Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Septembre 1835 (LOIS DE)

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 2p. 568-569).

Septembre 1835 (LOIS DE). Cet ensemble. de dispositions répressives, demeurées célèbres et qui ont reparu si souvent dans les polémiques du règne de Louis-Philippe, avait été proposé par le gouvernement sous le prétexte de l’attentat de Fieschi. C’est l’histoire éternelle des mesures de réaction ; la nation entière se trouvait punie dans ses libertés à propos d’un crime particulier auquel elle était non-seulement étrangère, mais encore qui ne lui inspirait que de l’horreur ; d’un fait passager, d’une situation exceptionnelle, on faisait sortir la permanence de l’arbitraire et de la compression.

C’est le 4 août 1835 que ces lois fameuses furent présentées aux Chambres. Le président du conseil, M. de Broglie, dans un exposé des motifs, fit de l’état du pays, sous l’empire de la liberté de la presse, un tableau qui présentait des analogies frappantes avec le fameux rapport de M. de Chantelauze en 1830.

« Le but des lois qui vont vous être successivement présentées, disait-il, est de faire rentrer tous les partis dans la charte, par prudence du moins ou par crainte, si ce n’est par conviction… Tous les partis sont libres dans l’enceinte de la monarchie constitutionnelle. Dés qu’ils en sortent, la liberté ne leur est pas due ; ils se mettent eux-mêmes hors de la loi politique ; ils ne doivent plus rencontrer que la loi pénale et les pouvoirs qu’elle arme pour sa défense… Nous n’admettons pas la discussion sur le roi, sur la dynastie, sur la monarchie constitutionnelle, qui doivent être placés sous la sauvegarda de peines sévères ; si celles que le code pénal a prévues ne suffisent point, il en faut instituer d’autres, que l’humanité ne réprouve pas, mais qui, cependant, impriment aux criminels un effroi proportionné à la grandeur même du crime. Il faut armer les juridictions régulières, qui demeureront chargées de les appliquer, de moyens réguliers eux-mêmes, mais prompts, directs, efficaces pour atteindre les fins de la justice ; il faut donner sécurité aux magistrats et aux citoyens qui la dispensent ; il faut que désormais la révolte, bannie de la place publique, ne trouve plus son refuge dans le sanctuaire des lois avant d’y trouver son châtiment… Notre loi a pour but principal d’empêcher les attaques à la personne du roi et au principe de son gouvernement.

« Il faut distinguer entre la presse monarchique constitutionnelle, opposante ou non, et la presse républicaine, carliste ou dans les principes de tout autre gouvernement qui ne serait pas le nôtre. Celle-ci, nous ne le nions pas, nous ne sommes nullement disposés à la tolérer. Notre loi manquerait son effet si toute autre presse que la presse monarchique constitutionnelle pouvait se déployer librement après sa promulgation… »

Et dans la discussion, M. Guizot, ministre de l’instruction publique, accentua encore cette idée :

« Oui ! disait-il, il y a une presse que nous regardons comme inconstitutionnelle, comme radicalement illégitime, comme infailliblement fatale au pays et au gouvernement de Juillet ; nous voulons la supprimer ; c’est la presse carliste et la presse républicaine. Voilà le but de la loi… Il faut choisir dans ce monde entre l’intimidation des honnêtes gens et l’intimidation des malhonnêtes gens, entre la sécurité des brouillons et la sécurité des pères de famille ; il faut que les uns ou les autres aient peur, que les uns ou les autres redoutent la société et ses lois. Il faut le sentiment profond, permanent, d’un pouvoir supérieur toujours capable d’atteindre et de punir… Qui ne craint rien ne respecte rien… »

La question était ainsi nettement posée ; les nouvelles lois signifiaient intimidation, répression, guerre aux idées démocratiques. Elles étaient au nombre de trois. L’une, relative au jury, lui attribuait le vote secret, statuait que la majorité des voix nécessaire pour la condamnation serait réduite de 8 à 7 et aggravait la peine de la déportation.

La seconde donnait au ministre de la justice, à l’égard des citoyens inculpés de rébellion, le droit de former autant de cours d’assises qu’il le jugerait nécessaire ; aux procureurs généraux celui d’abréger, en cas de besoin, les formalités de la mise en jugement ; enfin au président de la cour d’assises la faculté de faire emmener les accusés qui troubleraient l’audience et de passer outre aux débats en leur absence.

La troisième était relative à la presse. Jusqu’alors aucune infraction de la presse n’avait été directement qualifiée d’attentat contre la sûreté de l’État (sauf pour le cas de complicité par provocation positive à commettre un crime). La loi nouvelle déterminait plusieurs infractions considérées comme crimes par elles-mêmes, indépendamment des effets qu’elles ont pu produire. Ainsi étaient qualifiées d’attentats contre la sûreté de l’État, non-seulement la provocation à commettre un attentat contre la personne du roi ou l’un des membres de sa famille, mais encore la simple offense au roi, l’excitation à changer la forme du gouvernement établi par la charte de 1830 ou à détruire l’ordre de successibilité au trône, ou à porter les citoyens à s’armer contre l’autorité royale, que cette provocation eût été ou non suivie d’effet.

Ces attentats pouvaient, suivant l’appréciation des procureurs généraux, être déférés soit à la cour d’assises, soit à la Chambre des pairs ; ils étaient punis de la détention, peine infamante, dont le minimum est de cinq ans et le maximum de vingt. Les amendes pouvaient s’élever jusqu’à 50,000 fr.

En outre, il était interdit, sous des peines moins fortes, mais encore exorbitantes, de prendre la qualification de républicain, de mêler la personne du roi à la discussion des actes du gouvernement, de rendre compte des procès en diffamation et des délibérations intérieures du jury, de publier les noms des jurés, d’organiser des souscriptions en faveur des journaux condamnés, etc.

Le cautionnement des journaux fut porté de 48,000 francs à 100,000 francs, dont le versement dut être fait en numéraire ; des obligations plus onéreuses étaient imposées aux gérants, auxquels on faisait même une loi de dénoncer les auteurs des articles incriminés (on sait qu’alors la signature n’existait pas dans les journaux politiques).

En outre, les tribunaux eurent le droit de suspendre le journal condamné, et enfin les dessins, gravures et lithographies ne purent être publiés, ni les pièces de théâtre représentées sans avoir subi la censure préalable.

Il est intéressant de rappeler que plusieurs de ces aggravations avaient été introduites dans les projets ministériels par les trois commissions nommées et dont les rapporteurs furent MM. Hébert, Parent et Sauzet.

La discussion souleva une lutte assez vive ; les principaux opposants furent MM. Royer-Collard, Dufaure et Dubois (de la Loire-Inférieure). Mais le résultat était prévu, car on délibérait sous le joug de la passion. Grâce au zèle outré des commissions, le ministère obtint plus qu’il n’avait demandé (9 septembre). La Chambre des pairs s’empressa de ratifier de son vote ces lois fameuses, qui d’ailleurs furent impuissantes à entraver les développements du journalisme et qui furent abrogées par un décret du gouvernement provisoire le 6 mars 1848.