Girart de Roussillon (Manuscrit d’Oxford) avec traduction Paul Meyer - 5

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5. Nouvelles batailles

208.Carles entre en ſa cambre ꝑ repauſar
f. 60vLi dus teiri daſcane ſen uol annar
3445Ne ſat mot de la meſcle quel laui far
Ne de ſes petiz filz quil tient tan char
La nes annaz li dus ꝑ demeſclar
Bos e ſegins lencontrent quel uōt queſtar
E baſſerent les lances e uont li dar
3450Laſſa uiſſaz cruiſiar e enauſchar
Ꝑ mei lo cors del duc menu paſſar
Que larme el baron ne pot durar
Cainc nus deſ ſeus nel uit qui lanchet dar

208. Charles entre en sa chambre pour se reposer ; le duc Thierri d’Ascane s’en alla. Il ne savait mot de la mêlée, lorsqu’il l’entendit, ni de ses jeunes fils qu’il aimait tant. Il y courut pour les séparer. Boson et Seguin qui le cherchaient le rencontrent : ils baissent leurs lances et le frappent. Vous eussiez entendu le bruit du fer qui grince et s’ébrèche en passant au travers du corps de Thierri. La vie du baron ne put durer, et, sans qu’aucun des siens pût lui venir en aide, l’âme lui partit du corps.

209.Carles aui la meſcle e eiſt au crit
3455Demandet ſon auberc e la ueſtit
Trobet enme ſa uie lo duc delit
Ainſ que iii fuſt bos el ſeu ſen ſunt fuit
Vez uos a roſſillon girart uertit
Sobre lui na mes carles ton ſon chauſit
3460E diſt quil le parlet el conſentit
Se per non de bataille nel eſcondit
Ja ne uerra abanz un meis complit
Le fieu ke tient de lui aura ſaiſit
Premiers prent le folcon eldeueit
3465Ne cuidaz de girart quil ſen oblit
Abanz len fera gerre ſicum el dit

209. Charles ouït la mêlée et sortit au cri. Il demanda son haubert et le revêtit. Sur son chemin, il trouva le duc mort. Avant qu’il fût arrivé, Boson et les siens s’étaient enfuis. Voici Girart revenu à Roussillon. Charles le rend responsable [du meurtre] : il dit que Girart a été de connivence : s’il ne s’en escondit[1] pas par bataille[2], avant un mois accompli, il (Charles) aura saisi le fief que Girart tient de lui. Pour commencer, il prend celui de Fouque et l’occupe (?). Ne croyez pas que Girart s’oublie : loin de là, il fera guerre au roi, dit-il.

210.Mort unt teiri lo duc le riu baron
E dient ca en france la region
Caucis lunt en la cort boſ e li ſon
3470Dans bos ſen [eſ] annaz a carpion
Aiqui a dous caſtels do montargon
Lun comandet ſegin lautre folcon
f. 61rE cant carles lauit ne li ſat bon

Per co renchet la gerre e la tencon

210. Ils ont tué Thierri le duc, le riche baron, et le bruit se répand en France que c’est Boson et les siens qui l’ont tué à la cour du roi. Boson s’en est allé à Escarpion. Il avait là deux châteaux près de Montargon. Il confia l’un à Seguin, l’autre à Fouque. Quand Charles l’apprit, il ne fut pas content. Ainsi recommença la guerre et la lutte.

3475211.Mort ont teiri lo duc le don daſcance
Dans bos de ſcarpion i mes ſa lance
E ꝑ paire e ꝑ oncle en pres ueniance
De quen ot puis a carle tan eſchiuance
E girarz en eiſſi de ſa garance
3480Que taus uint ans duret la maluoillance
Cainc ne ſoſa ueer el rein de france
Tros quen furent chenut icil denfance
E uge en fez boſun de mort temprance

211. Ils ont tué Thierri le duc, le seigneur d’Ascane ; Don Boson d’Escarpion lui a mis sa lance [par le corps], prenant vengeance pour son père et pour son oncle. C’est pour cela que Charles, par la suite, faillit être pris, et que Girart dut quitter son pays[3]. La haine dura vingt ans sans qu’il (Girart) osât se montrer dans le royaume de France, jusqu’à ce que les jeunes gens furent devenus chenus et que Hugues eut tué Boson[4].

212.Car li paire ugun fraire fu tieiric
3485E bos e uges furent ml’t enemic
Sencontrent en bataille ſi cū uos dic
E lai o ſe coinugrent uns non catic
Annerent ſe ferir de tal afic
Aicil reſtet en fol qui iouſ chaic
3490Vges uenget ſon oncle cum ſon amic

212. Comme le père de Hugues était frère de Thierri, Boson et Hugues furent ennemis acharnés. Ils se rencontrèrent en bataille, comme je vous dis, et là où ils se reconnurent, pas un ne recula (?) : ils coururent se frapper avec telle violence que celui qui tomba resta sur le terrain. Ainsi Hugues vengea son oncle comme son ami.

213.Aimes e aimeris ob andefrei
Neuot furent teiri nuirit en ſei
Li cons lor donet armes toz e conrei
E uait cridar mercei carlon le rei
3495Don laime te maiſnade menar od mei
Veniat aurai mon oncle deman co crei
E carles reſpondet eu tou autrei
E co eſt la paraule qui mar eſtei

213. Aimon, Aimeri et Andefroi étaient neveux de Thierri : ils avaient été élevés chez lui[5]. C’est lui qui les avait armés et équipés. Il[6] alla crier merci au roi Charles : « Sire, laisse moi mener ta mesnie avec moi. J’aurai demain vengé mon oncle, je crois. » Et Charles lui répond : « J’y consens. » Ce fut une parole funeste.

214.Meſſagers mes uenguz dinc daualon
3500Quanuit uendra girarz deuers diion
Eu metrai mon agait en clarenton
f. 61vCar ſi dans bos ſenintee en carpion
Ne ſe ſegins ſen uait uers beſencon
Ne ſe folchers ſen torne uers montargon
3505Le cau des treis que dex abanz me don
Eu prendrai de mon oncle girart ueniaſon
E carles reſpondet eu tot bandon
Aico eſt la paraule qui mare fon

214. « Un messager m’est venu d’Avalon, [m’annonçant] que ce soir Girart se dirigera du côté de Dijon [et doit passer par Roussillon[7]]. Je mettrai mon embuscade a Clarençon[8]. Que Boson entre à Escarpion, que Seguin s’en aille vers Besançon, que Fouchier s’en retourne vers Montargon [ou que Girart entre à Roussillon], sur le premier de tous[9] que Dieu m’abandonnera, je prendrai la vengeance de mon oncle. » Et Charles répondit : « Je te le permets. » Ce fut la parole qui fit tout le mal.

215.Aimes e aimeris e andefreis
3510A la maiſnade au rei montent maneis
E furent catrecent de purs franceis
El bos deſcarpion ques m’lt eſpeis
Aual lonc le chemin ſunt tot desceis
Tote nuit i eſterent tros iors pareis
3515Que girarz ne paſſet ne ni trameis
Ne bos deſcarpion nel ne ſes meis
E cil ſunt remontar canc non fu reis
E girart quant lauit cuit [q ;] li peis
De feeltat me iece con diſt li reis
3520Cant ſone deſfiance ma agait meis

215. Aimon, Aimeri et Andefroi montent aussitôt avec la mesnie du roi. Ils furent quatre cents, tous français, embusqués dans les bois épais d’Escarpion. Ils mirent pied à terre en dessous du chemin et y restèrent toute la nuit jusqu’au jour. Mais Girart n’y passa point ni personne envoyée par lui, ni Boson d’Escarpion, ni aucun des siens. Les hommes de l’embuscade remontèrent à cheval sans avoir rien fait. Girart l’apprit, et j’ose dire qu’il en fut irrité. « Le roi », dit-il, « me jette hors de sa fidélité[10], lorsque, sans m’avoir défié, il m’a dressé une embuscade ! »

216.La nuit leuet folchers li marecaucos
Menet enſamble o lui doze cucos
Fait les ueſtir de peilles cōe garcons
En la cit a paris uez les fricons
3525Can la nuiſ eſt uengude el iors reſcons

Poierent en la ſale ꝑs eſchalons
En la cambre ques uoute traz lo cratons
Tal aueir emblent carle ꝗ ml’t fu bons
Treis cens enas en portent de taus facos
3530De lobre que fait faire reis ſalemons
f. 62rE lelme e la breine que ait meirons
Que tout reis alixandres aſturchions
A carlon fu contade iſte razons
Au matin quant uenie deſ oraizons
3535E carles iuret deu qui eſt li trons
Quil confundra coars e cogocons
E oc girart ꝑ mon e ſes glotons
Si non rent ſon auer e les lairons
Ne remandra uaus rubeſ ne beſencons

216. La nuit se leva le marquis Fouchier ; avec lui il mena douze[11] valets. Il les fait vêtir de peaux, comme des garçons, et se rend à Paris. La nuit venue, ils montèrent dans la salle [du palais du roi] par les escaliers, pénétrèrent en la chambre[12] voûtée, sous le toit, et enlevèrent à Charles de grandes richesses. Ils emportent trois cents hanaps de l’œuvre du roi Salomon[13] et le heaume et la broigne de Meiron[14] que le roi Alexandre prit aux Turcions[15]. La nouvelle en fut contée à Charles, le matin comme il venait de faire ses oraisons. Et Charles jura par le Dieu du ciel qu’il détruirait les lâches, les misérables, et que Girart nommément et ses brigands, s’il ne lui rend son avoir et les voleurs, perdrait Val-Nuble[16] et Besançon.

3540217.Dorar repaire carles ainz lo ſoleil
E ac aui la meſſe a ſaint maureil
Puiſ eſ ſen fors iſſuz de ſoz un teil
En la cambre ques uoute dinz le denteil
Qui fu de marbre creuc blanc e uermeil
3545La nes intraz li reis e ſeu feeil
De girart lor demande a toz conſeil

217. Charles revient de prier avant le lever du soleil ; après avoir ouï la messe à Saint-Marcel[17], il est rentré dans sa chambre voûtée qui est ornée de marbre jaune, blanc et vermeil. C’est là que le roi est entré avec ses fidèles, à qui il demande conseil au sujet de Girart.

218.Li reis intre en la cambre nō uiſtes tav
Tote eſt uoute e cuberte de bon metav
E eſt painte a muſec gent par egav
3550A marabit en ſunt li ueriav
Qui plus luiſent ke ſteile de nuit iornav
Li pauement de marbre taillat dauav
La nes intrat li reis e ſeu uaſſav
Conte e uiſconte e bibe e riu catav
3555E uiſcons de limoges ca non girav
Qui fu filz audoin e neis fouchav
Cors a uaſſal e ꝓu fort e giruav
E ſat donar conſel bon e leiav
Sicom on ques nuiriz e cort reiav
3560f. 62vDaico parlet li reis dunt plus li cav
De girart ſe conſeille cui el uol mav

218. Le roi entre en sa chambre qui est telle qu’on n’en vit jamais. Elle est voûtée et toute revêtue de précieux métal, et décorée symétriquement de mosaïques. Merveilleux en sont les vitraux qui luisent plus que l’étoile du matin. Le pavement en est de marbre taillé[18]. Là est entré le roi avec ses vassaux, comtes, vicomtes, évêques et riches seigneurs, parmi eux le vicomte de Limoges, Giraut, fils d’Audoïn et neveu de Foucaut, guerrier vaillant, preux, fort et hardi, qui sait donner conseil bon et loyal en homme élevé en cour royale[19]. Le roi parla de ce qui lui tenait le plus à cœur, prenant conseil au sujet de Girart à qui il en veut.

219.Carles mandet les pinces toz de ſa gent
E uindrent en a lui entros ca cent
E furent en la cambre ꝑ pauement
3565Li reis lor dis a toz cōmunaument
Segnor qui ſat de dreit rien ni entent
Si men conſelt ꝑ foi ſon eſcient
Quen iſte cort men fait tal oniment
Mort munt teiri lo duc un mien parent
3570Mon aur cuit mont enblat e mon argent
Sobre girart nai mes mon chausiment
E di quil le parlet e ou conſent
Se ꝑ nom de bataille ne ſen defent
Ja ne uerra abanz un meis uertent
3575Que ſaiſirai lo feu que de mei tent
E baron qn̄t lauirent reſpondent gent
E cil qui ſat conſel ne ſen fait lent

219. Charles manda tous les chefs de sa nation. Ils vinrent à lui au nombre de cent, et se tinrent en sa chambre, sur le pavement. Le roi leur dit à tous ensemble : « Seigneurs, qui sait et entend le droit, me donne conseil sincèrement, le mieux qu’il pourra. En cette cour on m’a fait cette honte qu’on m’a tué Thierri le duc, un mien parent ; on m’a enlevé mon or cuit et mon argent. J’en rends Girart responsable. Je dis qu’il l’a comploté, qu’il l’a voulu. S’il ne s’en défend par bataille, il ne s’écoulera pas un mois que je n’aie saisi le fief qu’il tient de moi[20] ! » Quand il a parlé, les barons répondent doucement, et quiconque a un conseil à donner le donne sans tarder.

220.Premers ou dis uns cons danz emois
Eu ne ſai ſegner reis queu men mentis
3580Se bos deſcarpion teuri aucis
E girarz ne le ſot nel conſentis
Sel ſen pot eſcondire co mes auis
Nen deit ꝑdre une aune de ſon pais
Par mon cap co dis carles cainc tal auis
3585Eu ne demant au plus mais ſen garis
Mais el ne le pot faire ꝑ tot paris
Dunt ne ſai eu diſ el queu mendeſis
Que dacheſte razon nen ait meſpis

220. Le premier qui prit la parole fut un comte, don Emoïs : « Sire roi, pourquoi mentirais-je ? Boson d’Escarpion a tué Thierri ; mais, si Girart n’en a rien su, n’a pas été de connivence, s’il peut, comme un homme sage, s’en escondire, il ne doit pas perdre une aune de sa terre. — Par mon chef, » dit Charles, « puissé-je l’entendre parler ainsi ! Je ne lui demande rien de plus que de se défendre, mais il ne le pourrait faire, pour tout Paris ! — Alors, » reprend l’autre, « je n’ai plus rien à ajouter, et je m’en tiens à ce que j’ai dit.

221.f. 63rConſellaz mei baron ꝑ deu amor
3590Por girart uos ou di mon bauzador
Qui ſol a mei auer tan grant amor
Cant eu ne me gardaue de ſa folor
Si ma fait tan grant onte e deſonor
Mort ma teiri daſcane mon dru mellor
3595Cui dei eu e mi fraire n͞r͞e ſeror
Ꝑ tant uos en requer conſel ſegnor
Car eu lai tot ꝓuat a traitor
Ne laiſſerai a toudre caſtel ne tor
No remandra mon grat un maz donor

221. — Conseillez-moi, barons, pour l’amour de Dieu. Il s’agit de Girart qui m’a trompé, de Girart qui naguère avait pour moi tant d’affection. Comme je ne me défiais pas de lui, il m’a fait cette honte, ce déshonneur, de tuer Thierri d’Ascane, le meilleur de mes fidèles, à qui moi et mes frères avions donné notre[21] sœur. C’est pour cela que je vous demande conseil, seigneurs. Puisqu’il est un traître prouvé, je ne lui laisserai pas un château, pas une tour ; il ne lui restera pas, si je puis, une maison de sa terre !

3600222.A toz uos pi mi ome qui cainſ ſun
Por deu qui ſat conſel car ou me dun
De girart aquel conte de roſſillon
Car le ior qot maniat en ma maiſon
Si conſenti la mort de mon baron
3605Del duc tieri a far la traicion
Quen ma cort le mant mort les mās boſun
Jl nen a cheualer ne mal ne bon
Que ſil len deſdiſie un mot que non
Quen nel ꝓuaſſe ſempes a mau felon

222. « Je vous en prie tous qui êtes ici présents, pour Dieu ! qui sait conseil me le donne, au sujet de Girart, ce comte de Roussillon, qui, le jour où il avait mangé en ma maison, prémédita la mort de mon baron, la trahison à laquelle succomba le duc Thierri, tué en ma cour par les mains de Boson. Il n’y a en ma cour chevalier, brave ou lâche, bon ou mauvais, que je ne prouve mauvais et félon s’il me donne un démenti ! »

3610223.Preimers parlet armans de belmontel
A lai de iouene ome de prin conſel
Don ſe girarz uos bauſe ne mereueil
Sos paires e ſos aiues toſtans fu kel
Mais mandaz u͞r͞e gent to a clarmel
3615De giterne en france to a creel
E cheuaugent treſtuit ab un ad el
Se trobent fort caſtel en plan caumel
f. 63vNō facant la bataille ſempres ab el
E la duizuns la tant ꝑ deu donzel
3620Que facanz canp de ſanc tſtot uermel
Qui tobera girart gart ne ſomel
Mais rooint li la teſte ſos le cabel
Puis annen erberiar a mont aſpel
Tolent li roſſillon e ſaint maurel
3625Ne feras oian fin per mon conſel
Tro laies confundut lui e amel

223. Le premier à prendre la parole fut Arman de Beaumoncel [22] : il parla en jeune homme irréfléchi : « Sire, je ne m’étonne pas si Girart vous trompe. Son père et son aïeul furent toujours félons[23]. Mais mandez votre gent jusqu’à Clarmel[24], de Guiterne en France jusqu’à Creil, et qu’ils chevauchent tous ensemble. S’ils rencontrent un château en plaine, qu’ils l’attaquent incontinent. Amenons là tant de jeunes damoiseaux que le champ en devienne rouge de sang. Et qui trouvera Girart, ne perde pas de temps, mais lui coupe la tête, au-dessous des cheveux ! Puis, qu’ils aillent loger à Mont-Espel[25], qu’ils lui enlèvent Roussillon et Saint-Maurel. Tu ne feras pas la paix, si tu veux m’en croire, jusqu’à ce que tu l’aies écrasé, lui et Amel[26].

224.Daico ſai eu dis carles ml’t bien la flor
De mei ne de girart ne ſai le ior
Mais ere uenra mais apres paſcor

3630Que lerbe ert cregude ſobre la flor
Venren cau la ferent ciſt uantador
La maiſnade girart ꝓfolador
Cont les cheuaus mouens e corador
Eu men fi tant en deu le rei celor
3635Se uenem en igal li noſtre en lor
Sempre i auront cil un de mort poor

224. — Je sais bien ce qu’il y a de mieux à faire[27], » dit Charles. « Je ne sais quel sera le [dernier] jour de moi ni de Girart, mais voici que mai viendra après le temps de Pâques, que l’herbe aura poussé au-dessus des fleurs ; alors nous verrons ce que sauront faire ces vantards pour prouver leur vaillance, la mesnie de Girart aux chevaux rapides et bons coureurs. Moi, j’ai telle confiance en Dieu le roi des cieux, que si nous nous rencontrons en plaine, les nôtres et les leurs, c’est eux qui trembleront devant la mort. »,

225.Ale de uaubeton li filz tiebert
Fu lains au conſel en pez leuet
Car ce fu cheualers qui gent parlet
3640E qui det bon conſe qui len ceet
Se girarz dan boſon cai amenet
Cant bos ociſt teiri girart peſet
El nes ſot ne nel uolt nel conortet
N puis daquel meſfait nol recetet
3645Non deit ꝑir girarz ſe bos pecet
E li reis quant lauit ſe ſerasquet
f. 64rDiſt pouſtele en la barbe quil ſen penſet
E qui melz ne le ſot qui dreit iuget
Mon auer a girarz que el menblet
3650Car trameſt le lairon qui len portet
E de lui nuit li laires e la tornet
Ꝑ tant a cort girarz la cors iuget
Ales de uaubeton plus ne parlet

225. Alon de Vaubeton, le fils de Tibert, fut présent au conseil. Il se leva, car c’était un chevalier qui parlait bien et savait donner bon conseil à qui voulait l’en croire : « S’il est vrai que Girart a mené ici Boson, ça été pour lui une douleur que Boson eût tué Thierri. Il n’en sut rien, il ne l’a pas voulu, ni conseillé. Depuis ce méfait, il ne lui a pas donné asile. Girart doit-il donc périr parce que Boson a péché ? » Et le roi, à ces mots, s’irrita. « La rogne dans la barbe[28] de qui pense ainsi et juge de la sorte sans savoir ! Girart tient mon avoir qu’il m’a enlevé. C’est lui qui a envoyé le larron qui l’a emporté ; de chez lui est venu le larron et c’est près de lui qu’il est retourné[29]. » Là-dessus la cour, jugea que Girart avait tort, et Alon de Vaubeton ne dit plus mot.

226.Preu parlet li uiſcons de ſaint marcav
3655A lei de franc riche ome qui delis bien ſav
A ſegner reis de france mene ou egav
Retien ton baron ome ton naturav
Sel te uolt faire droit ſel te fait mav
E laiſſe eſtar doble e pren lo catav
3660Se dex ten cors aloigne e fait uidav
Melz uaudra li ſeruizes de ton uaſſav
Ne funt daur cuit cargat .xxx. cheuav
Dehe ait co diſt carles qui de lui cav
Filz a putein ꝑiures filz de iaſav
3665Ne meſtordra girarz ſe puis atav

226. Le vicomte de Saint-Martial[30] parla ensuite, comme il convient à un riche baron, Dieu le protège ! « Ah ! sire roi de France, traite cette affaire avec justice (?). Retiens à toi ton baron, ton vassal naturel, s’il veut te faire droit pour la perte qu’il t’a causée. Renonce à l’amende et prend l’équivalent du dommage[31]. Si Dieu te prête vie (?) mieux te vaudra le service de ton vassal que ne feraient quatre chevaux chargés d’or cuit. — Maudit soit, » dit Charles, « quiconque prend son parti, le fils de putain, le parjure, le fils de coureuse ! Girart ne m’échappera pas, s’il ne tient qu’à moi ! »

227.Gacel uicons de droes lo pres a dir
Don dirai uos un pau de mon aruir
Om qui dꝛit ſat iuiar n̄ dei mentir
Non deis ton lige ome quiſ uos ſeruir
3670De gerre eſcometre naahatir
Mais manda la ta cort a tei uenir
E ſel ſe pot ſaluar e eſcondir
Non doit mige girarz ꝑ cou perir
Ne no deus en ta colpe de tei partir

227. Gace, vicomte de Dreux[32], prit la parole : « Sire, je te dirai un peu de ma pensée. Un homme qui sait juger le droit ne doit pas mentir. Tu ne peux pas provoquer ni attaquer ton homme lige, qui ne demande qu’à te servir ; mais mande-le à ta cour ; qu’il vienne à toi. Si Girart peut se justifier, s’escondire, il ne doit pas être exterminé ; tu ne dois pas l’éloigner de toi en te donnant tort. »

3675228.Gacel uiſcons de droes en pez leuere
f. 64vE mantec ſa razon e eſſaucere
Car co fun cheualers qui gent parlere
E qui dex bun conſel qui len credere
Car la paraule alon dirai onquere
3680Se girarz dun boſon calamenere
Quant boſe ociſt teiri gerart paſere

El ne uol ni ne ſot nel conortere
Ne pois dichel meſfait nel recetere
Non deu perir girarz ſi bos pechere
3685E li reis quāt loit ſi ſirasquere
Et uos daico dun gace quen direz ere
Mon auer a girarz que el menblere
Car traemes lo lairon qui lenportere
E de lui mot lo laire e lai tornere
3690Mais tot men fera dit ꝑ ciſt enquere
Aco es o dis gace paraule fere
Jl eſt toſtes coſdume en iſte tere
Lai lo lun ſat coſeil que lon le quere
E pine lon lauer de qui oee
3695E mete lon lai oi nen ere
Om qui dreit ſat el dis e lodeſere
Enſement eſt con aurs que lon eſmere
Si uos retez girart e el no fere
Sel ſen pouſt eſcondire que mal non mere
3700Tot ꝑ non de bataille ceſt qui li quere
Non deues a iſ conte moure de guerre
Ne no le deuez toure un mas de tere

228. Gace, vicomte de Dreux, se leva en pied : il affirma et fit valoir son opinion, car c’était un chevalier qui savait bien parler, qui donnait bon conseil à qui voulait l’en croire. Il appuya l’avis d’Alon[33] : « S’il est vrai que Girart a amené ici Boson, le meurtre de Thierri par celui-ci l’a rempli de douleur. Il ne l’a voulu, ni conseillé, ni su. Le crime accompli, il n’a pas donné asile au meurtrier. Girart ne doit pas être exterminé parce que Boson est criminel. » Le roi entend ces paroles avec colère. « Eh bien ! Gace, que direz-vous de ceci ? Girart a mon avoir qu’il m’a enlevé, c’est lui qui a envoyé le larron[34] qui l’a emporté ; c’est de lui que le larron est parti, et à lui qu’il est revenu. Mais, par le Christ, il m’en rendra raison ! — C’est là, » dit Gace, « une dure parole : il a de tout temps été coutume en cette terre d’aller chercher conseil où on sait en trouver[35], de prendre l’avoir là où il est, pour le porter là où il n’était pas. Un homme qui sait juger le droit et qui garde le silence est comme l’or épuré qu’on tient renfermé[36]. Si vous imputez à Girart un tort qu’il n’a pas eu, et s’il peut s’escondire par bataille contre quiconque la lui demande, vous n’avez aucun droit de lui faire la guerre, à ce comte, ni de lui enlever un mas de sa terre. »

229.Car lainz an la cambre fu a(ngeran)z
Cel qui tec abbat uille e es(uaus ran)z
3705f. 65rEn ge(rbe)rs e erauz el cons ginanz
E iſenbers de breine e duz otranz
E carles tezig aire com alamanz
Per girart dun ne pot faire ſos talanz
A reir ꝑ que taires diſt galeranz
3710Ja neſt dreit a iſconte que plait deſmanz
Car ſi odeles es morz qui fu mons branz
E teuris les ocis lo dus daſcanz
E pois en ſeit uenchaz ꝑ ſos enfanz
E girarz ne lo ſot li dus abanz
3715Sel ſen pouſt eſcondire lau demanz
Ne len deuez moure guerre ne afanz
Ne uol len deuez toudre ualent iſ ganz

229. Là, en la chambre, furent Enguerrant, qui tenait Abbeville, Esnarrans[37], Engilbert, Erans, le comte Guinant, Isembert de Braine et le duc Otrant. Charles s’emporta comme un allemand[38], au sujet de Girart dont il ne pouvait faire sa volonté, « Ah ! roi, pourquoi t’emporter ? » dit Galeran. « Ce n’est pas droit que tu fasses procès à ce comte ; Odilon, à qui était Mont-Bran[39], a été tué par Thierri d’Ascane, puis vengé par ses enfants : mais, si Girart n’en a rien su d’avance, s’il peut s’en escondire à ton gré, vous ne devez pas lui faire guerre ni peine, ni lui enlever de terre pour la valeur de ce gant. »

230.Garins deſcarabele lo paire eurart
Tenguet ben conuenent ſel parle tart
3720Don tramet a giun de mont aſcart
Cel tramet a folcon e a bernart
E a gilbert lo conte de ſenegart
E cil trei uos aduizent conte girart
E ſil te pout dreit dreit faire auint (ricart)
3725Au galeran ton conte u au foucart
Aleues eacelin e au brocart
Non deis perdre en ta colpe cōte girart
Nol partir de rei par negun art
Dan i auriez gn̄t reis e regart

230. Garin d’Escarabele[40], le père d’Evrart, s’exprima dignement, s’il parla le dernier : « Sire, mande à Gui de Mont-Ascart[41] de faire dire à Fouque, à Bernart et à Gilbert le comte de Senesgart qu’ils nous amènent, à eux trois, le comte Girart. Et si Girart peut te faire droit au jugement de Richart[42], de Galeran ton comte, ou de Foucart, d’Alon, d’Acelin et de Brochart, tu ne dois pas, te mettant dans ton tort, vouloir la perte de Girart, ni l’éloigner de vous en aucune façon. Vous y risqueriez beaucoup, roi, et y perdriez. »

3730231.Sen les an crera carles ſillaiudeus
E fait uenir ſes clarges e ſcri ſeſ breus
E tramet ſos meſſages e ſes corleus
E mandet ꝑ gillelme cons de peiteus

f. 65vE richart de combor foco dangeus
3735Venunt a la cort carle ſiſſa iudeus
Car girarz uol auer laus toz cenceus

231. Charles, grâce à Dieu, se rangea à leur avis. Il fit venir ses clercs, écrire ses brefs ; il envoya ses messagers et ses courriers, et manda Guillaume, comte de Poitiers[43], Richart de Comborn[44], Fouque d’Angers[45], leur ordonnant de venir à sa cour. Il veut avoir l’avis de tous les siens au sujet de Girart.

232.E cil i ſunt uengut per qui tramos
Fulcho li quez guillelmes e iofres
Ere fu li conſel de nou repres
3740En la cambre ques uouta al cap del des
Qui fu encortinade de pailes fres
Ses en un faudeſtol carleſ lo reis
Conſel quert de boſon car far le nes
Premers parle bernarz de leones
3745Don mandes par girart qua uos uengues
A ſei ameint boſun qui droit feſes
E ſel faire nel uol non te caut ges
Mais mandes u͞r͞e genz ſemp̃̃aiquies
Aſeiaz uaucolor ſendemanes
3750Mar i remanra tor ne mur cauces
Se boſun poden prendre lo marques
En fazeç tau iuſtiſe con iuia es
E carles reſpondet ſiner marces

232, Ils vinrent tous, ceux qu’il avait mandés, Fouque, le comte Guillaume et Joffroi[46]. Alors fut de nouveau repris le conseil. Dans la chambre voûtée et encourtinée de pailes de Phrygie, au chef du dais, est assis en un fauteuil le roi Charles, demandant conseil au sujet de Boson. Le premier parla Bernart de Leonais[47] : « Sire, envoyez pour Girart, qu’il vienne à vous ; qu’il amène Boson pour faire droit. S’il ne le veut faire, n’en ayez point de souci, mais mandez votre gent sur le champ, assiégez Vaucouleurs sans retard ; qu’il n’y reste tour ni mur construit à la chaux. Si nous pouvons prendre Boson le marquis, faites de lui telle justice qu’il sera jugé. » Charles répondit : « Sire, merci. »

233.Conſella mei ſeinor quui i enuei
3755Don gacon ſel uiſcon o dan gofrei
E ſe uoles ꝑun de munt r(abe)i
(C)harles lo fes uenir ſenz deuant ſei
Seiner au roſilon meſtot queuei
E me direz dgirart que ueine a mei
3760E ſi mament boſun qui face drei
E ſe fraire nel uol que ſen fenuei
Ja ne uera paſſat de mai lo mei
f. 66rQueu li monſtera del meus tal eſlaudei
Que nol remandra uine non leſtpei
3765Ne fontane ne pouz que nō caucei
Vna ren pout nodar en ſon correi
Vnc mais not tant grant gere nuſ conſ a rei

233. « Conseillez-moi, seigneurs, qui j’y enverrai : le vicomte Gace ou Joffroi, ou, si vous le préférez, Pierre de Mont-Rabei ? » Charles fit venir Pierre devant lui : « Sire, il faut que j’envoie un messager à Roussillon. Vous me direz à Girart qu’il vienne me trouver, amenant Boson pour faire droit ; et, s’il s’y refuse, me faussant foi, le mois de mai ne se passera pas sans que je lui fasse voir tel ost des miens, qu’il ne lui restera vigne que je ne lui arrache, ni fontaine ni pont que je ne lui détruise. Il peut compter sur une chose[48] : c’est que jamais comte n’eut telle guerre contre un roi. »

234.Apres parlet dans haimes de uaugruage
Paires fu carbone[l] de mont briſage
3770Don non mandes girart tal eſfraage
Tremetes bonement uoſtre meſſage
Quel uos uegnem dreit fare a ur̄e eſtage
Si com ferent li ome de ſon linnage
E ſe ſegre le uol ꝑ bon oſtage
3775Non por perdes del conte u͞r͞e omenage
Nel ne ꝑde de uos ſon ſennorage
E ſe li cons l[o] lait ꝑ ſon folage
Vos mandes u͞r͞e gēt ꝑ gant barnage
Ja ne derez tenir ꝑ guiūnage
3780Que uos ſai ben menar tot lo ueage
E porprennez ſa terre plan e boſcage
Ja ne uos en mouez por enuiage
Tru tort quel uos a fait uos dat bon gage
Mais cil qui la ira non ait folage
3785Nō aie coardie ne uolpillage

Mais ꝓueize e ualor e uaſſalage

234. Ensuite parla don Aimon de Vaugruage, père de Carbonel de Mont-Brisage : « Sire, ne mandez pas à Girart de telles menaces : envoyez un message pacifique, portant qu’il vienne vous faire droit à votre résidence, comme firent les hommes de son lignage. Et s’il consent à vous livrer de bons otages, vous ne perdrez pas votre hommage du comte, non plus qu’il ne perdra votre seigneurie. Si, par sa folie, il s’y refuse, mandez votre gent, votre grant baronnage. Vous n’aurez pas un denier à dépenser pour guides : je saurai bien vous mener par tout le voyage. Et vous, occupez sa terre, plaine et bois, n’en sortez pas, quoi qu’il arrive, jusqu’à tant que du tort qu’il vous a fait, il vous ait donné bon gage. Celui qui sera chargé de ce message ne doit pas être un homme léger : il n’y faut ni couardise, ni lâcheté, mais prouesse, valeur et courage. »

235.A ꝓu parlet teberz de uaubeton
E lui ac ceualier muntiſme bon
E ac mais de cent anz portat bliſon
3790E fu ben ꝓu derlin au rei carlon
Vna reins ſegnier reis n̄ ſat giſ bon
f. 66vQuentrei tei e girart aie tencon
Ne tu a tort ia retes tun baron
E tro ke ſaches primers la meſpreiſun
3795Mais creez la paraula dan naimon
E aco que te loent tuit ti baron
E trametez au conte au roſſillon
Quel te uienge dreit faire en ta maiſon
Aiſſi con ſes liz naies lo fes au ton
3800E ameint ꝑ oſtages conte folcon
E boſun e ſeguin de beſſencon
E taus cent cheualers chi ſient bon
E ſi faire nel uol edie e uonn
Non creire pois conſeil ke lon te don
3805Tros que manois lo tienges en ta piſon
E carles quant loit ml’t li ſat bon
E a en apelat a ſei peiron
Lo fil gauter au ſaiue al fraire alon
Cil furent fil tebert de ualbeton
3810Peires tu men iras a roſſillon
A don girart contar iſtei razon
Exendirai diſt peires breu ſermon
Lo matin quāt parra labe del tron

235. Après parla Tibert de Vaubeton[49] : c’était un excellent chevalier. Il portait le bouclier depuis plus de cent ans, et c’était un proche parent du roi Charles : « Il y a une chose, sire roi, qui ne me plaît pas : c’est qu’il y ait querelle entre toi et Girart, et que tu inculpes à tort ton baron avant de savoir de qui vient la faute. Mais crois en plutôt Aimon et ce que te conseillent tes barons. Envoie dire au comte, à Roussillon, qu’il vienne te faire droit en ta maison, comme son lignage le fit au tien. Qu’il amène comme otages le comte Fouque, Boson et Seguin de Besançon et cent chevaliers de valeur. S’il ne le veut faire, s’il dit non, rejette tout conseil qu’on pourra te donner, jusqu’à tant que tu le tiennes en ta prison. » Charles entendit ces paroles avec contentement : il appela à lui Pierre, le fils du sage Gautier, le frère d’Alon, ces deux derniers étaient fils de Tibert de Vaubeton. « Pierre, tu iras, de ma part, à Roussillon pour conter à Girart ce que tu viens d’entendre. — Je partirai, « répondit brièvement Pierre, « demain à l’aube. »

236.Ve uos a ſon oſtal peirun tornat
3815Digent quaquele noit at ſoiornat
Aſ lo ras e tonduz e gen bainat
Anz que ueiſt lo die eſclairat
Jl a ſos dras ueſtiz e uel chaucat
A la guiſe de france ſi conreat
3820Que quant uos ou aurai dit e cōtat
f. 67rVos no lo tendres mige a paubretat

236. Voici Pierre de retour à son hôtel. Pendant cette nuit, on l’a fait reposer, on l’a rasé, tondu et bien baigné. Avant le lever du jour, il était bien vêtu et chaussé. Il était habillé à la mode de France, de telle manière que, quand je vous l’aurai dit et conté, vous penserez que ce n’était pas un pauvre homme.

237.Brages ueiſt e chemiſe de chenſil
Anc nō ueiſtes nul drap tam ſe delil
Vers aquel uoil teinaz treſtot ꝑ uil
3825E furent li caucō des aquel fil

237. Il mit des braies et une chemise de toile : jamais vous ne vîtes si fine étoffe qui, auprès de celle-là, ne vous parût vile, et ses bas[50] étaient du même fil.

238.Cauces caucha dun paile aufrican
Soulars uermels a flors chi ſunt dedan
E cauca unes hoſes de corduan
Eſꝑuns dargent mer at os bauzan
3830Daico non ai eu ſom ſeu men uan
Car en la cort al conte o el iran
Nul tan ben conreat lai nō auran

238. Il mit des chausses d’un paile africain, des souliers vermeils ornés par devant d’une fleur ; il chaussa des houseaux de cordouan et des éperons d’argent doré. Je ne crains pas de me tromper en disant qu’en la cour de Girart où ces éperons iront, on ne verra personne mieux équipée.

239.Vn pelicon ueſti tonu ermin
Ben entaillaz a beſtes de marmorin
3835Afublat un mante freis cenbelin
La uouſure dun paile nou porprin
A canel e beton de mer or fin

Vait orar au moiſter a ben matin
Ot la meſſe ſegnor que labe din
3840E pois ſen eiſſi fors de ſos un pin

239. Il vêtit un pelisson d’hermine tout neuf, dans lequel étaient entaillés des animaux en marbre[51]. Il agrafa un manteau phrygien[52] de zibeline dont la doublure était d’un paile neuf teint en pourpre [avec une belle bordure.....[53]]. Il avait un anneau et des boutons d’or fin ; [ainsi vêtu à guise de palatin[54]], il alla de bon matin prier au moutier ; il entendit la messe que dit l’abbé, puis sortit [et se plaça] sous un pin.

240.Peirres iſt del monſter cō at orat
E a la meſſe oie del riche abbat
Eſ la gauter ſon paire aueninat
E prein lo per lo poin e lo menat
3845S(ob)run peron de marbre ben entallat
Caſtie lo a guiſe dome ſenat

240. Pierre sortit du moutier après avoir prié et entendu la messe du bon abbé. Voici Gautier son père, le sage vieillard, qui le prit par la main, et, le conduisant sur un perron de marbre bien entaillé[55], le conseilla en homme sage.

241.Gautiers de mun rabel paires peirun
Eſt uengut a la cort a neuelun
A un conte de france de ſeiſon
3850f. 67vE com ot del meſſage lo ſermun
Que peire deit annar a roſſilun
Pres ſon fil ꝑ lo pong conme lo ſun
E trait lo belement a un perun
E diſt li ſoauet une razun
3855Qui fait bien a entendre a donzellun
Qu[i uout] parlar a conte a cors felun
Se ſi fait com ſis paire lo li deſpun
Non ſemblera auol fol ne felun
(C)ai chanue la barbe e lo gerun
3860Ne fui en cort meſpres por ma tencon
Caſtien ten bel filz eoditun

241. Gautier de Mont-Rabei, père de Pierre, est venu à la cour avec Nevelon, un comte de France qui tenait Soissons, et, quand il entendit parler du message que Pierre devait porter à Roussillon, il prit par la main son fils, l’amena tranquillement à un perron, et lui adressa avec douceur les conseils qu’il convient de faire entendre à un jeune homme qui va traiter avec un comte plein de fierté. S’il se conduit selon les avis de son père, il ne sera pas regardé comme un homme médiocre, ni fou ni écervelé. « J’ai la barbe et les moustaches chenues ; jamais en cour je n’ai éprouvé d’affront pour parole que j’aie dite ; c’est pourquoi je te conseille, beau fils, et te parle ainsi :

242.Bel filz co diſt gauters uos la ireiz
Jſ meſſage de carle porportereiz
E uoil uol.ml’t. preiar ſi lo faceiz
3865Que nen ſeiez blaſmaz quant partireiz
Li cons eſt fel e pleins de ml’t maus ueiz
Filz ſi deus uos adiut e ſainte feiz
Ja por rien qui uos die non iraiſeiz
Car ia por ſa paraule meinz n̄ aureiz
3870Ja por aico diſt peires non caſtiez
Que tanbien ne lo dige ſe far mo liz
Se den bos nel defai o dan mafreiz
O dans ſeguins ci cons o dan gofreiz
Ja melz furmit meſage non oireiz

242. « Beau fils, » dit Gautier, « vous irez à Roussillon. Vous y porterez le message de Charles, et je vous recommande bien de le faire en telle manière que vous n’ayez blâme, quand vous vous retirerez. Le comte est fier et plein de mauvais instincts ; fils, puisse Dieu et sainte Foi vous aider ! Pour rien qu’il vous dise, gardez-vous de vous emporter, car ce ne sont pas les paroles qu’il vous dira qui feront que vous vaudrez moins. — Pour cela, » dit Pierre, inutile de me conseiller, car je m’exprimerai si bien, si j’en ai le loisir, si je ne suis pas tué par Boson ou par Mainfroi [56], par Seguin le comte ou par Joffroi, que jamais vous n’entendrez [parler de] message mieux accompli. »

3875243.Quant gauters lat ſos paires chaſtiat
E peires la fon fiz bien eſcoutat
A giſe dome ſaiue e menbrat
Car per ico ne men ai merueillat
f. 68rSe carles lo ſoa de toz triat
3880Car lo fat ꝓu e ſaiue e menbrat
Sauez ſeſt conbatuz en can iugat
No len noi anc dune apparrellat
Des pous li ſagrement furent iurat
Mort o uencut n̄ gerpenuis lo prat
3885Serunt enſens li ome duna ueſcat
Non lauriunt dis mes dun dreit tornat
Se manures nou tenient pres o forcat
Ꝑ tant lo ſat carles ben de toz triat
Car lo ſat ꝓu e ſaiue e preiſat

3890E ſeli de paraule e enraiſnat
Peires forniras mei ceſt anbaiſat
E mei dirarz girart dumilitat
Quel me uegne dreit a ma poſtat
Quei li feraui tot die ſa uoluntat
3895E non partirenz mais uōre amiſtat
E ſel faire nel uout quel ſen deſgrat
Janz ne uerraz de mai lo meis paſſat
Moſterre li tan helme forbit lazat
E tan bon caualer de nou caucat
3900Non guara en caſtel ne en citat
Ferai len fors iſſir eſtre ſon grat
Per deu quo reſpont peires bien lert contat

243. Ayant ainsi reçu les instructions de son père Gautier et les ayant écoutées en homme sage et considéré, il n’est point merveille que Charles l’ait choisi entre tous, le sachant preux, sage, capable de bien parler. Sept fois il s’est battu en combat judiciaire, sans qu’une seule fois, les serments jurés, son adversaire n’ait été contraint à quitter le pré, mort ou vaincu. Tous les hommes d’un évêché mis ensemble ne réussiraient pas en un mois à le faire renoncer à son droit (?), à moins de le tenir prisonnier et lié. Aussi Charles l’a-t-il choisi entre tous, le sachant preux, sage et prisé, orateur expérimenté et habile : « Pierre, [lui dit-il] tu me feras cette ambassade ; tu diras, avec mesure, à Girart qu’il me vienne faire droit en ma capitale, que je serai toujours disposé à accomplir ses désirs, que notre amitié ne sera jamais plus rompue. Que s’il ne veut le faire, s’il me refuse, il ne verra pas se passer le mois de mai sans que je lui aie montré tant de heaumes fourbis lacés, tant de bons chevaliers chaussés de fer[57], qu’il ne trouvera refuge en château ni en cité, car je l’en ferai sortir de force. — Par Dieu, » répond Pierre, « je saurai bien le lui dire.

244.Quar ꝑ la lei diſt peires [ke pros du]n col
Se deu plaz e ſain piere e ſain pol
3905Eu non mei piſerie un aureol
Se en la cort nel oent ſage e fol
E cons girarz pimers ſoil ſe uol
f. 68vQue carlon en ſa colpe lo rei ſe tol
Pois ſel me tent ꝑ auol ne ꝑ digol
3910Eu (ne li prei)zerie un roſſinol
Ne (mais cal ſe ſeie) en faldeſtol

244. « Car, » dit-il, « par la loi à laquelle obéissent les hommes de bien, s’il plaît à Dieu, à saint Pierre et à saint Paul, je ne m’estimerais pas un loriot, si en la cour [de Girart] je ne fais entendre à tous, sages et fous, et au comte Girart tout le premier, pour peu qu’il le veuille, qu’il se soustrait, le tort étant sien, à Charles le roi. Et après cela, s’il me tient pour un homme vain ou insensé, je m’en soucierai, de lui ou de tout autre[58], comme d’un rossignol[59]. »

245.A uos peiron ml’t ben entalentat
Qui furmira meſſage ꝑ ſon grat
Non ſenble giens noiriz de paubtat
3915Ben pares a ſon ſenz o ac eſtat
Mul menera amblant ben aagrat
Ceual traira en deſtre mot acorſat
Vn adu porteran tant eſt ſagat
Vn an poraz auer lo rein cercat
3920Caugiſat e tan bun negun trobat
Bien aie oliuers qui la donat
Car prendre en pot tot laur dune citat
En un ſoler an unt peiron poiat
Auirez de cauz armes pois lon armat

245. Voici Pierre bien disposé à accomplir de son plein gré le message. Il n’a pas l’air d’un homme de pauvre condition ; son savoir montre assez entre quelles gens il a vécu. Il ménera un mulet amblant, et conduira en dextre un cheval rapide. Il portera un équipement si riche que vous pourriez bien parcourir le royaume pendant une année avant d’en avoir trouvé un si bon. Béni soit Olivier qui le lui a donné, car il en aurait pu avoir tout l’or d’une cité ! Pierre monta en une chambre, et vous allez entendre de quelles armes on l’arma.

3925246.Egal pas len poierent en un ſoler
E et qui lon armat com cheualer
E dere li loberc qui fu enner
Qeu carles aporta de mongauger
Ja eſt co clareus qui fu ſeineir
3930Toz fu fait ab argein e dor coit mer
La maitaz a eſches lautre a carter
En inde la neire ep cap de rer
La lo faire par art dui oberger
En france laporterent marcader
3935E ne peiſe giens plus dun ſol garmer
Mais ne dote carel darbaleſter
f. 69rE a ceinta belan qui fu diſder
An non uiſtes tal arme a ſon meſter
Vne targe a ſon col queſ de durmer
3940La bocle e li clauel de lapoier
Furunt dor coit daraibe uermeille cler

E ac aſt e lance de berengier
El non menat a ſei plus conpainer
Cacelin ſon nebot lo fil aſcher
3945Aicel li menera ſon bon deſtrer
Vn cheual lor bauzan de balager
Non a en tota france tant eſtrader
Com prez o lui ꝑ corre mige un ſomer
E at tal frein el cap mellor n̄ quer
3950Hanc n̄ ueiſtes tant bon ne ſi leger
An larcon de la ſelle e la leuer
Furent de uaires gemmes neſ leſtreber
Endamiac lo feire lomenucer
A carlun laporterent marcader
3955Aiches adous au peires doliuer
Nes pout meuz enpleiiar en tot lemper

246. Aussitôt on le fit monter en une chambre, et là on l’arma comme un chevalier. On le revêtit du haubert fort et léger que Charles rapporte de Mont-Gangier[60]. Il était fait d’argent et de fin or cuit, la moitié était à échecs, l’autre à quartiers[61] ; il avait été fait en Inde... ; c’est là que deux ouvriers en hauberts le fabriquèrent avec art. Deux marchands l’apportèrent en France [et le donnèrent à Charles dans Rivier[62]]. Il ne pesait pas plus qu’un seul garnement, mais il était à l’épreuve des carreaux d’arbalète. [Pierre laça ensuite un heaume d’acier fin[63]], et ceignit l’épée[64] qui appartient à Didier[65] ; jamais vous ne vîtes arme d’aussi bon service. Il mit à son col une targe de...[66] ; la boucle[67] et les clous depuis la pointe[68] étaient d’or cuit d’Arabie merveilleusement brillant. Il avait la lance de Bérengier [à laquelle était fixé un gonfanon grand et traînant[69]]. Il n’enmena avec lui aucun autre compagnon que son neveu Acelin, le fils d’Aschier. C’est celui-ci qui mènera son bon destrier, un cheval à la robe claire et tachetée, de Balaguer[70]. Il n’y avait pas en France un coursier qu’on estimât, au prix de lui, un sommier[71] ; son frein était tel qu’on n’eût pu souhaiter meilleur [72] : onques vous ne vîtes si bon ni si léger. Les arçons de sa selle et les étriers étaient ornés de pierreries et d’or pur... Pierre eut cet équipement d’Olivier qui n’aurait pu, par tout l’empire, en faire un meilleur emploi.

247.Cheual e mul a bon e garnement
Qui ual aſſaz des autres mais de cent
Peires uint en la ſale o a gant gent
3960Des barons de la terre mais de ſet cent
Dun eueſque e dun cont funt iugemē̄t
Lo reis eu faudeſtue de mer argent
Peires fu a ienouz ml’t couinent
Er uuel que diiaz u͞r͞e talent
3965Que manderez au conte uoſtrecient
f. 69vVolentiers co diſt carles un pau matent
Aico que te dirai fort e entent
Carcem n̄ uaut meſſage qui om meſprēt

247. Il avait un bon cheval, un mulet, un équippement qui en valait plus de cent d’autres. Il entra en la salle où il y avait grande affluence : des barons de la terre on y comptait plus de sept cents. On jugeait un procès entre un évêque et un comte ; le roi était assis en un fauteuil de pur argent, et Pierre s’était agenouillé avec déférence : « Veuillez [dit-il] me faire savoir vos intentions : que manderez-vous au comte ? — Volontiers, » dit Charles, « attends un peu ; prête toute ton attention à ce que je te dirai, car celui-là est un mauvais messager, qui rapporte mal les paroles qu’on lui dit. »

248.Co me direz au conte dan girart
3970Quel me uienie dreit faire a mont aſcart
A reins o a ſeis ons a ſan meart
Au iuiement del conte dan ricart
O del gazon de drous o del brocart
Ameint o ſei ſegin e dun bernart
3975Folcher lo mareſcau[c]on del felon art
Melz neſ pout nus conduire de mei part
Que tu poz far ſe uout ſeinu regart

248. « Pierre, vous me direz au comte Girart qu’il vienne me faire droit selon mon gré[73], à Reims, ou à Saint-Médard de Soissons, se soumettant au jugement du comte Richart, de Gace de Dreux ou de Brochart. Qu’il amène avec lui Seguin et don Bernart, et Fouchier le maréchal qui est plein d’artifices. Personne ne les peut mieux guider en mon nom en toute sécurité que tu ne peux le faire, si tu le veux. »

249.Lo me diraz au conte que eu li mant
Quel uienie dreit faire a mon talant
3980Top me uait malement toſtens menant
E peſera me ml’t de ſer enant
Met ten peires dis carles por mei engant
Eu men uauz co diſ el toz conreant
E donez mei coniat que remanant

249. « Tu me diras au comte que je lui mande de venir faire droit à mon gré. Il y a trop longtemps qu’il se comporte mal envers moi, et cela commence à me peser. Emploie-toi activement pour moi en cette affaire. — Je suis tout prêt, » dit Pierre, et je pars, donnez-moi congé. »

3985250.
Peires paraula au rei coniat en prent
E des autres baruns fai enſement
Eiſie de la ſale e ſen deſcent
E a fait a ſon paire bref parlement
E li filz lo baiſet par ſen rient
3990Li paire lo comande de bon talent
A deu lo redentor om̄ipotent
E monten cheualer entres ca cent
Ouident annar a lui il lor defent

Car peires en iuret ſon ſaigment
3995f. 70rCuuns nel ſigra de tˉre un ſol arpent
E cil ſen repairent alquan dolent
E peires point lo mul ſa uie tent

250. Pierre ayant fini de s’entretenir avec le roi, prend congé de lui et des autres barons. Il sortit de la salle, descendit les degrés, échangea quelques mots avec son père, le baisa, et partit avec un air riant. Le père le recommanda de bon gré à Dieu le rédempteur tout-puissant. Des chevaliers jusqu’au nombre de cent montèrent à cheval, voulant l’accompagner, mais il le leur défendit, jurant qu’aucun ne le suivrait seulement un arpent. Ceux-ci se retirent un peu mortifiés, et Pierre, piquant son mulet, poursuit sa route,

251.Lo gant chemin tient paires lo plus plenier
En ſei mees a pres tal coſier
4000Ne pot ſol encontrar nul ſun guerrer
Por cui canies un dor de ſon ſender
La iornades quil feſt contar nō quer
Entrat en roſſilun par pont primer
E deſcent a laruol ſoz lo clocher
4005A las armes corurent cent cheualer
Seſpade comandet al eſcuder
E pois intret orar el moneſter

251. Pierre suit le grand chemin, décidé à n’en pas dévier d’une ligne pour ennemi qu’il puisse rencontrer. De ses journées je ne vous ferai pas le compte. Il entra à Roussillon par le premier pont, et descendit à la voûte sous le clocher. Cent chevaliers accoururent pour recevoir ses armes. Il confia son épée à son écuyer, et entra au moûtier pour prier.

252.El moneſter ſes peires breu orazon
E tan com il i dis fu aſat bon
4010Santa maria preie e deu del tron
Quilui cele paraule dire neſ don
Ꝑ com ꝑ fol ne lage ne por bricon
Ne que girarz li tene a meſpriſon
E aſegnat ſon cap ab iſt ſermon
4015E trobet fore a luis ſon conpainon
Tornat ſeſpade el force aiqui o fon
E uent ꝑun la place lo pau paſſon
E encontret le conte eſteuenon
E robert e guillelme e aiennon
4020E ranul e tebaut e don acon
E cō lo quide metre a razon
Girarz parla a doitran e a folcon
E a boſun le conte deſcarpion
f. 70vJl a laiſat toz ces qant uit peiron
4025E eſt drecaz en piez mes la razon

252. Pierre fit dans le moûtier une brève prière, mais ce qu’il dit était bon. Il prie sainte Marie et Dieu du ciel de ne lui laisser dire aucune parole qui puisse le faire passer pour un homme téméraire ou léger, ni que Girart puisse prendre pour une insulte. Puis il se signe et sort. Son compagnon l’attendait à la porte. Il reprit son épée, la remit au fourreau et traversa la place au petit pas. Là il rencontra le comte Etienne, Robert, Guillaume, Aimenon[74], Ranoul, Thibaut, Ace, et comme ceux-ci s’apprêtaient à l’interpeller, Girart, qui parlait à Doitran, à Fouque et à Boson, le comte d’Escarpion, les laissa tous en voyant Pierre, et, se levant, lui adressa la parole [lui demandant des nouvelles du roi Charles, s’il l’a laissé à Paris ou à Soissons[75]].

253.Gerarz dreca en piez quāt peirō uit
E pren lo ꝑ lo poin le ſei laſiſt
E demandet de carle coren partit
E el ſat tals noues que nai oit
4030E mal aie de co quel e mentit
A paris lo laiſet aco la dit
El te mande ꝑ mei queu te conuit
Que tos cors o parlet e(l) conſentit
Del duc tieri daſcane quant el morit
4035Anc nuſ nel por parler ne nel ſofrit
Nicel ſobre ſon cors lai nō ferit
Si nol fais de ta terre tſtot faidit
Que lo reis ne te moue gerre e eſtrit
E girart qant loit au cor marit
4040Tornet ſoi uers focon en fein ſorit

253. Girart se leva, quand il vit Pierre ; il le prit par le poing, le fit asseoir près de lui, et lui demanda quand il avait quitté Charles, et s’il en avait des nouvelles, maudissant quiconque ne lui en dirait pas la vérité. — « C’est à Paris que je l’ai laissé, » répond Pierre. « Il te fait dire par moi que c’est toi qui as comploté le meurtre du duc Thierri d’Ascane. Celui, quel qu’il soit, qui a pris part au complot ou l’a laissé faire, ou a porté la main sur le duc, si tu ne le bannis pas de sa terre, le roi te fera la guerre. » Girart, lorsqu’il entendit ces paroles, fut affligé. Il se tourna vers Fouque avec un sourire feint.

254.Peires ſas autres noues de par lo rei
Aiceles queu me ſai celar nō dei
Car mon ſegnier to mande eu di tei
Q li aimes (d)reit faire a ſa mercei
4045A ſeiſons o a rains a ſaint romei

E meina de tos omes meilors a tei
E non cuidaz uos mige ſinos plaidei
Com on deit faire conte d’ uōre lei
Nol feran diſt girar ſe d n̄͞o mi uei

254. « Pierre, as-tu d’autres nouvelles de la part du roi ? — Celles que je sais, je ne les dois pas cacher. Mon seigneur, te mande, et je te le répète, que tu ailles lui faire droit en sa merci, à Soissons, ou à Reims à Saint-Remi. Mène avec toi, de tes meilleurs hommes. Et ne doutez pas qu’il vous jugera comme on doit juger un comte tel que vous. — Si j’y vais ! » reprit Girart[76].

4050255.Girart carles uos mande iſta raiſon
Que i aimes dreit faire aſſa maiſon
Eiſi con tes lignages lo fes au ſon
f. 71rMeneſ enſenble o uos conte boſun
E ſeigin cel uiſconte de beſencon
4055E menez dū folcher lo marcaucon
E menez ꝑ oſtages cōte fulcon
E tal cent cheualers qui ſient bon
E ne laiſat uos giens por aucaiſon
Caiqui ſerūt ſei home e ſei baron
4060Qui orunt de ton dreit ſi las o non
E nō dotaz uos mige de meſp̃ſon
Que mon ſegner en face tiſon
Quel nō ſen penſerie ꝑ deu del ton
Sil doniaz daur qui ez aitant mangon
4065Com on porie metre dinz cel danion
Peires uai erberiar ob aimenon
Quan para lo matin li ſolz el to.
Te dirai del ānar ú oc ú non

255. — Girart, Charles vous mande ceci : que vous lui alliez faire droit à sa résidence [à Paris ou à Chartres[77] ou à Soissons[78]], comme tes ancêtres l’ont fait aux siens[79]. Menez avec vous le comte Boson, Seguin le vicomte de Besançon, menez y le marquis Fouchier, et, à titre d’ôtages, le comte Fouque et cent bons chevaliers. N’y manquez pas, sous aucun prétexte : là seront ses hommes et ses barons, qui entendront ta cause et jugeront si tu as droit ou non. Et ne redoutez aucune insulte, ni de la part de mon seigneur aucune trahison ! Il n’y songerait pas, au nom de Dieu du ciel, quand on lui donnerait autant d’or cuit, autant de mangons[80] qu’on en pourrait mettre en ce donjon. — Pierre, va loger chez Aimenon[81] : au matin, quand le soleil paraîtra au firmament, je te dirai si j’irai, oui ou non. »

256.Ob aimenun arberie peires la noih
4070Ob un ome ben ſaiue coite ele doih
De mes li dona aimes ben diſoih
Piment e uin e ueles e pan beſchoih

256. Pierre va loger la nuit chez Aimenon, un homme sage, aimable et instruit dans la loi, qui lui donna ce soir-là bien dix huit sortes de mets [des châtaignes cuites en braise et d’autres fruits[82]], du piment, du vin, des gaufres et du biscuit, [et, par dessus tout cela, d’un fort vin cuit[82]].

257.Ab aimenun uiat peires arberiar
A tal ome qui ſat gēt conrear
4075Son cheual e ſon mul fait eſtablar
Son oſberg e ſon elme eſtoiar
Quant tables ſunt garnides e uunt maniar
De li car de cabrol e de ſanglar
E mante uolatire e peis de mar
4080De li piment a beure e bū uin clar
E peires fun toz las de cheualgar
E quāt lit ſunt garni e uait coiar
f. 71vDec li una doſele a taſtonar
Cele nout ſe iat peire tru au ior clar
4085Quel ſe ueit ueſtir e gen chaucar
Pois ennet al monſter meſe eſcoutar
E girarz ſos barons a fait mandar

257. Pierre va loger chez Aimenon, un homme qui entend l’hospitalité. On met à l’étable son cheval et son mulet, on serre son haubert et son heaume. Les tables servies, on alla manger. Aimenon fit servir de la viande de chevreuil et de sanglier, de la volaille, du poisson de mer, et fit boire à son hôte du piment et du bon vin clair. Pierre était tout las d’avoir chevauché : on fit les lits, ils allèrent se coucher, et Aimenon amena à son hôte une fille pour le tâtonner[83]. Cette nuit Pierre resta au lit jusqu’au grand jour. Alors il se vêtit et chaussa, puis il se rendit au moûtier pour ouïr la messe. Girart, de son côté, convoqua ses barons.

258.Girarz en roſſillon de ſobre ſeina
En une cambre uouta de mur cauceina
4090A mandat los barons daquel reina
Non ſat bon cheualer qo lui ne ueina
Segor qui ſat conſel gart nō ſen feina
Vers carlon mon ſegnor cō mi conteina
Non quide de ma tˉre laiſar enſeina
4095Gillelmes doſteun celar nol deina
Vai far dreit ton ſeinor tal qa ſaueina
A rains o a ſeſons o a conpeina

E ſel ꝑ ſon orguel prendre nol deina
Non pinſar pois ſa guerre une ſalmeina
4100Mais p̃ge danlideu que te meintena
Eu taiudera ſein rein que enpina

258. Girart est à Roussillon sur Seine, en une chambre voûtée aux murs cimentés. Il a mandé les barons de ce pays : il n’y a bon chevalier qui ne vienne à lui : « Seigneurs, qui sait conseil ait garde de le cacher : Que dois-je faire à l’égard de Charles, mon seigneur, qui de ma terre ne veut pas laisser subsister trace ? » Guillaume d’Autun ne voulut pas celer sa pensée : « Fais droit à ton seigneur dans la mesure convenable, à Reims, à Soissons ou à Compiègne ; et si, par son orgueil, il ne le daigne prendre, fais de sa guerre autant de cas que d’une châtaigne, et prie Dieu de te venir en aide, et il le fera sans qu’il t’en coûte rien. »

259.Girarz fu en ſa cābre ꝑ conſellar
E feiz ſos mellors omes o lui intrar
Aidunt les p̃s lo cons a coiurar
4105Mei amic e mei ome e mei par
Sabeſz mei dune rien conſel donar
Carles lo reis me mande que lan dreit far
A rains u a ſeiſōs a ſun eſtar
E mein los mellors omes queu pois menar
4110Qui oſtagent lo dreit ſe no pois far
Vos lai non ires mige diſt bos lo bar
f. 72rPer tot aquel conſel q̃ uos ſai dar
Ne per negū cōduit de bachelar
Qer me uint unſ meſages a laueſprar
4115Aicil partit deu plait de mongimar
Carles lo reis de france nos uuel taar
Far lo li faire armanz cil de biſclar
E ace dauinnū gi de beu clar
Per duc teuri que carles out tan char
4120Negun ome ne pout om tant amar
Trues que cōs o uiſcōs an ſenepar
O bibes o riſ un ꝑ ben guidar
Ꝑ mon cap diſt girarz fan agardar
Mal aie toz li paſ qui quer ānar

259. Girart était dans sa chambre pour prendre conseil ; il fit entrer ses hommes les meilleurs, puis il se prit à les conjurer[84] : « Mes amis, mes hommes, et vous mes pairs, me saurez-vous donner conseil sur ceci ? Charles le roi me mande de lui aller faire droit à sa résidence, à Reims ou à Soissons, menant avec moi mes meilleurs hommes, comme garantie du droit[85], si je ne puis m’acquitter. — Vous n’en ferez rien, » dit Boson, « si vous en croyez le conseil que je vous donne, ne vous fiant à la sauvegarde d’aucun bachelier[86] ; car hier soir m’est venu un message, arrivant du conseil tenu à Mont-Guinar. Charles, le roi de France, veut vous trahir. Il y est poussé par Armant de Bisclar[87], Ace d’Avignon, Gui de Beuclar, pour venger la mort du duc Thierri que Charles avait si cher : jamais homme n’eut pour un autre telle affection. — Par mon chef, » s’écria Girart, « je m’en garderai bien. Malheur à qui voudra s’y rendre jusqu’à ce qu’il vienne, comme guide, un comte, un vicomte, un riche baron ou un évêque[88] ! »

4125260.Ai bos co reſpont folco no lo direz
Si ia deus uos aiut ne ſainta fez
Ja a carlon ceſt blaſme no i metez
Car nol ſe penſerie carles lo rez
Por tote aiquele anor quāc agiſſez
4130Na u͞r͞e don girart (n̄) cōſellez
Que a la cort n̄ ant daqueſte fez
Si girarz uai a cort uol qui annez
Soſtages i couen uos lo facez
E ſi auers i coite uos lo donez
4135Car ſi girarz a dan uos ſi aurez
E ſi mos do[z] en plore uos nē tirez

260. — Ha ! Boson, » dit Fouque, « c’est une parole malheureuse ! Si Dieu et la sainte foi vous sont en aide, ne chargez pas Charles d’une telle honte. Il ne formerait pas un tel projet pour autant de terre que vous en ayez jamais pu avoir. Gardez-vous de conseiller à Girart votre seigneur de ne point se rendre cette fois à la cour de Charles. Si Girart va à la cour, allez-y aussi ; s’il y faut ôtage, soyez-le ; s’il est besoin d’argent, fournissez-le ; car, si Girart perd, vous perdrez aussi, et s’il pleure, vous ne rirez pas. »

261.Tot lo mellor conſel queu m̄ ſai
Vierement quo diſt folco le uos dirai
Lo reis tendra ſa cort en iſt mimai
4140E ſeron i ſui ome mellor co ſai
f. 72vE pos carles nos mande annē en lai
E ſi girarz i uai eu lo ſigrai
Soſtages i couen eu lo ferai
E ſi auers i coite eu li derai
4145Car ſi girarz a dan eu ſi aurai
E ſi mos donz en plere eu ne rirai

261. « Le meilleur conseil que je sache je vous le dirai en vérité, » dit Fouque. « Le roi tiendra sa cour à cette mi-mai[89], et ses meilleurs barons y seront, je le sais. Puisque Charles nous y mande, allons-y. Si Girart y va, je l’y suivrai ; s’il faut un ôtage, je le serai ; s’il est besoin d’argent, je le fournirai, car, si Girart perd, je perdrai aussi, et, s’il pleure, je ne rirai pas. « 

262.Gilberz de ſenesgarz fiz nodelon
Faire conte boſun e dan focon
E bernart e ſegin de beſencon

4150Cuſins germains girart e neſ drogon
Auirez cō il diſt gent ſa razon
E per deu fraire bos dirai o ton
Coniur ten lo ſeignor ki maint el tron
Non loar a girart iſta razon
4155Qe el nō ant dreit faire ſon dō carlon
Tendrient icil autre a meſpreiſon
Ben leu li tornerient a traiſon
Mais er li aīt dreit faire pos lo ſemon
E li reis lo retiene co(me l)o ſon
4160Car ſes om ē li meldres de ſa reion
E ſel faire nel uout e diſt que non
E pois nos uait menant ꝑ acheiſon
Eu ten aiuderai ſen ren del ton
Tendrai mil cheualers en ta maiſon
4165Senz co que ia tē quere prez dū māgon
E girarz reſpondet garnis en ſon
Quā dan bos ſail auant qui diſt q̃ non

262. Gilbert de Senesgart, fils d’Odilon, frère du comte Boson, de Fouque, de Bernart, de Seguin de Besançon, cousin germain de Girart et neveu de Drogon, prit la parole, et vous entendrez comme il sut bien exprimer sa pensée : « Par Dieu ! frère Boson, écoute-moi, je t’en conjure par le Seigneur qui réside au ciel, ne donne pas à Girart le conseil de s’abstenir d’aller faire droit à Charles son seigneur. Les autres[90] y verraient une insulte, et le lui imputeraient à trahison ; mais qu’il lui aille faire droit, puisque Charles l’en semond ; que le roi le retienne comme son homme, car, entre tous ceux de son royaume, Girart est le meilleur baron. Si alors le roi refuse, s’il dit non, s’il exerce des vexations contre nous, je te[91] viendrai en aide, moi, sans rien prendre du tien. J’entretiendrai chez toi mille chevaliers sans te demander la valeur d’un mangon[92]. » Girart dit : « Je suis prêt à aller faire droit. » Mais Boson s’avança et soutint l’avis contraire.

263.Dam bos ſalit en pez a une part
E paraulet lo cons ꝑ ital art
4170f. 73rDirai o tot gilbert de ſeneſgart
Si damledeus taiut ne ſau ne gart
Conſelle melz ꝑ dreit ton don girart
De carle el rei de france aquel gainart
Dugun duc dagiane e de berart
4175Cui le cuident confundre lui e ginart
E ſi li cons i uait ai grant regart

263. Boson se leva et parla ainsi : « Écoute, Gilbert de Senesgart ; donne à ton seigneur Girart de meilleurs conseils, à regard de Charles, le roi de France, ce chien, de Hugues, duc d’Aquitaine[93] et de Bérart, qui veulent le perdre, lui et Guinart[94]. Si le comte y va, ce ne sera pas sans risques. »

264.E gilbers quant loit uai ſe ſeder
Bernarz drecat en pez diz ſō plazer
Eu ꝑ deu faire folco en dirai uer
4180Eu dere bon conſel qui uouſiſt crer
Com non a en iſt die tan grant poder
Que girarz ne lo poiche maior auer
Que ſel mande ſos omes toz par lezer
Ja n̄ cuit de bataille nuſ om leſper
4185Ne que oſt en ſa terre a oſt iazer
E ꝑ oc qui creirie iſt men ſaber
Ert moguz a la cort deman au ſer
Car quo pout ſi la gerre far remaner
Q’ iamais n̄ aureiz mot menteuer

264. Gilbert, ayant entendu ces paroles, s’assit. Bernart se leva et dit sa pensée : « Par Dieu, sire Boson, je dirai la vérité et donnerai bon conseil à qui voudra le croire. Il n’est en ce jour homme si puissant que Girart ne le soit plus encore ; car, s’il mande ses hommes, comme il le peut, je ne crois pas que personne ose l’attendre en bataille ou maintenir une ost sur sa terre. Et pourtant, si on voulait en croire mon conseil, demain soir on se mettrait en route pour la cour, car ainsi la guerre pourrait être empêchée si complètement que jamais plus vous n’en ouïriez parler. »

4190265.Landriz li cons aqel qui tēc niuerz
Fun laiens au conſeil drecat en pez
E parlet a girart cō om ꝑcez
E uos unes tragaz ꝑ quei fazez
Eu cal diſt girarz car o dizez
4195Eu uolenters diſſil pos uos uolez
Quant a uos mellors omeſ cōſel querez
Nō ſabez o parlaz quāt en partez
Ni o reſte li ſens qui apreinez
f. 73vEr uos dirai girart cauz uos eſſez
4200Eu noi derie un eu ſi uos irez
Car co ert ur͞as ꝓs ſi lentendez

Dreit ne lei ne iuſtiſe uos nō tinez
Anz qui ſe claime a uos leſcarniſſez
Co eſt la pire teche que uos auez
4205Mais ꝑ cel damledeu ꝑ cui uiuez
Si nō laiſaz eſtar lorguel el prez
Lo tort e la bauzie quel cap tenez
E damledeu de cor no menteuez
Qui uos tent en enor mentre uiuez
4210Carlon n͞r͞e ſeinnor melz n̄ ſeruez
Vos en ꝑdrez leſ unres que ganç tenez
Que de cent milie omes n̄ aurez dez
Ne de la gant honor citat ne ſez
Ꝑ mō cap co diſt folco uer i direz
4215Mal aie toz li moz que uos mētez

265. Le comte Landri, celui qui tenait Nevers, était présent au conseil. Il se leva et parla à Girart en homme sage : « Pourquoi voulez-vous faire une folie ? — Moi, laquelle ? » dit Girart. « Dites-le-moi. — Volontiers, puisque vous le voulez. Quand vous demandez conseil à vos meilleurs hommes, vous ne savez plus, lorsque vous les quittez, prendre une résolution, ni démêler, dans ce que vous entendez, le sage conseil. Je vous dirai votre fait, Girart, et, si vous vous irritez, je m’en soucie comme d’un œuf, car ce que j’en dis, c’est pour votre bien. Vous ne maintenez ni droit, ni loi, ni justice. Quiconque se plaint à vous est reçu avec des railleries ; c’est là ce qu’il y a en vous de pis. Mais, par le Dieu qui vous fait vivre[95], si vous ne déposez l’orgueil, la hauteur, l’injustice, la mauvaise foi qui sont en vous ; si vous ne faites entrer en votre cœur la pensée de Dieu, qui, tandis que vous vivez, vous tient en honneur ; si vous ne servez pas mieux Charles, votre seigneur, vous perdrez vos grandes possessions : de cent mille hommes il ne vous en restera pas dix, de votre grande terre, pas une cité ni une ville. — Par mon chef ! » dit Fouque, « vous dites vrai ; et si vous avez dit une parole fausse, maudite soit-elle !

266.Duna rien co diſt folco ſui ml’t dolenz
Oz e uez e eſcouteſ e n̄ entenz
Diz ke carles ton ſeidre enz meſcreenz
E que trair te uol co ſaz e ſenz
4220Era mande tos omes e tos parenz
E duna lor caſtels e chaſemenz
E oſbers (e ceua)us e garnemenz
E nō laiſſar ꝑ co dreit nō preſenz
E ſel prendre nel uol ꝑ ſon fol ſenz
4225Cel qui pois te faudra ſent recreenz
E tu fouz e maluaz ſi no li uenz
Car ſe dex te aiude e dreit conſenz
f. 74rNos pout carles confundre ne ſaute genz

266. « Il est une chose », dit Fouque, « qui m’afflige beaucoup : vous êtes là à écouter, et vous ne comprenez rien. Tu traites Charles de mécréant, tu sais, dis-tu, qu’il veut te trahir. Alors mande tes hommes et tes parents, donne-leur des châteaux, des fiefs, des hauberts, des chevaux, des équippements ; mais ne laisse pas pour cela de lui offrir le droit. Si, par sa folie, il ne le veut prendre, que celui qui te fera défaut soit considéré comme lâche, et toi comme un sot et un poltron si tu ne le lui fais payer cher ; car, si Dieu t’aide, et si le droit est avec toi, ni Charles ni les siens ne te pourront vaincre. »

267.E dan bos quāt loit pren la peſar
4230E es drecaz en piez enz a parlar
Folco laiſaz iſ plait tſtot eſtar
Car aico non es proz a conortar
Ne mon ſeiner nō dei ia otreiar
Mais una rien aurie ben a loar
4235Si carles ſe uolie cai apruchar
Que anneſein o lui a plan parlar
E anneſe mes ſeindre desencolpar
Non i q(ui)t cheual’r ia ſen enpar
Qui men oſt ꝑ ſon dreit en leſcut dar
4240Aiſi pot diſ .Girar. ml’t bien reſtar
Li conſelz fun donaz quil uolgeſ far
Les tables ſūt cubertes e uont maniar

267. Boson entendit ces paroles avec peine. Il se leva et prit la parole : « Fouque, ne parlez point ainsi : ce n’est pas là un conseil digne, et il ne convient pas que mon seigneur s’y conforme. Mon avis serait, si Charles voulait venir près d’ici, que nous allassions nous expliquer librement avec lui. J’irais disculper mon seigneur, et je ne crois pas qu’il y ait chevalier qui ose, pour son droit[96], frapper mon écu[97]. — Nous pouvons nous en tenir à cet avis, » dit Girart. Le conseil était donné, il ne restait plus qu’à le mettre à exécution. On plaça les mets sur les tables et on alla manger.

268.Quant unt maiat ſin preſtrēt fors a iſſir
El plan deuant la ſale ꝑ dreit burdir
4245Qui ſat cancon ne fable enquet la dir
Chaualer a ſeder e a lauir
E girarz e li ſeu a eſbaudir
Entros que uen la noiz a fredezir
Lo cons demandat uin e uait durmir
4250E leuet lo matin a leſclarcir
Sui danzel laiuderēt a ueſtir
E annet au moſter la meſſe auir
Pois a fait lo meſſage a ſei uenir

Co que mandera carle enque la dir

268. Après avoir mangé, Girart et les siens allèrent sur l’esplanade, devant la salle pour se divertir. Qui savait chanson ou fable se mit à la dire, tandis que les chevaliers s’asseyaient et écoutaient. Girart et les siens s’amusèrent jusqu’à ce que la fraîcheur de la nuit se fit sentir. Le comte demanda le vin et alla dormir. Le lendemain, au point du jour, il se leva. Ses damoiseaux l’aidèrent à se vêtir. Il alla ouïr la messe au moûtier, puis, ayant fait venir à lui le messager, il lui fit connaître sa réponse à Charles :

4255269.Peires tu ten iras a ton ſeinor
A carle el rei de france lemꝑador
f. 74vDe mie part li diges en de amor
Peſe mei car mei tent por ſordeor
Mais qual faire mō paire ſui anceſſor
4260Queu degra cadelar ſa oſt francor
E portar en bataille ſauria flor
E donar en la cambra conſel meillor
Mais ſi lo mant colgut ſui traitor
Li cuuert el maluaz el bet fador
4265Per queu n̄ pois auer lui ne ſamor
Ꝑ ce ſen conbatrie ſempre au mellor
Acel qui ſi ſen fait uers lui duotor
Qui fait uers lui de mei lauſengedor
Qant bos ociſt teuric ſon maufaitor
4270Quel ne parlet a mei ne eu a lor
Ne recet ueu donai caſtel ne tor
Ꝑ quen ſie forfaiz uers mon ſegnor
Ne quel men degeſt toure mas de menor

269. « Pierre, tu t’en iras à ton seigneur, à Charles, roi de France et empereur ; tu lui diras, de ma part, en l’amour de Dieu, qu’il m’est pénible de voir qu’il n’a pas pour moi l’estime qu’avaient pour mon père ses devanciers. C’est moi qui devrais guider son ost de France, porter en bataille son oriflamme, donner dans sa chambre les conseils les plus autorisés. Mais tout cela m’a été enlevé par ses traîtres, les vilains, les lâches, les trompeurs, de sorte que je suis retranché de son amitié. Je suis prêt à soutenir par bataille contre le plus vaillant, contre celui qui se fait en cette affaire le conseiller de Charles et me fait passer à ses yeux pour un trompeur, que lorsque Boson a tué Thierri, son ennemi[98], il ne m’en a dit mot, ni moi à lui ; que je ne lui ai donné retraite ni en château ni en tour ; qu’il n’y a donc motif pour que je soie forfait[99] envers mon seigneur, ni pour qu’il m’enlève un mas de ma terre. »

270.Si dˉs maiut diſt peires or en eu gaich
4275Quā tu diz queu a rei tort n̄ aſ faich
Ꝑ que poiſche tonor metre en forfaich
Pos tan ben o diſez annem au plaich
Quaurat lo reis (en fr)ance en iſ mi amich
E ſerunt i ſui conte e ſui abbaich
4280Qui iugerūt lo dreit e tu o faich
Mala eu diſt girarz ſeu gins la uaich
Ne ſi eu men cōrei entala aich
Tu ſas ben ꝑ quel reis me mes agaich
Anz en ſerūt enquer mil eſcut fraich
4285Set cent donzel deſ ſelles ꝑ tˉte taich
f. 75rE ferit ob eſpades tal mil gemainch
Ga ne garunt li elme cap ne caraich
A ueniar mei de carle del tort qūe faich

270. « Si Dieu m’aide, » dit Pierre, « tu plaisantes quand tu dis n’avoir envers le roi aucun tort pour lequel il puisse mettre ta terre en forfait ! Puisque vous l’affirmez si fort, allons au plaid que le roi de France tiendra à cette mi-mai ; là seront ses comtes et ses officiers[100] qui jugeront le droit. Faites cela ! — Malheur sur moi ! » dit Girart, « si j’y vais, si je m’équippe pour une pareille affaire ! Tu sais bien que le roi m’a dressé un guet-apens. Mais avant cela, il y aura encore mille écus brisés, sept cents damoiseaux seront désarçonnés et jetés à terre, les épées frapperont des milliers de coups contre lesquels les heaumes et les charmes[101] seront impuissants à protéger les têtes. J’ai à me venger des torts que m’a faits Charles !

271.Peires n̄ pois mutar n̄ ten apel
4290Quanc carles n̄ ac coite queu n̄ enſel
Tos pimers n̄ annes en ſun cenbel
A aſaut de citat o de caſtel
Nafrat na iſta car e iſte pel
De lance o deſpade o de carel
4295E ſi eu mi ai dan mon don eſ bel
Car me mande mō ſeidre un plai nouel
Lo feu qui fun mon paire. n̄ conte apel
Car lo me uet tener e lon cadel
Plumar me uout lo reis cō faus auzel
4300Janz n̄ ueira la feſte ſaint michael
Que eu li moſterai dels tal tropel
Si queram ꝑſei tˉra com louis ainel
Co me direz dun peires carlon martel
Quanc mais noſtret tal buche de ſū mātel
4305Mar lo ſenpenſet mige ſo franc cufel

Car moſet enuair uol len apel

271. « Pierre, je t’en prends à témoin : Charles n’a pas eu d’affaire que je ne me sois mis en selle, que le premier, je ne me sois rendu à son appel, courant à l’assaut des villes et des châteaux. Cette chair, cette peau, y ont été blessées de coups de lances, d’épée, de carreaux. Si j’y ai éprouvé des pertes, mon seigneur en a eu profit. Et voilà qu’il me mande une nouvelle exigence : que je ne revendique (?) pas le fief qui fut celui de mon père[102] ! Le me voyant tenir depuis si longtemps, le roi veut me plumer comme le faucon fait d’un oiseau. Mais il n’aura pas vu la fête Saint-Michel, que je lui ferai voir une troupe d’hommes armés qui ravageront sa terre comme le loup une bergerie. Don Pierre, vous me direz à Charles Martel que jamais il n’a ôté de son manteau un tel morceau de fourrure (?)[103] c’est pour son malheur qu’il a eu une telle idée, le félon ; puisqu’il ose m’attaquer, à mon tour je le défie ! »

272.Girarz ke demandez au rei carlon
Eu la mort de mō oncle conte uidelon
E cele de mon paire lo duc droigon
4310Cauciſt lo dux teuris en ualbeton
De feeltat nos iete mei e boſun
E porprent noſtre ennor per aqueiſon
Sel non me fai tal plai quin ſie bon
De n͞r͞a part li porte defiazon

272. « Girart, que réclamez-vous au roi Charles ? — Moi ! la mort de mon oncle Odilon, celle de mon père, le duc Drogon, tous deux tués par le duc Thierri en Vaubeton. Il nous jette hors de sa fidélité[104], moi et Boson ; sans motif, il occupe notre terre : s’il ne me fait pas un accord qui soit bon, porte-lui notre défi. »

4315273.f. 75vE peires quant loit ſi ſen ennance
E ſambla li orguel ire e peſance
Felnie e maluaiſtat e maleſtāce
Que mandes ton ſeinor tal deſfiance
Ne ꝑ ke mez tal ret au rei de france
4320Quel en uolie plait e tota eugance
En ualbeton o ferent lacordance
Quāt de la mort teuric au duc daſcāce
Cauciſt uo͞r͞es cuiſīs bos a ſa lance
Fu uoſtre de la guerre lo comencance
4325E ſera del damaie la maiornance
Pois li ferez uos dreit tot a balance

273. Pierre, entendant ces mots, fit un pas en avant. Il lui parut qu’il y avait là de l’orgueil, de la colère, de la rancune, de la haine, de la malice, de la folie : « Oses-tu bien mander un tel défi à ton seigneur ; le charger d’un tel grief ? C’est lui qui a voulu qu’accord et mutuel pardon eussent lieu. La paix avait été faite en Vaubeton. Par la mort de Thierri, le duc d’Ascane, que votre cousin Boson tua de sa lance, vous avez recommencé la guerre. Le plus gros de la perte sera pour vous, et vous finirez par faire droit au roi point par point. »

274.Drai o tot don peires de mont rabeih
E ferai o ſemprer mētre ques ueih
Carles me fait gant tort enenleih
4330Car me mādet mont ſeidre qeu feſe deih
A ſeiſuns o a rains a ſain romeih
Anz q; meſeſt monor en ſon eſpleh
Vne ren pouſt n[o]dar en ſun coreih
Nō aura mais oian iſt rezidreih
4335Si manues n̄ tenie ps e deſtreih
Ditāt ira diſt peires tot en ſordeih

274[105]. — Je vais te dire une chose, Pierre de Mont-Rabei, tandis que je te vois ici. Charles me fait grand tort et grande injustice en me mandant de venir faire droit à Soissons, ou à Reims, à Saint-Remi. Avant qu’il ait mis la main sur ma terre, il y a une chose dont il peut être sûr[106], c’est qu’il n’est pas près d’obtenir droit de moi, si d’abord il ne me tient prisonnier à sa discrétion. — Tant pis ! » dit Pierre.

275.E peires qant loit a cor gainart.
Cors a denꝑador uis de leupart
E parlet a la guiſe conte bernart
4340Qui fun del noiriment au rei berart
Vna rien uos dirai diſt el girart
Non facez a la giſe al uiel foucart
A un conte felon de ſaint meart
f. 76rQui bauzet treiſ ſeinors e pois lo quart
4345Cel len rent gueredon qui uent pluſ tart
Qel gecet de ſonor ꝑ dreit eſgart
Ci uei eſtar alcher e dan ginart
Armant lo duc d’ friſe e conte acart
Non i a un tāt prot ne ſi gaillart
4350Queu no li combates a une part
Que un ne deit lo rei clamar traart
Quel ne ſe penſerie ꝑ negun art
Com qui ant [a ſa] cort de lui ſe gart

275. Pierre, entendant ces mots, se sentit le cœur irrité. Il avait la prestance d’un empereur, le regard d’un léopard. Il parla comme fit le comte Bernart, celui qui fut élevé par le duc[107] Berart : « Je vous dirai une chose, Girart : ne faites pas comme fit le vieux Foucart, un comte félon de Saint-Médard, qui trompa trois seigneurs et encore un quatrième, mais ce dernier lui donna enfin sa récompense en lui enlevant sa terre. Je vois ici Auchier et don Guinart, Armant le duc de Frise, et le comte Acart[108] ; il n’y a parmi eux si preux ni si vaillant, que je ne sois prêt à combattre avec lui. On n’a pas le droit de qualifier le roi de trompeur. Il ne saurait en aucune manière rien machiner qui pût mettre un homme se rendant à sa cour dans le cas de se garder de lui. »

276.E don bos qant [loi]t fun peſancos
4355Peiſa li de peiron qua[i]ſi deſcos
E iuret damledeu le glorios
Girarz e ſa maiſnade nō es pros

Saiſi peires ſen torne iſt orgeilos
E peires reſpondet tos amoros
4360Cō buns uaſaus e ſaiues e ſientos
Qen dizeç ſeinor cons mais tolez uos
Car mal eſtait de conte tāt poderos
Qui a talent leger e ſenz de tos
Que ꝑ cel damledeu qeſt ſobre nos
4365Eu nō preiz u͞r͞e orguel ne uos un tos
Si eriam andui el prat la ios
E fuiſaz de bataille tant aecos
E quei ni ogis mais mei e uos
Non ſuſan ꝑ un ome tant lai ſoſcos
4370Seus logiſt boſ ferit ſi fol ne fos

276. Don Boson, lorsqu’il entendit ces mots, fut saisi de colère. Il ne put supporter d’entendre Pierre parler ainsi. Il jura le nom de Dieu, le glorieux, que Girart et sa mesnie étaient des lâches, si Pierre, cet orgueilleux, s’en retournait librement. Pierre répondit avec douceur, comme bon guerrier sage et expérimenté : « Que dites-vous, sire comte ? Calmez-vous ! il ne convient pas qu’un si puissant comte ait tête légère et sens d’enfant. Par le seigneur Dieu qui règne au dessus de nous, je me soucie de vous et de votre orgueil comme d’un bout de bois. Si nous étions tous deux dans les prés, là-bas, vous brûlant de vous battre, pourvu que nous fussions seuls, jamais vous n’auriez été secoué comme vous le seriez. » Sans Fouque, Boson allait se jeter sur lui.

277.E dan bos qant loit cuit que ſair
Nō pout mudar ꝑ [i]re n̄ ſuſpir
f. 76vE eſt leuaç del renc o dei ſeir
E uuolt anner peirun eſ luc ferir
4375Qant don folco ſos fraire lo cort tenir
Ne ſai o a lorguel u o lair
Ꝑ pau ne conmenca ben fo aruir

277. Boson, à ces mots, devint furieux. La colère lui fit pousser un soupir. Il se leva de la place où il était assis, et voulut se précipiter sur Pierre, mais Fouque, son frère, courut l’arrêter. Soit orgueil, soit colère, peu s’en fallut qu’il ne fît une grande folie.

278.E peires fu iraz e a li dit
Mōſtrat mauez do cons de u͞r͞e ardit
4380Ꝑ un pau q̃ nō mas ben lai ferit
Mais dˉs e is cons folco men a garit
E as carlon lo rei ml’t aueillit
E girart ton ſeignor peis eſ|car]nit
Quaici ſes ulez ueen[t] mas aacit
4385Mais non quidaz uos mige q̃l reis loblit
Ja ne uerrez abanz un (meis) cōplit
Cuit que cent milie omes ſobre uos git

278. Pierre, irrité à son tour, lui dit : « Sire comte, vous m’avez fait voir de quoi vous êtes capable ; peu s’en est fallu que vous ne m’ayez frappé, mais Dieu et le comte Fouque m’ont protégé. Tu as outragé le roi Charles, et fait plus de honte encore à ton seigneur, quand ainsi, sous ses yeux, tu m’as assailli. Mais n’allez pas croire que le roi l’oublie ! Vous ne verrez pas le mois s’écouler sans qu’il conduise sur vous cent mille hommes. »

279.E don bos ſiraſquet a peirun diss
Si no fuiſaz don peires mon don tramis
4390E don folco mon fraire n̄ retengis
Tal uos agre donat eme cel uis
Que li uelz de ceu cap fors en ſalis
Daico ſie ton ſeindre e tu ben fis
Janz n̄ iſtrat lo tens que prat floris
4395Que ben buns ceualers en er ocis
Emn͞aures ꝑ mes armes ps o delis
E peires lesgardet e ſi ſen ris
Vos ke ſabez don cons ſi ſerez uis
Ne ſi aiduns coran lou rem bris
4400Mais n̄ es mons amelis aitan aizis
Ques baſtiz en la roca o are gris
f. 77rJons en chai el caduez e li uernis
Des cheualers dedins plus eſt forcis
Que uos auez mo proz nō manatis
4405Nira par les erbers de ſanc li ris
Seu men clamerai maluaz chaitis
Si abanz non ē fait que pas eſtis

279. Boson s’irrita et dit à Pierre : « Don Pierre, si vous n’étiez pas envoyé en ambassade auprès de mon seigneur, et si Fouque, mon frère, ne m’avait retenu, je vous aurais donné un tel coup par le visage, que les yeux vous seraient sortis de la tête. Que ton seigneur et toi soyez bien certains de ceci. Le temps où les prés fleurissent ne se passera pas sans que nombre de bons chevaliers soient occis, tués ou pris du premier coup par mes armes. » Pierre le regarda et se mit à rire : « Que savez-vous, don comte, si vous en sortirez vivant, s’il sera alors question de vous ? Mont-Amele[109], bâti en pierre grise sur la roche, n’est pas si haut perché qu’on ne puisse faire tomber la peinture et le vernis [des boucliers]. Des plus forts chevaliers de la garnison, des plus preux, des plus renommés que vous aurez, le sang coulera, jaillissant à travers les hauberts, et je me proclamerai mauvais et indigne si cela n’a pas lieu avant la fin de l’été. »

280.Don bos deſcarpion drecet el ſol
Non pout mudar par ire nō parol

4410Peil pelant eſ cauz cui dans lui dol
Ꝑ tei o dui gi[rar]t careis por fol
Que tant uos [a tr]obat feiule e mol
Qui ton paire ta mor[t] tonor te tol
Menbre uos del ꝓube demaiol
4415Quāt afolet elmon lo fil turol
Lai mei pren iſ meſage ſi que cō crol
V fere de meſpade tal ꝑ lo col
Tinez mei ꝑ aul ſel cap nol tol
Toſtēs parlez diſt peires dō bos en fol

280. Don Boson d’Escarpion se leva ; la colère le fit parler. On a la tête pelée, quand on n’a plus mal aux dents[110]. C’est pour toi, Girart, que je dis cela, pour toi que le roi tient pour fou. Car il t’a trouvé si faible, si mou, qu’il t’a tué ton père, et t’enlève ta terre. Qu’il te souvienne de la parole que dit mon grand-père, quand il tua Elmon le fils de Turol[111]. Laisse-moi pendre ce messager... ou lui donner de mon épée par le cou, et tenez-moi pour mauvais si je ne lui enlève pas la tête. — Vous parlez toujours en fou, » dit Pierre.

4420281.Si o dizez diſt peires ne queu ſendre
Car enſement parlaz con ſerez mēdre
Trop donez leu conſel ione etendre
Ceualers aduraz n̄ deit aprendre
Na ſon lige ſignor lauar ne rendre
4425Mais uos nō eſ tant auſi uol mō ſendre
Quel ne uos face aual ben bas deſcēdre
E ne maurez mais ue a uos cōtendre

281. « Ce que vous dites, » dit Pierre, « je ne veux pas y faire attention[112], car vous parlez comme un enfant. Vos conseils sont par trop d’un jeune homme. Un chevalier accompli doit être plein de sens ; il ne doit pas faire service à son seigneur lige de paroles vaines[113]. Vous n’êtes pas si haut que mon seigneur[114] ne puisse, s’il le veut, vous faire descendre bien bas. Vous ne m’entendrez plus, désormais, disputer avec vous. « 

282.De lautre part eſtait uiſcons ſegis
E parlet a peiron cō om ꝑuis
4430Peireſ molt uoſ il faz ere do bis
f. 77vOnques mais ceualers ce ne nos dis
Ne meſſagers queu reis nos trameſis
E ert ml’t gant merueille ſi ten iauis
E ſe tu uis ten uaiſ de co garnis
4435Ja ne ſera abanz eiſuz eſtis
Que ſeruem a orliens u a paris
E ſeirem a la porte denā treis dis
Entrues que udiers aurē rezis
E la fonz enpeirades e fors ſoſis
4440Non ueſtirai abanz pelicō gris
Trues quel reis ſe combate [ſil] n̄ genchis

282. De l’autre part, se tenait le vicomte Seguin, qui parla à Pierre en homme sage : « Pierre, vous...[115] Onques chevalier ni messager que le roi nous ait envoyé ne nous dit rien de tel. Ce sera grande merveille si tu t’échappes vivant. Et, si tu y réussis, prends bien garde à toi ! L’été ne sera pas fini que nous serons à Orléans ou à Paris ; et nous bloquerons la porte pendant trois jours, jusqu’à ce que nous ayons saccagé les vergers, comblé les sources et...[116]. Je ne vêtirai pas fourrure de gris jusqu’à ce que le roi se batte, à moins qu’il se dérobe. »

283.E peires parla ben e ſe[n]s mentir
Segin ceſte paraule ke uos oi dir
Fait don girart au cōte ben a chauſir
4445Cons qui a tort prē̄t gerre ꝑ ſon air
Vers ſon lige ſeinor cui deit ſeruir
Malez eſt e felnie aico conſir
Por lorguel de la force ke pot monir
Mais quāt uoit ſobre lui maior uenir
4450E ſes uines trencar arbres rezir
E ſa terre gaſtar e aermir
E ueit ſos caſtels prendre e aſallir
E ſos murs crauentar e p[o]z enplir
E ſa bone maiſnade prendre e delir
4455Li conſel ca creut lenca falir
Sue baron aforchar e apartir
Quā nō a ke donar ne q; tenir
Dun ne pout faire gerre ne dreit ſufrir
N(ie) riſ un ſen gant honte ne pout gēquir
4460f. 78rDe co menbre ſeigin ke moez dir
Cor en es al intrar o al eiſſir

283. Pierre parla bien et franchement : « Seguin, cette parole que je vous entends dire doit être mûrement considérée par le comte Girart. Le comte qui, à tort, dans un moment de colère, engage une guerre contre son seigneur lige, fait (qu’il y réfléchisse !) une action mauvaise et félonne, orgueilleux des forces qu’il peut rassembler. Mais, quand il voit un plus fort venir sur lui, trancher ses vignes, déraciner ses arbres, dévaster sa terre, en faire un désert, quand il voit enlever ses châteaux d’assaut, enfoncer ses murs, combler ses puits[117], prendre ou tuer sa bonne mesnie ; le conseil sur lequel il s’est reposé commence à lui manquer, et ses barons se dispersent et s’éloignent. Quand il n’a plus rien à donner ni à recevoir, alors il ne peut plus faire la guerre ni résister plus longtemps, et, pour un riche homme, c’est grande honte que de se rendre (?). Pensez à ce que vous m’entendez dire, Séguin, maintenant que vous êtes au moment de prendre une décision. »

284.Folco a le cor irat e triſte e grev
E es leuaz en pez dun banc o ſev.
Seignor franc cheualer dira⁎ o ev
4465Car poi aico tien carle tot por iudev
Car at mon don ꝑ fol tant e ꝑ lev
Abanz quel trameſeſt carte ne brev
A ſaizie ſa terre e pres mō fev
Reſpondent li baron top o fes lev
4470E compara o car co crei en dev
Anz ke ueie paſſar la ſain romev

284. Fouque avait le cœur affligé, triste et gros. Il s’est levé d’un banc où il était assis : « Seigneurs francs chevaliers, je vous le déclare, je tiens Charles pour un juif[118], d’avoir agi avec autant de légèreté à l’égard de mon seigneur. Sans lui avoir d’abord envoyé lettre ni bref, il a saisi sa terre et pris mon fief. » Les barons répondent : « Il a agi avec trop de légèreté, et il le paiera cher, par Dieu ! avant que passe la saint Remi[119]. »

285.Peires parla a lei dome ca gant ualor
Non ſenble fol ni fait ni betfador
Folco laiſſe laiſſe la ire e la gramor
4475Remenbre tei de deu lo redentor
Com qui top eſ iraz n̄ a doucor
Bar mais done girart cōſel mellor
Con ſe concort a carle lemꝑador
Qui feeltat ne garde uers ſon ſeinor
4480Non a dreit en ſon feu ne en ſaímor
E ſil en uent en cort ai deſonor

285. Pierre parle en homme de grande valeur ; il ne semble ni fou, ni sot, ni trompeur : « Fouque, laisse la colère et la rancune ; qu’il te souvienne de Dieu le Rédempteur ! Homme qui s’irrite outre mesure est mauvais ; mais donne à Girart un meilleur conseil, afin qu’il fasse la paix avec Charles l’empereur. Qui n’observe pas la fidélité envers son seigneur perd ses droits sur son fief et sur sa terre, et, s’il vient en cour, il y est honni. »

286.Lo cons girart les ot ꝓuerbiar
E comandet lor ſempres a calar
Folco laiſſaz iſ plat mais ui eſtar
4485Car top eſ lai de gerre a manecar
Aſaz ſera ueuz a chauauiar
Caus la uoura melz faire e adunar
E ſe dex taiut peires pluſ nō parlar
f. 78vMais encaz uos de ci ſenpre a ānar

286. Le comte Girart les entend se quereller ; il leur commande aussitôt de se taire : « Fouque, cessez désormais ce débat ; il est vilain de faire ainsi des menaces de guerre. On verra bien, lorsqu’on en sera à la chevauchée, qui fera le mieux, qui sera le plus dur à la peine. Et toi, Pierre, ainsi puisse Dieu t’aider ! pas un mot de plus, mais prépare-toi à partir sur-le-champ.

4490287.Girart manderez carle nula ren al
Oc aiem eu eel plait general
Aual enca ribere ſoz ſan uidal
E ferai li tot dreit ſe lai fait mal
E mon ſeignor reface mei autetal
4495Qanz ke dizez diſt peires un nou ne ual
Maudiz ſie mos ſeindre de ſaint marcal
Se citat ne uos tol tro a donal
E no le preizerie enberbegal
Se el ne uos aſſail entrues qual pal
4500Atant uont montar peires en fon caual
Qant folco li a dis donaz eſtal
Enquere parlerem un petit dal

287. — Girart, vous n’avez rien de plus à mander à Charles ? — Si fait : s’il y consent, je lui propose un plaid général, aval dans la vallée, sous Saint-Vidal. Je lui ferai tout droit, si je lui ai fait tort, et que mon seigneur agisse de même à mon égard. — Tout ce que vous dites, » reprend Pierre, « ne vaut pas un œuf. Que mon seigneur soit maudit de saint Martial s’il ne vous enlève une cité d’ici à Noël ! et, je ne le priserais pas un berger[120], s’il ne vous donne pas l’assaut jusqu’à la palissade. » Là-dessus il allait monter à cheval, quand Fouque lui dit : « Arrêtez ! nous allons parler d’autre chose. »

288.Giberz de ſeneſgarz e folco ſos fraire
E girarz lor cuiſins qui dels fu maire
4505Tuit trei ſunt apoiat de ſobre un caire
Toz p̃meranz do folco pres a retraire
Per deu coſins girarz nol fei ben faire
Mais manda ton ſeinor de ton uiaire
Que tu li fras dreit con feſt tos paire
4510Mais ke gidar te face a ſon repaire
E ſe conduit nos done n̄ taime gaire
Aiſi poz ben ta colpe uers lui deſfaire

288. Gilbert de Senesgart et Fouque son frère, et Girart, leur cousin, qui était le plus puissant d’entre eux, se sont tous trois appuyés à un mur. Fouque parla le premier : « Par Dieu ! cousin Girart, tu n’agis pas bien (?), mais fais connaître à ton seigneur ta pensée ; dis-lui que tu lui feras droit comme fit ton père, à condition qu’il te donne un sauf-conduit jusqu’à sa résidence[121]. S’il se refuse à le donner, c’est qu’il ne t’aime guère. Ainsi, tu peux bien te disculper envers lui. »

289.Folco apela peiron oent bernart

Peires diiaz al rei de n͞r͞e part
4515Que nos li ferō dreit par don girart
Mais que gidar nos face ſenz nul regart

289. Fouque interpella Pierre en présence de Bernart : « Pierre, dites au roi, de notre part, que nous lui ferons droit pour don Girart, mais que, sans retard, il nous fasse conduire en toute sécurité[122].

290.Per deu co reſpont pieres iſ plait n̄ cuel
f. 79rE tendra o lo reis a gant orguel
Des pos conduit demādes queu gidar uuel
4520No li caut ren tamer ſa mei ſacuel
Ne mais cal ſe ſeie en ſon caduel
E cil qui li conſeillent funt i que fuel
E eu faz plus aſſaz car n̄ men tuel
A iqueſte paraule paſſe lo ſuel
4525Monte e broce el caual dreit uers un bruel

290. — Par Dieu ! » répond Pierre, « voilà une convention que je n’admets pas. Le roi trouvera que c’est grand orgueil de demander un sauf-conduit, quand je m’offre à vous conduire[123]. Girart n’a rien à redouter s’il se met en route avec moi, ni lui ni quiconque prendra place dans la résidence du roi. Ceux qui donnent à Girart un tel conseil font preuve de folie, et moi plus encore quand je les écoute. » À ces mots, il franchit le seuil, monta à cheval et se dirigea vers un bois.

291.Peires part de girart iradement
Ben a furmit meſſage ſuen eſſient
Vait ſen a ſain denis o reis atent
Carles a meſſe oie a ſaint uincent
4530E pieres en lombree defors deſcent

291. Pierre quitta Girart avec colère ; il avait bien accompli son message, à son jugement. Il se rend à Saint-Denis où le roi l’attend. Charles a entendu la messe à Saint-Vincent. Pierre descend à l’ombre, au dehors.

292.Carles ot les matines iorz eſclarcis
Larceueſque herueu la meſſe dis
Quāt carles lat oie qūe fun eiſſis
De ſobre un faudeſtol lo reis ſaſis
4535Entor lui li barō daquel pais
E no ma negun ben uos ueſtis
Nō aie pel de martre u garmer gris
Seinor eſcutaz mei carles lor dis
Anuet ne fu cel ore que an durmis
4540Ꝑ meillor ch’ual’r que anc conuis
Peirō de mont rabet qe la tramis
Mais ꝑ aiquel ſaint piere qeu requis
Se anc tant fez girarz que li feris
Jamala li ſun uel ueiraínt mō uis
4545Atant reſpon gauters de mōt ſenis
Qui fu paire perron e ſos amis
f. 79vTal uol li des el cap quel ſans eiſſis
Queu cōbate o lui e ſil uos pris
E en uoſtra preiſon girart uos mis
4550Si que uos li tenges quatorze dis
Eu mos ſai diſt li reis ne fui ꝑuis
Ne aidunc el nō ere mos enemis
E droge de borgaine fun poeſtis
E ſe mais lo tenie ſerie fis
4555A tart lo tendrez maiſ gauter li dis
Atant peires deſcent e carles ris

292. Charles entend les matines : le jour luit clair. L’archevêque Hervieu dit la messe. Après l’avoir entendue, il sort et s’asseoit sur un fauteuil. Autour de lui prennent place les barons du pays, et il n’y en a aucun qui ne soit bien vêtu, qui n’ait peaux de martre ou robe de gris : « Seigneurs, écoutez-moi, » leur dit Charles ; « cette nuit je n’ai pas dormi un moment, à cause du meilleur chevalier que j’aie connu, Pierre de Mont-Rabei, que j’ai envoyé là-bas. Mais, par saint Pierre, si Girart fait tant que le frapper, malheur à lui si ses yeux rencontrent mon visage ! » Alors répond Gautier de Mont-Cenis, le père de Pierre[124] : « Je voudrais que Girart lui donnât un tel coup que le sang jaillit, que j’eusse à combattre avec lui, que je le prisse et le misse en votre prison où vous le tiendriez quatorze jours[125]. — Je le sais, « dit le roi, « je n’ai pas été avisé, mais alors il n’était pas mon ennemi et Drogon était maître de la Bourgogne. Si jamais je le tenais, je serais en sécurité[126]. — Il sera trop tard quand vous le tiendrez, » dit Gautier. À ce moment, Pierre descend de cheval, et, en le voyant, Charles fut tout joyeux.

293.Peires ſai ueres noues de dan girart
E oc con de felon e de gainart
Maudiz ſi el co diſt de ſaint meart
4560Se la mutat de france tote n̄ art
Del mez que a dedis no preint ſa part
Aiqui mentet diſt carles lei de coart
Car ſeu lo tros de dins ꝑ ſaint liennart
Anc nō at negun lou tant grāt regart

293. « Pierre, savez-vous des nouvelles de Girart ? — Oui, comme d’un félon et d’un chien[127] : maudit soit-il de saint Médard[128], » a-t-il dit, « s’il ne met pas à feu la moitié de la France, s’il ne prend pas sa part de ce qu’il y a de mieux ! — Il en a menti, le couard, » dit Charles, « car, si je l’y trouve, par saint Léonard, jamais en aucun lieu il n’aura couru tel danger ! »[129]

4565308.Carles ueit ſon meſſage con es uenguz

Quel drez lai nō es faiz ne coineguz
Nauers nol ē prames ne trameſuz
Jl a mandat ſos omes e ſomonuz
Mais el non es a mige toz atenduz
4570E ac en trei mire a eſcuz
Anz que li iorz pareſſe nei ſol ne luz
Les at ſos mont amele toz deſcenduz
E ne fu anc caſtels mels requeſuz
Ne ꝑ iches dedins melz defenduz
4575Granz eſt li poders carle e ſa uertuz
f. 80rA les ꝑ dreite force toz conqueſuz
Suz en aucor caduel eſ deſcenduz

308.[130] Charles voit comment son messager est revenu, que là[131] droit ne lui sera ni fait ni reconnu, qu’aucun présent ne lui a été envoyé ni promis. Il a mandé et convoqué ses hommes, mais il ne les a pas attendus tous : il en avait bien trois mille, armés de l’écu. Avant que le jour fût levé, que le soleil brillât, il les avait amenés sous Mont-Amele. Jamais château ne fut mieux attaqué, ni mieux défendu par ceux du dedans. Grande est la puissance de Charles, et par vive force il les a tous pris. Il s’est établi au sommet du donjon le plus élevé.

294.En la cambre a ū conte do manaſſer
Aicel lo pres au rei a mentecir
4580Don fazez iſte gent tote tazer
E la nauſe calar e remaner
E pois faites peiron aici ſeder
E ſi deus taiut peires e tun dis uer
Nol caut menconge dire ꝑ mau uoler
4585Nō ferai eu peires au men eſper
Si dˉs me laiſt intrar diz cel moſter

294. Dans la chambre il y a un comte, don Manecier, qui se prit à conseiller le roi : « Sire, faites taire tout ce monde, calmez le bruit et le tumulte, faites asseoir ici Pierre ; et toi, Pierre, puisse Dieu t’aider ! dis-nous la vérité. Il ne faut pas que tu dises des mensonges par malveillance. — Je n’en ferai pas, » dit Pierre, « aussi vrai que Dieu me laisse entrer dans ce moûtier ! »

295.Peires ſiſt dan lo rei en faudeſtol
Entor lui cheualer ꝑiunc el ſol
Er eſcoute les noues cauír leſ uol
4590Quāt oent quer la gerre uns n̄ a dol
Ne de ceo ke lor diſt ne lont ꝑ fol

295.[132] Pierre prit place auprès du roi en un fauteuil ; autour de lui les chevaliers sont assis par terre, sur la jonchée[133]. Or écoutez les nouvelles, qui veut les ouïr ! Quand ils entendent qu’on aura la guerre, aucun ne s’afflige, et ce que Pierre leur dit ne leur semble pas folie.

296.Ere eſcoutet les noues ke peires diç
Seiner co fun digos que li o fiç
Que fun dē bones armes mes cors garniç
4595E menai bon chaual a cors ardiç
E cheuauiai bū mul afanadiç
Mos eſcuders fu ꝓz e mal trachiç
Entrai en roiſſilon ꝑ pōt uoltiç
E deſcendi a lorme deſoz la uiç
4600Entrai el mōſter que nos baſtiç
Preiai ſainte marie deu genitiç
Que ne fuſſe anianaz ne eſcarniç
E girarz paraulaue a ſes muriç
Fu i folco e doitranz lenualadiç
4605f. 80vAu lor conſel fui eu ſenpres coilliç
Girarz demande noues tos entroiç
Peires ſe dex taiut e ſaint feliç
De carle eu rei de france caus noues diç
E eu li reſpondei toz amanuiç
4610Que annez a ſa cort tan ben garniç
Que nol ſiaz mes pres ne auelliç
Eiſi con tes linages toſtens lo fiç
Que uos ferai ſe oſ plaz ml’t ben bon giç

296. Or, écoutez les nouvelles que Pierre dit : « Seigneurs, ce fut un jeudi que j’accomplis mon message. J’avais garni mon corps de bonnes armes, je menais un bon coursier, et je montais un bon mulet dur à la fatigue. Mon écuyer était preux et.....[134]. J’entrai à Roussillon par le pont voûté et descendis à l’orme[135], sous la vigne. J’entrai dans le moûtier[136] que vous fîtes[137], je priai sainte Marie, mère de Dieu de me protéger contre la tromperie ou l’insulte. Girart parlait à ses fidèles[138]. Là étaient Fouque, Doitran le vaillant (?)[139]. Je fus aussitôt admis dans leur conversation. Girart demanda des nouvelles..... « Pierre, puissent Dieu et saint Félix te venir en aide ! Quelles nouvelles m’apportes-tu de Charles, le roi de France ? » Et je lui répondis vivement d’aller à la cour, en tel appareil qu’il n’y fût pas méprisé ni avili, comme son lignage avait accoutumé de le faire de tout temps, et que je le prendrais volontiers sous ma sauvegarde[140].

297.Ere eſcoutaz les noues queu dicere
4615Aico ſunt les paraules que leu cōtere
Girart carles uos mande n̄ uos mentire
Que annes a ſa cort ſens negun ire

Menez boſun lo conte queu gidere
El marcon fulcher cons de brie
4620Quanque la tert forfait amendere
Per mon cap diſt girarz n̄ la ire
Tros quel mal que me fait car li uedre
Peires uai ſi arberge queu nintere
Le ſeneſchalz me quert e mangere
4625E leue le matin queu ſi fere
E auges la paraule que te dire
Lo meſſage au rei carle quel mādere
A mei uirez dis aimes menar uos nere
Ꝑ amor deu rei carle tarbergore

297. « Écoutez les nouvelles que je dis. Ce sont les propres paroles que je prononçai : « Girart, Charles vous mande, je ne vous trompe pas, de vous rendre à sa cour sans faute ; emmenez Boson le comte, sous ma sauvegarde, le marquis Fouchier, comte de Brieire[141]. Le roi vous fera réparation de tout le dommage que vous pourrez avoir souffert. — Par mon chef ! » dit Girart, « je n’irai pas jusqu’à tant que je lui aie fait payer cher le mal qu’il m’a fait. Pierre, va prendre logis, car il va faire nuit ; le sénéchal pourvoira à ta nourriture. Le matin, lève-toi ; je ferai de même, et tu entendras ce que j’ai à te dire, le message que je manderai au roi Charles. — Vous viendrez avec moi, » dit Aimenon, « je vous conduirai, et, pour l’amour du roi Charles, je te hébergerai. »

4630298.Aimes co diſ girarz fai li arberc
Si ferai eu dis el ric e enterc
Non ai dreit en mon feu ſe ꝑ co perc
Lo ſolel uai cochar uers balenberc
f. 81rE la noit fait temꝑ e ml’t enerc
4635E aimes men menet ꝑ lo coſderc
De maintes ris deintaz ꝓ me ꝓferc

298. « — Aimenon, » dit Girart, « donne lui le logement. — Ainsi ferai-je, » reprit celui-ci, « et richement. Je n’ai droit en mon fief si pour cela je le perds ! » Le soleil va se coucher vers Balenberc[142] ; la nuit fut orageuse et sombre, et Aimon me conduisit par la prairie et m’offrit abondance de mets délicats.

299.Que por la uoſtre amor mien ecient
E per ben que las fait e tui parent
E quel feras enquere a ton uiuent
4640Ben me cōrea aimes a mon talent
Pois coca mei en un leit daur e dargent
E donet me donzele tanent
Quāc nō uiſtes genor ſeu ne uos ment
Fui chaucat e ueſtit au ior paruent
4645Eu anna au moſter coitadement
La meſſe que lon dis aui e entent
Pois uin a plan au conte a parlement
Tres er uos ſai (part) dire de ſon talent

299. « Pour l’amour de vous, autant que je puis croire, pour le bien que tes parents et toi lui avez fait, et que tu lui feras encore, Aimenon me reçut aussi bien que je pouvais le désirer. Puis il me coucha en un lit d’or et d’argent et me donna une fille si bien que, sans mentir, jamais vous ne vîtes plus gentille. Au point du jour, j’étais levé et chaussé ; je me rendis en hâte au moutier, j’entendis la messe et me rendis au conseil du comte, et maintenant je saurai vous faire part de ses intentions[143].

300.Q(uant) oi la meſſe oide quen dona deus
4650Eiſſi fors del monſter e fu toz leus
Trobai girart ceu conte me tos ceſſeus
E dis une paraule qui fu ben leus
Cons n̄ eſtar iraz ne triz ne greus
S(i c)om fait ſarragins o fel ibreus
4655C[o]ncorde tei a carle ſi taiut deus
Auras de dreit tes terres e tes feus
Peires tan mal mafole lo ſ(ei)ner meus
Quar me part en ſa colpe fait que iudeus
Abanz laurat conprat que uein el meus
4660Ne que ſie paſſade la ſaint romeus

300. « Quand j’eus ouï la messe, à la grâce de Dieu, je sortis du moûtier, tout dispos. Je trouvai Girart entre les siens et je dis une parole bien simple : « Comte, ne sois pas irrité, sombre, rancuneux, comme un sarrazin ou un félon juif[144]. Fais accord avec Charles, puisse Dieu t’aider ! Tu auras par droit tes terres et tous tes fiefs. — Pierre, mon seigneur me traite trop mal ! C’est lui qui me perd, par sa faute, se conduisant comme un juif. Il me le paiera, avant que vienne la neige et que soit passée la saint Remi.

301.Veires quel reis maine tant malemēt
De feeltat me gete ſon eſcient
f. 81vQueu degre chadelar la ſoe gent
E ferir en bataille p̃mirement
4665E donar en la cambre conſel ualent
Aiſi con firent tuit li mien parent
Mais ſi lo munt tolgut cil ſuen ſeruent
Li culuert lauſenger el recreent
Por queu ne pois auer ſamor neient

4670Ꝑ hoc ſen conbatrie ſempre a preſent
Ne daco no ſoan ome uiuent
Que de la mort teuric n̄ fais cōſent
Ne a me bos nō preſt nul parlement
Cum annet a la cort ne quant en uent
4675Per quen ſie forfait mien eſſient
Quel reis men degeſt toudre mō chaſement

301. « Pierre, le roi me traite si mal que, de propos délibéré, il me jette hors de sa fidélité[145]. C’est moi qui devrais guider son ost et porter en bataille les premiers coups[146], donner en sa chambre des conseils autorisés, comme firent mes ancêtres. Mais ses soudoyers m’ont enlevé ce privilège, les serfs flatteurs, les lâches, de sorte que je ne puis trouver en lui bienveillance. Je suis prêt à prouver par la bataille, et que personne ne repousse mon offre ! que je n’ai pas été de connivence dans le meurtre de Thierri, que Boson ne m’a rien dit, soit en allant à la cour, soit en la quittant, qui puisse entraîner pour moi forfaiture, ni autoriser le roi à m’enlever mon chasement[147].

302.Quar lo tenez co diſt trop uil e lait
De feeltat lo getes tot entreſait
Que ſens colpe de tort qel cougiſt fait
4680Li feſis andefret baſtir agait
Non uendra a ta cort ne a tō plait
Tros que uende lo mal que li as fait
Mout ſe conten ſegur qui que ſeſmait

302. « Vous l’humiliez, dit-il, vous l’insultez outre mesure ; vous le jetez d’emblée hors de votre fidélité. Sans qu’il eût aucun tort envers vous, vous lui avez fait dresser des embûches par Andefroi[148]. Il ne viendra pas à ta cour ni à ton plaid, jusqu’à ce qu’il t’ait fait payer le mal que tu lui as fait. S’effraie qui voudra : lui, il ne redoute rien.

303.Eu lo dirai diſt peires en is breu mot
4685Toſtens aura girarz co diſ coro[z]
Se deus me ſalue ſos omes e ſos neboz
Tros que te ai uencut e les teus toz
Pois portera dorliens la ſainte croz
Aiqui mētent dis carles con ſel cogoz
4690Car ſi troc arbergat el prat deſoz
Anc n̄ recet de feire tan mal ne oz

303. « En un mot, » dit Pierre, « Girart gardera sa rancune (puisse Dieu protéger ses neveux et ses hommes !) jusqu’à ce qu’il t’ait vaincu, toi et tous les tiens. Puis il emportera d’Orléans la sainte croix[149]. — En cela il ment comme un misérable, » interrompit Charles, « car, si je le trouve logé dans les prés sous la ville, jamais homme n’aura eu si mauvais neveux[150].

304.f. 82rBen furmi lo meſſage a mon talēt
Vi aucher e ginait e dū armant
E ſegin e boſun e dun gintrant
4695Com oi dit mon meſſage e tot tū mant
Si coinuc lo conte a ſon ſenblant
Sou ben que ne tamaue ne tāt ne quāt
Anz me uaz ma razō contraliant
Eu dis une paraule quil peſa tant
4700Com quil feriſt ꝑ nas ab un ueriant
Dun cons ſin fazez gerre cuit mal uos nant
E aurez la conparade abanz un ant
E nolgi mei conbatre ſens penz eſtant
Quel tort e la bauzie e tot leniant
4705Sen fait girarz bataille obes ſenant
Non ſoant cheuale ne uol reblant
Borgenū ne bouer ne alemant
Neu n̄ tros celui quil mo demant
Mais bos deſcarpion fu en eſtant
4710E feſt ml’t fere chaire e airant
E at clos ſon poin deſtre e tit ſon gāt
E ſi folco no fuſt dere ben grāt
M[a]is eu li dis tal cauſe al mautalant
[Tu]it lo tengrent ꝑ fol e ꝑ enfant

304. — J’ai pleinement accompli mon message, ce me semble. J’ai vu Auchier, Guinart, don Armant, Seguin, Boson, et don Guintrant. Quand j’eus dit mon message, je vis, à la mine du comte qu’il ne t’aimait guère ; tant s’en fallait qu’il allait à l’encontre de ce que je disais. Je prononçai alors une parole qui le blessa comme si on lui avait cinglé le nez d’une badine. Je lui dis : « Comte, si vous faites guerre, je crois qu’il vous en ira mal : avant un an vous l’aurez payé. » Et j’offris alors la bataille[151] pour prouver, si Girart l’acceptait, que le tort, la tromperie, la trahison[152] seraient de son côté. Je ne refusais aucun chevalier, ni Bourguignon, ni Bavarois, ni Allemand, et je ne trouvai personne qui acceptât le défi. Mais Boson d’Escarpion se leva, le visage fier et irrité ; il ferma son poing droit et tira son gant, et, sans Fouque, il m’eût frappé. Mais je lui dis, dans ma colère, telle chose qui le fit passer aux yeux de tous pour fou et pour enfant[153].

4715305.D[e] feeltat le getes e faz li tort
[Q]ui ſon peire e ſon oncle li auez mort
E tolez li lengroine la cit el port
Conrei te de gerre can poz a fort
Quel ſen (eſt) toz garniz cola de port

305. « Tu le jettes hors de ta fidélité (dit Girart), et tu lui fais tort ; tu lui as tué son père et son oncle ; tu lui as enlevé Lengroine, la cité et le port[154]. Prépare-toi de ton mieux à la guerre : lui il est tout prêt.

4720306.Oiant toz diſ girarz (iſt)a razon
f. 82vQue retar nō deuie lo rei carlon

Tros que fus a ta cort e tei baron
Quel meſes par tos omes a razon
Car n̄ aſ fait felnie ne meſpreiſon
4725Vers girart ne aſ ſeus ne uers boſon
E uolgi men conbatre en la maiſon
Non reblant chaualer ne nol ſoon
Aleman ne baiuer ne borgenon
Neu ne tros celui qui mot me ſon
4730Per tāt enquet la ire de dan boſon
E ferire me ſempres cuns no diſ non
Qant dex trameſt cel conte dan folcon
Per hoc dis meſſage e ton ſermon
Quel te uenges dreit faire en ta maiſon
4735E ameneſt fulcher e don boſon
E ſegin lo uiſconte de beſencon
E girarz me reſpont del tot quel non
Requeit la mort ſō oncle cōte oidelon
E cele de ſon paire lo duc drogon
4740Qui ꝑ tei fueret mort en ualbeon
E ſi ne lor adreces tu e li ton
De la lor part uos di deſfiazon

306. « En présence de tous, je dis à Girart qu’il ne devait pas accuser le roi Charles avant de s’être présenté à ta cour avec ses barons, et de s’être expliqué avec toi par l’intermédiaire de tes hommes[155], car tu n’es coupable ni de félonie ni d’insulte envers Girart, les siens ni Boson[156]. Je voulus le prouver par bataille, chez lui, ne refusant aucun chevalier, Allemand, Bavarois ni Bourguignon ; mais je ne trouvai personne qui soufflât mot. C’est alors que Boson entra en fureur, et il m’eût frappé sur le lieu, sans que personne s’y opposât, quand Dieu envoya là le comte Fouque. J’exposai pourtant mon message et répétai tes paroles[157] : que Girart vienne te faire droit à ta résidence, amenant Fouchier et Boson et Seguin, le vicomte de Besançon. Et Girart me répondit « non » sur tous les points. Il demande raison de la mort de son oncle, le comte Odilon, de son père, le duc Drogon, qui périrent par toi en Vaubeton, et, si tu n’en fais pas amende, toi et les tiens, de sa part je t’apporte un défi. »

307.E carles cō oit del deſfiarr
Cel li fu tan de fer e ſi amar
4745Que n̄ pout uers peiron maiſ mot ſonar
Enquet ſa autre part a conortar
Donzel ma maiſnade tena uoſ char
Quin uoudra diſta gerre mei aiudar
Ne pout a mō auer gins fadiar
4750f. 83rLi chaualer ſem preſtent a alegrar
E lun lautre aatir e auantar
E carlon fu ml’t bos quis ot gabar
E li iors fu tornaz a aueſprar
Vi mais neſt tans ne ore de plaidear
4755E demanderent laige e uont maniar
E uont ꝑ tens gezer ꝑ mā leuar
Cele noit ſe iaz carles tros cau ior clar
Quāt a la meſſe auie e uait montar
E fait dire a caſcun que ſant armar
4760Qui a ſon bon chaual fait lenſelar
E qui oberc ne (elme) nel uol laiſar
Mees lo res ſen(ſeine) fes lacar
E pres premers ſa gent a chadelar
Sobre girart enquert a chauaucar
4765Grant fulie li uol a p̃ſen far

307. Charles, quand il s’entendit défier, éprouva une telle mortification, une telle amertume, qu’il ne put trouver une parole pour répondre à Pierre. Il se tourna d’un autre côté pour se remettre : « Damoiseaux de ma mesnie, aimez-vous mutuellement. Qui voudra m’aider dans cette guerre n’aura pas faute de mon avoir. » Les chevaliers se prirent à se réjouir, à s’exciter les uns les autres et à se vanter à qui mieux mieux. Cela parut bon à Charles de les entendre gaber. Le jour déclinait. Ce n’était plus l’heure de discuter. On demanda l’eau[158] et on se mit à table, et, le moment venu, on alla se coucher pour pouvoir se lever matin. Cette nuit, Charles resta couché jusqu’au jour. La messe ouïe, il fit dire à chacun de s’aller armer et de monter à cheval. On fit seller les bons chevaux ; on n’oublia pas les hauberts ni les heaumes. Même le roi fit lacer son enseigne, et, prenant la conduite de ses hommes, il se mit à chevaucher sur Girart. Il veut, sans plus tarder, lui porter un rude coup.

309.Mon ſen conreet len carles lo res
Nō at a ſei ſos omes ne ſos marques
Ne nō a de barons fors ſes plaides
Nō quidet de girart guerre el feſes
4770Nō fu contre cuidaz ne non aumes
Non a mais treis mile de purs frances
Mais melz adobaz omeſ no uit no uit an res
De breines ſafrades delſz dal pares

E li alquant oſbers uielz teunes
4775Lances e gonfanons eſcuz de bles
Granz chauaus e corſers e eſpanes
Ab aqueſtes cōpaines intras lai es
Girart fera fulie mais ben li pes

309. Le roi Charles ne fut pas long à se préparer. Il n’a avec lui ni ses hommes ni ses marquis[159] ; de ses barons il n’a que ceux de son conseil. Il ne s’attendait pas à rencontrer de la résistance de la part de Girart, qui n’a pas été averti et n’a pas reçu de message. Charles n’a pas plus de trois mille Français, mais jamais roi n’eut hommes mieux armés. Ils portaient des broignées safrées[160], une paire de dards[161] ; quelques-uns avaient d’anciens hauberts viennois[162], des lances, des gonfanons, des écus de Blois, de grands chevaux coursiers d’Espagne. C’est avec ces troupes que Charles est entré dans Mont-Amele. Il voulait porter un rude coup à Girart, et il a réussi.

310.f. 83vLa gerre mot reis carles e a en ris
4780Sobre girart les gide conſ alberis
[O]nt li tout mont amele que tet lōs dis
[C]astels ualenz e buns manēs e ris
Toz ont porpris les bors el murs ꝑuis
Dolenz en ert girarz bos e ſeigis
4785A tal en uenra mals qui ne laquis
A tort nert cōfunduz folco e landris

310. Le roi Charles, accompagné de Henri[163], est parti en guerre. C’est le comte Auberi[164] qui les guide sur la terre de Girart. Ils lui ont enlevé Mont-Amele qu’il avait tenu longtemps, de bons et riches châteaux. Ils ont occupé les bourgs, assailli (?) les murs. Ce sera une douleur pour Girart, Boson et Seguin ; il adviendra mal à tel qui ne le cherchait pas. Fouque et Landri en seront ruinés sans l’avoir mérité.

311.Cart ior i ont eſtat pois laugre pres
Quanqua negun del oſt res nō ſofres
De conque demanderent que us lor es
4790Au cincain ior girarz en ac un mes
Al nouent ſe conbatent li cōs el res

311. Quatre jours ils y séjournèrent[165], après l’avoir pris, sans que personne de l’armée manquât de rien, quoi qu’ils demandassent dont ils eussent besoin. Au cinquième jour, Girart en fut informé par un messager ; au neuvième, le comte et le roi se rencontrèrent en bataille.

312.Sobre girart a carles car ior iagut
Aico a mont amele que lat tolgut
Al cincain ior girarz na mes ogut
4795Quil diſt de mont amele qel la ꝑdut
Carles li reis de france li a tolgut
Ais le uos tant dolent e iraſcut
Quel cōs nō paraulaue a ren naſcut
Entrues que ueit uenir folcon ſō druit
4800Folco conſeille mei ſe dex taiut
De carlon qui ſintent por recut
Tol mat de mot amele lo pui agut
E quide mei auer tot cōfūdut
Mais nol a enqer mige co cut
4805Sept ans en ogiſ eu mō fieu ꝑdut
Por quei nos en fuiſſun aconbatut
E ke nos e li nr͞a loiſſen uencut

312. Charles a couché quatre jours sur la terre de Girart, à Mont-Amele qu’il lui a enlevé. Au cinquième jour, Girart apprend par un messager que Mont-Amele est perdu pour lui, que Charles, le roi de France, le lui a enlevé. Le voilà irrité à ce point qui ne parlait à personne, jusqu’à tant qu’il vit venir Fouque, son ami : « Fouque, conseille-moi, puisse Dieu t’aider, au sujet de Charles qui me tient pour un lâche. Il m’a enlevé le pui aigu de Mont-Amele, et croit m’avoir ruiné ; mais ce n’est pas encore fait, je crois. Je voudrais avoir perdu mon fief pendant sept ans, pour que nous nous soyons battus avec lui, et l’ayons vaincu ! »

313.f. 84rEſtaue ſei girarz en acoreuent
Vn caſtel cau de carle en caſemen[t]
4810Li caſtels ē tan forz quel ſe defen[t]
Car furent mais de mil li bū ſiluē[t]
E cheualer a coite plus de ſet cē[t]
E li borcens ſūt riches e manent
De cheuaus e de muls daur e dargent
4815E girart en monbrere de fors al uent
Paraule a ſes omes e a ſa gent
E ten a ſos barōs un iugement
Atant es lo meſſage qui deſcent
Quil dis de mont amele que reis lo prēt
4820Es le uos tant irat e ſi dolent
Quel cons nō paraulaue a rē uiuent
Entros quel ueit folcon a qui ſatēt
Folco [ſ]i dex taiut conſel me rent
De carlō qui ſin ten ꝑ receent
4825Tol ma de mont amele lo mandement

Pois a iurat lo reis fauz ſaigrement
No irait ſeiz bataille dū meis uertent
Mais eu ten uir ih’u om̄ipotent
Si alemant n̄ faillent el deſſertent
4830Non ira ſenz bataille ſoit iorz matent

313. Girart se tenait à Orivent[166], un château qu’il tenait de Charles en chasement. Le château est de force à se défendre : les bons sergents y étaient au nombre de plus de mille, les chevaliers montés[167] plus de sept cents. Les bourgeois sont riches et bien pourvus de chevaux, de mulets, d’or et d’argent. Girart était à l’ombre, dehors, à l’air, parlant à ses hommes. Il tenait les plaids avec ses barons. Sur ces entrefaites, arrive le messager qui l’informe de la prise de Mont-Amele par le roi. Voilà Girart si plein de douleur qu’il ne pouvait dire un mot à personne, jusqu’à ce qu’il vît Fouque en qui il a confiance : « Fouque, puisse Dieu t’aider ! donne-moi conseil au sujet de Charles qui me tient pour un lâche. Il m’a enlevé Mont-Amele, puis il a juré qu’il ne s’en irait pas d’un mois, sans avoir combattu. Mais je te jure par Jésus le tout-puissant que si Allemands et Désertains[168] ne me font pas défaut, il ne s’en ira pas sans bataille, pourvu qu’il m’attende huit jours ! « 

314.Ere oiaz la paraule de folcon
Con quide de conſel cō le te don
Quan tu anz le creiz mal qe ne faiz bon
Ceſt demandaiz mō fraire cōte boſon
4835E ſeigin lo uiſconte de beſencon
Qui ten fors dōſellirent de lor razon
f. 84vE la cambre ques uouta dins roſſillon
[J]a ne derai conſel dome felon
[Q]ue tu ia te conbates al rei carlon
4840[C]ar tu es ſes om liges de ſa maiſon
E nō as chaſement nul fors le ſon
Mais uai ſi li fai dreit pot te ſomon
A paris o a rains o a ſeſſon
Si dex ten cors garis de meſpreiſon
4845Que tu retaz nō ſies de traiſon
Tros ca carante iorz met la razon
Ꝑ conte o ꝑ uiſconte leial e bon
E ꝑ riche arceueſq ; de ſa maiſon
Quant li auras fait dreit qer li le ton
4850Sel faire nel te uout e dis que non
E il nos uait menant ꝑ achaiſon
Des pois taiuderai e tei baron
Com qui a tort gerree ꝑ deu del tron
Son damage fait grant e ſon ꝓu non

314. Écoutez la parole de Fouque : « Quel conseil peut-on te donner ? Tu crois plutôt le mauvais que le bon ! Adresse-toi à mon frère, le comte Boson, à Seguin, le vicomte de Besançon, qui t’ont conseillé[169] selon leur sentiment, à Roussillon, dans la chambre voûtée[170]. Pour moi, je ne donnerai jamais conseil d’homme félon ; jamais je ne serai d’avis que tu fasses la guerre au roi Charles, car tu es son homme lige, de sa maison ; tu n’as chasement de personne, sinon de lui. Mais fais-lui droit, puisqu’il te cite, à Paris, à Reims ou à Soissons, si Dieu te garde de toute insulte, de toute accusation de trahison. Demande-lui un délai de quarante[171] jours, par un comte ou un vicomte bon et loyal, ou par un puissant archevêque de sa maison[172]. Quand tu lui auras fait son droit, demande lui le tien. S’il ne veut le faire, s’il te refuse, s’il te cherche querelle, alors je t’aiderai avec tes barons. Mais qui fait guerre à tort, par Dieu du ciel, est l’artisan de sa perte, non de son bien[172].

4855315.Ja nō derai conſel al mien uiaire
Ꝑ que tu ſies folz fel ne bauzaire
Q’ nuſ teus pars to poiche en cort retaire
Mais uai ſi prien aucher de ſaint machaire
Quil eſt franc cheualer e de bon aire
4860E ſi mandez al rei dreit lireiz faire
O quel ſe uuol en france maiſ ſen repaire
Ꝑ co dones oſtages mei e mō fraire
Folco co diſt ſeigins nol ameis gaire
Quāt plait li cōſellaz a honte faire
4865Anz nogiſt el ꝑdue la cit de caire
f. 85rE mil mars de lenor que tec ſos paire
Quel reis ſenz gant bataille ia paſt ſēz cair[e]

315. « Certes, je ne donnerai pas conseil, le sachant, qui fasse de toi un fou, un félon, un traître ! Mais va trouver Auchier de Saint-Macaire[173], c’est un chevalier franc et de bonne race ; mandez au roi que vous irez lui faire droit, où il voudra mais qu’il se retire en France, et donnez comme otages moi et mon frère. — Fouque, » dit Seguin, « vous ne l’aimez guère, quand vous lui conseillez un arrangement honteux. Il vaudrait mieux qu’il eût perdu la cité de Caire[174] et mille marcs de la terre que tint son père, avant que le roi passât Rancaire[175] sans bataille. »

316.Girarz entent ſegin o lui ſapo[n]
E auit la fulie ml’t li ſat bo[n]
4870Ja dālideu don folco pois ben uos don
Quāt eu ia uos crerai diſta razon
Sel reis ca eſt paſſaz e ſeu gloton
Li normant el franceis e li breton
Tot ꝑ nun de la mie cōfuſion
4875Pois bataille demande ſeu ne li don
E folco qant lo ait tan dolenz fon
Non det conſel pois ne mal ne bon

316. Girart entend Seguin, et ses foles paroles lui plurent : Que Dieu me maudisse, don Fouque, » dit-il. « quand je suivrai votre conseil ! Puisque le roi s’est avancé jusque-là avec ses vauriens, Normands, Français, Bretons, afin de me ruiner, tenez-moi pour aussi lâche qu’un renard[176], dès qu’il demande bataille, si je ne la lui donne ! » Fouque, quand il l’entendit parler ainsi, fut si affligé que depuis il ne lui donna plus aucun conseil, bon ni mauvais.

317.Er a mandat ſos omes lo cons girarz
Tot ꝑ non de bataille uers mouteſ praz
4880E uent o lui auchers el cons ginarz
Cui fun en alemaine monz beliarz
Aduçent len denz mile deiſi gaillarz
Caiqui no uen uolpis ni om coarz
E nō cuidaz diſ conte ke gaire el taz
4885Conbatrai ſei a carle ꝑ uer dimarz

317. Aussitôt le comte Girart convoqua de toute part ses hommes pour la guerre. À lui vinrent Auchier et le comte Guinart[177], qui tenait en Allemagne Montbeliard[178], amena dix mille hommes vaillants, entre lesquels il n’y avait ni un couard ni un lâche. Ne croyez pas que le comte[179] perde le temps : il livrera bataille à Charles le premier mardi.

318.Girarz quāt ueit de carle ſi lis comes
Qua fort ꝑprent ſa terre e ſon paies
E ſon mellor caſtel robat e pres
E prent trenta meſſages ꝓz e cortes
4890E forz muls ambladors e eſpanes
E u ſap bons amis ꝑ es trames
Mandet les caarcins e dagenes
Tos anz e balzenūs e roenges
E baſcōs e iaſcōs de bordeles
4895f. 85vE tros caus porz deſpaine un fin n̄ pres
[L]i auar e li baſcle uenunt eſpes
[N]is lo reis daragone le ſeus trames
[S]obre seiſante mile ſunt mais de tres
Or fun de la bataille faiz lor conre⁎s
4900Mais don girart lo conte ben no cē pres
Car tot a enuers carle iuiar nos es

318. Quand Girart vit que Charles le provoquait ainsi, qu’il occupait par force sa terre et son pays, qu’il avait pris et pillé son meilleur château, il choisit trente messagers preux et courtois, montés sur de forts mulets amblants d’Espagne. Il les envoya partout où il savait avoir de bons amis. Il appela ceux du Querci, de l’Agenais, du Toulousain, de Barcelone, du Rouergue, les Basques, les Gascons, les Bordelais. Aucun [des messagers] ne s’arrêta avant les ports d’Espagne[180]. Navarrais[181] et Basques viennent serrés[182]. Même le roi d’Aragon envoya ses hommes. Ils sont plus de soixante mille. Les préparatifs de la bataille sont faits. Mais ce fut, de la part du comte Girart, une mauvaise entreprise, car il a tort envers Charles, c’est chose jugée.

319.Girarz qant ueit de carle ſi len tencone
Sobre lui es uēguz aſſa corone
A ꝑ preſent ſa terre ke ſat plus bone
4905E ꝑ gilbert ſon gendre de taragone
Trames ꝑ aimeri cel de nerbone
Ꝑ raimon berenger de bailcelone
Ꝑ bertran lo leicluent de carcaſone
E ꝑ ginā lo conte de balone
4910Ꝑ iocel lo gerrer ques auers done
Parent furent girart a la ꝑſone
Per toz aiqueſz lo cons lo reis razone
No len traiſtret paraula gēte ne bone
Por quel de ſobre lui ſe deſpone
4915Ja anç no ueira dimarz anz ore none
Bataille en aura carles ſaiſe len done

319. Voyant que Charles lui faisait une telle guerre, qu’il était venu sur lui avec sa couronne[183], qu’il avait envahi ses meilleures terres, Girart envoya des messagers à Aimeri, duc de Narbonne[184] ; à Gilbert de Tarragone, le gendre de celui-ci [185] ; à Raimon Berengier de Barcelone[186] ; à Bertran le comte[187] de Carcassone ; à Guinant le comte de Balone[188], à Jocel de Verdona[189], le guerrier. Ils étaient parents de Girart. Par leur intermédiaire, le comte parlementa avec le roi[190], mais ils ne réussirent pas à lui arracher une bonne parole qui annonçât l’intention d’évacuer la terre de Girart. Le mardi suivant l’heure de none ne se sera pas écoulée que Charles aura bataille, s’il s’y prête.

322.
Zo fun a nouen die au ior pargut
Lor engardes ſencontrēt ſūt comnegut
E des quant ſe conugrent ſūt deſcēdut
4920E armerent ſei toſt e mot argut
Non cuidaſt del ferir cun ſen refut
Viaz tant aſtes fraidre e tant eſcut
E tant oſbersc fauſar e deſcofut
f. 86rE tant franc ch’ual’r mort chaagut
4925Les engardes girart les unt uencu[t]

322. Ce fut au neuvième jour, au lever du soleil : leurs avant-gardes se rencontrèrent, et, aussitôt que les hommes se furent reconnus, ils mirent pied à terre et s’armèrent en hâte[191]. N’allez pas croire qu’aucun d’eux se dérobe au moment de la lutte ! Vous auriez vu se rompre tant de lances et tant d’écus, tant de hauberts faussés et décousus, tant de francs chevaliers étendus morts ! L’avant-garde de Girart a eu le dessus.

323.Co fun au nouen die quāt iorz pare[s]
Aual en la riuere ſoz uerdune[s]
Borgoinō ſe conbatent o les france[s]
Gent deuit ſes eſcales carles lo reis

4930E met el premer cap ſes erupes
Ces dentre leire e ſeine uaſſaus cortes
Furent icil de cartes e de bles
O les lances trencanz auz arz entes
E gide les arbez uns cons de tres
4935Manſel e beruer e aucores
E la premiere eſcale furrunt manes
E en lautre peiteuin e bretones
E en la carte normant e flandines
Poherenc e icil de uermendes
4940En la maior de reren carles lo res
O cels de pariſi e dorlenes
De ſeiſons e de rains li cāpenes
E portet lor enſeine un dus gofres
El cons girarz cheuauche nos chaut gences
4945O lui uge e ertauz cil de fores
Gigo e aienris de uianes
Gillelmes e reinauz de maſcones
Bos e folco e ſeigin qui ſunt apres
Ciſt uenut [t]ant ſarrat e tāt eſpes
4950Les enſeinneres dreites ab orferes
Coi mais eu querra fin pos les toſes
A bun dreit en ſerie o mors o pres

323. Ce fut au neuvième jour, au lever du soleil, aval par la plaine sous Verduneis[192]. Les Bourguignons se battent contre les Français. Charles le roi disposa habilement ses échelles. En première ligne, il place ses Herupois[193], ceux d’entre Loire et Seine, guerriers d’élite. Là étaient les hommes de Chartres et de Blois, armés de lances au fer tranchant. Arbert, un comte de Troyes[194], les guide. Les Manceaux, les Berruyers, les Bretons[195] combattent dans la seconde échelle. Dans la troisième sont les Poitevins et les Aquitains[196] ; dans la quatrième, les Normands et les Flamands, les Picards[197] et ceux de Vermandois. Dans la dernière et la plus forte fut Charles le roi avec ceux de Paris et d’Orléans, de Soissons, de Reims et de Champagne. Un duc Joffroi[198] portait leur enseigne. Cependant Girart chevauche, montant dans la perfection, avec lui Hugues et Ertaut de Forez, Guigue et Henri de Vienne, Guillaume et Rainaut de Mâcon ; Boson, Fouque et Seguin[199] viennent ensuite. Ils s’avancent en rangs serrés, portant droites les enseignes garnies d’orfrois. Qui maintenant, au moment du combat, demanderait qu’on fît la paix, serait à bon droit tué ou jeté en prison.

324.f. 86vLo cons girarz cheuauche e uint p̃mers
[L]ober fu gazaranz leſmes de carters
4955.ue long leſplent li ſafres ꝑ laur qeſt mers
..iſceinte leſpade quel deit diſders
[N]e la pougra cōpra toz uns enpers
Portet eſcu e lance nou denuers
Sos gonfanons uns (blans) lars traginers
4960E ſos cheuaus uns bai(s) adreiz corſers
E uen denan ſa oſt con bōs gerrers
Encontret uns donzels ca nō raters
Aico fon uns des carle gonfanoners
E girart qant lo ueit fert uolenters
4965Que leſcuz ne lobers n̄ reſte enters
E grauentet lo mort en uns ſentiers
Aiqui uerez conbatre bōs cheualers
E faire iuſtes a fous e a millers
Talz ne fun de la coite giz ne parlers
4970Cui nauent en leſter ganz deſtorbers

324. Le comte Girart chevauche au premier rang. Il portait un haubert jaseran[200], un heaume écartelé. Le safre[201] resplendit au loin à cause de la pureté de l’or. Il avait ceint l’épée que lui donna Didier[202] : on ne la paierait pas avec un empire. Il portait un écu neuf écartelé. Son gonfanon était blanc, large et traînant. Son cheval était un bai rapide à la course. Il vint se placer au-devant de son ost, comme un bon guerrier. Il rencontra un damoiseau appelé Ratier[203] : c’était un des porte-gonfanon de Charles. Girart, le voyant, l’attaqua vivement, lui entama l’écu et le haubert et le jeta mort en un sentier. Là vous auriez vu combattre les bons chevaliers et les masses se heurter les unes contre les autres. Tel n’était pour rien dans cette guerre qui, dans la bataille, éprouva grand dommage.

325.i-ii.De lai gidunt girart ſeu loherenc
E alemant i ſunt e deſertenc
E uīt ob ez rames lo fiz arbenc
En lui a bon uaſſal e aelenc
4975Ac elme de bouere oberc doblenc
Portet eſcu e lance de monbilenc
E cheuauche un cheual corſer braidenc
E a ceinte le ſpade au rei genenc
Anc no uiſtes negune ſi tal ni trenc
4980Mal ſen e angeuin e erupenc
Cil furent deuers carle en lautre renc

325. Du côté de Girart sont ses Lorrains, les Allemands et les Desertois. Avec eux s’avança Rainier[204], le fils d’Ardenc. C’était un bon et vaillant guerrier. Il avait un heaume de Bavière, un haubert double ; il portait un écu et une lance de Monbilenc[205] et montait un cheval rapide et hennissant. Il avait ceint l’épée du roi Genenc[206] : onques vous ne vîtes épée qui si bien taille et tranche. Les Manceaux, les Angevins, les Herupois étaient avec Charles dans les rangs opposés. Rainier cria son enseigne : Durenc ! Durenc ! et Hugues de Poitiers : No genc ! no genc ![207] Il se lance contre Rainier qui venait sur lui, et lui porte par la poitrine, à travers le haubert, un tel coup qu’il lui tranche tout le côté gauche et le jette à la renverse en un chemin tournant[208], à une longueur de lance de sa selle.

321.f. 87rLes batailes aualgent ꝑ me us..
Jraz des cheps enclins elmes lais..
K. martels fu reis enpoesta.
4985E. G. fu uns ducs enparenta.
E li uns enuers lautre fo mout ira.
E .f. fo ens rencs ben ausb’ga.
E ses sobre un caual mout afaita.
Corens 2 endemis 2 saia.
4990E fo mout gentament sos cors a..
Vns esperos ab aur es pes ferma
2 ot causas de fer bonas aisa.
Plus blancas cus argenz fins esmera.
Lausberg che ac uesti forz e sera.
4995Los pans e la uentaile ab aur safra.
2 anc ꝑ nula ama no fo falsa.
Lem q̃ ot el cap fu car conpraz
Sobre toz cels de lost geta clartaz
Escut daur e daçur escartairaz
5000Asta reida e fort fer aseiraz
Baiart porprent grans sauz ꝑ cās araz
Sobre toz cels de lost la trasportaz
Mais cus arcs no traria us mataraz
E lo reis can lo uit ses arestaz
5005Sobrel conte daluerna ses apoiaz
2 a dit as frances segnor gardaz
Lo meilor caualer chanc ueisaz
E uos dirat chi es si mescoutaz
.f. lo neps .g. es apelaz
50102 es naz dalamagna siner clamaz
E escoutaz sas techas 2 entendaz
f. 87v......elas del monde en lui melaz
.........las maluadas de lui sebraz
....el non a neguna sobreus costaz
5015...es pros 2 cortes 2 afaitaz
....nc e de bonaire 2 enparlaz
.....2 de ribera gent esaiaz
...chas sap 2 de taulas de iuc de daz
.....lo seus auers no fo uedaz
5020.....en a cascus quan uol asaz
......i an li bon e li maluaz
.....ior donor faire no fo tarçaz
..trament ama deu eternitaz
..anc no uenc en cort puis chel fu naz
5025.negus torz fos fais ni derainaz
.ue sel nō pot al faire noil peçaz
.sap li mout mal gera 2 ama paz
E can ue que sos elmes li es laçaz
2 a lescut au col lespaça au laz
5030Donc est fiers 2 frenicles e desraiaz
Orgolos ses merce 2 ses pietaz
Can torba lor gera de gent armaz
Ja non sera de cāp un pe tornaz

L fersa es el rocs com adescaz
5035Ab lui se cobroil 2 li maluaz
E a ben caualer toz tēps amaz
Los paubres e los uils honoraz
Segun que cascus ual los a preçaz
E sapçaz desta gera mout li desplaz
5040E sen es ab .G. mout ueiz mesclaz
E nes mesclaz ab lui e nes iraz
f. 88rMais unques non poc eser ꝑ l.......
2 desor non seria ꝑ mi blasma.
Qui a son amic fail o es onta.
5045Quen totas bonas corz nes mesp....
E no men seria oi tant ꝑpensa.
Queu uos ages mia toz aconta.
Los bens q̃ sunt en lui ni las l....
E ꝑ aichel segnor on uos crea.
5050El es mos enemics e mout lo...
Mais uoldria estre com .f. si en......
Que d’ quatre reiaumes seiners.....
Seiners diçon frances mout lo l...
Car si ai tant en lui cō uos cont..
5055Anc meilor caualer no fo ior na.
Si a se diz lo reis e plus asa.

321. Les batailles[209] chevauchent à travers les prés, sombres, têtes basses, les heaumes lacés. Charles Martel était un roi puissant, Girart un duc de grande famille, et ils étaient acharnés l’un contre l’autre. Fouque était en ligne parmi les combattants vêtus du haubert, et montait un cheval rapide, fougueux et bien dressé. Il était richement armé ; il avait les éperons d’or aux pieds, et de solides chausses de fer. Le haubert qu’il avait sur le dos était fort et serré, les pans et la ventaille en étaient ornés d’or ; il était plus blanc qu’argent épuré, et jamais aucune arme n’avait pu le fausser. Il avait une épée longue et grande au pommeau doré. Le heaume qu’il portait sur la tête avait coûté cher et brillait par-dessus de tous les heaumes de l’armée. Il avait un écu écartelé d’or et d’azur, une lance roide, forte et au fer acéré. Bayart (son cheval) fait de grand sauts par les champs labourés, et s’est porté en avant de toute l’armée, plus loin qu’un arc ne lancerait un javelot. Le roi s’arrêta quand il vit Fouque. Il s’appuya sur un comte d’Auvergne et dit aux Français : « Seigneurs, voyez le meilleur chevalier qui jamais ait existé ; je vous dirai qui il est, si vous m’écoutez. On l’appelle Fouque, le cousin[210] de Girart. Il est natif d’Allemagne où il est seigneur. Écoutez quelles sont ses qualités. Attribuez-lui toutes celles du monde, en ôtant les mauvaises, car il n’en existe aucune de telle en lui, mais il est preux, courtois, distingué, franc, bon, habile parleur. Il connaît la chasse au bois et au marais, il sait les échecs, les tables, les dés. Jamais sa bourse n’a été fermée à personne, mais il donne à qui lui demande : tous, les bons comme les mauvais, y ont part ; jamais il n’a été lent à faire un acte de libéralité. Il est plein de piété envers Dieu ; car, depuis qu’il est au monde, il n’a jamais été dans une cour où il ait été accompli ou proposé aucune injustice, sans en avoir été peiné, s’il ne pouvait l’empêcher ; et jamais il n’a été renvoyé d’un jugement sans s’être battu en champ clos. Il déteste la guerre et aime la paix, mais, quand il a le heaume lacé, l’écu au col, l’épée au côté, alors il est fier, furieux, emporté, superbe, sans merci, sans pitié, et c’est quand la foule des hommes armés le presse, qu’il se montre le plus solide et le plus vaillant[211]. On ne lui ferait pas perdre un pied de terrain, et il n’y a homme au monde qui osât lui tenir tête. Il est à la fois la reine, le roc et le roi[212]. Tous, puissants et faibles, trouvent appui en lui. Il a toujours aimé les vaillants chevaliers et honoré les pauvres comme les riches, estimant chacun selon sa valeur. Sachez que cette guerre l’afflige très fort, qu’il a eu pour cela avec Girart maintes disputes, maintes querelles, mais il n’a pu l’en détourner. Cependant il est toujours, au besoin, venu à son secours. Et ce n’est pas par moi qu’il sera blâmé : quiconque abandonne son ami, est méprisé en toute bonne cour. Je ne finirais pas aujourd’hui, si je voulais vous conter tout ce qu’il y a de bon en lui. Et, par ce Seigneur en qui vous croyez, il est mon ennemi et je le hais très fort, mais j’aimerais mieux être Fouque, avec ses qualités, que le seigneur reconnu de quatre royaumes ! — Sire, » disent les Français, « vous le louez beaucoup ; car, s’il a toutes les qualités que vous dites, jamais il n’y eut chevalier meilleur. — Il les a, » dit le roi, « et plus encore. »

320.Aiso fo en estat el mes dabril
Soz montameli foren li enem.
Entre .g. e .k. foron aiqui
5060A tans bons caualer lo iorn feni
E tantas belas domp̃as pert son mari
Duna fera bataile la mort uos di
Don fransa 2 alamaina en deserti
Ars sont moster e gleisas e crosifi
5065Ab .G. saiosteront tuit sei ami
E foron bien .x. mille a fer uesti
No i a sel quel not sia toz aati
Car nō pot ben greuar son enemi
Mas deu .g. uenen li plus ardi
5070La mainada del conte quel a nuri
E .k. descendi en un lari
f. 88v.....ies damideu trop en obli
......iegus peccaire nol presa si
.......reis de gloria a uos o di
5075.....me oi honor uostra merci
.......o fo ies trop esbai
......ela boson 2 aimeri
.....2 andefre gilb’t e gui
.....ia uos ai eu trestoz nuri
5080.....s bos auers toz reuesti
.....ai ben enpleiat entrosq; ci
....auez main palaz pris e saisi
......i dat lauer e departi
....ai en is segle mais lan ꝯui
5085....me uens reis .k. sabez que di

..ar men conuendra paubre meschi
..uant aurai al rei t’ra gerpi
.os en serez plus paubre 2 aflebli
A .f. seiner neps a uos o di
5090Main ben mauez ia fait pauc lar fui
A toz iorns uos aurei foparemi
Cal gran besoig uei eu qui est ab mi
E .f. lo garda si li souri
Oi uos auem don duc treis ueiz oi
5095S cregut magisez no fos pas si
Entre uos e lo rei fusaz ami
Mas oi nos ges mia ꝑ uos aisi
Hui me uerez ab amas fer e ardi
Ja not auran mest li gardani
5100Car neus descammades sen uant ensi
Or uciem auant queu los enui

320[213]. Ce fut en été, au mois d’avril. Les deux partis ennemis se rencontrèrent sous Mont-Amele. Entre Girart et Charles grande fut la haine, dont moururent en ce jour tant de bons chevaliers, et tant de belles dames perdirent leurs maris. C’est d’une fière bataille que je vous parle, dont France et Allemagne furent dépeuplées. Moûtiers, églises et crucifix en furent brûlés. Avec Charles s’assemblèrent tous ses amis. Les guerriers vêtus de fer furent bien au nombre de dix mille. Il n’y en avait aucun qui ne fût animé du désir de faire en champ de bataille le plus de mal possible à son ennemi. Mais c’est du côté de Girart que se trouvaient les plus hardis ; c’était sa mesnie, ceux qu’il avait nourris. Charles mit pied à terre en une lande ; il n’oublia pas Dieu : oncques pécheur ne pria avec tant de ferveur : « Ah ! Seigneur Dieu de gloire, » disait-il, « c’est vous que j’en prie, faites par votre merci que je sorte avec honneur de cette journée ! »

Girart, non plus, ne perdit pas la tête. Il appela Boson, Aimeri, ........[214], Gilbert et Gui : « Seigneurs, je vous ai toujours nourris. Je vous ai tous enrichis de mon bien. Jusqu’ici je n’ai pas eu à m’en repentir. Vous avez pris pour moi maint palais dont je vous ai distribué les richesses, si bien que je ne possède plus rien au monde, sinon ce que j’ai sur moi. Si aujourd’hui Charles me vainc, savez-vous ce que je dis ? c’est qu’il me faudra m’en aller pauvre et mendiant. Et quand j’aurai tout abandonné au roi, vous en serez appauvris et affaiblis. Ha ! Fouque, sire cousin, c’est à vous que je le dis. Vous m’avez rendu de grands services, dont je vous ai peu récompensé. Si, en ce jour, vous m’abandonnez, je suis perdu[215] et je vous haïrai à tout jamais, soyez-en certain. C’est au grand besoin qu’on reconnaît un ami[216]. » Fouque le regarda et lui dit avec un sourire : « Nous vous avons bien ouï, sire duc. Si vous m’aviez cru, les choses se seraient passées autrement : vous et le roi seriez amis. Mais maintenant ce n’est pas pour vous que je suis ici, mais pour moi qui me tiendrais pour honni, si dans la bataille je ne montrais ce que je sais faire. Certes, ce ne sera pas ici la place des buveurs qui aiment à se chauffer devant la cheminée[217]. Qu’ils marchent en avant, et à qui fera le mieux ! »

325.f. 89rRainers cidet ſenſeine durenc......
E uge de peiters no genc no gen.
E uait ferir rainier aisi con uen.
5105El piz ſobre loberc no feſt tan gen.
Que le coſtat ſeneſtre teſtot nel trē.
E deroquet lenuers en un roden.
Aitan loin de la sele con laſte ten.

326.Quāt rainers fu a terre cobrat de ſe[n]
5110E a tal pres el pez car cor li te.
Eſclicel ſon bliaut faiſet ſon be.
Pois cobret au cheual de bon ale.
E des quant fu deſus el tet ꝑ frei.
Jl a traite leſpade quil out darle.
5115Cui en fert en lelme de plen en ple.
Tot li trēce le cors tos quin el ſe.
Pois uait par la bataille ſi conuene.
Oimais ſe gart de lui cui ne uol be.

326. Quand Rainier fut à terre, couvert de souillure (?), ayant une blessure par la poitrine qui le fait souffrir jusqu’au cœur, il déchira son bliaut, se banda bien, puis remonta sur son cheval vigoureux. Et quand il fut en selle, les rênes en main, il tira son épée d’Orléans[218], et celui qu’il frappe en plein sur le heaume, il le pourfend jusqu’à la poitrine. Il se comporte de telle façon par la mêlée, que ceux à qui il en veut n’ont qu’à se bien tenir.

327.Bos e folco e ſeigins uenūt detras
5120E dōs fouchers chauauge baiart ꝗ fas
E ſunt ſeiſante mile tuit ab armas
Cheuauchēt aſtes dreites e uūt lo pas
E delai uent lo reis el cons foras
Eſcridunt lor⁎ enſeines tuit a un clas
5125Van ſen aiſſi ferir com oiras
Que deſ lo tens encai d(on) cleopas
Qui fu en la bataille de ual (tr)oas
Noiſtes unes genz qui neiſis cas
Si fere ne ocie ne ſis lauas
5130Mil ni a caaguz cuns nos muet pas
f. 89v....ꝑdut poinz o piez boces o nas
....era en leſtors e noes reinas

327. Boson, Fouque et Seguin viennent par derrière, avec don Fouchier à cheval sur Baiart......[219] Ils sont soixante mille, tous en armes[220] ; ils vont au pas, les lances droites. Du côté opposé vint le roi et le comte Foras[221]. Tous d’une voix ils crient leur enseigne. Ils vont se frapper, comme vous allez l’entendre, car, depuis le temps de Cleophas[222] qui fut en la bataille de Val Troas[223], vous ne vîtes gent aussi enragée (?), aussi acharnée à frapper, à tuer.....[224] Mille sont déjà abattus et sans mouvement, ayant perdu poing ou pied, bouche ou nez. Celui qui combattit dans cette mêlée et n’y resta pas, fut spécialement protégé de Dieu et de saint Thomas[225].

328......s delai boſun e dan folcon
...reis furent a foucher lo marcaucon
5135...a deu a garant e ſain tomas
....ai andefrei e don aimon
...fanoner unt fait del cōte ugon

....ndefres or uei un mal laron
....ui mociſt mō oncle a don boſon
5140...ez me por reuet a uolpillon
....i en iſt eſtor nō len razon
...oca lo ceual fic eſperon

328. Voici, d’un côté, Boson et Fouque, Fouchier le marquis faisait le troisième ; de l’autre, Andefroi et don Aimon. Ils firent du comte Hugues[226] leur porte-enseigne. Andefroi dit : « J’aperçois un mauvais larron qui, avec Boson, m’a tué mon oncle. Tenez-moi pour aussi lâche qu’un renard[227], si[228], dans cette mêlée, je n’ai affaire à lui ! » Et il donne de l’éperon à son cheval.

329...marcaucon eſcride ca trai foucher
Dan me feſes e tale e deſtorber
5145[Q]ui moceſis mon oncle teuric lautrer
[E] peiſera me ml’t ſi nou te mer
Sab iſte meie eſpade tal nō ten fer
Que tot ten trencherai tos quel brager
Aiqui mentes uos tot glot lauſēger
5150A tornar uos ennai a mēconger
E broces les ceuaus luns lautre quer
E nos remas li cos mige en foucher
Tot li trenchat leſcut ſoz lapoger
E andefreiz ſirais enaiſil fer
5155Que li fauſet li braine al pan dobrer
Anbedui ſe deſrogent en un grauer
Ꝑ aices cous ſe meſclent mil cheualer

E tant oberc rumput breunes falſad..

329. Andefroi s’écria : « Viens ici, Fouchier ; tu m’as fait tort et dommage, lorsque, l’autre jour, tu m’as tué mon oncle Thierri[229]. Certes, j’aurai du regret si je ne t’en récompense pas, si je ne te frappe pas de cette mienne épée un tel coup, que je te pourfendrai jusqu’à la ceinture. — Vous en avez menti, glouton, vantard, et je prouverai que vous n’êtes qu’un menteur. » Ils éperonnent leurs chevaux et se jettent l’un sur l’autre. Fouchier ne manqua pas son coup : il lui fendit l’écu sous l’appui[230]. Andefroi s’irrita et le frappa si violemment qu’il lui faussa la broigne au pan doublé ; tous deux s’abattent sur le sable, et à ce coup mille chevaliers entrent en lutte.

330.Ambedui ſentrabatent en unes prades
Aiqui ſunt les conpaines ſens raioſtades
5160f. 90rViraz tant eſcuz frait aſtes pecade.

E tant colbes ferir o les eſpade.
E tātes teſtes ob elmes de but ſeurade.
Ben en pograz lauar quinze carrade.
5165Ꝑ tort quen a girars o les feiade.
Na ꝑdut barons de ſeſ contrade.

330. Tous deux s’abattent en un pré ; voici les compagnies qui s’abordent ; vous verriez tant d’écus brisés, tant de lances mises en pièces, tant de hauberts troués, de broignes faussées, tant de coups d’épée, tant de têtes couvertes du heaume séparées du tronc ! On en aurait pu enlever quinze charretées. Girart eut le dessous en mainte rencontre et perdit ainsi les barons de ses contrées.

331.Anc de folcor bataille mais n̄ aui[z|
Que nes mees lo reis i fun feri.
E moc de ſa bataille cel qui o fi.
5170Fiz fun al uiel giroſme ſau n̄ daui.
Del rei partit par gerre e fu faidi.
A don girart lo conte eſ reuerti.
Qui li dona ganz dones taus con cauzi.
Ꝑ icel fu lo reis fort enuai.
5175Sil ferit en leſcut ques daur flori.
Doutre en paſſa la lance el fers bruniz
Poiſ tornat a girart en uns caumiz
E pres lo ꝑ lo frein cō om furniz
A fel cōſi eſtaiz toz abaudiz
5180Ja reſte ſi li canz des teus garniz
Que cent ſolz uaut de ta raiz
E ſi ti laiſſes prendre eſ eſcarniz
Amis co diſt girarz ꝑ quei mou diz
Car eu ten iur la ſainte ques genitiz
5185Melz uourie eſtre mors enſebeliz
Mauuaz reis me retrai lai ſoi fuiz
Anem les dun ferir qūe ſoi garniz
Tres iduns fu (leſtors) mels enuaiz

331. Jamais on n’ouït parler de plus forte bataille : le roi lui-même y fut frappé. Celui qui le frappa était sorti de l’armée royale. Il s’appelait David ; il était fils du Vieux Gérôme. Il avait quitté le roi par suite d’une guerre[231], comme faidit, et s’était réfugié auprès de Girart qui lui donna de grands dons à sa discrétion. C’est celui-là qui attaqua vivement le roi, le frappant sur l’écu orné de fleurs d’or de telle sorte que la lance au fer bruni passa au travers. Puis il retourna vers Girart, par un chaume, et, le prenant avec force par le frein : « Comte, pourquoi restez-vous tout ébahi ? le champ de bataille est si couvert de vos hommes, qu’il n’en reste plus mille[232] de ton pays ; si tu te laisses prendre, tu es perdu ! — Ami, » dit Girart, « pourquoi me dis-tu cela ? Je te jure, par la sainte mère de Dieu, que j’aimerais mieux être mort et enterré que de laisser dire à ce mauvais roi que j’ai fui ! Retournons à la charge : je suis tout prêt. » Alors la lutte reprit de plus belle.

332.f. 90v......ꝑ camp peiron lo fil gauter

5190....rtat les armes caut doliuer
.....nt adurat ſon conſier
....ſel e bos ſencontrēt el ſender
....firrant andui ml’t uolenter
....contrat ſeigin un ſon gerrer
5195....menbret a peiron del re ꝓuer
....diſt a roſſillon ſoz lauliuer
....i reis li trameſt ꝑ meſſager
....con len tendra a mau parler
....a gabador aul fener
5200..ens nel uait ferir en leſcut ner
..rochent les cheuaus luns lautre quer

332. Voici par le champ Pierre, le fils de Gautier ; il portait les armes qu’il avait reçues d’Olivier[233]. Il était bien décidé, si lui et Boson se trouvaient face à face, à se battre de bon cœur avec lui. Il rencontra Seguin, l’un de ses ennemis ; il lui souvint d’un mot que celui-ci lui avait dit à Roussillon, sous l’olivier, lorsqu’il fut envoyé par le roi comme messager[234] ; il dit qu’on le tiendra pour un homme vaillant en paroles, pour un vantard, un faiseur d’embarras, s’il ne va le frapper sur l’écu noir : ils éperonnent et se lancent l’un sur l’autre.

333.Andui ſe portent gerre ire e gramor
E fau lo cadeūs ꝑ ſon ſeignor
[E] brochent les cheuaus lū lautre cor
5205Segins lo ferit ſi aut ſos la flor
Que li fauſa loberc al pau forcor
Treis des coſtes li taille dū a dolor
E peires refert lui de tal uigor
Quāc ū receit tal coup par uauaſor

333. Ils ont l’un pour l’autre haine et rancune, chacun d’eux prenant parti pour son seigneur ; ils éperonnent, et partent tous deux au galop. Seguin frappa si haut, par dessus la fleur[235]. [qu’il lui fit dans l’écu une ouverture large comme le poing[236]], et lui faussa le plus fort pan du haubert, lui entamant trois côtes. Pierre le frappa à son tour de telle force que jamais d’aucun homme Seguin ne reçut un tel coup.

5210334.Peires brocha cheual qui ml’t trabail
E uait ferir ſeigin qu(e) noi mel fail
Que li troquet leſcut ſos lapogail
E trencet li loberc a menu mail
Eme lo peez li feſt tal feneſtral
5215Que detras e denant li ſans len ſail
Non deraz ꝑ ſa uida pois mige un ail

334. Pierre piqua le cheval, qui fit un grand effort, et alla frapper Seguin. Il ne le manqua pas, mais lui troua l’écu sous l’appui et lui trancha le haubert aux mailles menues. Au milieu de la poitrine il lui fit une telle fenêtre que le sang jaillit par devant et par derrière. Après cela vous n’auriez pas donné de sa vie une gousse d’ail.

335.Gace el uiſcons de d(rues pru ace)l goin
f. 91rO ueit la maior preſſe de ſei fait coi.
E uait ferir alcher de mont ſein ꝓi.
5220E auchers qant lo ueit donet ſen ſoi.
Que li troquet leſcut deſos lo poi.
E lo pan de loberc tot li deſioi.
E gace refiert lui aut ſos ceu groi.
Non eſt tan fort loberc tos ne uergoi.
5225Que lenſeinne e la lance ꝑ cols li oi.
E carbertet lo mort del cheual loi.
Enpre elene en bataille ne en beſoi.
Non fert melz alemanz ſais ne borgoi.

335. Gace, le vicomte de Dreux, se porte en avant. Là où il voit la mêlée la plus épaisse, il pénètre comme un coin. Il va frapper Auchier de Mont Saint-Proin[237]. Celui-ci se mit en défense et lui fendit l’écu au dessus du poing, et lui défit tout le pan du haubert. Gace, à son tour, le refrappa sous le visage : le haubert[238], si fort qu’il fût, céda. Gace lui passa lance et enseigne par le cou et l’abattit mort loin de son cheval. Dans la mêlée, il n’y a Allemand, Saxon ni Bourguignon qui frappe mieux que lui.

336.E uos ꝑ camp alon lo fil anſe[l]
5230Oberc out iazarein des lo chape.
E out lacat un elme raimont bore.
E a cente leſpade milon durge.
Portet eſcut e lance nou de borde.
E cheuauche un cheual ferrant poutre.
5235E portet gonfanon ab aur mante.
E uenc ſes dementent ꝑ plan calmel
E uait cridant lenſeine carlon martel
Ves uos de lai girant de mont reuel
Quant ot lenſeine carle noil fun gins bel
5240E cuit cil uns cil autre encontre apel
O cauz acuns del deus ſen deſenſel

336. Voici par le champ Alon, le fils d’Ansel. Il portait un haubert jaseran qui se rejoignait au chapeau ; il avait lacé le heaume de Raimon Borel[239] et ceint l’épée de Milon d’Urgel. Il était armé de la lance et son écu neuf venait de Bordeaux. Il chevauchait un jeune cheval couleur de fer, et son gonfanon était brodé d’or. Il vint tout d’un trait par le chaume, poussant le cri de Charles Martel. Voici de l’autre part Giraut de Mont-Revel. Quand il entendit le cri de Charles Martel, il en fut irrité. Ils vont se défier l’un l’autre et l’un des deux videra les arçons.

337.Girauz fun ch’ual’rs preouz e ualenz
Canc auers le ſon cors un no fu genz
Om fun girart au conte e ſos parenz
5245Quāt (ot) lenſeine carle ml’t fu dolenz
E uait ferir alon maiſ nō faiz lenz
f. 91v.....ert lui ſi qant lo coup ſenz
.......uſe la breine de ſain maiſenz
......ntet lo mort en terre adenz
5250....t les uelz doitran de ſain lorenz
Veēt tal ꝑ cui fū preſ uēgemenz

337. Giraut était un chevalier preux et vaillant. On ne pouvait imaginer un homme mieux bâti. Il était homme du comte Girart et son parent. Ce lui fut pénible d’entendre crier l’enseigne de Charles. Il se jeta sur Alon, qui, se sentant frappé, le frappe à son tour, lui fausse la broigne de Saint-Maixent, et le jette mort à terre, sur la face, devant Doitran[240] de Saint-Laurent, sous les yeux d’un homme qui sut en prendre vengeance.

338......anz broca el ceual e fert alon
.....z ſobre loberc ꝑ aucoton
......li met la lance au gonfanon
5255......ntet lo mort en un ſablon
........eent les uelz au conte ugon
....t tal quin a pres leuengazon

338. Doitran pique des deux et frappe Alon par la poitrine, sur le haubert, à travers le hoqueton. Il lui mit dans le corps la lance avec le gonfanon et l’abattit mort sur le sable, sous les yeux du comte Hugues, un homme qui sut en prendre vengeance.

339......ꝑ la bataille ugon aiſin
..i oirez ſenprere ſeu uos o din
5260....bre un pelicon ca nou ermin
..eſtic un oberc blanc teoin
.a lacat un elme ueriat daur fin
.a cente leſpade genou daiglin
Portet eſcut e lance de ſan domin
5265E cheuauge cheual bai a ſaure crin
E peſet li dalon qua pres li fin
E fun dolenz del conte de ſon lin
E cuit que en doitran nomeſ falin

339. Voici par la mêlée Hugues et vous allez entendre ce qu’il fit : sur un pelisson neuf d’hermine il avait revêtu un haubert blanc et à fines mailles (?)[241], et lacé un heaume à vergeures d’or fin. Il avait ceint l’épée de Genon d’Aiglin et portait un écu et une lance de Saint-Domin. Il montait un cheval bai, à la crinière fauve. La mort du comte Alon, qui était de son lignage, lui causa une vive douleur. J’ose dire qu’il ne manqua pas Doitran.

340.Vges ferit doutran en ſon eſcut
5270Que ſon oberc li a eſcois ſendut
Ꝑ cors li meſt la lance le aſte anut
E carbente lo mort el prat erbut
Quāt les conpaines ſūt reconegut
Vieraz tant aſte fraite e tant eſcut
5275E tant fran cheualer mort chaagut
Com nō a ſoin ne cure qui quel remut
f. 92rBen a carles girart ſire uendu.
Ꝑ duc teuri daſcane que la tolgu.

340. Hugues frappa Doitran sur son écu, lui brisa son haubert, lui mit dans le corps la lance au fer aigu et l’abattit mort sur le champ herbu. Lorsque les compagnies se rencontrèrent, vous auriez vu tant de lances, tant d’écus brisés, tant de chevaliers étendus à terre qui demeurent insensibles, si fort qu’on les remue. Charles a bien fait payer à Girart la douleur que lui a causée la mort du duc Thierri d’Ascane.

341.Carles uenc apoinent a grant poeſt.
5280Vai ferir un donzel fran de tieſ.
Amont ſobre ſon elme en laucor feſ.
Trencel cuir el cabel ab es lo teſ.
E lo pez e lo cors tot cant en ueſ.
E lui e ſon cheual treſtot uneſ.
5285Dous meitaz en ſeſt laz un geneſ.
Laic chace reis lo ior en lor foreſ.

341. Charles accourut au galop. Il frappa un damoiseau franc des pays tiois (?), en haut, sur le sommet de son heaume : il lui trancha le cuir chevelu, le crâne, la poitrine, le corps, tout ce qu’il atteignit. Il en fit deux moitiés et le mit à bas, lui et son cheval, auprès d’un genêt. Ainsi chassait, ce jour-là, le roi dans la forêt de ses ennemis.

342.Jſte bataille fun a un dimar[z]
Quel nauar e li baſcle lancent lor da..
Ni at tāt fort oberc no face par.
5290Franceiſ fierent eſ elmes que feſt ginar.
Li ſanz e la ceruele gos en eſpar.
Aiqui nō a meſter nus om coar.
Quer il ni pout durar ne ſis regar.

342. Cette bataille eut lieu un mardi. En ce jour, les Navarais et les Basques lancèrent leurs dards[242] ; il n’y a si fort haubert qui ne soit mis en pièces ; les Français frappent sur les heaumes....[243], le sang et la cervelle se répandent à terre. Ce n’est pas là la place d’un homme couard...

343.Co fun es lonior die quāt intre eſta[ç]
5295A un dimarz quāt ſolz fun eſclairaç
Quelz conpaines ſencontrent dū fu pecaç
De ferir ne docire n̄ tenunt paç
Mil en uiraz iazer cadenz calaç
Quant ꝑdut poinz o pez o caz trencaç
5300Tanz uermelz gonfanons e ſanglentaç
Ꝑ cors de cheualers menu paſſaç
E ſet mile cheuauſ tant enſerraç
Non eſ om qui eſtende ne poin ne braç
Car nus n̄ i pot uiure maiſ quā deu plaç
5305Girarz uent ꝑ leſtor itoz airaç
f. 92v......norz de ſes mans que afolaz
.......ire e li uiſ len eſt camaz
......mautalent ianbe aterraz
....t ſenſeinere emeu ūſ praz
5310....ridet auſex er lor donaz
.....e ocies e derocaz
......te uos eſt a mei tornaz
......n troberez ſi repairaz
.....ne me mourai aico ſacaz
5315.....erai pres o morz o aleuaz
.....es ſera reis o abaiſſaz
.....urai ma honor quit e en paz
.....o reſpondet cō om menbraz
..m corteis ch’eual’rs e cō ſenaz
5320.oſtens fuſ fols e fel e forſenaz
.fun gant dolz au ſegle quāt tu fu naz
.no fon gins dalmoſne cabanz pecaz
Ꝑ tei es abaiſade creſtientaz
A fel n̄ ueiz leſ tex tan eſpaucaz
5325Plus de ſet mile ni at morz que nafraz
E ꝑ hoc ſis auen ben reuſaz
Que carles ra ꝑdudes ſex aſſaz
Mais lo reis eſt ton ſeinier rice poſtaz
El mi loc de ſa terre nos a trobaz
5330E creiſſent li ſi ome deuers toz laz
En ſol una leugade ner toz cobraz
V(emais ni aures) unte ſe uos annaz
Seinor franc cheualer c(ar li loa)z
Qui a parent ne fraire car len leuaz
5335f. 93rE tot li petit pas les enporta.
Eu annerai derere e dun dauma.
Bos e gilberz o nos e garin da.
E ſe rien i perdez mei demanda.
Quāt girarz girp leſtor fes lo forc..
5340El ne fun an plen pez pois encauca.
El ne loſe om dire de maire na.
Fait i fuſt auolere ni mauuaiſta.
Mais lo camp retet carles e ſos barna.

343. Ce fut aux plus longs jours, à l’entrée de l’été, un mardi ; le soleil brillait de tout son éclat. Les armées se heurtèrent et ce fut péché. On ne cesse de frapper et de tuer. Vous verriez mille hommes étendus sur la face ou sur le côté, qui ont perdu pied ou poing ou ont la tête tranchée, et tant de gonfanons rouges couverts de sang, enfoncés dans le corps de chevaliers, et des milliers de chevaux si serrés qu’il n’y a [entre eux], aucun homme qui étende la main ou bras, car là nul ne peut vivre, sinon par miracle. Girart vint par la mêlée, plein de fureur ; il a tué ou blessé vingt hommes. Son visage est altéré ; plein de rage, il met pied à terre, enfonce son enseigne en un pré, et crie aux siens : « Chargez, frappez, tuez, tranchez ; et, si vous êtes poursuivis, repliez-vous sur moi, car, sachez-le, d’ici je ne bougerai que je ne sois prisonnier, ou tué, ou victorieux. Charles sera roi ou déchu[244] » Puis il dit à Fouque : « Restez avec moi ! » Et Fouque répondit sagement, en chevalier courtois et sensé qu’il était : « De tout temps tu as été léger, cruel, emporté, et ç’a été un grand malheur pour le monde que le jour où tu es né. Ce n’a pas été un don, mais une grande perte. Par toi a été abaissée la sainte chrétienté. Homme cruel, ne vois-tu pas comme tes hommes sont réduits ! Il y en a plus de sept mille tant morts que blessés, et pourtant nous les avons bien repoussés, et Charles a perdu assez des siens. Mais le roi est ton seigneur, une grande puissance. C’est au milieu de sa terre qu’il nous a trouvés ; les renforts lui viennent de tous côtés ; il n’a qu’une lieue à faire pour être à l’abri. Maintenant il n’y a pas de honte pour vous à battre en retraite. Vous seigneurs, francs chevaliers, donnez-lui le même conseil. Si vous avez parent ou frère [qui soit blessé], enlevez-le, et emportez-le au petit pas. Je ferai l’arrière-garde avec don Daumatz, Boson, Gilbert, Garin d’Aix ; et, si vous subissez aucune perte, rendez m’en responsable. » Girart quitta la mêlée, contraint et forcé ; dès ce moment il ne fut pas poursuivi seulement un pied de terrain. Personne n’osa lui dire qu’il y eût eu, de sa part, faiblesse ni lâcheté, mais toutefois Charles et les siens restèrent maîtres du champ de bataille.

344.Carles reſtet lo reis en la bataill[e]
5345Vit tan donzel iazer mort ſos uenta....

E tant oberc ſafrat ſanglente maill.
Aſ uis dira co dis aſſaz trabaill.
Les mors ne ſat penſar qui plus lor ua....
Mais caſcun un ſarcou e cel quil taill.
5350Dora cen ſous del ſon ſens co qui faill.
Co dis uns abes bret de cornuaill.
Ja dˉs noi dunt releu dautre toaill.
El reis li done en feu ſen co quil faill.

344. Charles resta maître du champ de bataille. Il vit tant de damoiseaux étendus sous leur ventaille, tant de hauberts saffrés aux mailles sanglantes. Aux vivants il donnera, dit-il, assez de quoi vivre ; quant aux morts, il ne sait penser chose dont ils aient besoin, sinon pour chacun un cercueil, et à celui qui le taillera[245], il donnera cent sous. Un abbé breton de Cornouailles[246] dit alors : « Je ne demande pas à Dieu de me donner le relief d’une autre table[247] ! » Et le roi le lui donna en fief, et en bailla son gant.

345.Li bibe e li abat n͞r͞e douto[r]
5355Facem un cimenterre en deu onor
Jcil qui ci ſunt mort li n͞r͞e ellor
Caſcuns i eſt reſtaz por ſon ſeinor
Ere lont otreiat tuit li meillor
Mil mars en deit li abes a ſon prior
5360Senz co dun ſunt loiat li taillador
E pois lor ſert toſtens de tal labor
Tant com furent en trez gerreedor

345. « Que les évêques, les abbés, nos docteurs, fassent un cimetière en l’honneur de Dieu. Tous ceux qui sont morts ici, les nôtres et les leurs, sont tombés les uns contre les autres, pour leur seigneur[248]. » Tous les principaux [de l’armée de Charles] l’ont octroyé ainsi. L’abbé donna pour cela mille marcs à son prieur, sans compter ce qu’eurent les tailleurs de pierre pour leur loyer, puis il continua à leur faire ce même service tant qu’ils furent ensemble à la guerre.

346.[G]irarz ſen es annaz carles reman
f. 93v...z le noit el camp tros lendeman
5365....i ſen uait a rains la cit a plan
....li reis a ſens de co me uan
...i ai lauer ne aur eſpain
.....ual arrabi ne caſtelan
.....toura paſſar ca ꝑ ma man
5370.....ſens e ardi cors ſeguran
....era el men ren de uilan
....no e donar lo ſoberan

346. Girart s’en est allé ; Charles resta et passa la nuit sur le champ de bataille. Le lendemain il se mit en route tout droit vers Reims, la cité. Le roi dit aux siens : « Quiconque aura ici de la richesse, de l’or d’Espagne, cheval arabe ou castillan, il faudra, je m’en vante, que tout cela passe par ma main[249]. Qui aura bonne tête et cœur hardi ne trouvera en moi rien d’un vilain, mais l’homme le plus disposé à donner. »

347.....s quel reis mantet lo ioi el dun
.....engut denan lo conte aunon
5375.....r piſuns auez au gen cauſon
.....runs de bordel li fiz ion
...lels lo toſanz lui e neblon
..r mon cap diſt lo reis ml’t me ſat bon
..ſunt me anemic li plus felon
5380.ros a breus iorz naurunt ta gardon
Jamais non caucera uns eſporon
Seinor non lo pouz faire ſens mespiſon
Anz uos deuen contar ſos plaz con fon
Com il ſen repai⁎rauuent en lor reon
5385Nos lor feſem agait en clarenton
Nr͞e ome de boorges o de borbon
E com furent eiſit a plan gaſcon
Nos lor ſalins detras ꝑ un cambon
Anz uegunz n̄ eſtorſt nes li cucon
5390Ne mais que ſenebrūs e trei baron
E ueng los coitant dinz cornellon
E coilli les girauz en ſa mauſon
f. 94rAnz rendre nes noſ uol ſen aiſi no.
Que uns n̄ i perdes mais raenco.
5395E de co li feſem ben pleuiſo.
Eu lor derai dis carles dei tal poiſo.
Toz li plus ris dira garniz en ſo.

E montet aiqui es mande e ſomo.
E pres un parlement ſos albio.

347. Tandis que le roi procède ainsi aux dons, voici venir devant lui le comte Aimon : « Seigneur, apprenez qui vous avez parmi vos prisonniers : Senebrun de Bordeaux, le fils d’Yon[250], Gillaume le Tosanz[251], lui et Eble. — Par mon chef, » dit le roi, « j’en suis charmé. Ce sont mes ennemis les plus cruels. D’ici peu ils en auront telle récompense que jamais plus aucun d’eux ne chaussera l’éperon. — Sire, vous ne le pouvez sans déloyauté. Nous vous conterons comment la chose est arrivée. Comme ils retournaient en leur pays, nous leur dressâmes une embuscade à Clarenton[252], avec nos hommes de Bourges et de Bourbon[253], et, lorsqu’ils entrèrent sur le territoire gascon, nous les prîmes par derrière en un champ ; aucun ne nous échappa, pas même les valets, sinon Senebrun et trois barons[254]. Nous les poursuivîmes jusque dans Corneillon[255]. Giraut[256] leur donna asile dans sa maison, et ne consentit à nous les rendre qu’à la condition qu’ils n’y perdraient que leur rançon, et nous lui en avons donné notre parole. — Je leur donnerai, » dit Charles, « un tel breuvage, que le plus fort d’entre eux dira qu’il en a assez. » Là-dessus il monta à cheval ; puis il convoqua ses hommes pour un conseil sous Albion[257].

5400348.Carles parle a gaſcon par gant leze[r]
Per engien de donar e par ſaue.
Les a ſi conqueſuz a ſon aue.
Caſcuns li rent e liure ſon mane.
Carles les uait garnir a gant pode.
5405Meſſage en a girarz tros al quil ſe.
Li cons ſos roſſillon a bel uede.
Fait gilberz e folcon laz lui ſede.
E bernart e boſon e maneſe.
De lor armes portar ſunt teint e ne.
5410Car furent repairat de ſainz ſeue.
Caſtel del rei qūe fait a fouc arder
E paraulent de gerre faire e ſofer
Atant es lo meſſage qui lor diſt uer
Quel reis li uait gaſcome tote toler
5415Que li baron li font tot ſon plazer
Bataille en ert dis bos eu len eſper
Vos en auerez co diſt folco tot lezer
Car uos i gaanez tant lautre ſer
E pout girarz e uos a uelz ueer
5420Que nō eſt ious de gerre a tot mouer

348. Charles traita longuement avec les Gascons. À force de dons et d’habileté, il les corrompit si bien avec son argent que tous lui rendirent leurs châteaux. Charles les fit occuper solidement. Girart en fut informé par messager, cinq jours après. Le comte était à Beauvoir, sous Roussillon ; il fit asseoir auprès de lui Gilbert, Fouque, Bernart, Boson, Manecier. ils étaient noircis par l’usage du harnais, car ils revenaient de Saint-Sever, château du roi qu’ils avaient brûlé. Ils parlaient de la guerre, lorsqu’arrive le message qui leur apportait la nouvelle véritable que Charles enlève à Girart toute la Gascogne, que les barons de ce pays sont tous à sa discrétion. « Alors nous nous battrons, » dit Boson. « Vous en aurez tout loisir, » dit Fouque. « Vous y avez tant gagné l’autre soir, que vous ou Girart pouvez bien voir qu’exciter une guerre à tort n’est pas un jeu. »

349.En apro paraulet lo cons bernarz
f. 94v..uencels fun e fric granc e iaillarz
....e ſi me creez uos e girarz
......aſſara carles lo pont deſgarz
5425.....erre en ke iaz ſanz leonnarz
.....eron de caſtels en france eſſarz
.....ui caut diſ folco ſi un len arz
.....s tout des n͞r͞es les meillor parz
.....euers ꝓuence ne craiſt regarz
5430.....a cobertos dauer traarz.
...rles lor tramet a ſos canarz
...i eſt remaſuz del melz li carz
.....u co diſt gilberz de ſeneſgarz
....n ert confunduz lo reis gainarz
5435...ol fait cous de lance eſpade o darz
..n porie caler cauz fuſt li arz
.que logis ocis uns eſcobarz
.aiſi com morit le reis cenſarz
Eu los aucirai malues co diſt focarz
5440Anz non fū ren dis bos qui tan me tarz

349. Ensuite parla le comte Bernart. C’était un jeune homme grand et gaillard : « Frères, si vous me croyez, vous et Girart, Charles ne repassera pas le pont du Gard[258], ni la terre où gît saint Léonard[259], sans que nous ayons fait en France un grand abattis de châteaux. — Eh ! qu’importe, » dit Fouque, « si vous lui en brûlez quelqu’un, dès qu’il nous enlève les meilleurs des nôtres ! De çà, de côté de la Provence, des dangers se préparent pour nous. Il y a tant de gens cupides, prêts à tout faire pour de l’argent, — et Charles leur en envoie par ses bateaux (?), — qu’il ne nous est pas resté de nos meilleurs hommes le quart. — Par Dieu ! » dit Gilbert de Senesgart, « ce chien de roi ne sera pas mis à bas, sinon par coup de lance, d’épée ou de dard. Il importerait assez peu comment il serait frappé, pourvu qu’un escobart[260] le tuât, comme mourut le roi César[261]. — Je l’occirai sans retard, » dit Foucart[262]. — « Il n’est rien qui me tarde autant, » dit Boson.

350.E folco quan loit irasquen ſei
Gran felnie auez ere parlat uos trei
Ja namerai quin dige queu me deſlei
Eu nol uuel dis girarz ne ne lotrei
5445Mais dreiz eſt e coſtume ke fouz folei
E qui creit ſon conſeille ques na ſordei
Bels nies folco por deu conſeille mei
Conſel ni ſai dis folco neu ne li uei
Tant coneis a felon carlon lo rei

5450Ja nus ſuens enemis no li ſoplei
f. 95rNel cui el pou ſobrar nō a merce.
E ꝑ hoc ſi en beins ke ſe plade.
Cui om de traiciun en cort meſcr..
Ja non deit herberiar tal ret o ſe.
5455Dun lui face e ſon eir moſtrar o de.

350. Fouque, entendant ces paroles, s’irrita : « Vous avez, à vous trois, dit une grande folie. Jamais je n’aimerai quiconque me proposera une action déshonorante. — Je ne le veux pas, » dit Girart, « je n’y consens pas ; mais il est naturel que le fou dise des folies[263], et qu’il en résulte de la honte pour qui croit son conseil. Beau cousin[264] Fouque, pour Dieu, conseillez-moi. — De conseil, » dit Fouque, je n’en vois pas. Je sais le roi Charles si violent que c’est en vain que son ennemi s’abaisserait devant lui, et celui qui se laisse vaincre par lui n’a pas de merci à attendre. Et pourtant il y aurait lieu de traiter. Celui qu’on accuse en cour de trahison ne doit pas vivre avec une telle accusation qui le ferait montrer au doigt, lui et ses héritiers.

351.Quan te donai conſeil ne men cree[s]
Non te gardes de lon ne ial de pr..
Tan ſai lo rei felon uers nos engr..
Ja non baillera plai com li iuge.
5460E ꝑ hoc ſe fus ben que li mande.
Per un prot cheualer tal quil trobe.
Qui de la traiciun uos razone.

351. « Quand je t’ai donné conseil, tu n’as pas voulu me croire[265]. Qui ne sait pas se garder de loin, ne jouit pas de près[266]. Je sais le roi Charles si monté contre vous qu’il n’accepterait pas une convention qu’on lui proposerait. Et pourtant, il serait bon qu’on lui envoyât un preux chevalier, si on en trouvait un, qui sût vous défendre de l’accusation de trahison.

352.Preciaz e comandaz a dan bego[n]
Car non i ſai meillor ne nul tan bo.
5465Sei parent ſunt meillor en la mauſo.
Por uos gerpi ſon fiu del rei carlo.
Eu len derai ualbrune e tu diio.
Ja pois dex co diſt bec ben nochendon
Con ia prendrai ſonor ne ren del ton
5470Mais en lai annerai e tu ſemon
E cauauge apro mei e tui baron
E ſel reis nā uout dreit e diſt ke non
Abanz quil iſſe fors de ta reon
Len aiem tot rendu lo gaardon
5475E ſi un lai te rete de traicion
Eu defendrai ton cors eu dan folcon
Elſ autres fors fulcher e dan boſon
E daquelz i metrai tal achaiſon
Ne lor donas recet tor ne (torne) danion
5480f. 95v...s qui dona coniat a don aimon
.....reit ſon coſin e dun ugon
......moſtrent aget ſoz aualon
.....i e la ui e blaſmai lon
.....ucera uers mei uns eſperon
5485.....reis non feſiſt tal meſpreiſon
.....quel trameſeſt a tei peiron
.....s co dis girarz fac auos on
.....t breu conſeil e cor ſermon
.....bege el cheual ſenz compainon
5490....is ſon eſcuder ꝑ ſun bliſon
....z tramet meſſages toz laz niron
....einon loherenc e borgenon
..aſſunt a niuers e a chalon
..ſemblent eſ praz de ual mucon
5495.carlon ant fin faite li gaſcon
.l ne ſoiorne gaires en la reion
Girunde lo trauerſe nauſ e nodon
E fai tendre a la riue ſon pauellon
E reis iaz ſos brun paile ciclaton
5500Eſgarde cum paſſerent ſu danſellon
E paraule a terbert del ual beton

E a gacō ceu conte e a ugon
Atant bege deſcent qui lor deſpon
Lo meſſage girart e de folcon

352. « Priez don Begon [de se charger du message], car je ne sais chevalier meilleur ni même aussi bon. Il est du meilleur lignage. Pour vous suivre, il a abandonné son fief au roi Charles. Je le récompenserai en lui donnant Valbrune et vous Dijon. — Que Dieu me maudisse, » dit Begon [à Girart], « si je prends rien de la terre de Fouque ni de la tienne ! Je ferai le message. Toi cependant chevauche derrière moi avec tes barons ; et, si le roi refuse le droit, avant qu’il soit sorti de ta terre, faisons-le lui payer. Si on t’accuse de trahison, je te défendrai, et Fouque aussi, et les autres, mais non pas Fouchier et Boson [et Seguin, le vicomte de Besançon[267]]. Pour ceux-ci, je soutiendrai que tu ne leur as pas donné asile en tour ni en donjon jusqu’à ce que Charles eût permis à Aimon, à son cousin Andefroi et à Hugues de te dresser une embuscade sous Avalon[268]. J’y fus, je le vis et je le blâmai. Personne n’osera monter à cheval pour soutenir contre moi que le roi n’a pas commis cette indignité avant de t’envoyer Pierre. — Cousin, » dit Girart, « c’est bien parlé. » Le conseil fut bref et on y fit peu de discours. Begon monta à cheval, sans autre compagnon que son écuyer, pour porter son écu[269].

Cependant Girart envoie des messagers dans tous les sens, pour faire venir les Lorrains et les Bourguignons. Ils passent à Nevers et à Chalon[270] et s’assemblent dans les prés de Val-Mucon[271]. Les Gascons ont fait la paix avec Charles. Il ne séjourna guère en leur pays. Il traverse la Gironde et la Dordogne...[272], et fait tendre sur la rive son pavillon. Le roi, étendu sur un paile de ciclaton, regardait passer ses jeunes damoiseaux, causant avec Tibert de Vaubeton, avec le comte Gace et Hugues[273], lorsque Begon mit pied à terre, leur apportant le message de Girart et de Fouque.

5505353.Lai o bege deſſent des plus prezanz
Fun de ſet recobuz ſos muls ferranz
Jntret el paueillon entre dous panz
Cheualers eſt furmiz e aſaz granz
f. 96rE fu adrez ꝑ armes e de roman.
5510E carles lapelet e trais ſoz gan.
Cai uos rent u͞r͞e onor e catre tan.
De la mie meillor mais nō balan.
De tes meillors parenz cai en as tan.
Ja non des conortar quin ſie dan.

353. Là où Begon descendit, sept des plus distingués [parmi les hommes de Charles] vinrent recevoir son mulet. Il entra dans le pavillon, entre les deux pans relevés. C’était un chevalier grand et bien bâti, adroit aux armes et sachant parler. Charles l’interpella, ôtant son gant : « Je vous rends votre fief et quatre fois autant de ma meilleure terre, sans tarder. Tu as ici tant de tes meilleurs parents que tu ne dois craindre aucun dommage[274].

5515354.Seiner iſte razons queu uos apor[t]
Non eſt deſcomenenz ne queu conor.
Que tos bar mal uos face ne uos lui t...
Ga nun parlez dun bec ꝑ art nen ſor.
Ver girart ne auſex ia me racor.
5520Trues ne runt cōfundut tuit cil plus f...
Non amerai le conte ſeu n̄ uei mor.

354. — Sire, les paroles que je vous apporte sont de pure conciliation, sans rien d’inconvenant. Ce que je propose, c’est que votre baron ne vous fasse pas de mal, et que vous ne lui fassiez point tort. — N’essayez pas, Begon, de me réconcilier en aucune manière avec Girart, jusqu’à ce que les plus forts [de mes adversaires] soient abattus. Je n’aimerai Girart que mort.

355.Seiner quaus ꝓz uos ert ſeu locie[z]
Abanz auez gant onte ſe uos ꝑde.
En uoſtra colpe un conte de ſon pre.
5525Quel cons es proz e rius aico ſabe.
E pol uos mais ſeruir quel meillo dez
Ne fant de toz aiquez que uos auez

355. — Sire, quel avantage retirerez-vous de l’avoir tué ? Tout au contraire, ce vous sera une grande honte de perdre par votre faute un comte de sa valeur. Le comte est preux et puissant, vous le savez, et peut vous faire plus service que ne font les dix meilleurs de vos hommes.

356.Dun bec ſa ganz ualors eſt maíutaz
E ſa richez danz e paubertaz
5530Cent mil omes ma morz e afolaz
Mes reines confunduz e aermaz
E ꝑ hoc ſi men ſui un pauc uengaz
De tant cent mili omes de ſoz cazaz
Cuil a fait ganz ontes quāt fun en paz
5535Eu fui quis retin e doiz aſſaz
Eſ tendrai a onor toz ſe deu plaz
Aico es torz diſt beges e ganz peccaz
f. 96v....cons non ſet de ren uer uos dannaz
......aie forfait ſes eritaz

356. — Don Begon, sa grande valeur n’est que de la malice, et sa puissance n’est que dommage et misère. Il m’a tué ou blessé cent mille hommes, il a ravagé et dévasté mon royaume. Il y a tels cent mille hommes de ses chasés[275] à qui il a fait de grands outrages, alors qu’il était en paix ; je suis maintenant leur seigneur ; je leur donne largement, et je les tiendrai[276] tous en honneur, s’il plaît à Dieu. — C’est là tort et grand péché, » reprit Begon, car le comte n’a commis envers vous aucune faute pour laquelle il ait forfait son héritage.

5540357.....aico dun bec ke me diras
....u nos mes girarz el loc iudas.
...get e bec a mei a mos ennas
.....ociſt teuri con ſatanas
......ndrai ml’t car ſi queu ueiras
5545.....lai ia ſenz aige tondut e ras
.......ent mile omes lai mes detras
.....on a de gaſcoine caſtel ni mas

357. — Eh bien ! Begon, que me diras tu de ceci ? Ici Girart s’est mis dans le cas de Judas, quand, après avoir mangé et bu avec moi, dans mon hanap, le même jour il a tué Thierri, comme un satan ! Je le lui ferai payer cher, tu le verras. Et déjà je l’ai un peu tondu et rasé sans eau : je l’ai mis en arrière de deux cent mille hommes, car en Gascogne il ne lui reste plus château ni maison. »

358.....bec ſenancet ꝑ melz reſpondre
...ner anz quel feſeſſes de droit ſemōdre
5550...ſazir ſon feu e prendre ſondre
...citaz poz arder ſos caſtels fondre
..is nel podez a briu tan griu cōfundre
.ue ia ueaz de gerre mat ne repondre

.ar uos non uis anc un tan dur a tondre

358. Don Begon s’avança pour mieux répondre : « Sire, avant de le mettre en demeure de vous faire droit, vous avez saisi son fief, brûlé ses cités, ruiné ses châteaux. Mais vous n’arriverez pas de sitôt à l’abattre au point de le voir mat et réduit à se cacher, car jamais vous n’aurez vu homme si dur à tondre !

5555359.Ja nō aurant tan dur car ne cuiram
El ni bos ne folchers li trei ſatam
Se pois de lor aicir ne lor en dam
Ꝑ hoc ſolium dire parent eram
(Nos h)oc quo mes auis de linz adam
5560(Sen p)odie un tener qant fort les am
Ferie la parer quant fort les am
Ne lor uaurie aurs quiz ſon pez daram

359. — Ils n’auront pas la chair ni le corps si durs, lui ni Boson ni Fouchier, les trois satans, que je ne leur fasse dommage, si je puis, en récompense de leur inimitié. On disait que nous étions parents : oui, bien sûr, dans la lignée d’Adam ! Si j’en pouvais tenir un en mes liens, je ferais bien voir comme je les aime ! Leur pesant d’or cuit, fussent-ils d’airain, ne les sauverait pas.

360.Seiner no lo facaz co reſpōt bege
Girarz ē prez lo cons ke drez uos ſege
5565Preinez lo ſei uos plaz mentre uoſ prege
Quāt mais trai diſt carles e me tenege
f. 97rPois dis quen dreit ſon gant me pl...
Non derie ꝑ ren de mi ior treg.
Tros non lairai donor ſol une leg.
5570Pro i aurunt diſt bec morge e meg.

360. — Sire, ne faites pas cela, » répond Begon. « Le comte Girart est prêt à vous faire droit. Prenez-le[277], s’il vous plaît, tandis qu’il vous en prie. — Après m’avoir trahi et renié, » dit Charles, « c’est alors qu’il dit qu’il me fera droit et m’offre son gant plié[278] ! Pour rien au monde je ne lui donnerais une demi-journée de trêve, et je ne lui laisserai pas une lieue de terre ! — Il y aura à faire, » dit Begon pour les moines et les médecins ! »

361.Apres parlet gauters de ſain rome[c]
Vne ren uos dirai diſ el dun be.
Pos ke girarz pres gerre de ten n̄ cre.
Que feſt lautrer bataille ke fair n̄...
5575A carle eſconbatet en un plan fe.
Ben i eſtec lo ior tant con lui le.
Sos eſcuz fun trocaz en ſaſt i fre.
Mais ia deus n̄ dun part de quel eſche.
Quel cons e ſa mainade el camp rete.

361. Ensuite parla Gautier de Saint-Remi : « Je vous dirai une chose, don Begon, » dit-il : « depuis que Girart est en guerre, il n’a rien gagné ; l’autre jour, il a fait une bataille qu’il ne devait pas faire : il s’est battu contre le roi, en une plaine, luttant ce jour-là autant qu’il a pu ; il y a eu son écu troué, sa lance brisée. Dieu me garde d’un gain pareil à celui que le comte et sa mesnie ont fait en cette rencontre !

5580362.E uos quo reſpont bec qui preſes dun[c]
Vos n̄ feſes lo ior gaire encauz lun.
Ne noi feris manes ni en es tun.
Ne noi preſes auer lo pres dun iun.
Car n̄ feſē ſarcous ſerraz a plun.
5585Mais uos ne me ſes un enuas nentrunc
Abanz uos en tornez irat enbrunc

362. — Et vous, » répondit Begon, « qu’avez-vous donc gagné ? Vous ne fîtes pas, ce jour-là, une longue poursuite[279] ; vous cessâtes bientôt de frapper, et, sans avoir de butin la valeur d’un jonc.....[280], vous vous en revîntes irrités et la tête basse. »

363.Pro parlet andefrei qui tint meante
Vos ni laiſſez de mors millers ſeiſante
Le ior cornet ml’t bas u͞r͞e olifante
5590La traiciun girart dunt a fait tante
Deus confunde uaiſſel o tauſ uis plante
Se nos ploram diſt bec li cauz en cante
Ere ſe trai enant cel qui ſen uante

363. Ensuite parla Andefroi qui tenait Mantes[281] : « Vous y avez laissé ce jour-là soixante mille morts, et votre olifant a corné bien bas la trahison de Girart, si souvent renouvelée. Dieu confonde le vase pousse une telle plante[282] ! — Si nous pleurons, » reprit Begon, « qui donc en chante ? Qu’il se montre, celui qui s’en vante ! »

364.Beges ot andefret keiſſi deſruche
5595Que cubici girart uiel fole ruſche
f. 97v......e uaiſels plens de lanbruche
.....auez caſtel tan aut en tuſche
.....s i eſt treis iorz kau cart n̄ cruſche
......rt ſel crabente o ſa aſta fruſche
5600......lo part de lui el de ſa luche
.......de ſon mantel noſtet tal buſche

364. Begon ouït Andefroi s’emporter au point de traiter Girart de vieille écorce, de vase plein de vigne sauvage[283] : « Vous n’avez, » dit-il, « château si haut situé que le comte ne puisse effondrer après trois jours de siège. Celui qu’il frappe, il le porte à terre ou du moins y brise sa lance. Si le roi l’éloigne de lui, jamais il n’aura enlevé à son manteau une telle pièce.

365........on eſt fel fos traches ne mois
......diz e leiaus durs come bois
......ſt pel de gren ne barbe el tois
5605.......iſe la terere des mar el fois

......ueſ tant riche ome cui tot nāgois
.....aille en uolez tant lo conois
.....bries iorz uenrez a un tal frois
....t auerez entreſeins moines e lois
5610...is ert li cans dis carles e tuit li trois
....ſerai blanc armaz qui ques chamois

365. « Girart n’est ni cruel, ni léger, ni traître, ni lâche, mais hardi, loyal, dur comme du buis. Avant qu’il eût poil de moustache ni barbe, il avait conquis la terre de.....[284]. Jamais il n’y eut homme si puissant qu’il n’ait pu le réduire. Si vous voulez bataille, je le connais tel qu’avant peu vous verrez un craquement de lances qui vous laissera comme enseignes des manchots et des borgnes. — La bataille sera à moi.....[285] Je serai revêtu d’armes blanches ; se déguise qui voudra !

366..rouat uos ai dun bec en camp e prous
E ꝓuerai girart ſa plan lo trous
Par lui fu a paris baſtiz li gous
5615E mis en la quintaine li eſcu crous
E mors li duz teuris dun fu gans dous
E ſeigin ont meſter uns lons ſarcous
E a boſon aura autretaus ous
E au lairon folcher un feſtes nous
5620Seiners dˉs les gariſſe que neus encous
Pois que parti de france o ere enuous
Aſaz mont en ma terre fait ſouent fous
Damlideu uos en iur en ſant duous
Del ſumiliet entre les ſous
5625f. 98rV mei no laiſſera fiez ne alou.
O lui ne remanra uilans ne bou.
Dreit me face girarz plus ne li rou.
Non lairie ſol tant con ual uns ou.

366. « Je vous ai trouvé, don Begon, très vaillant sur le champ de bataille ; maintenant j’éprouverai Girart, si je le trouve à ma portée. C’est par lui qu’à Paris fut établi le jeu, que dans la quintaine fut placé l’écu[286], que fut tué le duc de Thierri, dont ce fut grande perte. À Seguin il faut un long cercueil, à Boson un pareil, et au larron Fouchier une bière neuve. Personne ne saurait m’empêcher de les pendre. Depuis que je suis sorti de France où j’étais retourné (?) ils m’ont fait en ma terre assez d’incendies[287]. Je vous en jure Dieu, et le saint jeudi où il s’humilia entre les siens, ou bien il ne me laissera ni fief ni aleu, ou il ne lui restera ni vilain ni bœuf. Que Girart me face droit : je ne lui demande rien de plus[288], ou sinon je ne lui laisse pas la valeur d’un œuf.

367.Seiner dreit uos fera girarz meſ ſir[e]
5630Vos o prendrez de lui co uos oi dir.
E hoc ſel cors boſun me rent e liure.
E pois li ꝓuerai queſt mes trair.
E ꝓuai lautre iorne al pim concir.
Quel ne ſē pouſt ſaluar ne eſcondir.
5635Non feſeſt de teuri maluaz martir.
Quel feſt en traicium con fel ocir.
E dun bec quan loit ſi ſen air.

367. — Seigneur, Girart mon seigneur vous fera droit ; vous le prendrez de lui comme vous le dites. — Oui bien, s’il me livre la personne de Boson, et puis je lui prouverai qu’il est mon traître[289]. Je l’ai prouvé l’autre jour, dans le premier conseil[290], et il n’a pu se disculper ni s’escondire[291] d’être l’auteur du meurtre indigne de Thierri, qu’il fit, comme un félon, tuer en trahison. » Don Begon s’irrita quand il entendit ces paroles.

368.Don tote ior diiaz traiche mon ſendr[e]
Mais or ſe trare enant cil qui len fendr.
5640Seu non len poiſ ſaluar ui e defendr.
Dūc ert li quēs ꝓuaz e mei fai prendr.
Enquet ſon gant pleiat al rei eſtendr.
Mais n̄ i a tan prot qui ſoles prendre
Quant lai uirūt peiron auſ treu deſcēdre
5645Seiner iſt razon me fai entendre
Car ſe dun bec eſ girauz eu nō ſui mēdre
E ſe bataille uol be......rendr.

368. « Sire, vous ne cessez de traiter Girart de traître. Eh bien ! que celui-là s’avance qui l’en accuse ! Si je ne puis l’en sauver et l’en défendre, alors le comte sera traître prouvé, et faites moi pendre. » À ces mots, il présenta au roi son gant plié[292]. Mais il n’y avait si vaillant qui l’osât prendre, lorsqu’ils virent Pierre descendre au pavillon [royal] : « Seigneur, entendez bien cette parole : si Begon est grand je ne le suis pas moins, et, s’il demande bataille, je suis prêt à la lui donner.

369.Que proz feras dis bec ſe ben lentenz
E que fols de bataille ſa tort le prenz
5650Co ſoi prez a defendre e conbatenz
E ai cheual bon e garnimenz
O ſum me uige a peu cō om firuenz
Quāt teuriz fun el pra mors e ſanglenz
Que girarz nen parla nē fun conſenz
5655f. 98v..o lui pres conſel ne parlemenz
...ſoi par ces dis pieres mes eſcienz
.....mei non er fais faus ſegremenz

.......li reſpont don bec tu menz
.....ort teuri fu girarz ioienz
5660.....et e o uout e fun querenz
......de ma cort cō meſcreenz
.....ne preſt coniat el ne ſa genz
.....int aiqui es mes maufezenz
.....na recet a ſan florenz
5665.....os caſtels demeines e caſimenz
.....eumet folchers e meſ argenz
....rt trames peiron teſ uelz ueenz
....feſt de mos clans eſcarnimenz
...eſt uers dis peires reis n̄ i menz
5670..ꝓuerai girart ſe tu defenz
.a razon uait diſt bege en autre ſenz
Or en oiaz la fin e le comenz
E pois gardas que ſie dreiz iugemenz
Que ſeu en ſui uencuz ne recreenz
5675Fel ſie el reis e tu ſe no me penz
Non cai uentraz dis carles ne n̄ ers uenz
Sel cons nō eſt ꝓuaz el coinoſenz
A tens i pout uenir toz cil plus lenz
Lai o ueiras ioſtar mil e ſet cenz
5680Auraz aſſaz bataille ſe tant latenz

369. — Tu feras sagement, » dit Begon, « de bien comprendre l’affaire, et tu seras fou si tu entreprends la bataille à tort. Je suis prêt à soutenir en combattant, avec mon bon cheval et mes armes, ou, si on le décide ainsi, à pied, comme un sergent, que lorsque Thierri fut abattu mort et sanglant sur le pré, Girart n’a ni préparé ni approuvé le meurtre, et qu’il n’y a eu, à cet égard, aucun complot. — Don Begon, » s’écrie Charles, « tu mens ! Girart s’est réjoui de la mort de Thierri ; il l’a complotée et voulue ; il s’est sauvé de ma cour comme un mécréant, sans prendre congé, ni lui ni les siens. Puis, aussitôt après, il a protégé mes malfaiteurs et leur a donné asile à Saint-Florent[293], château qui lui appartient en propre. C’est là que s’en est allé Fouchier avec mon argent[294]. J’ai envoyé Pierre à Girart, tu l’as vu, et Girart s’est moqué de mes plaintes. — Ceci est vrai, » dit Pierre ; « roi, tu as dit la pure vérité, j’en ferai la preuve[295] contre Girart, si tu maintiens ton dire. — La question, » dit Begon, « est autre. Écoutez bien l’affaire du commencement à la fin, portez un jugement équitable : si je suis vaincu et récréant, que le roi et toi soient réputés félons, si tu ne me pends ! — Tu ne seras ni victorieux ni vaincu, avant que le comte soit vaincu et reconnaisse sa faute : avec le temps le plus lent y arrivera. Là où des milliers d’hommes se heurteront, tu pourras avoir bataille, pour peu que tu attendes.

370.Seiner co a dit beges lait ē de rei
Qui ſon baron fait tort ne ne fait lei
Girarz ne uenc a cort e diu ꝑ quei
f. 99rCo ne poz eſcondire ne om por tei
5685Non donaſſes coniat dan andefrei
Aimon e aimeri que eu ci uei
Quel li meſtret agait ſos mont elei
Ja nen ſen conbatra neguns a mei
Eu fui e loi e blaſmai tei
5690E ꝑ hoc ſi uos quert lo cons marcei
Quel rendez ſa onor e ſoffrez drei
Beges co diſt lo reis tou te de mei
Quel meſſage girart ne lui ne crei
E man li[b]en ꝑ tei mais nol menuei
5695Queu lo ferie pendre ꝑ ſaint romei

370. — Sire, » dit Begon, « il est mal, de la part d’un roi, de faire tort à son baron, de ne pas lui faire droit. Girart n’est pas venu à la cour et je vais dire pourquoi : c’est que tu ne peux escondire, ni personne pour toi, que ce ne soit avec ta permission qu’Andefroi, Aimon et Aimeri, que je vois ici, lui dressèrent une embuscade sous Mont-Elei[296]. Pour cela, personne ne me proposera la bataille. J’y fus, je le vis et te blâmai. Et pourtant le comte vous demande de lui rendre, par votre merci, son fief, que vous acceptiez le droit. — Begon, » dit le roi, « ôte-toi de ma présence. Je ne me fie ni à Girart ni à ses messagers, et je lui mande par toi de ne plus m’en envoyer, car, par saint Remi ! je le ferais pendre. »

371.Beges entent del rei qui nel conſent
Ne non ame girart lui ne ſa gent
E reſpondet treis mouz iraement
Reis aiqui uos meneſtes malement
5700Qant li baitis agait u͞r͞e eſcient
Que no lauiaz fait defiement
E pois ſaiſis ſon feu premierement
Quel mandiſſies a plai na parlement
E carles fu iraz de maltalent
5705E iurat dan(lideu) omipotent
Si cai ne ogiſſes tan(t riſ pare)nt
Mare uos fus eiſſiz fo(res la de)nt
Cel nō es mos amiz qui (tot) conſent
Arberz e ſeu danzel lai (uont cor)ent

5710E getent le de trat fors enpennent
Ꝑ hoc li ſunt ami e ben uoillent
Monte bege el cheual ſes armes prent
f. 99vE arbers lo gidet con ſun parent

371. Begon voit que Charles refuse, qu’il n’aime ni Girart ni les siens. Il répondit trois mots irrités : « Roi vous avez mal agi, lorsque vous lui avez, de propos délibéré, fait dresser une embuscade, sans d’abord l’avoir défié, quand ensuite vous avez saisi son fief avant de l’avoir cité au plaid. » Charles fut saisi de colère et, jurant par Dieu le tout puissant : « Si vous n’aviez pas ici de si puissants parents, » dit-il, « vous vous repentiriez d’avoir laissé sortir cette parole de votre bouche ! Celui là n’est pas mon ami, qui t’approuve. » Arbert et ses damoiseaux accourent et le jettent de force hors de la tente. Ils le font par amitié pour lui. Begon monte à cheval, prend ses armes, et Arbert le conduisit comme son parent.

372.La o beges ſe part del conte arbert
5715E la noit erberiat en un deſert
A un ſant ermite a un conuert
E daiqui a girart ſon don quil ſert
E li cons li demande que tant ꝓfert
Molt le troba felon de mal a cert
5720Nos laira mais onor tro na ſofert
Anz naura dis girarz lo cap ouert
Non laia tan conques con deca pert
Eu e li men lon fait ample deſert
Deci qūe loherenne a ſant lanbert
5725Non pout fors mur franc ne cuiuert
A tant e uos folcon e dan gilbert

372. Après avoir quitté le comte Arbert, Begon passa la nuit dans un désert, sous le toit d’un saint ermite. De là il se rendit auprès de Girart, son seigneur. Et le comte lui demanda : « Que t’ont-ils proposé ? — J’ai trouvé Charles farouche et malveillant. Il ne te laissera plus de terre, il a trop souffert par toi. — Avant cela, » dit Girart, « il aura la tête fendue. Il n’a pas conquis là bas[297] autant qu’il perd de ce côté. Moi et les miens lui avons fait un ample désert. D’ici jusqu’à la Lorraine, à Saint-Lambert[298], franc ni serf ne peuvent se montrer hors des murs[299]. » Là-dessus voici venir Fouque et don Gilbert.

373.Bos e folco e gilbers uun a un conſeil
E demandent que dis carles lo feil
Ja non ert ben a nos ne uos ob eil
5730Si noil renz roiſſillon ꝑ lo correil
Anz naura dis girarz lo cap uermeil
Anz no uiſtes mais rei⁎ental es deil
Que ſeriaz un ioen a ſon orteil
Nos denerie ſol tornar lo ceil
5735E ꝑ pau que nō preſt ꝑ lo capeil
Quāt me gidet arbers e ſui danzeil
E erberiai la noit de ſoz un teil
A un ſant ermitan tote nuit ueil
Ne ſai al de caſcun maiſ ſapar̃eil
5740Quel reis gira unuit ſoz mōt moureil
Diſſade er enſiual eugal ſoleil

373. Boson, Fouque et Gilbert se rendent au conseil et demandent : « Que dit le farouche Charles ? — Il dit qu’il ne sera pas notre ami ni nous les siens, si tu ne lui rends Roussillon par la courroie[300]. — Avant cela, » dit Girart, « il aura le chef rouge[301] ! — Jamais vous n’avez vu roi si hautain. Vous seriez à ses pieds qu’il ne daignerait même pas vous faire un signe des yeux. Pour un peu, il m’eût pris aux cheveux, quand Arbert et ses damoiseaux me prirent sous leur conduite. Je passai la nuit sous un tilleul[302], chez un saint ermite, veillant toute la nuit. Je ne sais d’autre parti à prendre sinon que chacun se prépare, car le roi couchera ce soir sous Mont-Morel[303]. Samedi, au point du jour, il sera à Civaux[304].

374.f. 100rAu partir ne fiſt top irat carait
Quāt eu li ꝓchai de tei lagait
E uolgi mei conbatre que nol aſ trait
5745Mais une ren me diſt dunt eſtait lait
Oent toz ſe uanet el ma retraait
Toz li melz de ta gent o lui ſen uait
Por lo tort e ꝑ lonte que lor aſ fait

374. « Au moment où nous nous quittâmes, il me fit une figure irritée, quand je lui reprochai le guet-apens. Je voulus prouver mon dire par la bataille, que tu ne l’avais pas trahi, mais il me répondit une chose douloureuse : il m’a fait savoir, en tirant vanité devant tous, que les meilleurs de tes hommes vont à lui pour les grands outrages que tu leur as faits.

375.Cuidaz de cheualer que nol peiſt fort
5750Cui ſon ſeindre fait mal e meine a tort
Qui nen uuelle ſon dan il o ſa mort
Per tant ꝑdez la terre tros ca dunort
Des auenches la cit a clauſa al port
No laiſera co diſt qui uos cōnort
5755Vos nen auez caſtel quel pres un ort
Tot uos fera faidiu co troben en ſort

375. « Croyez-vous qu’il ne souffre pas, le chevalier qui se voit lésé[305], traité injustement par son seigneur, qu’il n’en arrive pas à lui vouloir du mal, à lui souhaiter la mort ? C’est pour cela que vous perdez la terre jusqu’à Dunort[306]. Depuis la cité d’Avenches[307] jusqu’au port de Cluse[308], il ne vous laissera, dit il, personne sur qui compter. Vous n’avez château qu’il prise un jardin. Il vous fera faidit ; il l’a ainsi trouvé en consultant les sorts[309].

376.Par mon cap co diſt folco aco ſai eu
Ꝑ aitant uan bauzant girart li ſeu
Carlon trobat felon mal e enreu
5760Tant con pout lor fes lait e mal lor feu
Poz fai tort a mon ome e dreit li ueu

Aiqui es nai forfait lonor e deu
E girart ſuſpiret e fu li greu
E iuret ſautre part ſor ſun eſtreu

376. — Par mon chef ! » dit Fouque, « je ne sais que trop. Si Girart se voit trahi par les siens, c’est qu’ils l’ont trouvé dur et obstiné. Il se plaît à les outrager, à leur prendre leur fief. Dès que je fais tort à mon homme, que je lui refuse le droit, par cela même j’ai forfait le fìef[310] [et offensé] Dieu. » Girart soupira ; ces paroles lui furent pénibles, et il se tourna d’un autre côté sur son étrier[311].

5765377.Folco co diſt girarz e non ſai al
Deu en trai a garent le ſpirital
E uos ſiaz ſiaz oſtaie e meu catal
Que iamais non ferai men ome mal
Sen ogiſaz diſ folco fait autretal
5770Or at paiſſet ſet anz des iſ nodal
f. 100vEu quel ū crienſent li tuen reial
Ji eſt uenguz asex broc el cheual
Seinor garniſez uos deſtor cāpal
Lo cons girarz uos mande raçō leial
5775Vos non eſ gienz gaſcoin ne ꝓuencal
Mais baron borgenon ſui natural

377. « Fouque, » ce dit Girart, « je ne sais dire qu’une chose ; j’en prends Dieu à témoin, et vous soyez-en garants, avec tous mes chefs, que jamais je ne ferai tort à aucun de mes hommes. — Si vous aviez ainsi parlé, il y eut sept[312] ans à Noël dernier, les tiens ne crieraient pas aujourd’hui : Royaux[313] ! », Puis, éperonnant son cheval, il se dirigea vers ses hommes et leur dit : « Seigneurs, préparez-vous pour la bataille. Le comte Girart vous mande une loyale parole. Vous n’êtes pas des Gascons ni des Provençaux, mais des barons Bourguignons, vassaux de son pays.

378.Lo cons girarz uos mande a tos ſeinor
Jamais n̄ fera tort ne deſonor
A conte na demaine na uauaſor
5780E eu en ſui oſtages a cel menor
E reſpondent li conte e li contor
Set nō ogeſt maleze tant e felor
Ne li ogre tout carles caſtel ni cor
Non em guis ꝓuencal ſeu traitor
5785No li couen auer de nos pauor
Er cheuauche girarz a grāt baudor
E erberia la nuit ſos aute flor
Meſſage en ac lo reis en lautre ior

378. « Le comte Girart vous mande à tous, seigneurs, que jamais il ne fera tort ni déshonneur à comte, à demaine[314], ni à vavasseur, et moi je me porte garant de sa parole envers le dernier d’entre vous. » Et les comtes et les comtors[315] lui répondent : « S’il n’avait pas agi avec malice et légèreté, Charles ne lui aurait enlevé ni château ni tour. Mais nous ne sommes pas des Provençaux[316], traîtres envers lui ; il n’a pas à se défier de nous. » Alors Girart chevauche plein d’ardeur ; la nuit il s’hébergea sous Hauteflor. Au jour suivant, le roi en fut informé par messagers.

379.
A carlon ant gaſcon coniat queſit
5790Peiteuin e berton en ſūt partit
E ꝑ hoc nes remas tant eſcharit
Non ſiunt trente mile uaſſal eſlit
Atan ues lu meſſage qez girart uit
Lo reis mande ſes omes e a lor dit
5795E trameſt por toz ceus qui ſūt partit
E ꝑ duc de peiteirs queu los agit

379. Les Gascons ont demandé congé à Charles ; les Poitevins et les Bretons sont aussi partis, et toutefois il ne fut pas tellement abandonné qu’il n’eût encore trente mille guerriers. Là-dessus voici le messager qui lui apporte des nouvelles de Girart. Le roi mande ses hommes et leur dit [ce qu’il vient d’apprendre]. Il fait rappeler tous ceux qui sont partis, et notamment le duc de Poitiers pour qu’il les guide.

380.Dui conte ſunt de loſt del rei enſic
Lun clamunt aenri laute auberic
Lor ſor fun la moillers au duc teuric
5800f. 101rE lor nebut li fil cui bos delic
E puiunt en langarde ſoz un laric
E uirunt con girarz ſa gent partic
E con fat ſes eſchales e deuic
Carles iſt des arbers e ſoi nuiric
5805Aſ li premers uengut conte aienric
Seinor girarz cauauge car eu uic
Mais aueu gent de lor co uos afic
E carles dis aſeus li mei amic
Cil ca tendu ſon trau pal nō deſfic
5810Equenuit i gerem ſegur e ric

380. Deux comtes sont sortis de l’ost du roi. L’un s’appelait Henri, l’autre Auberi ; leur sœur était la femme du duc Thierri[317] ; les fils de celui-ci, tués par Boson, étaient leurs neveux. Ils montèrent à l’observatoire et virent comment Girart distribuait ses troupes, comment il formait ses échelles. Charles sortait du camp avec ses fidèles quand vint à lui le comte Henri. « Sire, Girart chevauche, je l’ai vu. Nous avons, je vous l’affirme, plus de gens qu’eux. » Et Charles dit aux siens : « Mes amis, celui qui a tendu son tref n’aura pas un piquet à arracher ; cette nuit nous dormirons en sécurité. »

381.Co comandat lo reis a ſos barons
Qe noi fuſt traus baiſſaz ni pauilluns
Ne cheueſtre oſtaz traiz ne paiſſuns

Aiſi ſiaz ſegur com as mauſſuns
5815Qeu nai trames tos er dous cōpainuns
Per lo duc de peiteirs e ꝑ loſuns
E uenra gihomars e ſalemons
E tornūt li normant e les bretons
Atant ueunt parer les borgeinons
5820Les engardes ꝑprendre es gofanūs
E fun o les primers bege e barduns
Fulchers e ageners qui fut caluns
Franceis corent aſ armes ꝑ plās cābuns
E girpunt les manteaus eſ pelicons
5825E montet eſ cheuaus bais e gaſcuns
Au deuis les eſchales ē la tecons
Li caus ferra pimers de lor barons
Aimes e aimeris e aimenuns
f. 101vGider tos pimers o mil de buns
5830Li iorz fu quez e caus e clars li truns
De loin ſe ſunt cauſit quel uals fu lons
Cil cheualer menbrat funt orazons
Au ioſtar des pimers fun bruiz e ſuns
De lances e deſcuz taus ſus queſuns
5835Quel cans neſt toz ioncaç de purs troncuns

381. Le roi donna à ses barons l’ordre qu’aucun tref[318] ni pavillon ne fût baissé, que les licous ne fussent pas ôtés, ni les piquets arrachés. « Soyez en sécurité comme chez vous, car j’ai fait mander hier par deux hommes le duc de Poitiers et les siens. Guihomart[319] et Salomon[320] viendront aussi avec les Normands et les Bretons. » À ce moment ils voient arriver les Bourguignons, dont les gonfanons se montrent sur les postes avancés ; en tête sont Begon et Bardon, Fouchier, Agenois de Chalon. Les Français courent aux armes par les champs, abandonnant manteaux et pelissons, et montent sur les chevaux bais ou gascons. Au moment où on forma les échelles, ce fut à qui des barons porterait les premiers coups[321]. Aimon, Aimeri et Aimenon[322] conduisirent la charge, avec mille bons guerriers. Le jour était calme et chaud, et le ciel était pur. Ils s’aperçurent de loin, car la vallée était longue. Ces chevaliers renommés disaient des prières. Là où les premiers rangs s’abordèrent, il y eut grand fracas de lances et d’écus, et le champ fut bientôt jonché de tronçons.

382.La bataille comence en catre parz
Cele eschale o gilbers ioiz e girarz
Gige gace el uiſcons uge e berarz
Lautre quert ageneis bege e fulcarz
5840Gauter la gide e peires ſes fiz iaularz
E contre lauberic aucher ginarz
A la carlon uait bos folco e bernarz
Lai [nō] fun ſoannaz gas ni lunbarz
Ni culuerz ſil i eſt ne om baſtarz

382. La bataille commence en quatre endroits. L’échelle qu’attaquèrent Gilbert et Girart était guidée par le vicomte Gace, Hugues[323] et Berart[324] ; l’autre, contre laquelle vinrent Agenois, Begon et Foucart[325], avait à sa tête Gautier[326] et Pierre, son fils, le vaillant. Contre celle d’Auberi[327] viennent Auchier et Guinart[328] ; contre celle de Charles, Boson et Bernart. Là ne furent dédaignés ni Gascon ni Lombard, ni serf, s’il y en avait, ni bâtard[329].

5845383.La bataille comenze lon laige au port
Ni at gardat meſure agur ne ſort
Tot an meſclat enſens lo dreit el tort
Non creez de ferir quns ſen deport
Quen toz engiens ſeiruant cergant ꝑ mort
5850Cil qui retent lo camp tuit li plus fort
Ni ganinerunt tant qun ſen conort
Car non i a tan ſan grant dol nen port

383. La bataille commença le long de la rivière, au port. On n’y observa aucune mesure[330], on ne consulta ni augure ni sort[331]. Droit et tort furent confondus. Ne croyez pas que personne se retienne de frapper : on cherche par tous les moyens à se donner la mort. Ceux qui conservèrent le champ de bataille, les plus forts, n’y gagnèrent pas de quoi se consoler de leurs pertes, car il n’en est aucun parmi eux qui ait été assez épargné pour n’avoir pas lieu de s’affliger.

384.Li pors a non ſiuaus laige ueiane
La ribere fu iente la terre plane
5855Li ſolz fu caus en mai la meriane
La uiraz tan donzel chaſcuns ſafane
De ferire e daucire n̄ dautre urfane
f. 102rMil en uiraz iazer [a color] uane
Li plus uielz na trente anz ne pel ne chane
5860Aiqui fun remenbrade la quintane
E la mors as dous fiz teuri daſcane
Ꝑ que la ire aeine e li maus gine

384. Le port a nom Civaux, sur la Vienne[332] ; la rivière était tranquille, le terrain uni. Le soleil était chaud : c’était au mois de mai, à midi. Là vous auriez vu tant de damoiseaux mettant tous leurs efforts à frapper et à tuer. Vous en verriez mille étendus pâles, dont le plus âgé n’avait pas trente ans et était sans un poil blanc. C’est là qu’on réveilla le souvenir de la quintaine où moururent les deux fils de de Thierri, le duc d’Ascane. Ainsi la haine s’envenime et le mal s’accroît.

385.E uos ꝑ camp begun de ual olei
Vait demandant peirun de munt rabei
5865E peires li reſpont aſſaz uos mei

E brocunt les cheuaus e ferunt ſei
Ni at tan fort eſcut toz n̄ pezoi
Des albres ſunt falſat li catre plei
Ambe dui ſe deſrocent en un caumei
5870E ſi beges mort co plaz au rei
Peire en aiac tals cinc anz en un leu quei
Ne montet en cheual niuia lei

385. Voici par le champ Begon de Val Olei, qui appelle Pierre de Mont-Rabei. Et Pierre lui répond : « Je vous vois bien. » Ils piquent des deux et se frappent. Il n’y a si fort écu qui ne se brise ; les quatre côtés des hauberts sont faussés. Ils s’abattent l’un et l’autre en un chaume, et si Begon mourut, le roi en fut content. Pierre, à la suite de cette rencontre, garda le lit pendant cinq ans, ne pouvant ni monter à cheval ni rendre la justice.

386.Quant ueit caer gauters peirun ſon fil
E ſau cor li peſet n̄ mereuil
5875Fert begun contre terre ſoz len bonil
Que ſa lance len ferre trues el cāmil
Agenes uent poignant fouchers e il
E uunt ferir gauter am li dunzil
Tot li trocent denant leſcut uermil
5880E crabentet lo mort aitant ſotil
Canc pois non remudet neſ kebezil

386. Quand Gautier vit tomber son fils Pierre, il ne faut pas s’étonner si en son cœur il en fut affligé. Il frappe Begon à terre[333], sous le nombril, de sorte que la lance pénétra dans le sol. Agenois et Fouchier arrivent au galop : ils frappent Gautier, lui fendent l’écu vermeil, et l’abattent mort si bien qu’oncques il ne bougea.

387.Par eiqui ſunt paſſat ſet cent gerrer
Caſat de mont rabei e eſtager
Trobunt nafrat peirun e mort gauter
5885Lor ſeinor natural gonfanoner
De la preſſe lo trait tuit triſt e ner
f. 102vPois tornent en la preſſe irat e fer
Jſte maiſnade a mort mont de foucer
Mais pois les unt comprat char a derer
5890Quanc n̄ eſtortrent uint ſain ne enter

387. Par là sont passés sept cents[334] guerriers chasés et habitants de Mont-Rabei ; ils trouvent Pierre blessé et Gautier, leur seigneur naturel, leur porte-enseigne, mort. Ils l’enlèvent de la mêlée, tristes et sombres, puis ils y rentrent, irrités et farouches. Ils tuèrent beaucoup des gens de Fouchier, mais à la fin ils le payèrent cher, car il n’y en eut pas vingt qui échappassent sains et entiers.

388.En folcon out uaſal ſaiue e oneſte
E coinut la bataille e cauſiſt leſtre
E laiſa la de iorz ſobre ſeneſtre
E cadele tros lai o reis poeſte
5895E corent lo ferir ſobre laz deſtre
Tal cruis funt e tau ſon come tēpeſte
Lai uiraz tan donzel de franqe geſte
Partir de ſon cheual e bu de teſte
Cuns n̄ receit conſel de man de preſtre
5900Del ſeinoril barnat qui mort la reſte
Sunt deſertes laſ ſaules quan uen a feſte

388. Fouque était un guerrier prudent et vaillant. Il examina la bataille, jugea la position, et, laissant le flanc gauche, il dirige ses hommes vers la troupe royale (?) et attaque sur le flanc droit. Ils font un bruit de tempête. Là vous auriez vu tant de damoiseaux de franche naissance tomber à bas du cheval, et tant de têtes se séparer de leurs bustes, sans qu’aucun d’eux fût assisté d’un prêtre ! Tant de noblesse resta sur le champ de bataille que les salles sont désertes quand vient une fête.

389.Aienris uen cridant uauluc uauluc
Cuil fert de ſa lance an pois nos muc
Clame girart traicos e mal oſtruc
5905Mare uiſtes la mort teuri fauc
Folco lo uait ferir quan lo coinuc
Tot li torquet loberc lo poiz el buc
E no ſe tenc tan fort mort nel trebuc
Laiſſaz eſtar lo tun girart lo duc

389. Henri vint criant : « Vauluc ! Vauluc ! » Celui qu’il frappe de sa lance ne remue plus. Il appelle Girart traître ! malheureux ! « C’est pour votre malheur que vous avez vu la mort du duc Thierri ! » Fouque courut le frapper, quand il le reconnut. Il lui trancha le haubert, la poitrine, le buste et l’abattit mort à terre : « Désormais vous laisserez tranquille le duc Girart ! »

5910390.Jſta bataille fun a un diſſade
En ſiual lon ueiane en une prade
Lai uiraz tan donzel gole baade
Muirir e trabellar ſor lerbe lade
Tant lai eſpant del ſanc ꝑ la rozade
5915Sanglente en uait ueiane une legade

390. Cette bataille eut lieu un samedi, à Civaux, le long de la Vienne, en un pré. Là vous auriez vu tant de damoiseaux, la bouche ouverte, tant de barons étendus morts [sur la route. Ce fut un jour de malheur, celui où fut résolue et commencée cette guerre maudite de Dieu. France et Bourgogne en furent dépeuplées. Ah ! Dieu, quel deuil pour les mesnies de Charles et de Girart, qui s’étaient engagées par serment à combattre jusqu’à la mort. Ils étaient animés, mais leur ardeur ne venait pas de Dieu, à faire grand carnage[335]] par la plaine herbue. Tant de sang fut répandu par les champs couverts de rosée que l’eau de la Vienne en était sanglante pendant une lieue.

391.f. 103rJſta bataille fun un ior deſtat
E duret tros la nuit tan ſunt irat

Landris e auberis ſunt encontrat
Ferut e crabentat a mort nafrat
5920Si non maua tor ces qui unt ioſtat
E contaue caſcun con ſe conbat
Non aurie demandit la meitat
Bos e folco e bernaz funt gant caiſat
Qui ne ſunt mais ſet mile ob et darmat
5925Sun carlon a des mile del camp getat
Mais abanz quil les aient tant reuſat
Con fol trait uns arcers ni encauat
En reſte mort el camp luna maitat
El focon reſunt ml’t aclairat
5930Dunc out carles pauor e cor irat
Quant trei mile alemanz ca recelat
Reclamet a un corne eſtre ſon grat
E cil ueinunt eſtreit e tuit ſerrat
E trobent la bataille com ſūt meſclat
5935Li baron ſon partit e dereniat
Cil quil ueniunt caucat les ant trocat
Que does uez ſen ſun outre paſſat

391. Cette bataille eut lieu un jour d’été et dura jusqu’à la nuit, telle était leur fureur. Landri[336] et Auberi se sont rencontrés, frappés, renversés, blessés à mort. Si je nommais tous ceux qui ont jouté, si je contais comment chacun s’est battu, je ne serais pas arrivé demain à la moitié de mon récit. Boson, Fouque, Bernart font un grant abattis. Ils n’avaient à leur suite que sept mille combattants, et cependant ils ont chassé du champ de bataille Charles qui avait dix mille hommes ; mais, avant qu’ils les eussent fait reculer d’une portée de trait, la moitié d’entre eux était couchée sur le sol et les rangs de ceux de Fouque étaient bien éclaircis. Alors Charles eut peur et son cœur se remplit de dépit. Contraint par la nécessité[337], il appela, en sonnant du cor, trois mille Allemands qu’il avait placés en réserve. Ceux-ci arrivent en rangs serrés ; ils trouvent les combattants [des deux partis] tout mêlés, et les rangs confondus ; chargeant en masse, ils les ont troués et deux fois les ont traversés.

392.Alemant uunt cantant lor chirieles
Folcers les uait ferir e agenes
5940E ne ſunt mais trei cent e treinte ſes
Mais antretant de gent ne ferunt pes
Qui ꝑ mile ſet cens outre ſen tres
A lautre tor daiquez neguns n̄ es
De queſt camp fu toſtens a girart pes

392. Les Allemands s’avancent, chantant leur Kyrie[338]. Fouchier et Agenois vont les férir. Ils n’étaient pas plus de trois cent trente-trois, mais jamais pareil nombre ne fit si bien, car ils passèrent à travers dix-sept cents hommes, et à la charge en retour l’ennemi avait disparu. Girart eut toujours à se louer de cette affaire.

5945393.f. 103vAgenes uen poinent ſobran de roc
En un cheual de prez naz de maroc
No uis hui cheual’ ſi trenc ne troc
El ne conſet celui mort nel deſroc
A gonfanun uermeil qua portet croc
5950Lai o fu crabentaz pecaz li noc
Cel ne lo ueit de lor ſor lui ne broc
Ne li uaut ſis obers un pan de froc
Tante len fun feride qanc pois nos moc

393. Agenois vient chevauchant sur Anderoc[339], un cheval de prix originaire du Maroc. On ne vit jamais chevalier qui sache aussi bien se battre. Il ne touche personne qu’il ne l’abatte mort ; son gonfanon jaune en était devenu rouge. Lorsqu’il tomba, ce fut pour ses péchés[340]. Il n’y eut, parmi ceux de Charles, homme qui, l’ayant vu, ne courût sur lui. Son haubert ne lui valut un morceau de drap. Il reçut tant de coups qu’il tomba pour ne plus se relever.

394.Quant ueit folchers des ſeus tuit ſūt deſrot
5955E agenes murir ka pres tan bot
E andefret uenir qui diſt lai mot
A la fei deu folcer nos prez ni dot
Vi ꝓueren girart a trachor tot
E folcers li reſpont mintez i glot
5960E eu ſoi om girart al conte prot
E faz i quel maluaz ke tant leſcot

394. Fouchier voit les siens rompus, Agenois mourir des coups qu’il avait reçus, et venir Andefroi qui lui adresse des injures : « Par Dieu, Fouchier, je ne vous estime ni ne vous redoute, et je convaincrai Girart de trahison ! » Et il lui répond : « Vous en avez menti, gredin ! Je suis homme de Girart, le preux comte, et je me tiens pour lâche de te laisser tant parler. »

395.Folchers fert andefret en loberc blanc
Que tot li feſt uermeil e teint de ſanc
Que li trencat lo cor le fege el flanc
5965E crabentet lo mort adenz el fanc
E dis querez ꝓueire e queus eſtanc
Lo parlar del trair mar uiſtes anc
Eu defent girart lo conte franc

395. Fouchier frappe Andefroi sur le blanc haubert, et le lui rendit rouge de sang ; il lui perça le cœur, le foie, le flanc, il l’abattit la face contre terre, et lui dit : « Cherchez un prêtre pour vous panser. Vous ne l’avez pas vu comploter la trahison dont vous parlez. J’en défends le franc comte Girart. »

396.Aimes nenc apoinent e aimeris

5970E ueunt cō folchers lor fraire ocis
Caſcuns ſe uait clamant dolent chaitis
Vi andefrent cons fraire chars amis
Si cel qui uos a mort ſen torne uis
f. 104rJa deus ne nos aiut ne ſaint denis
5975Aimeris fert folcher en leſcut bis
Que ſenſeigne e ſa lance outre li mis
E aimes de ſa lance eme le uis
E trencet li la caire e la ceruis
E crabentent lo mort en un concis
5980Aico fun dons e danſ de prot marquis
Mieldre uaſſaus ni reſte ni tan puis

396. Aimon et Aimeri vinrent au galop, et ils virent comment Fouchier avait tué leur frère. Ils se désolent, chacun disant : « Malheureux que je suis ! Ha ! frère Andefroi, ami cher ; si celui qui vous a tué s’en retourne en vie, puissent Dieu et saint Denis ne jamais nous venir en aide ! Aimeri frappe Fouchier sur l’écu noir et lui passe par le corps la lance avec l’enseigne, tandis que Aimon, le frappant de l’épée par le visage, lui fend la tête et l’abat mort dans un sillon. Ce fut un deuil et une perte que la mort du preux marquis. Meilleur vassal ni plus fécond en ressources ne resta sur ce champ de bataille.

397.Vi girart cons ris bar cal ami pres
Bos e bernarz lo trobent iacent enuers
E dautre part landri qui tenc neuers
5985Vraire bos diſ bernarz car les requers
Vant ferir aimeri el blizon pers
Den uoil uaut ſos eſcuz ne li obers
De lor lances li paſſent outre les fers
E trence li lo cors la char elz ners
5990E crabentet lo mort en uns deſers
Bos dis un reꝓuere qui fu fers
Lo gaeldun te rent tal com deſers
Nol receura ꝑ uos u͞r͞es culuers

397. Ha ! comte Girart, puissant baron, quel ami tu perds ! Boson et Bernart trouvent Fouchier gisant à terre, et auprès de lui Landri, le seigneur de Nevers. « Frère Boson, » dit Bernart, « attaque-les ! » Ils courent frapper Aimeri sur son écu foncé : l’écu ni le haubert ne lui servirent de rien ; ils le percent de leurs lances, dont les fers ressortent de l’autre côté, traversant la peau, la chair et les nerfs, et l’abattent mort dans la plaine. Boson dit alors un mot cruel : « Je te donne la récompense que tu mérites : ce n’est pas ton serf qui la recevra pour toi ! »

398.Quant ſi les a feruz bos e bernarz
5995En apro uen poinent folche e girarz
E dun gilberz lo cons de ſeneſgarz
E de la uent au rei li dus berarz
Gacel uiſcons de droes e uielarz
Aſ dereres eſcheles les genz ſes parz
6000Nen eſtorz mige ſans co cuit li carz
A carlon fu li dans lire e leſcharz
Senſeine eſt caagude e leſtandarz
f. 104vSos dragons e ſos traus peinz a luiparz
Si li uunt abatant con fus esarz
6005Quan la uenc apoinent bibes brocarz
Vns clerges malaes de males arz
Qui fun parenz au rei fraires baſtarz
E a li eſcridat oiras coarz
Ver la cit de peitiers uuel que regarz
6010Cheualers e cheuaus ros e liarz
J pos ueer uenir de moutes parz
Toz eſt uencuz girarz con fel traarz
Qui tes omes ta morz tos caſtels arz
E bos diſt qui loit tot i menz garz
6015Atant ſorſtrent li lor ꝑme uns ſarz
Li dux git de peitiers e gihomarz
E aurei de bretaigne uiſcons ricarz
Ere cuit de girart que top ſi tarz
Lai o lo cons encontre lor eſcobarz
6020J ꝑdet borgeinus e proz lonbarz
Dex cal ſeinors lai pert mons beliarz

Quai qui fu morz auchers el cons ginarz
Armans lo dux de friſe el cons acharz
Ei fun nafraz a mort le cons bernarz
6025Per hoc ſi fu confes lo cons iaillarz
E uisquet del diſade tros cau dimarz

398. Quand Boson et Bernart l’eurent ainsi frappé, survinrent Fouque et le comte Achart[341], et Gilbert le comte de Senesgart, et, du côté du roi, le duc Bérart[342], Gace, vicomte de Dreux, et Uielart. Les troupes [royales] se dispersent à l’arrivée des dernières échelles[343]. Je ne crois pas que le quart se soit échappé sans blessures. Le dépit et la honte étaient pour Charles : son enseigne et son étendard ont été renversés, son étendard, son dragon[344] et son tref où étaient peints des léopards ; les hommes de Girart les lui abattent comme un bois qu’on essarte. Mais voici qu’arrive au galop l’évêque Brocart[345], un maudit clerc, plein de malice, qui était parent du roi, son frère bâtard. Il crie au roi : « Où vas-tu, couard ? Regarde vers la cité de Poitiers : tu verras venir des chevaliers et des chevaux de toutes couleurs. Girart est vaincu, le félon traître qui t’a tué tes hommes, incendié tes châteaux ! » Boson l’ouït et dit : « Tu en as menti, garçon[346] ! » Là-dessus surviennent par un essart les hommes de Charles, le duc Gui de Poitiers et Guihomart, le vicomte Richart, baron de Normandie[347]. Girart a trop tardé : là où il se rencontre avec les Escobarts[348], il y perdit nombre de Bourguignons et de Lombards. Dieu ! quel seigneur y perdit Montbéliard[349] ! car là périrent Auchier et le comte Guinart, Armant, le duc de Frise, et le comte Achart[350]. Le comte Bernart y fut blessé à mort. Toutefois, il reçut la confession, le vaillant comte, et vécut du samedi[351] au mardi.

399.Jraz ſen uait lo reis de ſeus de tras
Quant lai uen apoinent li bebes gras
E a li eſcidat reis oiras
6030Genz ſocors teſt creguz or o ueiras
E bos lo uait ferir aut non en bas
f. 105rTant com pograz lancar un rei deſcas
Lonet lo cap del bu tan pres lo ras
Pois li rouet cantar ſun ſeculas
6035Atant ſorſtrent li lor plus ke lo pas
Mil en uirar iacer ſainanz lor dras
Qui querunt corpre dome uesquilas
E ſet mile en ai el camp remas
Quns ne quer ne demande mais tˉre ouas
6040E girarz ſe clamet pechaires las
Cas fait de tos barons cui amenas
Mais uuel ob es iacer ꝑ ſain thomas
Quel moneſter ſain piere dins lo cōpas
E folco lo clamet fol ſatanas
6045Ja i poz morz iazer ſi nō ten uas
E qui por tei i reſte flamme labras

399. Le roi s’en allait dépité, derrière les siens, quand vint au galop l’évêque Gras[352], qui lui crie : « Roi, écoute : un grand secours t’est venu ; tu vas le voir ! » Mais Boson va le frapper sur la tête : aussi loin que vous pourriez lancer un roi d’échecs, il lui fait voler le chef coupé au ras du buste : puis il l’invita à chanter son sæcula sæculorum. À ce moment, ceux de Charles affluent en hâte, et bientôt vous auriez vu un millier d’hommes étendus, les vêtements ensanglantés, qui réclament le corpus Domini, et sept mille sont demeurés sur le champ de bataille, à qui il ne faut plus rien que la terre ou un tombeau. Et Girart se désole : « Pécheur, malheureux ! qu’as-tu fait[353] de tes barons que tu as amenés ? Par saint Thomas, j’aime mieux être enterré avec eux que dans l’enceinte du moutier Saint-Pierre[354]. » Et Fouque lui dit : « Méchant diable, tu y resteras aussi, si tu ne t’enfuis, et que le feu brûle quiconque y restera pour toi ! »

400.Anz ke uenunt gaſcon ne peiteuin
Ne normant ne manſel ne angeuin
Fu toz li iorz aunaz ſi en declin
6050Quil ne ſorent cal ſunt lor enemin
E ꝑ h ſi unt trat leſtor a fin
Que girarz ſen eiſit e ſui cuſin
E carles iac el camp tros cau matin
Lo ior li ſunt uengut trei cent roncin
6055Cariat deital auer com eſterlin
Quel rendent de treut oltramarin
Ere prendes dis carles mei amin
Ane nacointet girarz ſi mal uezin
Tote li a gaſcoine e carorſin
6060E peitau e auuerne e limozin
f. 105vE delai alemaine entrues cal rin
Or a ꝑdu bernart lautrer ſeigin
Vn pauc a bos lo trache lo cap enclin

400. Avant que Gascons, Poitevins, Normands, Manceaux, Angevins fussent arrivés, le jour avait tellement baissé, qu’ils ne savaient plus reconnaître qui était l’ennemi ; aussi mit-on fin au combat. Girart et ses cousins battirent en retraite et Charles coucha sur le champ de bataille jusqu’au lendemain matin. Ce jour même lui arrivèrent trois cents bêtes de sommes chargées d’argent tel que des esterlins : c’est le tribut qui lui vient d’outre-mer. Charles dit alors : « Prenez, mes amis. Girart n’eut jamais si mauvais voisin : je lui ai enlevé la Gascogne, le Querci, l’Auvergne, le Périgord[355], le Limousin, et vers l’Allemagne, jusqu’au Rhin. Cette fois il a perdu Bernart, l’autre jour c’était Seguin[356]. Boson le traître a un peu la tête basse. »

401.Recaubut a girarz gant enconbrer
6065E fait lo cons un dol aitant plener
E regrete ginart el conte aucher
Armant lo duc de friſe e berenger
E landri de neuers ſon conſeller
E ſobre toz bernart lui e folcher
6070Per deu co reſpont bos plorar n̄ quer
Car tuit eēm nuirit deital meſter
Eſeinat e apres e coſdiner
Quanc uns n̄ a parent a cheualer

Qui muiris en mauſon ni en ſoler
6075Si non en grant bataille a freit acer
Ne ia non quer portar lo reprouer
Mais daico ten mon dan a plus leger
Que mais i a des lor morz a ſobrer

401. Girart a reçu un grave dommage. Il pleure Guinart et le comte Auchier, Armant, duc de Frise, et Berengier[357], [Begon qui, peu avant, avait accompli le message[358]], Landri de Nevers, son conseiller[359], et par dessus tous, Bernart et Fouchier[360]. « Par Dieu ! » s’écrie Boson, « je ne veux pas pleurer. Nous avons tous été élevés et dressés pour une telle fin. Pas un de nous n’a eu pour père un chevalier qui soit mort en maison ni en chambre, mais en grande bataille, par l’acier froid, et je ne veux pas porter le reproche [d’avoir fini autrement]. Mais ce qui me fait supporter plus aisément ma perte, c’est qu’il y a plus de morts de leur côté que du nôtre. »

402.Ere ſen uait girarz mais ml’t a pou
6080De la gente maiſnade ke menar ſou
Bernart lo conte meſtrent a carou
A une paubre egliſe de ſoz un fou
En ke pois out de deu corone e clou
Mil cheualers uiraz eſcuz a cou
6085Cuns ne le porte enter uermeil ni blou
Li plus clar ſunt malate e mel ſan rou
Tant eſt caſcuns dolenz del dol que ou
Non cuit ſel cons ſen plam quel reiſ ſen lou

402. Or s’en va Girart, mais la mesnie qu’il avait coutume de conduire avec lui est bien réduite. On mit le comte Bernart à Charroux, en une pauvre église, sous le seuil, où plus tard furent placés la couronne et un clou de Dieu[361]. Vous eussiez vu là mille chevaliers ayant au cou l’écu vermeil ou bleu, aucun ne l’ayant entier. Les mieux portants sont malades....[362]. De part et d’autre, on est si dolent du mal éprouvé que, si le comte se plaint, le roi n’a pas à se louer.

403.Se girarz e li ſeu ſen uunt plorent
6090f. 106rE li baron carlon reſtunt dolent
Quer el camp ſun ocis lor ben uolent
Ja n̄ gaennaſt lo reis ne ient
Si non fuſt la onors ca fort ꝑprent
Per engin de donar a ſon argent
6095Cil qui a bon caſtel au rei lo rent
E quant girarz i uent ſi li content
Tuit li faillent ſi ome e ſa gent
Ne mais li borgeinun cil ſeu parent

403. Si Girart et les siens s’en vont pleurant, les barons de Charles restent dolents, car leurs amis ont péri dans la bataille. Le roi n’y eût rien gagné, n’était la terre qu’il prend à coup sûr en donnant de l’argent. Quiconque a bon château le rend au roi, et, quand Girart se présente, on le repousse. Tous ses hommes l’abandonnent, sauf les Bourguignons, ses parents.

404.Caſtels uait e citat girarz cerchant
6100Ni pout a pan de force intrar na gant
Carles lor a prames e donat tant
Que tuit ſe ſunt liurat a ſon comant
Quant ueit li cons del rei ſil uait mermant
Dun demandet folcon cal la ferant
6105E folco ſi ꝑpenſen en cal ſenblant
Li eſteine la ire el fer ſemblant

404. Girart va parcourant châteaux et cités ; on ne l’y laisse entrer ni avec peu de monde ni avec beaucoup. Charles leur a tant promis et donné que tous se sont livrés à lui. Quand le comte se voit ainsi dépouillé par le roi, il demande conseil à Fouque. Et Fouque se pourpense comment il pourra lui calmer la colère et la haine.

405.Seiner co reſpont folco daico nos cal
Por ſenebrūs fu pres el ric catal
Eu non cre eu gaſcon ne ꝓuencal
6110E ꝑ hoc lau ire e mei uaſſal
Si pois en auinun dinz le portal
Carcaſone e beerz nens e genual
Cuit auer conqueſu tros qual nodal
Er ſe partent li conte a ſain marcal

405. « Sire, » répond Fouque, « ne vous en souciez. Depuis que Senebrun et ses captals[363] ont été pris, je n’ai plus confiance en Gascon ni en Provençal. Et pourtant, j’irai dans leur pays avec mes guerriers. Si je puis entrer dans Avignon, au dedans de la porte, j’espère, d’ici à Noël, avoir conquis Carcassonne, Béziers, Nîmes et Gênes (?)[364]. » Les deux comtes se quittèrent à Saint-Martial[365].

6115406.A ſain marcal ſo partent li baron
Girarz ſen uait li cons uers roſſillon
A ſei menet gilbert e don boſon
Mil cheualer ſen uan a dau folcon
f. 106vAnz quentres en ꝓuence la reon
6120A encontrat meſſages dauinon
Que laſerun de dinz la genz carlon
Li borzeis lont rendut ꝑ traicion
La citat e le borc e lo dangon
Per ſa fere iuſtice e ꝑ ſon don
6125E folco quan lauit dolens en fon

Aiqui es uirent renes borgenon
Anc non finent dannar tros ca borbon
Anz que li iorz paresque ni ſolz el tron
Meſt la citat a feu e a carbon
6130Daiqui uait a neuers pois a diion
Aiqui aparent taus noues qui nol ſa bon

406. Les deux barons se quittent à Saint-Martial. Le comte Girart se dirige vers Roussillon, menant avec lui Gilbert et Boson. Mille chevaliers suivent Fouque. Avant qu’il fût arrivé en Provence, il rencontra des messagers venant d’Avignon où ils ont laissé la gent de Charles. Les bourgeois lui ont rendu par trahison la cité, le bourg et le donjon pour sa fière justice[366] et pour ses dons. Fouque, lorsqu’il rapprit, en fut dolent. Les Bourguignons firent aussitôt demi-tour et chevauchèrent jusqu’à Bourbon[367]. Avant le lever du soleil, Fouque mit la cité en feu. De là il se rendit à Nevers, puis à Dijon, où il apprit des nouvelles qui n’étaient pas faites pour lui plaire.

407.A folco diſ li bibes doſteun
Qui dun concile uent de mont loun
Quel reis a tout girart dun e uerdun
6135Vau color lon trait en pres monbrun
La nes annaz girarz a un eſtrun
Quan pout menar de gent n̄ lait negun

407. L’évéque d’Autun, qui revenait d’un concile tenu à Mont-Laon, dit à Fouque que le roi a enlevé Dun et Verdun[368], pris Vaucouleurs par trahison et Montbrun[369] par force. Girart se rendit en hâte de ce côté, emmenant autant de monde qu’il put.

408.E folco auuit les noues aiqui eſ monte
Cheualers de maiſnade a mil ꝑ conte
6140En talent ac caiut girart lo conte
Con uende au rei ſon dol la ire e lonte

408. Fouque ouït les nouvelles. Il monta aussitôt à cheval, avec lui mille chevaliers de mesnie. Il avait à cœur d’aider le comte Girart et de faire payer au roi sa douleur, son dépit et sa honte.

409.Mult eſt dolenz girart car ꝑt ſon reine
Cuidet ſon dol ueniar mais plus laeine
Anz ſe fun conbatuz ke folco i ueine
6145Mais non at la uertut quel camp mainteine
Lo cons i fun uencuz muz de ſenſeine
Diſt non ſat mais donor ꝑ quei la teine
f. 107rPos dex non lame tant ke len ſoueine
Carles erberge el camp mouer nos deine
6150E fait tendre ſos traus e feus de leine
Ja no quit diſt orguel que bens li preine
Abanz tornert iraz que ſpade ceine
Non quidaz de folcon quil ſe refreine
Tro ſun dol e ſa ire ſobrez eſtaine

409. Girart est profondément affligé de perdre ainsi sa terre. Il pensait venger sa perte, mais il ne fit que l’accroître. Il combattit avant l’arrivée de Fouque, mais il n’était pas assez fort pour se maintenir sur le champ de bataille. Le comte fut vaincu : son enseigne fut muette[370]. Il dit qu’il ne se sait plus de terre pour laquelle il puisse la tenir[371], puisque Dieu l’a abandonné. Charles campe sur le champ de bataille, ne daignant pas se mouvoir[372] ; il y fait tendre ses trefs et allumer des feux. Mal lui prit de cette bravade[373]. Avant qu’il ait pu ceindre l’épée, il aura du dépit. Ne croyez pas que Fouque se calme avant qu’il ait fait passer sur eux sa douleur et son dépit.

6155410.Folco lo cons chauauce a ire plene
Girart lo uait noncar git de rauene
Lo cons oit les noues tiret ſa frene
Quā̄t ueit uenir folco par la uarene
Tot oblidet le dol del ioie quel meine
6160Non i manget la noit nuns ne ſi ceine
Ne cheuaus tant fuſt chars un grā de aueine
Aſaz ſunt coſdumer de ſofrir peine
Quan uit li cons del ior la prime eſtrene
Moſtra lor com la nuit cobret ſalene

410. Le comte Fouque chevauche plein de colère ; Gui de Ravenne le fait savoir à Girart ; à cette nouvelle, celui-ci tira les rênes. Lorsqu’il vit Fouque venir par la plaine, la joie lui fit oublier sa douleur. Cette nuit, personne ne prit de nourriture, ni cheval, si précieux fût-il, un grain d’avoine. Ils sont accoutumés à endurer la peine. Quand le comte vit paraître l’aube du jour, il leur[374] montra comment, la nuit, il avait recouvré le souffle.

6165411.Li ior ſunt lonc de mai pauche la nuiz
De lor armes portar lor fun ennuiz
Volentiers ſe dormic ques uaiz e nuiz
Mil en iazunt ꝑ praz nō exſen puiz

411. En mai, les jours sont longs, courtes les nuits. Les hommes de Charles étaient fatigués de porter leurs armes : qui était fatigué et affaibli dormit de bon cœur. Il y en eut mille qui gisaient par les prés, non pas sur une hauteur.

412.Folco les uait ferir au iorn paruent
6170Mil en trobent ꝑ prat ſenz garnement
Non ant darmar lezer tant les ſoprent
Bos e gilberz les uant toz ocient
Au rei non ſunt darmat mais catre cent
A ces les cort ferir iradement
6175Tros recoinunt folcon a ſa gant gent
E ueit ſoz les enſeines tan elm luiſent
f. 107vNon pout mudar de ches non ſeſpouent

Ni agun ſon chaual nol teine a lent
Mees lo reis uolc eſtre en un plus corent
6180Tros que fun el caſtel non ſe catent
E quan fun la de dinz murs lo defent
E girarz eſt de fors qui leschac prent

412. Fouque se jette sur eux à la pointe du jour. Il en trouve mille, étendus, désarmés par les prés, qui, surpris à l’improviste, n’ont pas le temps de s’armer. Boson et Gilbert les tuent tous. Le roi n’avait que quatre cents hommes armés. À leur tête, il charge avec fureur, quand il reconnaît Fouque avec sa nombreuse troupe et voit briller sous les enseignes tant de heaumes. Il se sentit pris d’épouvante. Il n’y a aucun des siens qui ne tienne son cheval pour lent ; le roi lui-même voudrait le sien plus rapide. Il n’arrêta pas jusqu’à tant qu’il fût dans le château[375]. Une fois là, les murs le protègent. Cependant, Girart est dehors qui ramasse le butin.

413.Lo cons girarz ſen torne o ſes nebouz
Quan co fun de lenchauz partiz e rouz
6185Cent en trobet tenent anne crouz
Tuit li crident mercet enſenble a uouz
Lo cons e ſuners bos les ociſt touz
Non pout mudar uer lui dex nos corouz
Per quei tornet de gerre girarz de ſouz

413. Le comte Girart s’en retourne avec ses neveux. Comme il revenait de la poursuite, il rencontra cent [des royaux] qui se tenaient à une croix, et qui, tous d’une voix, criaient merci. Le comte et son neveu Boson les tuèrent tous. Il n’était pas possible que Dieu n’entrât pas en courroux contre lui ; et dès lors la guerre tourna au désavantage de Girart[376].

6190414.Vn moſter ac el plan ſoz uau color
Abat i a e monges e prior
Mil ch’ual’r lai entrent por pour
Girarz les arſt a fuc e a calor
Veient les uelz carlon lenperedor
6195Grant tort i fait uer deu e ſon ſeinor
Non pout mudar dan folco que nen plor
Que deuenrem diſ el nos pechador
Que feeltat non garde lo redentor
Non pout longes durar ſenz deſenor

414. Il y avait un moutier dans la plaine, sous Vaucouleurs, avec un abbé, des prieurs et des moines. Mille chevaliers s’y réfugièrent. Girart les y brûla sous les yeux de Charles l’empereur, faisant grand tort envers Dieu et envers son seigneur. Fouque ne put s’empêcher d’en pleurer : « Que deviendrons-nous, » dit-il, « pécheurs que nous sommes ? Qui ne porte foi au Rédempteur ne peut vivre longtemps sans déshonneur. »

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  1. Voy. p. 99, n. 1.
  2. Le combat judiciaire.
  3. Événements déjà annoncés au § 206.
  4. Cf. § 204.
  5. Cf. § 107.
  6. L’un des trois neveux de Thierri ; on ne dit pas lequel. P. (vv. 2830-2) a corrigé cette négligence en mettant les verbes au pluriel, ce qui l’entraîne à un changement arbitraire à la rime du v. 2831.
  7. Ici et deux lignes plus loin, ce qui est entre [ ] ne se trouve que dans P. (vv. 2837, 2842.)
  8. Valanço P. (v. 2838.)
  9. Des trois, selon Oxf. et L. qui ne mentionnent ici que Boson, Seguin et Fouchier.
  10. Au sens du droit féodal. Ceux-là sont dans la fidélité du roi qui lui ont prêté le serment de foi, qui, en retour, lie la partie qui le reçoit.
  11. 200 selon P. (v. 2860).
  12. La chambre à coucher de Charles.
  13. Cf. p. 35, n. 2.
  14. Nerios dans P. (v. 2869) ; le passage manque dans L.
  15. Je ne vois, dans les divers poëmes d’Alexandre, rien à quoi puisse s’appliquer cette allusion.
  16. Leçon de P. (v. 2877) ; Vaurubes Oxf., Valnubes L. Je ne sais quel est ce lieu.
  17. Saint-Maureil Oxf.
  18. Taillat d’avau Oxf. et P. (v. 2890). Je ne saisis pas le sens précis de d’avau.
  19. On voit figurer en divers actes, de 970 à 988, un vicomte de Limoges qui porte ce nom, mais dont les relations de parenté, à la vérité assez peu assurées, ne paraissent pas avoir été celles qui sont ici indiquées ; on sait seulement que son père s’appelait Hildegarius (= Audegier) ; voy. R. de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges (Paris, 1874), p. 80 (où le passage de G. de Rouss. est cité), et le même, dans le Bulletin de la Société scientifique de Brive, II (1880), 50.
  20. Cf. § 209.
  21. P. (2932) : « à qui j’avais donné ma sœur. » Le vers manque dans L.
  22. Beaumoncel est un nom de lieu qui existe dans le Calvados, Eure et la Sarthe.
  23. C’est la première fois que cette accusation fut portée contre Drogon, le père de Girart. Quant à l’aïeul de celui-ci, nous ne le connaissons pas.
  24. Carmel L., Calmeilh P. (v. 2960), lieu que je ne puis identifier.
  25. Le même que le Mont-Espir du § 130.
  26. Aimel L., « lui et sa gent », ce qui détruit la rime, P. (v. 2963).
  27. Mot à mot « je sais bien la fleur de cela ».
  28. Postel’en la barbe, imprécation, fréquente chez les troubadours, voy. Raynouard, Lex. rom. IV, 673a.
  29. Cf. § 216.
  30. Saint-Martial de Limoges ? En ce cas, ce serait le vicomte de Limoges qui paraît au § 218.
  31. La leçon assurée par Oxf. et P. (v. 2996), le vers étant omis dans L., est E laisse estar lo doble, pren le catau ; j’entends doble au sens d’amende, voy. Du Cange, dupla. Catau est pris dans le sens juridique ancien « debitae pecuniae caput », Du Cange.
  32. Un « Gacelins de Droies » figure dans la chanson des Saxons, I, 62.
  33. Cf. § 225.
  34. Fouchier, voy. § 216.
  35. Cela paraît vouloir dire qu’on se dédommage comme on peut.
  36. Ici je suis P. (vv. 3030-1) ; c’est l’idée de la lumière mise sous le boisseau. La leçon d’Oxf. n’est pas satisfaisante et ces deux vers manquent dans L.
  37. Sic Oxf. et P. (v. 3036) ; les Vaus de rans dans L.
  38. « Patience d’allemand » est, dans un vieux dicton, au nombre des choses « qui ne valent pas un bouton ». Le Roux de Lincy, Livre des Proverbes, d’après le ms. Bibl. nat. fr. 19531.
  39. Molbrans P. (v. 3044). Ce nom paraît fabuleux. Il existe dans le ms. 247 de la Faculté de médecine de Montpellier une courte chanson de geste dont le héros est Vivien l’Aumacor de Mont-Bran.
  40. Carabela P. (v. 3052), Danz Garins de Cable L.
  41. Mont-Agart L., Mont Essart P. (v. 3054).
  42. Le comte Richart du § 248, distinct probablement du vicomte Richart qui paraît au § 231 ?
  43. Le premier comte de Poitiers qui ait porté le nom de Guillaume est Guillaume Tête d’Étoupe, ✝ 963.
  44. Comborn, localité maintenant disparue, était au xiie siècle l’une des quatre vicomtes du Limousin (Limoges, Ventadour, Comborn et Turenne). Mais le nom de Richart ne figure pas dans la liste des seigneurs de Comborn.
  45. Trois comtes d’Anjou ont porté le nom de Fouque au xe siècle.
  46. Sans doute Joffroi d’Angers, cf. §§ 88 et 154. Dans P. (v. 3070), au lieu de ces trois noms, il y a : « Ricart et le duc Gui de Guienne ».
  47. L. Looneis, Laonnais ?
  48. M. à m. « nouer en sa courroie ». Cette locution qui reparaît au § 274 semble se rapporter à l’usage de faire un nœud à une lanière attachée à une charte pour attester les stipulations contenues dans cette charte et en conserver la mémoire. Le nœud fait à la courroie est mentionné dans un grand nombre d’actes du xie siècle et du xiie, qui appartiennent en général à la région du sud-ouest. Voy. Du Cange, corrigia 2, et nodator. et Archives de la Gironde, V, nos 57, 60, etc.
  49. Rainier P. (v. 3117) L. porte Tiebert et non Tiebaut, comme a lu à tort M. Fr. Michel (p. 312).
  50. Cauçon Oxf., chauçon L. Dans P. (v. 3154), le vers est tout différent.
  51. Ben entaillat a bestes de marmorin. Cela paraît signifier que sur le fond du pelisson étaient fixés des morceaux de marbre sculptés en forme d’animaux.
  52. Cette appellation, et de même au § 282, se rapporte à la nature de l’œuvre, non à la provenance du vêtement.
  53. D’un ufarin P. (v. 3160) ; le vers manque dans Oxf. et L. P.-ê. devrait-on corriger ostarin, couleur produite par un mollusque, mais cependant distincte de la pourpre ; voy. Du Méril, Glossaire de Floire et Blanchefior.
  54. Vers qui manque dans Oxf et L.
  55. Avec des dessins en mosaïque.
  56. Non douteux, Mafreiz Oxf. Folchiers P. (v. 3203), leçon que la rime rend inadmissible. Le vers manque dans L.
  57. Leçon de P. (v. 3229) ; Oxf. et L. « chaussés de neuf ».
  58. M. à m., dans Oxf. (le vers manque dans L. P.), « de quiconque s’assiée en fauteuil ».
  59. Cet oiseau, comme plus haut le loriot, est appelé par la rime.
  60. Monganger Oxf., Mont Caubier P. (v. 3267), Mont Disdier L, — Oxf. ajoute ce vers que je n’entends pas : Ja est co clareus qui fu seiner.
  61. « La moitié » est assuré par l’accord d’Oxf. et de P. ; il y a dans L. « la ventaille ». Je traduis littéralement sans être très sûr du sens. Ce haubert était-il échiqueté d’un côté, et de l’autre divisé par quartiers, comme un écu ?
  62. Vers qui se trouve dans P. seulement. Rivier, nom douteux puisqu’il n’a d’autre autorité qu’un ms. où les noms propres sont souvent corrompus, est un lieu mentionné par plusieurs chansons de geste. Il y a un Achart de Riviers dans Garin (Mort de Garin, éd. Du Méril, p. 191), un Bernart de Rivier dans Aie d’Avignon, v. 92. Dans le même poëme (vv. 297 et 821) paraît un Girart de Rivier, ou Riviers, seigneur de Huy, de Namur, de Dinan et d’Erezée (?). Nous trouvons Morant de Riviers dans Gaidon (v. 4839). Le val de Riviers est mentionné dans le Charroi de Nîmes, v. 343. Enfin, dans Amis et Amiles (vv. 1868, 2031, 2051, 2686), Riviers est une cité située sur le bord de la mer.
  63. Encore un vers qui ne se trouve que dans P.
  64. Belan Oxf., le nom de l’épée ?
  65. Le roi des Lombards ?
  66. Qu’es de durmer Oxf., dedins mier P. (v. 3267) ; qui fu d’ormier L. est une leçon refaite par le copiste.
  67. C’est, comme on sait, le renflement placé au centre de l’écu, du côté extérieur.
  68. De l’apoier Oxf., des lo polchier P. (v. 3268), où des est bon ; m. à m., je crois, à partir de l’endroit où on appuyait l’écu : c’est donc la pointe ; la targe était un grand bouclier que dans les sièges on appuyait, que même on enfonçait en terre.
  69. Dans P. seul (v. 3271).
  70. Ville de Catalogne dont il est souvent question dans les chansons de geste.
  71. Bête de somme.
  72. Ce qui suit est omis dans L. Je traduis en partie d’après P., la leçon de l’Oxf. étant pour moi peu intelligible.
  73. La leçon a mon esgart ne paraît assurée pas la concordance de L. et de P. (v. 3298) ; a Mont Ascart Oxf, peut bien toutefois être en soi un nom de lieu réel, car nous l’avons déjà rencontré au § 230.
  74. Aiennon Oxf. et Aenmon L. me semblent dériver d’une mauvaise leçon qui se serait trouvée dans l’original commun à ces deux mss. ; Aimeno P. (v. 3347), que j’adopte, doit être le personnage qui sera mentionné aux §§ 255-7.
  75. Ce qui est entre [ ] ne se trouve que dans P. (vv. 3353-4).
  76. P. (v. 3378) ajoute : « Qui demande merci à un mauvais seigneur est bien en peine ».
  77. Chastres, P. (v. 3381.) À la rigueur, ce pourrait être Châtres maintenant Arpajon.
  78. Dans P. seulement.
  79. Cf. § 235.
  80. Un certain poids d’or que du Cange, sous manca et mancusa, identifie avec le marc. D’après un texte français, cité sous mancusa, le mangon aurait valu deux besans.
  81. Aimes au cas sujet (P. vv. 3401, 3913, 3915, 3916, 3925). N’est pas à confondre avec Aimon seigneur de Bourges (aussi appelé Aimenon, § 104, P. v. 1055) l’hôte de Fouque lors de son ambassade auprès de Charles.
  82. a et b Dans P. seul. (vv. 3402 et 3404).
  83. Divers témoignages que l’on trouvera réunis presque tous dans un article de la Romania, IV, 394-3, constatent qu’il était usuel au moyen âge de se faire « tâtonner » ou gratter en vue de provoquer le sommeil. C’était, paraît-il, l’un des devoirs de l’hospitalité de pourvoir à ce que l’hôte fût ainsi endormi confortablement. Ainsi dans Aiol une jeune fille assiste au coucher du héros du poëme, borde son lit, et

    Douchement le tastone por endormir.
    (Édit. de la Société des anciens textes français, v. 2158.)

    Cette opération, bien que le soin en fût confié aux femmes, n’était pas considérée comme compromettante pour celles qui l’exerçaient. Du moins voit-on des dames au-dessus de tout soupçon « tâtonner » leur hôte pour les faire dormir. Mais on conçoit pourtant que parfois des conséquences autres que celles qu’on avait en vue aient pu se produire, et en fait un poète satirique des premières années du xiiie siècle reproche à certains ecclésiastiques d’avoir la nuit auprès d’eux des jeunes filles « qui les tastunent » (Romania, IV, 391, v. 125). Ici même nous verrons le messager de Charles rendant compte au roi de son message, se louer de son hôte qui lui a donné la plus belle fille qu’on ait jamais vue (ci-après, § 299, P. vv. 3927-8).

  84. C’est-à-dire les sommer de lui dire leur pensée, en invoquant le nom de Dieu ou des saints, de façon à leur rendre toute dissimulation impossible.
  85. De l’amende.
  86. Allusion à Pierre, le messager de Charles.
  87. Bisquar, P (v. 3447).
  88. Les derniers mots, depuis « jusqu’à... » sont traduits d’après P. (vv. 3451-2). Ce même membre de phrase est placé dans Oxf. à la fin du discours de Boson auquel il se relie assez mal. Il offre d’ailleurs dans ce ms. des leçons douteuses. Il manque dans L.
  89. « A Aix, en mai » L., modification d’un copiste qui avait lu d’autres chansons de geste, car Aix ne figure pas dans notre poëme au nombre des résidences habituelles de Charles ; voy. §§ 1, 95, 98, 190, 203, 248, 253, 254, 255, 291, etc.
  90. Les barons de la cour de Charles.
  91. Il s’adresse maintenant à Girart.
  92. Voy. p. 131 n. 4.
  93. Ou « de Guyenne, » d’Agiane Oxf. L, de Guiane P, (v. 3502). Je ne vois pas de Hugues dans la série des ducs d’Aquitaine, ce qui pourrait conduire à adopter la leçon de P., Gui au lieu d’Ugon des deux autres mss. Gui d’Aquitaine serait le même que le Gui de Poitiers du § 143.
  94. Lui e Guinart Oxf. lui en gignart L., ab mala art P. (v. 3503), probablement le comte Guinart des §§ 135 et 166.
  95. Ou peut-être « en vue de qui vous vivez », per pouvant signifier « par » ou « pour » ; cf. dans le poëme de Boëce per cui vivre esperam, v. 3.
  96. « Pour son droit » pourrait s’entendre du droit de Charles, dont ce chevalier se constituerait le champion.
  97. C'.-à-d. combattre contre moi. Il se pourrait qu’il y eût ici une allusion à une ancienne forme de défi : il est souvent question dans les romans d’un bouclier suspendu à un arbre comme une provocation permanente, et celui qui avait l’audace de le frapper voyait apparaître un chevalier armé, tout prêt au combat.
  98. M. à m. « son malfaiteur », celui qui lui avait fait du mal.
  99. C’est-à-dire « pour que j’aie forfait ma terre ».
  100. Abbaich Oxf., abait L., abah P. (v. 3605). Ces formes, et d’ailleurs les rimes qui répondent en général à une finale latine act’, rendent bien douteuse l’étymologie abbatem ; aussi Diez a-t-il proposé (Etym. Wœrt. II c, abait), toutefois avec doute, le bas latin ambactus, all. ambaht, qui répond pour le sens à minister ou ministerialis, voy. Du Cange. C’est dans ce sens que j’emploie « officier » ; « fonctionnaire » serait un peu moderne.
  101. La construction de la phrase, dans Oxf. et P. (v. 3611) amène à faire de caraich, carait, carah, une sorte de synonyme de cap qui précède ; toutefois il est difficile de faire de ce mot un dérivé de cara, fr. « chiere ». Je suppose que c’est une forme apparentée à character.
  102. Ces paroles ne semblent pas, de prime abord, répondre à la demande de Charles telle qu’elle est formulée par le messager. Toutefois elles y répondent indirectement, Girart veut dire que la terre qu’il tient de son père est franche et ne peut, par conséquent, être forfaite. La même prétention a déjà été exprimée plus d’une fois.
  103. C’est-à-dire. « jamais il ne se sera fait un tort aussi grand.
  104. Cf. p. 115, n. 1.
  105. Tirade omise dans L.
  106. Mot à mot « qu’il peut nouer en sa courroie », comme au § 232.
  107. D’après P. (v. 3663) ; « le roi » Oxf. ; le vers manque dans L. Il est fait ici allusion à des personnages qui me sont inconnus.
  108. Anchart P. (v. 3671).
  109. Lieu fortifié appartenant à Girart et dont il sera question plus loin encore (§§ 308-12). Je ne réussis pas à le retrouver dans la nomenclature moderne.
  110. Peil pelant es cauz cui dans lui dol Oxf. ; Pel a pelan e sanc cui dens no dol P. (v. 3731) ; le vers manque dans L. Je traduis comme s’il y avait Peil a pelant el cap ou el suc, et j’entends que quand on n’a plus mal aux dents (c’est-à-dire quand on n’a plus de dents), on est bien près de devenir chauve. L’idée serait que Girart se montre faible, sans énergie. C’est très conjectural.
  111. Allusion à un récit inconnu. Elmon Oxf. et L., Raimon dans P. J’ai traduit maiol par « mon grand père », mais ce peut être un nom propre.
  112. Sai ben entendre P. (v. 3741) est assez plat ; ne quen sendre Oxf., n’a ni sens ni mesure ; L. n’a pas ce vers ; je corrige ne quer entendre.
  113. D’après P. La leçon d’Oxf. et de L. me paraît corrompue.
  114. Le roi.
  115. Oxf. molt vos il faz ere do bis ; les derniers mots, pour moi inexplicables, sont confirmés par P. (v. 3751) molt i fazetz era do bis.
  116. Els potz saziz, de P. (v. 3760), est clair, mais mauvais, la vraie leçon doit se cacher sous le texte d’Oxf., e fors sosis.
  117. Ici s’ouvre dans L. une lacune, causée par l’enlèvement d’un feuillet (60 vers).
  118. Judeu est ici pour la rime.
  119. 1er octobre.
  120. Au moyen âge, les bergers sont le type de la simplicité.
  121. C’est l’idée déjà exprimée par Girart, à la fin du § 259.
  122. Ici cesse la lacune de L.
  123. Cf. § 235.
  124. Le Gautier de Mont-Rabei du § 241.
  125. Ce chiffre n’est là que pour la mesure et la rime.
  126. Il me semble impossible d’entendre autrement ce passage pour lequel les mss. ne présentent aucune variante importante. Cependant on voit que la réponse de Charles s’applique mal aux paroles de Gautier. Faut-il supposer que la fin du discours de celui-ci manque dans tous nos mss. ?
  127. Gaignart, cf. p. 105, n. 1.
  128. Pour la rime, bien entendu.
  129. Ici, dans Oxf. et L (p. 332), une laisse dont la place véritable est plus loin, la laisse 308.
  130. Laisse déplacée dans Oxf. et L., voy. ci-dessus, p. 146, note 5. On conçoit qu’une laisse dont le seul objet est de récapituler les faits, qui, par conséquent, interrompt de toute façon la narration sans rien apprendre de nouveau, ait pu aisément être transportée hors de sa vraie place.
  131. Chez Girart.
  132. Tirade de cinq vers qui manque à L. P. C’est un simple appel de jongleur que, à cause de son insignifiance même, deux copistes indépendants l’un de l’autre ont fort bien pu avoir l’idée de supprimer.
  133. Sur l’usage de s’asseoir à terre sur le sol ou le plancher couvert de joncs, voir mon édition de Flamenca, p. 288, n. 3.
  134. Mal trachic Oxf., mal traitiz L. P. (v. 3888). Traitiz signifie ordinairement allongé, en parlant des doigts ou du nez ; je ne sais pas ce que ce mot veut dire ici.
  135. On sait qu’autrefois l’orme formait la décoration la plus ordinaire des places publiques, d’où la locution : « Attendez-moi sous l’orme ». Voy. sur ce point la dissertation de M. Fr. Michel, dans les Mémoires lus à la Sorbonne, section d’archéologie, année 1867, p. 168 et suiv.
  136. Cf. §§ 251-2.
  137. Que vos bastic, Oxf. et L., le vers manque dans P. Je ne vois pas le moyen de traduire autrement, à moins de supposer que sous vos se cache quelque nom propre.
  138. M. à m. « à ses nourris ».
  139. Voy. la fin du § 252.
  140. Cf. §§ 254-5.
  141. Brie Oxf., Bieire L., Boera P. (v. 3907). Est ce Bruyères en Vosges ? Cela est douteux parce qu’on ne voit pas que ce lieu ait jamais été le chef-lieu d’un comté ; mais c’est, en tout cas, un lieu qu’il faut chercher dans l’est, où étaient les possessions du marquis Fouchier ; voy. p. 69.
  142. Sic Oxf. ; c’est peut-être un nom de lieu inventé pour la rime ; vas bon alberc. P. (v. 3918) est une correction de copiste. Le vers manque dans L.
  143. Cf., § 257.
  144. Caninieus P. (v. 3939) ; cf. p. 46, n. 2.
  145. Cf. § 272.
  146. Au moyen âge, ces batailles s’engageaient presque toujours par des combats singuliers entre les principaux personnages des deux armées (voy. ici même, § 145. C’était un honneur très recherché que d’être autorisé à engager ainsi l’action.
  147. Cf. § 269.
  148. Je ne vois pas que Girart ait fait valoir ce grief en présence de l’envoyé du roi ; mais, antérieurement, il avait manifesté son indignation de la conduite de Charles en cette circonstance. Voy. la fin du § 215.
  149. Le texte, tel que nous l’avons, ne porte nulle part que Girart ait proféré cette menace.
  150. D’après P. (v. 3976), Oxf. est corrompu et la leçon de L. est visiblement refaite.
  151. Le duel judiciaire.
  152. En ce qui concerne le meurtre de Thierri, ce que dit plus clairement P. (v. 3990).
  153. Cf. §§ 275-8.
  154. Il n’est nullement question, dans le texte que nous avons, de l’enlèvement de cette cité, qui m’est inconnue. La leçon de P. (v. 4002), Mongronh, m’est également obscure. L. passe le vers.
  155. Ce que Pierre veut dire est expliqué plus loin au § 314.
  156. Cf., § 270.
  157. Notons que c’est avant l’altercation avec Boson que prend place, dans le poëme, l’exposé des conditions que Pierre est chargé de transmettre ; voy. § 255.
  158. Cf. p. 61, n. 4.
  159. Ses hommes en général, l’ensemble de ceux qu’il avait droit de convoquer ; ses marquis, c’est-à-dire les feudataires qui tenaient ses marches, et qui, à cause de la distance, n’avaient pas eu le temps de rejoindre.
  160. Cf. p. 112, n. 4, et plus loin, p. 164, n. 2.
  161. Fort douteux ; c’est le sens qui résulte de la leçon de mon ms. de darz pareis ; je n’entends ni delsz dal pares Oxf., ni des apareis L ; quant à la leçon de P. (v. 4069), de lor gran pris, il est visible qu’elle est le fruit de l’imagination d’un copiste.
  162. L’acier viennois est déjà mentionné dans Rolant, v. 997.
  163. Il s’agit probablement de Henri, l’un des hommes du roi, qui reparaîtra plus loin (P. vv. 5053, 5148, 7008). Ce n’est pas, au moins dans la rédaction que nous avons, un personnage bien important. Il est à croire que c’est le besoin de la rime qui l’a introduit ici.
  164. Peut-être celui qu’on voit plus loin périr dans un combat (P. V. 5172).
  165. À Mont-Amele.
  166. En Acorevent Oxf., leçon évidemment corrompue, en Laurivent ( = l’aurivent), II, a Oirevent L, en Orien P. (v. 4096). Ce lieu est évidemment le même que l’Olivant que l’auteur du roman français de Girart de Roussillon mentionne en ces termes (éd. Mignard, p. 191) :

    Va s’en li dus Girars tout droit en Olivant,
    Semur fut puis nommés, non pas a son vivant.

    Et plus loin (p. 228) :

    Il (Girart) funda Avalon et Saint Jean d’Olivant
    Qui Semur fut nommés, non pas a son vivant.

    Ces deux passages sont reproduits à leurs places respectives, dans la version en prose de Jean Wauquelin (ch. cxxix et cliv) ; mais je ne saurais dire d’où l’auteur du roman en vers a tiré cette identification d’« Olivant » et de Semur, ni la mention d’une fondation d’abbaye dans cette même ville. Ce n’est pas de la vie latine de Girart de Roussillon, ou du moins du texte qui nous en est parvenu.

  167. Montés est la traduction fort aventurée de a coite ou a cocha, donné par tous les mss. (P. v. 4101).
  168. Voy. p. 40, n. 1.
  169. Il faudrait pouvoir dire, comme le texte, fors conseillé, c’est-à-dire mal conseillé.
  170. Cf. §§ 259, 263.
  171. Soixante, selon P. (v. 4136.)
  172. a et b Cf. § 306.
  173. Anchier cel de Marsaire P. (v. 4147). Ce doit être l’Auchier des §§ 166, 304, 317 ; l’Auchier, renommé par sa loyauté, du § 30.
  174. Raire P. (v. 4153).
  175. Leçon de P. (v. 4153) ; Oxf. senz caire, ce qui n’offre guère de sens ; L. Que K. la trespast u sanz contraire, leçon refaite, où la rappelle Caire mentionné précédemment. J’adopte la leçon de P., parce que Rancaire est un nom de lieu qui figure ailleurs dans le poëme (P. v. 6475, même leçon dans Oxf. et sans doute dans L. s’il n’y avait dans ce ms. une lacune à cet endroit).
  176. On a déjà vu plus haut le renard symboliser la lâcheté, p. 66, n. 1. Il y a ici deux vers (P. vv. 4163-4) dont le premier, bien que nécessaire au sens, est omis par Oxf. et L, mais qui se retrouvent identiquement les mêmes précédemment, au § 150 (P. vv. 1929-30), et dont le premier reparaîtra plus loin (P. v. 4429). Ce vers. Tenetz mi per revit a volpilho, a été bien expliqué par Diez, Kritischer anhang zum Etym. Wœrt., 1859, p. 25. Revit (reveiz Oxf. pour proatz de P. v. 1682) est le français revois, sur lequel voy. Scheler, Berte au grand pied, p. 157-9.
  177. Ce nom n’est conservé que dans Oxf., mais cela suffit. Le comte Guinart paraît ordinairement en compagnie d’Auchier (§§ 135, 166, 275, 304).
  178. La principauté de Montbéliard, quoique n’ayant été unie à la France qu’en 1796, a toujours été de langue française.
  179. Girart.
  180. Les passages des Pyrénées.
  181. « Castillans » P. (v. 4184).
  182. Ici s’ouvre dans L. (entre les feuillets 30 et 31) une lacune correspondant aux vers 4185-4429 de P., et qui se forme au § 328.
  183. Cela veut dire probablement, avec son train royal, à la tête de troupes considérables.
  184. Le premier Aimeri qui ait été vicomte de Narbonne occupa la vicomté de 1080 à 1105. Aimeri II fut vicomte de 1105 à 1134. Mais ces personnages sont trop récents pour que l’auteur ou même le remanieur ait eu en vue aucun d’eux. C’est la même difficulté que pour l’Aimeri du Pèlerinage de Charlemagne, voy. G. Paris, Romania, IX, 40-3.
  185. Son gendre Oxf., son oncle P. (v. 4194), où son peut se rapporter aussi bien à Girart qu’à Aimeric. Ce Gilbert est différent du Gilbert de Senesgart, le cousin germain de Girart.
  186. Le premier comte de Barcelone qui ait porté ce nom est Ramon Berenguer I, le Vieux, 1035-76 (Art de vér. les dates, II, 293).
  187. Au lieu de lo comte, leçon de P. (v. 4196, il y a dans Oxf. lo leicluent, ce que je n’entends pas.
  188. Guintran lo savi de Babilona, P. (v. 4197). Je suis la leçon d’Oxf., sachant toutefois que Balone est fautif, d’autant plus que le vers est trop court d’une syllabe, mais le Babilone de P., est inadmissible. Ce Guinant ne peut être, en tout cas, le comte Guinant du § 229, qui est au nombre des vassaux de Charles. Il se peut que Guintran soit la bonne leçon, cf. p. 304.
  189. Je préfère ici la leçon de P. (v. 4198) à celle d’Oxf., ques avers done, qui est une pure cheville.
  190. Il me semble difficile d’entendre autrement le vers Per toz aiquesz lo cons lo reis (corr. rei d’après P.) razone, mais toutefois je ne me dissimule pas que c’est admettre, de la part de Girart, une démarche conciliante que le § 317 est bien loin d’annoncer »
  191. Le heaume était trop pesant pour être porté hors des cas de nécessité. Or, comme il était d’usage de le fixer au haubert par un lacet, on descendait de cheval pour faire plus à l’aise cette opération.
  192. Peut-être Verdonnet, cant. de Laignes, arr. de Châtillon-sur-Seine.
  193. Le pays des Herupois, la Herupe, paraît avoir compris, au xiie siècle, toute la région qui s’étendait de la Loire à la Seine, à l’ouest de Paris et d’Orléans, l’ancienne Neustrie ; voy. Fauchet, Œuvres, 1610, fol. 541, Longnon, Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris, I, 8-12.
  194. Voy. p. 40, n. 2.
  195. Oxf. Mans el e Beruer e Aucores. Ce dernier mot désigne probablement le contingent d’Auxerre, mais je préfère Bretoneis de P. (v. 4345) ; voir la note suivante. Peut-être faudrait-il aussi préférer aux Berruyers les Angevins de P., qui figurent assez ordinairement en compagnie des Manceaux ; voy. §§ 152, 155, 323.
  196. J’adopte la leçon Guianes de P. (v. 4347) : Bretones d’Oxf. n’est pas à sa place, si on admet que les Bretons sont dans la seconde échelle, et d’autre part, il est naturel d’associer les Aquitains aux Poitevins. On a vu plus haut (§ 143) les Aquitains conduits par Gui de Poitiers.
  197. Poherenc, cf. p. 84, n. 2.
  198. Serait-ce le comte Joffroi des §§ 88, 89, 115 ; etc. (probablement Joffroi d’Angers) ?
  199. « Henri et don Guigue » paraissent déjà au § 173.
  200. Voy. p. 51, n. 1.
  201. Le safre désigne bien encore maintenant (voy. Littré) l’oxyde de cobalt, comme il a été dit ci-dessus, p. 112, n. 3, substance qui sert à produire une couleur bleue ; mais ici on ne voit pas comment le safre, si c’est une couleur, pourrait être influencé par la pureté de l’or. Le safre doit désigner ici, et en beaucoup d’autres endroits, le brillant produit par un vernissage pour lequel on employait une substance appelée « safre », et qui n’était pas nécessairement l’oxyde de cobalt. En effet, safre désigne « dans la basse Provence un sablon quartzeux, et dans la haute la terre glaise ou argile qu’on emploie comme mortier ». Chabrand et de Rochas d’Aiglun, Patois des Alpes Cottiennes, p. 184 ; cf. Littré, Dictionnaire, Supplément, p. 304, safre 3. Mais d’autre part, et c’est probablement là qu’est la vraie explication, en esp. zafre est un oxyde de bismuth donnant une coloration jaune, et on a rapproché ce mot de l’arabe sofra, couleur jaune, voy. à la suite du supplément de M. Littré, le Dict. étym. des mots d’origine orientale, sous safre. Il serait donc possible que le safre désignât dans nos anciens poëmes une couleur jaune ou dorée.
  202. Nous l’avons déjà vue, cette épée, au côté de Pierre de Mont-Rabei, § 246.
  203. Garnier, P. (v. 4370).
  204. Ici Rames Oxf., mais plus bas Rainier ; c’est le même qui figure au § 164, où, me conformant à la graphie donnée par Oxf. à cet endroit, j’ai écrit Renier.
  205. Sic Oxf. et P. (v. 4384).
  206. Ce nom, qui a son utilité dans les rimes en enc, figure déjà au § 109, mais s’appliquant à un autre personnage.
  207. Je ne suis pas en état d’expliquer ce cri de guerre ni le précédent.
  208. C’est ainsi que Raynouard, V, 60, traduit roden (P. v. 4396)
  209. Au sens de troupe rangée en bataille.
  210. Il y a dans les mss. neps (neveu).
  211. P. (v. 4299) : Adonc es orgolhos i afermatz, mais mieux dans Passy : Donques es plus segurs e plus menbraz. Le vers manque dans Oxf.
  212. Métaphore empruntée au jeu d’échecs.
  213. Cette laisse et la suivante manquaient originairement dans Oxf., soit que le copiste de ce ms. les ait omises, soit qu’il ne les ait pas trouvées dans la leçon qu’il transcrivait. Plus tard elles ont été ajoutées sur deux feuillets qu’on a insérés après le feuillet 86 et qui, par suite, portent les nos 87 et 88. Placés comme ils sont, ces deux feuillets coupent en deux la laisse 325. Si on les avait placés après le folio 85, ils auraient coupé la laisse 322, et se seraient ainsi trouvés plus près de leur véritable place. Mais l’erreur n’est pas accidentelle ; celui qui a fait cette addition a voulu qu’elle se plaçât entre les tirades 323 et 324, ce qu’il a indiqué en écrivant le premier des vers ajoutés, au haut du fol. 86 v°, au-dessus de la tirade 324. L’écriture de ces deux feuillets est italienne, comme celle de tout le ms., mais d’une époque beaucoup plus récente, de la fin du xive siècle, ce semble. Ce qui est notable c’est que, dans ces deux feuillets additionnels, l’ordre des deux tirades est interverti : 321 vient avant 320, particularité qui s’observe aussi dans le fragment de Passy (II). C’est la leçon de ce fragment que je suis de préférence pour ces deux tirades. Cette leçon est apparentée de très près à celle d’Oxf., mais plus correcte.
  214. Il y a ici dans Oxf. et II un vers, Aimon et Andefrei Gilbert et Gui, qui manque dans P. Les deux premiers de ces noms ne peuvent guère être que ceux de deux neveux de Thierri (voy. §§ 107 et 213), qui étant ennemis déclarés de Girart ne peuvent figurer ici. Je suppose donc qu’ils ont été introduits par erreur, amenés par le nom d’Aimeri qui précède, nom qui sans doute désigne ici Aimeri de Narbonne (voy. § 319), mais qui est aussi celui d’un neveu de Thierri.
  215. Je traduis ici un vers, nécessaire au sens, qui ne se trouve que dans mon fragment : Se vos hui me failliez, vez me honi.
  216. Proverbe bien connu dont les exemples abondent au moyen âge ; voy. Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 282, 485 ; cf., pour le provençal. Bartsch, Denkmæler, p. 12, v. 3-4 ; p. 33, v. 23.
  217. Les gaite-vi, frag. de Passy (gardeni, pour garde-vi, dans Oxf.) mot à mot, ceux qui guettent le vin, rappellent les fainéants que le troubadour Marcabrun flétrit en plus d’une de ses pièces, qu’il appelle corna-vi, bufa-tizo, etc. Voy. Romania, VI, 122, n. 4.
  218. Douteux : P. (v. 4403) d’Orlem, Oxf. d’Arle, où la dernière lettre, qui ne peut guère être qu’un n, manque, le bord extérieur du feuillet étant déchiré.
  219. Oxf. Baiart que (q barré) fas. Le vers manque dans P.
  220. Ab armas dans les deux mss., mais la rime ?
  221. Folras P. (v. 4411).
  222. D’après P. (v. 4414), Oxf. Cleopas. Ce nom semble emprunté à quelque tradition antique.
  223. « Du vieux Troas », selon P. (v. 4415). Je n’ai pas réussi à trouver d’où a été tiré ce nom.
  224. Je n’entends pas ne sis lavas Oxf. ; la leçon de P. (v. 4417) n’es mia gas est visiblement refaite.
  225. Ce saint n’a été choisi que pour la rime.
  226. Leur parent, voy. § 212.
  227. Cf. ci-dessus la p. 156, n. 4.
  228. Ici se ferme la lacune de L. ; voir ci-dessus, p. 157, n. 6.
  229. Ceci est en contradiction avec le récit du meurtre de Thierri, tel qu’il a été fait plus haut dans une série de tirades consécutives (§§ 200-8). On ne voit pas que Fouchier ait pris part à cet acte de trahison.
  230. L’endroit où on appuyait le bouclier ? soz la poger (l’apoger ?) Oxf., le pogier L ; la leçon de P. (v. 4442) lo polchier est corrompue ; cf. plus haut, p. 128, n. 3, et plus loin, § 334 l’apogail Oxf.. lo pogalh P. (v. 4501), le pogail, L.
  231. D’une guerre privée.
  232. « Cent, » selon Oxf. ; le vers manque dans L.
  233. Cet Olivier, de qui Pierre de Mont-Rabei tenait ses armes, a déjà été mentionné aux §§ 245 et 246.
  234. Ci-dessus §§ 282-3.
  235. Qui ornait le centre du bouclier.
  236. Vers qui n’est que dans P. (v. 4494).
  237. Mont Saint-Droin L., le vers manque dans P.
  238. Le haubert couvrait le cou et une partie du visage.
  239. Un Raimon Borel fut comte de Barcelone de 992 à 1018 ; voy. l’Art de vér. les dates, II, 292 ; P. de Bofarull, Condes de Barcelona vindicados, I, 197.
  240. Doltrans P. (v. 4533-5). Sans doute le Doitran qui figure au § 252, parmi les hommes de la mesnie de Girart.
  241. Teoïn Oxf., tenoï P. (v. 4542). Enterin L. (non pas osterin comme dans l’édition) est une correction de copiste.
  242. Cf. p. 77, note 1.
  243. Le vers est complété par cette cheville que fest (que fit) Ginarz Oxf., Gimarz ou Gunarz L., Gaigartz P. (v. 4570). Ce fabricant de heaumes ne m’est pas connu d’ailleurs.
  244. Le texte, et par suite le sens, est douteux. Oxf. ajoute : « et j’aurai ma terre quitte et en paix. »
  245. C’étaient donc des cercueils de pierre.
  246. L’évêché de Cornouailles en Bretagne, chef-lieu Quimper.
  247. M. à m. « Que Dieu ne me donne pas relief d’une autre serviette (toaille) ». Je suppose qu’il y a ici une allusion à l’usage d’accorder à celui qui avait servi à table, en certaines grandes occasions, le relief de la table. Dans Huon de Bordeaux, vv, 256-68, le relief du duc Seguin, pour servir à la table de Charlemagne à Pâques, à la Pentecôte et à Noël, est estimé à trois mille livres. Le relief consistait ordinairement en pièces de vaisselle, particulièrement en un hanap, voir l’extrait des Assises de Jérusalem cité dans Du Cange sous grasala. Les témoignages abondent sur ce point. Lors de la consécration de l’évêque d’Angers, Guillaume le Maire (1291), un seigneur s’empara, en vertu d’un droit traditionnel, des bassins d’argent et des serviettes dont l’évêque s’était servi pour se laver les mains au moment du repas. (Mélanges historiques [2esérie], II, 256, dans les Documents inédits.) Cela rappelle et explique le « relief de touaille »dont il est ici question.
  248. Ces paroles doivent être placées dans la bouche de l’abbé breton.
  249. C.-à-d. qu’il le tienne de moi.
  250. Voy. p. 75, note 2.
  251. Faute pour Tolsanz, Toulousain ? P. (v. 4033) cosen, la leçon de Hofmann, cosin, est une mauvaise correction. — Guillaume n’est pas sûr.
  252. Lieu apparemment propre aux embuscades, puisqu’il est mentionné dans les mêmes circonstances au § 214, où je l’ai appelé, d’après L., Clarençon, Ici encore L. porte Clarencon, mais Clarenton est assuré par l’accord d’Oxf. et de P. (v. 4661).
  253. Bourbon l’Archambaut ?
  254. « Senebrun et Corbaron » P. (v. 4666).
  255. Corbero P. (v. 4667).
  256. Girarz L. (p. 350), Aimes P. (v. 4668).
  257. Arlio P. (v. 4675).
  258. Interprétation non moins douteuse qu’au § 72. Oxf. lo pont desgarz, L. le pont de Gart, P. (v. 4699) los ponts dels gartz.
  259. Corbigny, abbaye bénédictine (diocèse d’Autun), fondée, en 864, en l’honneur de saint Léonard ; voy. Gall. Christ., IV, 475. S. Léonard était décédé à Vendœuvre (Sarthe), et son corps fut transféré à Corbigny vers 877 (AA. SS., oct. VII, 47 a).
  260. Voy p. 34, n. 2.
  261. Cesart L., Censart Oxf. ; le vers manque dans P. Je pense que c’est une allusion au meurtre de César.
  262. Le marquis Fouchier, pour la rime, comme plus loin § 382.
  263. « Pour ce est li fous qu’il face la folie », Le Roux de Lincy, Livre des Proverbes, I, 243.
  264. Encore ici « neveu » au lieu de cousin, comme p. 161.
  265. Voy. ci-dessus §§ 260, 261, 266.
  266. Qui de loinz garde de près s’esjoïst.
    Ce dist li vilains.

    (Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 465 ; cf. p. 388 : Qui de longe providet de prope gaudet).

  267. Vers qui n’est que dans P. (v. 4748), Boson et Seguin sont coupables du meurtre de Thierri et de ses fils (voy. §§ 201 et suiv.) ; quant à Fouchier, il a joué un vilain tour à Charles, sans provocation (§ 216).
  268. Cf. §§ 213-5. Hugues n’est pas mentionné parmi ceux qui prirent part à cette tentative.
  269. On sait que telle était la fonction primitive de l’écuyer, comme du reste l’étymologie l’indique.
  270. Ils passent la Loire à Nevers ; et la Saône à Châlon.
  271. Ou Muçon ; Val Muso P. (v. 4765).
  272. Oxf. Girunde lo traverse naus e nodon, L. (p. 353) Gironde a traverseie o ben (non pas bon) noon, P. (v. 4768) Gironda lor traversa nac e dordon. Ces leçons paraissent diversement corrompues.
  273. Le vicomte de Dreux, déjà mainte fois mentionné.
  274. Cf. le commencement de la tirade précédente.
  275. Voir p. 53, n. 2 et 70 n. 4.
  276. Tenir un vassal, au sens féodal, être son suzerain.
  277. Le droit.
  278. Voy. p. 64, n. 3,
  279. Ici s’ouvre dans L. (p. 355) une lacune de plus de 1700 vers (=P. 4852-6570).
  280. Ici, dans Oxf., deux vers dont le premier peut se traduire ainsi : « Si nous n’avons pas fait de cercueils plombés », mais le second, probablement corrompu, est pour moi inintelligible : Mais vos ne meses un en vas nentrunc. Il doit y avoir une allusion aux cercueils faits par ordre de Charles, §§ 344-5 ; trunc, tronc d’arbre creusé, serait synonime de vas.
  281. Cf. § 107.
  282. Le vase, c’est Girart ; la plante, c’est la trahison.
  283. Écorce, vigne sauvage, sont appelées ici par la rime (uche) qui ne fournit qu’un très petit nombre de mots et, par suite, amène l’auteur à des associations d’idées singulières.
  284. Des mar el fois Oxf., de mar au fois P. (v. 4874) de la mer jusqu’à Foix ?
  285. Le sens du second hémistiche e tuit li trois Oxf., e toh lhi trois P. (v. 4878), m’échappe complètement.
  286. Sur lequel les chevaliers essayaient leur adresse, voy. p. 1, n. 2.
  287. Voy. § 348.
  288. Le texte paraît pas susceptible d’une autre interprétation, et pourtant ces paroles du roi sont en contradiction avec celles du § 360.
  289. Par cette expression Charles veut dire à la fois que Girart a commis envers lui un acte de trahison, et que cet acte est prouvé de telle sorte, qu’en droit, sinon en fait, Girart appartient à Charles, qui a droit d’en prendre la vengeance qu’il lui plaira.
  290. Celui où fut décidé l’envoi de Pierre de Mont-Rabei.
  291. Voy. p. 99, n. 1.
  292. Voy. p. 64, n. 3.
  293. C’est la première fois que paraît dans le poëme ce nom de lieu. Le grief même que le roi fait ici valoir contre Girart n’a jamais été ainsi formulé. On a vu au contraire, § 228, l’un des hommes du roi poser en fait, sans être contredit, que Girart n’avait pas donné asile au meurtrier de Thierri.
  294. Ici le roi fait allusion, non plus au meurtre de Thierri, mais au vol commis par Fouchier (voy. § 216). Déjà, § 228, le roi a accusé Girart d’avoir donné asile à Fouchier, quoique le récit n’en dise rien.
  295. Par le duel.
  296. Mont-Erbei P. (v. 4950). Aucun de ces deux noms n’est mentionné à l’endroit où il est parlé de cette embuscade, § 215.
  297. En Gascogne, voir § 352.
  298. Saint-Lambert de Liège ?
  299. Sont obligés de rester enfermés dans les lieux fortifiés.
  300. Oxf. correil, P. (v. 4991) torrel, qui n’a pas de sens.
  301. De sang.
  302. Tilleul (teil) n’est ici, bien entendu, que pour la rime.
  303. Oxf. Mont Moureil, P. (v. 4999) Mont Aurel.
  304. En Sival dans les deux mss. ; voir plus loin, p. 189, n, 3. Il s’agit donc d’une bataille aramie, c.-à-d. dont le lieu et la date sont convenus d’avance, comme la bataille de Vaubeton (voy. § 126), mais il est singulier que ce rendez-vous n’ait pas été indiqué dans la scène qui précède.
  305. Voir § 356.
  306. Nous avons déjà vu ce nom mentionné au § 167 comme étant le cri de guerre d’Odilon, l’oncle de Girart. Ce doit être un lieu situé entre le Rhône et les Alpes, limites entre lesquelles s’étendaient les possessions d’Odilon (voir la fin du § 99).
  307. Ancien Aventicus ou Aventica, maintenant Wiffisbourg, canton de Vaud ; voy. Longnon, Géogr. de la Gaule au vie siècle, p. 224.
  308. A Clausa al port Oxf., la leçon de P. (v. 5012) entro al port, est corrompue. Il y a dans les Alpes de nombreux passages appelés Cluse ou La Cluse. Remarquons que les menaces du roi sont loin d’avoir eu cette précision.
  309. Sur les différentes manières de consulter les sorts au moyen âge, voy. Du Cange, Sortes sanctorum. M. Roquain, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, XLI (1880) 465-74, et M. Chabaneau, Revue des langues romanes, 3e série, IV, 167-78, ont publié deux textes, l’un latin, intitulé sortes apostolorum, l’autre provençal, qui contiennent des réponses, généralement assez vagues, aux questions de ceux qui cherchaient à connaître l’avenir, M. Chabaneau a rassemblé, p. 161, note, plusieurs textes empruntés aux auteurs latins du moyen âge et à la littérature provençale sur l’usage de consulter les sorts. Cette liste pourrait être notablement augmentée. Pierre de Vaux-Cernai raconte que Simon de Montfort avait consulté les sorts, un ouvrant au hasard le psautier, avant de se rendre à la croisade contre les Albigeois (fin du chap. xvii). Dans Flamenca (vv. p. 2300), Guillaume de Nevers interroge l’avenir de la même manière lorsqu’il se prépare à séduire l’épouse d’Archambaut. Dans Girart de Roussillon, l’usage de consulter les sorts est si bien admis que lorsqu’une guerre est entreprise sans qu’on l’ait fait, l’auteur a soin de le mentionner ; voy. §§ 140 et 383.
  310. Il faut entendre « l’hommage ».
  311. On verra au § suivant que le conseil se tenait à cheval en présence des troupes.
  312. Cinq, selon P. (v. 2028). Je ne vois pas à quel événement il est fait ici allusion.
  313. Le cri de guerre des troupes royales en tout pays, voy. le texte de Mathieu Paris, cité dans Du Cange, V, 560 b. Un érudit a jadis réuni de ce cri de guerre plusieurs exemples, sans paraître se rendre compte de ce qu’il signifiait ; voy. Jahrbuch f. roman, u. engl. Literatur, II, 120.
  314. Je conserve l’expression de l’ancien français, qui, naturellement, ne peut trouver d’équivalent en français moderne. Le demaine est un terme assez vague qui désigne l’homme libre dépendant directement du seigneur, dominius.
  315. Voy. p. 11, n. 1.
  316. Ce sont pourtant les Gascons, non les Provençaux, qui (ci-dessus, § 332) ont fait défection.
  317. On a vu au § 107 que Thierri avait eu quatre femmes, dont la dernière était sœur d’un roi Louis, de même au § 101 ; au § 112, cette quatrième femme est sœur de Charles-Martel ; ici il est question d’une sœur des comtes Henri et Auberi. La femme désignée dans le présent §, comme celle désignée aux §§ 107 et 112, est mère des enfants tués par Boson. Il y a donc contradiction entre ces divers passages.
  318. Sorte de tente.
  319. Guinars P. (v. 5066), ce qui fausse le vers ; au § 398, le même ms. (v. 5268) porte Guinarmartz ;. Le nom de Guihomart, conservé par Oxf., est un souvenir du chef breton Wihomarchus qui lutta contre Louis le pieux (Einhardi Annales, ad ann. 822 et 825 ; cf. A. de Courson, Cartul. de Redon, p. xxiii).
  320. Salomon de Bretagne figure parmi les vassaux de Charlemagne en plusieurs chansons de geste. Voy. les témoignages rassemblés par M. Joüon à la table de son édition du roman d’Aquin, sous ce nom.
  321. Voy. p. 149, n. 4.
  322. L’Aimenon, hôte de Pierre de Montrabei (§§ 155-8), ou Aimon de Bourges appelé quelquefois, Aimenon ; cf. p. 131, n. 5.
  323. Celui qui figure déjà en compagnie de Gace, au § 352, probablement le comte Hugues des §§ 328, 338-40.
  324. Bernart P. (v. 5086) ; de même au § 398.
  325. Pour Fouchier, comme au § 349.
  326. De Mont-Rabei.
  327. Le comte Auberi du § 310.
  328. Voy. p. 157, n. 1.
  329. Cela veut dire que la mêlée fut si générale que les combattants n’avaient pas le loisir de choisir leurs adversaires et devaient accepter même les moins dignes. Les Gascons et les Lombards (par cette désignation on entend les Italiens) ne passaient pas, au moyen âge, pour être très loyaux ni très vaillants. Voir, pour les Lombards, les textes réunis par M. Fr. Michel, Guerre de Navarre, p. 484, et par M. Tobler, Zeitschrift für romanische Philologie, III, 100-1 ; pour les Gascons, voir ci-dessus, § 877.
  330. Cela veut dire, je suppose, que l’on se battit avec acharnement, sans tenir compte des usages généralement observés dans les combats.
  331. Cf. p. 183, n. 4.
  332. Sivaus Oxf., Sivax P. (v. 5100) ; Sival au cas régime, §§ 375 et 390. C’est, selon M. Longnon (Géographie de la Gaule au vie siècle, p. 577), Civaux, Vienne, arr. de Montmorillon, canton de Lussac, village situé, en effet, sur la Vienne, et près duquel existent de nombreux sarcophages de pierre où l’imagination populaire voyait la trace d’une bataille sanglante. Civaux est à 27 kil. environ du S.-E. de Poitiers. On verra au § 398 que le lieu de la bataille n’était pas éloigné de cette ville.
  333. Bégon était tombé de cheval en même temps que Pierre.
  334. « Deux siens guerriers » P. v. 5129.
  335. Ce qui est entre [] manque dans Oxf. (P. vv. 5159-67).
  336. Landri de Nevers.
  337. Comme Rolant à Roncevaux.
  338. Du Cange, sous Kyrie eleison, et dans sa onzième dissertation (du cry d’armes), éd. Henschel, p. 47 b, cite des textes qui établissent l’usage de chanter le Κύριε ἐλέησον au commencement du combat. La plupart de ces textes se rapportent à l’ancienne histoire d’Allemagne.
  339. Branderoc P. (v. 5199).
  340. Il tomba, non qu’il fut mauvais chevalier, mais en punition de ses péchés.
  341. D’après P. (v. 5247) ; dans Oxf. Girarz. C’est le comte Achart dont la mort est rapportée à la fin de ce §.
  342. Bernart, P. (v. 5249), comme au § 382.
  343. De Girart, je suppose. Le vers est obscur.
  344. Enseigne où était peint cet animal fabuleux ; voy. Du Cange, draco.
  345. Boscartz, P. (v. 5257).
  346. Dans le sens ancien, serviteur du rang le plus infime.
  347. D’après P. (v. 5269), je n’entends pas la leçon d’Oxf. E Aurei de Bretaigne.
  348. Oxf. « leurs Escobarts » ; ce qui conduirait à entendre escobart comme un nom commun, désignant une sorte de troupe, et non plus comme nom ethnique. Le passage où on a vu, ci-dessus § 72, figurer les Escobarts, peut s’accommoder de l’une ou de l’autre de ces deux interprétations.
  349. Le comte Guinart, qui va être nommé, et qui figure au § 317 comme seigneur de Montbéliart.
  350. Agartz, P. (v. 5274). Il paraît, au § 275, en compagnie des mêmes personnages. Il est alors appelé Acart dans Oxf., Anchart dans P. (v. 3671).
  351. On a vu, § 390, que la bataille avait eu lieu un samedi.
  352. Gras est-il un adjectif ? Cet évêque n’est pas différent de l’évêque Brocart du § précédent.
  353. Il se parle à lui-même, selon l’usage des gens du Midi.
  354. À Rome.
  355. D’après P. (v. 5309) ; Oxf. « le Poitou et l’Auvergne « , ce qui est absurde.
  356. Tué par Pierre de Mont-Rabei, § 334.
  357. C’est la première fois qu’il est question de ce personnage qui ne doit pas être confondu avec le Berengier du § 246.
  358. Seulement dans P. (v. 5317).
  359. Voy. § 391.
  360. Voy. § 396.
  361. L’abbaye de Charroux, fondée à la fin du viiie siècle (Gall. Christ., II, 1277-8), passait pour avoir reçu, lors de sa fondation, un morceau du bois de la Croix et un fragment de la couronne d’épines, sans parler du reste ; voy. le Tabularium Carrofense, dans Besly, Hist. des comtes de Poictou, p. 151. D’après une autre tradition un des clous du crucifiement aurait été placé à Charroux par Charles le Chauve. Fauchet, Œuvres, 1610, fol. 563 v°, cite ces deux vers du roman perdu de Doon de Nanteuil :

    Par la foi que je doi la couronne et le clou
    Que dans Challes li chaux aporta a Charrou.

  362. Oxf. e mel san rou ; P. (v. 5336) e mes en rou.
  363. Voy. § 347.
  364. Oxf. Nens et Genval ; P. (laissé en blanc par M. Hofmann, v. 5362, mais lu par M. Fr. Michel, p. 160), Ties e Geval.
  365. Ce nom n’est peut-être ici que pour la rime. Il y a, du reste, un grand nombre de lieux ainsi nommés dans l’Ouest.
  366. C.-à-d. par crainte d’un traitement impitoyable.
  367. Sans doute Bourbon-l’Archambaut.
  368. Dun et Verdun-sur-Meuse.
  369. Sans doute Vaucouleurs, Meuse, mais Montbrun ?
  370. L’enseigne est à la fois le drapeau et le cri de guerre.
  371. L’enseigne et le cri de guerre étaient liés à la possession d’une terre. Le cri était le nom même de cette terre.
  372. Pour poursuivre Girart.
  373. La bravade consiste à avoir dressé les tentes, au lieu de rester sous les armes.
  374. À l’armée royale.
  375. Vaucouleurs ; cela résulte du § 414.
  376. Cet épisode a été mentionné, sans indication de source et comme historique, par M. Ch. de Beaurepaire, dans son Essai sur l’asile religieux, dans la Bibl. de l’Éc. des Ch., 3, V, 164-5.