Guide du skieur/Chapitre VI

Commandant Bernard
(p. 89-Ill.).

CHAPITRE VI

ACCIDENTS ET DANGERS DE LA MONTAGNE


Certains accidents sont inhérents à l’exercice du ski :

Chutes. — Tels sont ceux provoqués par les chutes. Les chutes sont rarement graves ; elles le sont d’autant moins qu’on se raidit moins en tombant. Il est rare qu’elles soient suivies d’entorse, de luxation ou de fortes contusions. Pour prévenir les accidents, on s’attachera, dans le dressage des skieurs, à rendre ceux-ci prudents, sans nuire pourtant à leurs qualités de hardiesse et d’entrain. La possibilité des accidents justifie le transport d’un paquet de pansement par chaque skieur, et d’une pharmacie de poche par l’un des membres du groupe.

Accidents dus au froid. — Les accidents dus au froid sont : la congélation, limitée presque toujours aux mains, aux pieds, aux oreilles ou au nez, et la congestion.

Le skieur évitera la congélation en se chaussant et s’habillant conformément aux règles données au chapitre de l’habillement. Quand, faute d’avoir pris les précautions voulues, celle-ci se manifestera, on appliquera les remèdes connus, frictions humides et sèches alternées avec de la neige, de l’huile camphrée et de l’alcool ; massage, en se gardant de rapprocher du feu les parties gelées, tant que la circulation du sang n’est pas complètement rétablie. La congestion est excessivement rare, et souvent, sinon toujours imputable à l’intempérance ou à l’imprudence.

On recommandera de ne pas faire de repas trop copieux avant ou pendant la marche. Le chef préviendra généralement cette faute, en interdisant les séjours prolongés dans les lieux habités et en particulier dans les auberges. L’absorption de l’alcool sera proscrite, sous peine de punition sévère. En cas de halte dans une localité, on aura soin de ne pas passer brusquement d’une pièce chauffée à l’air extérieur.

La congestion sera combattue par les moyens suivants : donner de l’air, déboutonner ou desserrer les vêtements du malade, faire de la respiration artificielle, appliquer des compresses fraîches.

Ophtalmies. — Les ophtalmies ou conjonctivites résultent toujours d’une imprudence. On en sera absolument indemne en portant des lunettes bleues, noires ou jaunes aussitôt qu’on sentira la moindre réverbération. Les bains d’eau tiède boriquée et le port des lunettes sont prescrits pour le traitement des ophtalmies.

Essoufflement et surménage. — Les accidents pour cause d'essoufflement et de surmenage sont généralement imputables au chef qui ne règle pas bien la marche ou l’allure du guide.

Tourmente. — On consultera le baromètre, avant le départ, et l'on renoncera à la course, s’il y a menace de mauvais temps. En cours de route, le chef skieur jettera de temps en temps un coup d’œil sur son baromètre.

Quelquefois la tourmente se déchaîne sur une colonne, avant que le chef ait pu ramener celle-ci en lieu sûr. Dans ce cas, le chef prendra les plus grandes précautions, fera serrer le plus possible les skieurs sur la tête, relayer souvent les hommes chargés d’ouvrir la trace, lancer des appels à la voix ou au sifflet de la tête à la queue ; il s’orientera à la boussole. Une énergie indomptable et une prudence toujours en éveil sont alors plus que jamais les qualités premières d’un chef skieur.

Les dangers les plus grands en haute montagne, pendant la tourmente, sont les erreurs de direction qui conduisent parfois vers des précipices, et les avalanches, dont on coupe les couloirs, à son insu, dans une formation serrée, imposée par la nécessité de ne pas se perdre de vue. Les skieurs conservent cependant un avantage considérable sur le piéton ou le raquettiste. Grâce à leur vitesse, ils peuvent fuir devant la tourmente, se dégager assez vite, et se réfugier dans des chalets ou des refuges, s’ils sont trop loin d’un village.

Sur une route, la tourmente n’est pas très dangereuse, les skieurs ne craignent plus les erreurs de direction et presque plus les avalanches.

Brouillard. — On marche dans le brouillard à peu près comme dans la tourmente ; mais le danger est fort diminué par ce fait qu’on n’est plus cinglé par la chute en tourbillons de la neige, qui, dans une tourmente, est réduite en flocons très minces, pénètre partout et rend la respiration difficile.

Avalanches. — L’avalanche est, avec juste raison, la terreur du montagnard. Pour l’éviter, il faut savoir où et comment elle se produit. La crainte de l’avalanche, dirions-nous volontiers, est le commencement de la sagesse pour le skieur comme pour l’alpiniste.

L’avalanche est la résultante d’un ensemble de causes qui sont : le terrain et la pente, la nature de la neige, la température, le bruit, le choc ou une pression sur la neige. — La limite inférieure de pente pour qu’il y ait avalanche est d’environ 25°. Avec une telle pente, l’avalanche ne se détache que s’il y a, en outre, des conditions exceptionnellement favorables (longueur de la pente, grandes masses de neige, sol gazonné, schisteux, infiltrations).

Les conditions de terrain et de pente étant réalisées, s’il y a dégel, l’eau de fusion pénétrera jusqu’au sol glissant ou s’écoulera sur une ancienne couche de neige glacée. Il suffira dès lors du moindre choc, de la moindre pression[1], quelquefois du moindre bruit pour que la masse de neige supérieure s’ébranle sur la surface de glissement lubrifiée par l’eau, et descende avec une vitesse croissante.

L’avalanche de fonds ou de chaleur tombe généralement au printemps, c’est-à-dire au moment des grands dégels, et aussi quelquefois en plein hiver. Elle est déterminée soit par le dégel succédant à un adoucissement marqué de la température, soit par la chute ou le transport par le vent de gros amas de neige sur des terrains glissants ou des surfaces glacées.

C’est ainsi qu’on a vu couler des avalanches énormes, au cœur de l’hiver, même sur des pentes exposées au nord.

Lorsque la neige est pulvérulente ou farineuse, l’avalanche est dite froide. Ses effets ne sont pas les mêmes que ceux de l’avalanche de fonds. La neige farineuse tombe en tourbillons, et produit un déplacement d’air colossal, comme un cyclone qui fauche tout sur son passage. L’avalanche froide est accompagnée d’un bruit de tonnerre ; l’avalanche de fonds glisse parfois sans bruit (par exemple quand la pente n’est pas trop forte, ni trop longue).

L’avalanche froide peut survenir à toute heure ; l’avalanche de fonds, succédant au dégel, est à craindre surtout dans l’après-midi, avant le coucher du soleil. Si la couche de neige est très épaisse, il peut arriver que la surface de glissement ne soit atteinte par l’eau de fusion qu’assez tard. On évitera donc, surtout au printemps, le passage des couloirs d’avalanche de 9 heures ou 10 heures du matin à 2 heures ou 3 heures du soir, et, pour plus de sûreté, jusqu’au coucher du soleil.

Tout chef skieur doit, avant d’entreprendre une marche en haute montagne, se renseigner auprès des habitants, guides, douaniers et forestiers, sur les points dangereux ou couloirs d’avalanche, qui sont en général connus dans le pays et régler son itinéraire en conséquence.

Par un temps très froid, ou sur des pentes qui n’ont pas été soumises à l’action du soleil ou d’une température radoucie, ou ne sont pas recouvertes de neige farineuse, on pourra passer à toute heure.

Que faire si l’on est pris dans une avalanche ?

S’efforcer, en agitant les bras, de rester à la surface, couché sur le dos, et la tête du côté amont.

Le skieur est dans une situation plus défavorable pour se dégager que le non-skieur, à cause de ses skis, qui peuvent être assez facilement coincés dans les blocs de neige.

Aussi certains auteurs recommandent de quitter les skis, aussitôt qu’on se sent entraîner. Il faut avouer que l’opération est peu aisée, pour ne pas dire impossible, même avec des systèmes d’attache à levier.

Nul n’aura la prétention d’échapper à tous les dangers de la haute montagne.

Cependant un chef skieur alpin, digne de ce nom, saura, à moins de fatalité, diriger ses hommes dans des courses difficiles, sans accident grave.

Nombreuses sont, d’ailleurs, pour des touristes, les excursions moyennes où l’emploi du ski offre tout son attrait, bonne vitesse et contemplation de panoramas étendus et resplendissants de beauté.





REPOS DE SKIEURS AU COL DU LAUTARET
(École militaire de ski de Besançon.) Gravure extraite de la Montagne,
revue du Club Alpin français, mars 1906.


  1. Le passage d’un chamois a suffi pour produire une avalanche aux environs de Briancon (aux chalets du Granon, vers 2 000 mètres d’altitude).