Girart de Roussillon (Manuscrit d’Oxford) avec traduction Paul Meyer - 10

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10. Girart entre en religion

640.Cum girarz fu annaz li conſ en france
E la conteſſe part de ſa peſance
Por larme de ſon fil fet gant enprance
De ſon auer donat e ſa ſubſtance
9525Poiſ uait a uerzelai bone eſperance
La ſainte magdalaine u a fiance
Fait ſon moſteir funder quā pot lenāce

640. Quand Girart fut allé en France, la comtesse fit trêve à sa douleur : pour l’âme de son fils[1], elle se mit à donner largement de son avoir. Puis, pleine d’espérance, elle se rendit à Vezelai. Elle fonda un moutier en l’honneur de sainte Madeleine en qui elle se fiait, et l’enrichit le plus qu’elle put.

641.Quant la conteſſe uait a uerſelai
La paubre gent del ren por li ſi trai
9530Por la gant caritat e bien que fai
Que dex grat ſon ſegnor lai u ſen uai
E cel qui bien conoiſt ſon cor uerai
Li monſtret ꝑ ſamblant que ne ſeſmai
Damar lui e ſeruir quar molt li plai

641. Lorsque la comtesse fut venue à Vezelai, la pauvre gent du royaume s’y rendit, à cause des grandes charités qu’elle accomplit afin que Dieu protège son époux, où qu’il soit. Et celui[2] qui connaît la pureté de son cœur lui montra par des signes apparents qu’elle n’avait pas à se décourager de l’aimer et de le servir, car il lui en savait gré.

9535642.Jſte donne non ame ome qui ment
Por coueitat dauer de iugement
E non cheuauge ginſ a celement
Abanz lo fait ſaber dum meiſ uertent
f. 165vQue uienent au chemin li paubre gent
9540E ele dert ſeſ olſ uerſ deu ſouent
Qui li done lauer quele lor rent
E uint a uerzelai aiqui deſcent
La nuit ſonget un ſonge en ſon durmēt
Que uit un ſatanas ſamblant ſerpent
9545Qui de ſon mau uenī loc de piument
La uolie abeurar qānt li deſcent
Li grant uertuz deſ ciel qui len defent
O deman o contet monge garſent

642. Cette dame était l’ennemie de tout homme qui, par cupidité, rend un faux jugement. Elle ne chevauchait pas en cachette, mais, un mois d’avance, elle faisait connaître son intention, de sorte que les pauvres gens venaient se placer sur son chemin. Et elle levait souvent ses yeux vers Dieu, le priant de lui tenir compte des aumônes qu’elle leur faisait. Elle descendit à Vezelai. La nuit, en son sommeil, elle songea qu’elle voyait un diable en forme de serpent qui lui voulait faire boire de son venin, comme si c’eût été du piment[3], quand la puissance céleste vint l’en défendre. Le lendemain, elle conta ce songe au moine Garcen.

643.Monge augaz mon ſonge de qel pot meure
9550Qua ueu ian ſatan ſamblant coloure
Ki de ſon mal uenim me tēptat ſoure
Quem uolie abeurar en uas de coure
Quant de deuerſ lo cel preſt māne ploure
E lo ſatan ſen fuit de ſoz un roure
9555Donne quar la maneſt iſte ſainte oure
E lo gant ben que fas a ca gent poure
Deuſ te gart ki te pot liar e ſolure

613. « Moine, écoutez mon songe ; d’où peut-il venir ? J’ai vu un diable sous la forme d’une couleuvre qui cherchait à me faire périr par son mauvais venin, voulant me faire boire dans un vase de cuivre[4], lorsque du ciel il commença à pleuvoir de la manne. Aussitôt le serpent s’enfuit sous un chêne. — Dame, c’est qu’il est affligé de l’œuvre sainte que tu as entreprise, et du grand bien que tu fais aux pauvres. Dieu te protège, qui peut lier et délier ! »

644.Quant ot dat caritat gent pauberine
Pan e char e deners uin e ferine
9560Si ſen uai aſ oures doure caucine
En lumbre dum laurer a la racine
Sen uait o garſende e aibeline
Auent un romi ourre ne fine
Porte peire u morter u aige a tine
9565Eu iaz iqueſt romi don aſceline
Adeſ lo uei a meſſe u a matine
E pui obre tot ior de grant corine
f. 166rDonne en une maiſon uielle qui cline
Car ne uuel herberiar en ma perine
9570Maiſ ab une contrade molt meſerine
E ceſt de ſon gaaig paſt la frarine
Nen i a dras ne lit que ſesclauime
E non parlerai ui a la reine
Entroſ que lor es que lobre fine

644. Après avoir donné la charité aux malheureux, du pain, de la viande, de la venaison, des deniers, elle se rend à la construction. Elle se tient à l’ombre d’un laurier, avec elle Garcen et Aibeline. Elle vit un pèlerin qui ne cessait de travailler, portant de la pierre, du mortier, de l’eau dans des baquets. « Où loge ce pèlerin, dame Aibeline[5] ? Je le vois constamment à matines ou à la messe, puis toute la journée il travaille de grand cœur. — Dame, en une vieille maison branlante, car il ne veut pas loger dans ma maison de pierre. Il est avec une boiteuse très misérable, qu’il entretient avec son gain. Il n’a ni draps, ni lit, mais simplement son esclavine ; et il ne parlerait pas actuellement à la reine, jusqu’à tant que l’heure soit arrivée où le travail cesse. »

9575645.La conteſſe le mande dobre laiſſant
E qant lo ueit uenir drecet enant
E trai[ſ] lab une part diſt ſon talant
Segner car ames deu e il tei tant
Dirai tei mon conſel que uaiſ cerchant
9580Eu uoil portar od tei al ne demant
Aige peire u ſablon u pauc u grant
Eu dirai ſi tu uol aur ne beſant
Donne ne uuel auer por rien qindant
Segner e tu el fai por deu lo grant
9585E por ſa mazelaine cui aimes tant
E eu por ſoe amor faz ton comant
Maiſ dies a qual ore e cum e quant
Denant la mie nuit anz quel ialſ cant
Menrai mon capellan un ueil ferrant

645. La comtesse le mande au moment où il quitte l’ouvrage, et, quand elle le voit venir, elle se lève, le tire à part, et lui dit sa pensée : « Sire, puisque tu aimes Dieu et qu’il t’aime aussi, je te dirai ce que j’ai résolu de faire. Je veux porter avec toi, aux fondements, de l’eau, des pierres, du sable, peu ou prou. Je te donnerai, si tu veux, de l’or et de l’argent. — Dame, je ne veux rien recevoir. — Sire, fais le[6] pour Dieu le grand et pour sa Madeleine que tu aimes tant. — Eh bien ! pour l’amour d’elle, je ferai ce que tu me demandes. Mais dis-moi à quelle heure, comment et quand ? — Demain, à minuit, avant le chant du coq. Je mènerai mon chapelain, un vieillard aux cheveux gris. »

9590646.Ere ferant iſſi cum lunt enpres
Aportent ten ſablon daual u es
Sobrū tinal en ſac qant li ont mes
E ſi lunt ia tengunt bien preſ dū mes
Troc uient unſ meſſages qel dus trames
9595Que li mandat del plait que bien eſt pres
O lui len meine en france tam laime el res
f. 166vE la conteſſe en rent a deu marces

646. Ils firent ainsi qu’il était convenu. Ils montent le sable du bas[7] où il se trouve, le portant en sac avec une perche[8]. Ils avaient déjà fait ce métier pendant près d’un mois, quand vint un messager envoyé par Girart pour annoncer à la comtesse qu’il n’a qu’à se louer de l’accord ; que le roi, plein d’affection pour lui, l’emmène en France. La comtesse en rend grâces à Dieu.

647.Aiquel meſſages ac nom atains
Camb’lenc ſers au duc e toz ſeſ lins
9600La nuit iac en la cambre a deuſ conſins
Lunſ ot nom bauduinſ laute creſpins
La conteſſe leuet cant ſoirſ fun prins
Atainſ preſ lo cerge quin fu aizins
Deualat denant lui ꝑ graz marbrins
9605Lai fu li capelanz el pelegrins
Tornaz uoſ anarere belz amis
E durmez aſegur troſquar matins
Car ne uoil ca me ſace om ne ueizins
E li garz ſen tornat irat enclins

9610Demadet coſinet e bauduins
Li cuntet quen refut toz fel e gi[n]s
Cū caſque nuit len maine unſ hon tapīs
E quident i tau rien qui noi eſt gins

647. Ce messager avait nom Ataïn ; il était, à titre héréditaire, chambellan du duc. La nuit, il coucha dans la chambre[9] avec deux de ses cousins, nommés l’un Baudouin, l’autre Crépin. La comtesse se leva pendant la nuit. Ataïn prit le cierge qui était à sa portée, et descendit devant elle par les degrés de marbre. Là étaient le chapelain et le pèlerin. « Allez-vous en, bel ami[10], et dormez tranquillement jusqu’au matin, car je ne veux pas que personne me sache ici. » Le gars[11] s’en retourna, de mauvaise humeur, la tête basse. Il appela Crépin et Baudouin, et leur conta avec malveillance comment chaque nuit un homme emmenait en secret la comtesse, et ils s’imaginèrent ce qui n’était pas.

648.Quant ſe dol del trauail puiſ ot matine
9615Apreſ ſe uait durmir ſoz ſa cortine
Atainſ lai ſeruit qui ſen aizine
E quant la uit colchade el lit ſouine
E fu en ſa chemiſe doliat de line
E a gente façon e color fine
9620Ot tan blanche la car cū flor deſpine
Li gars poſet ſe man ſor ſa poitrine
E uol baillar ſon cors e ſa cetine
E baiſar en la boche qant lagratine
Mar ou uoſ ou penſaſtes gras de cuiſine
9625Eu me gabaue donne queſ pelegrine
f. 167rAqui romeu de loin iaz ſor leſchin⁎e
Ele apela garſent e aibeline
Oſtaz mei iſ gloton qui mataine

648. La comtesse, ayant assez travaillé, entendit les matines, puis alla dormir sous ses rideaux. Ataïn fut là de service et s’acquitta de ses fonctions. Quand il vit la dame couchée, étendue dans le lit, n’ayant que sa chemise de fine toile — elle avait une figure agréable, un teint délicat, et la peau blanche comme fleur d’épine[12], — il lui mit, le gars, la main sur la poitrine, et commençait déjà à lui manier le corps et les seins, et à la baiser sur la bouche, quand elle l’égratigna. « Il vous en coûtera cher (dit-elle), garçon de cuisine ! — C’était pour jouer, dame pèlerine. Le pèlerin dort plus loin, couché sur le dos ». Elle appela Garcen et Aibeline, leur disant : « Débarrassez-moi de cette brute qui m’énerve. »

649.E li garz orguelloz anc a eſprendre
9630Eu nō ſai de midonne ꝑ qe mi fendre
Maiſ uail en quel romeus cui uait ſoentre
Por que uaſ a tal ore ce fai entendre
Fel gars a uos que nai razon a rendre
Sen paraules ia mais ferai te pendre
9635E li garz ꝑ degraz anc a deſcendre
E uait a ſon oſtal ſeſpade cendre
E monte en ſon cheual e uai aprendre
Girart lo duc tauſ noues dūt degeſt pendre
Que felnie e mencoinge li fai entendre

649. L’impudent gars répondit alors : « Je ne sais pourquoi, à cause de Madame, je feindrais : je vaux mieux que le pèlerin avec qui elle va. Pourquoi sort-elle à une telle heure ? Voilà ce que je voudrais savoir. — Vil gars, est-ce que j’ai à vous en rendre compte ? Si tu en dis un mot de plus, je te ferai pendre. » Et le garçon descend les degrés, va à son hôtel ceindre son épée, monte à cheval et court faire au duc Girart des rapports pour lesquels il eût mérité la pendaison, car c’est la perversité et le mensonge qui l’inspirent.

9640650.Le duc a encontrat qui repairet.
E trait la un conſeil e li contet
Grant mencoinge ꝑ uer ſi cū quidet
E li conſ qant laui molt li peſet
Per un petit od lui ne ſiraſquet
9645Se co mencoinge me dez dex t⁎ deuet
Que eu me merueil molt ſain ſou penſet

650. Il rencontra le duc qui rentrait ; il le prit à part et lui conta pour vérité un grand mensonge. Le comte l’ouït ; il en fut fort affligé. Pour un peu, il se serait emporté contre le messager. « Si c’est un mensonge que tu me dis, que Dieu te protège ! » dit-il, « car je suis bien étonné qu’elle ait conçu une telle pensée !

651.Segner ſobre un romi a meſ ſon ſort
La nuit ſen uait od lui qant la ganz dort
Aual ſoz le caſtel u ſunt li or⁎t
9650Non uuel de mon ſeruent noueſ maport
Que ſe uient au prouar dūt ſe deſcort
Seu nel te puiſ moſtrar dunt ai tort
Abanz en deiz murir de male mort
E li conſ qant laui peſa tant fort
9655f. 167vQuainſ maiſ noueſ naui ſil deſconcort
Quil ne manga la nuit puiſ uen e dort

651 — Sire, elle a jeté son dévolu sur un pèlerin. La nuit, elle sort avec lui quand le monde dort, en bas du château, où sont les jardins. — Je ne veux pas que mon serviteur m’apporte des nouvelles qui, à l’examen, se trouvent fausses. — Si je ne puis prouver mon dire, alors j’ai tort et je consens à mourir dans les tourments. » Lorsque le comte entendit ces paroles, il en fut si affligé, que jamais aucune nouvelle ne l’avait déconcerté à ce point. Il ne mangea de la journée et la nuit ne put dormir.

652.Matint leuet girarz cainc ne fu lenç
Quainc cheuauchet e diſt entre ſeſ dēç
Ai conteſſe amie bons cors e genç
9660E adreiz e corteis e ſapienç
Humiles amors e dolces e couinenç

En qual trabail eſteit li tiens iouenç
E en grant paubretat ꝑ mei lonc tenç
Ainc ne me reprocaz toz ris parenç
9665Ainſ me fus conſelleis bons e ſiruenç
De paubretat me traiſt li tonſ porpēç
E tornat en honor toſ eſcienç
E ſauc lo te penſeſt u fu tes ſenç
Ja deuſ nen ait marcet diceleſ genç
9670Qi meſclent bons amis e bien uoillenç
Que tun ꝑdraſ leſ ols ſe tu nen penç
Andicaſ lapelet queſt ſapienç
Segner dunt ē uengut aiciz tormenç
Que ca caire [teſt] troble cū airemenç
9675Apele bedelon e toſ parenç
Qui tunt a conſeillar ſe tu conſenç
Segner ke uoſ dirie ia ſui ſoffrenç

652. Girart se leva le matin, sans perdre de temps. Tandis qu’il chevauchait, il disait entre ses dents : « Ah ! comtesse amie, belle personne, intelligente, courtoise et sage, simple, affectueuse, douce, bien élevée, en quelles peines s’est passée ta jeunesse. À cause de moi, tu as vécu longtemps en grande pauvreté, et jamais tu ne m’as rappelé ta riche parenté, mais tu m’as conseillé et servi loyalement. C’est ton intelligence qui m’a tiré de la misère, ta sagesse qui m’a rendu mon rang. Et, si jamais tu as pu concevoir une idée pareille, où avais-tu l’esprit ? Que Dieu maudisse ces gens qui brouillent ceux qui s’aiment. Tu[13] en auras les yeux arrachés, ou tu seras pendu ! » Andicas, qui était homme sage, lui dit : « Sire, d’où vous vient ce tourment ? Vous avez la figure noire comme de l’encre[14]. Appelez Bedelon et vos parents, qui vous conseilleront, si vous le voulez bien. — Sire, que vous dirais-je ? J’ai de la peine[15].

653.Segner conſ diſt bedeleſ m̄tir nō quer
Trop aſ ſenz de iouent e cor leger
9680Qant tu creiz a garſon de ta muillier
Dirai uos que contet ele lautrer
Qant de ſainte ſufie fiſt reis moſter
Si defendie la gent de ſon enper
f. 168rE de coſtantinoble a toz lor quer
9685Que unſ nen i meſeſt uaillant dener
Mais une pauble fēme na deſier
De coſdre e de filar de ſon meſter
De ſon paubre gaaing qua dreiturer
En cōpraue de lerbe que li ſōmer
9690Maniauent qant ſeſtauent deſoz lōbrer
La nuit qant gent durmie a ſon bocler
Aportaue del aigue ſobre el morter
Quant moſters fu baſtiz e li clocer
El reiſ ot mes aueir grant e plener
9695Si demandet a deu la uertader
Qual gueredon nauri e cum ſobrer
E deus co li mandat per meſſagier
Quel paubre fēme aura maior loger
Que lo reis por lo don de ſon or mer
9700E en ico midonne ſon conſier

653. — Sire comte, » dit Bedelon, « je ne veux pas vous cacher la vérité : vous avez trop le sens d’un jeune homme et le cœur léger, quand vous vous en fiez à un gars au sujet de votre femme. Je vous dirai ce qu’elle m’a conté l’autre jour. Lorsque le roi fonda le moutier Sainte-Sophie, il interdit au peuple de son empire et de Constantinople de contribuer à la dépense, ne fût-ce que pour un denier[16]. Mais une pauvre femme en eut le désir. Avec le pauvre gain qu’elle se procurait légitimement par son métier, en cousant, en filant, elle achetait de l’herbe pour donner à manger aux bêtes de somme[17], tandis qu’elles se reposaient à l’ombre. La nuit, tandis que tout le monde dormait, elle apportait en un vase de l’eau pour mettre sur le mortier. Quand le moutier fut bâti avec ses clochers, le roi, qui y avait mis des sommes immenses, demanda à Dieu le véridique quelle récompense il en aurait. Et Dieu lui fit savoir par messager que la pauvre femme aurait meilleure récompense que le roi, malgré tout l’or qu’il avait dépensé, et c’est à cela que Madame a eu égard[18].

654.E ai ueu moſter ſainte sufie
Eu ne quit quanc tauſ fuſt ne iamaiſ ſie
Aico eſt nunſ de deu u om ſe fie
Quant ot dit la paraule il lunt oie
9705El lo conſ a ſomel quant fu fenie
E deſcent e durmit en lerbe trie
E ſonget que contet qant ſe raſſie
Montet el palefrei diſt lor par uie

654. « J’ai vu le moutier Sainte-Sophie, et je ne crois pas qu’il y ait jamais eu, et que jamais il y ait le pareil[19]. C’est un nom divin qu’on invoque[20]. » Ce discours fini, le comte se sentit envie de dormir. Il mit pied à terre et dormit sur l’herbe. Pendant son sommeil, il eut un songe. S’étant éveillé, il monta sur son palefroi et dit : « En route !

655.Fai uos enant diſ el mi dui amin
9710Dirai uos quai ſongat iceſt matin
Que la conteſſe ui ſoz un uert pin
Si ueſtiment tant blanc cū parchemin
f. 168vE plus couert de flors dun aube eſpin

E tenie un calice de mer or fin
9715A quei mabeura manures daqel ſaint uin
Que dex feſt daigue aſ noces archeteclin
Segner aico eſt biens co te deuin
Grant ioi te naiſt de li deus tu deſtin
Vn pau le fant diſnar laz un ſaucin
9720De paſtat de poiſſon e de polcin
Hui mais di al meſſage de lui taiſin

655. « Avancez, mes deux amis[21], » dit-il, « je vous conterai le songe que je viens d’avoir. Je voyais la comtesse sous un pin ; ses vêtements étaient blancs comme parchemin, et plus couverts de fleurs qu’une aubépine. Elle tenait un calice d’or épuré avec lequel elle me faisait boire de ce saint vin que Dieu fit avec de l’eau aux noces d’Architeclin[22]. — Sire, c’est bon signe, je te le prédis ; par elle il te viendra une grande joie que Dieu te destine[23]. » Ils lui font manger, près d’une saussaie, un peu de pâté de poisson et de poulet ; puis Girart fit venir le messager.

656.Atam apela li conſ girarz
Diua coment iras e de quaus parz
Segner nō meneraſ maiſ ke tei quarz
9725E ſai annar ta genz uers ſeneſgarz
El lo fait e deſcent en unſ aiſſarz
Troſ uient la nuit eſcure qi tot eſgarz
Sor lo caſtel deſcent en mi unſ iarz
Atacent lor cheuauſ lonſ e eſparz
9730Aiciſt garz ere ris ui de mil marz
E el deman non ac maiſ pur eſcharz

656. Le comte Girart appela Ataïn. « Dis-moi, comment iras-tu, de quel côté ? — Sire, tu ne mèneras pas plus de trois compagnons. Fais aller ta gent du côté de Senesgart. » Girart fit ainsi ; il mit pied à terre en un défrichement jusqu’à la tombée de la nuit. Ils descendent sous le château, en un jardin ; ils attachent leurs chevaux à distance les uns des autres. Ce gars est riche aujourd’hui de mille marcs ; demain, il n’aura plus rien.

657.Li garz les en gidet a la maiſon
Que gaita no ils i ſent car nō i fun
Aiqui les fait eſtar en un crucun
9735Troſ que uint la conteſſe a clerc guiun
El romeu tient lo ſac e lo baſtun
E cil leſ uunt ſigant loiget paſſun
Troſ la conteſſe areſte en un cambun
E cil ſunt remaſu traſ un buiſſun
9740Vne clartaz pluſ ganz que de brandun
Deſcent de ſobre lor deuerſ lo trun
f. 169rVeit lo romi qui trait e met ſablun
El ſac quele li tent a geneillun
E girarz qant lo ueit molt li ſat bon
9745Apelat andicas e bedelun
Segnor molt a lo cor ma e felun
Qui creie de midonne fol ne garcun
Conſ or poz bien ueer ta uiſion
A bon dreit te doinſt deuſ confuſiun
9750Se ia chauceſ por gerre maiſ eſꝑun
Ne ferai eu diſt el deu ou pardon
E li garz ſen emblat traſ a lairon
Abanz fugit el boſ deſqua ſa maiſon

657. Le gars les conduisit jusqu’à la maison[24] sans qu’ils fussent découverts, car il n’y avait pas de sentinelle. Il les fit mettre à couvert sous une voûte, jusqu’au moment où vint la comtesse avec le clerc Gui[25]. Le pèlerin tenait le sac et le bâton. Ils les suivirent de loin. Enfin, la comtesse s’arrêta, en un champ, tandis qu’ils restaient cachés derrière un buisson. Une lueur plus vive que celle d’une torche descend du ciel sur la comtesse. Girart vit le pèlerin qui emplissait de sable le sac qu’elle lui tendait agenouillée. Girart le vit ; il en fut heureux. Il appela Andicas et Bedelon : « Seigneurs, il faudrait avoir le cœur mauvais et félon pour croire ce que peut dire sur ma femme un fou ou un gars. — Comte, tu peux bien voir se vérifier ta vision. Puisse Dieu te confondre, et ce sera justice, si jamais tu chausses éperon pour la guerre ! — Je m’en garderai bien, » dit-il, « Dieu me pardonne ! » Et le gars s’enfuit ; il aime mieux se réfugier dans les bois que dans sa maison.

658.Girarz eſtet ſei quarz en ſon agac
9755Vne clartaz deſcent ſi cū deu plac
De quei li cons el ſeu ac gant eſmac
Vit ſa muillier bertran qui tent lo ſac
Cil i met lo ſablum que traiſ del brac
E le capelan gui ſeſt quam uol iac
9760E girarz qant leſ ueit gant ioi en ac
Ni prendrez maiſ romeu colp ne ramac
Abanz ai en talant que gent uos pac

658. Girart se tenait, lui quatrième, dans sa cachette. Une lueur descendit du ciel, par la volonté divine, au grand ébahissement du comte et des siens. Il vit Berte, sa femme, qui tenait le sac, l’autre y mettait le sablon qu’il tirait du sol, et le chapelain Gui.....[26] Girart, à cette vue, fut transporté de joie : « Pèlerin, » dit-il, « vous ne serez pas battu pour cela ; au contraire, je compte bien vous donner bonne récompense. »

659.Li ſabluns fu peſanz e gans li ſas
Cele le tient pres de ſei e uai detras
9765E la conteſſe enant lo petit pas

Del pie deſtre marchat denant ſoſ dras
E chiet la donne adenz en terre bas
Li tinauſ en eſtant tot dreit remas
A fel car le ſocore dis andicas
9770Girarz lai uait corant e diſt cui las
f. 169vAi conteſſe amie cum bon cor as
E eu mal e felun e ſatanas
Or aſ tot cauiaire eca frunt cas
Non ſegner deut marcet tu cum ſi uas
9775Amie diſt girarz bien ou ſauras

659. Le sablon était pesant et grand le sac. Le pèlerin le tenait contre lui et marchait derrière ; la comtesse allait devant, à petits pas. Du pied droit, elle marcha sur sa robe et tomba en avant à terre. Cependant la perche [qui supportait le sac] resta droite. « Mauvais homme, relève-la, » dit Andicas[27], Girart y courut, disant : « Misérable que je suis ! Comtesse amie, comme ton cœur est pur ! Comme le mien est mauvais, félon, diabolique ! Tu t’es abîmé le visage et le front ! — Non, sire. Dieu merci ! Et toi, comment es-tu ici ? — Amie, » dit Girart, « tu le sauras bientôt[28]. »

660.Lai ſen portar romeu car me taing
Que uuel eſtre diſt fais midon cōpaing
E parconerſ o lui diqueſt gaaing
E uos donrai aſſaz qant uos ſuffraing
9780Maniar prou e deniers e draſ e baing
Voſ ou ſegner diſ cel ſa uos remaing
Abanz ſirurai celui dunt nus ne plaing
Li conſ pres lo tinal nou de caſ aing
E la conteſſe enant nou gichiſ faing
9785Entroſ ſunt au moſter u ſonent ſaing

660. « Pèlerin, laisse-moi porter, car c’est mon affaire ; je veux en ceci tenir compagnie à ma dame, et être de moitié avec elle au gain. Je vous donnerai tout ce qui vous sera nécessaire, vivres en abondance, deniers, vêtements, bain. — Oui, sire, » dit-il, « si je reste avec vous ; mais je préfère servir celui[29] de qui nul n’a lieu de se plaindre. » Le comte prit la perche, qui était neuve et de chêne[30], et la comtesse, marchant la première, ne lâche pas son bout et se montre vaillante[31] jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au moutier où les cloches sonnent.

661.Qvar qant uit la clartat cū clar reſplant
El tinauſ cum eſteit toz entrenant
E ſi quil ne baiſſat ne tant ne quant
Dunc ot le cor pitant humeliant
9790Elle porte detras e el denant
Entroſ ſunt au moſter intrat ou uant
Li clerc en fant tot trei de lauſ un chant
Por la uertu de deu ke uirent grant
Li conſ ot le ſeruiſe qant iorſ ſeſpant

661. Girart vit cette lumière resplendissante, il vit que la perche se tenait toute droite, sans incliner ni peu ni prou. Il se sentit alors le cœur rempli de piété et d’humilité. Il soutenait la perche par derrière, elle par devant, jusqu’à ce qu’ils furent entrés au moutier. Les clercs chantèrent entre eux[32] un chant d’actions de grâces pour ce grand miracle. Le comte ouït le service au point du jour.

9795662.Li conſ ot le ſeruiſe matin e breu
En une cambre uoute blanche cū neu
En eſt intraz girarz el priuat ſeu
Conteſſe diſt li conſ bien eſ a deu
Granz uertuz fes por tei aico ui eu
9800f. 170rSegner non giuſ per mei mais ꝑ romeu
E por la mazalaine ufazanz preu
Per cui reſuſcitet deus le iudeu
Eu manderai diſ el bartolomeu
Leueſque doſteun e dan andreu
9805Per miracles eſcrire e metre en breu
La conteſſe reſpont ne place deu
Senz ueriaz de gent un ſi grant pleu
Ne uuel qui age auer fors u͞r͞e el meu
E de pur alueſ non gins de feu

662. Le comte ouït un court service le matin. Il entra, avec ses privés, en une chambre voûtée, blanche comme neige : « Comtesse, » dit le comte, « tu appartiens véritablement à Dieu : il fait pour toi de grands miracles, à ce que je vois. — Sire, non pas pour moi, mais pour le pèlerin et pour la Madeleine.....[33] pour qui Dieu ressuscita le juif[34]. — Je manderai, » dit-il, « Barthélemi, l’évêque d’Autun, et André, pour mettre par écrit les miracles [qui viennent d’avoir lieu]. — À Dieu ne plaise ! » répondit la comtesse ; « on verrait venir ici une trop grande foule. Je ne veux pas qu’il y soit employé d’autre argent que le vôtre et le mien, et en purs alleus, non pas en fiefs[35]. »

9810663.Conteſſe dirai tei cum ſui uenguz
Atainſ me contet quauies druz
E oc la mercet deu tant lai queſut
Eu le uuel diſ girarz ſe deus maiut
E me ſat bon au cor car lai ueut
9815[L]e labor de uoſ douſ e la uertut
[Q]ue deuſ noſ i tremeſt per grant ſalut
Ja maiſ ne baillerai per gerre eſcut

Fai uenir le garcon fol meſcrut
Segner diſ andicas tu laſ perdut
9820Car eu len ui fuir el bos ramut
E mandaſme lo blanc romeu chanut
Molt ſenble bien prodome apercobut
Qui del ſeruiſe deu faire noſ mut

663. — Comtesse, je te dirai comment je suis venu. Ataïn me conta que vous aviez un amant. — Oui, Dieu merci, j’en ai un : je l’ai tant cherché ! — Je le veux ainsi, » dit Girart, « si Dieu m’aide ; cela me fait bien au cœur de vous avoir vu travailler tous deux, d’avoir assisté à ce miracle que Dieu a fait pour vous par grande grâce. Jamais plus je ne porterai bouclier pour la guerre. Faites venir ce misérable garçon. — Sire, » dit Andicas, « il est perdu, car je l’ai vu s’enfuir par les bois ramus. — Amenez-moi donc le pèlerin aux cheveux blancs. Il semble bien sage et avisé, puisqu’il ne s’est pas dérangé de faire le service de Dieu. »

664.La conteſſe apelet garſant la monge
9825Donzele or puef ueer de noſtre ſonge
Anc non ueiſtez nul qui melz ſeſponge
Li ſa[tan]as eſt li garz e ſa mencoinge
Qui uol meſclar au duc e far uergoinge
f. 170vE co quil ſe mouaue quil noſ eſloinge
9830Don preiaz au romeu qua nos ſapoinge
Que deu ame de cor e non fait conge

664. Le moine Garcen s’adressa à la comtesse : « Dame, vous pouvez maintenant voir la vérification de votre songe[36]. Jamais on n’en vit aucun s’expliquer mieux. Le diable, c’est le gars plein de fausseté qui voulait vous brouiller avec le duc et vous causer de la honte, et il se sauve comme faisait le diable[37] — Don, priez au pèlerin de venir à nous, car il aime Dieu de cœur et....[38] »

665.Jntrat es li romeus e fu bien granz
La barbe les cregude el capſ ferranz
Romeus co diſt li cons faiz uos enanz
9835Per amor de midonne qui eſ amanz
Vos derai de mon aur cinc cenz beſāz
E el li reſpont don nen aurai tanz
Por mangar me dont deuſ e moſ affāz
E en terre de uie retribuanz
9840Car el eſt droiturers gerredonanz
E girarz lagardet e ſos ſemblanz
Romeuſ co diſt li conſ per uos balanz
E diſt a lautre mot tu es gintranz
Mos paranz e mos om cum ſalemanz
9845Bons parlers en ties e en romanz
E adroiz cheualers e combatanz
Per mei feſis eſtors io ne ſai quanz
E gaſtas a callun denor gran panz
Or en ſui penidenz e grauiſanz
9850Qua ne fuſ en tonor bien uint anz

665. Le pèlerin entra. Il était de haute taille ; il avait la barbe longue, la tête grise. « Pèlerin, » dit le comte, « avancez. Pour l’amour de ma dame, que vous aimez, je vous donnerai cinq cents besants de mon or. » Le pèlerin répondit : « Il ne m’en faut pas tant. Que seulement Dieu me donne de quoi manger dans ma pénitence, et la récompense dans la terre de vie, car il est juste dispensateur. » Girart examina ses traits avec attention : « Pèlerin, » lui dit-il, « j’hésite sur votre compte. « Puis il ajouta aussitôt : Tu es Guintrant[39], le comte allemand, mon parent, mon homme, habile à parler le tiois et le roman, bon et vaillant chevalier. Pour moi, tu t’es battu je ne sais combien de fois, et tu as ravagé bien des terres de Charles. — J’en suis maintenant pénitent et gémissant. — Pourquoi n’es-tu pas retourné dans ta terre depuis vingt ans ? »

666.Girarz baiſat guntrant e tent lo char
A conſeil diſ ugon e gillemar
Quereiz li a ueſtir e griſ e uar
Tan diſ anquet ſa uide a enqueſtar
9855Segner u as eſtat don oltre mar
Annem au ſaint ſepulchre au repairar
Me preſt unſ meſcrezanz qen feſt menar
f. 171rOd mil autres chaitis por afamar
A caſtels e a murs peire portar
9860Mais de quinze anz i fui nen poi tornar
Qant deuſ ſa magdalaine me fiſt liurar

666. Girart baisa Guintrant et lui fit mille caresses. Il dit à Hugues et à Guilemer : « Cherchez lui des vêtements de vair et de gris. » Puis il s’interrogea sur sa vie : « Où as-tu été ? — Sire, outre mer. J’allai au saint Sépulcre. À notre retour, un mécréant me prit qui me fit mener, avec mille autres captifs, à la peine, pour porter de la pierre à la construction de châteaux et de remparts. J’y suis resté plus de quinze ans, sans pouvoir m’échapper, quand Dieu me livra les reliques de sa Madeleine.

667.Cel qui getat ionas de la balaine
Me trameſt deliurar ſa magdalaine
Por aico ſui ſos ſerſ e faz ſa paine
9865Bien ta deus eſpirat ꝑ qua que uaine
Qant la dei herbergar eniſtun raine
E eu le laiſſerai quar nos abaine
Eu uoſ ferai ancui donor eſtraine
E contaz nos del ren dun deus tamaine

667. « Celui qui fit sortir Jonas du ventre de la baleine, me choisit pour délivrer sa Madeleine[40]. C’est pour cela que je suis son serf et travaille pour elle. Dieu t’a accordé une marque particulière de bienveillance[41], lorsqu’il a daigné lui fixer sa demeure sur ta terre. — Et je la servirai » car elle nous protège, et je compte vous concéder encore un bénéfice ; mais parle-nous du pays d’où Dieu t’amène.

9870668.Don lou conte ferie e uos enui
V conqueſ ai eſtat ere ci ſui
Voſ non partet de mei coſin poſ ui
Anz uos donrai uela lonor del pui
E dumbes e beleſ troſqua moniui
9875Ne place deu iamais quonor reuui
Mais por tant u girai en un ſarcui
Or ſert gira⁎z de cor deu e cil ſui
Por aico preſ la ſainte ab ez ſapui
Quant plora lor pechaz de la greſ mui

668. — Sire, ce serait un long conte, et qui vous ennuierait. Où que j’aie été, me voici revenu. — Vous ne me quitterez plus désormais, cousin. Je vous donnerai le fief du Pui, et Dombes et Bellei jusqu’à Mont-Joux[42]. — Ne plaise à Dieu que jamais j’ambitionne aucune terre, sinon celle qu’occupera mon cercueil ! » Maintenant Girart et les siens servent Dieu de tout cœur. S’il a pris la sainte, c’est pour qu’elle leur soit favorable, à eux qui expient leurs péchés en versant des larmes abondantes[43].

9880669.Li conſ comande aioc chaire riſent
Aportez a ueſtir a mon parent
E cil a cui ou diſt nou firent lent
Cendat e de cauſil li fant preſent
Pelicon e mantel molt bon ualent
9885E el leſ iete iuſ negun nen prent
E lo conſ en iuret ſon ſaigrement
f. 171vA ueſtir uoſ eſtuet ce uoſ couent
Coſin por deu facaz a mon talent
Que non ai maiſ ami ne bon parent
9890Quin ſache dar conſeil ric ne ualent
Fors bertran e folcon a cui ſatent
Por dreit e por iuſtiſe a paubre gent
E monors eſt tan granz ke loing porp̃nt
Quil ne poent tornar a mei ſouent
9895E uoſ non eſ meſchins de leu iouent
Qui ſe preiz ne orguel por ueſtiment
Eu ſaint bertolomeu uoſ trai garent
Qui en mult char ueſtit ſerui deu gent
Cel lo fai ſi cum uol nol len deſment

669. Le comte dit, tout souriant : « Apportez des vêtements pour ce mien parent. » Ceux à qui il donna cet ordre obéirent promptement. Ils lui[44] présentent du cendé[45], des étoffes de lin[46], une pelisse et un bon et précieux manteau. Mais il repousse tout cela, n’en voulant rien prendre. Le comte alors jura par son serment qu’il lui fallait s’en revêtir : « Cousin, » dit-il, « faites, au nom de Dieu, ce que je désire. Je n’ai plus d’amis, de bons parents qui me sachent bien conseiller, sinon Bertran et Fouque à qui la pauvre gent s’adresse pour obtenir droit et justice. Or, ma terre est si grande, s’étend si loin, qu’ils ne peuvent souvent venir à moi. Et vous n’êtes plus un jeune homme, capable de tirer vanité de son vêtement. D’ailleurs, je vous prends à témoin saint Barthélemi qui, en riches vêtements[47], servit Dieu honorablement. » Le pèlerin finit par se laisser faire.

9900670.Premiers le funt baignar e tondre e raire
E a cels dras ueſtir e leſ ſienſ traire
E ſambla bien baron de grant afaire
Girarz laſiſt lon ſei toz ſen eſclaire
Or en conſeil caſcuns al ſen uiaire
9905Eu uoſ conterai co que io uuel faire
De la honor que tieng tan deu repaire
Dunt uiurunt cinc cenz paube e mil ꝯfraire
Segner diſ andicaſ ce nen ert gaire
Auerſ le gerre grant dunt fuſ pechaire
9910Dunt cent mile ome iſſirent de lor aire
E altretant a ociſ neiſ ton paire
Maiſ poſ deuſ taime tant qel te declaire
Qui tei e ta muillier uol a ſei traire
Rent aton cors e tonor lui e ſa maire
9915Ne retenir citat ne mur de quaire
f. 172rDon nol uolrie faire noſtre emꝑaire
Quen ꝑdrie ſeruiſe ke len dei faire

670. D’abord on le fait baigner, tondre et raser, on lui ôte ses habits et on lui met les neufs. Alors il eut bien l’air d’un baron. Girart, plein de joie, le fit asseoir près de lui : « Que chacun, » dit-il, « me donne son avis ; je vais vous faire part de mes projets. De la terre que je tiens, je veux qu’il en revienne à Dieu une part suffisante pour que cinq cents pauvres[48] et mille confrères en puissent vivre. — Sire, » dit Andicas, « ce n’est pas beaucoup, eu égard à la grande guerre dont tu as la faute, qui a fait sortir de leur pays cent mille hommes. Ton père, de son côté, n’en a pas fait périr un moindre nombre. Mais, puisque Dieu, plein d’affection pour toi, te fait savoir[49] qu’il veut te prendre avec lui, toi et ta femme, rends-toi, ta personne et ta terre, à lui et à sa mère ; ne garde plus ni cité ni mur en pierre de taille. — Sire, notre empereur n’y consentirait pas, car il perdrait le service qui lui est dû. »

671.En apreſ demandet a bedelun
E uos que mo loez diqueſt ſermon
9920Don ſi faire le uuelz eu tieng por bon
Poſ deus ten a moſtrat tau ſignacio⁎n

E autre ten trameſt en uaubeton
Que tenſeigne arſt a fuc e a carbon
Por lo tort que ogis enuers carlon
9925Ne te laiſſat donor tor ne doignon
Por deu la te renduz refai len don
Coſin gintrant e eu uos en ſermon
Que uoſ men daz conſel ſegunt razon
Segner per comant deu dauid deſpon
9930Beati ſun qui gardent iudition
E qui iuſtiſe fant tote ſazon
Dreite iuſtiſe uaut bone oriſon
E eu la laiſſerai a dan folcon
Por grant honor tenir nō ſai tan bon
9935Anc norent paiſ o lui tracor felon
Ni faus ni m̄coiugéér ne mal lairon
Nol aurunt cheuaualer tal conpaigon
Qui ſi char le tengueſt ne tan lor don
Quatre filz a qui ſunt gent mancipun
9940Cum reiſ tendra ſacor⁎ ſenz nul ſemon
Portera lun leſpade laltre baſton
E li tierz caucera ſo eſperon
E li quarz en bataille ſon gonfanon
E lo ferir premer tengrunt breton
9945f. 172vDe mei e de mon paire le duc drogon
E tot lautre meſter de la maiſon
Enaiſi ſun li feu de roſſillon

671. Ensuite il[50] demanda à Bedelon : « Et vous, que me conseillez-vous au sujet de cet avis ? — Sire, si vous le voulez suivre, je le tiens pour bon, puisque Dieu t’a donné des signes si visibles [de sa volonté[51]], et qu’il t’en a manifesté un autre à Vaubeton, alors qu’il t’a brûlé et réduit en charbon ton enseigne[52]. À cause du tort que tu as eu envers Charles, il ne t’a laissé de ta terre ni tour ni donjon. Maintenant que Dieu te l’a rendue, fais-lui en don. — Cousin Guintrant, je vous en semons : donnez-moi un bon conseil. — Sire, par le commandement de Dieu, David a dit : Beati qui custodiunt judicium et faciunt justitiam in omni tempore[53]. Droite justice vaut bonne prière. — Eh bien ! je la laisserai[54] à Fouque. Je ne sais homme plus capable de tenir grande terre. Jamais les traîtres félons, les faux menteurs, les mauvais larrons n’ont eu la paix avec lui. Pour les chevaliers, il n’y a pas un compagnon pareil, qui les chérisse autant et leur fasse tant de présents. Il a quatre fils qui sont d’aimables jeunes gens. Quand le roi tiendra sa cour, sans qu’il soit besoin de les convoquer, l’un portera l’épée, l’autre le bâton, le troisième lui chaussera l’éperon, et le quatrième portera son gonfanon en bataille. Les Bretons tiendront le droit de porter les premiers coups[55] de moi et de mon père le duc Drogon, ainsi que tous les offices domestiques, car tels sont les fiefs de Roussillon. »

672.Li conſ laiſſat aceſ torne a ſeiſor
Donne a uos parlerai en de emor
9950Car uoſtre conſeil munt eſta mellor
E tornat en richeſe e en ualor
Segner ſe ren i uail deu en ador
E uoſ lui que dereit de uoſtre honor
Toz meſ cuiteſ alueſ qai danceſſor
9955Maia qui fut boſon au pognador
Au meillor cheualer e au genſor
Qui ainc fuſt ne ia ſie mais negun ior
Membre uoſ cū mei traiſt de la calor
Cum reis preſ roſſillun ꝑ traitor
9960E proierent por el e molt pluiſor
Treze moſterſ ferauſ por deu amor
E en calcun abat rice prio⁎r
El ual de roſſillon u ſaine cor
Lai gira uoſtre filz enos eu por
9965Citat uiles fores caſtel e tor
Cheualer e bordeis e uauaſor
E a toz celz qui ſunt laborador
Qui preierunt por ur li orador
Ab aitoz celz couient defendador
9970Eu lor dirai folcon ne ſai meillor
A la force del rei imperador
Ferant lorguel ſobran tornar ſotror
Or intrent cheualer en lon ſeior

f. 173rE ſerent de ſazun chien e oſtor
9975Falcon e falconer e ueneor
E qual le feran ore achatador
E donzel galauber cheuauiador
Qui uol prouar ſon cors ne ſa ualor
Si annent gerreiar gent paienor
9980Car top lunt mentengut li n͞r͞e el lor

672. Le comte les quitta et vint trouver son épouse : « Dame, je vais m’entretenir avec vous, en l’amour de Dieu, car vos conseils m’ont toujours été profitables, et m’ont fait recouvrer puissance et honneur. — Sire, si je vous ai été d’aucun secours, j’en rends grâces à Dieu. Mais vous, que lui donnerez-vous de votre terre ? — Tous mes alleus francs que je tiens de mes ancêtres, et de plus celui qui appartint à Boson le combattant, le meilleur chevalier qu’on ait vu, qu’on puisse voir jamais. Rappelez-vous comme il vous arracha au feu, lorsque Charles prit Roussillon par trahison[56]. Pour lui prieront de nombreux moines. Je fonderai treize[57] moutiers ; en chacun il y aura un abbé ou un prieur. Dans la vallée de Roussillon, où coule la Seine, là sera enseveli notre fils[58] et nous auprès. Cités, villages, forêts, châteaux, tours, chevaliers, bourgeois, vavasseurs, laboureurs, religieux occupés à la prière[59], tous auront besoin d’un protecteur. Je leur donnerai Fouque[60] : je ne sais meilleur. Aidé de la puissance du roi empereur, il abaissera l’orgueil. Maintenant les chevaliers entrent en un long repos ; ce sera un temps propice pour les chiens, les autours, les faucons, les fauconiers, les veneurs[61]. Et que feront alors les damoiseaux audacieux, toujours prêts à chevaucher ? Ceux qui voudront prouver leurs forces et leur valeur, qu’ils aillent guerroyer les païens, car la guerre a trop duré entre nous[62]. Comme le dit la loi du Rédempteur, Notre-Seigneur laisse monter le pécheur aussi haut que le mont Liban, puis il descend aussi vite qu’un oiseau du ciel[63].

673.Si cum dient eſcrit del redemptor
Noſtre don lai montar can pechador
Cum ſere ſor le pui de libanor
Puiſ deuale pluſ toſt quauzel del ſor
9985Vez uoſ mei e mon lin ki ſunt tot mor
Maiſ folcon quama paz e deu de cor
Quatre filz a qui ſunt blondet e ſor
De la nebode carle fille ſa ſor
Ne partirunt del rei por negun for
9990Ciſt auront ma honor cūque demor

673. « Voici que mon lignage et moi nous sommes arrivés à notre fin ; il ne reste plus que Fouque qui aime de cœur Dieu et la paix. Il a quatre fils, jeunes blondins, de la nièce de Charles, fille de sa sœur[64]. Pour rien au monde, ils ne se sépareront du roi. C’est à eux, quoi qu’il arrive que reviendra ma terre.

674.Guitranz e bedelunſ e andicas
Pn̄dez de mon aleuſ chaſcunſ mil maus
Eu trouerai lauer e les compas
E uoſ ferez molters e torſ e glas
9995Don tu iraſ deuant e noſ detras
E noſ feronſ tot qanque tu uoldras
Ne i a meiſ meſter orguelz ne gas
Leſ obreſ ſunt enchadeſ el campſ remas
Queu nen dirai maiſ pluſ top en ſui las
10000E ſe chare la tienz qui la diras
Aſaz en poz conquere auer e dras
Tu autem domine deſ ici en auant
[f. 173r leer]


674. « Guintrant et Bedelon et Andicas, prenez chacun mille mas de mes alleus, je fournirai l’argent et prendrai les mesures. Vous, vous ferez moutiers, tours et clochers. — Sire, tu iras devant, nous te suivrons, et nous ferons tout ce que tu voudras. Il n’y a plus place ici pour orgueil ni pour vanité. »

Les œuvres sont commencées, les guerres sont finies. La chanson est finie ; j’en suis tout las. Si tu la tiens à haut prix, toi qui la diras[65], tu en pourras avoir bonne paie, en argent et en vêtements. Disons maintenant Tu autem Domine[66].



(Ce qui suit ne se trouve que dans le ms. de Paris.)


675. Voici finis le livre et la chanson de Charles et de Girart, les puissants barons, et de Fouque et de Boson, les brabançons[67]. Les coups qu’on se porta furent si durs et si douloureux que, de part et d’autre, on en resta éclopé. À la fin, Charles triompha de Girart et des siens. Par suite, celui-ci vécut vingt-deux ans par les champs, ramassant le charbon dans la douleur et dans les pleurs[68]. Puis il recouvra son duché, par la foi que je vous dois, et vécut en homme bon et religieux. Il bâtit de nombreux monastères. L’abbaye de Vezelai est un des principaux. Girart et Berte, la bonne dame, firent faire plus de quatre cents églises et les dotèrent toutes richement, en châteaux, en villages, en riches maisons. Dans toutes, ils placèrent des clercs, abbés ou prieurs. Aussi loin que s’étend la Bourgogne, où est Dijon, il y a bien peu d’églises qui n’aient pas été fondées par eux. Sainte Église fait pour eux deux de grands biens, de grandes aumônes, de grands pardons, et c’est justice, car ils l’ont enrichie[69].

676. Si Girart fit dans les premiers temps beaucoup de mal, il l’amenda largement à la fin. Il accomplit une grande pénitence en un moutier bon et riche qu’il fit bâtir lui-même. Il y mit cent damoiselles et y fit un bâtiment pour les moines[70]. Les clercs n’y font que prier Dieu pour lui et pour dame Berte, son épouse. Il leur assigna mille marcs de rente, rien de moins. Celui-là peut s’en convaincre qui voudra y aller voir. Tout homme qui aime Dieu et Jésus-Christ doit bien aimer dame Berte, la duchesse, car elle a fait et fait encore tant de bien. Prions Dieu tous ensemble qu’elle en soit récompensée, la bonne chère dame, la meilleure qui ait jamais été et puisse être.

677. À Vezelai l’abbaye sont ensevelis le duc et la duchesse, selon ce qu’on rapporte. Oyez tous la chanson, joyeux ou affligés, les joyeux pour que les prouesses qu’ils auront entendues les rendent plus aptes à toute prouesse, les affligés pour qu’ils en parlent de science plus certaine et se gardent de faire la guerre et de causer des désastres ; pour les uns et pour les autres, ce sera profit. En cette chanson est tout écrit comme on peut faire la guerre et vivre en paix[71].

678. Sept cents ans s’étaient écoulés depuis la naissance de Dieu lorsque cette guerre et l’ambassade[72] furent faites, ainsi qu’il est prouvé par beaucoup de témoignages. Cette guerre dura bien soixante ans ou plus[73]. Que Jésus ait pitié, s’il plaît, des morts[74] !...

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  1. Voy. § 620.
  2. Dieu.
  3. Boisson épicée.
  4. C’est, de la part d’un serpent, un procédé bien compliqué et dont on se représente difficilement la mise en œuvre. Il faut considérer que la tirade est en ovre, rime fort rare, qui a amené covre, cuivre. On verra plus loin, § 655, la contre-partie de ce songe.
  5. C’est Berte qui parle.
  6. C’est-à-dire, « permets que je prenne part à ton travail. »
  7. De la colline.
  8. Le sac était suspendu à une perche que Berte et le pèlerin portaient chacun par un bout ; voir § 659.
  9. La chambre, c’est ordinairement la chambre à coucher, voir le glossaire de Flamenca au mot cambra. Il y avait, dans les habitations du moyen-âge, deux pièces principales, la salle, qui était la salle à manger et le lieu de réception, et la chambre, qui servait de chambre à coucher commune, et au besoin de garde meuble. Au § 216, on a vu que, dans le palais du roi, à Paris, il y avait une salle et une chambre, et que dans cette dernière pièce était conservé le trésor du roi. On voit au § 42 du capitulaire de villis, que dans les fermes, la camera était la pièce où on mettait les lits et les ustensiles ou armes de tout genre.
  10. C’est la comtesse qui parle à Ataïn.
  11. On sait que gars, garçon, signifie, au moyen âge, un valet de bas étage.
  12. Voy. cependant p. 260. n. 1.
  13. S’adressant à l’auteur des faux rapports.
  14. Par suite de l’émotion. L’effet des vives émotions, de la colère principalement, sur le teint, est très ordinairement représenté, dans les textes du moyen âge, par des expressions telles que celle-ci, ou « noir comme charbon. »
  15. Ja sui soffrenç, ou ieu sui sufrens (P. v. 8631), est susceptible, en ancien français, d’un sens spécial qui s’appliquerait à la situation particulière où croit être Girart.
  16. Afin d’accaparer tout le mérite de la fondation.
  17. Employées au charroi des matériaux.
  18. On considérait comme une œuvre méritoire entre toutes de travailler matériellement à la construction des églises. On lit dans la légende de saint Silvestre, que l’empereur Constantin, converti par Silvestre, s’étant rendu à l’église Saint-Pierre de Rome, et y ayant confessé ses péchés, prit une bêche, se mit à creuser le sol pour faire les fondements d’une basilique, et emporta successivement sur ses épaules douze hottes pleines de terre ; Douhet, Dictionnaire des légendes, col. 1147 ; pour les sources, cf. col. 1153, note 622, et surtout Dœllinger, Fables relatives à la papauté, essai intitulé Constantin et Silvestre.
  19. La grandeur et la richesse de Sainte-Sophie paraissent avoir frappé vivement les Occidentaux. Voici un témoignage que fournit le roman des Sept Sages (édit. Keller, Tubingue, 1838) :

    Molt par i a riche abbeye ;
    En l’abbeye a grant tresor,
    615Car li bachin i sont tuit d’or
    Ki sont soz les lampes pendus,
    Che dient cil quels ont veüs ;
    Kis porroit vendre, par raison,
    L’avoir valent de Monbrison.

    Voir aussi la description que fait de Sainte-Sophie le chevalier historien Robert de Clari, éd. Riant, pp. 67-8 ; éd. Hopf, § lxxxv (Chroniques gréco-romanes, Berlin, 1873, p. 67).

  20. Cela veut dire probablement que sophia, attribut de la divinité et employé au moyen âge comme synonyme de sapientia (voy. du Cange, sophia), a fait partie de la série plus ou moins longue des noms de Dieu, que l’on invoquait et auxquels on attribuait des vertus préservatrices. Nous avons plusieurs de ces listes des noms divins ; voy. ci-dessus, p. 84, n. 1, mais je n’y vois pas figurer sophia.
  21. Andicas et Bedelon.
  22. On sait que l’architriclinus du récit des noces de Cana (Jean, II, 8, 9) est devenu, pour les gens du moyen âge, un nom propre ; voy., par ex., Du Cange, architriclinus 2.
  23. Ce songe est la contrepartie de celui de Berte, ci-dessus, §§ 642-3.
  24. Du pèlerin, cf. § 644.
  25. Le chapelain de Berte, qui sera mentionné de nouveau au § suivant, et dont la présence à cette œuvre pieuse a été annoncée à la fin du § 645.
  26. E le capelan Gui sest quam vol iac ; ce vers ne se trouve que dans Oxf.
  27. À Girart.
  28. Les deux miracles opérés en faveur de Berte (la lueur qui descend du ciel, §§ 657-8, et la perche suspendue en l’air, § 659) sont encore racontés dans la Vie latine de Girart de Roussillon, mais le premier est rapporté à la fondation de Vézelai, et le second à celle de Pothières. Voy. Romania, VII, 192, 194, et, p. 229, la note sur les §§ 83-101.
  29. Dieu.
  30. Lo tinal nou de casaing, Oxf., traduction douteuse : la leçon de P. (v. 8734) non ac desdenh, est claire, mais visiblement due à la correction d’un copiste.
  31. Ici encore la leçon de P. (v. 8735, E la comtessa es vana e sos cap fenh, est refaite, et celle d’Oxf., E la contesse enant non giquis faing semble corrompue. Je traduis comme s’il y avait non gic nis faing.
  32. D’après P. (v. 8743) ; « tous trois » Oxf., peut-être le prêtre, le diacre et le sous-diacre.
  33. Oxf. ufazanz preu, P. (v. 8752) on fa son priu.
  34. Il est bien question, dans la légende de Marie Madeleine, d’un mort ressuscité, mais ce mort était chrétien.
  35. Afin de s’approprier tous les bénéfices spirituels de la fondation. Pour cette idée, voir la légende racontée au § 653.
  36. Cf. §§ 642-3.
  37. J’interprète librement ; le texte est obscur et peut-être corrompu (P. v. 8779).
  38. Je n’entends pas e non fait conge Oxf., e noi fai conge P. (v. 8781).
  39. Mentionné plus haut au nombre des vassaux de Girart, §§ 146, 304, cf. p. 158, n. 4.
  40. Selon un passage qu’on a pu lire au § 612, le corps de sainte Marie-Madeleine aurait été rapporté d’outre-mer, des terres païennes. Mais il n’a pas été dit jusqu’ici que le corps eût été rapporté par Guintrant.
  41. Je devine : le texte est obscur et probablement corrompu.
  42. Voy. p. 4, n. 1. — C’est la leçon d’Oxf. ; dans P. (v. 8823) il y a « et toute la terre jusqu’à Mauguio. »
  43. Mot à mot, si j’entends bien, « des muids de larmes ».
  44. Au pèlerin.
  45. Voy. p. 89, n. 2.
  46. Cansil peut-être simplement une chemise.
  47. Allusion à un passage de la légende de saint Barthélemi. On y voit une idole renvoyer ceux qui venaient la consulter à Barthélemi, qu’elle désigne comme étant vêtu d’une robe de pourpre et couvert d’un manteau blanc décoré de pierres précieuses.
  48. « Moines » selon P. (v. 8833).
  49. Par les miracles rapportés plus haut.
  50. Girart.
  51. Toujours par les miracles.
  52. Voy. §§ 168-9.
  53. Psalm., cv, 3.
  54. La terre ; cf. §§ 672-3.
  55. La mention des Bretons est inattendue, car on a vu plus haut (§§ 147, 323, 381, 428, 449) qu’ils dépendaient de Charles et non de Girart. Quant au privilège si recherché de commencer l’action, voy. ci-dessus, p. 149, n. 4. On a vu, au § 484, le même privilège revendiqué par un Champenois. À la bataille de Lincoln, en 1217, les Normands, faisant partie de l’armée anglaise, le réclament comme un droit ;

    ... sachiez que li Normant
    Deivent les premiers cops avant
    Aveir en chescune bataille.
    (Hist. de Guillaume le Maréchal, vv. 16211-3)

  56. Ci-dessus, §§ 427-9
  57. Trente, selon P. (v. 8909).
  58. Celui dont la mort est contée au § 620.
  59. Traduction douteuse.
  60. Fouque sera l’avoué des établissements religieux auxquels Girart aura laissé ses biens.
  61. La paix et la chasse sont deux idées qu’on associe volontiers ; voy. § 633.
  62. Ou « entre nous et les païens » ; la phrase est mal rédigée. Au fond, il doit y avoir l’idée si souvent exprimée au moyen âge, que les chrétiens feraient mieux de tourner leurs armes contre les païens, au lieu de se déchirer entre eux ; cf. § 124 et la note.
  63. Probablement Ps. xxxvi, 35-6.
  64. Cf. p. 264, n.
  65. L’auteur s’adresse au jongleur qui dit la chanson.
  66. Formule qui se dit à la suite de certains offices. Le poëme de Horn et de Rimel se termine de même :

    Tomas n’en dirrat plus, tu autem chanterat ;
    Tu autem, Domine, miserere nostri.

  67. Los Braimansos (v. 8950). C’est la première fois que Fouque et Boson sont ainsi qualifiés. Il est probable que « brabançon » est ici à peu près l’équivalent de guerrier. On sait qu’au xiie siècle et encore au xviie siècle on appelait ainsi des troupes mercenaires, sans doute originaires, au moins, en général, du Brabant. Gautier Map les stigmatise sous Henri II, comme des troupes de pillards, formées de l’écume de la société (De nugïs curialium, éd. Wright, p. 60). Richard-Cœur-de-Lion en eut beaucoup à son service, et au temps de la croisade albigeoise on les trouve parmi les soudoyers du comte de Toulouse.
  68. Cf. § 534.
  69. Après avoir parlé des églises fondées par Girart, l’auteur du roman bourguignon dit de même :

    Bien y doit on pour eulz prier, lire et chanter,
    Quant si bien les voussirent de leur propre renter.

    (Éd. Mignard, p. 248.)
  70. J’interprète ainsi e i fetz mongier (v. 8974). Il s’agit probablement, d’après la mention des clercs qui suit immédiatement, d’un monastère double, où les religieux et les religieuses vivaient dans la même enceinte, quoique dans des bâtiments séparés ; voy. Du Cange, Monasterium duplex. Telle était l’abbaye de Sempringham, qui a été célébrée par un poème satirique ; voy. Th. Wright, The political Songs of England, (London, 1839), pp. 137-48 et 371.
  71. La traduction de ces derniers vers, dont le texte est en partie corrompu, est conjecturale.
  72. Ambaissatz (v. 8996). Cela peut se rapporter à l’ambassade de Pierre de Mont-Rabei (§§ 235 et suiv.) ou à quelque autre ; le sens même du mot n’est pas sûr,
  73. Chiffre évidemment très exagéré ; voy., pour la durée des guerres successives entre Charles et Girart, p. 260, n. 1.
  74. Suivent, dans le ms., deux vers dont l’écriture est devenue illisible ; puis ce vers : Pennula scriptoris requiescat fessa laboris. Le même vers se retrouve à l’explicit d’un Tite-Live de la Laurentienne, avec la variante plena au lieu de fessa, Bandini, Catal. codd. latinorum Biblioth. Mediceæ Laurentianæ II, 692.