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Cabauchanz fut cheuauſ ferrāz e bais
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573. Cabauchan était un cheval gris de fer et bai, moitié arabe et moitié mauresque (?). Il n’y a si bon cheval de Rome à Aix, et le cavalier est si bon, qu’il ne lui manque aucune qualité. Le matin était clair et beau, c’était en mai ; les oiseaux chantaient, Fouque vit Aupais, il n’avait plus de soucis ; d’allégresse et de joie, il prit un temps de galop. « Je vois trois gonfanons, » dit Bertelais. « Vite, francs chevaliers, en avant ! » Fouque dit à Bertran : « Qu’en dis-tu ? — Nous avons » [répond Bertran] « [cent[1]] chevaliers pour soutenir la lutte ; vous ne vîtes meilleurs pour l’attaque, et il y en a autant d’embusqués dans le bois de Clais, et dix mille piétons[2] et plus, je crois ; le passage est dur et le bois est grand ; s’ils y passent après nous, c’est pour nous une bonne affaire, et, pour eux, s’il plaît à Dieu, dépit et affliction. » |
Set cheualers trameſtreſ contre treis
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574. Contre les trois chevaliers ils en envoyèrent sept, qui, ayant l’avantage du nombre, leur enlevèrent leur position. De là ils virent le reste de la troupe [ennemie] s’armer dans le bois épais. Ils galopèrent vers Fouque et lui dirent : « Ils sont deux fois plus nombreux que nous, à ce qu’il semble. » Bertran dit à Fouque : « Partez tout d’abord, et menez la damoiselle jusqu’au bois[3] ; parlez à ceux de Dijon, remerciez ceux de Roussillon, qui sont tous chevaliers ou bourgeois. Votre vue les remplira de joie, et ils s’en comporteront mieux s’il y a bataille. Je sais d’avance que ces Français nous mépriseront et que leurs riches chevaliers de cour[4] nous donneront la chasse, et pourtant leurs chevaux ne sont guère frais, car ils ont fourni une longue course, depuis Orléans. Faites attention que l’aguet ne sorte pas du bois épais jusqu’à ce que mon cor se soit fait deux fois entendre. Dites-leur de ne pas tuer tous les prisonniers, car de riches prisonniers font avoir de meilleures conditions de paix. » Fouque passe le bois et le marais, et traverse la plaine jusqu’au bois où était l’aguet. Là il remet Aupais en garde à Droon et à Joffroi. |
La fores fu de faus nouels foilluz Anc a tau ioi ni fut maiſ om ueuz
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575. C’est dans une forêt de hêtres couverts de feuilles nouvelles que l’aguet des damoiseaux avait été placé. Jamais homme ne fut reçu avec autant de joie que Fouque, quand il arriva parmi eux : « Ah ! sire comte, comment as-tu vécu dans le long emprisonnement dont te voilà sorti ? — Grâce à Dieu et à Aupais, à qui je suis engagé, je n’y ai rien perdu de mes forces ; mais prenez tous vos armes et vos écus et que chacun se montre vassal d’élite. Il nous arrive une occasion de butin qui fera riches les plus pauvres. Oudin et les siens nous ont tant poursuivis qu’ils passent les gués et les marais de l’Argenson. — Sire, est-ce possible ? — Je les ai vus. Gardez qu’il n’y ait cri ni tumulte avant d’avoir entendu deux appels de cor. Sortez alors et frappez des fers aigus, et gardez-vous de tuer les prisonniers ; car les prisonniers sont précieux pour sortir heureusement d’une guerre. » |
Eſt uenguz aus ioudinſ gent leſ chaſtie
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576. Fouque vint aux gens de pied[5] : il leur donne de sages avis, leur adresse des remercîments, des saluts, des paroles gracieuses : « Francs hommes bien nés, bons et vaillants, puisqu’une telle compagnie est venue ici pour moi, puisse Dieu me donner d’agir pour votre avantage ! » Et tous sont dans l’allégresse à cause de lui : « Sire comte, qui t’amène ? — Aupais, ma mie, qui m’a tiré de prison, qui a protégé mes jours. — Et où est-elle ? — En ce bois, sous la chênaie. On me fait grand honneur en la complimentant. Mais Oudin nous poursuit, avec la troupe qu’il a rassemblée, et gardez-vous de faire du bruit ni de vous montrer, jusqu’à ce que vous ayez entendu le son d’un cor. Alors sortez et emparez-vous du grand butin qu’Oudin — qu’il en soit remercié ! — nous apporte ici. » |
Come parlat ob es e li uaſſal
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577. Après leur avoir ainsi parlé, après qu’ils l’eurent tous ensemble assuré qu’il peut compter sur eux dans la bataille, Fouque est sorti du bois avec les quatre fils de Droon, preux et loyaux chevaliers, et ils se dirigent vers la rivière par un vallon. Sur l’autre rive, ils virent les troupes royales. Il y avait là, sur un coteau, mille chevaliers, Bertran vint au devant d’eux, sur la route ; et Fouque lui mande par le sénéchal qu’il fait grand tort en les empêchant de passer : c’est lui enlever tout le profit de cette journée[6]. « Je n’attendais que votre arrivée, » répond Bertran. |
Bertranz tient lo paſſage a ſeſ nebouz Anz uos deſconfirai e prendrai touz
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578. Bertran occupe le passage avec ses neveux. Il cria à Oudin. « Retourne-t-en, comte Oudin, tu feras sagement ; et, si tu passes le gué, ce sera pour ton malheur, car nous avons un aguet sous bois. — Je fais de vous autant de cas que d’une noix, » répond Oudin, « je vous déconfirai et vous ferai tous prisonniers. » |
Oudin ce diſt bertranz fai noſ conſence
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579. — Oudin, » reprend Bertran, « montre-toi conciliant. Si Fouque prend Aupais, il s’engage envers vous à lui donner en oscle quinze cités, et en outre la Provence, Arles, Vienne et Valence. — Je ne consens, » reprit Oudin, « à aucune convention, que d’abord je ne vous aie pris et complètement défaits. Maudit soit le chevalier qui passe son temps en disputes ! » Là-dessus il pique des deux et saute dans l’Argenson. Bertran s’éloigne et la poursuite commence. |
Oudinſ paſſet premerſ e ſui certan
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580. Oudin passa le premier avec ses fidèles, et tous les autres après, jusqu’au dernier, Bertran leur abandonnant le gué sans combat. Oudin a abattu un châtelain ; à leur première attaque, ils ont jeté à terre trente hommes. Oudin cria à Bertran : « Vous êtes sans force. En ce jour, vous serez lièvres et nous serons les chiens. On vous fera la chasse aujourd’hui et demain, si vous ne rendez Fouque et la coquine[7]. Où sont vos intrépides guerriers ? » À ce moment, Fouque parut, monté sur Cabauchan : « Vous allez les voir, » dit-il, « et tout de suite. |
Bertran qui eſ acel ſegnor odins
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581. — Bertran, qui est celui-là ? (dit Fouque.) — Sire, c’est Oudin, le plus vaillant et le plus puissant de nos cousins. — Puisqu’il me tient de si près, » dit Fouque, « il ne faut plus qu’il se sépare de moi, ou je ne suis pas celui qu’Aupais nomme son ami. Maintenant, cousin Bertran, sonnez du cor ! » Et Bertran sonna avec une telle force, que le bruit fit retentir la montagne et le bois feuillu où étaient embusqués cinq cents jeunes gens. Ceux-ci se précipitent à l’envi, et grand fut le bruit des écus et des lances à la hampe de frêne, aux gonfanons rouges, blancs ou pourpres. Ils occupent la plaine et les chemins. Maintenant le chien deviendra lièvre, et le lièvre chien. De leur côté les gens de pied sortent du bois de saules[8], conduits par le comte Odon et par Baudouin[9]. Ils sauront faire éprouver des pertes à leurs ennemis. |
Folche fu duiz de gerre e eſſaiaz
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582. Fouque était habile et exercé à la guerre, et réputé pour savoir conduire une charge. Il montait un cheval grand, fort et fougueux, et il avait un cœur intrépide et ardent. Il frappe Oudin à qui il en voulait. Il lui porta un tel coup sur l’écu, sous le bras, qu’il lui brisa le bras droit[10]. Puis il en porte à terre trois autres, et, revenant vivement vers Oudin, il le fait relever de l’endroit où il gisait. La charge continue sur les autres. Bertelais prit Aimon, Bertran prit Daumas, celui à qui étaient Noyon et Montclaré. On ne se forma point en bataille et la poursuite ne cessa pas. Ceux qui échappèrent trouvèrent leur salut dans la fuite. Ils ont pris quatre comtes, non pas des comtes palatins[11], et cinq cents chevaliers des plus prisés. Les autres échappèrent grâce aux bois et aux haies, abandonnant leurs armes et leurs chevaux, qu’on n’eut que la peine de prendre tout sellés. Maintenant les vainqueurs peuvent aller sûrement, sans craindre les menaces. |
Bertelais diſt folcon un don uos quer
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583. Bertelais dit à Fouque : « Je vous demande une faveur, dont tout votre monde a grand besoin : vous prendrez vos logements chez moi, vous et vos hommes, sergents, bourgeois, chevaliers. — Est-ce que vous avez prévenu ? » (dit Fouque.) — « Oui, depuis hier. Cette nuit, le fils de Fouchier[12] les hébergea et leur donna hospitalité pleine et entière. Les prisonniers furent placés sous sa garde, et sa femme s’occupa d’Aupais. Le lendemain, il leur fait de nouveau servir à dîner, et, protégés par une arrière-garde, ils allèrent sans encombre à Roussillon. |
Abanz que folches entraſt en roſſillon
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584. Avant que Fouque entrât dans Roussillon, Girart vint à sa rencontre par un champ. Il baisa en premier lieu Aupais, puis Fouque. « Sire » (dit-elle), « je le[13] vous rends en don, pour que vous me le donniez à pair et à compagnon. — Par mon chef ! » dit Girart, « cela me plaît ainsi. Et vous[14], qu’en pensez-vous ? » Et Fouque s’empressa de répondre : « Je me donne et me livre tout entier à elle. » On fit demander à la reine par Droon où il lui plairait que fussent conduits les prisonniers, en tour, en château ou en donjon. La reine répondit de n’en rien faire, mais de laisser les bourgeois garder chacun son prisonnier jusqu’à tant qu’on se fût entendu sur la rançon. Entre temps, Fouque descend en dehors de Roussillon, sur le perron. |
Deſcendent au peron de ſoz un lor
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585. On descendit au perron sous un laurier. Sur le perron était placé un taureau d’airain fondu. Fouque reçut Aupais, sa bien-aimée, d’entre les arçons dorés et travaillés à jour[15]. La reine survint avec sa sœur. Toutes deux baisèrent Aupais à la blonde chevelure. Ils se rendirent en une chambre peinte d’azur et d’or et s’assirent à la fenêtre, vers le jour[16]. Là ils parlent des prisonniers et de leur valeur et d’Oudin le riche, qui possédait un grand trésor. |
Folche e girarz bertranz e bertolais Anc en girart lo duc ne fun eſmais
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586. Dans la chambre étaient réunis Fouque, Girart, Bertran, Bertelais, la reine et sa sœur Berte, et Aupais : il n’y avait personne autre. Girart dit à Fouque : « Que fais-tu des prisonniers ? » Et Fouque répondit : « Ce qu’il plaira à Madame, qui t’a sauvé la vie et à moi aussi. » Bertelais parla, tandis que Bertran se taisait[17]... « Oudin lui donnera ses dix charges d’or, et les autres[18] donneront autant ou plus ». Girart, de la joie qu’il eut, devint tout riant : « Tu es fils de Fouchier[19], neveu d’Estais[20]. Fouchier était mon cousin germain, tu tiens de lui. Et moi, que je sois tenu pour lâche, si, pour crainte de guerre, je renonce à tout cet avoir ! » Peu s’en fallut que la reine s’irritât : « Nous avons eu la guerre, mais maintenant c’est la paix qu’il nous faut, ou sinon je ne reverrai plus jamais Paris ni Aix. |
Aiqueſt conſel diſt folche nō a ualor
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587. — Votre idée ne vaut rien, » dit Fouque[21]. « Ce serait mettre Madame en une si fausse situation qu’il ne resterait ici comte ni comtor, ni chevalier de prix, ni vavasseur. » Et Girart répondit, plein de douceur : « Puissé-je perdre le sens et les forces le jour où je tiendrai contre elle château ni tour ! » Bertran dit : « Le meilleur avis[22], sauf l’approbation de Madame et la vôtre, c’est que vous ayez de bonnes et solides garanties[23]. Si les nôtres et eux peuvent arriver à un accord et faire la paix avec le roi empereur, dès lors il n’est plus besoin d’otages. Et si la paix ne peut être faite, nommez le jour où ils[24] devront retourner en prison dans cette tour. » |
La reine reſpont bien diſt bertranz
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588. La reine dit : « Bertran, vous dites bien. Et si on ne fait pas la paix, au moins conclura-t-on une longue trêve[25]. Grand amour peut croître en sept ans....[26]. Ma sœur, s’il plaît à Dieu, aura des enfants. Vous[27] saisirez la grande terre qui vous est réservée[28], vous regagnerez Bourguignons et Allemands. Fouque, de son côté, ne sera pas privé de sa terre ; mon fils sera un chevalier vaillant et estimé, et fera, s’il plaît à Dieu, ce que je désirerai. — Et nous, » reprend Fouque, « nous ferons ce qu’il commandera. Il sera empereur de Rome[29], et dès lors personne ne lui fera opposition. » Il en fut par suite comme il dit. « Seigneurs, allez manger, » vient-on dire de la part des cuisiniers et du maître échanson, |
Al deman ſunt mandat dimſ le moſter Tres que aurat folche preſ ſa muller
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589. Le lendemain, dans le moutier furent mandés les prisonniers, les chevaliers, les bourgeois. Girart fit de Bertran son porte-parole : « Le duc[30] est bien moins désireux d’argent que de l’amour de son seigneur. Il vous demande, à vous qui êtes ses fidèles et ses conseillers[31], de rétablir la paix, entre lui et l’empereur. De rançon, il ne vous réclame pas un denier. Il consent à vous rendre la liberté sous la garantie de la reine jusqu’au moment où Fouque aura pris sa femme. Le duc a bon et droit conseil, et n’a envers vous aucun mauvais sentiment. » |
La nuit fu deuiſat e lendeman
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590. Ce fut pendant la nuit que ces pourparlers eurent lieu. Le lendemain la reine prit par la main Aupais, et, s’adressant à Oudin, cousin germain de celle ci, elle lui dit : « Va ! donne ta cousine à ce jeune homme[32]. — Je ne me mêle pas de cela, » dit-il. « Je ne suis pour rien dans cette affaire depuis le commencement jusqu’à la fin. Il y a longtemps qu’elle a fait de lui son châtelain, et qu’il lui a donné des leçons ! » Fouque dit à voix basse au chapelain de lui apporter les reliques, là dehors sur la place. Et celui-ci les lui apporte sur un...[33] |
E folche quant leſ ueit ſeſ manſ eſtent
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591. Fouque étendit alors ses mains sur les reliques, en disant : « Puisse Dieu le tout-puissant, et ces saints dont les reliques sont ici visibles, et tous les autres qui servent Dieu, me venir en aide, comme il est vrai que je n’ai jamais touché Aupais au point qu’elle en puisse avoir honte, elle ni ses parents, et que je ne lui ai jamais rien fait d’inconvenant ! » La reine dit : « Tu as bien parlé. Ce sera moi qui te la donnerai. Prends-moi pour répondant. — Dame, mille remercîments ; je la prends de vos mains. » Là le comte l’épousa aux yeux de tous, par la remise de son corps[34], d’un anneau, d’or et d’argent[35]. Il lui donna en oscle[36] tout son chasement et tous les acquets qu’il ferait en son vivant. Ce jour il adouba cent chevaliers[37], donnant à chacun destrier et armes. Puis il leur fit dresser, dans les prés qui bordent l’Arsen[38], une quintaine formée d’un écu neuf et d’un haubert fort et luisant. Les jeunes damoiseaux y courent, et les autres personnes vont les regarder. |
Odinſ fu e uit ioc e diſ orguel
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592. Oudin assistait au jeu de la quintaine. Il dit une parole orgueilleuse : « Celui qui a arrangé cette affaire se prépare un grand malheur. Le roi est maître de tous les châteaux et de toutes les cités jusqu’à Mauguio[39]. » Et Girart répondit : « Est-ce que je cherche à les lui enlever ? Mais je suis prêt à faire à tous égards sa volonté. » La reine entendit ces paroles ; elle s’approcha d’eux : « Oudin, laissez cette querelle ; je le veux. Dès que je verrai mon seigneur le roi, je serai avec lui aussi bien que jamais et l’affaire prendra une autre tournure. Je vous permets de vous moquer de moi, si je ne réussis pas. » |
Girarz ot deſ contraz la comencaille Li conſ demande eſpeu e dreuſ li baille
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593. Girart vit qu’on commençait à se quereller : il en eut le cœur affligé. La foule se portait vers la quintaine. Cent jeunes gens y ont frappé ; les uns ont atteint le but, les autres l’ont manqué, mais aucun n’a seulement faussé une maille du haubert. Le comte demande un épieu : Droon le lui présente ; c’était un épieu qu’avait porté Arthur de Cornouailles qui jadis fit une bataille[40] en Bourgogne. Le comte éperonna son cheval, pour le faire sortir du rang ; il frappa sur l’écu et en enleva un tel morceau qu’une caille aurait volé au travers, puis il rompit et trancha l’écu sous la ventaille. Il n’est chevalier qui le vaille ni qui ait jamais pu soutenir la lutte contre lui. |
Tant fort i fert li cons que lune eſtache
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594. Le comte frappa si fortement que du coup il brisa l’une des attaches et arracha l’autre, tout en tenant son épée d’une main si ferme qu’il l’en retira. Et ses hommes disaient : « Quelle poigne ! Quand il fait la guerre, ce n’est pas pour prendre des brebis ou des vaches[41], mais il est acharné contre ses ennemis. Il leur a tiré du corps bien du sang. C’est un grand malheur qu’il ait été livré par le traître Richier[42]. Mais ses amis l’ont vengé de telle sorte qu’il n’a plus à redouter ni portier ni guette. » |
Lo conſ fun entres ſeus bien eſgardaz
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595. Le comte attirait tous les regards entre ses hommes. Il était bien vêtu et ajusté et chaussé. Il avait l’enfourchure large[43]. Il était, entre ses privés et les étrangers, si beau, si bien tenu, si plein d’élégance, qu’on eût dit un faucon mué entre de petits oiseaux. Voici Raimon[44] qui met pied à terre et lui amène deux clercs puissants et lettrés. Ceux-ci lui présentent une grande somme d’argent. Le comte les reconnut et les baisa. Eux lui apprennent des nouvelles de maints lieux. Il en devint tout fier et tout joyeux, et, se tournant vers les siens, il leur dit : « Je ne veux plus supporter qu’on me dispute mon fief. J’en ferai bien le service, s’il plaît au roi. » Et, se tournant vers Fouque : « Écoutez ceci : qu’il choisisse à son gré la paix ou la guerre ! » Et Fouque lui répond : « Soyez prudent ! » |
Reimunz parlet ꝑmerſ li fiz girun
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596. Raimon, le fils de Guigue[45], parla le premier : « Sire, je viens de Vienne et d’Avignon. Lorsque les Bourguignons apprirent de vos nouvelles, comment Dieu vous avait fait rentrer à Roussillon, ils attaquèrent les Français qui gardaient le château[46] au nom de Charles. Aucun de ceux-ci n’aurait pu leur échapper, lorsque je les en ramenai, non sans grand peine. De même pour Lyon et pour Mâcon. Andicas, votre oncle, avec Bedelon a conduit les gardiens de Besançon. » Girart sourit et dit à Fouque : « Je voudrais qu’Oudin eût été là pour Charles. |
Seigner dis andicas noſ en uengut Qui tauem deſirat molt e queſut
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597. — Sire, » dit Andicas, « nous voici venus, nous qui t’avons tant désiré et cherché ! Jamais tu n’as vu gent si affligée que la tienne de t’avoir ainsi perdu. Nous t’apportons un présent considérable et de gracieux saluts : vingt mille marcs d’argent blanc. » [ Et Girart, plein de joie, répondit[47]] : « Dame[48], vous les prendrez, puisse Dieu me venir en aide ! Je n’en retiendrai pas un seul, tant je suis heureux que Dieu vous ait protégée, et que par vous Fouque m’ait été conservé. Désormais rien ne pourra nous nuire. » |
Atant eſcrident laige e uont lauar
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598. Là-dessus on crie l’eau et on va se laver les mains. Il y eut grande abondance de mets délicats à boire et à manger. Fouque fit donner mille sous à chaque bon jongleur, et cent aux plus médiocres. Le soir, Girart se retirait, lorsqu’il vit monter[49] une damoiselle accompagnée d’une suite peu nombreuse, mais de bonne apparence. Il demanda qui elle était. Lorsqu’il l’entendit nommer, il mit pied à terre, la prit à bras le corps et la descendit des arçons du mulet gris. Il la mena dans sa chambre et dit en entrant : « Voyez, comtesse[50], Engoïs, celle que vous aimiez ! » Et la comtesse, toute joyeuse, court la baiser. « Puisse Dieu m’aider, sire, vous devez bien l’aimer aussi, car pour nous elle s’est laissé dépouiller de son héritage. Pensez maintenant à lui donner bon conseil. » |
Anc en girart lo duc ne fut oblis
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599. Jamais le duc Girart ne fut ingrat, jamais il ne laissa homme qui l’aima et le servit sans le récompenser selon son mérite, « Dame reine, écoutez ce qu’a fait cette damoiselle. Elle est fille de feu Auchier de Montbéliard, qui fut tué en combattant pour moi à Civaux[51]. Elle vint avec nous. lorsque je fus faidit, abandonnant son comté et son pays. Elle nous accompagna jusqu’auprès d’un ermite, aux soins de qui je la laissai[52]. Bertran, franc chevalier, prends Engoïs : je te donnerai la terre que tenait Seguin[53] et de grandes rentes de Sallons (?)[54], de Salins (?)[55], de Mont Joux[56], de Genevois[57], de Mont-Cenis. — Sire duc, grand merci ; vous parlez bien. » Il reçut le fief, et prit la damoiselle. |
La reine apele conte girart
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600. La reine appela le comte Girart et, d’autre part, fit signe à Fouque : « Il m’est venu ce soir, tard, un messager. Quand le roi eut entendu le rapport de Berart Brun, comment trois comtes et Oudin avaient été faits prisonniers[58], il fut si irrité que peu s’en fallut que la colère ne l’étouffât, et manda des chevaliers de tous côtés. Les prisonniers feront de moi leur Léonard[59], car j’enlèverai à chacun de vous sa part[60], mais je vous laisserai Oudin, que je sais être un mauvais chien, de peur qu’il enjôle le roi par sa malice. — Dame. » répond Fouque, « à votre discrétion ; nous ne vous dirons pas autre chose, puisse Dieu nous sauver ! » |
La nuit fu deuſat e al mati⁎n
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601. Le soir même tout fut arrangé, et le matin on rassembla tous les prisonniers sous un pin. On les livra[61] à Bertran le jeune homme : « Vous jurerez à ce comte palatin, à Girart et à Fouque, son cousin, d’observer chacun la trêve, la paix, ou l’accord, que vous vous efforcerez d’obtenir de Charles et de Pépin. Si nous ne réussissons pas à obtenir du roi un accord, vous reviendrez vous constituer prisonniers en ce lieu, dans cette enceinte de murs à la chaux, sous la garde du comte Odon et de Baudouin[62] et de bourgeois qui sont fort ses amis. » Ils le jurèrent ainsi, demandèrent des chevaux, et se mirent en route[63]. |
Oudinſ mandet al rei per meſſaier
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602. Oudin manda au roi par messager de le tirer de prison et de peine : il aime mieux voir son trésor aller au roi qu’à ses ennemis[64]. Fouque demande où sont les gardiens royaux[65] : « Vous vous en retournerez sans aucun obstacle : les murs et les plates-formes[66] vous seront livrés. Châteaux et tours, je vous rends tout. » Et ceux-ci répondent : « Sire, il n’y a pas lieu : les Bourguignons sont félons et cruels : nous n’avons sergent ni arbalétrier dont ils n’aient fait un manchot ou une jambe de bois[67]. Si j’y retourne (dit chacun d’eux) pour l’amour de mon seigneur ou pour loyer, que je puisse ne jamais revoir ma femme ni mes enfants ! » Girart dit tout bas : « Je n’y tiens pas non plus ! » |
La reine montet e ſen eiſſit
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603. La reine se mit en selle et partit. Tels pleurèrent quand elle s’éloigna. Elle ne voulut pas que le duc (Girart) la conduisît loin. « Faites (dit-elle) ce que je vous écrirai. — Dame, ce sera fait à la lettre. » Le roi était à Troyes qui convoquait son ost[68] ; il réunissait une armée nombreuse de chevaliers et de gens de pied, pour marcher, disait-il, contre le duc Girart. La reine n’arriva qu’à la tombée de la nuit. Elle entra dans la salle avec ses fidèles. Le roi, en la voyant, baissa la tête, et lui fit mauvaise mine. Elle rit. Elle entra seule dans sa chambre, ôta ses vêtements et en mit de plus beaux. |
Ele trait ſon ueſtit e prent meillor E mariat la fille de ta ſeror
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604. Elle ôta sa robe et en mit une plus belle, d’une fine pourpre toute parfumée. Elle avait la peau blanche, le teint clair. Elle était belle comme une rose en fleur[69]. Elle alla se placer en face de l’empereur. « Dame (dit l’empereur), vous m’avez fait tomber bien bas. — Puisse Dieu m’aider ! sire, je vous ai fait monter : j’ai marié la fille de ta sœur[70]. Les châteaux et les tours de la Bourgogne sont à toi ; toutefois tes gardiens n’ont pas voulu y retourner. Tous les seigneurs du pays, comtes, demaines, vavasseurs, sont en ta main. — Pourquoi laissez-vous de côté Oudin, le meilleur chevalier de ma cour ? — C’était le moindre (reprend la reine) ! » En lui tenant tête, elle lui fait peur : « Mandez-moi demain (dit-elle) l’évêque de Saint-Sauveur, et cherchez à faire avec le duc un accord honorable, selon que jugeront vos conseillers[71]. » |
Al deman ſunt uengut al rei palais
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605. Le lendemain ils sont venus au palais du roi. Charles les appela sans les baiser[72], et, ayant fait asseoir auprès de lui Daumas, qui lui conta l’événement, il dit : « Jamais je n’ai ouï parler de tant de gens pris à la fois. Vous avez été pris au piège comme des petits oiseaux. » Et Daumas, attestant saint Gervais, lui répondit : « Bertran l’avait dit à Oudin[73], que leur aguet était dans la forêt d’Argon[74], dans les bois de frêne. Mais Oudin voulut faire le vaillant, et chargea. Alors la troupe de Roussillon se mit en mouvement. Nos adversaires se trouvèrent alors les plus forts et nous les plus faibles. Fouque abattit Oudin, lui cassant le bras[75]. Il est resté prisonnier entre leurs mains ; ainsi l’a voulu Aupais[76]. De sa prison, il te mande par nous qu’il est prêt à te donner son trésor, si tu le tires de là. — Je veux bien le trésor (dit le roi), mais non la paix. Ils[77] se sont trop pressés de me faire guerre et tourment. Je ne serai pas content si je laisse à Girart sa terre. » |
Li bibes parle au re par grant ſauer
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606. L’évêque dit au roi de sages paroles : « Sire, vous devez désormais vous abstenir de guerre. Vous avez réduit en cendres dix mille moutiers, dont moines et prêtres ont dû s’enfuir. Mais, si tu veux retenir les comtes comme tes hommes, ils te serviront fidèlement, pour avoir la paix. » Et la reine dit : « Je vous assure en vérité que je les ferai venir à la discrétion du roi, et qu’ils le serviront, s’il le veut bien, avec toutes leurs forces. » La paix eût été conclue le jour même, lorsque telles gens survinrent qui l’empêchèrent. |
Cil intrent el palaz qui ſunt mandat Pauc noſ uaugrent caſtel ne fermetat
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607. Ceux-là entrèrent dans le palais, qui avaient été mandés. Avec eux sont venus trente malheureux, sergents ou arbalétriers, tout défigurés : chacun avait le pied ou le poing tranché, le chef tondu en façon de fol[78], ou l’œil crevé[79]. Ils arrivent dans cet état devant le roi, et lui disent : « Sire, c’est pour ton service que nous avons été ainsi mutilés. — Et qui vous a si laidement marqués ? — Celui qui nous a beaucoup enlevé[80] et peu donné. Quand ils surent le retour de Girart, qu’ils eurent des nouvelles véritables de lui et de Fouque, châteaux et fertés[81] nous furent de peu de secours. » Le roi baissa la tête, pensif, et resta longtemps silencieux. L’évêque parla en homme sage : « Roi, il ne fait pas bon de te parler, lorsque tu es irrité, car tu n’es plus maître de toi, et il ne te souvient de rien qui soit agréable à Dieu. Prends conseil de toi-même. Si tu faisais la paix, tu te croirais honni, mais il n’y a rien de déshonorant à accepter une trêve, car si ceux qui l’auront jurée retournent dans leur pays, les comtes[82] verront leur richesse et leur puissance s’accroître de la valeur de cent mille marcs d’or épuré[83]. — Eh bien ! » dit le roi, « faites à votre volonté, de façon à ce qu’Oudin et les siens soient délivrés. » Les trêves furent prises pour sept ans, et garanties par des engagements, des serments, et des otages. La reine fit en secret écrire des brefs qu’elle envoya à Girart par un abbé. Le comte se conforma en tout à sa volonté ; puis chacun rentra en ses terres. Ils furent reçus en grande pompe ; de bons chevaux et de l’argent leur furent présentés, et ils distribuèrent aussitôt ce qu’ils venaient de recevoir. |
Dedinz aquez ſet anz con tregeſ pris
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608. Pendant ces sept années de trêve, Fouque eut quatre enfants, et Girart en eut deux, dont il ne jouit pas, car l’un mourut petit, et l’autre fut tué[84]. Le premier enfant de Fouque eut nom Thierri[85]. La reine demanda au père de le lui envoyer[86], et pria le roi de le tenir sur les fonts. Il le fit avant qu’on lui eût dit de qui il était le fils, de quel pays il venait. |
E quant lorent tengut e baptizat
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609. Quand l’enfant fut baptisé, la reine prit avec elle ses meilleurs amis ; c’étaient les hommes les meilleurs et les plus prisés de la cour ; parmi eux les évêques et les abbés ; et vint avec eux crier merci au roi pour son filleul déshérité, lui demandant de rendre à l’enfant le duché d’Ascane duquel sont mouvants tous les comtés de L’Ardenne, « car il est fils de ta nièce, à qui il a été conseillé de te l’envoyer pour recouvrer son héritage. — Reine, » répond le roi, « que de fois vous m’avez enjôlé ! — Bien au contraire, » disent les évêques et les hommes sages, « elle cherche ton honneur et fait une bonne action. Elle travaille à maintenir la paix en ton royaume ; et, tandis que tu as dépouillé la sainte Église, elle a rendu et restitué ce qu’elle a pu. » On a tant prié le roi qu’il céda. |
Li reis rendet ſonor per un beſant Quel ſa porra tenir daiqui enant
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610. Il rendit sa terre à l’enfant par un besant. Ce sera pour le temps où l’enfant sera en état de tenir la terre. À ce moment, un messager vint en secret à la reine, et lui dit tout bas, à cause du roi qu’elle cajole, que sa sœur vient d’avoir un fils, très bel enfant. Elle fit bien paraître que jamais elle n’avait eu joie si grande, car elle donna au messager son pesant d’or, et dit en secret la nouvelle à son fils : « Grâces en soient rendues à Charles et à Dieu tout d’abord ! » dit-elle, « la cour du roi s’accroît aujourd’hui de trente mille boucliers ou de plus encore, en commande[87]. » |
Non pot mudar oudinſ quel non parol
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611. Oudin ne put s’empêcher de parler. « Nous en trouverons assez des boucliers, si le roi le veut. Tout ce que dit Madame, le roi l’accepte, et c’est ainsi qu’il m’enlève, contre tout droit, la terre de mon oncle[88]. — Vous parlez toujours follement, » dit Pépin[89], « le roi n’a fait que rendre à son filleul la terre qui lui appartenait du chef de sa mère, et de son aïeul. Le père ne vous a pas traité trop doucement[90] : un an vous en avez porté le bras en écharpe[91]. Madame a maintenant ce qu’elle désirait, car sa sœur a un fils ; s’en afflige qui voudra ! ma mère aime cet enfant et moi aussi. » |
Han reine non uis de tal ualor
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612. Jamais vous ne vîtes reine de telle valeur, ni comtesse qui vaille sa sœur, qui ait autant d’amour pour Dieu, pour les pauvres, pour son mari. Notre Seigneur lui fit ce grand honneur de lui donner la meilleure de ses saintes, celle à qui, pendant sa vie terrestre, il témoigna le plus d’amour. Un jour, au temps de Pâques, il[92] envoya trois moines et un prieur, qu’il guida par une vision. Ceux ci passèrent la mer, à grand effroi, et des terres païennes transportèrent le corps saint à Vezelai, au sommet de la montagne, et là fondèrent un moutier en son honneur[93]. |
E quant lor at donat cele marie
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613. Et quand il leur eut donné cette Marie, la sainte Madeleine, son amie, ils[94] firent en sorte qu’elle fût dignement servie. La comtesse a pour elle tant d’amour et de dévotion que, de son vivant, Dieu fit de grands miracles. Un des serviteurs de Girart rêva de grandes richesses, mais le comte se refusa à l’en croire, jusqu’à tant que lui-même eût, en dormant, la même vision, au mois de mai, un jeudi comme il faisait la sieste de midi ; il y avait quinze cent mille marcs d’or, et tant d’argent qu’on n’en savait pas le compte. Tous les chevaliers de Girart en devinrent riches et opulents[95]. |
Li cons girart trobet cele fortune E el leſ gardet ſi gins non aſgrune
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614. Le comte Girart trouva cette fortune[96] si merveilleusement grande qu’il n’y eut jamais pareille. Il la tira de terre en plein jour, non pas au clair de la lune, des vieilles arènes, sous Autun[97]. Il la garda entière, sans en rien distraire, jusqu’à tant qu’il l’eût amenée à Roussillon, sur la hauteur. Puis il en fit le départ, d’accord avec la commune. Il n’y a si bon chevalier d’Espagne à Rune[98] qui n’en ait sa part sans qu’il y eût aucune lésinerie. |
Jſt treſaur amaſſerent genz ſarazine
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615. C’était un trésor amassé par les Sarrasins[99]. La comtesse le sut et en fit bonne part aux pauvres. Girart distribua les deniers au boisseau. Il envoya vingt mille marcs d’or à la reine. Elle en donna à un millier de personnes, dont chacune la remercie en s’inclinant, et le roi en eut la moitié. Fouque, de son côté, ne lui donna pas le produit d’une bête de somme. |
De cent cheuaus fait folcheſ au rei p̃ſent
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616. Fouque fit présent au roi de cent chevaux dont aucun n’était issu d’une bête de somme. Puis on réunit un parlement ; on voulait faire un accord, mais Oudin et ses parents l’empêchèrent avec ceux qui en voulaient au duc[100]. Girart manda auprès de lui Pépin : la reine le lui envoya, avec le consentement du roi, et il l’emmena à Rome, avec une suite nombreuse, et là on fit au jeune prince un couronnement tel que jamais empereur n’eut le pareil. Les Romains le retinrent, s’engageant à le regarder comme leur seigneur, et il garde la terre et la défend. |
Per conſeil andicas e bedelun
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617. Par le conseil d’Andicas et de Bedelon[101], il fut mandé à Girart et à Fouque d’amener le pape en France, pour faire la paix entre eux et Charles. Le pape ne se fit pas prier, car il était parent de Girart, par Drogon[102]. Charles se laissa persuader par son exhortation, mais Oudin n’y voulut point entendre, non plus que les parents et les barons de Thierri qui repoussent tout accord. Aucun homme de cette famille ne voulut s’y prêter. Le roi prit alors un bon[103] parti : il manda, à titre de devoir exceptionnel[104], ses hommes pour faire la guerre au bourguignon[105]. Alors se mirent en mouvement Français, Bretons, Normands, Flamands, Brabançons. La reine envoya aussitôt à Roussillon, pour avertir Girart d’avoir à se tenir prêt, comme c’est raison. Par droit, par amour, par ses libéralités, le duc réunit trente mille combattants[106], sans parler de Fouque qui lui amena vingt mille[107] hommes vaillants. Dans la rivière[108], en aval, sous Châtillon[109], par l’esplanade et par les prés de Roussillon sont tendus les trefs et les pavillons. Le comte leur fait de larges distributions d’argent et de deniers, tandis que les piétons amènent en sûreté les marchandises[110]. |
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618. Le comte sortit pour haranguer ses barons. Lorsqu’il les eut baisés et remerciés, lorsqu’ils lui eurent fait toutes les promesses qu’il désirait, il monta, plein d’allégresse, au château. Il s’est appuyé sur la fenêtre de la grande salle ; il regarda au dessous de lui, par les prés ; il vit tant de pavillons, et tant de trefs tendus, tant de francs chevaliers qui y avaient leurs logements ! Les armes brillaient et répandaient un vif éclat, les gonfanons déployés ondoyaient au vent. « Ah ! » s’écria-t-il, « vallée de Roussillon, si longue et si large ! où j’ai vu tant de chevaliers armés qui sont morts, auxquels leurs fils ont succédé, belle vallée, comme je vous vois aujourd’hui brillante ! De tout autre trésor, je ne donnerais pas un michelat[111]. Dieu ! pourquoi un riche homme voudrait-il vivre à l’écart, loger en son cœur la mesquinerie ! Il faudrait avoir le cœur bien bas pour consentir à se séparer d’un tel baronnage ! Ce n’est pas de mon gré que je m’en séparerai, maintenant que je l’ai recouvré. Peu s’en fallait que les faux tonsurés ne m’eussent assoté par leur prédication[112] ! » À ce moment, il vit venir à lui son fils qu’il aimait tendrement[113] : il était blond, et portait un bliaut neuf de soie. Il n’avait encore que cinq ans. On ne vit jamais plus bel enfant de son âge. C’était tout le portrait de son père. Girart le prit entre ses bras et le baisa. Ah Dieu ! pourquoi le perdit-il, quel crime ce fut ! |
Eſtait li cons girarz en ſon palaz
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619. Le comte Girart se tenait en sa salle. Il portait son petit enfant entre ses bras, et jura Dieu et ses vertus que jamais à nul jour l’enfant ne serait déshérité. « Et celui qui augure qu’il sera moine, est un homme mauvais. J’aime les chevaliers et les ai toujours aimés, et si longtemps que je vive, c’est par leurs conseils que j’agirai. Je donnerai volontiers, car j’ai de quoi. Pendant trop longtemps je me suis humilié, mais désormais on ne me verra plus faire des avances à mon ennemi ; au contraire, j’écraserai les misérables outrecuidants. » Ces paroles furent relevées et répétées par les preux chevaliers, les damoiseaux de prix. Il se réjouissait en voyant son fils, mais il ne savait pas le malheur qui l’attendait. |
Aqui un baron gui de riſnel Crient que li duſ en fol au rei reuel.
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620. Il y avait là un baron, Gui de Risnel[114], que Girart tenait pour le plus fidèle de ses hommes. Il était son serf[115] et son sénéchal pour maints châteaux. Les paroles de Girart ne lui firent pas plaisir : il eut peur de voir la guerre recommencer, et le duc se révolter follement contre le roi[116]. Il promit à l’enfant un oiseau d’or, le prit entre ses bras sous son manteau, le porta dans un verger sous un arbre, lui étendit le col comme à un agneau, et lui trancha la gorge avec un couteau. Il le jeta, une fois mort, dans le puits de pierre, monta à cheval et partit au galop. Une fois sorti, il s’arrêta sous un ormeau, et, levant les yeux au ciel, il s’écria : « Ah ! traître et félon que je suis ! Je suis pire que Caïn, le meurtrier d’Abel. Pour l’enfant, je livrerai mon corps à la mort. » Il descendit à la grande salle sous le donjon, et trouva le duc dans la chambre, près d’une cheminée. Il lui tendit l’épée par le pommeau en lui contant de quelle façon il avait tué de ses mains le franc damoisel. |
Li ior ſeſt treſpaſſaz e fu lo ſer
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621. Le jour s’en allait, c’était le soir, et le lendemain le comte devait se mettre en marche avec l’ost. Gui lui tend l’épée par la poignée : « Comte, fais de moi justice à ton plaisir. J’aime mieux mourir, pendu ou brûlé, que de te voir recommencer cette guerre. » Le comte est désespéré : « Fuis d’ici, traître, je ne puis plus te voir ! » Il appelle son chambellan don Manacier : « Fais sortir et taire tout le monde. » La comtesse entre pour se coucher. Elle vit le duc triste et sombre, et commença à soupçonner quelque malheur : « Sire, tu n’es pas ainsi d’ordinaire. — Dame, promets-moi une chose. — Tout ce que tu veux, mais dis-moi la vérité. — Ne laisse pas paraître ta douleur pour ton fils : il est couché mort dans le puits de pierre ; fais le retirer et porter au moutier ! » La comtesse ne put supporter cette nouvelle ; elle s’évanouit. Le comte la releva, la fit asseoir : « Dame, cesse de t’affliger. Puisque Dieu n’a pas voulu laisser vivre notre fils, faisons de lui (Dieu), s’il lui plaît, notre héritier. Mieux vaut lui donner que garder à notre profit. — Dieu t’en donne le pouvoir et le loisir ! » répond la dame. |
Atant folche la fors eſt deſcenduz Belz niez ſi cum dolenz e confunduz
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622. Sur ces entrefaites, Fouque a mis pied à terre devant le château, ayant laissé l’ost dans les plaines herbues. Il vient tout privéement chez le duc, entre dans la chambre et voit Girart et sa femme. « Sire, qu’avez-vous ? êtes-vous affligé ? — Beau neveu, oui, comme homme dolent et brisé. » Et il lui conta le malheur qui lui était arrivé. Fouque se signa, plein de douleur : « Si ce malheur est su au dehors, c’est une grande joie pour tous tes ennemis. Tu as toujours su te bien comporter dans tes revers, et, maintenant que tu as les cheveux blancs, tu dois mieux faire encore. De la reine t’est venue une lettre. Nous entendrons ce qu’elle dit et nous chercherons comment l’accord pourra se faire. » Il le prend par le bras, et le mène dehors. Girart baisa sa femme, muet de douleur. |
Girard diſt la conteſſe charz amiſ doz
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623. « Girart, » dit la comtesse, « cher doux ami, pour Dieu laissez là toute votre douleur. Tu as tant perdu de puissants amis et de neveux, que jamais homme n’en a perdu autant ni de si vaillants. Je prierai Dieu d’entendre ma voix, et de faire que tu aies paix du roi et de tous les siens. » Sur ces paroles, le comte s’éloigna. Elle fit tirer son fils du puits et le fit porter au moutier par des clercs avec la croix. On le plaça sous le pavement du chœur. |
Li conte del caſtel ſunt aualat Granz efors prent iuſtize e paiſ lo prat
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624. Les comtes descendirent du château et entrèrent dans la tente de Fouque. Là ils trouvèrent le messager qui les a salués et leur a donné la lettre de la reine, et Fouque en donna lecture à Girart : « Selon ce que dit cette lettre, tes ennemis ont mandé et assemblé une troupe nombreuse : on l’évalue à vingt mille chevaliers. Demain ils seront tous réunis à Troyes. Maintenant, mande à la reine ce que tu veux faire. » Le pape, qui était sage, dit : « Fais en sorte que les plus irrités contre nous aient les torts de leur côté. — Je vous dirai, » dit Girart, « ce que j’ai pensé : c’est de fonder trois[117] abbayes, dotées de mes alleus héréditaires. — Et moi, » dit Fouque, « j’en fonderai sept[118] de mes biens patrimoniaux. » Ils l’ont ainsi écrit et scellé, et firent au messager, lorsqu’il prit congé, un présent, dont il les remercia et leur sut gré. Au matin, on sonna les grêles[119] par l’ost. Ils chevauchent en armes, avec un grand convoi de vivres, et prennent leurs logements par les prés sous Islei[120]. Les royaux étaient à Troyes, hors de la cité, ayant établi leur camp le long de la Seine. Sept mille d’entre eux sont sortis, sans le congé du roi, pleins d’orgueil, de vantardise, d’outrecuidance. Ils vont assaillir l’ost de Girart et en ont tué ou blessé je ne sais combien. Mais ceux de l’ost sont tout excités et irrités ; ils montent à cheval et chargent avec énergie. Force passe droit et paît le pré[121]. Les hommes de Girart reçoivent de tels renforts qu’ils l’emportent sur les royaux, et les refoulent dans la cité. Le roi en était sorti, très contrarié de ce qu’on eût commencé l’attaque sans ses ordres. Il avait le haubert vêtu, le heaume lacé. [Il était monté sur un cheval bien caparaçonné[122].] Il crut maintenir ses hommes, mais ils le dépassèrent[123] ; Bavarois et Allemands le rencontrèrent, lui tuèrent son cheval, le jetèrent bas. Si Fouque n’était survenu, c’en était fait de lui. |
Folche lai eſt uenguz a eſperon
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625. Fouque est venu là à force d’éperons ; mille chevaliers le suivent par le champ. Il mit pied à terre auprès de Charles et lui présenta Bauçan, le cheval de Barcelone ; le roi mit le pied à l’étrier et prit l’arçon. Fouque lui tint l’étrier et la courroie, et l’emmena en sûreté[124]. Girart fit amener son pavillon et les troupes de pied qui escortent le convoi de vivres. |
Ciſt oſt fu en ſeptembre apreſ aoſt
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626. Cet ost eut lieu en septembre. Ce fut la dernière que le comte assembla. Ce n’est pas celle là qui eût volé des croix[125] ! Le duc a ordonné qu’il ne soit causé au roi aucun dommage, sinon l’herbe que brouteront les chevaux ; ils mènent avec eux abondance des vivres, du vin clair et du moût. Le roi fut pris, secouru par Fouque. Puisse Charles n’éprouver jamais plus une telle peur ! |
La gelde uen a braſ e a ſaietes
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627. Les gens de pied viennent, armés d’arcs et de flèches, et conduisant le convoi sur des charrettes. Ils vont sonnant leurs cors et leurs trompettes[126]. « Bertelais, » dit Girart, « suivez[127] le bord de l’eau. — Sire, ils veulent tous que vous les dégagiez de l’obligation de vous servir, si vous ne déposez pas le roi (?), si vous ne le déshéritez pas, lui et ses félons. À l’intérieur[128] les gens souffrent de la famine ; que tu ne sois plus un preux si tu ne les en fais sortir ! — Hommes loyaux et vaillants, » dit Girart, « soyez bénis de Dieu ! » |
Granz meſter a iuſtiſe a legier ſenz
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628. La justice est un tempérament bien nécessaire à la légèreté d’esprit. Par le méfait d’une folle jeunesse, il y eut bien des morts, des blessés, couverts de sang, et jusqu’à sept cents prisonniers. Les hommes de Girart prennent logement dans le camp royal. « Quoi qu’il en soit des autres, » dit Girart, « moi je suis content, car je vois actuellement mes ennemis abaissés. La valeur abat l’orgueil, comme la pluie fait tomber le vent. Maintenant que nous les tenons enfermés comme des bêtes de somme, je me tiendrai pour satisfait de tout arrangement que nous ferons avec eux. » |
Li conſ ueit de ſa gent ki ſobre e creſc E de cai ſobre deſtre noſtre teſc
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629. Le comte voit ses troupes, dont le nombre va croissant, entrer[129] de façon à se dissimuler. « Je me tiendrai, » dit-il, « en cette plaine ; Bertelais sera, avec les gens de pied, par ce marécage, et par ici, sur la droite, seront nos Tiois. » Sur ces entrefaites, Fouque arrive par les champs couvert de chaume et descend à pied du brun cheval maure. Il prit Girart à part, craignant qu’il fit quelque folie. |
Foiche apele bertrā queſt d’ bon aire
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630. Fouque appela Bertran, qui est bon, et, s’adressant à Girart : « Sire, » lui dit-il, « que veux-tu faire ? — Tirer de là dedans mes félons ennemis. Ils ne cessaient de faire bruit de leur guerre, aujourd’hui les remparts de leur orgueil sont à bas. Garde-toi d’être leur refuge, car Dieu est équitable et ses jugements sont droits. » Et Fouque lui dit : « N’en faites rien, frère. Le roi est notre seigneur et mon compère[130], et la reine est pour nous une mère. Si vous avez pour elle de la reconnaissance, il est droit que vous le fassiez voir. » Girart se prit à lui rappeler Boson, guerrier comme il n’en sera jamais[131]. « Et vous aussi, vous êtes vaillant, mais vous êtes trop sermonneur. De cette nuit je ne bougerai pas, dût-on m’arracher une dent, et, demain matin, je ferai à votre gré et me soumettrai à toutes les volontés de notre empereur. — Laisse le, » dit Bertran[132], « faire comme il l’entend. » Ce lui fut un grand soulagement de voir Girart se calmer. |
Del uerraz dementres les lo caſ pres
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631. « Délivrez cependant les prisonniers[133]. — Demain matin, » dit Girart, « ils seront renvoyés. — J’en ai un, » dit Bertran, « Hugues de Blois[134] ; je ne crois pas qu’il y ait nulle part meilleur Français. C’est le plus courtois des conseillers du roi. » On le mande ; il vient, et Fouque lui dit : « Sire Hugues, soyez notre messager, et je vous donnerai aussitôt ce cheval maure. Dites au roi que, pour Dieu, il n’ait pas trop de rancune. Nous lui rendrons tous ses hommes, et pour chacun des morts nous lui donnerons trois des nôtres[135]. Pour tous les torts que nous lui avons faits, nous nous mettrons, s’il le veut bien, en sa merci. De votre côté, mettez y ceux que vous jugerez les meilleurs[136]. » Hugues se rendit auprès du roi, et lui délivra exactement le message, [ajoutant] « Ta gent a montré trop d’outrecuidance. Ç’a été un acte de folie, d’aller attaquer Girart. De là est venu le désastre. Jamais les comtes[137] n’ont rien vu qui leur ait été si douloureux. Je vous le dis en mon nom, puisse Dieu me venir en aide ! un comte qui rend un roi, doit bien trouver merci[138]. » |
E li reiſ reſpondet trop ol diz lait
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632. Le roi répondit : « Tu m’insultes ! Si, bien qu’assiégé, je capitule[139], que jamais Jésus n’ait merci de moi ! Girart me croit réduit à l’impuissance parce que je ne me défiais pas de ce guet-apens[140]. Maintenant il lui faut essayer d’une autre ruse. » Hugues proclama ce qui avait été résolu : on fait faire silence par l’ost[141], qui, le matin (suivant), se replie en arrière sur sa terre, dans les prés, sous Islei[142], le château ruiné. Tous les prisonniers furent délivrés à qui qu’ils appartinssent. Aucun d’eux ne subit de perte dont on ne le dédommageât. |
Aſ trez uen lapoſtoles matin lo ior Enluminaz de clar le tenebror De lor auer derant cargaz uint charz
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633. Le matin au jour, le pape vint aux tentes, ayant quitté Sens la veille au soir. Il prit Charles à part et lui dit : « Roi, garde-toi de suivre des conseils belliqueux, superbes, outrecuidants, dédaigneux, il ne faut point ici de flatteurs. Je te conjure, au nom du Rédempteur, de me dire ton intention secrète. Le duc[143] ne pouvait te faire un plus grand honneur qu’en faisant couronner empereur ton fils Pépin. » Et le roi répondit : « Pour l’amour de Dieu, je te croirai comme mon guide. Mais le plus grand nombre ici ne désire pas la paix. — Et nous prierons Dieu d’agir. » Le pape manda au duc de venir à son seigneur, comme celui qui cherche paix et amour, et à Fouque de se montrer digne de lui-même. Fouque donna le meilleur conseil qu’il sût. Le roi se dirigea vers les prés par lesquels la Seine coule. Là furent mandés les comtes et les comtors[144], les princes, les demaines[145] des pays les plus éloignés. Les bons vavasseurs n’y furent pas oubliés. L’évêque du moutier Saint-Sauveur a fait un échafaud élevé pour le pape. Lorsque celui ci y fut monté, on s’empressa autour de lui, et il fut tenu pour sage orateur. Il parla d’une voix haute et forte : « Écoutez-moi, » dit-il, « grands et petits. Nous sommes les pasteurs légitimes de sainte Église, puisque Dieu a fait de saint Pierre son vicaire[146]. Mais cette guerre l’a toute troublée. Des hommes de sang, mauvais et pillards, ont brûlé les églises ; moines et prieurs s’en sont enfuis, et l’ordre de Dieu a été traité avec indignité. De grandes souffrances ont été infligées aux pauvres gens ; la fleur de la chrétienté a péri. Les riches villes ont été abaissées, et le menu peuple est dans les larmes. Il m’appartient de vous conseiller. De par Dieu notre créateur, je vous enjoins, par la sainte pénitence qui assure votre salut, en donnant le remède au pécheur, renoncez à la guerre, aux vieilles rancunes, à l’orgueil, à la dureté ; chassez de vos cœurs l’envie et la cruauté et amenez-les à la paix et à la douceur. Faites briller la clarté à la place des ténèbres, ce sera profit pour vous, honneur pour Dieu, avantage pour vos ancêtres[147]. Quiconque meurt en vieille rancune est en grand danger de perdre son âme. » Il y en eut de tels qui le tinrent pour un vil sermonneur. C’étaient des hommes qui jamais n’aimèrent paix ni le délassement de la chasse à l’oiseau, ou qui ont laissé tant de gages entre les mains de leurs répondants[148], que jamais ils ne les pourront acquitter. Le pape sentit bien d’où venaient les railleries. Il se tourna de ce côté et dit : « Vous êtes venus ici pour la guerre et le désordre, et les comtes pour paix et pour amour : ils n’en sont pas moins riches et larges donneurs. Que les vantards, les damoiseaux présomptueux ne fassent pas trop d’embarras, car je m’assure en Dieu qu’aujourd’hui on verra orgueil abattu et sainte humilité triompher, toute resplendissante de blancheur. Contre elle vous n’aurez château ni tour qui tiennent. |
A toz uoſ mande folche el conſ girarz E dalos quites franz quant de lor parz
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634. « À vous tous mandent le comte Girart et Fouque qu’ils donneront vingt chariots chargés de leur avoir pour réparer les moutiers qui ont été brûlés, et avec des terres allodiales qu’ils ont en toute franchise, ils feront vingt abbayes selon notre conseil, pour le salut des pères que vous avez aimés et qui ont péri par le glaive. C’est là un accord auquel doivent se prêter les plus obstinés. |
E homenages tant cum lor fu en grat
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635. « Je vous ferai un bref sermon sur la Vérité. Je vous dirai ce que fait Dieu, en sa majesté : il abaisse orgueil et soutient l’humilité. » À ce moment, on vit les comtes venir par le pré : ils formaient une colonne de mille hommes de profondeur sur cent de front[149], barons, comtes, comtors, riches chasés[150]. Ils viennent à pied et déchaux. Quand ils furent près de l’assemblée, ils s’arrêtèrent. Girart et Fouque, les premiers, la tête basse, sont allés au roi. Girart lui rend son épée, par le pommeau doré, puis il se prosterne à ses pieds. Les francs nobles barons furent émus de pitié, et les félons orgueilleux de colère. Et pourtant il n’y en eut pas un assez osé pour dire une parole hautaine ou démesurée. Le roi releva Girart et le baisa, puis après Fouque qu’il savait sage. Ils lui font hommage et feauté, et le roi leur rend leurs fiefs à titre de biens héréditaires. Puis, tous deux, ils s’humilièrent devant les fils de Thierri d’Ascane, et, de bonne foi, ils se mettent à leurs ordres et leur font tous les hommages que ceux-ci voulurent. Le pape leur a imposé tout cela à titre de pénitence ; il a commandé que tous lèvent les mains, en signe de paix et d’accord. Ensuite il a frappé d’interdit et séparé de Dieu quiconque recommencerait la querelle. |
Lapoſtoiles parlet com hom leiaus
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636. Le pape s’exprima en homme loyal : « Roi, si tu le veux, tu peux encore arriver au salut. Charles Martel, ton aïeul, fit de grands maux, et toi, en ta jeunesse, tu as fait de même : ce nom fut faux[151]. Présentement ton nom doit être Charles le Chauve. Maintenant que tu es riche en barons et entouré d’amis[152], aime Dieu et la paix, et demeure en repos. » Le roi fut sage : il suivit les conseils du pape et fit faire je ne sais combien de moutiers royaux[153]. |
Ce dient li danzel tot entreſach
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637. Les jeunes guerriers dirent alors : « La guerre est finie, il n’y aura plus guet-apens, plus de chevaliers frappés, d’écus brisés, et ceux qui ont été à la peine seront méprisés, tandis que les ducs[154] seront aimés pour avoir fait la paix. — Que personne ne se décourage pour cela, » dit Fouque ; « je leur donnerai de bon gré vivres et vêtements, si même je ne leur donne davantage. » |
Folche parle a girart e a carlon
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638. Fouque parla à Girart et à Charles : « Maintenant, voyez à ce que chacun de vous, comtes, demaines, riches barons, donne aux pauvres chevaliers de quoi assurer leur subsistance. Amènez-les à la montre[155] ainsi qu’il a été établi dans le pays[156] pour défendre la terre, lorsqu’il en sera semons. Et s’il y a de riches avares au cœur félon, à qui l’entretien[157] et les dons coûtent trop, qu’on leur enlève la terre et qu’on la donne aux vaillants[158], car trésor mis en réserve ne vaut pas un charbon. » |
Carles tient lo conſel folcon ualent E li conte lotreient tot enſement
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639. Charles tint le conseil de Fouque pour bon : « Je vous le dis à tous, riches barons, préférez les chevaliers à l’or et à l’argent et tenez en chacun selon le chasement que vous aurez de moi : qui vingt, qui cent, qui plus, qui moins, selon ce que vous tiendrez[159]. Qui ne pourra en supporter la dépense, je lui viendrai en aide, et de bon gré lui donnerai souvent du mien. Et amenez-les tous à la montre, chacun[160] ayant cheval et équipement, afin que les païens ne nous trouvent pas au dépourvu, car un royaume qui ne sait se défendre est perdu. Et qui se montrera négligent, je lui enlèverai son fief, par jugement, et le donnerai, d’accord avec mes fidèles, à un plus vaillant. » Les comtes approuvèrent cet arrangement et le garantirent par des engagements et des serments. Alors l’ost se dispersa. Le roi retint auprès de lui les comtes, et, après la réunion, les mena à Reims où la reine les attendait qui les reçut avec allégresse. Le roi rendit à Fouque, pour son fils, le duché d’Ascane, qui lui revenait légitimement[161]. Ils voulurent faire à Girart de grands présents, mais le duc ne voulut rien accepter, sinon faucon volant ou chien courant. Quant à la comtesse, elle sert dignement Dieu qui pour elle fait des miracles visibles[162]. |
◄ Laisses 540 à 573 | Laisses 574 à 640 | Laisses 641 à 675 ► |
- ↑ Je rétablis ce chiffre, qui manque dans les mss., d’après le § 571. Cette restitution (s’avenz [cent] ch.) est nécessitée par ce qui suit. On ne pourrait pas dire « il y en a autant d’embusqués », si on n’avait d’abord spécifié un chiffre.
- ↑ Ceux qui ont déjà été mentionnés plus haut, § 565.
- ↑ Où étaient stationnées les troupes rassemblées par la reine ; voy. § 566.
- ↑ Ric corteis, Oxf. et L., le vers manque dans P. Le sens est peu satisfaisant ; il y avait peut-être originairement correi, troupe ayant une formation régulière, voy. Du Cange, conreix.
- ↑ P. (v. 7508) geldos. Oxf. joudins, la leçon de L. est corrompue. Gelde ou geldon a dû signifier originairement une association dont les membres sont unis par un serment (anc. all. et anc. angl. gilde), mais ce mot paraît avoir constamment en anc. fr. le sens de « gens de pied » ; « Triginta millia peditum » est rendu dans l’ancienne traduction des Rois, I, iv, 10, par « trente milie de gelde ». Il s’agit ici des milices bourgeoises auxquelles Girart a fait appel au § 559, et qui sont mentionnées sous le nom de peon (fantassins) aux §§ 566 et 573.
- ↑ Bertran cherchait à empêcher la lutte ; voir plus loin, § 605.
- ↑ Aupais.
- ↑ On a vu que la lutte a lieu sur les bords d’une petite rivière.
- ↑ Cf. § 566.
- ↑ L’idée n’est pas exprimée très clairement dans le texte, mais on voit au § 612 qu’Oudin fut en effet blessé au bras.
- ↑ C’est-à-dire des comtes ayant des comtés. Les comtes palatins étaient des juges royaux, rendant la justice pour le roi, et principalement dans les affaires où le roi était intéressé ; voy. la quatorzième dissertation de Du Cange sur l’Histoire de saint Louis.
- ↑ Bertelais, voy. § 566.
- ↑ « Le » désigne Fouque.
- ↑ S’adressant à Fouque.
- ↑ C’est la façon habituelle d’aider les femmes à descendre de cheval ; cf. § 598.
- ↑ On sait qu’en général des sièges étaient taillés dans l’épaisseur du mur, de chaque côté des fenêtres.
- ↑ Ici deux vers dans Oxf. (un seulement dans L. et P.) que je ne sais comment rattacher à ce qui précède et à ce qui suit. « Jamais le duc Girart ne fut en émoi, et je ne veux pas qu’il le soit désormais. »
- ↑ Tous ensemble.
- ↑ Cf. § 566.
- ↑ Au § 123, c’est Fouchier qui est neveu ou fils, selon les mss., d’Estais.
- ↑ S’adressant à Girart.
- ↑ Littéralement « la fleur », comme au § 224.
- ↑ À l’égard des prisonniers.
- ↑ Ceux qui actuellement sont prisonniers.
- ↑ Le texte est fort elliptique, mais le sens n’est pas douteux : les prévisions de la reine se réaliseront, voy. § 607.
- ↑ Ici, dans Oxf. seul, un vers que je n’entends pas : Quel charais e defais qui moc desanz.
- ↑ Il faut supposer qu’ici la reine s’adresse à Girart.
- ↑ Sans doute le douaire de Berte dont il a été question plus haut, §§ 553 et 562.
- ↑ Voy. p. 2, n. 3.
- ↑ Bertran s’adresse aux prisonniers.
- ↑ Les fidèles et les conseillers de son seigneur Charles.
- ↑ Ce qui a été dit plus haut, p. 260, n. 1, de la jeunesse de la reine peut s’appliquer également à la jeunesse de Fouque.
- ↑ Oxf. fagan, L. phagam, P. (v. 7697) faia. Est-ce quelque ustensile (un plateau ?) en bois de hêtre ? D’après L. on pourrait traduire « sous un hêtre ».
- ↑ Symbolisée par un baiser.
- ↑ On pourrait croire que l’anneau était d’or et d’argent, mais cela n’est pas probable. Il s’agit plutôt de la remise à la fiancée d’une pièce d’or et d’une pièce d’argent, usage qui s’observe actuellement en Angleterre, et sans doute ailleurs encore, lors de la cérémonie du mariage.
- ↑ Voy. p. 17, n. 4.
- ↑ C’était l’usage que les seigneurs adoubassent un certain nombre de chevaliers, leur fournissant armes et chevaux, le jour de leur mariage. Dans Flamenca, où tout se fait grandement, le seigneur Archimbaut arme jusqu’à 997 chevaliers (v. 786) à l’occasion de ses noces.
- ↑ La rivière mentionnée plus haut, §§ 126 (voy. la note), 141, 151, 154. La bonne leçon d’Arsent ne se trouve que dans L. Il est singulier qu’Oxf. et P. aient à peu près la même faute : Oxf. narsent, P. (v. 7715) naissen.
- ↑ Oxf. Mirguel, L. Mergoil, P. (v. 7722) Meculh.
- ↑ Bataille peut s’entendre d’un combat singulier. Mais, de toute façon, j’ignore à quelle tradition il est fait ici allusion.
- ↑ Nous avons déjà rencontré cette expression au § 121.
- ↑ Ici, comme ci-dessus, § 559, l’auteur attribue les malheurs récents de Girart à la trahison de Richier, ne tenant pas compte des nombreuses alternatives de bonne et de mauvaise fortune par lesquelles Girart a passé depuis cet événement.
- ↑ Voy. p. 211, n. 3.
- ↑ Raimon le fils de Guigue, voy. le § suivant.
- ↑ Un personnage ainsi nommé paraît entre les principaux vassaux de Girart aux §§ 99, 175, 323, à la tête de troupes du Dauphiné et du nord de la Provence (§ 99). C’est précisément dans cette région que le nom de Guigue est le plus fréquent.
- ↑ Caduel, Oxf., proprement le donjon ; mais quel donjon : Ce mot n’est pas précédé de l’article ; est-ce un nom de lieu?
- ↑ Ce vers, qui n’est pas absolument nécessaire, ne se trouve que dans P. (v. 7785).
- ↑ Girart s’adresse à Aupais.
- ↑ Vers le château de Roussillon.
- ↑ Il s’adresse à sa femme.
- ↑ Voy. § 398. Il paraît ordinairement aussi en compagnie de Guinart, seigneur de Montbéliard, tué à la même bataille ; voy. §§ 135, 166, 275, 317, 382.
- ↑ Voy. § 512.
- ↑ De Besançon, tué ci-dessus, § 334.
- ↑ Sanh Lis P. (v. 7817) qui serait Senlis, mais ne peut convenir ici.
- ↑ Jura.
- ↑ Le grand Saint-Bernart, voy, p. 4, n. 1.
- ↑ Au § 145, Mont-Jarnes est mentionné, comme ici Geneveis, en compagnie de Mont-Joux et de Mont-Cenis. J’ai supposé que Mont-Jarnes était l’ensemble de montagnes connu sous le nom collectif de Mont-Genèvre ; cette supposition peut s’appliquer ici.
- ↑ Voy. § 582.
- ↑ Saint Léonard de Limoges, à cause de certaines circonstances de sa vie (qu’on peut lire p. ex. dans la Légende dorée) était invoqué pour obtenir la délivrance des captifs ; voy. le R. P. Cahier, Caractéristiques des saints dans l’art populaire (Paris, 1867), aux mots captifs et chaînes.
- ↑ C’est-à-dire son prisonnier.
- ↑ Je traduis d’après L. (E les ont fait liurar), sans me dissimuler que cette leçon a peu d’autorité. La leçon d’Oxf. (E l’unt fait eschevir) et de P. (v. 7836, Elh an fah eschivier) m’embarrasse.
- ↑ Partisans de Girart ; voy. §§ 566, 581 ; Oudin, Oxf. et L, est nécessairement fautif ; il faut, comme dans P. (v. 7844) Odon.
- ↑ Il y a de plus, dans Oxf. seul, un vers qui ne se rattache nullement à ce qui précède : E Folches respondet e pres lo vin.
- ↑ Qu’à Girart et à Fouque. Oudin, s’attend bien à payer au roi une certaine somme pour l’intéresser à son sort ; voir la fin du § 605.
- ↑ Dont il a été question au § 596.
- ↑ Des places qu’ils avaient en garde.
- ↑ Voy. § 607. C’était, au moyen âge, l’usage de tuer, ou au moins de mutiler, ceux des prisonniers qui n’étaient pas en état de payer rançon, et notamment les sergents (ancien français serjanz et servanz). On peut citer à ce propos une tenson composée au commencement du xiiie siècle, et qui roule sur la question de savoir lequel est le pis, d’être jongleur et d’être sirven : « Bertran », dit l’un des interlocuteurs, « le métier de sirven ne me plaît pas, car on le coupe en morceaux, on lui arrache les yeux, on le brûle, on le pend, tandis que les jongleurs fréquentent les barons et les gens aimables... » (Mahn, Gedichte der Troubadours, n° 594 ; cf. Romania, X, 263). Voir aussi ci-dessus, 122, et la chanson de la croisade albigeoise, vv. 3270-2.
- ↑ Ici s’arrête le ms. de Londres.
- ↑ Voir cependant p. 260, n. 1.
- ↑ Aupais.
- ↑ La distribution du dialogue est incertaine ; le texte même d’Oxf. n’est pas très sûr. P., étant à cet endroit (vv. 7873-8) endommagé, n’est d’aucun secours.
- ↑ On a vu plus haut, p. 35, note 5, qu’il était d’usage d’accueillir par un baiser les personnes qu’on recevait.
- ↑ Ci-dessus, § 578.
- ↑ Argonne ? Mais plus haut, § 566, il y a Arton.
- ↑ Cf. § 582.
- ↑ Mais c’est la reine, et non Aupais, qui en a décidé ainsi ; voy. § 600.
- ↑ Girart et les siens.
- ↑ On coupait les cheveux très courts aux fous ; voy. Du Cange, capillorum detonsio, II, 137 c.
- ↑ Cf. plus haut, § 602.
- ↑ Leçon de P. (v. 7925) ; Oxf. : « qui nous a tenus pour vils ».
- ↑ Lieux fortifiés ; voy. Du Cange, firmitas, 4.
- ↑ Girart et Fouque.
- ↑ Il y a simplement dans P. (v. 7935-6) : « Prends conseil selon ta volonté, et que tous les méfaits soient pardonnes [des deux parts] ». Pour ces deux vers il y en a huit dans Oxf. qui n’offrent pas un sens parfaitement suivi. On voit toutefois que l’évêque exprime ici en gros les idées qui ont été exprimées au § 588 par la reine.
- ↑ On verra plus loin (§ 620), dans quelles circonstances périt le second
fils ; quant au premier, qui mourut petit, il paraît y avoir ici un
souvenir d’un fait constaté par l’épitaphe du jeune Thierri, fils de
Girart de Roussillon. On lit dans cette inscription, autrefois placée
dans l’église de Polhières, et dont un fragment existe encore à la bibliothèque
de Châtillon-sur-Seine :
Theodricum innocuum retinet hic urna sepultum
Quem dura ex ipsis mors tulit uberibus....
Germine præclaro claris natalibus ortus
Vix anai unius transierat spatiam.
(Gérard de Roussillon, Lyon, 1856 [éd. A. de Terrebasse], p. xxxv.)La légende latine fait aussi mention de deux enfants, le premier appelé Thierry, comme dans l’épitaphe à laquelle cette notion est probablement empruntée ; le second, qui était une fille et non comme dans le poëme un fils, s’appelait Eve ; voy. Romania, VII, 190.
- ↑ Comme son grand-père, Thierri le duc d’Ascane.
- ↑ C’était, dans les grandes familles, l’usage d’envoyer les enfants à leurs futurs parrains pour être tenus sur les fonts ; voy., par ex., Daurel et Beton (Société des anciens textes français. 1880), vv. 277-8.
- ↑ Ces paroles ne sont pas très claires. La reine revient, si j’entends bien, sur une idée qu’elle a déjà insinuée, § 588, à savoir que Girart, ayant un enfant, rentrera en possession de sa terre héréditaire. Jusqu’à ce moment, en effet, il n’a que le douaire de sa femme (§ 553) : sa terre propre, la Bourgogne, saisie par le roi, s’est révoltée contre l’autorité du roi (§§ 596, 602) et n’appartient ni au roi ni à Girart. L’idée de la reine serait donc que cette terre reviendra à l’enfant nouveau-né de Girart, et que, en attendant la majorité de cet enfant, le roi aura la terre en bail. Par suite, les trente mille boucliers (c’est-à-dire chevaliers) qui en dépendent seront en sa commande.
- ↑ Le duc Thierri d’Ascane.
- ↑ Le fils de la reine.
- ↑ J’interprète plutôt que je ne traduis. Les deux mss. diffèrent, et aucune des deux leçons n’est claire.
- ↑ Fouque a blessé Oudin au bras ; voy. § 582 et 605.
- ↑ Je suppose que le sujet est « Notre Seigneur », parce qu’on ne peut guère supposer un autre sujet pour la première phrase du § suivant. Autrement, on serait tenté de corriger dans Oxf. El[a] trames... « Elle (la reine), avertie par une vision, envoya ... » P. (v. 8004) Lhi enviet confirme le sens que j’adopte.
- ↑ Il y a ici un souvenir du récit de la translation du corps de sainte Marie-Madeleine à Vezelai. Sur ce récit, voy. Romania, VII, 231-5.
- ↑ Le comte Girard et sa femme.
- ↑ La découverte de trésors cachés sous terre était, au moyen âge, un événement assez fréquent pour que la législation l’eût prévu. De nombreux textes (voy. Du Cange, thesaurus) spécifient que les trouvailles de ce genre doivent revenir au seigneur. On sait que c’est à la suite d’une querelle sur la possession d’un trésor découvert dans les terres du vicomte de Limoges que Richard-Cœur-de-Lion assiégea Chalus, où il trouva la mort. Sur la recherche des trésors pendant le moyen âge, on peut voir un mémoire de Th. Wright, dans ses Essays on archæological subjects (Londres, 1861) I, 268 et suiv.
- ↑ C’est le terme de droit pour désigner un trésor découvert ; voy. Du Cange, fortuna.
- ↑ L’amphithéâtre d’Autun, qui était de dimensions considérables, était déjà en ruines, lorsqu’il fut en partie rasé lors de la construction de la route de Moulins à Bâle, il y a plus d’un siècle. Ce qui reste de ses substructions est maintenant recouvert par des terres en culture ; voy. Autun archéologique, par les secrétaires de la Société éduenne et de la commission des antiquités d’Autun. Autun, 1848, in-8°, p. 150.
- ↑ Est-ce le Rhin, comme dans la chanson des Saxons de Jean Bodel (éd. Fr. Michel, I, 90 et suiv.) ?
- ↑ C’est-à-dire un trésor remontant à l’époque gallo-romaine.
- ↑ Le duc Girart.
- ↑ Ce nom, qui paraît déjà au § 596, a probablement été emprunté au récit de la translation de sainte Marie-Madeleine, (voy. ci-dessus, p. 286, n. 6) où Badilon est le moine chargé d’enlever subrepticement le corps de la sainte.
- ↑ Le père de Girart.
- ↑ Molt bon dans les deux mss. Est-ce une simple cheville ? On va voir que ce parti consiste à faire la guerre à Girart. Il serait bien étrange que l’auteur approuvât une guerre déclarée sans motif et à contre-cœur par le roi à Girart. À la rigueur, on pourrait admettre que le molt bon se rapportât aux résultats de cette expédition, résultats qui seront, comme on le verra plus loin, favorables à Girart ; mais une telle interprétation serait peu naturelle. Il vaut peut-être mieux supposer, bien que ce soit une hypothèse hardie, que les deux textes sont corrompus et qu’au lieu de molt bo il faut quelque chose comme felon.
- ↑ Je rends comme je puis la locution per acheison.
- ↑ Girart.
- ↑ « Vingt mille chevaliers », selon P. (v. 8068).
- ↑ « Dix mille » P. (v. 8009).
- ↑ Au sens ancien : la partie de la plaine qui avoisine un cours d’eau.
- ↑ Sur Seine.
- ↑ Mot à mot « le marché », c’est-à-dire des vivres à vendre.
- ↑ « Un œuf couvé » P. (v. 8089). Les michelats étaient une monnaie byzantine ; voy. Du Cange, michaelitæ.
- ↑ On ne voit pas bien à quel épisode de la vie de Girart l’auteur veut faire allusion ; ces paroles se rapporteraient assez mal au temps où Girart, retiré du monde, accomplissait sa pénitence. On peut croire que l’auteur n’a pas d’autre but que de justifier par le mouvement d’orgueil qu’il prête à Girart, le malheur qui va lui arriver.
- ↑ Le second des deux fils mentionnés au § 608, le premier étant mort en bas âge.
- ↑ Maintenant Reynel, Haute-Marne, arrondissement Chaumont, canton d’Andelot. Plusieurs des seigneurs de Reynel sont connus ; cf. Longnon, Livre des vassaux, pp. 274-5.
- ↑ Encore un exemple de serf élevé au-dessus de sa condition originaire, et payant son maître d’ingratitude ; cf. p. 28, n. 2.
- ↑ Je traduis littéralement, mais il faut convenir que le texte est rédigé avec une bien grande négligence : car l’état de guerre existe déjà, et Girart ne fait que se défendre. D’ailleurs on ne voit pas bien comment le cours de la guerre sera arrêté par la mort du jeune enfant.
- ↑ Treiz abeïes, Oxf. Ce pourrait être « treize, » d’autant plus qu’il y a vint dans P. (v. 8206).
- ↑ « Dix, » selon P. (v. 8207).
- ↑ Sorte de petit cor.
- ↑ Leçon de P. (Yslei, v. 8214), Oxf. Chastel ; cf. § 632. Il s’agit vraisemblablement d’Isle-Aumont, cant. de Bouilly (Aube), où se trouvait anciennement un château-fort. Ce lieu, sur lequel on a des témoignages depuis le viiie siècle (voy. le Dict. topogr. de l’Aube, de MM. Boutiot et Socard), est situé sur la rive gauche de la Seine, à une dizaine de kilomètres au sud de Troyes.
- ↑ Oxf. Granz efors prent justize e pais lo prat ; au lieu de prent, il y a vens dans P. (v. 8223). Deux proverbes sont ici réunis : 1° « Force passe droit, » Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 300 ; 2° « La force paît le pré, » proverbe très répandu au moyen âge, où force signifie à l’origine forfex, sorte de grands ciseaux avec lesquels on tondait les prés, voy. les textes que j’ai cités à ce propos. Revue critique, 1868, II, 319, auxquels on peut ajouter les contes en latin rapportés par E. du Méril, Poésies inédites du moyen âge (1854), pp. 154 et 452. Mais, de bonne heure, on confondit « force » venant de forficem, avec « force » signifiant vis, et dès le commencement du xiiie siècle, sinon plus tôt, on trouve le proverbe « la force paît le pré » traduit par vis pascit pratum (voy. mes rapports, dans les Archives des missions, 2e série, V, 177, ou p. 173 du tiré à part). La même confusion a amené ici la fusion des deux proverbes « force passe droit » et « force paît le pré ».
- ↑ Dans P. seul (v. 8229).
- ↑ Dans leur mouvement de retraite.
- ↑ Fouque ne fait nullement le roi prisonnier : il le fait échapper en lui donnant son cheval. Il se comporte à son égard comme aurait pu faire un de ses vassaux. Il est en effet de droit que le vassal est tenu, « s’il trouve son seignor en besoin d’armes, a pié entre ses ennemis... de faire son loial pooir de remonter le et de rejeter le de celui peril. Et, se il autrement ne le puet faire, il doit doner son cheval ou sa beste sur quoi il chevauche, se il la requiert, et aidier a le metre sus et aidier le a son pooir a son cors sauver ». (Assises de Jérusalem, ch. 197, cité par Du Cange, III, 287 b.) Les légendes ont conservé maint exemple de ce dévouement ; voy., par ex., Charroi de Nîmes dans mon Choix d’anciens textes, p. 251, et dans les Archives des missions, 3e série, I (1873), p. 557, l’analyse faite par M. Neubauer d’un récit rabbinique, où on voit un juif sauvant, au prix de sa vie, le roi Charles (Charlemagne ?) devant Narbonne, en lui donnant son cheval.
- ↑ Que raubes crotz, P. (v. 8245) ; si la leçon est correcte, il faut probablement entendre par cette expression le pillage des monastères auquel s’était livrée jadis l’armée de Girart dans la dernière guerre contre Charles, voy. § 415. Mais la leçon de P. n’est pas très sûre. Il y a dans Oxf. ces mots dont le sens m’échappe : qui raube escrost.
- ↑ Tuteletes, Oxf., le vers manque dans P. Je suppose que c’est un diminutif féminin de tudel, tuyau.
- ↑ Lonc l’aigue esmetes ; je ne suis pas sûr du sens. Je ne vois pas le moyen de faire cadrer cet ordre avec ce qui suit.
- ↑ Dans la ville de Troyes ? Cf. le début du § 630.
- ↑ On ne dit pas où. Le texte est incertain. Girart se dispose à occuper Troyes.
- ↑ On a vu, au § 608, que le roi était le parrain du fils de Fouque,
- ↑ C’était une façon de reprocher à Fouque ses sentiments pacifiques.
- ↑ S’adressant à Fouque.
- ↑ C’est sans doute Fouque qui parie ainsi.
- ↑ De Bres, P. (v. 8297.)
- ↑ D’après P. (v. 8305). Le sens est douteux.
- ↑ Sans doute comme otages ou garants de la paix.
- ↑ Girart et Fouque.
- ↑ Allusion à la délivrance du roi, § 625.
- ↑ Traduction très incertaine.
- ↑ Le roi considère sa défaite (§ 624) comme le résultat d’un guet-apens.
- ↑ L’ost de Girart.
- ↑ Oxf. Islel ; P. (v. 8325) Eslem, cf. § 624.
- ↑ Girart ; voy. ci-dessus, § 616.
- ↑ Voy. p. 11, n. 1.
- ↑ Voy. p. 186, n. 4.
- ↑ Mot à mot, « son juge », mais vicarius a ce sens.
- ↑ Pour leurs âmes.
- ↑ Detor, ceux qui se portent caution d’un emprunteur.
- ↑ Il est inutile de faire ressortir l’absurdité de ces chiffres.
- ↑ Voy. p. 225, n, 6, et p. 266, n. 2.
- ↑ Je traduis littéralement, sans bien comprendre ; l’auteur veut-il dire que ce nom s’appliquait mal, ou que c’était un surnom impliquant une idée défavorable ? Ce passage est en tout cas fort digne d’attention parce qu’il nous montre le nom de Charles Martel appliqué à deux personnages différents : celui à qui la tradition a conservé ce nom, et Charles le Chauve.
- ↑ Traduction douteuse. Le vers manque dans P.
- ↑ Moutiers fondés par le souverain et exempts de la juridiction épiscopale. Les abbés en étaient nommés par le roi ; voy. Du Cange, monasteria regalia.
- ↑ Girart et Fouque.
- ↑ Pour être enrôlés.
- ↑ En la reion que je traduis par « dans le pays », n’est guère qu’une cheville. L’auteur cependant peut avoir voulu faire allusion, sans s’expliquer avec assez de clarté, à une répartition du contingent établie pour tout le pays, c’est-à-dire pour toutes les seigneuries relevant du roi. Les mêmes idées vont être exprimées plus nettement à la tirade suivante. Il y a ici une tentative remarquable à l’effet de constituer une armée à peu près permanente, tous les seigneurs étant tenus de fournir la liste, la montre, des hommes d’armes qu’ils pourraient, en cas de besoin, mener à leur suite.
- ↑ Des hommes d’armes.
- ↑ Idée qui a été plus d’une fois exprimée au moyen âge : voy. Daurel et Beton, p. xc.
- ↑ Tenir au sens féodal.
- ↑ Des chevaliers.
- ↑ Par Aupais, fille de Thierri d’Ascane.
- ↑ Voir ci-après, §§ 657-9.