Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes/La Viole d’amour
CHAPITRE 4me
LA VIOLE D’AMOUR.
Cet instrument est un peu plus grand que L’alto. Il est presque partout tombé en désuétude et sans Mr Urhan le seul artiste qui en joue à Paris, il ne nous serait connu que de nom.
Il a sept cordes en boyau dont les trois plus graves sont, comme l’ut et le sol de l’alto, recouvertes d’un fil d’ardent. Au dessous du manche et passant sous le chevalet se trouvent sept autres cordes de métal accordées à l’unisson des premières pour vibrer avec elles Sympathiquement, et donner en conséquence à l’instrument une seconde résonnance pleine de douceur et de mystère. On l’accordait autrefois de plusieurs manières fort bizarres, Mr Urhan a adopté l’accord suivant en tierces et quartes, comme le plus simple et le plus rationnel.
L’étendue de la viole d’amour est de trois octaves et demie, au moins. On l’écrit, comme l’alto, sur deux clefs.
On voit que, par la disposition de ses cordes, la viole d’amour est essentiellement propre aux accords de trois ou quatre notes et plus, arpégés ou frappés ou soutenus et surtout aux mélodies en double corde. Seulement il est évident que, dans la disposition des harmonies qu’on écrit pour elle, il faut suivre un système différent de celui employé pour les violons, altos et violoncelles, accordés par quintes, et qu’on doit se garder d’écarter les notes des accords au-delà d’une tierce et d’une quarte en général, à moins qu’on ait pour corde inférieure une corde à vide.
Ainsi le LA de la seconde octave donne toute latitude au Ré aigu d’étendre sa gamme au-dessus de lui :
au grave, puisque les sons qui les composent se trouvent tous les deux forcément sur la corde Ré. En y réfléchissant un instant on trouvera des impossibilités analogues sur la corde grave de tous les instruments à archet.
Les sons harmoniques sont d’un admirable effet sur la viole d’amour ; ils s’obtiennent absolument par le même procédé que ceux du Violon et de l’alto ; seulement la disposition en accord parfait de ses sept cordes à vide donne toutes facilités à la Viole d’Amour pour produire assez rapidement les arpèges de son accord de Ré majeur à l’octave et à la double octave supérieures, ceux de l’accord de La majeur à la douzième supérieure, et ceux de l’accord de Fa dièze majeur à la dix-septième supérieure.
On voit par ces exemples que, si l’on se proposait d’utiliser ces charmants arpèges des Violes d’amour, les tons de Ré, de Sol, de La, de Fa dièze ou de Si naturel, sont ceux qui permettraient de les placer le plus souvent. Comme ces trois accords ne suffiraient pas sans doute pour accompagner sans interruption un chant un peu modulé il n’y aurait aucune raison pour ne pas avoir une partie des Violes d’amour accordées d’une autre manière ; en Ut par exemple, ou en Ré bémol, selon les accords dont le compositeur aurait besoin pour son morceau. Le charme extrême de ces harmoniques en arpèges sur les cordes à vide mérite bien qu’on prenne tous les moyens possibles pour en tirer parti.
La viole d’amour a un timbre faible et doux ; elle a quelque chose de Séraphique qui tient à la fois de l’alto et des sons harmoniques du violon. Elle convient surtout au style lié, aux mélodies rêveuses, à l’expression des sentiments extatiques et religieux. Mr Meyerbeer l’a placée avec bonheur dans la romance de Raoul au 1er acte des Huguenots.
Mais c’est là un effet de solo ; quel ne serait pas dans un andante celui d’une masse de Violes d’amour chantant une belle prière à plusieurs parties, ou accompagnant de leurs harmonies soutenues un chant d’altos, ou de violoncelles, ou de cor anglais, ou de cor, ou de flûte dans le médium, mêlé à des arpèges de harpes !!! Il serait vraiment bien dommage de laisser se perdre ce précieux instrument, dont tous les violonistes pourraient jouer après quelques semaines d’études.