans le tome XXXV in-4o des papiers de Gustave III, à Upsal.
  6. Lettre du 1er novembre 1772.
  7. Voyez la description de ces fêtes en 1756-59 dans trois volumes in-8o manuscrits à la Bibliothèque de l’Arsenal.
  8. Voyez le Journal de Barbier, 10 juillet 1756.
  9. La tragédie de Debelloy, Gaston et Bayard, avait été représentée pour la première fois le 24 avril 1771. C’est une pièce à longues tirades de sentimens et à grands mots abstraits ; comme dit un des héros,
    L’honneur y met en pain l’amour et la nature.
  10. Il nous eût été impossible de restituer les dates principales de sa biographie, même avec le secours des deux grandes familles auxquelles elle appartient, sans l’aide obligeante d’un exact, et consciencieux scrutateur de nos diverses archives, M. Parent de Rosan.
  11. Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu ; Paris 1864, in-8o, chapitre VII.
  12. Voyez la Revue du 1er novembre 1856, Mme de Staël ambassadrice.
  13. Lettre du 20 juillet 1774.