Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Septembre 1792 (MASSACRES DE)

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 2p. 564-568).

Septembre 1792 (MASSACRES DE). Ce n’est pas sans émotion que nous inscrivons ici cette date fatale et que nous nous préparons à esquisser ces tragiques événements, qui ont fait plus de mal à la cause de la liberté que toutes les guerres et toutes les manœuvres de ses ennemis.

« Ces terribles plaies saignent encore, dit M. Quinet ; combien de temps suffira-t-il de les étaler au jour pour faire reculer l’avenir ? »

« 2 septembre 1792 ! s’écrie M. Louis Blanc. Quels événements lui assignèrent une place dans nos annales à cette date horrible ? Et d’où vient qu’aujourd’hui encore, à tant de superstitieux esprits, dans l’obscurité des nuits sans sommeil, la Révolution apparaît, comme la nonne sanglante de la légende, tenant un poignard à la main et portant une immense tache rouge à la place du cœur ? »

L’impression que causèrent ces affreuses journées fut terrible, en effet, et n’est pas encore complètement évanouie, c’est-à-dire que beaucoup de personnes n’ont pas perdu l’habitude de juger cette époque héroïque par ce sanglant épisode.

Cependant, il y a longtemps que La Fayette l’a dit et que d’autres après lui l’ont répété : les tueries de septembre ne sont pas plus la République et la Révolution que l’inquisition et la Saint-Barthélémy ne sont le christianisme.

Pénétré de cette idée que les principes de justice, de paix et de liberté, qui sont l’essence même de la doctrine démocratique, n’ont pu être atteints ni compromis par les odieux excès d’une poignée d’égorgeurs, le Grand Dictionnaire va raconter ces événements douloureux avec impartialité, en s’efforçant d’éviter avec un égal soin et les exagérations des écrivains de parti, et les atténuations trop complaisantes de ceux qui ont voulu tenter des réhabilitations paradoxales.

On se trouve d’abord en présence de deux systèmes : les historiens hostiles à la Révolution veulent que le massacre ait été préparé, organisé et soldé par les pouvoirs publics, ou du moins par une partie des hommes qui exerçaient alors l’autorité. Cette méthode sommaire est simple et nette ; elle classe tout de suite la moitié des révolutionnaires parmi les purs scélérats. Les royalistes s’y sont attachés avec passion.

De leur côté, les écrivains démocrates ne voient dans ces événements qu’une effroyable explosion de la fureur populaire, provoquée par la grandeur des périls publics, par les complots de l’aristocratie, par la panique de l’invasion et par les trahisons dont on se sentait enveloppé. Ils admettent, à la rigueur, que ces sacrifices humains aient pu paraître, à quelques hommes politiques pris d’une sorte de vertige, d’une affreuse, mais indispensable nécessité ; ils nient formellement qu’ils aient été le résultat d’un plan concerté, d’une froide et atroce préméditation.

Ce débat émouvant et d’un si haut intérêt historique n’est pas clos encore et ne le sera peut-être pas de longtemps. Nous présenterons, quant à nous, l’opinion qui nous semble la plus probable ; au lecteur de juger.

Mais voyons les faits.

La royauté était détruite ; la République n’était pas constituée ; l’Assemblée législative s’éteignait dans l’impuissance et l’irrésolution ; la faction vaincue au 10 août comptait sur une revanche prochaine, persuadée que la France révolutionnaire ne résisterait pas à l’invasion étrangère, et elle semait partout l’irritation par ses intrigues et ses complots ; la monarchie avait laissé le pays complètement désorganisé ; l’ennemi s’avançait ; la trahison lui avait livré Longwy ; il venait d’investir Verdun, et, si cette dernière ville succombait, il pouvait être devant Paris en quelques jours ; une conspiration était découverte à Grenoble, une autre dans le Morbihan ; enfin, une pièce envoyée d’Allemagne, dont on a contesté depuis l’authenticité, mais qui cependant concordait assez avec le fameux manifeste de Brunswick, paraissait d’abord dans la Gazette nationale (31 août), puis dans la feuille de Gorsas et dans tous les journaux sous ce titre alarmant : Plan des forces coalisées contre la France. 11 n’y était question que de raser ou d’incendier les villes, de décimer la population, d’envoyer tous les patriotes au supplice, de confisquer leurs biens, de rétablir le pouvoir absolu sur des ruines, de démembrer la France, etc.

Que ce document fût supposé, c’est ce qu’on a répété, mais c’est ce qui n’est pas établi. D’ailleurs, les royalistes ne disaient pas autre chose en leurs pamphlets ; c’était la pure doctrine de l’émigration et de la faction tout entière. On n’a qu’à parcourir les journaux dévoués ou vendus à la cour ; depuis 1789 jusqu’au 10 août, ils ne parlent que de bâtonner, de pendre et de fusiller les amis de la liberté, de dompter le peuple par la force brutale, de noyer les réformes dans le sang et de rétablir intégralement l’ancien régime.

On savait en outre que, sur la frontière de l’Est, l’ennemi se livrait à des violences terribles. Ainsi, les uhlans coupaient les oreilles aux officiers municipaux et aux patriotes qu’ils pouvaient saisir et les leur clouaient sur le front.

L’histoire n’a que trop souvent oublié toutes ces causes d’excitation pour ne se souvenir que des violences des révolutionnaires, et il nous paraît juste, avant d’entrer dans le détail de ces sombres journées, de rappeler que les excès de la monarchie, comme les conspirations des monarchistes à demi vaincus, devaient fatalement amener de sanglantes représailles.

Ainsi, la frontière violée ; des généraux traîtres ou incapables ; une armée faible et mal organisée ; une Assemblée énervée ; l’ennemi, maître de plusieurs points, à quelques marches de la capitale ; la trahison partout ; les ressources nulles ou du moins d’une insuffisance notoire ; les royalistes insolents et menaçants, quoique vaincus, calculant tout haut quel jour arriverait l’ennemi, conspirant jusque dans les prisons où les avait jetés la victoire du peuple au 10 août, affectant de s’y livrer à de folles dépenses (dans un temps de disette), y fabriquant même de faux assignats ; un peuple exalté par tous les périls, une nation plongée dans une crise sans exemple et qui se voyait, pour ainsi dire, entrer dans la mort : telle était la situation à la veille des journées de septembre.

En outre, on acquit la certitude, par le procès d’un certain Collot d’Angramont, que les royalistes avaient des bandes enrégimentées, soldées, divisées par brigades et soumises à la direction d’un comité central. Et, le 1er septembre, un misérable condamné aux galères et à l’exposition avait crié sous le carcan : « Vivent les Autrichiens ! Vivent le roi, la reine ! » etc., et avait déclaré qu’il serait bientôt vengé, qu’il y avait une conspiration dans les prisons et que, la nuit suivante, les prisonniers, délivrés par leurs complices, devaient sortir armés, délivrer Louis XVI et sa famille et égorger les patriotes, incendier Paris et opérer la contre-révolution. Vraies ou fausses, ces assertions contribuaient à augmenter la colère et la terreur. L’acquittement par le tribunal criminel du 17 août de quelques aristocrates avérés acheva d’exaspérer le peuple.

Dans les journées précédentes, sur la proposition de Danton, des visites domiciliaires avaient été faites dans Paris et avaient amené l’arrestation d’un grand nombre de suspects.

La position semblait tellement désespérée, que le ministre Roland et les principaux du parti girondin délibérèrent de quitter Paris et de transporter le gouvernement à Blois ou dans le Midi. Danton combattit ce projet funeste et le fit abandonner.

Le 1er septembre, le conseil général de la Commune arrêta la réouverture des barrières, le terme de quarante-huit heures fixé par l’Assemblée nationale (pour les visites domiciliaires) étant expiré de la veille. Cette mesure serait déjà une preuve manifeste contre le dessein prêté à la Commune de plonger Paris dans la terreur pour organiser les massacres.

Dans cette même séance, Robespierre réclama l’expulsion de certains membres de l’ancienne administration municipale justement suspects de royalisme, et qui s’étaient compromis au 10 août. Il engagea ensuite ses collègues, vu la gravité des circonstances, à remettre le pouvoir au peuple, c’est-à dire à se retremper dans de nouvelles élections. On a voulu forcer ces paroles et leur donner une signification sinistre ; mais il nous semble évident que l’interprétation que nous donnons est la vraie. Quelque passion qu’on y mette, il est impossible de trouver la main de Robespierre dans les journées de septembre.

Quoi qu’on en ait dit, Danton non plus ne prit aucune part à ces horribles événements. Il proposa, il est vrai, les visites domiciliaires ; mais cette mesure était commandée par les circonstances ; et, quant à son fameux discours où il recommandait « de l’audace et encore de l’audace, » il était relatif à la défense nationale. V. d’ailleurs l’article Danton.

Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il ne s’opposa point aux exécutions, reproche qu’on peut adresser d’ailleurs à tous les hommes politiques d’alors ; on peut encore supposer que son inertie, dans des circonstances aussi terribles, et qui parait une complicité muette, provenait moins peut-être de l’impuissance que d’un sentiment d’approbation tacite.

On a accusé aussi les membres de la Commune Manuel, Sergent, Hébert, Billaud-Varenne, Panis, Tallien et surtout le comité de surveillance de la Commune, dont nous parlerons dans un moment. Il est constant que quelques-uns des hommes désignés ont figuré dans divers épisodes de l’horrible tragédie ; mais c’est la préméditation qui est tout à fait conjecturale. Il faut reconnaître que les pièces sur lesquelles on s’est appuyé pour l’établir ne sont pas absolument concluantes.

Pétion, qui était en position d’être bien instruit et qui était fort opposé, non-seulement aux septembriseurs, mais encore aux hommes de la Commune et de la Montagne, a dit dans son discours sur l’accusation intentée à Robespierre : « Ces assassinats furent-ils commandés, furent-ils dirigés par quelques hommes ? J’ai eu des listes sous les yeux, j’ai reçu des rapports, j’ai recueilli quelques faits ; si j’avais à prononcer comme juge, je ne pourrais pas dire : voilà le coupable. »

Ajoutons qu’en tout état de cause, il convient de séparer le conseil général de la Commune de son comité de surveillance ; le premier était l’assemblée délibérante, le pouvoir législatif, en quelque sorte, siégeant à l’Hôtel de ville et délibérant publiquement ; l’autre était comme le pouvoir exécutif de la Commune ; il siégeait à la mairie (aujourd’hui la préfecture de police). Autorisé par le conseil général à s’adjoindre quelques membres supplémentaires, il eut le tort d’appeler à lui, dans la matinée du 2 Septembre, Marat, le sombre journaliste, dont le nom signifiait plutôt vengeance que justice. Mais Marat lui-même, en dehors des meurtrières excitations de son journal, a-t-il réellement joué le rôle considérable que quelques-uns lui ont prêté ? Qu’il ait poussé aux tueries, on peut l’admettre ; mais nous pensons qu’on a exagéré son action. L’exaspération populaire, hélas ! n’avait pas besoin d’être excitée.

Nous venons de citer Pétion ; voici l’appréciation d’un homme du parti opposé, Robespierre : « Ce fut un mouvement populaire, et non, comme on l’a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables. Et, s’il n’en eût pas été ainsi, comment le peuple ne l’aurait-il pas empêché ? Comment la garde nationale, comment les fédérés n’auraient-ils fait aucun mouvement pour s’y opposer ? » (Quatrième lettre à ses commettants, p. 170.)

Le dimanche 2 septembre, le procureur-syndic Manuel, en annonçant officiellement à la Commune l’investissement de Verdun, propose de rassembler aussitôt au Champ-de-Mars les citoyens en état de porter les armes, afin de les engager à marcher au-devant de l’ennemi. Le conseil acclame cette motion patriotique, arrête, en outre, diverses mesures de défense et ordonne que, pour faire comprendre au peuple toute l’étendue du péril, le canon d’alarme sera tiré, le tocsin sonné, la générale battue. Deux commissaires municipaux se rendent à l’Assemblée pour lui annoncer cette convocation de la population valide. Les représentants applaudissent à ces mesures vigoureuses. Vergniaud prononce un discours brûlant qu’il termine ainsi : « Il n’est plus temps de discourir ! il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu’ils font en avant pioche la nôtre ! »

Danton sonne la charge à son tour ; on connaît assez cette harangue brève et enflammée, dont nous rappellerons également les derniers mots :

« Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie ! Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ! »

Sur sa proposition, l’Assemblée décrète la peine de mort contre ceux qui refuseraient ou de servir personnellement, ou de livrer leurs armées, contre ceux qui, soit directement, soit indirectement, entraveraient les mesures de salut ordonnées par le pouvoir exécutif.

Dans la même séance, Roland annonça la découverte d’une vaste conspiration dans la Vendée, et Lebrun, ministre des affaires étrangères, révéla les projets hostiles de la Russie, qui se préparait à se joindre à la coalition.

Et comme pour augmenter l’effroi de la grande ville, le bruit courait partout qu’un courrier extraordinaire venait d’arriver, annonçant qu’on entendait au loin le canon de l’ennemi.

Toutes ces nouvelles sinistres, les unes vraies, les autres fausses, tombant coup sur coup, ne faisaient qu’aviver jusqu’à la fureur l’exaltation de Paris.

Danton court au Champ-de-Mars haranguer les volontaires, pendant que les canons d’alarme du pont Neuf tonnent de moment en moment, que le drapeau noir de la patrie en danger est arboré à l’Hôtel de ville, que les cloches de toutes les églises sonnent à la fois le tocsin et que la générale retentit à travers les rues.

Les barrières sont de nouveau fermées.

Jamais peuple ne se leva avec un tel emportement d’enthousiasme pour défendre ses foyers et les libertés nouvellement conquises. En un seul jour, le contingent de Paris fut doublé.

Qui pourrait dire quel est le premier qui a jeté la parole de mort au milieu de tant de d’éléments en combustion ? Toujours est-il que l’idée d’un vaste complot royaliste obsédait toutes ces imaginations enflammées. Nous copions dans un journal du temps un tableau qu’on retrouve d’ailleurs, à quelques variantes près, dans une foule de documents :

«... À midi, le canon d’alarme avait fait retentir la terreur. Le tocsin se faisait entendre de toutes parts... ; chacun court aux armes... ; chacun s’écrie : Volons à l’ennemi ! mais nos ennemis sont ici ; ils sont à Paris comme à Verdun ; ils sont dans les prisons. Laisserons-nous nos femmes, nos enfants nos vieillards à la merci de ces scélérats ?… Courons aux prisons, exterminons tous les monstres qui profiteront de notre absence pour égorger nos épouses et nos enfants, pour tirer Louis XVI de sa tour et pour rallier les bataillons de royalistes. Ce cri terrible retentit à l’instant d’une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans tous les rassemblements, enfin dans l’Assemblée nationale même… »

Ce cri effroyable, insensé : Courons aux prisons ! retentit, en effet, de tous les côtés, suivant de nombreux témoignages contemporains.

Les sections étaient en permanence ; voyons quelles furent leurs délibérations. Leurs registres (plus ou moins complets) sont conservés aux archives de la préfecture de police. Eh bien, nous trouvons ce fait douloureux, inouï, que plusieurs assemblées générales de section délibérèrent et votèrent publiquement la mort des aristocrates et des prêtres enfermés dans les prisons ! et cela dans des quartiers riches et bourgeois.

Pour d’autres sections, il existe de leur participation à ce mouvement frénétique une preuve d’autant plus saisissante, qu’on a cherché à la faire disparaître en mutilant les registres à la date des funestes journées.

Des 48 sections, il y en a 12 dont la préfecture ne possède pas les registres correspondant précisément au mois de septembre 1792. Il est permis de conjecturer que quelques-uns au moins avaient été enlevés aux archives des sections par des intéressés.

Les procès-verbaux de 7 autres sections ne constatent aucune séance pendant les journées des massacres. Pour 20 autres, les registres constatent qu’il y eut séance, mais ne contiennent rien de particulier sur les massacres. Plusieurs cependant s’élèvent contre la lenteur du tribunal du 17 août et demandent la punition prompte des conspirateurs. En outre, on voit, par les procès-verbaux de la Commune, qu’une députation de l’une de ces sections, les Quinze-Vingts, se présenta dans la matinée du 3 à l’Hôtel de ville pour demander la mort des conspirateurs prisonniers.

Enfin, les 9 autres sections prirent des résolutions relatives aux événements.

Section Mirabeau (Grange-Batelière). « 2 septembre. Sur la motion d’un membre de faire marcher, avec les volontaires parisiens, les ci-devant comtes, marquis, etc. ; qu’ils soient placés entre des patriotes pour les surveiller. Adopté à l’unanimité. »

Section du Louvre. « 2 septembre. Une députation de la section Poissonnière a été introduite et a fait part d’un arrêté par elle pris, portant que les conspirateurs seraient livrés à la mort, les prêtres réfractaires et enfants d’émigrés seraient placés aux endroits les plus périlleux de l’armée. L’assemblée adhère. »

Section Molière-et-La-Fontaine. « 2 septembre. Une députation de la section Poissonnière a lu l’arrêté suivant de cette section :

« Tous les conspirateurs de l’État, actuellement renfermés dans les prisons d’Orléans et de Paris, seront mis à mort avant le départ des citoyens qui volent à la frontière.

« Les prêtres réfractaires, les femmes et les enfants des émigrés seront placés, sans armes, aux premiers rangs de l’armée qui se rend sur la frontière, pour que leurs corps servent de rempart aux bons citoyens qui vont exterminer les tyrans et leurs esclaves. »

Le registre de la section, à la suite de cette communication, contient seulement la mention suivante :

« L’assemblée, par l’organe de son président, a remercié MM. les députés de la communication de cet arrêté. »

Section des Arcis, délibération assez ambiguë. « 2 septembre. Un membre ayant fait la motion de s’assurer des prisons du Châtelet, de la Conciergerie et de la Force, l’assemblée a arrêté que l’on s’assurerait desdites prisons. »

Section Poissonnière. Elle avait voté la mort des prisonniers, mais le feuillet (47e), qui contenait son arrêté, a été enlevé plus tard, sans aucun doute par des intéressés. La lacune existe entre la séance du 23 août et la fin de celle du 2 septembre. L’auteur de cette suppression croyait avoir anéanti la preuve matérielle de l’arrêté Poissonnière, ne réfléchissant pas qu’il se trouvait inscrit sur les registres d’autres sections. Nous l’avons reproduit ci dessus.

Section Montreuil. Rien sur son registre. Mais on a trouvé deux minutes d’arrêtés de cette section (2 et 3 septembre), l’un pour faire marcher les aristocrates à l’ennemi, sous la surveillance des patriotes, l’autre pour demander la formation d’une compagnie de tyrannicides.

Section du faubourg Saint-Denis. « 2 septembre. Lecture de l’arrêté Poissonnière. L’assemblée n’étant pas en nombre remet au lendemain son adhésion.

Section Beaubourg. Registre mutilé.

Section du Luxembourg. Ses procès-verbaux de cette époque ont disparu ; mais, dans les pièces de la procédure dirigée en l’an III contre les septembriseurs, on a retrouvé la copie de ses délibérations. Elle vota la mise à mort des prisonniers dans les termes suivants : « Sur la motion d’un membre de purger les prisons en faisant couler le sang de tous les détenus avant de partir de Paris, les voix prises, elle a été adoptée ; trois commissaires ont été nommés, MM. Lohier, Lemoine, Richard, pour aller à la ville communiquer ce vœu, afin de pouvoir agir d’une manière uniforme. »

Cet aperçu met suffisamment en lumière ce fait lamentable qu’une partie de la population parisienne regardait l’exécution des prisonniers comme une mesure de salut public. Toute réflexion serait ici superflue ; nous ne jugeons pas, nous exposons.

Au moment où le canon d’alarme commençait à tonner, une vingtaine de prêtres insermentés étaient transférés de la mairie (c’est aujourd’hui la préfecture de police, comme nous l’avons dit plus haut) à la prison de l’Abbaye. Ils étaient entassés dans quatre du cinq fiacres et escortés par des fédérés de Marseille et d’Avignon. Une grande foule suivait. Au carrefour Buci, où se trouvait une estrade dressée pour les enrôlements volontaires, et conséquemment un rassemblement assez nombreux, un des prêtres de la dernière voiture, irrité, sans doute, par les injures, passe son bras à travers la portière et frappe un des fédérés d’un coup de canne. Celui-ci riposte par un coup de sabre ; d’autres fédérés frappent à leur tour ; plusieurs prêtres sont tués ou blessés.

L’abbé Sicard, qui était au nombre des transférés, ne parle pas du coup de canne dans sa relation ; mais comme il était dans la première voiture et se dissimulait au fond, comme il le dit, il n’a guère pu voir ce qui se passait à la queue du triste convoi. Le coup de canne est attesté par Mehée fils, dans sa brochure, la Vérité tout entière sur les vrais auteurs de la journée du 2 septembre.

Quoi qu’il en soit de ce détail important, mais difficile à vérifier, le premier sang avait coulé ! Les voitures arrivent à l’Abbaye et entrent dans la grande cour du cloître, près du palais abbatial, où siégeait le comité civil de la section. Quelques-uns des prêtres veulent fuir, mais ils tombent aussitôt mortellement frappés ; d’autres sont immolés à leur tour. L’abbé Sicard et deux de ses compagnons parvinrent à se réfugier dans la salle du comité civil ; un des membres de ce comité, l’horloger Monnot, reconnaît l’illustre instituteur des sourds-muets ; il s’élance au-devant des égorgeurs : « C’est l’abbé Sicard ! s’écrie-t-il, le père des sourds-muets ! » Le respect des services rendus à l’humanité désarme la frénésie sanguinaire des exécuteurs. Le vénérable philanthrope est sauvé, embrassé, reconduit en triomphe.

Outre ces réactions de la pitié, dont il y a de nombreux exemples dans ces journées affreuses, il faut signaler encore le désintéressement singulier des tueurs. L’argent, les bijoux, les portefeuilles, les effets des victimes étaient apportés par eux sur la table du comité civil. Quelques-uns ne réclamèrent que les souliers, devant partir, disaient-ils, le lendemain pour la frontière.

Après le massacre des prêtres amenés de la mairie, une voix cria, dit-on : « Il n’y a plus rien à faire ici ; allons aux Carmes ! » Ce fait ne serait guère favorable à l’hypothèse de la préméditation, car il y avait dans la prison de l’Abbaye un grand nombre de détenus, et conséquemment beaucoup à faire pour des assassins qui eussent été organisés et dirigés. Quoi qu’il en soit, la foule se porta tumultueusement au couvent des Carmes de la rue de Vaugirard, transformé en prison. Cent quatre-vingt-six ecclésiastiques y étaient enfermés, parmi lesquels l’archevêque d’Arles, l’évêque de Saintes, l’évêque de Beauvais, enfin quelques laïques. Dispersés dans le jardin, la plupart des prisonniers furent tués à coups de fusil, d’autres dans l’église même. Un certain nombre s’échappèrent en escaladant les murs du jardin. Ici encore, les valeurs et bijoux trouvés sur les malheureuses victimes furent fidèlement rapportés et déposés sur l’autel de l’église Saint-Sulpice.

Le massacre des Carmes eut lieu de quatre à six heures de l’après-midi. Il y eut 115 ou 120 victimes, dont on trouvera les noms dans l’ouvrage de M. Sorel, le Couvent des Carmes pendant la Terreur. Chose navrante et qui montre à quel point était générale la démence meurtrière d’où sortirent les exécutions, des gardes nationaux faisaient paisiblement l’exercice non loin de là, dans le jardin du Luxembourg, et ils ne firent rien pour empêcher les exécutions. L’assemblée de la section délibérait en permanence dans l’église Saint-Sulpice, et elle ne fit rien non plus. On connaît d’ailleurs son vote de la veille. Néanmoins, quelques-uns de ses commissaires, entre autres le boucher Legendre, s’employèrent individuellement et avec beaucoup de dévouement et d’humanité à sauver plusieurs des prisonniers ; enfin, l’un des commandants de la section, le citoyen Tanche, se porta spontanément aux Carmes avec un détachement de gardes nationaux ; leurs efforts ne furent pas complètement infructueux, et ils parvinrent aussi à arracher quelques victimes à la mort, comme on peut le voir dans les Martyrs de la foi de l’abbé Guillon, dans les Souvenirs de M. Letourneur, évêque de Verdun, dans le Récit de l’abbé de La Pannonie, dans les Souvenirs de M. Saurin, évêque de Blois, et dans d’autres pièces citées par M. A. Sorel (le Couvent des Carmes pendant la Terreur).

M. Sorel porte à 44 le nombre de ceux qui purent s’évader, et il en donne les noms.

Chose curieuse, il restait encore au couvent de la rue de Vaugirard un certain nombre de carmes déchaussés (la loi du 17 août laissait aux religieux jusqu’au 1er octobre pour évacuer les missions par eux occupées) ; mais comme les carmes avaient toujours vécu en bonne intelligence avec le district et la section, non-seulement les septembriseurs n’inquiétèrent pas ceux qui occupaient encore le couvent, mais encore ils s’efforcèrent de les rassurer dans leurs cellules, pendant qu’on massacrait les ecclésiastiques prisonniers.

Après le massacre des Carmes, les assassins retournèrent sur le premier théâtre de leurs forfaits, au cloître de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, où se trouvait une petite prison dite de supplément, qui donnait dans le cloître même, près du lieu où siégeait le comité civil, comme nous l’avons dit ci-dessus. Ils y égorgèrent encore une trentaine de prêtres, puis ils se présentèrent devant la grande prison de l’Abbaye, encombrée de détenus.

Beaucoup d’écrivains n’ont pas établi une distinction suffisante entre les deux emplacements où s’accomplirent les massacres de l’Abbaye, ce qui produit quelque confusion. Ainsi, les prêtres venant de la mairie et ceux qui étaient enfermés dans la petite prison de supplément furent tués dans la cour du cloître, qui avait son entrée dans la petite rue Sainte-Marguerite (plus tard rue d’Erfurt). Quant aux officiers suisses, aux gardes du roi et aux autres prisonniers régulièrement écroués, ils furent massacrés devant la prison même de l’Abbaye, où ils étaient enfermés. Un espace d’environ deux cents pas et un pâté de maisons séparaient les deux emplacements. Cette prison, aujourd’hui démolie, avait son entrée, non sur la petite place Sainte-Marguerite, comme nous l’avons encore vue de nos jours, mais dans la rue Sainte-Marguerite (aujourd’hui Gozlin). La place était alors un petit marché encombré d’étaux, et la façade donnant de ce côté n’avait aucune issue. Les massacres dont nous allons parler eurent donc lieu devant la porte, dans la rue Saints-Marguerite, au pied de la tourelle qui formait l’angle de la place.

La foule s’était portée au guichet ; elle arrache de la prison les Suisses prisonniers du 10 août, ainsi que 25 gardes du roi, et les tue successivement aux cris chaque fois répétés de : « Vive la nation ! »

C’est après ces exécutions sommaires, qui jonchèrent l’étroite rue Sainte-Marguerite d’une cinquantaine de cadavres, que fut improvisé le fameux tribunal présidé par Maillard (probablement vers 7 heures du soir).

Avant la création de ce tribunal, on tuait en masse, indistinctement. Dès lors, il y eut une sorte de régularité dans la fureur ; on distingua des innocents et des coupables ; beaucoup de prisonniers furent sauvés. Il est incontestable qu’ils durent la vie à cette étrange et redoutable commission judiciaire. La main sur la conscience, Maillard, en supposant que cela eût été dans ses intentions, ne pouvait tenter de les sauver tous sans les perdre tous. Dans la notice consacrée à ce personnage, nous avons donné quelques détails sur le rôle qu’il joua dans cette sombre tragédie. Très-connu du peuple, il fut désigné par les tueurs pour présider le tribunal populaire, proposé probablement par lui et dont l’idée fut adoptée sur-le-champ. On nomma aussi douze juges, dont la plupart étaient des gens établis, des marchands du voisinage. On n’en signale que deux qui fussent en veste et tablier. Maillard s’installa dans une salle du rez-de-chaussée, se fit apporter le registre d’écrou, fit les appels et interrogea les prisonniers à tour de rôle. Il consultait ensuite son jury et prononçait la condamnation ou l’acquittement. La formule adoptée pour les condamnés était ces mots : « À la Force, » comme s’il ne s’agissait que d’un simple transfèrement, sans doute pour éviter les scènes de violence et de désespoir et pour laisser jusqu’au moment suprême quelque illusion à ces malheureux.

Les condamnés étaient conduits au seuil de la porte donnant sur la rue Sainte-Marguerite et livrés aux massacreurs, qui les tuaient sur-le-champ. Ceux dont l’innocence était reconnue étaient reconduits par deux juges, qui proclamaient leur acquittement en présence de la foule. Ils devenaient dès lors inviolables ; les meurtriers les accueillaient avec des clameurs de joie et des cris de : « Vive la nation ! » et souvent, par une étrange réaction de sensibilité, versaient des larmes et pressaient dans leurs bras sanglants ceux qu’un moment auparavant ils auraient égorgés, enfin les reconduisaient comme en triomphe jusqu’à leur demeure et ne voulaient accepter aucune récompense. Il n’y a pas de fait mieux attesté, et par les relations mêmes de ceux qui ont échappé aux massacres, Journiac Saint-Méard, Maton de La Varenne, Weber, etc.

Pas un seul des acquittements prononcés par Maillard n’a été contesté ni même discuté par les meurtriers. Certes, nous n’avons nullement l’intention de diminuer l’horreur que doit inspirer cette justice farouche qui punissait des délits comme des crimes ; mais il faut reconnaître que beaucoup de ceux qui ont été frappés n’eussent pas été absous par la justice régulière, du moins entièrement. Le tribunal condamna successivement plusieurs fabricateurs de faux assignats, exécrés du peuple autant que les contre-révolutionnaires purs ; cette falsification meurtrière était d’ailleurs une des manœuvres des royalistes et de l’étranger pour affamer la nation. On envoya aussi à la mort deux autres faussaires, Protot et Valvin, qui avaient émis de faux billets de la caisse de secours ; puis l’ex-ministre Montmorin, qui avait coopéré à tous les complots de la faction ; Vigne de Cussay, qui avait contribué au massacre du Champ-de-Mars ; Thierry de Ville-d’Avray, premier valet de chambre de Louis XVI, etc.

Vers neuf heures du soir seulement, des commissaires de l’Assemblée nationale arrivèrent à l’Abbaye.

Voici ce qui s’était passé.

Le conseil général de la Commune avait repris séance à quatre heures ; sur la nouvelle des massacres, il nomma deux commissaires, Caron et Nouet, pour protéger les prisonniers. L’un d’eux revint bientôt confesser l’inutilité de leur intervention : « Les citoyens enrôlés, dit-il, craignant de laisser la ville aux malveillants, ne veulent point partir que tous les scélérats du 10 août ne soient exterminés. »

Le conseil arrêta alors que quatre de ses membres se rendraient à l’Assemblée nationale pour lui demander quelle mesure on pourrait prendre afin de garantir les prisonniers.

Précédemment, deux autres membres de la Commune, Manuel, procureur-syndic, et Billaud-Varenne, son substitut, avaient déjà paru sur le théâtre des massacres à l’Abbaye Manuel avait conjuré les tueurs d’observer au moins dans leurs vengeances une certaine justice, ce qui, sans doute, avait contribué à l’érection du tribunal. Billaud avait recommandé de veiller à ce qu’il ne fût rien dérobé des dépouilles. Tout cela était bien ; mais l’inertie des pouvoirs constitués, leur impuissance, si l’on veut, est un fait bien constaté. On n’en saurait déduire la conséquence d’une complicité formelle, comme l’ont fait quelques historiens, mais plutôt d’une défaillance à peu près générale. Il est pénible de songer que tant de vaillants hommes ont plié la tête devant la violence et le crime ; mais comment expliquer autrement que girondins et montagnards n’aient rien empêché, que les hommes populaires n’aient pas plus sérieusement usé de leur influence, que Pétion, maire de Paris, que Roland, ministre de l’intérieur, aussi bien que Danton, ministre de la justice, et tant d’autres qui avaient autorité soient restés à peu près inactifs ? Cela serait tout à fait inexplicable si, comme le veulent certains écrivains, les exécutions n’avaient été que le fait d’une poignée de scélérats mis en mouvement à prix d’or par le comité de surveillance de la Commune.

Quoi ! ces mêmes hommes qui ont fait trembler l’Europe, qui ont monté sans pâlir sur les échafauds, qui ont marché à la tête des volontaires contre les redoutes ennemies, qui ont tout osé, tout affronté, tout brisé devant eux, ces titans, ces prodiges d’héroïsme et d’audace auraient reculé devant trois cents misérables assassins, tout en ayant de leur côté la loi, l’autorité, la force publique, la raison et l’humanité ?

Cela n’est pas admissible. Il faut donc, de toute nécessité, que les exécuteurs (peu nombreux, cela semble établi) aient été couverts par l’assentiment d’une partie notable de la population, livrée à la foi aux élans de l’enthousiasme patriotique, au délire de la fureur et du soupçon, à l’exaltation qui fait les héros, et malheureusement aussi au vertige qui fit des assassins.

Cette connivence morale d’une partie du peuple, qu’il est difficile de nier, expliquerait d’une manière assez plausible l’inertie des autorités et des hommes politiques importants ; il y eut pusillanimité, sans doute, mais aussi sentiment de l’impuissance et de l’inutilité de tout effort, et peut-être chez quelques-uns, approbation secrète de ces exécutions sommaires…

L’Assemblée nationale, sans témoigner trop d’indignation contre les massacreurs, ne répondit aux réclamations de la Commune qu’en désignant six de ses membres « pour aller parler au peuple, afin de rétablir le calme. » Encore cette mesure insuffisante ne fut-elle décrétée que sur la proposition du montagnard Basire. Quant aux girondins, qui devaient plus tard rejeter avec tant de furie la responsabilité des massacres sur leurs adversaires, ils ne proposèrent rien, ils ne dirent pas un mot.

Les commissaires désignés, Basire, Dussault, Isnard, Chabot, Audrein, François de Neufchâteau et Lequinio, se dirigèrent donc vers l’Abbaye, où les massacres continuaient à la lueur des torches ; mais ils revinrent au bout de deux heures annoncer avec tristesse que tous leurs efforts avaient été infructueux. L’Assemblée suspendit sa séance à onze heures, après avoir expédié quelques affaires courantes et comme si rien d’extraordinaire n’avait eu lieu !

En résumé, le conseil général de la Commune, que certains historiens ont si violemment accusé, sans fournir aucune pièce concluante à l’appui de leur thèse, s’il ne fit pas tout ce qu’il eût dû faire, déploya du moins plus d’activité que l’Assemblée législative et le pouvoir exécutif. Il avait ordonné au commandant général de diriger de nombreux détachements autour du Temple et des différentes prisons ; mais la garde nationale ne répondit pas aux réquisitions de Santerre. Il envoya dans la soirée de nouveaux commissaires, Truchon, Duval-Destain, Tallien et Guiraut, qui peut-être agirent mollement ou qui, dans tous les cas, ne réussirent pas mieux que les précédents. Dans la matinée du 3, il prit des mesures pour protéger les soldats suisses prisonniers au palais Bourbon. Une députation de la section des Quinze-Vingts étant venue au même moment demander la mort des conspirateurs et l’arrestation des femmes et enfants d’émigrés avant le départ des citoyens pour l’armée, le conseil s’empressa de passer à l’ordre du jour. Ses délibérations dans ces funestes journées portent la preuve de ses efforts, et Robespierre a pu dire sans rencontrer de contradicteurs ; « Il est certain, aux yeux de tout homme impartial, que le conseil général, loin de provoquer les événements du 2 septembre, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les empêcher. »

C’est aussi dans cette même matinée du 3 que la municipalité confia à Deltroy, à Manuel et à Robespierre la mission de protéger le Temple, de concert avec six députés désignés par l’Assemblée (dont cinq montagnards, Lacroix, Basire, Choudieu, Chabot et Thuriot ; le sixième était le vieux Dussault). On sait qu’un simple ruban tricolore suffit pour défendre l’entrée de la prison où était enfermée la famille royale, que le peuple jugeait sans doute moins redoutable que les autres prisonniers et que, d’ailleurs, on considérait alors comme des otages.

Ce jour-là enfin et les jours suivants, comme on peut s’en convaincre par les procès-verbaux, le conseil de la Commune s’efforça de calmer l’effervescence et d’arrêter l’effusion du sang.

On peut l’accuser d’indécision, de mollesse, mais non de complicité réelle, cela nous paraît incontestable. Quant au comité de surveillance, il y a de graves présomptions contre lui, mais cependant pas de preuves positives ; quelques-uns de ses membres approuvèrent le massacre quand il fut accompli ; mais ce serait aller trop loin que d’admettre que le comité l’a organisé. Ce qui semble certain, t’est que la plupart de ceux qui en faisaient partie, peut-être même tous, étaient en proie au même délire que la foule, à la même maladie de fureur et de soupçon ; ils voyaient partout des complots, des trahisons, des dépôts d’armes, etc. Le soir même du 2, ils firent faire des perquisitions chez le ministre Roland et chez Brissot. Cependant, dans cette même soirée, les tueries continuaient, en s’étendant de l’Abbaye à plusieurs autres prisons. Cette furie de meurtre prenait le caractère d’une folie comme en connurent les temps antiques et le moyen âge. On voulait purger Paris, non-seulement des aristocrates et contre-révolutionnaires, mais encore de tous ses éléments mauvais et dangereux, voleurs, faux-monnayeurs, fabricateurs de faux assignats, escrocs, filles publiques, etc. Une telle fièvre d’épuration, arrivée à cette intensité, semble plutôt du ressort de la pathologie que de l’histoire.

À l’Abbaye, après les exécutions que nous avons mentionnées, on jugea et on tua les juges de paix Buob et Bosquillon, qui avaient commencé une instruction contre les auteurs de la journée du 20 juin ; le comte de Wittgenstein, lieutenant général ; l’officier suisse Reding, de Maussabre, aide de camp de la garde du roi, l’officier de Laleu, etc. Dans la cour de Saint-Germain-des-Prés, théâtre des premiers massacres, on tuait aussi. Le comité civil, glacé d’horreur, ne fit rien, ne tenta rien, n’osa rien dire. Il consentit même à délivrer des bons de vin, de pain, de paille, de chaux, etc., pour les tueurs et pour les victimes. Ces scènes affreuses durèrent toute la nuit et devaient se prolonger encore.

À la Conciergerie et au Châtelet, le massacre commença tard, mais dura également toute la nuit, puis la journée du lendemain. Il n’y a aucune trace qu’il y ait eu dans ces deux prisons un simulacre de tribunal. Le conseil de la Commune avait rendu un arrêté pour protéger les détenus pour dettes, causes civiles, etc., mesure très-louable en soi, mais qui ressemblait à l’abandon des autres catégories de prisonniers. Au Châtelet, d’ailleurs, on tua pêle-mêle des voleurs, des prisonniers politiques, des falsificateurs d’assignats, etc.

La Force fut également envahie dans la soirée du 2 ; mais l’examen du registre d’écrou et l’installation d’un semblant de tribunal, analogue à celui de l’Abbaye, prirent assez de temps ; les exécutions ne commencèrent qu’à une heure après minuit. Un certain nombre de prisonniers furent mis à part pour être épargnés, enfermés dans la petite église Sainte-Catherine-de-la-Culture ; on leur fit prendre l’engagement de s’enrôler et de partir le lendemain même pour la frontière. Les commissaires de la Commune, Truchon, Tallien et Guiraud, firent sortir les détenus pour dettes et, en outre, vingt-quatre femmes, parmi lesquelles Mme et Mlle de Tourzel, Mme de Saint-Brice et autres dames de la reine.

La princesse de Lamballe ne put être sauvée ; sa qualité de Bourbon, son intimité avec l’Autrichienne, qui l’avait employée à diverses intrigues politiques, la vouaient fatalement à la mort. Manuel cependant, accouru le 3 avec Pétion pour essayer d’intervenir, tenta de la sauver (comme il avait la veille contribué à sauver Mme de Staël) et quitta la Force, croyant avoir assuré son salut. Mais, comme nous l’avons raconté dans sa notice, dès le matin, elle fut traînée devant le redoutable tribunal et sacrifiée ; sa tête fut coupée et promenée dans Paris au bout d’une pique. Il est d’ailleurs plus que douteux que son corps ait subi toutes les mutilations affreuses qu’on a rapportées. V. Lamballe.

Le tribunal de la Force ne fut pas, comme celui de l’Abbaye, présidé pendant toute la durée du massacre par un seul et même individu ; il y a même une grande incertitude sur sa composition ; les juges, comme le président, changèrent plusieurs fois. Les relations varient sur les noms. Maton de La Varenne désigne Dangé, Michonis, Lesguillon, etc., membres de la Commune. Or, le municipal Michonis était un royaliste, un agent de la reine, qui trempa dans les intrigues pour enlever la famille royale du Temple et qui, plus tard, fut condamné par le tribunal révolutionnaire comme conspirateur royaliste. Cela rend sa présence à la Force un peu douteuse et montre avec quelle circonspection on doit accueillir les assertions diverses, même celles des témoins oculaires, dont le premier défaut est de ne pas s’accorder entre elles. Roch Marcandier désigne le greffier même de la prison, Fieffé, comme chargé des interrogatoires. Peltier (qui écrivait à Londres) rapporte que c’était Hébert qui présidait. D’autres désignent Lullier, Rossignol, Monneuse, etc. Ce qu’il y a de certain, c’est que plusieurs municipaux furent envoyés par la Commune en qualité de commissaires, dans le but de calmer l’effervescence, et qu’il semble avéré que quelques-uns siégèrent en écharpe, soit qu’ils voulussent modérer la furie des tueurs, comme c’était leur mission, soit qu’ils fussent dominés par eux, ce qui n’a rien d’improbable.

On sait d’une manière positive que les fonctions d’accusateur public furent remplies par un ancien huissier au Châtelet nommé Pierre Chantrot.

Parmi les détenus qui furent acquittés, citons Weber, le frère de lait de Marie-Antoinette, Lorimier de Chamilly, valet de chambre de Louis XVI, Bertrand de Molleville, frère de l’ancien ministre, Maton de La Varenne et plusieurs autres.

Au nombre des victimes figurèrent Baudin de La Chesnaye, un des commandants des Tuileries au 10 août, le commandant Rulhières, l’abbé Louis de Bardy, assassin de son propre frère, qu’il avait coupé par morceaux, etc. À ces meurtres en succédèrent beaucoup d’autres. La rue des Ballets, où était l’entrée de la prison, était encombrée de cadavres.

Au milieu de toutes ces horreurs et partout où le sang ne ruisselait pas, la population montrait un élan sublime ; les volontaires affluaient et venaient défiler devant l’Assemblée, le havre-sac au dos ; toutes les villes circonvoisines, toutes les communes environnantes envoyaient leurs contingents ; les grands volontaires de 92 entraient dans l’histoire ! Pendant toute cette semaine, il en partit chaque jour de Paris plus de 2,000, armés et équipés ; les routes se couvraient de patriotes en armes. La Commune fut obligée (exemple unique !) de prendre un arrêté pour modérer le mouvement, pour inviter les ouvriers des professions de nécessité première à ne pas quitter en trop grand nombre la capitale. Les acteurs de la rue Richelieu prirent, à la barre de l’Assemblée, l’engagement de se faire soldats dès que l’imminence du danger réclamerait la clôture des spectacles. Les dons patriotiques abondaient ; chose caractéristique, les riches mêmes donnaient ! les paysans donnaient ! Les femmes apportaient leurs bijoux et jusqu’aux ornements de leurs enfants. De toutes parts éclataient les manifestations de l’enthousiasme, du patriotisme et du plus pur dévouement.

Mais, hélas ! aux prisons, quel autre spectacle !

Près du pont de la Tournelle, on voyait encore à cette époque une grosse tour carrée, bâtie par Philippe-Auguste et qu’on appelait la tour Saint-Bernard (son emplacement est aujourd’hui compris dans les dépendances de la halle aux vins). Elle renfermait soixante-quinze malfaiteurs qui attendaient leur transfèrement aux galères ; dans la matinée du 3, les septembriseurs envahirent cette prison et tuèrent tous ces malheureux, à l’exception de trois. Un des massacreurs ayant commis un vol fut tué sur-le-champ par ses acolytes.

La même bande se rendit ensuite au séminaire Saint-Firmin, non loin de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, et où étaient enfermés des prêtres insermentés, qui furent exterminés en masse et sans simulacre de jugement. Dans cette bande figurait une femme qui se signala par son acharnement. Elle abattit, dit-on, à coups de bûche l’ancien curé de Saint-Nicolas. Cette furie se nommait Marie-Anne-Gabrielle, femme de François Vincent.

À l’Abbaye, les jugements et les exécutions continuaient, mais plus lentement. Vers dix heures du matin furent immolés l’abbé Lenfant, ancien prédicateur du roi, et l’abbé de Rastignac, ancien constituant. Quatre femmes se trouvaient à l’Abbaye ; une seule était sous le coup d’un mandat d’arrêt, la princesse de Tarente, dame d’honneur et amie de la reine, qui fut acquittée. Les trois autres étaient venues depuis quelques jours partager la captivité, l’une de son oncle, Mme de Fausse-Lendry, les deux autres de leurs pères, Mlle Cazotte et Mlle de Sombreuil. Mme de Fausse-Lendry, qui a laissé un récit de ces horribles épisodes, parut devant Maillard, qui la renvoya libre.

Cazotte (v. ce nom), à la fois conspirateur royaliste et visionnaire, était fort compromis ; mais sa fille attendrit les juges et les tueurs eux-mêmes par ses larmes et ses supplications et elle obtint la vie de son père.

Sombreuil, ex-gouverneur des Invalides, était plus difficile encore à sauver ; comme ennemi acharné de la Révolution, ayant poussé ses fils à s’enrôler dans les armées ennemies pour combattre la France, il était plus en danger que tout autre ; mais son admirable fille lutta si longtemps et avec tant d’âme, qu’elle arracha son acquittement, ou plutôt sa grâce. Maillard le couvrit d’un mot : « Innocent ou coupable, je crois qu’il serait indigne du peuple de tremper ses mains dans le sang de ce vieillard. »

Sombreuil, comme Cazotte, comme tous les autres acquittés, fut reconduit triomphalement aux cris de : Vive la nation ! Il est faux que les égorgeurs aient imposé à Mme de Sombreuil l’effroyable obligation de boire un verre de sang pour racheter la vie de son père. À l’article Sombreuil, nous donnons la réfutation complète de cette fable hideuse, avec tous les détails sur cet épisode mémorable, et qui ne peuvent trouver place ici.

Quelques heures plus tard, Joumiac Saint-Méard, également très-compromis comme aristocrate et pamphlétaire royaliste, sauva sa vie, d’abord en gagnant les bonnes grâces d’un des tueurs méridionaux par une conversation en patois provençal, ensuite en déployant beaucoup de présence d’esprit dans son interrogatoire. Il s’avoua franc royaliste, mais nia énergiquement qu’il eût conspiré. Comme il le rapporte lui-même dans sa fameuse relation, Maillard l’acquitta en prononçant ces paroles : « Ce n’est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, mais pour en juger les résultats. »

À la Conciergerie, il y eut aussi des massacres ; mais on en connaît peu les détails ; quelques-uns même les ont niés. M. Firmin Didot, dans sa nouvelle édition des Mémoires sur les journées de septembre, déclare que, d’après les registres d’écrou, rien n’indique qu’il y ait eu des individus massacrés dans cette prison. Cependant, sans entrer dans une discussion critique qui nous mènerait trop loin, nous dirons sommairement que, s’il reste peu de traces bien authentiques des tueries de la Conciergerie, elles n’en paraissent pas moins avérées, et par quelques lignes des Révolutions de Paris (no 165, 8 sept. 1792), et par une mention dans le Bulletin du tribunal révolutionnaire (no 5), et par le registre des individus massacrés déposé à l’Hôtel de ville et dressé par ordre de la Commune peu de jours après les événements.

Il paraît que la Conciergerie renfermait beaucoup de femmes, qui furent toutes relâchées, à l’exception de la fameuse bouquetière du Palais-Royal, condamnée à la potence pour avoir mutilé son amant, un garde-française, à la façon d’Abailard, et qui depuis fort longtemps restait détenue sans que la sentence fût exécutée. Cette misérable fut tuée. On a supposé que d’anciens gardes-françaises avaient voulu venger leur camarade mort, en exerçant sur la bouquetière des mutilations analogues ; mais tous les détails monstrueux donnés par Roch Marcandier dans son pamphlet, et qui ont été reproduits trop complaisamment par de graves historiens, sont fort suspects et fort douteux. Bien mieux, le fait même de la présence de la bouquetière à la Conciergerie ne serait pas bien prouvé. Après avoir rapporté le récit traditionnel, M. Michelet ajoute une note : « Cet horrible fait n’est pas très-sûr. On dit que la bouquetière était à la Conciergerie, mais M. Labat a cherché inutilement son nom sur le registre d’écrou. »

Or M. Labat était le savant archiviste de la préfecture de police bien connu des érudits ; il était donc en position d’être bien informé.

D’après Maton de La Varenne, on tua à la Conciergerie 73 malfaiteurs. Le comité de surveillance avait saisi dans cette prison tout un matériel pour la fabrication de faux assignats et une pleine serviette de faux assignats déjà fabriqués (Moniteur, no 321).

Dans la journée du 3, une nouvelle panique se propagea : on disait partout que les prisonniers de Bicêtre, munis d’armes à feu et dirigés par les royalistes, se préparaient à commencer la contre-révolution. Plusieurs sections fournirent alors des détachements qui marchèrent sur Bicêtre avec leurs canons et se bornèrent, d’ailleurs, à investir l’établissement. Mais les égorgeurs vinrent à leur tour, de plus en plus affolés par la furie du meurtre et l’ivresse du sang ; ils tuèrent jusqu’au soir, puis reprirent le lendemain 4 leur horrible besogne jusqu’à trois heures de l’après-midi. Les victimes étaient des criminels, des malfaiteurs, de malheureux enfants mis en correction, et dont quelques-uns n’avaient que douze à treize ans ; enfin l’économe Béchet, qui d’ailleurs périt victime de la haine d’un prisonnier, suivant Prudhomine et Maton de La Varenne.

Enfin, une autre bande se porta sur la Salpêtrière ; des détachements de gardes nationaux avaient, dans la journée du 3, empêché l’envahissement de cette maison ; mais le lendemain, vers quatre heures, la horde revint, mit beaucoup de femmes en liberté et en tua 35, parmi lesquelles la fameuse empoisonneuse Desrues.

On ne pourrait indiquer le moment précis où finirent ces horreurs. Il paraît certain que le 5 et même le 6 il y eut encore çà et là quelques meurtres isolés.

Cependant, le premier moment de vertige et de stupeur passé, une réaction de justice et d’humanité se fit dans les consciences. Les autorités agirent un peu plus, quoique fort timidement encore. Pétion se transporta à la Force, Roland écrivit à l’Assemblée en des termes assez vagues et en parlant des massacres comme « d’événements sur lesquels il faut peut-être laisser un voile, » mais, en définitive, pour demander des mesures d’apaisement. Le conseil de la Commune, le 3, arrêta, en termes plus nets, qu’il fallait « s’en remettre à la loi de la punition des coupables. » Il désavoua aussi formellement les massacres en couvrant d’applaudissements et de marques de sympathie un citoyen qui vint annoncer à la barre qu’il se chargeait de nourrir et de loger un pauvre prisonnier échappé au carnage de la Force.

Mais on sait qu’à ce moment de crise tous les pouvoirs publics étaient sans force et flottaient pour ainsi dire à l’aventure, sans unité, sans cohésion, sans autorité réelle.

Le soir de ce même jour (3), une circulaire émanée du comité de surveillance fut expédiée dans tous les départements ; elle contenait une apologie officielle des massacres, avec invitation à les imiter. On a répété, sur la foi de Mme Roland et de quelques autres écrivains hostiles, que cette circulaire était partie sous le couvert du ministère de la justice. Rien n’est moins prouvé (v. Danton). Ce qu’il y a de certain, c’est que la pièce était signée des noms de tous les membres du comité ; mais plusieurs, et notamment Desforgues, ont protesté avec énergie contre l’accusation d’avoir coopéré à cet acte de folie furieuse, et, en outre, l’original de la circulaire n’a jamais été retrouvé. Comme elle fut imprimée chez Marat, plusieurs historiens ont conjecturé qu’il en était seul l’auteur et que, de sa propre autorité, il l’avait revêtue de la signature de ses collègues. Cela n’est pas impossible ; mais c’est une conjecture. Une chose probable, c’est que plusieurs membres du comité approuvaient secrètement les massacres ; mais, répétons-le, il n’y a pas de preuves formelles que le comité, collectivement et en tant que pouvoir public, en ait pris l’initiative et les ait organisés.

Nous avons sous les yeux une pièce officielle adressée par le comité de surveillance à la municipalité de Versailles, le 5 septembre, et qui porte ceci : « Nous trouverons toujours bon ce que feront nos frères de Versailles pour s’assurer des conspirateurs qu’ils nous dénoncent ; mais nous les invitons à les conserver encore sous leur surveillance, nos prisons n’étant pas encore à l’abri des justes vengeances du peuple. Dans peu de jours, nous ferons part à nos frères de nos résolutions définitives, d’après les circonstances. »

Il résulte de cette pièce, d’une authenticité incontestable, que si le comité s’incline devant l’horrible fait accompli en qualifiant les tueries de « justes vengeances, » il s’oppose néanmoins à l’envoi de nouveaux prisonniers, dans la crainte qu’ils ne soient sacrifiés.

Cela est formellement en contradiction avec le rôle qu’on lui prête.

Quant au salaire qui aurait été promis et payé aux massacreurs, on sait que de nombreuses controverses ont eu lieu. M. Granier de Cassagnac et autres écrivains ont imprimé des pièces, des bons, des reçus, etc., pour établir que la Commune et son comité de surveillance avaient régulièrement soldé l’assassinat, comme un « travail. » Nous n’entrerons pas ici dans les détails fort compliqués de cette discussion ; mais, tout examiné et avec l’indignation que nous inspirent les massacres de septembre, nous demeurons convaincu que cette opinion repose sur une équivoque. Les Comptes de la Commune et les autres pièces nous fournissent la preuve péremptoire que ces « travailleurs » dont il est question sont les hommes qui ont été occupés à enlever les corps, ranger les dépouilles, laver le sang, conduire et enterrer les victimes, etc., et non point les massacreurs. Les textes en font foi, et il faut les torturer pour y voir autre chose. Qu’on lise et qu’on relise les Comptes de la Commune, où toutes les dépenses de ces fatales journées sont détaillées avec minutie, et l’on n’y découvrira pas un article qui se rapporte à un salaire donné aux exécuteurs. D’ailleurs, veut-on une autre preuve ? 24 livres par jour auraient été, dit-on, accordées aux égorgeurs ; or, le total des sommes dépensées s’élevant à 1,464 livres, il en résulterait que 61 personnes seulement auraient coopéré aux massacres, ce qui est absurde.

Il en résulte assez clairement qu’il n’y eut de salariés que les ouvriers, charretiers, fossoyeurs, etc., employés à faire disparaître les. traces des meurtres, et c’est ce qui ressort de toutes les pièces quand on les examine froidement et sans passion, avec la seule préoccupation de la vérité historique.

Seulement, ce qui a pu donner quelque apparence de probabilité aux assertions que nous repoussons ici, c’est que, en effet, quelques misérables, les mains souillées de sang, se présentèrent aux comités des sections, à l’Hôtel de ville et devant d’autres autorités pour réclamer des bons de vin, de viande et même des indemnités pécuniaires, et que la terreur qu’ils inspiraient les leur fit obtenir, du moins quelquefois. On voit qu’il y a ici une différence essentielle : il ne s’agit plus d’assassins embrigadés à l’avance, touchant un salaire convenu, réglé, mais de brigands arrachant un secours. On peut justement, qualifier de honteuse la pusillanimité de quelques fonctionnaires qui ont cédé à ces réquisitions, mais il serait arbitraire de voir dans ces faits particuliers, qui se sont produits après coup, des preuves de complicité, de préméditation et d’embrigadement des meurtriers.

Comme il était arrivé lors de la Saint-Barthélemy, les événements de Paris eurent leur contre-coup en province. À Meaux, à Reims, à Charleville, à Caen, à Couches, près d’Autun, à Lyon, il y eut aussi un certain nombre d’exécutions sommaires. Enfin, à Versailles, des bandes de massacreurs se jetèrent sur les prisonniers ramenés d’Orléans et les tuèrent sans pitié.

Nous terminerons ce funèbre récit par le calcul approximatif du nombre des victimes dans les prisons de Paris. Comme il arrive toujours en pareil cas, ce chiffre a été monstrueusement exagéré. Des écrivains royalistes n’ont pas craint de le porter à 12,000. Heureusement, il existe des états nominatifs, des écrous, des comptes authentiques qui, s’ils ne nous donnent pas le chiffre absolument exact, réduisent du moins les exagérations à leur juste valeur.

M. Buchez, dans l’Histoire parlementaire, M. Barth. Maurice, dans son Histoire des prisons de la Seine, M. Firmin Didot, dans sa nouvelle édition des Mémoires sur les journées de septembre, M. Granier de Cassagnac, dans l’Histoire des girondins et des massacres de septembre, M. Mortimer-Ternaux, dans l’Histoire de la Terreur, et d’autres écrivains dont la plupart sont fort hostiles à la Révolution, se sont efforcés de calculer aussi exactement que possible le nombre des victimes. Ils sont arrivés à des appréciations qui diffèrent sensiblement, mais qui sont bien au-dessous des chiffres légendaires de la tradition royaliste.

Les documents principaux sur lesquels on s’appuie sont : 1° les tableaux de Maton de La Varenne et de Prudhomme ; 2° les listes dressées en vertu de l’arrêté du conseil de la Commune en date du 10 septembre 1792 ; 3° l’état général dressé par les administrateurs du département de police du 10 septembre 1792 ; 4° compte rendu des administrateurs de la police, membres du comité de Surveillance de la Commune de Paris, du 10 octobre 1792 ; 5° enfin les registres d’écrou, les procès-verbaux et lettres officielles des diverses sections, ainsi que les listes rectificatives concernant certaines catégories de prisonniers omises dans les documents cités plus haut.

De l’analyse minutieuse de toutes ces pièces et de l’étude d’une foule de relations contemporaines, on arrive au résultat suivant, pour les neuf prisons de la Seine qui ont été le théâtre des massacres de septembre :

Chiffre le plus bas, d’après MM. Barth. Maurice et Michelet 966
D’après le comité de surveillance de la Commune 1,079
D’après Peltier 1,005
D’après Prudhomme 1,035
D’après M. Granier de Cassagnac 1,458
D’après M. Mortimer-Ternaux 1,368

Nous ne donnons ici que les totaux, sans nous arrêter aux controverses pour chaque prison. D’autres auteurs ont trouvé des nombres différents ; mais comme ils flottent entre ceux-ci, nous jugeons sans intérêt de les reproduire.

Ainsi le chiffre oscille donc entre 966 et 1,458. Après avoir examiné avec soin les calculs des différents auteurs, il nous paraît que celui de M. Mortimer-Ternaux, qui a contrôlé minutieusement ses devanciers et fait subir un nouvel examen aux documents, est celui qui se rapproche le plus de la vérité,

1,368, tel serait donc, à peu de chose près, le chiffre des victimes, savoir :

Abbaye 171
Force 169
Châtelet 223
Conciergerie 328
Bernardins 73
Carmes 120
Saint-Firmin 79
Bicêtre 170
Salpêtrière 35

Pour quelques autres détails, voyez plus loin SEPTEMBRISEURS.

Après le récit des faits, nos lecteurs liront avec intérêt quelques citations empruntées à des écrivains appartenant à tous les partis : ces citations leur permettront de juger comment les massacres de septembre ont été appréciés par des hommes qui devaient les envisager à des points de vue très-divers.

« … Telle est la vérité sur les journées de septembre. Il est faux que la Commune en ait tracé d’avance le plan hideux et l’ait donné à exécuter, au milieu de Paris immobile et muet, à une poignée d’assassins à gages. Ah ! s’il était fondé le système historique qui a prévalu jusqu’ici, parce qu’il fut soutenu et par les girondins en haine des montagnards, et par les royalistes en haine de la Révolution, y aurait-il assez de mépris, assez d’exécration pour tous ces royalistes, pour tous ces girondins, pour tous ces ministres, pour toute cette Assemblée, pour tout ce peuple, qui, saisis d’horreur, mais tremblants de peur, auraient laisse boire tant de sang à une cinquantaine de vampires ? Et à quelle époque de l’histoire faudrait-il donc remonter, juste ciel ! pour trouver un exemple d’universelle lâcheté comparable à celle dont la France, patrie du courage, aurait alors donné le spectacle ? Non, non, il n’en fut point ainsi. Les journées de septembre eurent le caractère d’emportement contagieux qui, au XIIIe siècle, avait marqué ces Vêpres siciliennes, où 8,000 Français furent égorgés en deux heures. Mais quoi ! ces mêmes prisons de Paris, comme le remarque très-bien un historien anglais (Carlyle), n’avaient-elles pas déjà vu leurs dalles rougies du sang des Armagnacs, massacrés en masse par les Bourguignons ? Et les Manuel d’alors n’avaient-ils pas entendu les tueurs leur dire : « Maudit soit qui aurait pitié de ces chiens d’Armagnacs ! Ils ont ravagé le royaume de France et l’ont vendu à l’Anglais. » Les journées de septembre sortirent d’un semblable excès de délire, né lui-même de l’excès du péril et de la rage. Elles furent le vertige de Paris menacé de mort ; elles furent la démence de la Révolution pantelante. Elles eurent ce qui serre le cœur, ce qui consterne, mais ce qui ne s’est que trop souvent rencontré dans les annales des peuples, un caractère d’irrésistible spontanéité, qui s’associa, chose lamentable et effroyable, au plus fougueux élan de patriotisme qui fut jamais.

« France, Révolution, Liberté, qu’il vous a coûté cher cet accouplement contre nature ! Le monde ne les a plus compris, mêlés aux gémissements venus de l’Abbaye, vos chants de fraternité et de délivrance. Entre vous et lui, un voile rouge venait d’être étendu, derrière lequel disparurent momentanément et ce que vous aviez accompli d’héroïque et ce que vous alliez accomplir encore. Vous étiez la vie, et les peuples vous cherchaient ; mais dès qu’on leur présenta le corps vivant lié à un cadavre, ils reculèrent d’effroi !

« Et puis, quelle pitié de voir la philosophie devenue fanatique pour mieux décrier le fanatisme, et l’apostolat de l’humanité pratiqué à coups de lance ! Les représailles s’éternisent de la sorte ; la peine du talion passe du code de la barbarie dans celui du progrès, qu’il déshonore, et les siècles ne font plus que se venger les uns des autres. En septembre, on disait au prêtre qu’on égorgeait : « Souviens-toi de la Saint-Barthélémy ! » (Louis Blanc.)

«… Pour glacer la pitié, il avait suffi que les massacres eussent une apparence de coup d’État. Les tueurs, tranquillement assis à la porte des greffes et jouant leur rôle de juges, les municipaux qui venaient inspecter l’ouvrage, les écharpes mêlées à la tuerie, les assassins qui travaillaient à la corvée des meurtres et gagnaient leur journée, cette assurance dans le sang, tout cela donnait l’idée d’une mesure administrative, exécutée au nom de l’autorité. Il n’en fallut pas davantage pour ôter aux meilleurs la pensée de s’opposer à un carnage officiel. Les assassins ne furent qu’une poignée, tout le reste trembla.

« Ceci tient à une cause qui reparaît souvent dans la Révolution. Quand la peur entrait dans les âmes, alors, sous la France nouvelle, reparaissait aussitôt le tempérament de l’ancienne France, sourd aux cris des victimes, passif à toutes les fureurs, pourvu qu’elles parussent ordonnées par un pouvoir que l’on savait résolu et dont on connaissait la force pour l’avoir éprouvée.

« Lorsqu’au 2 septembre, au tocsin des églises, au retentissement du canon d’alarme, la crainte envahit les cœurs, elle engendra la même insensibilité aux maux d’autrui. On n’avait plus affaire au roi, mais toujours à l’autorité ; et ici l’on sentait vaguement la présence d’un pouvoir nouveau, la Commune, qui avait montré sa force au 10 août et qui la montrait plus formidable encore dans la justice administrative du 2 septembre. À la seule pensée que l’autorité avait la haute main dans les massacres, ils changeaient de nom. Les tueurs n’étaient plus que des agents ; les plus fiers courages tombaient. L’ancien homme reparaissait avec l’ancienne crainte de l’officiel. On n’allait pas du premier coup jusqu’à l’assentiment, il est vrai ; mais les cœurs devenaient de pierre et l’on suspendait son jugement. Bourgeois, ouvriers, peuple se tenaient cois dans leurs maisons, attendant, comme leurs ancêtres, que la justice de la Commune eût passé. . . . . . . . .

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« La liberté, enfin conquise, eût pu seule apaiser et racheter les victimes de septembre. Au contraire, ces terribles plaies saignent encore : combien de temps suffira-t-il de les étaler au jour pour faire reculer l’avenir ?

« Ce qui effraye presque autant que les meurtres, c’est la complaisance qu’ils trouvèrent dans la conscience publique, tant que la force les protégea. Il se passa plusieurs mois avant que quelqu’un osât donner leur nom aux massacres ; les plus audacieux les appelaient les événements ou les expéditions de septembre. Quand on cessa de les approuver, le silence, l’oubli les couvrirent. Enfin vint la critique détournée, timide, et cela parut longtemps le comble de la vertu. La conscience humaine est plus fragile qu’on ne pense ; tant que les forfaits sont les plus forts, elle disparaît et fait la morte.

« Ces massacres mirent une rivière de sang entre les girondins et les montagnards ; les premiers en firent contre les seconds une accusation perpétuelle, d’où la réconciliation fut impossible. Une fatalité s’attacha aux uns et aux autres, soit qu’ils eussent commis le crime, soit qu’ils l’eussent laissé commettre. Ce fut la robe rouge de Nessus aux flancs du peuple-Hercule. » (Edgar Quinet.)

« C’est le 1er septembre qu’on enlève à la ville de Paris les magistrats qui l’avaient guidée dans la Révolution, et c’est le même jour qu’on apprend que Verdun est pris, que les ennemis s’avancent sur Paris. Soudain la voix de la patrie se fait entendre, les magistrats, quoique frappés d’un injuste anathème, font une proclamation. Au même instant, l’Assemblée révoque son décret de cassation, le peuple s’empresse de voler à l’ennemi ; mais il songe que les prisons regorgent de conspirateurs, il sait que si les Prussiens s’avancent, c’est pour délivrer leurs complices et leurs agents secrets ; il sait qu’il laisse des femmes, des enfants, et pour leur sûreté il immole les premiers ennemis qu’il rencontre sous sa main… Cette vengeance terrible arrêta le roi de Prusse pendant six jours. La crainte de voir la famille royale tomber sous les coups d’un peuple justement irrité arrêta la marche des Prussiens… Si vous voyez un crime dans un transport révolutionnaire, punissez les vainqueurs de Jemmapes, punissez les héros qui ont sauvé la liberté ; punissez enfin tout le peuple de Paris… » (Billaud-Varenne, Discours aux jacobins, 8 fév. 1793.)

« … Je vis deux Anglais qui tenaient des bouteilles et des verres. Ils offraient à boire aux massacreurs et les pressaient en leur portant le verre à la bouche. J’entendis un de ces massacreurs, qu’ils voulaient faire boire de force, leur dire : « Eh ! f.... ! laissez-nous tranquilles ; vous nous avez fait assez boire ; nous n’en voulons pas davantage. » Je remarquai, à la lueur de quelques flambeaux qui entouraient là victime, que ces deux Anglais étaient en redingote, etc......

« Il est donc de l’honneur du peuple français d’être lavé d’une pareille tache. Je présume que ma déclaration en découvre les moyens et indique le fil de cette trame infernale. Il y a tout lieu de croire que c’est le gouvernement anglais qui a été le moteur et l’instigateur de toutes les horreurs qui ont couvert la France de deuil.

« Rappelons-nous que, dans les commencements, le peuple anglais était enthousiaste de notre Révolution. Le cabinet de Londres avait à craindre que les Anglais ne voulussent nous imiter. Il était donc de sa politique d’être en guerre avec nous et de nous y mettre avec l’univers entier. Le plus difficile était d’avoir le consentement du peuple anglais, afin d’en obtenir des subsides. Rappelons-nous aussi que c’est au moment où l’on apprit à Londres la journée du 2 septembre que le peuple anglais demanda la guerre contre nous. Il y a donc tout lieu de soupçonner que le cabinet de Londres avait suscité cette journée. Ce soupçon se tourne en une espèce de certitude, si l’on fait attention à ces deux Anglais dont j’ai parlé. . . . . . . . . . .

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« Peut-être dira-t-on que le crime de deux particuliers isolés ne prouve pas que le gouvernement anglais soit leur complice. Ce serait très-mal connaître le cabinet de Londres et son exécrable politique. Ne perdons pas de vue que c’est précisément à cette époque qu’il parvint à soulever le peuple en lui inspirant de l’horreur contre nous. D’ailleurs, de tout temps, tous les moyens lui ont été bons. Mais il est encore un autre fait dont tout Paris a eu connaissance et qui coïncide parfaitement avec celui dont j’ai parlé. Après l’exécution de Louis XVI, un Anglais remit un mouchoir blanc au bourreau pour le tremper dans le sang du roi. Peu de jours après, ce mouchoir fut arboré au haut de la Tour de Londres. Aussitôt le peuple anglais devint semblable aux éléphants que l’on rend furieux en leur montrant une couleur rouge. Il demande à grands cris l’anéantissement de la France. Si l’on rapproche ces deux faits, ils formeront une espèce d’identité qui peut amener à découvrir la vérité. Il sera facile de découvrir quel est cet Anglais qui a donné son mouchoir au bourreau ; peut-être est-il un de ceux qui excitaient les massacres dans la nuit du 2 septembre. Pourquoi le bourreau accepta-t-il ce mouchoir ? Pourquoi le trempa-t-il et pourquoi le rendit-il ? C’est aux autorités constituées à suivre et à découvrir cette trame. Je suis convaincu qu’elles sont aussi jalouses que moi de l’honneur de la patrie et qu’elles découvriront, aux yeux de l’univers et de la postérité, la source d’où sont découlés tous ces crimes affreux ; elles purifieront le peuple français d’une tache qui sans cela serait indélébile. » (Déclaration du citoyen Jourdan.) V. la mention de cette pièce à la partie bibliographique,

« Pétion était maire, Manuel était procureur de la Commune. Tous les deux, je les ai connus : Manuel était loin d’être un barbare ; Pétion portait un cœur humain. À côté d’eux siégeaient à la Commune beaucoup d’hommes qui, comme eux, avaient horreur du sang, qui, comme eux, pensaient qu’il fallait vaincre le despotisme et l’aristocratie, mais qu’il était horrible d’égorger les despotes mêmes et les aristocrates dans les prisons. Dans ces jours, dont la liberté doit porter éternellement le deuil, il existait un conseil exécutif, qui s’assemblait ou qui devait s’assembler. L’insurrection, qui avait foudroyé le trône, n’avait pas foudroyé l’Assemblée législative ; elle tenait ses séances. On venait lui dire : « On a égorgé dans les prisons, on égorge dans les prisons, on va égorger encore dans les prisons. » Comment donc l’Assemblée législative, le conseil exécutif, le maire et le procureur de la Commune ; comment tout ce qui avait une autorité et un sentiment d’humanité n’a-t-il pas arrêté ce sang qui a coulé pendant plusieurs jours et presque sous les yeux de tout le monde ? Ils l’ont voulu tous, ils l’ont tenté. Ils ne l’ont donc pas pu ? Mais comment, par quoi, par qui étaient réduits à cette désastreuse impuissance tant de représentants de la puissance nationale, tant d’organes des lois, tant de dépositaires de la força publique, tout ce qu’il y avait d’autorités constituées ? Eh ! comment l’expliquer autrement que par l’insurrection qui, en frappant une autorité perfide et coupable, s’était mise au-dessus des autorités les plus pures et les plus fidèles et prolongeait des pouvoirs qu’elle n’aurait dû exercer que dans un seul instant et dans un seul acte ? Comment l’expliquer autrement qu’en se rappelant que, parmi les ordonnateurs et les chefs de l’insurrection, étaient de ces hommes qui peuvent tout parce qu’ils osent tout, et qui, en affranchissant la nation, croyaient avoir acquis le droit d’affranchir leurs passions les plus féroces ? Comment expliquer le massacre de Versailles, exécuté quelques jours après ceux de Paris avec les mêmes caractères et la même duplicité, autrement qu’en avouant que les législateurs, les ministres et les magistrats de la nation n’avaient pu reprendre encore les rênes des destinées de la France, et que l’insurrection seule commandait encore aux événements ? Comment expliquer enfin ce silence universel gardé si longtemps sur ces journées au milieu d’une horreur universelle ; ces blâmes timides et ménagés dans la bouche des hommes les plus purs et les plus humains, et ces approbations éclatantes données par des hommes qui n’étaient pas des scélérats, mais qui étaient dans le délire et qui avaient créé des mots nouveaux pour célébrer des forfaits inouïs ?

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« Si ces affreux événements n’ont pas été le produit de l’insurrection, comment donc n’ont-ils pas été prévenus ? comment n’ont-ils pas été arrêtés ? comment ne sont-ils pas déjà punis ? comment tant de sang a-t-il coulé sous d’autres glaives que ceux de la justice, sans que les législateurs, sans que les magistrats du peuple, sans que tout le peuple lui-même ait porté toutes les forces publiques aux lieux de ces sanglantes scènes ?

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« En rejetant sur l’insurrection les massacres de septembre, j’ai été loin de vouloir atténuer de si grands forfaits ; mais ce qui est bon et ce qui est horrible peuvent arriver dans le même temps, par les mêmes causes ; et les massacres ont été exécutés parce que les mouvements de l’insurrection duraient encore. Eh ! que faudrait-il penser d’une nation au milieu de laquelle de telles choses se seraient passées durant le règne des lois ? Qu’on y réfléchisse bien, et qu’on réponde à cette question. » (Garat.)

«… La France était désorganisée et presque dissoute, trahie, livrée et vendue.

« Et c’est justement à ce point où elle sentit sur elle la main de la mort que, par une violente et terrible contraction, elle suscita d’elle-même une puissance inattendue, fit sortir de soi une flamme que le monde n’avait vue jamais, devint comme un volcan de vie. Toute la terre de France devint lumineuse et ce fut sur chaque point comme un jet brûlant d’héroïsme, qui perça et jaillit au ciel.

« Spectacle vraiment prodigieux, dont la diversité immense défie toute description. De telles scènes échappent à l’art par leur excessive grandeur, par une multiplicité infinie d’incidents sublimes.

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« Qui croirait que, devant cette scène admirable, splendidement lumineuse, l’Europe ait fermé les yeux, qu’elle n’ait rien voulu voir de tant de choses qui honorent à jamais la nature humaine, et qu’elle ait réservé toute son attention pour un seul point, une tache noire de boue et de sang, le massacre des prisonniers de septembre ?

« Dieu nous garde de diminuer l’horreur que ce crime a laissée dans la mémoire ! Personne, à coup sûr, ne l’a sentie plus que nous ! Personne n’a pleuré peut-être plus sincèrement ces mille hommes qui périrent, qui presque tous avaient fait par leur vie beaucoup de mal à la France, mais qui lui firent par leur mort un mal éternel. Ah ! plût au ciel qu’ils vécussent ces nobles qui appelaient l’étranger, ces prêtres conspirateurs qui, par le roi, par la Vendée, mettaient sous les pieds de la Révolution l’obstacle secret, perfide, où elle devait heurter, avec l’immense effusion de sang qui n’est pas finie encore !… Les trois ou quatre cents ivrognes qui les massacrèrent ont fait, pour l’ancien régime et contre la liberté, plus que toutes les armées des rois, plus que l’Angleterre elle-même avec tous les milliards qui ont soldé ces armées. Ils ont élevé, ces idiots, la montagne de sang qui a isolé la France et qui, dans son isolement, l’a forcée de chercher son salut dans les moyens de la terreur. Ce sang d’un millier de coupables, ce crime de quelques centaines d’hommes, a caché aux yeux de l’Europe l’immensité de la scène héroïque qui nous méritait alors l’admiration du monde.

« Revienne donc enfin la justice, après tant d’années ! et que l’on avoue que chez toute nation, au fond de toute capitale, il y a toujours cette lie, toujours cette boue sanguinaire, l’élément lâche et stupide qui, dans les paniques surtout, comme fut le moment de septembre, devient très-cruel. Même chose aurait eu lieu et en Angleterre, et en Allemagne, chez tous les peuples de l’Europe ; leur histoire n’est pas stérile en massacres. Mais ce que l’histoire d’aucun peuple ne présente à ce degré, c’est l’étonnante éruption d’héroïsme, l’immense élan de dévouement et de sacrifices que présenta alors la France. » (Michelet.)

« … Après dîner, quelqu’un ayant mentionné la date du jour (3 septembre 1816), l’empereur a dit à ce sujet des paroles bien remarquables. En voici quelques-unes :

« C’est l’anniversaire d’exécutions bien épouvantables, bien hideuses, une réaction en petit de la Saint-Barthélemy, une tache pour nous, moindre sans doute parce qu’elle a fait moins de victimes et qu’elle n’a pas porté la sanction du gouvernement, qui essaya même de punir le crime. Il a été commis par la Commune de Paris, puissance spontanée, rivale de la Législative, supérieure même.

« Au surplus, disait l’empereur, ce fut bien plutôt l’acte du fanatisme que celui de la pure scélératesse. On a vu les massacreurs de septembre massacrer un des leurs pour avoir volé durant les exécutions.

« Ce terrible événement, continuait l’empereur, était dans la force des choses et dans l’esprit des hommes. Point de bouleversement politique sans fureur populaire, point de danger pour le peuple déchaîné sans désordre et sans victimes. Les Prussiens entraient ; avant de courir à eux, on a voulu faire main basse sur tous leurs auxiliaires dans Paris ; peut-être cet événement influa-t-il dans le temps sur le salut de la France. Qui doute que, dans les derniers temps, lorsque les étrangers approchaient, si on eût renouvelé de telles horreurs sur leurs amis, ils eussent jamais dominé la France ! Mais nous ne le pouvions, nous étions devenus légitimes ; la durée de l’autorité, nos victoires, nos traités, le rétablissement de nos mœurs avaient fait de nous un gouvernement régulier ; nous ne pouvions nous charger des mêmes fureurs ni du même odieux que la multitude. Pour moi, je ne pouvais ni ne voulais être un roi de la jacquerie. » Opinion et appréciation de Napoléon Ier sur les massacres de septembre. (Mémorial de Sainte-Hélène.)

— Bibliogr. En l’an V, une première collection des pièces relatives aux journées de septembre fut formée par Nogaret, sous le titre d’Histoire des prisons de Paris. Elle était loin d’être complète et, en outre, trop mélangée d’anecdotes suspectes, où l’imagination avait la part principale. En 1823, MM. Berville et Barrière, éditeurs d’une collection de mémoires sur la Révolution, publièrent à leur tour un volume de mémoires sur les journées de septembre, composé de brochures contemporaines et de quelques extraits, avec des préfaces et des notes écrites dans un esprit d’exagération contre-révolutionnaire. M. Firmin Didot a donné une nouvelle édition de ces mémoires, plus complète et accompagnée de notes et de commentaires.

Parmi les pièces officielles, nous en avons signalé plus haut de fort importantes et qui sont conservées soit aux archives de la préfecture de police, soit à l’Hôtel de ville, soit aux Archives nationales, soit à la bibliothèque de la rue Richelieu. Beaucoup ont été publiées par extraits ou en totalité, les unes dans les collections que nous venons de citer, d’autres dans les ouvrages récents que nous mentionnons ci-dessous. Les principales sont :

1o Les listes dressées en vertu de l’arrêté du conseil général de la Commune, en date du 10 septembre 1792, qui ordonne aux greffiers, concierges, geôliers, gardiens des prisons de se transporter aux comités des sections et d’y déposer les registres et les renseignements qu’ils peuvent avoir, tant sur les prisonniers morts que sur ceux qui se sont évadés des prisons. M. Granier de Cassagnac en a donné une copie dans son Histoire des girondins et des massacres de Septembre.

2o L’état général dressé par les administrateurs du département de police, daté du 10 septembre 1792.

3o Les registres d’écrou, les procès-verbaux et lettres officielles émanés des diverses sections, ainsi que les listes rectificatives concernant certaines catégories de prisonniers.

4o Les registres des délibérations des sections de Paris.

5o Les procès-verbaux de la Commune.

6o La procédure dirigée en l’an IV contre les septembriseurs, et dont le volumineux dossier est conservé aux archives de la cour d’appel de Paris. Les débats oraux, qui durèrent plusieurs jours, n’ont pas été conservés ; mais on peut y suppléer par le résumé du président du tribunal criminel, Gohier, qui devint plus tard ministre de la justice, puis membre du Directoire. Au reste, cette immense instruction écrite ne doit être consultée qu’avec réserve, car elle contient une foule de dénonciations dont la véracité n’a pas été reconnue, puisque, à cette époque de réaction, la presque totalité des individus mis en cause ont été acquittés. V. septembriseurs.

Signalons aussi, en passant, les journaux du temps, dont les uns, comme les Révolutions de Paris, font l’apologie des massacres, et dont les autres, comme le Courrier des départements du girondin Gorsas, en tentent l’atténuation. On trouvera une analyse et des extraits de ces feuilles dans la très-partiale Histoire de la Terreur de M. Mortimer-Ternaux (t. IV).

Enfin, parmi les mémoires originaux, mentionnons : Relation adressée par l’abbé Sicard, instituteur des sourds-muets, à un de ses amis sur les dangers qu’il a courus les 2 et 3 septembre 1792. Ce récit fut publié pour la première fois dans un recueil périodique qui paraissait sous le titre d’Annales religieuses (1796). Il fut peu après mis en brochure. Elle a été reproduite dans le tome XVIII de l’Histoire parlementaire de Buchez et Roux. Le respectable abbé, qui, comme on le sait, échappa au massacre et dont le nom suffit pour imposer la vénération aux meurtriers, raconte les événements de l’Abbaye, du moins en partie, et spécialement les scènes dont il a été témoin. Il a commis quelques erreurs, mais dans les choses qui ne lui sont pas personnelles. Peut-être même pourrait-on signaler quelques inexactitudes dans le récit de ce qu’il a vu de ses yeux ; mais du moins on ne saurait mettre en doute sa sincérité. Il était au nombre des ecclésiastiques amenés de la mairie (aujourd’hui la préfecture de police) à la prison de l’Abbaye et qui furent les premières victimes.

Mon agonie de trente-huit heures ou Récit de ce qui m’est arrivé, de ce que j’ai vu et entendu pendant ma détention dans la prison de l’Abbaye Saint-Germain depuis le 22 août jusqu’au 4 septembre 1792, par M. de Journiac Saint-Mèard, ci-devant capitaine commandant des chasseurs du régiment d’infanterie du roi. Cette brochure intéressante eut plus de soixante éditions en moins d’un an, du 15 septembre 1792 au 31 mai 1793. Elle a été réimprimée dans la Collection des mémoires sur la Révolution et dans l’Histoire parlementaire (t. XVIII). En outre, on en a donné depuis plusieurs éditions. C’est un tableau tracé sans prétention, mais palpitant de réalité. L’auteur, acquitté par le tribunal de Maillard, quoiqu’il s’avouât franchement royaliste, a raconté ses angoisses sans trop de passion ni d’esprit de parti.

Ma résurrection, par Maton de La Varenne, ouvrage publié en 1795. Il était devenu fort rare quand les auteurs de l’Histoire parlementaire en réimprimèrent la partie la plus importante dans le tome XVIII de leur utile, quoique très-partiale compilation. Maton était avocat. Arrêté par le comité de sa section le 24 août, sur des dénonciations d’ennemis personnels, il fut enfermé à la Force, jugé le 3 septembre par le tribunal qui s’était improvisé dans cette prison, à l’instar de celui de l’Abbaye, et renvoyé absous, quoiqu’il fût, en tant qu’opinion du moins, un contre-révolutionnaire avéré. Sa relation offre des particularités fort intéressantes sur les massacres de la Force.

La Vérité tout entière sur les vrais acteurs de la journée du 2 septembre 1792, par Felhemesi ; c’est l’anagramme de Mehée fils, secrétaire greffier de la Commune au 10 août. Ce Mehée de La Touche, un des plus tristes personnages sortis des bas-fonds de la Révolution, et qui devint espion de toutes les polices, ne mérite pas grande créance. Il écrivait après le 9 thermidor et, pour flagorner les dominateurs, il s’acharna à flétrir la mémoire des vaincus. Son récit demande donc à être lu avec beaucoup de précaution. Il est reproduit en grande partie dans le tome XVIII de l’Histoire parlementaire.

Histoire des hommes de proie ou les Crimes du comité de surveillance, par Roch Marcandier. L’auteur de cette brochure avait été d’abord secrétaire de Camille Desmoulins. Il devint un réacteur prononcé, publia des libelles très-violents et fut condamné à mort le 24 messidor an II. Sa relation est empreinte de l’exagération la plus outrée, c’est à cette source plus que suspecte que les écrivains royalistes ont puisé une foule de détails dont la plupart sont apocryphes. Déclaration du citoyen Antoine-Gabriel-Aimé Jourdan, ancien président du district des Petits-Augustins et de la section des Quatre-Nations (1er floréal an III). Cette pièce curieuse était restée inédite ; elle faisait partie d’un recueil de documents sur les journées de septembre appartenant au marquis Garnier, pair de France. MM. Berville et Barrière l’ont imprimée en 1818 dans leur collection de mémoires sur la Révolution. Elle porte tous les caractères de l’authenticité.’ Jourdan présidait le comité civil de la section des Quatre-Nations, qui siégeait dans le Cloître, non loin de la prison de l’Abbaye, comme il a été dit plus haut, dans l’article consacré aux massacres. Il a donc été témoin d’un certain nombre d’égorgements. Sa relation est courte, car il ne raconte que ce qu’il a vu. C’est là qu’on trouve le fameux épisode des deux Anglais qui, pendant les massacres, versaient à boire aux assassins. Jourdan, par patriotisme, mais peut-être un peu légèrement, conclut de ce fait que le cabinet de Londres était le provocateur ou tout au moins le complice des égorgements, et il suppose que ce cabinet voulait par là inspirer au peuple anglais l’horreur de notre Révolution. Nous avons reproduit, aux extraits et citations, le passage relatif à cette assertion.

Quelques-uns des fruits amers de la Révolution, par Mme de Fausse-Lendry. On y lit quelques détails intéressants sur les massacres de l’Abbaye, où cette dame s’était enfermée pour donner ses soins à son oncle, l’abbé de Rastignac. Cette pièce a été reproduite dans les mémoires sur les journées de septembre.

Mémoires de Weber, frère de lait de Marie-Antoinette, qui lui-même a échappé aux massacres de la Force.

Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française (1797), par Prudhomme (t. IV). C’est une des sources où les écrivains hostiles à la Révolution ont souvent puisé. Ce Prudhomme était la même éditeur qui avait publié les Révolutions de Paris, où se trouve un long et pompeux éloge des massacres. La réaction venue, il retourna tranquillement sa cocarde, brûla ce qu’il avait adoré et fit brocher par des écrivains du parti triomphant des factums empreints de la haine la plus violente contre tous les hommes et tous les événements de la Révolution. C’est assez dire que sa prétendue Histoire, malgré quelques détails curieux, ne mérite aucune confiance.

Anecdotes peu connues sur le 10 août et les journées de Septembre, par Sylvain Maréchal (1793, in-16). Opuscule intéressant, mais devenu fort rare.

Précis historique de la Révolution, au 10 août et au 2 septembre 1792. par Peltier. Peltier, ancien collaborateur des Actes des apôtres, était un pamphlétaire royaliste plein de verve, mais très-léger de scrupule et le plus effronté menteur qui ait jamais tenu une plume.

Le passage suivant de M. Michelet donne une idée fort exacte du degré de confiance qu’on doit lui accorder :

« … J’apprécierai les documents divers et les principaux narrateurs, surtout celui que « tous ont copié, » le libelliste Peltier, qui, dans l’année même (1792), débarquant à Londres, encore tout ému de peur et de rage, comptant bien la France morte, assassinée par l’Europe, a cru qu’on ne risquait guère à marcher sur un cadavre et cracher dessus. Les Anglais, pour qui l’auteur écrivait, ont couvert ce livre d’or, l’ont appris par cœur ; toutes les presses de l’Europe ont été employées à répandre l’infâme légende. Circulant de bouche en bouche, elle a créé à son tour une fausse tradition orale. Plus d’un historien s’en va recueillant de la bouche des passants, comme choses de tradition, d’autorité populaire, ce qui primitivement n’a d’autre origine que ce bréviaire de mensonge. »

Parmi les ouvrages modernes, nous indiquerons, naturellement, les Histoires de la Révolution de Toulongeon, de Tissot, de Villiaume, de Thiers, de Beaulieu ; les Esquisses historiques sur les principaux événements de la Révolution française de Dulaure ; les Montagnards d’Esquiros ; les Girondins de Lamartine, ouvrage fort romanesque ; Buchez, Histoire parlementaire de la Révolution (t. XVII et XVIII) ; Louis Blanc (t. VII, chap. 11, intitulé Souviens-toi de la Saint-Barthélemy) ; Michelet (t. IV) ; Cuvillier-Fleury, les Massacres de Septembre, dans les Dernières études (t. Ier) ; Alex. Sorel, le Couvent des Carmes et le séminaire Saint-Sulpice pendant la Terreur ; Mortiiner-Ternaux, Histoire de la Terreur (t. III et IV) ; Dupont de Bussac, Fastes de la Révolution, excellent travail sur Septembre ; de Lescure, Mme de Lamballe ; Granier de Cassagnae, Histoire des girondins et des massacres de Septembre (t. II), etc.

MM.Ternaux, Cassagnae, Cuvillier, Sorel, Lescure, il est à peine nécessaire de le noter, sont d’une partialité contre laquelle on n’a pas à prémunir le public.