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Carles entre en ſa cambre ꝑ repauſar
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208. Charles entre en sa chambre pour se reposer ; le duc Thierri d’Ascane s’en alla. Il ne savait mot de la mêlée, lorsqu’il l’entendit, ni de ses jeunes fils qu’il aimait tant. Il y courut pour les séparer. Boson et Seguin qui le cherchaient le rencontrent : ils baissent leurs lances et le frappent. Vous eussiez entendu le bruit du fer qui grince et s’ébrèche en passant au travers du corps de Thierri. La vie du baron ne put durer, et, sans qu’aucun des siens pût lui venir en aide, l’âme lui partit du corps. |
Carles aui la meſcle e eiſt au crit
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209. Charles ouït la mêlée et sortit au cri. Il demanda son haubert et le revêtit. Sur son chemin, il trouva le duc mort. Avant qu’il fût arrivé, Boson et les siens s’étaient enfuis. Voici Girart revenu à Roussillon. Charles le rend responsable [du meurtre] : il dit que Girart a été de connivence : s’il ne s’en escondit[1] pas par bataille[2], avant un mois accompli, il (Charles) aura saisi le fief que Girart tient de lui. Pour commencer, il prend celui de Fouque et l’occupe (?). Ne croyez pas que Girart s’oublie : loin de là, il fera guerre au roi, dit-il. |
Mort unt teiri lo duc le riu baron Per co renchet la gerre e la tencon
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210. Ils ont tué Thierri le duc, le riche baron, et le bruit se répand en France que c’est Boson et les siens qui l’ont tué à la cour du roi. Boson s’en est allé à Escarpion. Il avait là deux châteaux près de Montargon. Il confia l’un à Seguin, l’autre à Fouque. Quand Charles l’apprit, il ne fut pas content. Ainsi recommença la guerre et la lutte. |
Mort ont teiri lo duc le don daſcance
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211. Ils ont tué Thierri le duc, le seigneur d’Ascane ; Don Boson d’Escarpion lui a mis sa lance [par le corps], prenant vengeance pour son père et pour son oncle. C’est pour cela que Charles, par la suite, faillit être pris, et que Girart dut quitter son pays[3]. La haine dura vingt ans sans qu’il (Girart) osât se montrer dans le royaume de France, jusqu’à ce que les jeunes gens furent devenus chenus et que Hugues eut tué Boson[4]. |
Car li paire ugun fraire fu tieiric
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212. Comme le père de Hugues était frère de Thierri, Boson et Hugues furent ennemis acharnés. Ils se rencontrèrent en bataille, comme je vous dis, et là où ils se reconnurent, pas un ne recula (?) : ils coururent se frapper avec telle violence que celui qui tomba resta sur le terrain. Ainsi Hugues vengea son oncle comme son ami. |
Aimes e aimeris ob andefrei
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213. Aimon, Aimeri et Andefroi étaient neveux de Thierri : ils avaient été élevés chez lui[5]. C’est lui qui les avait armés et équipés. Il[6] alla crier merci au roi Charles : « Sire, laisse moi mener ta mesnie avec moi. J’aurai demain vengé mon oncle, je crois. » Et Charles lui répond : « J’y consens. » Ce fut une parole funeste. |
Meſſagers mes uenguz dinc daualon
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214. « Un messager m’est venu d’Avalon, [m’annonçant] que ce soir Girart se dirigera du côté de Dijon [et doit passer par Roussillon[7]]. Je mettrai mon embuscade a Clarençon[8]. Que Boson entre à Escarpion, que Seguin s’en aille vers Besançon, que Fouchier s’en retourne vers Montargon [ou que Girart entre à Roussillon], sur le premier de tous[9] que Dieu m’abandonnera, je prendrai la vengeance de mon oncle. » Et Charles répondit : « Je te le permets. » Ce fut la parole qui fit tout le mal. |
Aimes e aimeris e andefreis
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215. Aimon, Aimeri et Andefroi montent aussitôt avec la mesnie du roi. Ils furent quatre cents, tous français, embusqués dans les bois épais d’Escarpion. Ils mirent pied à terre en dessous du chemin et y restèrent toute la nuit jusqu’au jour. Mais Girart n’y passa point ni personne envoyée par lui, ni Boson d’Escarpion, ni aucun des siens. Les hommes de l’embuscade remontèrent à cheval sans avoir rien fait. Girart l’apprit, et j’ose dire qu’il en fut irrité. « Le roi », dit-il, « me jette hors de sa fidélité[10], lorsque, sans m’avoir défié, il m’a dressé une embuscade ! » |
La nuit leuet folchers li marecaucos Poierent en la ſale ꝑs eſchalons
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216. La nuit se leva le marquis Fouchier ; avec lui il mena douze[11] valets. Il les fait vêtir de peaux, comme des garçons, et se rend à Paris. La nuit venue, ils montèrent dans la salle [du palais du roi] par les escaliers, pénétrèrent en la chambre[12] voûtée, sous le toit, et enlevèrent à Charles de grandes richesses. Ils emportent trois cents hanaps de l’œuvre du roi Salomon[13] et le heaume et la broigne de Meiron[14] que le roi Alexandre prit aux Turcions[15]. La nouvelle en fut contée à Charles, le matin comme il venait de faire ses oraisons. Et Charles jura par le Dieu du ciel qu’il détruirait les lâches, les misérables, et que Girart nommément et ses brigands, s’il ne lui rend son avoir et les voleurs, perdrait Val-Nuble[16] et Besançon. |
Dorar repaire carles ainz lo ſoleil
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217. Charles revient de prier avant le lever du soleil ; après avoir ouï la messe à Saint-Marcel[17], il est rentré dans sa chambre voûtée qui est ornée de marbre jaune, blanc et vermeil. C’est là que le roi est entré avec ses fidèles, à qui il demande conseil au sujet de Girart. |
Li reis intre en la cambre nō uiſtes tav
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218. Le roi entre en sa chambre qui est telle qu’on n’en vit jamais. Elle est voûtée et toute revêtue de précieux métal, et décorée symétriquement de mosaïques. Merveilleux en sont les vitraux qui luisent plus que l’étoile du matin. Le pavement en est de marbre taillé[18]. Là est entré le roi avec ses vassaux, comtes, vicomtes, évêques et riches seigneurs, parmi eux le vicomte de Limoges, Giraut, fils d’Audoïn et neveu de Foucaut, guerrier vaillant, preux, fort et hardi, qui sait donner conseil bon et loyal en homme élevé en cour royale[19]. Le roi parla de ce qui lui tenait le plus à cœur, prenant conseil au sujet de Girart à qui il en veut. |
Carles mandet les pinces toz de ſa gent |
219. Charles manda tous les chefs de sa nation. Ils vinrent à lui au nombre de cent, et se tinrent en sa chambre, sur le pavement. Le roi leur dit à tous ensemble : « Seigneurs, qui sait et entend le droit, me donne conseil sincèrement, le mieux qu’il pourra. En cette cour on m’a fait cette honte qu’on m’a tué Thierri le duc, un mien parent ; on m’a enlevé mon or cuit et mon argent. J’en rends Girart responsable. Je dis qu’il l’a comploté, qu’il l’a voulu. S’il ne s’en défend par bataille, il ne s’écoulera pas un mois que je n’aie saisi le fief qu’il tient de moi[20] ! » Quand il a parlé, les barons répondent doucement, et quiconque a un conseil à donner le donne sans tarder. |
Premers ou dis uns cons danz emois
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220. Le premier qui prit la parole fut un comte, don Emoïs : « Sire roi, pourquoi mentirais-je ? Boson d’Escarpion a tué Thierri ; mais, si Girart n’en a rien su, n’a pas été de connivence, s’il peut, comme un homme sage, s’en escondire, il ne doit pas perdre une aune de sa terre. — Par mon chef, » dit Charles, « puissé-je l’entendre parler ainsi ! Je ne lui demande rien de plus que de se défendre, mais il ne le pourrait faire, pour tout Paris ! — Alors, » reprend l’autre, « je n’ai plus rien à ajouter, et je m’en tiens à ce que j’ai dit. |
Conſellaz mei baron ꝑ deu amor
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221. — Conseillez-moi, barons, pour l’amour de Dieu. Il s’agit de Girart qui m’a trompé, de Girart qui naguère avait pour moi tant d’affection. Comme je ne me défiais pas de lui, il m’a fait cette honte, ce déshonneur, de tuer Thierri d’Ascane, le meilleur de mes fidèles, à qui moi et mes frères avions donné notre[21] sœur. C’est pour cela que je vous demande conseil, seigneurs. Puisqu’il est un traître prouvé, je ne lui laisserai pas un château, pas une tour ; il ne lui restera pas, si je puis, une maison de sa terre ! |
A toz uos pi mi ome qui cainſ ſun
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222. « Je vous en prie tous qui êtes ici présents, pour Dieu ! qui sait conseil me le donne, au sujet de Girart, ce comte de Roussillon, qui, le jour où il avait mangé en ma maison, prémédita la mort de mon baron, la trahison à laquelle succomba le duc Thierri, tué en ma cour par les mains de Boson. Il n’y a en ma cour chevalier, brave ou lâche, bon ou mauvais, que je ne prouve mauvais et félon s’il me donne un démenti ! » |
Preimers parlet armans de belmontel
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223. Le premier à prendre la parole fut Arman de Beaumoncel [22] : il parla en jeune homme irréfléchi : « Sire, je ne m’étonne pas si Girart vous trompe. Son père et son aïeul furent toujours félons[23]. Mais mandez votre gent jusqu’à Clarmel[24], de Guiterne en France jusqu’à Creil, et qu’ils chevauchent tous ensemble. S’ils rencontrent un château en plaine, qu’ils l’attaquent incontinent. Amenons là tant de jeunes damoiseaux que le champ en devienne rouge de sang. Et qui trouvera Girart, ne perde pas de temps, mais lui coupe la tête, au-dessous des cheveux ! Puis, qu’ils aillent loger à Mont-Espel[25], qu’ils lui enlèvent Roussillon et Saint-Maurel. Tu ne feras pas la paix, si tu veux m’en croire, jusqu’à ce que tu l’aies écrasé, lui et Amel[26]. |
Daico ſai eu dis carles ml’t bien la flor
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224. — Je sais bien ce qu’il y a de mieux à faire[27], » dit Charles. « Je ne sais quel sera le [dernier] jour de moi ni de Girart, mais voici que mai viendra après le temps de Pâques, que l’herbe aura poussé au-dessus des fleurs ; alors nous verrons ce que sauront faire ces vantards pour prouver leur vaillance, la mesnie de Girart aux chevaux rapides et bons coureurs. Moi, j’ai telle confiance en Dieu le roi des cieux, que si nous nous rencontrons en plaine, les nôtres et les leurs, c’est eux qui trembleront devant la mort. », |
Ale de uaubeton li filz tiebert
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225. Alon de Vaubeton, le fils de Tibert, fut présent au conseil. Il se leva, car c’était un chevalier qui parlait bien et savait donner bon conseil à qui voulait l’en croire : « S’il est vrai que Girart a mené ici Boson, ça été pour lui une douleur que Boson eût tué Thierri. Il n’en sut rien, il ne l’a pas voulu, ni conseillé. Depuis ce méfait, il ne lui a pas donné asile. Girart doit-il donc périr parce que Boson a péché ? » Et le roi, à ces mots, s’irrita. « La rogne dans la barbe[28] de qui pense ainsi et juge de la sorte sans savoir ! Girart tient mon avoir qu’il m’a enlevé. C’est lui qui a envoyé le larron qui l’a emporté ; de chez lui est venu le larron et c’est près de lui qu’il est retourné[29]. » Là-dessus la cour, jugea que Girart avait tort, et Alon de Vaubeton ne dit plus mot. |
Preu parlet li uiſcons de ſaint marcav
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226. Le vicomte de Saint-Martial[30] parla ensuite, comme il convient à un riche baron, Dieu le protège ! « Ah ! sire roi de France, traite cette affaire avec justice (?). Retiens à toi ton baron, ton vassal naturel, s’il veut te faire droit pour la perte qu’il t’a causée. Renonce à l’amende et prend l’équivalent du dommage[31]. Si Dieu te prête vie (?) mieux te vaudra le service de ton vassal que ne feraient quatre chevaux chargés d’or cuit. — Maudit soit, » dit Charles, « quiconque prend son parti, le fils de putain, le parjure, le fils de coureuse ! Girart ne m’échappera pas, s’il ne tient qu’à moi ! » |
Gacel uicons de droes lo pres a dir
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227. Gace, vicomte de Dreux[32], prit la parole : « Sire, je te dirai un peu de ma pensée. Un homme qui sait juger le droit ne doit pas mentir. Tu ne peux pas provoquer ni attaquer ton homme lige, qui ne demande qu’à te servir ; mais mande-le à ta cour ; qu’il vienne à toi. Si Girart peut se justifier, s’escondire, il ne doit pas être exterminé ; tu ne dois pas l’éloigner de toi en te donnant tort. » |
Gacel uiſcons de droes en pez leuere El ne uol ni ne ſot nel conortere
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228. Gace, vicomte de Dreux, se leva en pied : il affirma et fit valoir son opinion, car c’était un chevalier qui savait bien parler, qui donnait bon conseil à qui voulait l’en croire. Il appuya l’avis d’Alon[33] : « S’il est vrai que Girart a amené ici Boson, le meurtre de Thierri par celui-ci l’a rempli de douleur. Il ne l’a voulu, ni conseillé, ni su. Le crime accompli, il n’a pas donné asile au meurtrier. Girart ne doit pas être exterminé parce que Boson est criminel. » Le roi entend ces paroles avec colère. « Eh bien ! Gace, que direz-vous de ceci ? Girart a mon avoir qu’il m’a enlevé, c’est lui qui a envoyé le larron[34] qui l’a emporté ; c’est de lui que le larron est parti, et à lui qu’il est revenu. Mais, par le Christ, il m’en rendra raison ! — C’est là, » dit Gace, « une dure parole : il a de tout temps été coutume en cette terre d’aller chercher conseil où on sait en trouver[35], de prendre l’avoir là où il est, pour le porter là où il n’était pas. Un homme qui sait juger le droit et qui garde le silence est comme l’or épuré qu’on tient renfermé[36]. Si vous imputez à Girart un tort qu’il n’a pas eu, et s’il peut s’escondire par bataille contre quiconque la lui demande, vous n’avez aucun droit de lui faire la guerre, à ce comte, ni de lui enlever un mas de sa terre. » |
Car lainz an la cambre fu a(ngeran)z
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229. Là, en la chambre, furent Enguerrant, qui tenait Abbeville, Esnarrans[37], Engilbert, Erans, le comte Guinant, Isembert de Braine et le duc Otrant. Charles s’emporta comme un allemand[38], au sujet de Girart dont il ne pouvait faire sa volonté, « Ah ! roi, pourquoi t’emporter ? » dit Galeran. « Ce n’est pas droit que tu fasses procès à ce comte ; Odilon, à qui était Mont-Bran[39], a été tué par Thierri d’Ascane, puis vengé par ses enfants : mais, si Girart n’en a rien su d’avance, s’il peut s’en escondire à ton gré, vous ne devez pas lui faire guerre ni peine, ni lui enlever de terre pour la valeur de ce gant. » |
Garins deſcarabele lo paire eurart
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230. Garin d’Escarabele[40], le père d’Evrart, s’exprima dignement, s’il parla le dernier : « Sire, mande à Gui de Mont-Ascart[41] de faire dire à Fouque, à Bernart et à Gilbert le comte de Senesgart qu’ils nous amènent, à eux trois, le comte Girart. Et si Girart peut te faire droit au jugement de Richart[42], de Galeran ton comte, ou de Foucart, d’Alon, d’Acelin et de Brochart, tu ne dois pas, te mettant dans ton tort, vouloir la perte de Girart, ni l’éloigner de vous en aucune façon. Vous y risqueriez beaucoup, roi, et y perdriez. » |
Sen les an crera carles ſillaiudeus
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231. Charles, grâce à Dieu, se rangea à leur avis. Il fit venir ses clercs, écrire ses brefs ; il envoya ses messagers et ses courriers, et manda Guillaume, comte de Poitiers[43], Richart de Comborn[44], Fouque d’Angers[45], leur ordonnant de venir à sa cour. Il veut avoir l’avis de tous les siens au sujet de Girart. |
E cil i ſunt uengut per qui tramos
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232, Ils vinrent tous, ceux qu’il avait mandés, Fouque, le comte Guillaume et Joffroi[46]. Alors fut de nouveau repris le conseil. Dans la chambre voûtée et encourtinée de pailes de Phrygie, au chef du dais, est assis en un fauteuil le roi Charles, demandant conseil au sujet de Boson. Le premier parla Bernart de Leonais[47] : « Sire, envoyez pour Girart, qu’il vienne à vous ; qu’il amène Boson pour faire droit. S’il ne le veut faire, n’en ayez point de souci, mais mandez votre gent sur le champ, assiégez Vaucouleurs sans retard ; qu’il n’y reste tour ni mur construit à la chaux. Si nous pouvons prendre Boson le marquis, faites de lui telle justice qu’il sera jugé. » Charles répondit : « Sire, merci. » |
Conſella mei ſeinor quui i enuei
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233. « Conseillez-moi, seigneurs, qui j’y enverrai : le vicomte Gace ou Joffroi, ou, si vous le préférez, Pierre de Mont-Rabei ? » Charles fit venir Pierre devant lui : « Sire, il faut que j’envoie un messager à Roussillon. Vous me direz à Girart qu’il vienne me trouver, amenant Boson pour faire droit ; et, s’il s’y refuse, me faussant foi, le mois de mai ne se passera pas sans que je lui fasse voir tel ost des miens, qu’il ne lui restera vigne que je ne lui arrache, ni fontaine ni pont que je ne lui détruise. Il peut compter sur une chose[48] : c’est que jamais comte n’eut telle guerre contre un roi. » |
Apres parlet dans haimes de uaugruage Mais ꝓueize e ualor e uaſſalage
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234. Ensuite parla don Aimon de Vaugruage, père de Carbonel de Mont-Brisage : « Sire, ne mandez pas à Girart de telles menaces : envoyez un message pacifique, portant qu’il vienne vous faire droit à votre résidence, comme firent les hommes de son lignage. Et s’il consent à vous livrer de bons otages, vous ne perdrez pas votre hommage du comte, non plus qu’il ne perdra votre seigneurie. Si, par sa folie, il s’y refuse, mandez votre gent, votre grant baronnage. Vous n’aurez pas un denier à dépenser pour guides : je saurai bien vous mener par tout le voyage. Et vous, occupez sa terre, plaine et bois, n’en sortez pas, quoi qu’il arrive, jusqu’à tant que du tort qu’il vous a fait, il vous ait donné bon gage. Celui qui sera chargé de ce message ne doit pas être un homme léger : il n’y faut ni couardise, ni lâcheté, mais prouesse, valeur et courage. » |
A ꝓu parlet teberz de uaubeton
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235. Après parla Tibert de Vaubeton[49] : c’était un excellent chevalier. Il portait le bouclier depuis plus de cent ans, et c’était un proche parent du roi Charles : « Il y a une chose, sire roi, qui ne me plaît pas : c’est qu’il y ait querelle entre toi et Girart, et que tu inculpes à tort ton baron avant de savoir de qui vient la faute. Mais crois en plutôt Aimon et ce que te conseillent tes barons. Envoie dire au comte, à Roussillon, qu’il vienne te faire droit en ta maison, comme son lignage le fit au tien. Qu’il amène comme otages le comte Fouque, Boson et Seguin de Besançon et cent chevaliers de valeur. S’il ne le veut faire, s’il dit non, rejette tout conseil qu’on pourra te donner, jusqu’à tant que tu le tiennes en ta prison. » Charles entendit ces paroles avec contentement : il appela à lui Pierre, le fils du sage Gautier, le frère d’Alon, ces deux derniers étaient fils de Tibert de Vaubeton. « Pierre, tu iras, de ma part, à Roussillon pour conter à Girart ce que tu viens d’entendre. — Je partirai, « répondit brièvement Pierre, « demain à l’aube. » |
Ve uos a ſon oſtal peirun tornat
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236. Voici Pierre de retour à son hôtel. Pendant cette nuit, on l’a fait reposer, on l’a rasé, tondu et bien baigné. Avant le lever du jour, il était bien vêtu et chaussé. Il était habillé à la mode de France, de telle manière que, quand je vous l’aurai dit et conté, vous penserez que ce n’était pas un pauvre homme. |
Brages ueiſt e chemiſe de chenſil
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237. Il mit des braies et une chemise de toile : jamais vous ne vîtes si fine étoffe qui, auprès de celle-là, ne vous parût vile, et ses bas[50] étaient du même fil. |
Cauces caucha dun paile aufrican
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238. Il mit des chausses d’un paile africain, des souliers vermeils ornés par devant d’une fleur ; il chaussa des houseaux de cordouan et des éperons d’argent doré. Je ne crains pas de me tromper en disant qu’en la cour de Girart où ces éperons iront, on ne verra personne mieux équipée. |
Vn pelicon ueſti tonu ermin Vait orar au moiſter a ben matin
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239. Il vêtit un pelisson d’hermine tout neuf, dans lequel étaient entaillés des animaux en marbre[51]. Il agrafa un manteau phrygien[52] de zibeline dont la doublure était d’un paile neuf teint en pourpre [avec une belle bordure.....[53]]. Il avait un anneau et des boutons d’or fin ; [ainsi vêtu à guise de palatin[54]], il alla de bon matin prier au moutier ; il entendit la messe que dit l’abbé, puis sortit [et se plaça] sous un pin. |
Peirres iſt del monſter cō at orat
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240. Pierre sortit du moutier après avoir prié et entendu la messe du bon abbé. Voici Gautier son père, le sage vieillard, qui le prit par la main, et, le conduisant sur un perron de marbre bien entaillé[55], le conseilla en homme sage. |
Gautiers de mun rabel paires peirun
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241. Gautier de Mont-Rabei, père de Pierre, est venu à la cour avec Nevelon, un comte de France qui tenait Soissons, et, quand il entendit parler du message que Pierre devait porter à Roussillon, il prit par la main son fils, l’amena tranquillement à un perron, et lui adressa avec douceur les conseils qu’il convient de faire entendre à un jeune homme qui va traiter avec un comte plein de fierté. S’il se conduit selon les avis de son père, il ne sera pas regardé comme un homme médiocre, ni fou ni écervelé. « J’ai la barbe et les moustaches chenues ; jamais en cour je n’ai éprouvé d’affront pour parole que j’aie dite ; c’est pourquoi je te conseille, beau fils, et te parle ainsi : |
Bel filz co diſt gauters uos la ireiz
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242. « Beau fils, » dit Gautier, « vous irez à Roussillon. Vous y porterez le message de Charles, et je vous recommande bien de le faire en telle manière que vous n’ayez blâme, quand vous vous retirerez. Le comte est fier et plein de mauvais instincts ; fils, puisse Dieu et sainte Foi vous aider ! Pour rien qu’il vous dise, gardez-vous de vous emporter, car ce ne sont pas les paroles qu’il vous dira qui feront que vous vaudrez moins. — Pour cela, » dit Pierre, inutile de me conseiller, car je m’exprimerai si bien, si j’en ai le loisir, si je ne suis pas tué par Boson ou par Mainfroi [56], par Seguin le comte ou par Joffroi, que jamais vous n’entendrez [parler de] message mieux accompli. » |
Quant gauters lat ſos paires chaſtiat
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243. Ayant ainsi reçu les instructions de son père Gautier et les ayant écoutées en homme sage et considéré, il n’est point merveille que Charles l’ait choisi entre tous, le sachant preux, sage, capable de bien parler. Sept fois il s’est battu en combat judiciaire, sans qu’une seule fois, les serments jurés, son adversaire n’ait été contraint à quitter le pré, mort ou vaincu. Tous les hommes d’un évêché mis ensemble ne réussiraient pas en un mois à le faire renoncer à son droit (?), à moins de le tenir prisonnier et lié. Aussi Charles l’a-t-il choisi entre tous, le sachant preux, sage et prisé, orateur expérimenté et habile : « Pierre, [lui dit-il] tu me feras cette ambassade ; tu diras, avec mesure, à Girart qu’il me vienne faire droit en ma capitale, que je serai toujours disposé à accomplir ses désirs, que notre amitié ne sera jamais plus rompue. Que s’il ne veut le faire, s’il me refuse, il ne verra pas se passer le mois de mai sans que je lui aie montré tant de heaumes fourbis lacés, tant de bons chevaliers chaussés de fer[57], qu’il ne trouvera refuge en château ni en cité, car je l’en ferai sortir de force. — Par Dieu, » répond Pierre, « je saurai bien le lui dire. |
Quar ꝑ la lei diſt peires [ke pros du]n col
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244. « Car, » dit-il, « par la loi à laquelle obéissent les hommes de bien, s’il plaît à Dieu, à saint Pierre et à saint Paul, je ne m’estimerais pas un loriot, si en la cour [de Girart] je ne fais entendre à tous, sages et fous, et au comte Girart tout le premier, pour peu qu’il le veuille, qu’il se soustrait, le tort étant sien, à Charles le roi. Et après cela, s’il me tient pour un homme vain ou insensé, je m’en soucierai, de lui ou de tout autre[58], comme d’un rossignol[59]. » |
A uos peiron ml’t ben entalentat
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245. Voici Pierre bien disposé à accomplir de son plein gré le message. Il n’a pas l’air d’un homme de pauvre condition ; son savoir montre assez entre quelles gens il a vécu. Il ménera un mulet amblant, et conduira en dextre un cheval rapide. Il portera un équipement si riche que vous pourriez bien parcourir le royaume pendant une année avant d’en avoir trouvé un si bon. Béni soit Olivier qui le lui a donné, car il en aurait pu avoir tout l’or d’une cité ! Pierre monta en une chambre, et vous allez entendre de quelles armes on l’arma. |
Egal pas len poierent en un ſoler E ac aſt e lance de berengier
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246. Aussitôt on le fit monter en une chambre, et là on l’arma comme un chevalier. On le revêtit du haubert fort et léger que Charles rapporte de Mont-Gangier[60]. Il était fait d’argent et de fin or cuit, la moitié était à échecs, l’autre à quartiers[61] ; il avait été fait en Inde... ; c’est là que deux ouvriers en hauberts le fabriquèrent avec art. Deux marchands l’apportèrent en France [et le donnèrent à Charles dans Rivier[62]]. Il ne pesait pas plus qu’un seul garnement, mais il était à l’épreuve des carreaux d’arbalète. [Pierre laça ensuite un heaume d’acier fin[63]], et ceignit l’épée[64] qui appartient à Didier[65] ; jamais vous ne vîtes arme d’aussi bon service. Il mit à son col une targe de...[66] ; la boucle[67] et les clous depuis la pointe[68] étaient d’or cuit d’Arabie merveilleusement brillant. Il avait la lance de Bérengier [à laquelle était fixé un gonfanon grand et traînant[69]]. Il n’enmena avec lui aucun autre compagnon que son neveu Acelin, le fils d’Aschier. C’est celui-ci qui mènera son bon destrier, un cheval à la robe claire et tachetée, de Balaguer[70]. Il n’y avait pas en France un coursier qu’on estimât, au prix de lui, un sommier[71] ; son frein était tel qu’on n’eût pu souhaiter meilleur [72] : onques vous ne vîtes si bon ni si léger. Les arçons de sa selle et les étriers étaient ornés de pierreries et d’or pur... Pierre eut cet équipement d’Olivier qui n’aurait pu, par tout l’empire, en faire un meilleur emploi. |
Cheual e mul a bon e garnement
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247. Il avait un bon cheval, un mulet, un équippement qui en valait plus de cent d’autres. Il entra en la salle où il y avait grande affluence : des barons de la terre on y comptait plus de sept cents. On jugeait un procès entre un évêque et un comte ; le roi était assis en un fauteuil de pur argent, et Pierre s’était agenouillé avec déférence : « Veuillez [dit-il] me faire savoir vos intentions : que manderez-vous au comte ? — Volontiers, » dit Charles, « attends un peu ; prête toute ton attention à ce que je te dirai, car celui-là est un mauvais messager, qui rapporte mal les paroles qu’on lui dit. » |
Co me direz au conte dan girart
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248. « Pierre, vous me direz au comte Girart qu’il vienne me faire droit selon mon gré[73], à Reims, ou à Saint-Médard de Soissons, se soumettant au jugement du comte Richart, de Gace de Dreux ou de Brochart. Qu’il amène avec lui Seguin et don Bernart, et Fouchier le maréchal qui est plein d’artifices. Personne ne les peut mieux guider en mon nom en toute sécurité que tu ne peux le faire, si tu le veux. » |
Lo me diraz au conte que eu li mant
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249. « Tu me diras au comte que je lui mande de venir faire droit à mon gré. Il y a trop longtemps qu’il se comporte mal envers moi, et cela commence à me peser. Emploie-toi activement pour moi en cette affaire. — Je suis tout prêt, » dit Pierre, et je pars, donnez-moi congé. » |
Car peires en iuret ſon ſaigꝛment
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250. Pierre ayant fini de s’entretenir avec le roi, prend congé de lui et des autres barons. Il sortit de la salle, descendit les degrés, échangea quelques mots avec son père, le baisa, et partit avec un air riant. Le père le recommanda de bon gré à Dieu le rédempteur tout-puissant. Des chevaliers jusqu’au nombre de cent montèrent à cheval, voulant l’accompagner, mais il le leur défendit, jurant qu’aucun ne le suivrait seulement un arpent. Ceux-ci se retirent un peu mortifiés, et Pierre, piquant son mulet, poursuit sa route, |
Lo gant chemin tient paires lo plus plenier
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251. Pierre suit le grand chemin, décidé à n’en pas dévier d’une ligne pour ennemi qu’il puisse rencontrer. De ses journées je ne vous ferai pas le compte. Il entra à Roussillon par le premier pont, et descendit à la voûte sous le clocher. Cent chevaliers accoururent pour recevoir ses armes. Il confia son épée à son écuyer, et entra au moûtier pour prier. |
El moneſter ſes peires breu orazon
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252. Pierre fit dans le moûtier une brève prière, mais ce qu’il dit était bon. Il prie sainte Marie et Dieu du ciel de ne lui laisser dire aucune parole qui puisse le faire passer pour un homme téméraire ou léger, ni que Girart puisse prendre pour une insulte. Puis il se signe et sort. Son compagnon l’attendait à la porte. Il reprit son épée, la remit au fourreau et traversa la place au petit pas. Là il rencontra le comte Etienne, Robert, Guillaume, Aimenon[74], Ranoul, Thibaut, Ace, et comme ceux-ci s’apprêtaient à l’interpeller, Girart, qui parlait à Doitran, à Fouque et à Boson, le comte d’Escarpion, les laissa tous en voyant Pierre, et, se levant, lui adressa la parole [lui demandant des nouvelles du roi Charles, s’il l’a laissé à Paris ou à Soissons[75]]. |
Gerarz dreca en piez quāt peirō uit
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253. Girart se leva, quand il vit Pierre ; il le prit par le poing, le fit asseoir près de lui, et lui demanda quand il avait quitté Charles, et s’il en avait des nouvelles, maudissant quiconque ne lui en dirait pas la vérité. — « C’est à Paris que je l’ai laissé, » répond Pierre. « Il te fait dire par moi que c’est toi qui as comploté le meurtre du duc Thierri d’Ascane. Celui, quel qu’il soit, qui a pris part au complot ou l’a laissé faire, ou a porté la main sur le duc, si tu ne le bannis pas de sa terre, le roi te fera la guerre. » Girart, lorsqu’il entendit ces paroles, fut affligé. Il se tourna vers Fouque avec un sourire feint. |
Peires ſas autres noues de par lo rei E meina de tos omes meilors a tei
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254. « Pierre, as-tu d’autres nouvelles de la part du roi ? — Celles que je sais, je ne les dois pas cacher. Mon seigneur, te mande, et je te le répète, que tu ailles lui faire droit en sa merci, à Soissons, ou à Reims à Saint-Remi. Mène avec toi, de tes meilleurs hommes. Et ne doutez pas qu’il vous jugera comme on doit juger un comte tel que vous. — Si j’y vais ! » reprit Girart[76]. |
Girart carles uos mande iſta raiſon
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255. — Girart, Charles vous mande ceci : que vous lui alliez faire droit à sa résidence [à Paris ou à Chartres[77] ou à Soissons[78]], comme tes ancêtres l’ont fait aux siens[79]. Menez avec vous le comte Boson, Seguin le vicomte de Besançon, menez y le marquis Fouchier, et, à titre d’ôtages, le comte Fouque et cent bons chevaliers. N’y manquez pas, sous aucun prétexte : là seront ses hommes et ses barons, qui entendront ta cause et jugeront si tu as droit ou non. Et ne redoutez aucune insulte, ni de la part de mon seigneur aucune trahison ! Il n’y songerait pas, au nom de Dieu du ciel, quand on lui donnerait autant d’or cuit, autant de mangons[80] qu’on en pourrait mettre en ce donjon. — Pierre, va loger chez Aimenon[81] : au matin, quand le soleil paraîtra au firmament, je te dirai si j’irai, oui ou non. » |
Ob aimenun arberie peires la noih
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256. Pierre va loger la nuit chez Aimenon, un homme sage, aimable et instruit dans la loi, qui lui donna ce soir-là bien dix huit sortes de mets [des châtaignes cuites en braise et d’autres fruits[82]], du piment, du vin, des gaufres et du biscuit, [et, par dessus tout cela, d’un fort vin cuit[82]]. |
Ab aimenun uiat peires arberiar
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257. Pierre va loger chez Aimenon, un homme qui entend l’hospitalité. On met à l’étable son cheval et son mulet, on serre son haubert et son heaume. Les tables servies, on alla manger. Aimenon fit servir de la viande de chevreuil et de sanglier, de la volaille, du poisson de mer, et fit boire à son hôte du piment et du bon vin clair. Pierre était tout las d’avoir chevauché : on fit les lits, ils allèrent se coucher, et Aimenon amena à son hôte une fille pour le tâtonner[83]. Cette nuit Pierre resta au lit jusqu’au grand jour. Alors il se vêtit et chaussa, puis il se rendit au moûtier pour ouïr la messe. Girart, de son côté, convoqua ses barons. |
Girarz en roſſillon de ſobre ſeina E ſel ꝑ ſon orguel prendre nol deina
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258. Girart est à Roussillon sur Seine, en une chambre voûtée aux murs cimentés. Il a mandé les barons de ce pays : il n’y a bon chevalier qui ne vienne à lui : « Seigneurs, qui sait conseil ait garde de le cacher : Que dois-je faire à l’égard de Charles, mon seigneur, qui de ma terre ne veut pas laisser subsister trace ? » Guillaume d’Autun ne voulut pas celer sa pensée : « Fais droit à ton seigneur dans la mesure convenable, à Reims, à Soissons ou à Compiègne ; et si, par son orgueil, il ne le daigne prendre, fais de sa guerre autant de cas que d’une châtaigne, et prie Dieu de te venir en aide, et il le fera sans qu’il t’en coûte rien. » |
Girarz fu en ſa cābre ꝑ conſellar
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259. Girart était dans sa chambre pour prendre conseil ; il fit entrer ses hommes les meilleurs, puis il se prit à les conjurer[84] : « Mes amis, mes hommes, et vous mes pairs, me saurez-vous donner conseil sur ceci ? Charles le roi me mande de lui aller faire droit à sa résidence, à Reims ou à Soissons, menant avec moi mes meilleurs hommes, comme garantie du droit[85], si je ne puis m’acquitter. — Vous n’en ferez rien, » dit Boson, « si vous en croyez le conseil que je vous donne, ne vous fiant à la sauvegarde d’aucun bachelier[86] ; car hier soir m’est venu un message, arrivant du conseil tenu à Mont-Guinar. Charles, le roi de France, veut vous trahir. Il y est poussé par Armant de Bisclar[87], Ace d’Avignon, Gui de Beuclar, pour venger la mort du duc Thierri que Charles avait si cher : jamais homme n’eut pour un autre telle affection. — Par mon chef, » s’écria Girart, « je m’en garderai bien. Malheur à qui voudra s’y rendre jusqu’à ce qu’il vienne, comme guide, un comte, un vicomte, un riche baron ou un évêque[88] ! » |
Ai bos co reſpont folco no lo direz
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260. — Ha ! Boson, » dit Fouque, « c’est une parole malheureuse ! Si Dieu et la sainte foi vous sont en aide, ne chargez pas Charles d’une telle honte. Il ne formerait pas un tel projet pour autant de terre que vous en ayez jamais pu avoir. Gardez-vous de conseiller à Girart votre seigneur de ne point se rendre cette fois à la cour de Charles. Si Girart va à la cour, allez-y aussi ; s’il y faut ôtage, soyez-le ; s’il est besoin d’argent, fournissez-le ; car, si Girart perd, vous perdrez aussi, et s’il pleure, vous ne rirez pas. » |
Tot lo mellor conſel queu m̄ ſai
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261. « Le meilleur conseil que je sache je vous le dirai en vérité, » dit Fouque. « Le roi tiendra sa cour à cette mi-mai[89], et ses meilleurs barons y seront, je le sais. Puisque Charles nous y mande, allons-y. Si Girart y va, je l’y suivrai ; s’il faut un ôtage, je le serai ; s’il est besoin d’argent, je le fournirai, car, si Girart perd, je perdrai aussi, et, s’il pleure, je ne rirai pas. « |
Gilberz de ſenesgarz fiz nodelon
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262. Gilbert de Senesgart, fils d’Odilon, frère du comte Boson, de Fouque, de Bernart, de Seguin de Besançon, cousin germain de Girart et neveu de Drogon, prit la parole, et vous entendrez comme il sut bien exprimer sa pensée : « Par Dieu ! frère Boson, écoute-moi, je t’en conjure par le Seigneur qui réside au ciel, ne donne pas à Girart le conseil de s’abstenir d’aller faire droit à Charles son seigneur. Les autres[90] y verraient une insulte, et le lui imputeraient à trahison ; mais qu’il lui aille faire droit, puisque Charles l’en semond ; que le roi le retienne comme son homme, car, entre tous ceux de son royaume, Girart est le meilleur baron. Si alors le roi refuse, s’il dit non, s’il exerce des vexations contre nous, je te[91] viendrai en aide, moi, sans rien prendre du tien. J’entretiendrai chez toi mille chevaliers sans te demander la valeur d’un mangon[92]. » Girart dit : « Je suis prêt à aller faire droit. » Mais Boson s’avança et soutint l’avis contraire. |
Dam bos ſalit en pez a une part
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263. Boson se leva et parla ainsi : « Écoute, Gilbert de Senesgart ; donne à ton seigneur Girart de meilleurs conseils, à regard de Charles, le roi de France, ce chien, de Hugues, duc d’Aquitaine[93] et de Bérart, qui veulent le perdre, lui et Guinart[94]. Si le comte y va, ce ne sera pas sans risques. » |
E gilbers quant loit uai ſe ſeder
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264. Gilbert, ayant entendu ces paroles, s’assit. Bernart se leva et dit sa pensée : « Par Dieu, sire Boson, je dirai la vérité et donnerai bon conseil à qui voudra le croire. Il n’est en ce jour homme si puissant que Girart ne le soit plus encore ; car, s’il mande ses hommes, comme il le peut, je ne crois pas que personne ose l’attendre en bataille ou maintenir une ost sur sa terre. Et pourtant, si on voulait en croire mon conseil, demain soir on se mettrait en route pour la cour, car ainsi la guerre pourrait être empêchée si complètement que jamais plus vous n’en ouïriez parler. » |
Landriz li cons aqel qui tēc niuerz Dreit ne lei ne iuſtiſe uos nō tinez
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265. Le comte Landri, celui qui tenait Nevers, était présent au conseil. Il se leva et parla à Girart en homme sage : « Pourquoi voulez-vous faire une folie ? — Moi, laquelle ? » dit Girart. « Dites-le-moi. — Volontiers, puisque vous le voulez. Quand vous demandez conseil à vos meilleurs hommes, vous ne savez plus, lorsque vous les quittez, prendre une résolution, ni démêler, dans ce que vous entendez, le sage conseil. Je vous dirai votre fait, Girart, et, si vous vous irritez, je m’en soucie comme d’un œuf, car ce que j’en dis, c’est pour votre bien. Vous ne maintenez ni droit, ni loi, ni justice. Quiconque se plaint à vous est reçu avec des railleries ; c’est là ce qu’il y a en vous de pis. Mais, par le Dieu qui vous fait vivre[95], si vous ne déposez l’orgueil, la hauteur, l’injustice, la mauvaise foi qui sont en vous ; si vous ne faites entrer en votre cœur la pensée de Dieu, qui, tandis que vous vivez, vous tient en honneur ; si vous ne servez pas mieux Charles, votre seigneur, vous perdrez vos grandes possessions : de cent mille hommes il ne vous en restera pas dix, de votre grande terre, pas une cité ni une ville. — Par mon chef ! » dit Fouque, « vous dites vrai ; et si vous avez dit une parole fausse, maudite soit-elle ! |
Duna rien co diſt folco ſui ml’t dolenz
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266. « Il est une chose », dit Fouque, « qui m’afflige beaucoup : vous êtes là à écouter, et vous ne comprenez rien. Tu traites Charles de mécréant, tu sais, dis-tu, qu’il veut te trahir. Alors mande tes hommes et tes parents, donne-leur des châteaux, des fiefs, des hauberts, des chevaux, des équippements ; mais ne laisse pas pour cela de lui offrir le droit. Si, par sa folie, il ne le veut prendre, que celui qui te fera défaut soit considéré comme lâche, et toi comme un sot et un poltron si tu ne le lui fais payer cher ; car, si Dieu t’aide, et si le droit est avec toi, ni Charles ni les siens ne te pourront vaincre. » |
E dan bos quāt loit pren la peſar
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267. Boson entendit ces paroles avec peine. Il se leva et prit la parole : « Fouque, ne parlez point ainsi : ce n’est pas là un conseil digne, et il ne convient pas que mon seigneur s’y conforme. Mon avis serait, si Charles voulait venir près d’ici, que nous allassions nous expliquer librement avec lui. J’irais disculper mon seigneur, et je ne crois pas qu’il y ait chevalier qui ose, pour son droit[96], frapper mon écu[97]. — Nous pouvons nous en tenir à cet avis, » dit Girart. Le conseil était donné, il ne restait plus qu’à le mettre à exécution. On plaça les mets sur les tables et on alla manger. |
Quant unt maiat ſin preſtrēt fors a iſſir Co que mandera carle enque la dir
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268. Après avoir mangé, Girart et les siens allèrent sur l’esplanade, devant la salle pour se divertir. Qui savait chanson ou fable se mit à la dire, tandis que les chevaliers s’asseyaient et écoutaient. Girart et les siens s’amusèrent jusqu’à ce que la fraîcheur de la nuit se fit sentir. Le comte demanda le vin et alla dormir. Le lendemain, au point du jour, il se leva. Ses damoiseaux l’aidèrent à se vêtir. Il alla ouïr la messe au moûtier, puis, ayant fait venir à lui le messager, il lui fit connaître sa réponse à Charles : |
Peires tu ten iras a ton ſeinor
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269. « Pierre, tu t’en iras à ton seigneur, à Charles, roi de France et empereur ; tu lui diras, de ma part, en l’amour de Dieu, qu’il m’est pénible de voir qu’il n’a pas pour moi l’estime qu’avaient pour mon père ses devanciers. C’est moi qui devrais guider son ost de France, porter en bataille son oriflamme, donner dans sa chambre les conseils les plus autorisés. Mais tout cela m’a été enlevé par ses traîtres, les vilains, les lâches, les trompeurs, de sorte que je suis retranché de son amitié. Je suis prêt à soutenir par bataille contre le plus vaillant, contre celui qui se fait en cette affaire le conseiller de Charles et me fait passer à ses yeux pour un trompeur, que lorsque Boson a tué Thierri, son ennemi[98], il ne m’en a dit mot, ni moi à lui ; que je ne lui ai donné retraite ni en château ni en tour ; qu’il n’y a donc motif pour que je soie forfait[99] envers mon seigneur, ni pour qu’il m’enlève un mas de ma terre. » |
Si dˉs maiut diſt peires or en eu gaich
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270. « Si Dieu m’aide, » dit Pierre, « tu plaisantes quand tu dis n’avoir envers le roi aucun tort pour lequel il puisse mettre ta terre en forfait ! Puisque vous l’affirmez si fort, allons au plaid que le roi de France tiendra à cette mi-mai ; là seront ses comtes et ses officiers[100] qui jugeront le droit. Faites cela ! — Malheur sur moi ! » dit Girart, « si j’y vais, si je m’équippe pour une pareille affaire ! Tu sais bien que le roi m’a dressé un guet-apens. Mais avant cela, il y aura encore mille écus brisés, sept cents damoiseaux seront désarçonnés et jetés à terre, les épées frapperont des milliers de coups contre lesquels les heaumes et les charmes[101] seront impuissants à protéger les têtes. J’ai à me venger des torts que m’a faits Charles ! |
Peires n̄ pois mutar n̄ ten apel Car moſet enuair uol len apel
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271. « Pierre, je t’en prends à témoin : Charles n’a pas eu d’affaire que je ne me sois mis en selle, que le premier, je ne me sois rendu à son appel, courant à l’assaut des villes et des châteaux. Cette chair, cette peau, y ont été blessées de coups de lances, d’épée, de carreaux. Si j’y ai éprouvé des pertes, mon seigneur en a eu profit. Et voilà qu’il me mande une nouvelle exigence : que je ne revendique (?) pas le fief qui fut celui de mon père[102] ! Le me voyant tenir depuis si longtemps, le roi veut me plumer comme le faucon fait d’un oiseau. Mais il n’aura pas vu la fête Saint-Michel, que je lui ferai voir une troupe d’hommes armés qui ravageront sa terre comme le loup une bergerie. Don Pierre, vous me direz à Charles Martel que jamais il n’a ôté de son manteau un tel morceau de fourrure (?)[103] c’est pour son malheur qu’il a eu une telle idée, le félon ; puisqu’il ose m’attaquer, à mon tour je le défie ! » |
Girarz ke demandez au rei carlon
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272. « Girart, que réclamez-vous au roi Charles ? — Moi ! la mort de mon oncle Odilon, celle de mon père, le duc Drogon, tous deux tués par le duc Thierri en Vaubeton. Il nous jette hors de sa fidélité[104], moi et Boson ; sans motif, il occupe notre terre : s’il ne me fait pas un accord qui soit bon, porte-lui notre défi. » |
E peires quant loit ſi ſen ennance
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273. Pierre, entendant ces mots, fit un pas en avant. Il lui parut qu’il y avait là de l’orgueil, de la colère, de la rancune, de la haine, de la malice, de la folie : « Oses-tu bien mander un tel défi à ton seigneur ; le charger d’un tel grief ? C’est lui qui a voulu qu’accord et mutuel pardon eussent lieu. La paix avait été faite en Vaubeton. Par la mort de Thierri, le duc d’Ascane, que votre cousin Boson tua de sa lance, vous avez recommencé la guerre. Le plus gros de la perte sera pour vous, et vous finirez par faire droit au roi point par point. » |
Drai o tot don peires de mont rabeih
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274[105]. — Je vais te dire une chose, Pierre de Mont-Rabei, tandis que je te vois ici. Charles me fait grand tort et grande injustice en me mandant de venir faire droit à Soissons, ou à Reims, à Saint-Remi. Avant qu’il ait mis la main sur ma terre, il y a une chose dont il peut être sûr[106], c’est qu’il n’est pas près d’obtenir droit de moi, si d’abord il ne me tient prisonnier à sa discrétion. — Tant pis ! » dit Pierre. |
E peires qant loit a cor gainart.
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275. Pierre, entendant ces mots, se sentit le cœur irrité. Il avait la prestance d’un empereur, le regard d’un léopard. Il parla comme fit le comte Bernart, celui qui fut élevé par le duc[107] Berart : « Je vous dirai une chose, Girart : ne faites pas comme fit le vieux Foucart, un comte félon de Saint-Médard, qui trompa trois seigneurs et encore un quatrième, mais ce dernier lui donna enfin sa récompense en lui enlevant sa terre. Je vois ici Auchier et don Guinart, Armant le duc de Frise, et le comte Acart[108] ; il n’y a parmi eux si preux ni si vaillant, que je ne sois prêt à combattre avec lui. On n’a pas le droit de qualifier le roi de trompeur. Il ne saurait en aucune manière rien machiner qui pût mettre un homme se rendant à sa cour dans le cas de se garder de lui. » |
E don bos qant [loi]t fun peſancos Saiſi peires ſen torne iſt orgeilos
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276. Don Boson, lorsqu’il entendit ces mots, fut saisi de colère. Il ne put supporter d’entendre Pierre parler ainsi. Il jura le nom de Dieu, le glorieux, que Girart et sa mesnie étaient des lâches, si Pierre, cet orgueilleux, s’en retournait librement. Pierre répondit avec douceur, comme bon guerrier sage et expérimenté : « Que dites-vous, sire comte ? Calmez-vous ! il ne convient pas qu’un si puissant comte ait tête légère et sens d’enfant. Par le seigneur Dieu qui règne au dessus de nous, je me soucie de vous et de votre orgueil comme d’un bout de bois. Si nous étions tous deux dans les prés, là-bas, vous brûlant de vous battre, pourvu que nous fussions seuls, jamais vous n’auriez été secoué comme vous le seriez. » Sans Fouque, Boson allait se jeter sur lui. |
E dan bos qant loit cuit que ſair
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277. Boson, à ces mots, devint furieux. La colère lui fit pousser un soupir. Il se leva de la place où il était assis, et voulut se précipiter sur Pierre, mais Fouque, son frère, courut l’arrêter. Soit orgueil, soit colère, peu s’en fallut qu’il ne fît une grande folie. |
E peires fu iraz e a li dit
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278. Pierre, irrité à son tour, lui dit : « Sire comte, vous m’avez fait voir de quoi vous êtes capable ; peu s’en est fallu que vous ne m’ayez frappé, mais Dieu et le comte Fouque m’ont protégé. Tu as outragé le roi Charles, et fait plus de honte encore à ton seigneur, quand ainsi, sous ses yeux, tu m’as assailli. Mais n’allez pas croire que le roi l’oublie ! Vous ne verrez pas le mois s’écouler sans qu’il conduise sur vous cent mille hommes. » |
E don bos ſiraſquet a peirun diss
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279. Boson s’irrita et dit à Pierre : « Don Pierre, si vous n’étiez pas envoyé en ambassade auprès de mon seigneur, et si Fouque, mon frère, ne m’avait retenu, je vous aurais donné un tel coup par le visage, que les yeux vous seraient sortis de la tête. Que ton seigneur et toi soyez bien certains de ceci. Le temps où les prés fleurissent ne se passera pas sans que nombre de bons chevaliers soient occis, tués ou pris du premier coup par mes armes. » Pierre le regarda et se mit à rire : « Que savez-vous, don comte, si vous en sortirez vivant, s’il sera alors question de vous ? Mont-Amele[109], bâti en pierre grise sur la roche, n’est pas si haut perché qu’on ne puisse faire tomber la peinture et le vernis [des boucliers]. Des plus forts chevaliers de la garnison, des plus preux, des plus renommés que vous aurez, le sang coulera, jaillissant à travers les hauberts, et je me proclamerai mauvais et indigne si cela n’a pas lieu avant la fin de l’été. » |
Don bos deſcarpion drecet el ſol
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280. Don Boson d’Escarpion se leva ; la colère le fit parler. On a la tête pelée, quand on n’a plus mal aux dents[110]. C’est pour toi, Girart, que je dis cela, pour toi que le roi tient pour fou. Car il t’a trouvé si faible, si mou, qu’il t’a tué ton père, et t’enlève ta terre. Qu’il te souvienne de la parole que dit mon grand-père, quand il tua Elmon le fils de Turol[111]. Laisse-moi pendre ce messager... ou lui donner de mon épée par le cou, et tenez-moi pour mauvais si je ne lui enlève pas la tête. — Vous parlez toujours en fou, » dit Pierre. |
Si o dizez diſt peires ne queu ſendre
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281. « Ce que vous dites, » dit Pierre, « je ne veux pas y faire attention[112], car vous parlez comme un enfant. Vos conseils sont par trop d’un jeune homme. Un chevalier accompli doit être plein de sens ; il ne doit pas faire service à son seigneur lige de paroles vaines[113]. Vous n’êtes pas si haut que mon seigneur[114] ne puisse, s’il le veut, vous faire descendre bien bas. Vous ne m’entendrez plus, désormais, disputer avec vous. « |
De lautre part eſtait uiſcons ſegis
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282. De l’autre part, se tenait le vicomte Seguin, qui parla à Pierre en homme sage : « Pierre, vous...[115] Onques chevalier ni messager que le roi nous ait envoyé ne nous dit rien de tel. Ce sera grande merveille si tu t’échappes vivant. Et, si tu y réussis, prends bien garde à toi ! L’été ne sera pas fini que nous serons à Orléans ou à Paris ; et nous bloquerons la porte pendant trois jours, jusqu’à ce que nous ayons saccagé les vergers, comblé les sources et...[116]. Je ne vêtirai pas fourrure de gris jusqu’à ce que le roi se batte, à moins qu’il se dérobe. » |
E peires parla ben e ſe[n]s mentir |
283. Pierre parla bien et franchement : « Seguin, cette parole que je vous entends dire doit être mûrement considérée par le comte Girart. Le comte qui, à tort, dans un moment de colère, engage une guerre contre son seigneur lige, fait (qu’il y réfléchisse !) une action mauvaise et félonne, orgueilleux des forces qu’il peut rassembler. Mais, quand il voit un plus fort venir sur lui, trancher ses vignes, déraciner ses arbres, dévaster sa terre, en faire un désert, quand il voit enlever ses châteaux d’assaut, enfoncer ses murs, combler ses puits[117], prendre ou tuer sa bonne mesnie ; le conseil sur lequel il s’est reposé commence à lui manquer, et ses barons se dispersent et s’éloignent. Quand il n’a plus rien à donner ni à recevoir, alors il ne peut plus faire la guerre ni résister plus longtemps, et, pour un riche homme, c’est grande honte que de se rendre (?). Pensez à ce que vous m’entendez dire, Séguin, maintenant que vous êtes au moment de prendre une décision. » |
Folco a le cor irat e triſte e grev
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284. Fouque avait le cœur affligé, triste et gros. Il s’est levé d’un banc où il était assis : « Seigneurs francs chevaliers, je vous le déclare, je tiens Charles pour un juif[118], d’avoir agi avec autant de légèreté à l’égard de mon seigneur. Sans lui avoir d’abord envoyé lettre ni bref, il a saisi sa terre et pris mon fief. » Les barons répondent : « Il a agi avec trop de légèreté, et il le paiera cher, par Dieu ! avant que passe la saint Remi[119]. » |
Peires parla a lei dome ca gant ualor
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285. Pierre parle en homme de grande valeur ; il ne semble ni fou, ni sot, ni trompeur : « Fouque, laisse la colère et la rancune ; qu’il te souvienne de Dieu le Rédempteur ! Homme qui s’irrite outre mesure est mauvais ; mais donne à Girart un meilleur conseil, afin qu’il fasse la paix avec Charles l’empereur. Qui n’observe pas la fidélité envers son seigneur perd ses droits sur son fief et sur sa terre, et, s’il vient en cour, il y est honni. » |
Lo cons girart les ot ꝓuerbiar
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286. Le comte Girart les entend se quereller ; il leur commande aussitôt de se taire : « Fouque, cessez désormais ce débat ; il est vilain de faire ainsi des menaces de guerre. On verra bien, lorsqu’on en sera à la chevauchée, qui fera le mieux, qui sera le plus dur à la peine. Et toi, Pierre, ainsi puisse Dieu t’aider ! pas un mot de plus, mais prépare-toi à partir sur-le-champ. |
Girart manderez carle nula ren al
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287. — Girart, vous n’avez rien de plus à mander à Charles ? — Si fait : s’il y consent, je lui propose un plaid général, aval dans la vallée, sous Saint-Vidal. Je lui ferai tout droit, si je lui ai fait tort, et que mon seigneur agisse de même à mon égard. — Tout ce que vous dites, » reprend Pierre, « ne vaut pas un œuf. Que mon seigneur soit maudit de saint Martial s’il ne vous enlève une cité d’ici à Noël ! et, je ne le priserais pas un berger[120], s’il ne vous donne pas l’assaut jusqu’à la palissade. » Là-dessus il allait monter à cheval, quand Fouque lui dit : « Arrêtez ! nous allons parler d’autre chose. » |
Giberz de ſeneſgarz e folco ſos fraire
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288. Gilbert de Senesgart et Fouque son frère, et Girart, leur cousin, qui était le plus puissant d’entre eux, se sont tous trois appuyés à un mur. Fouque parla le premier : « Par Dieu ! cousin Girart, tu n’agis pas bien (?), mais fais connaître à ton seigneur ta pensée ; dis-lui que tu lui feras droit comme fit ton père, à condition qu’il te donne un sauf-conduit jusqu’à sa résidence[121]. S’il se refuse à le donner, c’est qu’il ne t’aime guère. Ainsi, tu peux bien te disculper envers lui. » |
Folco apela peiron oent bernart Peires diiaz al rei de n͞r͞e part
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289. Fouque interpella Pierre en présence de Bernart : « Pierre, dites au roi, de notre part, que nous lui ferons droit pour don Girart, mais que, sans retard, il nous fasse conduire en toute sécurité[122]. |
Per deu co reſpont pieres iſ plait n̄ cuel
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290. — Par Dieu ! » répond Pierre, « voilà une convention que je n’admets pas. Le roi trouvera que c’est grand orgueil de demander un sauf-conduit, quand je m’offre à vous conduire[123]. Girart n’a rien à redouter s’il se met en route avec moi, ni lui ni quiconque prendra place dans la résidence du roi. Ceux qui donnent à Girart un tel conseil font preuve de folie, et moi plus encore quand je les écoute. » À ces mots, il franchit le seuil, monta à cheval et se dirigea vers un bois. |
Peires part de girart iradement
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291. Pierre quitta Girart avec colère ; il avait bien accompli son message, à son jugement. Il se rend à Saint-Denis où le roi l’attend. Charles a entendu la messe à Saint-Vincent. Pierre descend à l’ombre, au dehors. |
Carles ot les matines iorz eſclarcis
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292. Charles entend les matines : le jour luit clair. L’archevêque Hervieu dit la messe. Après l’avoir entendue, il sort et s’asseoit sur un fauteuil. Autour de lui prennent place les barons du pays, et il n’y en a aucun qui ne soit bien vêtu, qui n’ait peaux de martre ou robe de gris : « Seigneurs, écoutez-moi, » leur dit Charles ; « cette nuit je n’ai pas dormi un moment, à cause du meilleur chevalier que j’aie connu, Pierre de Mont-Rabei, que j’ai envoyé là-bas. Mais, par saint Pierre, si Girart fait tant que le frapper, malheur à lui si ses yeux rencontrent mon visage ! » Alors répond Gautier de Mont-Cenis, le père de Pierre[124] : « Je voudrais que Girart lui donnât un tel coup que le sang jaillit, que j’eusse à combattre avec lui, que je le prisse et le misse en votre prison où vous le tiendriez quatorze jours[125]. — Je le sais, « dit le roi, « je n’ai pas été avisé, mais alors il n’était pas mon ennemi et Drogon était maître de la Bourgogne. Si jamais je le tenais, je serais en sécurité[126]. — Il sera trop tard quand vous le tiendrez, » dit Gautier. À ce moment, Pierre descend de cheval, et, en le voyant, Charles fut tout joyeux. |
Peires ſai ueres noues de dan girart
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293. « Pierre, savez-vous des nouvelles de Girart ? — Oui, comme d’un félon et d’un chien[127] : maudit soit-il de saint Médard[128], » a-t-il dit, « s’il ne met pas à feu la moitié de la France, s’il ne prend pas sa part de ce qu’il y a de mieux ! — Il en a menti, le couard, » dit Charles, « car, si je l’y trouve, par saint Léonard, jamais en aucun lieu il n’aura couru tel danger ! »[129] |
Carles ueit ſon meſſage con es uenguz Quel drez lai nō es faiz ne coineguz
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308.[130] Charles voit comment son messager est revenu, que là[131] droit ne lui sera ni fait ni reconnu, qu’aucun présent ne lui a été envoyé ni promis. Il a mandé et convoqué ses hommes, mais il ne les a pas attendus tous : il en avait bien trois mille, armés de l’écu. Avant que le jour fût levé, que le soleil brillât, il les avait amenés sous Mont-Amele. Jamais château ne fut mieux attaqué, ni mieux défendu par ceux du dedans. Grande est la puissance de Charles, et par vive force il les a tous pris. Il s’est établi au sommet du donjon le plus élevé. |
En la cambre a ū conte do manaſſer
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294. Dans la chambre il y a un comte, don Manecier, qui se prit à conseiller le roi : « Sire, faites taire tout ce monde, calmez le bruit et le tumulte, faites asseoir ici Pierre ; et toi, Pierre, puisse Dieu t’aider ! dis-nous la vérité. Il ne faut pas que tu dises des mensonges par malveillance. — Je n’en ferai pas, » dit Pierre, « aussi vrai que Dieu me laisse entrer dans ce moûtier ! » |
Peires ſiſt dan lo rei en faudeſtol
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Ere eſcoutet les noues ke peires diç
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296. Or, écoutez les nouvelles que Pierre dit : « Seigneurs, ce fut un jeudi que j’accomplis mon message. J’avais garni mon corps de bonnes armes, je menais un bon coursier, et je montais un bon mulet dur à la fatigue. Mon écuyer était preux et.....[134]. J’entrai à Roussillon par le pont voûté et descendis à l’orme[135], sous la vigne. J’entrai dans le moûtier[136] que vous fîtes[137], je priai sainte Marie, mère de Dieu de me protéger contre la tromperie ou l’insulte. Girart parlait à ses fidèles[138]. Là étaient Fouque, Doitran le vaillant (?)[139]. Je fus aussitôt admis dans leur conversation. Girart demanda des nouvelles..... « Pierre, puissent Dieu et saint Félix te venir en aide ! Quelles nouvelles m’apportes-tu de Charles, le roi de France ? » Et je lui répondis vivement d’aller à la cour, en tel appareil qu’il n’y fût pas méprisé ni avili, comme son lignage avait accoutumé de le faire de tout temps, et que je le prendrais volontiers sous ma sauvegarde[140]. |
Ere eſcoutaz les noues queu dicere Menez boſun lo conte queu gidere
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297. « Écoutez les nouvelles que je dis. Ce sont les propres paroles que je prononçai : « Girart, Charles vous mande, je ne vous trompe pas, de vous rendre à sa cour sans faute ; emmenez Boson le comte, sous ma sauvegarde, le marquis Fouchier, comte de Brieire[141]. Le roi vous fera réparation de tout le dommage que vous pourrez avoir souffert. — Par mon chef ! » dit Girart, « je n’irai pas jusqu’à tant que je lui aie fait payer cher le mal qu’il m’a fait. Pierre, va prendre logis, car il va faire nuit ; le sénéchal pourvoira à ta nourriture. Le matin, lève-toi ; je ferai de même, et tu entendras ce que j’ai à te dire, le message que je manderai au roi Charles. — Vous viendrez avec moi, » dit Aimenon, « je vous conduirai, et, pour l’amour du roi Charles, je te hébergerai. » |
Aimes co diſ girarz fai li arberc
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298. « — Aimenon, » dit Girart, « donne lui le logement. — Ainsi ferai-je, » reprit celui-ci, « et richement. Je n’ai droit en mon fief si pour cela je le perds ! » Le soleil va se coucher vers Balenberc[142] ; la nuit fut orageuse et sombre, et Aimon me conduisit par la prairie et m’offrit abondance de mets délicats. |
Que por la uoſtre amor mien ecient
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299. « Pour l’amour de vous, autant que je puis croire, pour le bien que tes parents et toi lui avez fait, et que tu lui feras encore, Aimenon me reçut aussi bien que je pouvais le désirer. Puis il me coucha en un lit d’or et d’argent et me donna une fille si bien que, sans mentir, jamais vous ne vîtes plus gentille. Au point du jour, j’étais levé et chaussé ; je me rendis en hâte au moutier, j’entendis la messe et me rendis au conseil du comte, et maintenant je saurai vous faire part de ses intentions[143]. |
Q(uant) oi la meſſe oide quen dona deus
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300. « Quand j’eus ouï la messe, à la grâce de Dieu, je sortis du moûtier, tout dispos. Je trouvai Girart entre les siens et je dis une parole bien simple : « Comte, ne sois pas irrité, sombre, rancuneux, comme un sarrazin ou un félon juif[144]. Fais accord avec Charles, puisse Dieu t’aider ! Tu auras par droit tes terres et tous tes fiefs. — Pierre, mon seigneur me traite trop mal ! C’est lui qui me perd, par sa faute, se conduisant comme un juif. Il me le paiera, avant que vienne la neige et que soit passée la saint Remi. |
Veires quel reis maine tant malemēt
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301. « Pierre, le roi me traite si mal que, de propos délibéré, il me jette hors de sa fidélité[145]. C’est moi qui devrais guider son ost et porter en bataille les premiers coups[146], donner en sa chambre des conseils autorisés, comme firent mes ancêtres. Mais ses soudoyers m’ont enlevé ce privilège, les serfs flatteurs, les lâches, de sorte que je ne puis trouver en lui bienveillance. Je suis prêt à prouver par la bataille, et que personne ne repousse mon offre ! que je n’ai pas été de connivence dans le meurtre de Thierri, que Boson ne m’a rien dit, soit en allant à la cour, soit en la quittant, qui puisse entraîner pour moi forfaiture, ni autoriser le roi à m’enlever mon chasement[147]. |
Quar lo tenez co diſt trop uil e lait
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302. « Vous l’humiliez, dit-il, vous l’insultez outre mesure ; vous le jetez d’emblée hors de votre fidélité. Sans qu’il eût aucun tort envers vous, vous lui avez fait dresser des embûches par Andefroi[148]. Il ne viendra pas à ta cour ni à ton plaid, jusqu’à ce qu’il t’ait fait payer le mal que tu lui as fait. S’effraie qui voudra : lui, il ne redoute rien. |
Eu lo dirai diſt peires en is breu mot
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303. « En un mot, » dit Pierre, « Girart gardera sa rancune (puisse Dieu protéger ses neveux et ses hommes !) jusqu’à ce qu’il t’ait vaincu, toi et tous les tiens. Puis il emportera d’Orléans la sainte croix[149]. — En cela il ment comme un misérable, » interrompit Charles, « car, si je le trouve logé dans les prés sous la ville, jamais homme n’aura eu si mauvais neveux[150]. |
Ben furmi lo meſſage a mon talēt
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304. — J’ai pleinement accompli mon message, ce me semble. J’ai vu Auchier, Guinart, don Armant, Seguin, Boson, et don Guintrant. Quand j’eus dit mon message, je vis, à la mine du comte qu’il ne t’aimait guère ; tant s’en fallait qu’il allait à l’encontre de ce que je disais. Je prononçai alors une parole qui le blessa comme si on lui avait cinglé le nez d’une badine. Je lui dis : « Comte, si vous faites guerre, je crois qu’il vous en ira mal : avant un an vous l’aurez payé. » Et j’offris alors la bataille[151] pour prouver, si Girart l’acceptait, que le tort, la tromperie, la trahison[152] seraient de son côté. Je ne refusais aucun chevalier, ni Bourguignon, ni Bavarois, ni Allemand, et je ne trouvai personne qui acceptât le défi. Mais Boson d’Escarpion se leva, le visage fier et irrité ; il ferma son poing droit et tira son gant, et, sans Fouque, il m’eût frappé. Mais je lui dis, dans ma colère, telle chose qui le fit passer aux yeux de tous pour fou et pour enfant[153]. |
D[e] feeltat le getes e faz li tort
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305. « Tu le jettes hors de ta fidélité (dit Girart), et tu lui fais tort ; tu lui as tué son père et son oncle ; tu lui as enlevé Lengroine, la cité et le port[154]. Prépare-toi de ton mieux à la guerre : lui il est tout prêt. |
Oiant toz diſ girarz (iſt)a razon Tros que fus a ta cort e tei baron
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306. « En présence de tous, je dis à Girart qu’il ne devait pas accuser le roi Charles avant de s’être présenté à ta cour avec ses barons, et de s’être expliqué avec toi par l’intermédiaire de tes hommes[155], car tu n’es coupable ni de félonie ni d’insulte envers Girart, les siens ni Boson[156]. Je voulus le prouver par bataille, chez lui, ne refusant aucun chevalier, Allemand, Bavarois ni Bourguignon ; mais je ne trouvai personne qui soufflât mot. C’est alors que Boson entra en fureur, et il m’eût frappé sur le lieu, sans que personne s’y opposât, quand Dieu envoya là le comte Fouque. J’exposai pourtant mon message et répétai tes paroles[157] : que Girart vienne te faire droit à ta résidence, amenant Fouchier et Boson et Seguin, le vicomte de Besançon. Et Girart me répondit « non » sur tous les points. Il demande raison de la mort de son oncle, le comte Odilon, de son père, le duc Drogon, qui périrent par toi en Vaubeton, et, si tu n’en fais pas amende, toi et les tiens, de sa part je t’apporte un défi. » |
E carles cō oit del deſfiarr
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307. Charles, quand il s’entendit défier, éprouva une telle mortification, une telle amertume, qu’il ne put trouver une parole pour répondre à Pierre. Il se tourna d’un autre côté pour se remettre : « Damoiseaux de ma mesnie, aimez-vous mutuellement. Qui voudra m’aider dans cette guerre n’aura pas faute de mon avoir. » Les chevaliers se prirent à se réjouir, à s’exciter les uns les autres et à se vanter à qui mieux mieux. Cela parut bon à Charles de les entendre gaber. Le jour déclinait. Ce n’était plus l’heure de discuter. On demanda l’eau[158] et on se mit à table, et, le moment venu, on alla se coucher pour pouvoir se lever matin. Cette nuit, Charles resta couché jusqu’au jour. La messe ouïe, il fit dire à chacun de s’aller armer et de monter à cheval. On fit seller les bons chevaux ; on n’oublia pas les hauberts ni les heaumes. Même le roi fit lacer son enseigne, et, prenant la conduite de ses hommes, il se mit à chevaucher sur Girart. Il veut, sans plus tarder, lui porter un rude coup. |
Mon ſen conreet len carles lo res E li alquant oſbers uielz teunes
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309. Le roi Charles ne fut pas long à se préparer. Il n’a avec lui ni ses hommes ni ses marquis[159] ; de ses barons il n’a que ceux de son conseil. Il ne s’attendait pas à rencontrer de la résistance de la part de Girart, qui n’a pas été averti et n’a pas reçu de message. Charles n’a pas plus de trois mille Français, mais jamais roi n’eut hommes mieux armés. Ils portaient des broignées safrées[160], une paire de dards[161] ; quelques-uns avaient d’anciens hauberts viennois[162], des lances, des gonfanons, des écus de Blois, de grands chevaux coursiers d’Espagne. C’est avec ces troupes que Charles est entré dans Mont-Amele. Il voulait porter un rude coup à Girart, et il a réussi. |
La gerre mot reis carles e a en ris
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310. Le roi Charles, accompagné de Henri[163], est parti en guerre. C’est le comte Auberi[164] qui les guide sur la terre de Girart. Ils lui ont enlevé Mont-Amele qu’il avait tenu longtemps, de bons et riches châteaux. Ils ont occupé les bourgs, assailli (?) les murs. Ce sera une douleur pour Girart, Boson et Seguin ; il adviendra mal à tel qui ne le cherchait pas. Fouque et Landri en seront ruinés sans l’avoir mérité. |
Cart ior i ont eſtat pois laugre pres
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311. Quatre jours ils y séjournèrent[165], après l’avoir pris, sans que personne de l’armée manquât de rien, quoi qu’ils demandassent dont ils eussent besoin. Au cinquième jour, Girart en fut informé par un messager ; au neuvième, le comte et le roi se rencontrèrent en bataille. |
Sobre girart a carles car ior iagut
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312. Charles a couché quatre jours sur la terre de Girart, à Mont-Amele qu’il lui a enlevé. Au cinquième jour, Girart apprend par un messager que Mont-Amele est perdu pour lui, que Charles, le roi de France, le lui a enlevé. Le voilà irrité à ce point qui ne parlait à personne, jusqu’à tant qu’il vit venir Fouque, son ami : « Fouque, conseille-moi, puisse Dieu t’aider, au sujet de Charles qui me tient pour un lâche. Il m’a enlevé le pui aigu de Mont-Amele, et croit m’avoir ruiné ; mais ce n’est pas encore fait, je crois. Je voudrais avoir perdu mon fief pendant sept ans, pour que nous nous soyons battus avec lui, et l’ayons vaincu ! » |
Eſtaue ſei girarz en acoreuent Pois a iurat lo reis fauz ſaigrement
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313. Girart se tenait à Orivent[166], un château qu’il tenait de Charles en chasement. Le château est de force à se défendre : les bons sergents y étaient au nombre de plus de mille, les chevaliers montés[167] plus de sept cents. Les bourgeois sont riches et bien pourvus de chevaux, de mulets, d’or et d’argent. Girart était à l’ombre, dehors, à l’air, parlant à ses hommes. Il tenait les plaids avec ses barons. Sur ces entrefaites, arrive le messager qui l’informe de la prise de Mont-Amele par le roi. Voilà Girart si plein de douleur qu’il ne pouvait dire un mot à personne, jusqu’à ce qu’il vît Fouque en qui il a confiance : « Fouque, puisse Dieu t’aider ! donne-moi conseil au sujet de Charles qui me tient pour un lâche. Il m’a enlevé Mont-Amele, puis il a juré qu’il ne s’en irait pas d’un mois, sans avoir combattu. Mais je te jure par Jésus le tout-puissant que si Allemands et Désertains[168] ne me font pas défaut, il ne s’en ira pas sans bataille, pourvu qu’il m’attende huit jours ! « |
Ere oiaz la paraule de folcon
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314. Écoutez la parole de Fouque : « Quel conseil peut-on te donner ? Tu crois plutôt le mauvais que le bon ! Adresse-toi à mon frère, le comte Boson, à Seguin, le vicomte de Besançon, qui t’ont conseillé[169] selon leur sentiment, à Roussillon, dans la chambre voûtée[170]. Pour moi, je ne donnerai jamais conseil d’homme félon ; jamais je ne serai d’avis que tu fasses la guerre au roi Charles, car tu es son homme lige, de sa maison ; tu n’as chasement de personne, sinon de lui. Mais fais-lui droit, puisqu’il te cite, à Paris, à Reims ou à Soissons, si Dieu te garde de toute insulte, de toute accusation de trahison. Demande-lui un délai de quarante[171] jours, par un comte ou un vicomte bon et loyal, ou par un puissant archevêque de sa maison[172]. Quand tu lui auras fait son droit, demande lui le tien. S’il ne veut le faire, s’il te refuse, s’il te cherche querelle, alors je t’aiderai avec tes barons. Mais qui fait guerre à tort, par Dieu du ciel, est l’artisan de sa perte, non de son bien[172]. |
Ja nō derai conſel al mien uiaire
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315. « Certes, je ne donnerai pas conseil, le sachant, qui fasse de toi un fou, un félon, un traître ! Mais va trouver Auchier de Saint-Macaire[173], c’est un chevalier franc et de bonne race ; mandez au roi que vous irez lui faire droit, où il voudra mais qu’il se retire en France, et donnez comme otages moi et mon frère. — Fouque, » dit Seguin, « vous ne l’aimez guère, quand vous lui conseillez un arrangement honteux. Il vaudrait mieux qu’il eût perdu la cité de Caire[174] et mille marcs de la terre que tint son père, avant que le roi passât Rancaire[175] sans bataille. » |
Girarz entent ſegin o lui ſapo[n] |
316. Girart entend Seguin, et ses foles paroles lui plurent : Que Dieu me maudisse, don Fouque, » dit-il. « quand je suivrai votre conseil ! Puisque le roi s’est avancé jusque-là avec ses vauriens, Normands, Français, Bretons, afin de me ruiner, tenez-moi pour aussi lâche qu’un renard[176], dès qu’il demande bataille, si je ne la lui donne ! » Fouque, quand il l’entendit parler ainsi, fut si affligé que depuis il ne lui donna plus aucun conseil, bon ni mauvais. |
Er a mandat ſos omes lo cons girarz
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317. Aussitôt le comte Girart convoqua de toute part ses hommes pour la guerre. À lui vinrent Auchier et le comte Guinart[177], qui tenait en Allemagne Montbeliard[178], amena dix mille hommes vaillants, entre lesquels il n’y avait ni un couard ni un lâche. Ne croyez pas que le comte[179] perde le temps : il livrera bataille à Charles le premier mardi. |
Girarz quāt ueit de carle ſi lis comes
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318. Quand Girart vit que Charles le provoquait ainsi, qu’il occupait par force sa terre et son pays, qu’il avait pris et pillé son meilleur château, il choisit trente messagers preux et courtois, montés sur de forts mulets amblants d’Espagne. Il les envoya partout où il savait avoir de bons amis. Il appela ceux du Querci, de l’Agenais, du Toulousain, de Barcelone, du Rouergue, les Basques, les Gascons, les Bordelais. Aucun [des messagers] ne s’arrêta avant les ports d’Espagne[180]. Navarrais[181] et Basques viennent serrés[182]. Même le roi d’Aragon envoya ses hommes. Ils sont plus de soixante mille. Les préparatifs de la bataille sont faits. Mais ce fut, de la part du comte Girart, une mauvaise entreprise, car il a tort envers Charles, c’est chose jugée. |
Girarz qant ueit de carle ſi len tencone
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319. Voyant que Charles lui faisait une telle guerre, qu’il était venu sur lui avec sa couronne[183], qu’il avait envahi ses meilleures terres, Girart envoya des messagers à Aimeri, duc de Narbonne[184] ; à Gilbert de Tarragone, le gendre de celui-ci [185] ; à Raimon Berengier de Barcelone[186] ; à Bertran le comte[187] de Carcassone ; à Guinant le comte de Balone[188], à Jocel de Verdona[189], le guerrier. Ils étaient parents de Girart. Par leur intermédiaire, le comte parlementa avec le roi[190], mais ils ne réussirent pas à lui arracher une bonne parole qui annonçât l’intention d’évacuer la terre de Girart. Le mardi suivant l’heure de none ne se sera pas écoulée que Charles aura bataille, s’il s’y prête. |
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322. Ce fut au neuvième jour, au lever du soleil : leurs avant-gardes se rencontrèrent, et, aussitôt que les hommes se furent reconnus, ils mirent pied à terre et s’armèrent en hâte[191]. N’allez pas croire qu’aucun d’eux se dérobe au moment de la lutte ! Vous auriez vu se rompre tant de lances et tant d’écus, tant de hauberts faussés et décousus, tant de francs chevaliers étendus morts ! L’avant-garde de Girart a eu le dessus. |
Co fun au nouen die quāt iorz pare[s]
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323. Ce fut au neuvième jour, au lever du soleil, aval par la plaine sous Verduneis[192]. Les Bourguignons se battent contre les Français. Charles le roi disposa habilement ses échelles. En première ligne, il place ses Herupois[193], ceux d’entre Loire et Seine, guerriers d’élite. Là étaient les hommes de Chartres et de Blois, armés de lances au fer tranchant. Arbert, un comte de Troyes[194], les guide. Les Manceaux, les Berruyers, les Bretons[195] combattent dans la seconde échelle. Dans la troisième sont les Poitevins et les Aquitains[196] ; dans la quatrième, les Normands et les Flamands, les Picards[197] et ceux de Vermandois. Dans la dernière et la plus forte fut Charles le roi avec ceux de Paris et d’Orléans, de Soissons, de Reims et de Champagne. Un duc Joffroi[198] portait leur enseigne. Cependant Girart chevauche, montant dans la perfection, avec lui Hugues et Ertaut de Forez, Guigue et Henri de Vienne, Guillaume et Rainaut de Mâcon ; Boson, Fouque et Seguin[199] viennent ensuite. Ils s’avancent en rangs serrés, portant droites les enseignes garnies d’orfrois. Qui maintenant, au moment du combat, demanderait qu’on fît la paix, serait à bon droit tué ou jeté en prison. |
Lo cons girarz cheuauche e uint p̃mers
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324. Le comte Girart chevauche au premier rang. Il portait un haubert jaseran[200], un heaume écartelé. Le safre[201] resplendit au loin à cause de la pureté de l’or. Il avait ceint l’épée que lui donna Didier[202] : on ne la paierait pas avec un empire. Il portait un écu neuf écartelé. Son gonfanon était blanc, large et traînant. Son cheval était un bai rapide à la course. Il vint se placer au-devant de son ost, comme un bon guerrier. Il rencontra un damoiseau appelé Ratier[203] : c’était un des porte-gonfanon de Charles. Girart, le voyant, l’attaqua vivement, lui entama l’écu et le haubert et le jeta mort en un sentier. Là vous auriez vu combattre les bons chevaliers et les masses se heurter les unes contre les autres. Tel n’était pour rien dans cette guerre qui, dans la bataille, éprouva grand dommage. |
De lai gidunt girart ſeu loherenc |
325. Du côté de Girart sont ses Lorrains, les Allemands et les Desertois. Avec eux s’avança Rainier[204], le fils d’Ardenc. C’était un bon et vaillant guerrier. Il avait un heaume de Bavière, un haubert double ; il portait un écu et une lance de Monbilenc[205] et montait un cheval rapide et hennissant. Il avait ceint l’épée du roi Genenc[206] : onques vous ne vîtes épée qui si bien taille et tranche. Les Manceaux, les Angevins, les Herupois étaient avec Charles dans les rangs opposés. Rainier cria son enseigne : Durenc ! Durenc ! et Hugues de Poitiers : No genc ! no genc ![207] Il se lance contre Rainier qui venait sur lui, et lui porte par la poitrine, à travers le haubert, un tel coup qu’il lui tranche tout le côté gauche et le jette à la renverse en un chemin tournant[208], à une longueur de lance de sa selle. |
.. L fersa es el rocs com adescaz
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321. Les batailles[209] chevauchent à travers les prés, sombres, têtes basses, les heaumes lacés. Charles Martel était un roi puissant, Girart un duc de grande famille, et ils étaient acharnés l’un contre l’autre. Fouque était en ligne parmi les combattants vêtus du haubert, et montait un cheval rapide, fougueux et bien dressé. Il était richement armé ; il avait les éperons d’or aux pieds, et de solides chausses de fer. Le haubert qu’il avait sur le dos était fort et serré, les pans et la ventaille en étaient ornés d’or ; il était plus blanc qu’argent épuré, et jamais aucune arme n’avait pu le fausser. Il avait une épée longue et grande au pommeau doré. Le heaume qu’il portait sur la tête avait coûté cher et brillait par-dessus de tous les heaumes de l’armée. Il avait un écu écartelé d’or et d’azur, une lance roide, forte et au fer acéré. Bayart (son cheval) fait de grand sauts par les champs labourés, et s’est porté en avant de toute l’armée, plus loin qu’un arc ne lancerait un javelot. Le roi s’arrêta quand il vit Fouque. Il s’appuya sur un comte d’Auvergne et dit aux Français : « Seigneurs, voyez le meilleur chevalier qui jamais ait existé ; je vous dirai qui il est, si vous m’écoutez. On l’appelle Fouque, le cousin[210] de Girart. Il est natif d’Allemagne où il est seigneur. Écoutez quelles sont ses qualités. Attribuez-lui toutes celles du monde, en ôtant les mauvaises, car il n’en existe aucune de telle en lui, mais il est preux, courtois, distingué, franc, bon, habile parleur. Il connaît la chasse au bois et au marais, il sait les échecs, les tables, les dés. Jamais sa bourse n’a été fermée à personne, mais il donne à qui lui demande : tous, les bons comme les mauvais, y ont part ; jamais il n’a été lent à faire un acte de libéralité. Il est plein de piété envers Dieu ; car, depuis qu’il est au monde, il n’a jamais été dans une cour où il ait été accompli ou proposé aucune injustice, sans en avoir été peiné, s’il ne pouvait l’empêcher ; et jamais il n’a été renvoyé d’un jugement sans s’être battu en champ clos. Il déteste la guerre et aime la paix, mais, quand il a le heaume lacé, l’écu au col, l’épée au côté, alors il est fier, furieux, emporté, superbe, sans merci, sans pitié, et c’est quand la foule des hommes armés le presse, qu’il se montre le plus solide et le plus vaillant[211]. On ne lui ferait pas perdre un pied de terrain, et il n’y a homme au monde qui osât lui tenir tête. Il est à la fois la reine, le roc et le roi[212]. Tous, puissants et faibles, trouvent appui en lui. Il a toujours aimé les vaillants chevaliers et honoré les pauvres comme les riches, estimant chacun selon sa valeur. Sachez que cette guerre l’afflige très fort, qu’il a eu pour cela avec Girart maintes disputes, maintes querelles, mais il n’a pu l’en détourner. Cependant il est toujours, au besoin, venu à son secours. Et ce n’est pas par moi qu’il sera blâmé : quiconque abandonne son ami, est méprisé en toute bonne cour. Je ne finirais pas aujourd’hui, si je voulais vous conter tout ce qu’il y a de bon en lui. Et, par ce Seigneur en qui vous croyez, il est mon ennemi et je le hais très fort, mais j’aimerais mieux être Fouque, avec ses qualités, que le seigneur reconnu de quatre royaumes ! — Sire, » disent les Français, « vous le louez beaucoup ; car, s’il a toutes les qualités que vous dites, jamais il n’y eut chevalier meilleur. — Il les a, » dit le roi, « et plus encore. » |
Aiso fo en estat el mes dabril ..ar men conuendra paubre meschi
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320[213]. Ce fut en été, au mois d’avril. Les deux partis ennemis se rencontrèrent sous Mont-Amele. Entre Girart et Charles grande fut la haine, dont moururent en ce jour tant de bons chevaliers, et tant de belles dames perdirent leurs maris. C’est d’une fière bataille que je vous parle, dont France et Allemagne furent dépeuplées. Moûtiers, églises et crucifix en furent brûlés. Avec Charles s’assemblèrent tous ses amis. Les guerriers vêtus de fer furent bien au nombre de dix mille. Il n’y en avait aucun qui ne fût animé du désir de faire en champ de bataille le plus de mal possible à son ennemi. Mais c’est du côté de Girart que se trouvaient les plus hardis ; c’était sa mesnie, ceux qu’il avait nourris. Charles mit pied à terre en une lande ; il n’oublia pas Dieu : oncques pécheur ne pria avec tant de ferveur : « Ah ! Seigneur Dieu de gloire, » disait-il, « c’est vous que j’en prie, faites par votre merci que je sorte avec honneur de cette journée ! » Girart, non plus, ne perdit pas la tête. Il appela Boson, Aimeri, ........[214], Gilbert et Gui : « Seigneurs, je vous ai toujours nourris. Je vous ai tous enrichis de mon bien. Jusqu’ici je n’ai pas eu à m’en repentir. Vous avez pris pour moi maint palais dont je vous ai distribué les richesses, si bien que je ne possède plus rien au monde, sinon ce que j’ai sur moi. Si aujourd’hui Charles me vainc, savez-vous ce que je dis ? c’est qu’il me faudra m’en aller pauvre et mendiant. Et quand j’aurai tout abandonné au roi, vous en serez appauvris et affaiblis. Ha ! Fouque, sire cousin, c’est à vous que je le dis. Vous m’avez rendu de grands services, dont je vous ai peu récompensé. Si, en ce jour, vous m’abandonnez, je suis perdu[215] et je vous haïrai à tout jamais, soyez-en certain. C’est au grand besoin qu’on reconnaît un ami[216]. » Fouque le regarda et lui dit avec un sourire : « Nous vous avons bien ouï, sire duc. Si vous m’aviez cru, les choses se seraient passées autrement : vous et le roi seriez amis. Mais maintenant ce n’est pas pour vous que je suis ici, mais pour moi qui me tiendrais pour honni, si dans la bataille je ne montrais ce que je sais faire. Certes, ce ne sera pas ici la place des buveurs qui aiment à se chauffer devant la cheminée[217]. Qu’ils marchent en avant, et à qui fera le mieux ! » |
Rainers cidet ſenſeine durenc......
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Quāt rainers fu a terre cobrat de ſe[n]
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326. Quand Rainier fut à terre, couvert de souillure (?), ayant une blessure par la poitrine qui le fait souffrir jusqu’au cœur, il déchira son bliaut, se banda bien, puis remonta sur son cheval vigoureux. Et quand il fut en selle, les rênes en main, il tira son épée d’Orléans[218], et celui qu’il frappe en plein sur le heaume, il le pourfend jusqu’à la poitrine. Il se comporte de telle façon par la mêlée, que ceux à qui il en veut n’ont qu’à se bien tenir. |
Bos e folco e ſeigins uenūt detras
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327. Boson, Fouque et Seguin viennent par derrière, avec don Fouchier à cheval sur Baiart......[219] Ils sont soixante mille, tous en armes[220] ; ils vont au pas, les lances droites. Du côté opposé vint le roi et le comte Foras[221]. Tous d’une voix ils crient leur enseigne. Ils vont se frapper, comme vous allez l’entendre, car, depuis le temps de Cleophas[222] qui fut en la bataille de Val Troas[223], vous ne vîtes gent aussi enragée (?), aussi acharnée à frapper, à tuer.....[224] Mille sont déjà abattus et sans mouvement, ayant perdu poing ou pied, bouche ou nez. Celui qui combattit dans cette mêlée et n’y resta pas, fut spécialement protégé de Dieu et de saint Thomas[225]. |
.....s delai boſun e dan folcon ....ndefres or uei un mal laron
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328. Voici, d’un côté, Boson et Fouque, Fouchier le marquis faisait le troisième ; de l’autre, Andefroi et don Aimon. Ils firent du comte Hugues[226] leur porte-enseigne. Andefroi dit : « J’aperçois un mauvais larron qui, avec Boson, m’a tué mon oncle. Tenez-moi pour aussi lâche qu’un renard[227], si[228], dans cette mêlée, je n’ai affaire à lui ! » Et il donne de l’éperon à son cheval. |
..marcaucon eſcride ca trai foucher E tant oberc rumput breunes falſad..
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329. Andefroi s’écria : « Viens ici, Fouchier ; tu m’as fait tort et dommage, lorsque, l’autre jour, tu m’as tué mon oncle Thierri[229]. Certes, j’aurai du regret si je ne t’en récompense pas, si je ne te frappe pas de cette mienne épée un tel coup, que je te pourfendrai jusqu’à la ceinture. — Vous en avez menti, glouton, vantard, et je prouverai que vous n’êtes qu’un menteur. » Ils éperonnent leurs chevaux et se jettent l’un sur l’autre. Fouchier ne manqua pas son coup : il lui fendit l’écu sous l’appui[230]. Andefroi s’irrita et le frappa si violemment qu’il lui faussa la broigne au pan doublé ; tous deux s’abattent sur le sable, et à ce coup mille chevaliers entrent en lutte. |
Ambedui ſentrabatent en unes prades E tant colbes ferir o les eſpade.
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330. Tous deux s’abattent en un pré ; voici les compagnies qui s’abordent ; vous verriez tant d’écus brisés, tant de lances mises en pièces, tant de hauberts troués, de broignes faussées, tant de coups d’épée, tant de têtes couvertes du heaume séparées du tronc ! On en aurait pu enlever quinze charretées. Girart eut le dessous en mainte rencontre et perdit ainsi les barons de ses contrées. |
Anc de folcor bataille mais n̄ aui[z|
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331. Jamais on n’ouït parler de plus forte bataille : le roi lui-même y fut frappé. Celui qui le frappa était sorti de l’armée royale. Il s’appelait David ; il était fils du Vieux Gérôme. Il avait quitté le roi par suite d’une guerre[231], comme faidit, et s’était réfugié auprès de Girart qui lui donna de grands dons à sa discrétion. C’est celui-là qui attaqua vivement le roi, le frappant sur l’écu orné de fleurs d’or de telle sorte que la lance au fer bruni passa au travers. Puis il retourna vers Girart, par un chaume, et, le prenant avec force par le frein : « Comte, pourquoi restez-vous tout ébahi ? le champ de bataille est si couvert de vos hommes, qu’il n’en reste plus mille[232] de ton pays ; si tu te laisses prendre, tu es perdu ! — Ami, » dit Girart, « pourquoi me dis-tu cela ? Je te jure, par la sainte mère de Dieu, que j’aimerais mieux être mort et enterré que de laisser dire à ce mauvais roi que j’ai fui ! Retournons à la charge : je suis tout prêt. » Alors la lutte reprit de plus belle. |
......ꝑ camp peiron lo fil gauter ....rtat les armes caut doliuer
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332. Voici par le champ Pierre, le fils de Gautier ; il portait les armes qu’il avait reçues d’Olivier[233]. Il était bien décidé, si lui et Boson se trouvaient face à face, à se battre de bon cœur avec lui. Il rencontra Seguin, l’un de ses ennemis ; il lui souvint d’un mot que celui-ci lui avait dit à Roussillon, sous l’olivier, lorsqu’il fut envoyé par le roi comme messager[234] ; il dit qu’on le tiendra pour un homme vaillant en paroles, pour un vantard, un faiseur d’embarras, s’il ne va le frapper sur l’écu noir : ils éperonnent et se lancent l’un sur l’autre. |
Andui ſe portent gerre ire e gramor
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333. Ils ont l’un pour l’autre haine et rancune, chacun d’eux prenant parti pour son seigneur ; ils éperonnent, et partent tous deux au galop. Seguin frappa si haut, par dessus la fleur[235]. [qu’il lui fit dans l’écu une ouverture large comme le poing[236]], et lui faussa le plus fort pan du haubert, lui entamant trois côtes. Pierre le frappa à son tour de telle force que jamais d’aucun homme Seguin ne reçut un tel coup. |
Peires brocha cheual qui ml’t trabail
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334. Pierre piqua le cheval, qui fit un grand effort, et alla frapper Seguin. Il ne le manqua pas, mais lui troua l’écu sous l’appui et lui trancha le haubert aux mailles menues. Au milieu de la poitrine il lui fit une telle fenêtre que le sang jaillit par devant et par derrière. Après cela vous n’auriez pas donné de sa vie une gousse d’ail. |
Gace el uiſcons de d(rues pru ace)l goin
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335. Gace, le vicomte de Dreux, se porte en avant. Là où il voit la mêlée la plus épaisse, il pénètre comme un coin. Il va frapper Auchier de Mont Saint-Proin[237]. Celui-ci se mit en défense et lui fendit l’écu au dessus du poing, et lui défit tout le pan du haubert. Gace, à son tour, le refrappa sous le visage : le haubert[238], si fort qu’il fût, céda. Gace lui passa lance et enseigne par le cou et l’abattit mort loin de son cheval. Dans la mêlée, il n’y a Allemand, Saxon ni Bourguignon qui frappe mieux que lui. |
E uos ꝑ camp alon lo fil anſe[l] |
336. Voici par le champ Alon, le fils d’Ansel. Il portait un haubert jaseran qui se rejoignait au chapeau ; il avait lacé le heaume de Raimon Borel[239] et ceint l’épée de Milon d’Urgel. Il était armé de la lance et son écu neuf venait de Bordeaux. Il chevauchait un jeune cheval couleur de fer, et son gonfanon était brodé d’or. Il vint tout d’un trait par le chaume, poussant le cri de Charles Martel. Voici de l’autre part Giraut de Mont-Revel. Quand il entendit le cri de Charles Martel, il en fut irrité. Ils vont se défier l’un l’autre et l’un des deux videra les arçons. |
Girauz fun ch’ual’rs preouz e ualenz
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337. Giraut était un chevalier preux et vaillant. On ne pouvait imaginer un homme mieux bâti. Il était homme du comte Girart et son parent. Ce lui fut pénible d’entendre crier l’enseigne de Charles. Il se jeta sur Alon, qui, se sentant frappé, le frappe à son tour, lui fausse la broigne de Saint-Maixent, et le jette mort à terre, sur la face, devant Doitran[240] de Saint-Laurent, sous les yeux d’un homme qui sut en prendre vengeance. |
.....anz broca el ceual e fert alon
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338. Doitran pique des deux et frappe Alon par la poitrine, sur le haubert, à travers le hoqueton. Il lui mit dans le corps la lance avec le gonfanon et l’abattit mort sur le sable, sous les yeux du comte Hugues, un homme qui sut en prendre vengeance. |
.....ꝑ la bataille ugon aiſin
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339. Voici par la mêlée Hugues et vous allez entendre ce qu’il fit : sur un pelisson neuf d’hermine il avait revêtu un haubert blanc et à fines mailles (?)[241], et lacé un heaume à vergeures d’or fin. Il avait ceint l’épée de Genon d’Aiglin et portait un écu et une lance de Saint-Domin. Il montait un cheval bai, à la crinière fauve. La mort du comte Alon, qui était de son lignage, lui causa une vive douleur. J’ose dire qu’il ne manqua pas Doitran. |
Vges ferit doutran en ſon eſcut
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340. Hugues frappa Doitran sur son écu, lui brisa son haubert, lui mit dans le corps la lance au fer aigu et l’abattit mort sur le champ herbu. Lorsque les compagnies se rencontrèrent, vous auriez vu tant de lances, tant d’écus brisés, tant de chevaliers étendus à terre qui demeurent insensibles, si fort qu’on les remue. Charles a bien fait payer à Girart la douleur que lui a causée la mort du duc Thierri d’Ascane. |
Carles uenc apoinent a grant poeſt.
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341. Charles accourut au galop. Il frappa un damoiseau franc des pays tiois (?), en haut, sur le sommet de son heaume : il lui trancha le cuir chevelu, le crâne, la poitrine, le corps, tout ce qu’il atteignit. Il en fit deux moitiés et le mit à bas, lui et son cheval, auprès d’un genêt. Ainsi chassait, ce jour-là, le roi dans la forêt de ses ennemis. |
Jſte bataille fun a un dimar[z] |
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Co fun es lonior die quāt intre eſta[ç]
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343. Ce fut aux plus longs jours, à l’entrée de l’été, un mardi ; le soleil brillait de tout son éclat. Les armées se heurtèrent et ce fut péché. On ne cesse de frapper et de tuer. Vous verriez mille hommes étendus sur la face ou sur le côté, qui ont perdu pied ou poing ou ont la tête tranchée, et tant de gonfanons rouges couverts de sang, enfoncés dans le corps de chevaliers, et des milliers de chevaux si serrés qu’il n’y a [entre eux], aucun homme qui étende la main ou bras, car là nul ne peut vivre, sinon par miracle. Girart vint par la mêlée, plein de fureur ; il a tué ou blessé vingt hommes. Son visage est altéré ; plein de rage, il met pied à terre, enfonce son enseigne en un pré, et crie aux siens : « Chargez, frappez, tuez, tranchez ; et, si vous êtes poursuivis, repliez-vous sur moi, car, sachez-le, d’ici je ne bougerai que je ne sois prisonnier, ou tué, ou victorieux. Charles sera roi ou déchu[244] » Puis il dit à Fouque : « Restez avec moi ! » Et Fouque répondit sagement, en chevalier courtois et sensé qu’il était : « De tout temps tu as été léger, cruel, emporté, et ç’a été un grand malheur pour le monde que le jour où tu es né. Ce n’a pas été un don, mais une grande perte. Par toi a été abaissée la sainte chrétienté. Homme cruel, ne vois-tu pas comme tes hommes sont réduits ! Il y en a plus de sept mille tant morts que blessés, et pourtant nous les avons bien repoussés, et Charles a perdu assez des siens. Mais le roi est ton seigneur, une grande puissance. C’est au milieu de sa terre qu’il nous a trouvés ; les renforts lui viennent de tous côtés ; il n’a qu’une lieue à faire pour être à l’abri. Maintenant il n’y a pas de honte pour vous à battre en retraite. Vous seigneurs, francs chevaliers, donnez-lui le même conseil. Si vous avez parent ou frère [qui soit blessé], enlevez-le, et emportez-le au petit pas. Je ferai l’arrière-garde avec don Daumatz, Boson, Gilbert, Garin d’Aix ; et, si vous subissez aucune perte, rendez m’en responsable. » Girart quitta la mêlée, contraint et forcé ; dès ce moment il ne fut pas poursuivi seulement un pied de terrain. Personne n’osa lui dire qu’il y eût eu, de sa part, faiblesse ni lâcheté, mais toutefois Charles et les siens restèrent maîtres du champ de bataille. |
Carles reſtet lo reis en la bataill[e] E tant oberc ſafrat ſanglente maill.
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344. Charles resta maître du champ de bataille. Il vit tant de damoiseaux étendus sous leur ventaille, tant de hauberts saffrés aux mailles sanglantes. Aux vivants il donnera, dit-il, assez de quoi vivre ; quant aux morts, il ne sait penser chose dont ils aient besoin, sinon pour chacun un cercueil, et à celui qui le taillera[245], il donnera cent sous. Un abbé breton de Cornouailles[246] dit alors : « Je ne demande pas à Dieu de me donner le relief d’une autre table[247] ! » Et le roi le lui donna en fief, et en bailla son gant. |
Li bibe e li abat n͞r͞e douto[r]
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345. « Que les évêques, les abbés, nos docteurs, fassent un cimetière en l’honneur de Dieu. Tous ceux qui sont morts ici, les nôtres et les leurs, sont tombés les uns contre les autres, pour leur seigneur[248]. » Tous les principaux [de l’armée de Charles] l’ont octroyé ainsi. L’abbé donna pour cela mille marcs à son prieur, sans compter ce qu’eurent les tailleurs de pierre pour leur loyer, puis il continua à leur faire ce même service tant qu’ils furent ensemble à la guerre. |
[G]irarz ſen es annaz carles reman
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346. Girart s’en est allé ; Charles resta et passa la nuit sur le champ de bataille. Le lendemain il se mit en route tout droit vers Reims, la cité. Le roi dit aux siens : « Quiconque aura ici de la richesse, de l’or d’Espagne, cheval arabe ou castillan, il faudra, je m’en vante, que tout cela passe par ma main[249]. Qui aura bonne tête et cœur hardi ne trouvera en moi rien d’un vilain, mais l’homme le plus disposé à donner. » |
....s quel reis mantet lo ioi el dun E montet aiqui es mande e ſomo.
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347. Tandis que le roi procède ainsi aux dons, voici venir devant lui le comte Aimon : « Seigneur, apprenez qui vous avez parmi vos prisonniers : Senebrun de Bordeaux, le fils d’Yon[250], Gillaume le Tosanz[251], lui et Eble. — Par mon chef, » dit le roi, « j’en suis charmé. Ce sont mes ennemis les plus cruels. D’ici peu ils en auront telle récompense que jamais plus aucun d’eux ne chaussera l’éperon. — Sire, vous ne le pouvez sans déloyauté. Nous vous conterons comment la chose est arrivée. Comme ils retournaient en leur pays, nous leur dressâmes une embuscade à Clarenton[252], avec nos hommes de Bourges et de Bourbon[253], et, lorsqu’ils entrèrent sur le territoire gascon, nous les prîmes par derrière en un champ ; aucun ne nous échappa, pas même les valets, sinon Senebrun et trois barons[254]. Nous les poursuivîmes jusque dans Corneillon[255]. Giraut[256] leur donna asile dans sa maison, et ne consentit à nous les rendre qu’à la condition qu’ils n’y perdraient que leur rançon, et nous lui en avons donné notre parole. — Je leur donnerai, » dit Charles, « un tel breuvage, que le plus fort d’entre eux dira qu’il en a assez. » Là-dessus il monta à cheval ; puis il convoqua ses hommes pour un conseil sous Albion[257]. |
Carles parle a gaſcon par gant leze[r]
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348. Charles traita longuement avec les Gascons. À force de dons et d’habileté, il les corrompit si bien avec son argent que tous lui rendirent leurs châteaux. Charles les fit occuper solidement. Girart en fut informé par messager, cinq jours après. Le comte était à Beauvoir, sous Roussillon ; il fit asseoir auprès de lui Gilbert, Fouque, Bernart, Boson, Manecier. ils étaient noircis par l’usage du harnais, car ils revenaient de Saint-Sever, château du roi qu’ils avaient brûlé. Ils parlaient de la guerre, lorsqu’arrive le message qui leur apportait la nouvelle véritable que Charles enlève à Girart toute la Gascogne, que les barons de ce pays sont tous à sa discrétion. « Alors nous nous battrons, » dit Boson. « Vous en aurez tout loisir, » dit Fouque. « Vous y avez tant gagné l’autre soir, que vous ou Girart pouvez bien voir qu’exciter une guerre à tort n’est pas un jeu. » |
En apro paraulet lo cons bernarz
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349. Ensuite parla le comte Bernart. C’était un jeune homme grand et gaillard : « Frères, si vous me croyez, vous et Girart, Charles ne repassera pas le pont du Gard[258], ni la terre où gît saint Léonard[259], sans que nous ayons fait en France un grand abattis de châteaux. — Eh ! qu’importe, » dit Fouque, « si vous lui en brûlez quelqu’un, dès qu’il nous enlève les meilleurs des nôtres ! De çà, de côté de la Provence, des dangers se préparent pour nous. Il y a tant de gens cupides, prêts à tout faire pour de l’argent, — et Charles leur en envoie par ses bateaux (?), — qu’il ne nous est pas resté de nos meilleurs hommes le quart. — Par Dieu ! » dit Gilbert de Senesgart, « ce chien de roi ne sera pas mis à bas, sinon par coup de lance, d’épée ou de dard. Il importerait assez peu comment il serait frappé, pourvu qu’un escobart[260] le tuât, comme mourut le roi César[261]. — Je l’occirai sans retard, » dit Foucart[262]. — « Il n’est rien qui me tarde autant, » dit Boson. |
E folco quan loit irasquen ſei
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350. Fouque, entendant ces paroles, s’irrita : « Vous avez, à vous trois, dit une grande folie. Jamais je n’aimerai quiconque me proposera une action déshonorante. — Je ne le veux pas, » dit Girart, « je n’y consens pas ; mais il est naturel que le fou dise des folies[263], et qu’il en résulte de la honte pour qui croit son conseil. Beau cousin[264] Fouque, pour Dieu, conseillez-moi. — De conseil, » dit Fouque, je n’en vois pas. Je sais le roi Charles si violent que c’est en vain que son ennemi s’abaisserait devant lui, et celui qui se laisse vaincre par lui n’a pas de merci à attendre. Et pourtant il y aurait lieu de traiter. Celui qu’on accuse en cour de trahison ne doit pas vivre avec une telle accusation qui le ferait montrer au doigt, lui et ses héritiers. |
Quan te donai conſeil ne men cree[s]
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351. « Quand je t’ai donné conseil, tu n’as pas voulu me croire[265]. Qui ne sait pas se garder de loin, ne jouit pas de près[266]. Je sais le roi Charles si monté contre vous qu’il n’accepterait pas une convention qu’on lui proposerait. Et pourtant, il serait bon qu’on lui envoyât un preux chevalier, si on en trouvait un, qui sût vous défendre de l’accusation de trahison. |
Preciaz e comandaz a dan bego[n] E a gacō ceu conte e a ugon
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352. « Priez don Begon [de se charger du message], car je ne sais chevalier meilleur ni même aussi bon. Il est du meilleur lignage. Pour vous suivre, il a abandonné son fief au roi Charles. Je le récompenserai en lui donnant Valbrune et vous Dijon. — Que Dieu me maudisse, » dit Begon [à Girart], « si je prends rien de la terre de Fouque ni de la tienne ! Je ferai le message. Toi cependant chevauche derrière moi avec tes barons ; et, si le roi refuse le droit, avant qu’il soit sorti de ta terre, faisons-le lui payer. Si on t’accuse de trahison, je te défendrai, et Fouque aussi, et les autres, mais non pas Fouchier et Boson [et Seguin, le vicomte de Besançon[267]]. Pour ceux-ci, je soutiendrai que tu ne leur as pas donné asile en tour ni en donjon jusqu’à ce que Charles eût permis à Aimon, à son cousin Andefroi et à Hugues de te dresser une embuscade sous Avalon[268]. J’y fus, je le vis et je le blâmai. Personne n’osera monter à cheval pour soutenir contre moi que le roi n’a pas commis cette indignité avant de t’envoyer Pierre. — Cousin, » dit Girart, « c’est bien parlé. » Le conseil fut bref et on y fit peu de discours. Begon monta à cheval, sans autre compagnon que son écuyer, pour porter son écu[269]. Cependant Girart envoie des messagers dans tous les sens, pour faire venir les Lorrains et les Bourguignons. Ils passent à Nevers et à Chalon[270] et s’assemblent dans les prés de Val-Mucon[271]. Les Gascons ont fait la paix avec Charles. Il ne séjourna guère en leur pays. Il traverse la Gironde et la Dordogne...[272], et fait tendre sur la rive son pavillon. Le roi, étendu sur un paile de ciclaton, regardait passer ses jeunes damoiseaux, causant avec Tibert de Vaubeton, avec le comte Gace et Hugues[273], lorsque Begon mit pied à terre, leur apportant le message de Girart et de Fouque. |
Lai o bege deſſent des plus prezanz
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353. Là où Begon descendit, sept des plus distingués [parmi les hommes de Charles] vinrent recevoir son mulet. Il entra dans le pavillon, entre les deux pans relevés. C’était un chevalier grand et bien bâti, adroit aux armes et sachant parler. Charles l’interpella, ôtant son gant : « Je vous rends votre fief et quatre fois autant de ma meilleure terre, sans tarder. Tu as ici tant de tes meilleurs parents que tu ne dois craindre aucun dommage[274]. |
Seiner iſte razons queu uos apor[t]
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354. — Sire, les paroles que je vous apporte sont de pure conciliation, sans rien d’inconvenant. Ce que je propose, c’est que votre baron ne vous fasse pas de mal, et que vous ne lui fassiez point tort. — N’essayez pas, Begon, de me réconcilier en aucune manière avec Girart, jusqu’à ce que les plus forts [de mes adversaires] soient abattus. Je n’aimerai Girart que mort. |
Seiner quaus ꝓz uos ert ſeu locie[z]
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355. — Sire, quel avantage retirerez-vous de l’avoir tué ? Tout au contraire, ce vous sera une grande honte de perdre par votre faute un comte de sa valeur. Le comte est preux et puissant, vous le savez, et peut vous faire plus service que ne font les dix meilleurs de vos hommes. |
Dun bec ſa ganz ualors eſt maíutaz
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356. — Don Begon, sa grande valeur n’est que de la malice, et sa puissance n’est que dommage et misère. Il m’a tué ou blessé cent mille hommes, il a ravagé et dévasté mon royaume. Il y a tels cent mille hommes de ses chasés[275] à qui il a fait de grands outrages, alors qu’il était en paix ; je suis maintenant leur seigneur ; je leur donne largement, et je les tiendrai[276] tous en honneur, s’il plaît à Dieu. — C’est là tort et grand péché, » reprit Begon, car le comte n’a commis envers vous aucune faute pour laquelle il ait forfait son héritage. |
....aico dun bec ke me diras
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357. — Eh bien ! Begon, que me diras tu de ceci ? Ici Girart s’est mis dans le cas de Judas, quand, après avoir mangé et bu avec moi, dans mon hanap, le même jour il a tué Thierri, comme un satan ! Je le lui ferai payer cher, tu le verras. Et déjà je l’ai un peu tondu et rasé sans eau : je l’ai mis en arrière de deux cent mille hommes, car en Gascogne il ne lui reste plus château ni maison. » |
....bec ſenancet ꝑ melz reſpondre .ar uos non uis anc un tan dur a tondre
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358. Don Begon s’avança pour mieux répondre : « Sire, avant de le mettre en demeure de vous faire droit, vous avez saisi son fief, brûlé ses cités, ruiné ses châteaux. Mais vous n’arriverez pas de sitôt à l’abattre au point de le voir mat et réduit à se cacher, car jamais vous n’aurez vu homme si dur à tondre ! |
Ja nō aurant tan dur car ne cuiram
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359. — Ils n’auront pas la chair ni le corps si durs, lui ni Boson ni Fouchier, les trois satans, que je ne leur fasse dommage, si je puis, en récompense de leur inimitié. On disait que nous étions parents : oui, bien sûr, dans la lignée d’Adam ! Si j’en pouvais tenir un en mes liens, je ferais bien voir comme je les aime ! Leur pesant d’or cuit, fussent-ils d’airain, ne les sauverait pas. |
Seiner no lo facaz co reſpōt bege
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360. — Sire, ne faites pas cela, » répond Begon. « Le comte Girart est prêt à vous faire droit. Prenez-le[277], s’il vous plaît, tandis qu’il vous en prie. — Après m’avoir trahi et renié, » dit Charles, « c’est alors qu’il dit qu’il me fera droit et m’offre son gant plié[278] ! Pour rien au monde je ne lui donnerais une demi-journée de trêve, et je ne lui laisserai pas une lieue de terre ! — Il y aura à faire, » dit Begon pour les moines et les médecins ! » |
Apres parlet gauters de ſain rome[c]
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361. Ensuite parla Gautier de Saint-Remi : « Je vous dirai une chose, don Begon, » dit-il : « depuis que Girart est en guerre, il n’a rien gagné ; l’autre jour, il a fait une bataille qu’il ne devait pas faire : il s’est battu contre le roi, en une plaine, luttant ce jour-là autant qu’il a pu ; il y a eu son écu troué, sa lance brisée. Dieu me garde d’un gain pareil à celui que le comte et sa mesnie ont fait en cette rencontre ! |
E uos quo reſpont bec qui preſes dun[c]
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Pro parlet andefrei qui tint meante
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363. Ensuite parla Andefroi qui tenait Mantes[281] : « Vous y avez laissé ce jour-là soixante mille morts, et votre olifant a corné bien bas la trahison de Girart, si souvent renouvelée. Dieu confonde le vase où pousse une telle plante[282] ! — Si nous pleurons, » reprit Begon, « qui donc en chante ? Qu’il se montre, celui qui s’en vante ! » |
Beges ot andefret keiſſi deſruche
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364. Begon ouït Andefroi s’emporter au point de traiter Girart de vieille écorce, de vase plein de vigne sauvage[283] : « Vous n’avez, » dit-il, « château si haut situé que le comte ne puisse effondrer après trois jours de siège. Celui qu’il frappe, il le porte à terre ou du moins y brise sa lance. Si le roi l’éloigne de lui, jamais il n’aura enlevé à son manteau une telle pièce. |
.......on eſt fel fos traches ne mois ......ueſ tant riche ome cui tot nāgois
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365. « Girart n’est ni cruel, ni léger, ni traître, ni lâche, mais hardi, loyal, dur comme du buis. Avant qu’il eût poil de moustache ni barbe, il avait conquis la terre de.....[284]. Jamais il n’y eut homme si puissant qu’il n’ait pu le réduire. Si vous voulez bataille, je le connais tel qu’avant peu vous verrez un craquement de lances qui vous laissera comme enseignes des manchots et des borgnes. — La bataille sera à moi.....[285] Je serai revêtu d’armes blanches ; se déguise qui voudra ! |
.rouat uos ai dun bec en camp e prous
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366. « Je vous ai trouvé, don Begon, très vaillant sur le champ de bataille ; maintenant j’éprouverai Girart, si je le trouve à ma portée. C’est par lui qu’à Paris fut établi le jeu, que dans la quintaine fut placé l’écu[286], que fut tué le duc de Thierri, dont ce fut grande perte. À Seguin il faut un long cercueil, à Boson un pareil, et au larron Fouchier une bière neuve. Personne ne saurait m’empêcher de les pendre. Depuis que je suis sorti de France où j’étais retourné (?) ils m’ont fait en ma terre assez d’incendies[287]. Je vous en jure Dieu, et le saint jeudi où il s’humilia entre les siens, ou bien il ne me laissera ni fief ni aleu, ou il ne lui restera ni vilain ni bœuf. Que Girart me face droit : je ne lui demande rien de plus[288], ou sinon je ne lui laisse pas la valeur d’un œuf. |
Seiner dreit uos fera girarz meſ ſir[e]
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367. — Seigneur, Girart mon seigneur vous fera droit ; vous le prendrez de lui comme vous le dites. — Oui bien, s’il me livre la personne de Boson, et puis je lui prouverai qu’il est mon traître[289]. Je l’ai prouvé l’autre jour, dans le premier conseil[290], et il n’a pu se disculper ni s’escondire[291] d’être l’auteur du meurtre indigne de Thierri, qu’il fit, comme un félon, tuer en trahison. » Don Begon s’irrita quand il entendit ces paroles. |
Don tote ior diiaz traiche mon ſendr[e]
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368. « Sire, vous ne cessez de traiter Girart de traître. Eh bien ! que celui-là s’avance qui l’en accuse ! Si je ne puis l’en sauver et l’en défendre, alors le comte sera traître prouvé, et faites moi pendre. » À ces mots, il présenta au roi son gant plié[292]. Mais il n’y avait si vaillant qui l’osât prendre, lorsqu’ils virent Pierre descendre au pavillon [royal] : « Seigneur, entendez bien cette parole : si Begon est grand je ne le suis pas moins, et, s’il demande bataille, je suis prêt à la lui donner. |
Que proz feras dis bec ſe ben lentenz .......li reſpont don bec tu menz
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369. — Tu feras sagement, » dit Begon, « de bien comprendre l’affaire, et tu seras fou si tu entreprends la bataille à tort. Je suis prêt à soutenir en combattant, avec mon bon cheval et mes armes, ou, si on le décide ainsi, à pied, comme un sergent, que lorsque Thierri fut abattu mort et sanglant sur le pré, Girart n’a ni préparé ni approuvé le meurtre, et qu’il n’y a eu, à cet égard, aucun complot. — Don Begon, » s’écrie Charles, « tu mens ! Girart s’est réjoui de la mort de Thierri ; il l’a complotée et voulue ; il s’est sauvé de ma cour comme un mécréant, sans prendre congé, ni lui ni les siens. Puis, aussitôt après, il a protégé mes malfaiteurs et leur a donné asile à Saint-Florent[293], château qui lui appartient en propre. C’est là que s’en est allé Fouchier avec mon argent[294]. J’ai envoyé Pierre à Girart, tu l’as vu, et Girart s’est moqué de mes plaintes. — Ceci est vrai, » dit Pierre ; « roi, tu as dit la pure vérité, j’en ferai la preuve[295] contre Girart, si tu maintiens ton dire. — La question, » dit Begon, « est autre. Écoutez bien l’affaire du commencement à la fin, portez un jugement équitable : si je suis vaincu et récréant, que le roi et toi soient réputés félons, si tu ne me pends ! — Tu ne seras ni victorieux ni vaincu, avant que le comte soit vaincu et reconnaisse sa faute : avec le temps le plus lent y arrivera. Là où des milliers d’hommes se heurteront, tu pourras avoir bataille, pour peu que tu attendes. |
Seiner co a dit beges lait ē de rei
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370. — Sire, » dit Begon, « il est mal, de la part d’un roi, de faire tort à son baron, de ne pas lui faire droit. Girart n’est pas venu à la cour et je vais dire pourquoi : c’est que tu ne peux escondire, ni personne pour toi, que ce ne soit avec ta permission qu’Andefroi, Aimon et Aimeri, que je vois ici, lui dressèrent une embuscade sous Mont-Elei[296]. Pour cela, personne ne me proposera la bataille. J’y fus, je le vis et te blâmai. Et pourtant le comte vous demande de lui rendre, par votre merci, son fief, que vous acceptiez le droit. — Begon, » dit le roi, « ôte-toi de ma présence. Je ne me fie ni à Girart ni à ses messagers, et je lui mande par toi de ne plus m’en envoyer, car, par saint Remi ! je le ferais pendre. » |
Beges entent del rei qui nel conſent
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371. Begon voit que Charles refuse, qu’il n’aime ni Girart ni les siens. Il répondit trois mots irrités : « Roi vous avez mal agi, lorsque vous lui avez, de propos délibéré, fait dresser une embuscade, sans d’abord l’avoir défié, quand ensuite vous avez saisi son fief avant de l’avoir cité au plaid. » Charles fut saisi de colère et, jurant par Dieu le tout puissant : « Si vous n’aviez pas ici de si puissants parents, » dit-il, « vous vous repentiriez d’avoir laissé sortir cette parole de votre bouche ! Celui là n’est pas mon ami, qui t’approuve. » Arbert et ses damoiseaux accourent et le jettent de force hors de la tente. Ils le font par amitié pour lui. Begon monte à cheval, prend ses armes, et Arbert le conduisit comme son parent. |
La o beges ſe part del conte arbert
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372. Après avoir quitté le comte Arbert, Begon passa la nuit dans un désert, sous le toit d’un saint ermite. De là il se rendit auprès de Girart, son seigneur. Et le comte lui demanda : « Que t’ont-ils proposé ? — J’ai trouvé Charles farouche et malveillant. Il ne te laissera plus de terre, il a trop souffert par toi. — Avant cela, » dit Girart, « il aura la tête fendue. Il n’a pas conquis là bas[297] autant qu’il perd de ce côté. Moi et les miens lui avons fait un ample désert. D’ici jusqu’à la Lorraine, à Saint-Lambert[298], franc ni serf ne peuvent se montrer hors des murs[299]. » Là-dessus voici venir Fouque et don Gilbert. |
Bos e folco e gilbers uun a un conſeil
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373. Boson, Fouque et Gilbert se rendent au conseil et demandent : « Que dit le farouche Charles ? — Il dit qu’il ne sera pas notre ami ni nous les siens, si tu ne lui rends Roussillon par la courroie[300]. — Avant cela, » dit Girart, « il aura le chef rouge[301] ! — Jamais vous n’avez vu roi si hautain. Vous seriez à ses pieds qu’il ne daignerait même pas vous faire un signe des yeux. Pour un peu, il m’eût pris aux cheveux, quand Arbert et ses damoiseaux me prirent sous leur conduite. Je passai la nuit sous un tilleul[302], chez un saint ermite, veillant toute la nuit. Je ne sais d’autre parti à prendre sinon que chacun se prépare, car le roi couchera ce soir sous Mont-Morel[303]. Samedi, au point du jour, il sera à Civaux[304]. |
Au partir ne fiſt top irat carait
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374. « Au moment où nous nous quittâmes, il me fit une figure irritée, quand je lui reprochai le guet-apens. Je voulus prouver mon dire par la bataille, que tu ne l’avais pas trahi, mais il me répondit une chose douloureuse : il m’a fait savoir, en tirant vanité devant tous, que les meilleurs de tes hommes vont à lui pour les grands outrages que tu leur as faits. |
Cuidaz de cheualer que nol peiſt fort
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375. « Croyez-vous qu’il ne souffre pas, le chevalier qui se voit lésé[305], traité injustement par son seigneur, qu’il n’en arrive pas à lui vouloir du mal, à lui souhaiter la mort ? C’est pour cela que vous perdez la terre jusqu’à Dunort[306]. Depuis la cité d’Avenches[307] jusqu’au port de Cluse[308], il ne vous laissera, dit il, personne sur qui compter. Vous n’avez château qu’il prise un jardin. Il vous fera faidit ; il l’a ainsi trouvé en consultant les sorts[309]. |
Par mon cap co diſt folco aco ſai eu Aiqui es nai forfait lonor e deu
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376. — Par mon chef ! » dit Fouque, « je ne sais que trop. Si Girart se voit trahi par les siens, c’est qu’ils l’ont trouvé dur et obstiné. Il se plaît à les outrager, à leur prendre leur fief. Dès que je fais tort à mon homme, que je lui refuse le droit, par cela même j’ai forfait le fìef[310] [et offensé] Dieu. » Girart soupira ; ces paroles lui furent pénibles, et il se tourna d’un autre côté sur son étrier[311]. |
Folco co diſt girarz e non ſai al
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377. « Fouque, » ce dit Girart, « je ne sais dire qu’une chose ; j’en prends Dieu à témoin, et vous soyez-en garants, avec tous mes chefs, que jamais je ne ferai tort à aucun de mes hommes. — Si vous aviez ainsi parlé, il y eut sept[312] ans à Noël dernier, les tiens ne crieraient pas aujourd’hui : Royaux[313] ! », Puis, éperonnant son cheval, il se dirigea vers ses hommes et leur dit : « Seigneurs, préparez-vous pour la bataille. Le comte Girart vous mande une loyale parole. Vous n’êtes pas des Gascons ni des Provençaux, mais des barons Bourguignons, vassaux de son pays. |
Lo cons girarz uos mande a tos ſeinor
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378. « Le comte Girart vous mande à tous, seigneurs, que jamais il ne fera tort ni déshonneur à comte, à demaine[314], ni à vavasseur, et moi je me porte garant de sa parole envers le dernier d’entre vous. » Et les comtes et les comtors[315] lui répondent : « S’il n’avait pas agi avec malice et légèreté, Charles ne lui aurait enlevé ni château ni tour. Mais nous ne sommes pas des Provençaux[316], traîtres envers lui ; il n’a pas à se défier de nous. » Alors Girart chevauche plein d’ardeur ; la nuit il s’hébergea sous Hauteflor. Au jour suivant, le roi en fut informé par messagers. |
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379. Les Gascons ont demandé congé à Charles ; les Poitevins et les Bretons sont aussi partis, et toutefois il ne fut pas tellement abandonné qu’il n’eût encore trente mille guerriers. Là-dessus voici le messager qui lui apporte des nouvelles de Girart. Le roi mande ses hommes et leur dit [ce qu’il vient d’apprendre]. Il fait rappeler tous ceux qui sont partis, et notamment le duc de Poitiers pour qu’il les guide. |
Dui conte ſunt de loſt del rei enſic
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380. Deux comtes sont sortis de l’ost du roi. L’un s’appelait Henri, l’autre Auberi ; leur sœur était la femme du duc Thierri[317] ; les fils de celui-ci, tués par Boson, étaient leurs neveux. Ils montèrent à l’observatoire et virent comment Girart distribuait ses troupes, comment il formait ses échelles. Charles sortait du camp avec ses fidèles quand vint à lui le comte Henri. « Sire, Girart chevauche, je l’ai vu. Nous avons, je vous l’affirme, plus de gens qu’eux. » Et Charles dit aux siens : « Mes amis, celui qui a tendu son tref n’aura pas un piquet à arracher ; cette nuit nous dormirons en sécurité. » |
Co comandat lo reis a ſos barons Aiſi ſiaz ſegur com as mauſſuns
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381. Le roi donna à ses barons l’ordre qu’aucun tref[318] ni pavillon ne fût baissé, que les licous ne fussent pas ôtés, ni les piquets arrachés. « Soyez en sécurité comme chez vous, car j’ai fait mander hier par deux hommes le duc de Poitiers et les siens. Guihomart[319] et Salomon[320] viendront aussi avec les Normands et les Bretons. » À ce moment ils voient arriver les Bourguignons, dont les gonfanons se montrent sur les postes avancés ; en tête sont Begon et Bardon, Fouchier, Agenois de Chalon. Les Français courent aux armes par les champs, abandonnant manteaux et pelissons, et montent sur les chevaux bais ou gascons. Au moment où on forma les échelles, ce fut à qui des barons porterait les premiers coups[321]. Aimon, Aimeri et Aimenon[322] conduisirent la charge, avec mille bons guerriers. Le jour était calme et chaud, et le ciel était pur. Ils s’aperçurent de loin, car la vallée était longue. Ces chevaliers renommés disaient des prières. Là où les premiers rangs s’abordèrent, il y eut grand fracas de lances et d’écus, et le champ fut bientôt jonché de tronçons. |
La bataille comence en catre parz
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382. La bataille commence en quatre endroits. L’échelle qu’attaquèrent Gilbert et Girart était guidée par le vicomte Gace, Hugues[323] et Berart[324] ; l’autre, contre laquelle vinrent Agenois, Begon et Foucart[325], avait à sa tête Gautier[326] et Pierre, son fils, le vaillant. Contre celle d’Auberi[327] viennent Auchier et Guinart[328] ; contre celle de Charles, Boson et Bernart. Là ne furent dédaignés ni Gascon ni Lombard, ni serf, s’il y en avait, ni bâtard[329]. |
La bataille comenze lon laige au port
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383. La bataille commença le long de la rivière, au port. On n’y observa aucune mesure[330], on ne consulta ni augure ni sort[331]. Droit et tort furent confondus. Ne croyez pas que personne se retienne de frapper : on cherche par tous les moyens à se donner la mort. Ceux qui conservèrent le champ de bataille, les plus forts, n’y gagnèrent pas de quoi se consoler de leurs pertes, car il n’en est aucun parmi eux qui ait été assez épargné pour n’avoir pas lieu de s’affliger. |
Li pors a non ſiuaus laige ueiane
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384. Le port a nom Civaux, sur la Vienne[332] ; la rivière était tranquille, le terrain uni. Le soleil était chaud : c’était au mois de mai, à midi. Là vous auriez vu tant de damoiseaux mettant tous leurs efforts à frapper et à tuer. Vous en verriez mille étendus pâles, dont le plus âgé n’avait pas trente ans et était sans un poil blanc. C’est là qu’on réveilla le souvenir de la quintaine où moururent les deux fils de de Thierri, le duc d’Ascane. Ainsi la haine s’envenime et le mal s’accroît. |
E uos ꝑ camp begun de ual olei E brocunt les cheuaus e ferunt ſei
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385. Voici par le champ Begon de Val Olei, qui appelle Pierre de Mont-Rabei. Et Pierre lui répond : « Je vous vois bien. » Ils piquent des deux et se frappent. Il n’y a si fort écu qui ne se brise ; les quatre côtés des hauberts sont faussés. Ils s’abattent l’un et l’autre en un chaume, et si Begon mourut, le roi en fut content. Pierre, à la suite de cette rencontre, garda le lit pendant cinq ans, ne pouvant ni monter à cheval ni rendre la justice. |
Quant ueit caer gauters peirun ſon fil
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386. Quand Gautier vit tomber son fils Pierre, il ne faut pas s’étonner si en son cœur il en fut affligé. Il frappe Begon à terre[333], sous le nombril, de sorte que la lance pénétra dans le sol. Agenois et Fouchier arrivent au galop : ils frappent Gautier, lui fendent l’écu vermeil, et l’abattent mort si bien qu’oncques il ne bougea. |
Par eiqui ſunt paſſat ſet cent gerrer
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387. Par là sont passés sept cents[334] guerriers chasés et habitants de Mont-Rabei ; ils trouvent Pierre blessé et Gautier, leur seigneur naturel, leur porte-enseigne, mort. Ils l’enlèvent de la mêlée, tristes et sombres, puis ils y rentrent, irrités et farouches. Ils tuèrent beaucoup des gens de Fouchier, mais à la fin ils le payèrent cher, car il n’y en eut pas vingt qui échappassent sains et entiers. |
En folcon out uaſal ſaiue e oneſte
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388. Fouque était un guerrier prudent et vaillant. Il examina la bataille, jugea la position, et, laissant le flanc gauche, il dirige ses hommes vers la troupe royale (?) et attaque sur le flanc droit. Ils font un bruit de tempête. Là vous auriez vu tant de damoiseaux de franche naissance tomber à bas du cheval, et tant de têtes se séparer de leurs bustes, sans qu’aucun d’eux fût assisté d’un prêtre ! Tant de noblesse resta sur le champ de bataille que les salles sont désertes quand vient une fête. |
Aienris uen cridant uauluc uauluc
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389. Henri vint criant : « Vauluc ! Vauluc ! » Celui qu’il frappe de sa lance ne remue plus. Il appelle Girart traître ! malheureux ! « C’est pour votre malheur que vous avez vu la mort du duc Thierri ! » Fouque courut le frapper, quand il le reconnut. Il lui trancha le haubert, la poitrine, le buste et l’abattit mort à terre : « Désormais vous laisserez tranquille le duc Girart ! » |
Jſta bataille fun a un diſſade
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390. Cette bataille eut lieu un samedi, à Civaux, le long de la Vienne, en un pré. Là vous auriez vu tant de damoiseaux, la bouche ouverte, tant de barons étendus morts [sur la route. Ce fut un jour de malheur, celui où fut résolue et commencée cette guerre maudite de Dieu. France et Bourgogne en furent dépeuplées. Ah ! Dieu, quel deuil pour les mesnies de Charles et de Girart, qui s’étaient engagées par serment à combattre jusqu’à la mort. Ils étaient animés, mais leur ardeur ne venait pas de Dieu, à faire grand carnage[335]] par la plaine herbue. Tant de sang fut répandu par les champs couverts de rosée que l’eau de la Vienne en était sanglante pendant une lieue. |
Jſta bataille fun un ior deſtat Landris e auberis ſunt encontrat
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391. Cette bataille eut lieu un jour d’été et dura jusqu’à la nuit, telle était leur fureur. Landri[336] et Auberi se sont rencontrés, frappés, renversés, blessés à mort. Si je nommais tous ceux qui ont jouté, si je contais comment chacun s’est battu, je ne serais pas arrivé demain à la moitié de mon récit. Boson, Fouque, Bernart font un grant abattis. Ils n’avaient à leur suite que sept mille combattants, et cependant ils ont chassé du champ de bataille Charles qui avait dix mille hommes ; mais, avant qu’ils les eussent fait reculer d’une portée de trait, la moitié d’entre eux était couchée sur le sol et les rangs de ceux de Fouque étaient bien éclaircis. Alors Charles eut peur et son cœur se remplit de dépit. Contraint par la nécessité[337], il appela, en sonnant du cor, trois mille Allemands qu’il avait placés en réserve. Ceux-ci arrivent en rangs serrés ; ils trouvent les combattants [des deux partis] tout mêlés, et les rangs confondus ; chargeant en masse, ils les ont troués et deux fois les ont traversés. |
Alemant uunt cantant lor chirieles
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392. Les Allemands s’avancent, chantant leur Kyrie[338]. Fouchier et Agenois vont les férir. Ils n’étaient pas plus de trois cent trente-trois, mais jamais pareil nombre ne fit si bien, car ils passèrent à travers dix-sept cents hommes, et à la charge en retour l’ennemi avait disparu. Girart eut toujours à se louer de cette affaire. |
Agenes uen poinent ſobran de roc
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393. Agenois vient chevauchant sur Anderoc[339], un cheval de prix originaire du Maroc. On ne vit jamais chevalier qui sache aussi bien se battre. Il ne touche personne qu’il ne l’abatte mort ; son gonfanon jaune en était devenu rouge. Lorsqu’il tomba, ce fut pour ses péchés[340]. Il n’y eut, parmi ceux de Charles, homme qui, l’ayant vu, ne courût sur lui. Son haubert ne lui valut un morceau de drap. Il reçut tant de coups qu’il tomba pour ne plus se relever. |
Quant ueit folchers des ſeus tuit ſūt deſrot
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394. Fouchier voit les siens rompus, Agenois mourir des coups qu’il avait reçus, et venir Andefroi qui lui adresse des injures : « Par Dieu, Fouchier, je ne vous estime ni ne vous redoute, et je convaincrai Girart de trahison ! » Et il lui répond : « Vous en avez menti, gredin ! Je suis homme de Girart, le preux comte, et je me tiens pour lâche de te laisser tant parler. » |
Folchers fert andefret en loberc blanc
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395. Fouchier frappe Andefroi sur le blanc haubert, et le lui rendit rouge de sang ; il lui perça le cœur, le foie, le flanc, il l’abattit la face contre terre, et lui dit : « Cherchez un prêtre pour vous panser. Vous ne l’avez pas vu comploter la trahison dont vous parlez. J’en défends le franc comte Girart. » |
Aimes nenc apoinent e aimeris
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396. Aimon et Aimeri vinrent au galop, et ils virent comment Fouchier avait tué leur frère. Ils se désolent, chacun disant : « Malheureux que je suis ! Ha ! frère Andefroi, ami cher ; si celui qui vous a tué s’en retourne en vie, puissent Dieu et saint Denis ne jamais nous venir en aide ! Aimeri frappe Fouchier sur l’écu noir et lui passe par le corps la lance avec l’enseigne, tandis que Aimon, le frappant de l’épée par le visage, lui fend la tête et l’abat mort dans un sillon. Ce fut un deuil et une perte que la mort du preux marquis. Meilleur vassal ni plus fécond en ressources ne resta sur ce champ de bataille. |
Vi girart cons ris bar cal ami pres
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397. Ha ! comte Girart, puissant baron, quel ami tu perds ! Boson et Bernart trouvent Fouchier gisant à terre, et auprès de lui Landri, le seigneur de Nevers. « Frère Boson, » dit Bernart, « attaque-les ! » Ils courent frapper Aimeri sur son écu foncé : l’écu ni le haubert ne lui servirent de rien ; ils le percent de leurs lances, dont les fers ressortent de l’autre côté, traversant la peau, la chair et les nerfs, et l’abattent mort dans la plaine. Boson dit alors un mot cruel : « Je te donne la récompense que tu mérites : ce n’est pas ton serf qui la recevra pour toi ! » |
Quant ſi les a feruz bos e bernarz Quai qui fu morz auchers el cons ginarz
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398. Quand Boson et Bernart l’eurent ainsi frappé, survinrent Fouque et le comte Achart[341], et Gilbert le comte de Senesgart, et, du côté du roi, le duc Bérart[342], Gace, vicomte de Dreux, et Uielart. Les troupes [royales] se dispersent à l’arrivée des dernières échelles[343]. Je ne crois pas que le quart se soit échappé sans blessures. Le dépit et la honte étaient pour Charles : son enseigne et son étendard ont été renversés, son étendard, son dragon[344] et son tref où étaient peints des léopards ; les hommes de Girart les lui abattent comme un bois qu’on essarte. Mais voici qu’arrive au galop l’évêque Brocart[345], un maudit clerc, plein de malice, qui était parent du roi, son frère bâtard. Il crie au roi : « Où vas-tu, couard ? Regarde vers la cité de Poitiers : tu verras venir des chevaliers et des chevaux de toutes couleurs. Girart est vaincu, le félon traître qui t’a tué tes hommes, incendié tes châteaux ! » Boson l’ouït et dit : « Tu en as menti, garçon[346] ! » Là-dessus surviennent par un essart les hommes de Charles, le duc Gui de Poitiers et Guihomart, le vicomte Richart, baron de Normandie[347]. Girart a trop tardé : là où il se rencontre avec les Escobarts[348], il y perdit nombre de Bourguignons et de Lombards. Dieu ! quel seigneur y perdit Montbéliard[349] ! car là périrent Auchier et le comte Guinart, Armant, le duc de Frise, et le comte Achart[350]. Le comte Bernart y fut blessé à mort. Toutefois, il reçut la confession, le vaillant comte, et vécut du samedi[351] au mardi. |
Jraz ſen uait lo reis de ſeus de tras
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399. Le roi s’en allait dépité, derrière les siens, quand vint au galop l’évêque Gras[352], qui lui crie : « Roi, écoute : un grand secours t’est venu ; tu vas le voir ! » Mais Boson va le frapper sur la tête : aussi loin que vous pourriez lancer un roi d’échecs, il lui fait voler le chef coupé au ras du buste : puis il l’invita à chanter son sæcula sæculorum. À ce moment, ceux de Charles affluent en hâte, et bientôt vous auriez vu un millier d’hommes étendus, les vêtements ensanglantés, qui réclament le corpus Domini, et sept mille sont demeurés sur le champ de bataille, à qui il ne faut plus rien que la terre ou un tombeau. Et Girart se désole : « Pécheur, malheureux ! qu’as-tu fait[353] de tes barons que tu as amenés ? Par saint Thomas, j’aime mieux être enterré avec eux que dans l’enceinte du moutier Saint-Pierre[354]. » Et Fouque lui dit : « Méchant diable, tu y resteras aussi, si tu ne t’enfuis, et que le feu brûle quiconque y restera pour toi ! » |
Anz ke uenunt gaſcon ne peiteuin
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400. Avant que Gascons, Poitevins, Normands, Manceaux, Angevins fussent arrivés, le jour avait tellement baissé, qu’ils ne savaient plus reconnaître qui était l’ennemi ; aussi mit-on fin au combat. Girart et ses cousins battirent en retraite et Charles coucha sur le champ de bataille jusqu’au lendemain matin. Ce jour même lui arrivèrent trois cents bêtes de sommes chargées d’argent tel que des esterlins : c’est le tribut qui lui vient d’outre-mer. Charles dit alors : « Prenez, mes amis. Girart n’eut jamais si mauvais voisin : je lui ai enlevé la Gascogne, le Querci, l’Auvergne, le Périgord[355], le Limousin, et vers l’Allemagne, jusqu’au Rhin. Cette fois il a perdu Bernart, l’autre jour c’était Seguin[356]. Boson le traître a un peu la tête basse. » |
Recaubut a girarz gant enconbrer Qui muiris en mauſon ni en ſoler
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401. Girart a reçu un grave dommage. Il pleure Guinart et le comte Auchier, Armant, duc de Frise, et Berengier[357], [Begon qui, peu avant, avait accompli le message[358]], Landri de Nevers, son conseiller[359], et par dessus tous, Bernart et Fouchier[360]. « Par Dieu ! » s’écrie Boson, « je ne veux pas pleurer. Nous avons tous été élevés et dressés pour une telle fin. Pas un de nous n’a eu pour père un chevalier qui soit mort en maison ni en chambre, mais en grande bataille, par l’acier froid, et je ne veux pas porter le reproche [d’avoir fini autrement]. Mais ce qui me fait supporter plus aisément ma perte, c’est qu’il y a plus de morts de leur côté que du nôtre. » |
Ere ſen uait girarz mais ml’t a pou
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402. Or s’en va Girart, mais la mesnie qu’il avait coutume de conduire avec lui est bien réduite. On mit le comte Bernart à Charroux, en une pauvre église, sous le seuil, où plus tard furent placés la couronne et un clou de Dieu[361]. Vous eussiez vu là mille chevaliers ayant au cou l’écu vermeil ou bleu, aucun ne l’ayant entier. Les mieux portants sont malades....[362]. De part et d’autre, on est si dolent du mal éprouvé que, si le comte se plaint, le roi n’a pas à se louer. |
Se girarz e li ſeu ſen uunt plorent
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403. Si Girart et les siens s’en vont pleurant, les barons de Charles restent dolents, car leurs amis ont péri dans la bataille. Le roi n’y eût rien gagné, n’était la terre qu’il prend à coup sûr en donnant de l’argent. Quiconque a bon château le rend au roi, et, quand Girart se présente, on le repousse. Tous ses hommes l’abandonnent, sauf les Bourguignons, ses parents. |
Caſtels uait e citat girarz cerchant
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404. Girart va parcourant châteaux et cités ; on ne l’y laisse entrer ni avec peu de monde ni avec beaucoup. Charles leur a tant promis et donné que tous se sont livrés à lui. Quand le comte se voit ainsi dépouillé par le roi, il demande conseil à Fouque. Et Fouque se pourpense comment il pourra lui calmer la colère et la haine. |
Seiner co reſpont folco daico nos cal
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405. « Sire, » répond Fouque, « ne vous en souciez. Depuis que Senebrun et ses captals[363] ont été pris, je n’ai plus confiance en Gascon ni en Provençal. Et pourtant, j’irai dans leur pays avec mes guerriers. Si je puis entrer dans Avignon, au dedans de la porte, j’espère, d’ici à Noël, avoir conquis Carcassonne, Béziers, Nîmes et Gênes (?)[364]. » Les deux comtes se quittèrent à Saint-Martial[365]. |
A ſain marcal ſo partent li baron Aiqui es uirent renes borgenon
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406. Les deux barons se quittent à Saint-Martial. Le comte Girart se dirige vers Roussillon, menant avec lui Gilbert et Boson. Mille chevaliers suivent Fouque. Avant qu’il fût arrivé en Provence, il rencontra des messagers venant d’Avignon où ils ont laissé la gent de Charles. Les bourgeois lui ont rendu par trahison la cité, le bourg et le donjon pour sa fière justice[366] et pour ses dons. Fouque, lorsqu’il rapprit, en fut dolent. Les Bourguignons firent aussitôt demi-tour et chevauchèrent jusqu’à Bourbon[367]. Avant le lever du soleil, Fouque mit la cité en feu. De là il se rendit à Nevers, puis à Dijon, où il apprit des nouvelles qui n’étaient pas faites pour lui plaire. |
A folco diſ li bibes doſteun
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E folco auuit les noues aiqui eſ monte
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408. Fouque ouït les nouvelles. Il monta aussitôt à cheval, avec lui mille chevaliers de mesnie. Il avait à cœur d’aider le comte Girart et de faire payer au roi sa douleur, son dépit et sa honte. |
Mult eſt dolenz girart car ꝑt ſon reine
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409. Girart est profondément affligé de perdre ainsi sa terre. Il pensait venger sa perte, mais il ne fit que l’accroître. Il combattit avant l’arrivée de Fouque, mais il n’était pas assez fort pour se maintenir sur le champ de bataille. Le comte fut vaincu : son enseigne fut muette[370]. Il dit qu’il ne se sait plus de terre pour laquelle il puisse la tenir[371], puisque Dieu l’a abandonné. Charles campe sur le champ de bataille, ne daignant pas se mouvoir[372] ; il y fait tendre ses trefs et allumer des feux. Mal lui prit de cette bravade[373]. Avant qu’il ait pu ceindre l’épée, il aura du dépit. Ne croyez pas que Fouque se calme avant qu’il ait fait passer sur eux sa douleur et son dépit. |
Folco lo cons chauauce a ire plene
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410. Le comte Fouque chevauche plein de colère ; Gui de Ravenne le fait savoir à Girart ; à cette nouvelle, celui-ci tira les rênes. Lorsqu’il vit Fouque venir par la plaine, la joie lui fit oublier sa douleur. Cette nuit, personne ne prit de nourriture, ni cheval, si précieux fût-il, un grain d’avoine. Ils sont accoutumés à endurer la peine. Quand le comte vit paraître l’aube du jour, il leur[374] montra comment, la nuit, il avait recouvré le souffle. |
Li ior ſunt lonc de mai pauche la nuiz
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411. En mai, les jours sont longs, courtes les nuits. Les hommes de Charles étaient fatigués de porter leurs armes : qui était fatigué et affaibli dormit de bon cœur. Il y en eut mille qui gisaient par les prés, non pas sur une hauteur. |
Folco les uait ferir au iorn paruent Ni agun ſon chaual nol teine a lent
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412. Fouque se jette sur eux à la pointe du jour. Il en trouve mille, étendus, désarmés par les prés, qui, surpris à l’improviste, n’ont pas le temps de s’armer. Boson et Gilbert les tuent tous. Le roi n’avait que quatre cents hommes armés. À leur tête, il charge avec fureur, quand il reconnaît Fouque avec sa nombreuse troupe et voit briller sous les enseignes tant de heaumes. Il se sentit pris d’épouvante. Il n’y a aucun des siens qui ne tienne son cheval pour lent ; le roi lui-même voudrait le sien plus rapide. Il n’arrêta pas jusqu’à tant qu’il fût dans le château[375]. Une fois là, les murs le protègent. Cependant, Girart est dehors qui ramasse le butin. |
Lo cons girarz ſen torne o ſes nebouz
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413. Le comte Girart s’en retourne avec ses neveux. Comme il revenait de la poursuite, il rencontra cent [des royaux] qui se tenaient à une croix, et qui, tous d’une voix, criaient merci. Le comte et son neveu Boson les tuèrent tous. Il n’était pas possible que Dieu n’entrât pas en courroux contre lui ; et dès lors la guerre tourna au désavantage de Girart[376]. |
Vn moſter ac el plan ſoz uau color
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414. Il y avait un moutier dans la plaine, sous Vaucouleurs, avec un abbé, des prieurs et des moines. Mille chevaliers s’y réfugièrent. Girart les y brûla sous les yeux de Charles l’empereur, faisant grand tort envers Dieu et envers son seigneur. Fouque ne put s’empêcher d’en pleurer : « Que deviendrons-nous, » dit-il, « pécheurs que nous sommes ? Qui ne porte foi au Rédempteur ne peut vivre longtemps sans déshonneur. » |
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- ↑ Voy. p. 99, n. 1.
- ↑ Le combat judiciaire.
- ↑ Événements déjà annoncés au § 206.
- ↑ Cf. § 204.
- ↑ Cf. § 107.
- ↑ L’un des trois neveux de Thierri ; on ne dit pas lequel. P. (vv. 2830-2) a corrigé cette négligence en mettant les verbes au pluriel, ce qui l’entraîne à un changement arbitraire à la rime du v. 2831.
- ↑ Ici et deux lignes plus loin, ce qui est entre [ ] ne se trouve que dans P. (vv. 2837, 2842.)
- ↑ Valanço P. (v. 2838.)
- ↑ Des trois, selon Oxf. et L. qui ne mentionnent ici que Boson, Seguin et Fouchier.
- ↑ Au sens du droit féodal. Ceux-là sont dans la fidélité du roi qui lui ont prêté le serment de foi, qui, en retour, lie la partie qui le reçoit.
- ↑ 200 selon P. (v. 2860).
- ↑ La chambre à coucher de Charles.
- ↑ Cf. p. 35, n. 2.
- ↑ Nerios dans P. (v. 2869) ; le passage manque dans L.
- ↑ Je ne vois, dans les divers poëmes d’Alexandre, rien à quoi puisse s’appliquer cette allusion.
- ↑ Leçon de P. (v. 2877) ; Vaurubes Oxf., Valnubes L. Je ne sais quel est ce lieu.
- ↑ Saint-Maureil Oxf.
- ↑ Taillat d’avau Oxf. et P. (v. 2890). Je ne saisis pas le sens précis de d’avau.
- ↑ On voit figurer en divers actes, de 970 à 988, un vicomte de Limoges qui porte ce nom, mais dont les relations de parenté, à la vérité assez peu assurées, ne paraissent pas avoir été celles qui sont ici indiquées ; on sait seulement que son père s’appelait Hildegarius (= Audegier) ; voy. R. de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges (Paris, 1874), p. 80 (où le passage de G. de Rouss. est cité), et le même, dans le Bulletin de la Société scientifique de Brive, II (1880), 50.
- ↑ Cf. § 209.
- ↑ P. (2932) : « à qui j’avais donné ma sœur. » Le vers manque dans L.
- ↑ Beaumoncel est un nom de lieu qui existe dans le Calvados, Eure et la Sarthe.
- ↑ C’est la première fois que cette accusation fut portée contre Drogon, le père de Girart. Quant à l’aïeul de celui-ci, nous ne le connaissons pas.
- ↑ Carmel L., Calmeilh P. (v. 2960), lieu que je ne puis identifier.
- ↑ Le même que le Mont-Espir du § 130.
- ↑ Aimel L., « lui et sa gent », ce qui détruit la rime, P. (v. 2963).
- ↑ Mot à mot « je sais bien la fleur de cela ».
- ↑ Postel’en la barbe, imprécation, fréquente chez les troubadours, voy. Raynouard, Lex. rom. IV, 673a.
- ↑ Cf. § 216.
- ↑ Saint-Martial de Limoges ? En ce cas, ce serait le vicomte de Limoges qui paraît au § 218.
- ↑ La leçon assurée par Oxf. et P. (v. 2996), le vers étant omis dans L., est E laisse estar lo doble, pren le catau ; j’entends doble au sens d’amende, voy. Du Cange, dupla. Catau est pris dans le sens juridique ancien « debitae pecuniae caput », Du Cange.
- ↑ Un « Gacelins de Droies » figure dans la chanson des Saxons, I, 62.
- ↑ Cf. § 225.
- ↑ Fouchier, voy. § 216.
- ↑ Cela paraît vouloir dire qu’on se dédommage comme on peut.
- ↑ Ici je suis P. (vv. 3030-1) ; c’est l’idée de la lumière mise sous le boisseau. La leçon d’Oxf. n’est pas satisfaisante et ces deux vers manquent dans L.
- ↑ Sic Oxf. et P. (v. 3036) ; les Vaus de rans dans L.
- ↑ « Patience d’allemand » est, dans un vieux dicton, au nombre des choses « qui ne valent pas un bouton ». Le Roux de Lincy, Livre des Proverbes, d’après le ms. Bibl. nat. fr. 19531.
- ↑ Molbrans P. (v. 3044). Ce nom paraît fabuleux. Il existe dans le ms. 247 de la Faculté de médecine de Montpellier une courte chanson de geste dont le héros est Vivien l’Aumacor de Mont-Bran.
- ↑ Carabela P. (v. 3052), Danz Garins de Cable L.
- ↑ Mont-Agart L., Mont Essart P. (v. 3054).
- ↑ Le comte Richart du § 248, distinct probablement du vicomte Richart qui paraît au § 231 ?
- ↑ Le premier comte de Poitiers qui ait porté le nom de Guillaume est Guillaume Tête d’Étoupe, ✝ 963.
- ↑ Comborn, localité maintenant disparue, était au xiie siècle l’une des quatre vicomtes du Limousin (Limoges, Ventadour, Comborn et Turenne). Mais le nom de Richart ne figure pas dans la liste des seigneurs de Comborn.
- ↑ Trois comtes d’Anjou ont porté le nom de Fouque au xe siècle.
- ↑ Sans doute Joffroi d’Angers, cf. §§ 88 et 154. Dans P. (v. 3070), au lieu de ces trois noms, il y a : « Ricart et le duc Gui de Guienne ».
- ↑ L. Looneis, Laonnais ?
- ↑ M. à m. « nouer en sa courroie ». Cette locution qui reparaît au § 274 semble se rapporter à l’usage de faire un nœud à une lanière attachée à une charte pour attester les stipulations contenues dans cette charte et en conserver la mémoire. Le nœud fait à la courroie est mentionné dans un grand nombre d’actes du xie siècle et du xiie, qui appartiennent en général à la région du sud-ouest. Voy. Du Cange, corrigia 2, et nodator. et Archives de la Gironde, V, nos 57, 60, etc.
- ↑ Rainier P. (v. 3117) L. porte Tiebert et non Tiebaut, comme a lu à tort M. Fr. Michel (p. 312).
- ↑ Cauçon Oxf., chauçon L. Dans P. (v. 3154), le vers est tout différent.
- ↑ Ben entaillat a bestes de marmorin. Cela paraît signifier que sur le fond du pelisson étaient fixés des morceaux de marbre sculptés en forme d’animaux.
- ↑ Cette appellation, et de même au § 282, se rapporte à la nature de l’œuvre, non à la provenance du vêtement.
- ↑ D’un ufarin P. (v. 3160) ; le vers manque dans Oxf. et L. P.-ê. devrait-on corriger ostarin, couleur produite par un mollusque, mais cependant distincte de la pourpre ; voy. Du Méril, Glossaire de Floire et Blanchefior.
- ↑ Vers qui manque dans Oxf et L.
- ↑ Avec des dessins en mosaïque.
- ↑ Non douteux, Mafreiz Oxf. Folchiers P. (v. 3203), leçon que la rime rend inadmissible. Le vers manque dans L.
- ↑ Leçon de P. (v. 3229) ; Oxf. et L. « chaussés de neuf ».
- ↑ M. à m., dans Oxf. (le vers manque dans L. P.), « de quiconque s’assiée en fauteuil ».
- ↑ Cet oiseau, comme plus haut le loriot, est appelé par la rime.
- ↑ Monganger Oxf., Mont Caubier P. (v. 3267), Mont Disdier L, — Oxf. ajoute ce vers que je n’entends pas : Ja est co clareus qui fu seiner.
- ↑ « La moitié » est assuré par l’accord d’Oxf. et de P. ; il y a dans L. « la ventaille ». Je traduis littéralement sans être très sûr du sens. Ce haubert était-il échiqueté d’un côté, et de l’autre divisé par quartiers, comme un écu ?
- ↑ Vers qui se trouve dans P. seulement. Rivier, nom douteux puisqu’il n’a d’autre autorité qu’un ms. où les noms propres sont souvent corrompus, est un lieu mentionné par plusieurs chansons de geste. Il y a un Achart de Riviers dans Garin (Mort de Garin, éd. Du Méril, p. 191), un Bernart de Rivier dans Aie d’Avignon, v. 92. Dans le même poëme (vv. 297 et 821) paraît un Girart de Rivier, ou Riviers, seigneur de Huy, de Namur, de Dinan et d’Erezée (?). Nous trouvons Morant de Riviers dans Gaidon (v. 4839). Le val de Riviers est mentionné dans le Charroi de Nîmes, v. 343. Enfin, dans Amis et Amiles (vv. 1868, 2031, 2051, 2686), Riviers est une cité située sur le bord de la mer.
- ↑ Encore un vers qui ne se trouve que dans P.
- ↑ Belan Oxf., le nom de l’épée ?
- ↑ Le roi des Lombards ?
- ↑ Qu’es de durmer Oxf., dedins mier P. (v. 3267) ; qui fu d’ormier L. est une leçon refaite par le copiste.
- ↑ C’est, comme on sait, le renflement placé au centre de l’écu, du côté extérieur.
- ↑ De l’apoier Oxf., des lo polchier P. (v. 3268), où des est bon ; m. à m., je crois, à partir de l’endroit où on appuyait l’écu : c’est donc la pointe ; la targe était un grand bouclier que dans les sièges on appuyait, que même on enfonçait en terre.
- ↑ Dans P. seul (v. 3271).
- ↑ Ville de Catalogne dont il est souvent question dans les chansons de geste.
- ↑ Bête de somme.
- ↑ Ce qui suit est omis dans L. Je traduis en partie d’après P., la leçon de l’Oxf. étant pour moi peu intelligible.
- ↑ La leçon a mon esgart ne paraît assurée pas la concordance de L. et de P. (v. 3298) ; a Mont Ascart Oxf, peut bien toutefois être en soi un nom de lieu réel, car nous l’avons déjà rencontré au § 230.
- ↑ Aiennon Oxf. et Aenmon L. me semblent dériver d’une mauvaise leçon qui se serait trouvée dans l’original commun à ces deux mss. ; Aimeno P. (v. 3347), que j’adopte, doit être le personnage qui sera mentionné aux §§ 255-7.
- ↑ Ce qui est entre [ ] ne se trouve que dans P. (vv. 3353-4).
- ↑ P. (v. 3378) ajoute : « Qui demande merci à un mauvais seigneur est bien en peine ».
- ↑ Chastres, P. (v. 3381.) À la rigueur, ce pourrait être Châtres maintenant Arpajon.
- ↑ Dans P. seulement.
- ↑ Cf. § 235.
- ↑ Un certain poids d’or que du Cange, sous manca et mancusa, identifie avec le marc. D’après un texte français, cité sous mancusa, le mangon aurait valu deux besans.
- ↑ Aimes au cas sujet (P. vv. 3401, 3913, 3915, 3916, 3925). N’est pas à confondre avec Aimon seigneur de Bourges (aussi appelé Aimenon, § 104, P. v. 1055) l’hôte de Fouque lors de son ambassade auprès de Charles.
- ↑ a et b Dans P. seul. (vv. 3402 et 3404).
- ↑ Divers témoignages que l’on trouvera réunis presque tous dans un
article de la Romania, IV, 394-3, constatent qu’il était usuel au
moyen âge de se faire « tâtonner » ou gratter en vue de provoquer le
sommeil. C’était, paraît-il, l’un des devoirs de l’hospitalité de pourvoir
à ce que l’hôte fût ainsi endormi confortablement. Ainsi dans Aiol
une jeune fille assiste au coucher du héros du poëme, borde son lit, et
Douchement le tastone por endormir.
(Édit. de la Société des anciens textes français, v. 2158.)Cette opération, bien que le soin en fût confié aux femmes, n’était pas considérée comme compromettante pour celles qui l’exerçaient. Du moins voit-on des dames au-dessus de tout soupçon « tâtonner » leur hôte pour les faire dormir. Mais on conçoit pourtant que parfois des conséquences autres que celles qu’on avait en vue aient pu se produire, et en fait un poète satirique des premières années du xiiie siècle reproche à certains ecclésiastiques d’avoir la nuit auprès d’eux des jeunes filles « qui les tastunent » (Romania, IV, 391, v. 125). Ici même nous verrons le messager de Charles rendant compte au roi de son message, se louer de son hôte qui lui a donné la plus belle fille qu’on ait jamais vue (ci-après, § 299, P. vv. 3927-8).
- ↑ C’est-à-dire les sommer de lui dire leur pensée, en invoquant le nom de Dieu ou des saints, de façon à leur rendre toute dissimulation impossible.
- ↑ De l’amende.
- ↑ Allusion à Pierre, le messager de Charles.
- ↑ Bisquar, P (v. 3447).
- ↑ Les derniers mots, depuis « jusqu’à... » sont traduits d’après P. (vv. 3451-2). Ce même membre de phrase est placé dans Oxf. à la fin du discours de Boson auquel il se relie assez mal. Il offre d’ailleurs dans ce ms. des leçons douteuses. Il manque dans L.
- ↑ « A Aix, en mai » L., modification d’un copiste qui avait lu d’autres chansons de geste, car Aix ne figure pas dans notre poëme au nombre des résidences habituelles de Charles ; voy. §§ 1, 95, 98, 190, 203, 248, 253, 254, 255, 291, etc.
- ↑ Les barons de la cour de Charles.
- ↑ Il s’adresse maintenant à Girart.
- ↑ Voy. p. 131 n. 4.
- ↑ Ou « de Guyenne, » d’Agiane Oxf. L, de Guiane P, (v. 3502). Je ne vois pas de Hugues dans la série des ducs d’Aquitaine, ce qui pourrait conduire à adopter la leçon de P., Gui au lieu d’Ugon des deux autres mss. Gui d’Aquitaine serait le même que le Gui de Poitiers du § 143.
- ↑ Lui e Guinart Oxf. lui en gignart L., ab mala art P. (v. 3503), probablement le comte Guinart des §§ 135 et 166.
- ↑ Ou peut-être « en vue de qui vous vivez », per pouvant signifier « par » ou « pour » ; cf. dans le poëme de Boëce per cui vivre esperam, v. 3.
- ↑ « Pour son droit » pourrait s’entendre du droit de Charles, dont ce chevalier se constituerait le champion.
- ↑ C'.-à-d. combattre contre moi. Il se pourrait qu’il y eût ici une allusion à une ancienne forme de défi : il est souvent question dans les romans d’un bouclier suspendu à un arbre comme une provocation permanente, et celui qui avait l’audace de le frapper voyait apparaître un chevalier armé, tout prêt au combat.
- ↑ M. à m. « son malfaiteur », celui qui lui avait fait du mal.
- ↑ C’est-à-dire « pour que j’aie forfait ma terre ».
- ↑ Abbaich Oxf., abait L., abah P. (v. 3605). Ces formes, et d’ailleurs les rimes qui répondent en général à une finale latine act’, rendent bien douteuse l’étymologie abbatem ; aussi Diez a-t-il proposé (Etym. Wœrt. II c, abait), toutefois avec doute, le bas latin ambactus, all. ambaht, qui répond pour le sens à minister ou ministerialis, voy. Du Cange. C’est dans ce sens que j’emploie « officier » ; « fonctionnaire » serait un peu moderne.
- ↑ La construction de la phrase, dans Oxf. et P. (v. 3611) amène à faire de caraich, carait, carah, une sorte de synonyme de cap qui précède ; toutefois il est difficile de faire de ce mot un dérivé de cara, fr. « chiere ». Je suppose que c’est une forme apparentée à character.
- ↑ Ces paroles ne semblent pas, de prime abord, répondre à la demande de Charles telle qu’elle est formulée par le messager. Toutefois elles y répondent indirectement, Girart veut dire que la terre qu’il tient de son père est franche et ne peut, par conséquent, être forfaite. La même prétention a déjà été exprimée plus d’une fois.
- ↑ C’est-à-dire. « jamais il ne se sera fait un tort aussi grand.
- ↑ Cf. p. 115, n. 1.
- ↑ Tirade omise dans L.
- ↑ Mot à mot « qu’il peut nouer en sa courroie », comme au § 232.
- ↑ D’après P. (v. 3663) ; « le roi » Oxf. ; le vers manque dans L. Il est fait ici allusion à des personnages qui me sont inconnus.
- ↑ Anchart P. (v. 3671).
- ↑ Lieu fortifié appartenant à Girart et dont il sera question plus loin encore (§§ 308-12). Je ne réussis pas à le retrouver dans la nomenclature moderne.
- ↑ Peil pelant es cauz cui dans lui dol Oxf. ; Pel a pelan e sanc cui dens no dol P. (v. 3731) ; le vers manque dans L. Je traduis comme s’il y avait Peil a pelant el cap ou el suc, et j’entends que quand on n’a plus mal aux dents (c’est-à-dire quand on n’a plus de dents), on est bien près de devenir chauve. L’idée serait que Girart se montre faible, sans énergie. C’est très conjectural.
- ↑ Allusion à un récit inconnu. Elmon Oxf. et L., Raimon dans P. J’ai traduit maiol par « mon grand père », mais ce peut être un nom propre.
- ↑ Sai ben entendre P. (v. 3741) est assez plat ; ne quen sendre Oxf., n’a ni sens ni mesure ; L. n’a pas ce vers ; je corrige ne quer entendre.
- ↑ D’après P. La leçon d’Oxf. et de L. me paraît corrompue.
- ↑ Le roi.
- ↑ Oxf. molt vos il faz ere do bis ; les derniers mots, pour moi inexplicables, sont confirmés par P. (v. 3751) molt i fazetz era do bis.
- ↑ Els potz saziz, de P. (v. 3760), est clair, mais mauvais, la vraie leçon doit se cacher sous le texte d’Oxf., e fors sosis.
- ↑ Ici s’ouvre dans L. une lacune, causée par l’enlèvement d’un feuillet (60 vers).
- ↑ Judeu est ici pour la rime.
- ↑ 1er octobre.
- ↑ Au moyen âge, les bergers sont le type de la simplicité.
- ↑ C’est l’idée déjà exprimée par Girart, à la fin du § 259.
- ↑ Ici cesse la lacune de L.
- ↑ Cf. § 235.
- ↑ Le Gautier de Mont-Rabei du § 241.
- ↑ Ce chiffre n’est là que pour la mesure et la rime.
- ↑ Il me semble impossible d’entendre autrement ce passage pour lequel les mss. ne présentent aucune variante importante. Cependant on voit que la réponse de Charles s’applique mal aux paroles de Gautier. Faut-il supposer que la fin du discours de celui-ci manque dans tous nos mss. ?
- ↑ Gaignart, cf. p. 105, n. 1.
- ↑ Pour la rime, bien entendu.
- ↑ Ici, dans Oxf. et L (p. 332), une laisse dont la place véritable est plus loin, la laisse 308.
- ↑ Laisse déplacée dans Oxf. et L., voy. ci-dessus, p. 146, note 5. On conçoit qu’une laisse dont le seul objet est de récapituler les faits, qui, par conséquent, interrompt de toute façon la narration sans rien apprendre de nouveau, ait pu aisément être transportée hors de sa vraie place.
- ↑ Chez Girart.
- ↑ Tirade de cinq vers qui manque à L. P. C’est un simple appel de jongleur que, à cause de son insignifiance même, deux copistes indépendants l’un de l’autre ont fort bien pu avoir l’idée de supprimer.
- ↑ Sur l’usage de s’asseoir à terre sur le sol ou le plancher couvert de joncs, voir mon édition de Flamenca, p. 288, n. 3.
- ↑ Mal trachic Oxf., mal traitiz L. P. (v. 3888). Traitiz signifie ordinairement allongé, en parlant des doigts ou du nez ; je ne sais pas ce que ce mot veut dire ici.
- ↑ On sait qu’autrefois l’orme formait la décoration la plus ordinaire des places publiques, d’où la locution : « Attendez-moi sous l’orme ». Voy. sur ce point la dissertation de M. Fr. Michel, dans les Mémoires lus à la Sorbonne, section d’archéologie, année 1867, p. 168 et suiv.
- ↑ Cf. §§ 251-2.
- ↑ Que vos bastic, Oxf. et L., le vers manque dans P. Je ne vois pas le moyen de traduire autrement, à moins de supposer que sous vos se cache quelque nom propre.
- ↑ M. à m. « à ses nourris ».
- ↑ Voy. la fin du § 252.
- ↑ Cf. §§ 254-5.
- ↑ Brie Oxf., Bieire L., Boera P. (v. 3907). Est ce Bruyères en Vosges ? Cela est douteux parce qu’on ne voit pas que ce lieu ait jamais été le chef-lieu d’un comté ; mais c’est, en tout cas, un lieu qu’il faut chercher dans l’est, où étaient les possessions du marquis Fouchier ; voy. p. 69.
- ↑ Sic Oxf. ; c’est peut-être un nom de lieu inventé pour la rime ; vas bon alberc. P. (v. 3918) est une correction de copiste. Le vers manque dans L.
- ↑ Cf., § 257.
- ↑ Caninieus P. (v. 3939) ; cf. p. 46, n. 2.
- ↑ Cf. § 272.
- ↑ Au moyen âge, ces batailles s’engageaient presque toujours par des combats singuliers entre les principaux personnages des deux armées (voy. ici même, § 145. C’était un honneur très recherché que d’être autorisé à engager ainsi l’action.
- ↑ Cf. § 269.
- ↑ Je ne vois pas que Girart ait fait valoir ce grief en présence de l’envoyé du roi ; mais, antérieurement, il avait manifesté son indignation de la conduite de Charles en cette circonstance. Voy. la fin du § 215.
- ↑ Le texte, tel que nous l’avons, ne porte nulle part que Girart ait proféré cette menace.
- ↑ D’après P. (v. 3976), Oxf. est corrompu et la leçon de L. est visiblement refaite.
- ↑ Le duel judiciaire.
- ↑ En ce qui concerne le meurtre de Thierri, ce que dit plus clairement P. (v. 3990).
- ↑ Cf. §§ 275-8.
- ↑ Il n’est nullement question, dans le texte que nous avons, de l’enlèvement de cette cité, qui m’est inconnue. La leçon de P. (v. 4002), Mongronh, m’est également obscure. L. passe le vers.
- ↑ Ce que Pierre veut dire est expliqué plus loin au § 314.
- ↑ Cf., § 270.
- ↑ Notons que c’est avant l’altercation avec Boson que prend place, dans le poëme, l’exposé des conditions que Pierre est chargé de transmettre ; voy. § 255.
- ↑ Cf. p. 61, n. 4.
- ↑ Ses hommes en général, l’ensemble de ceux qu’il avait droit de convoquer ; ses marquis, c’est-à-dire les feudataires qui tenaient ses marches, et qui, à cause de la distance, n’avaient pas eu le temps de rejoindre.
- ↑ Cf. p. 112, n. 4, et plus loin, p. 164, n. 2.
- ↑ Fort douteux ; c’est le sens qui résulte de la leçon de mon ms. de darz pareis ; je n’entends ni delsz dal pares Oxf., ni des apareis L ; quant à la leçon de P. (v. 4069), de lor gran pris, il est visible qu’elle est le fruit de l’imagination d’un copiste.
- ↑ L’acier viennois est déjà mentionné dans Rolant, v. 997.
- ↑ Il s’agit probablement de Henri, l’un des hommes du roi, qui reparaîtra plus loin (P. vv. 5053, 5148, 7008). Ce n’est pas, au moins dans la rédaction que nous avons, un personnage bien important. Il est à croire que c’est le besoin de la rime qui l’a introduit ici.
- ↑ Peut-être celui qu’on voit plus loin périr dans un combat (P. V. 5172).
- ↑ À Mont-Amele.
- ↑ En Acorevent Oxf., leçon évidemment corrompue, en Laurivent
( = l’aurivent), II, a Oirevent L, en Orien P. (v. 4096). Ce lieu est
évidemment le même que l’Olivant que l’auteur du roman français de
Girart de Roussillon mentionne en ces termes (éd. Mignard, p. 191) :
Va s’en li dus Girars tout droit en Olivant,
Semur fut puis nommés, non pas a son vivant.Et plus loin (p. 228) :
Il (Girart) funda Avalon et Saint Jean d’Olivant
Qui Semur fut nommés, non pas a son vivant.Ces deux passages sont reproduits à leurs places respectives, dans la version en prose de Jean Wauquelin (ch. cxxix et cliv) ; mais je ne saurais dire d’où l’auteur du roman en vers a tiré cette identification d’« Olivant » et de Semur, ni la mention d’une fondation d’abbaye dans cette même ville. Ce n’est pas de la vie latine de Girart de Roussillon, ou du moins du texte qui nous en est parvenu.
- ↑ Montés est la traduction fort aventurée de a coite ou a cocha, donné par tous les mss. (P. v. 4101).
- ↑ Voy. p. 40, n. 1.
- ↑ Il faudrait pouvoir dire, comme le texte, fors conseillé, c’est-à-dire mal conseillé.
- ↑ Cf. §§ 259, 263.
- ↑ Soixante, selon P. (v. 4136.)
- ↑ a et b Cf. § 306.
- ↑ Anchier cel de Marsaire P. (v. 4147). Ce doit être l’Auchier des §§ 166, 304, 317 ; l’Auchier, renommé par sa loyauté, du § 30.
- ↑ Raire P. (v. 4153).
- ↑ Leçon de P. (v. 4153) ; Oxf. senz caire, ce qui n’offre guère de sens ; L. Que K. la trespast u sanz contraire, leçon refaite, où la rappelle Caire mentionné précédemment. J’adopte la leçon de P., parce que Rancaire est un nom de lieu qui figure ailleurs dans le poëme (P. v. 6475, même leçon dans Oxf. et sans doute dans L. s’il n’y avait dans ce ms. une lacune à cet endroit).
- ↑ On a déjà vu plus haut le renard symboliser la lâcheté, p. 66, n. 1. Il y a ici deux vers (P. vv. 4163-4) dont le premier, bien que nécessaire au sens, est omis par Oxf. et L, mais qui se retrouvent identiquement les mêmes précédemment, au § 150 (P. vv. 1929-30), et dont le premier reparaîtra plus loin (P. v. 4429). Ce vers. Tenetz mi per revit a volpilho, a été bien expliqué par Diez, Kritischer anhang zum Etym. Wœrt., 1859, p. 25. Revit (reveiz Oxf. pour proatz de P. v. 1682) est le français revois, sur lequel voy. Scheler, Berte au grand pied, p. 157-9.
- ↑ Ce nom n’est conservé que dans Oxf., mais cela suffit. Le comte Guinart paraît ordinairement en compagnie d’Auchier (§§ 135, 166, 275, 304).
- ↑ La principauté de Montbéliard, quoique n’ayant été unie à la France qu’en 1796, a toujours été de langue française.
- ↑ Girart.
- ↑ Les passages des Pyrénées.
- ↑ « Castillans » P. (v. 4184).
- ↑ Ici s’ouvre dans L. (entre les feuillets 30 et 31) une lacune correspondant aux vers 4185-4429 de P., et qui se forme au § 328.
- ↑ Cela veut dire probablement, avec son train royal, à la tête de troupes considérables.
- ↑ Le premier Aimeri qui ait été vicomte de Narbonne occupa la vicomté de 1080 à 1105. Aimeri II fut vicomte de 1105 à 1134. Mais ces personnages sont trop récents pour que l’auteur ou même le remanieur ait eu en vue aucun d’eux. C’est la même difficulté que pour l’Aimeri du Pèlerinage de Charlemagne, voy. G. Paris, Romania, IX, 40-3.
- ↑ Son gendre Oxf., son oncle P. (v. 4194), où son peut se rapporter aussi bien à Girart qu’à Aimeric. Ce Gilbert est différent du Gilbert de Senesgart, le cousin germain de Girart.
- ↑ Le premier comte de Barcelone qui ait porté ce nom est Ramon Berenguer I, le Vieux, 1035-76 (Art de vér. les dates, II, 293).
- ↑ Au lieu de lo comte, leçon de P. (v. 4196, il y a dans Oxf. lo leicluent, ce que je n’entends pas.
- ↑ Guintran lo savi de Babilona, P. (v. 4197). Je suis la leçon d’Oxf., sachant toutefois que Balone est fautif, d’autant plus que le vers est trop court d’une syllabe, mais le Babilone de P., est inadmissible. Ce Guinant ne peut être, en tout cas, le comte Guinant du § 229, qui est au nombre des vassaux de Charles. Il se peut que Guintran soit la bonne leçon, cf. p. 304.
- ↑ Je préfère ici la leçon de P. (v. 4198) à celle d’Oxf., ques avers done, qui est une pure cheville.
- ↑ Il me semble difficile d’entendre autrement le vers Per toz aiquesz lo cons lo reis (corr. rei d’après P.) razone, mais toutefois je ne me dissimule pas que c’est admettre, de la part de Girart, une démarche conciliante que le § 317 est bien loin d’annoncer »
- ↑ Le heaume était trop pesant pour être porté hors des cas de nécessité. Or, comme il était d’usage de le fixer au haubert par un lacet, on descendait de cheval pour faire plus à l’aise cette opération.
- ↑ Peut-être Verdonnet, cant. de Laignes, arr. de Châtillon-sur-Seine.
- ↑ Le pays des Herupois, la Herupe, paraît avoir compris, au xiie siècle, toute la région qui s’étendait de la Loire à la Seine, à l’ouest de Paris et d’Orléans, l’ancienne Neustrie ; voy. Fauchet, Œuvres, 1610, fol. 541, Longnon, Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris, I, 8-12.
- ↑ Voy. p. 40, n. 2.
- ↑ Oxf. Mans el e Beruer e Aucores. Ce dernier mot désigne probablement le contingent d’Auxerre, mais je préfère Bretoneis de P. (v. 4345) ; voir la note suivante. Peut-être faudrait-il aussi préférer aux Berruyers les Angevins de P., qui figurent assez ordinairement en compagnie des Manceaux ; voy. §§ 152, 155, 323.
- ↑ J’adopte la leçon Guianes de P. (v. 4347) : Bretones d’Oxf. n’est pas à sa place, si on admet que les Bretons sont dans la seconde échelle, et d’autre part, il est naturel d’associer les Aquitains aux Poitevins. On a vu plus haut (§ 143) les Aquitains conduits par Gui de Poitiers.
- ↑ Poherenc, cf. p. 84, n. 2.
- ↑ Serait-ce le comte Joffroi des §§ 88, 89, 115 ; etc. (probablement Joffroi d’Angers) ?
- ↑ « Henri et don Guigue » paraissent déjà au § 173.
- ↑ Voy. p. 51, n. 1.
- ↑ Le safre désigne bien encore maintenant (voy. Littré) l’oxyde de cobalt, comme il a été dit ci-dessus, p. 112, n. 3, substance qui sert à produire une couleur bleue ; mais ici on ne voit pas comment le safre, si c’est une couleur, pourrait être influencé par la pureté de l’or. Le safre doit désigner ici, et en beaucoup d’autres endroits, le brillant produit par un vernissage pour lequel on employait une substance appelée « safre », et qui n’était pas nécessairement l’oxyde de cobalt. En effet, safre désigne « dans la basse Provence un sablon quartzeux, et dans la haute la terre glaise ou argile qu’on emploie comme mortier ». Chabrand et de Rochas d’Aiglun, Patois des Alpes Cottiennes, p. 184 ; cf. Littré, Dictionnaire, Supplément, p. 304, safre 3. Mais d’autre part, et c’est probablement là qu’est la vraie explication, en esp. zafre est un oxyde de bismuth donnant une coloration jaune, et on a rapproché ce mot de l’arabe sofra, couleur jaune, voy. à la suite du supplément de M. Littré, le Dict. étym. des mots d’origine orientale, sous safre. Il serait donc possible que le safre désignât dans nos anciens poëmes une couleur jaune ou dorée.
- ↑ Nous l’avons déjà vue, cette épée, au côté de Pierre de Mont-Rabei, § 246.
- ↑ Garnier, P. (v. 4370).
- ↑ Ici Rames Oxf., mais plus bas Rainier ; c’est le même qui figure au § 164, où, me conformant à la graphie donnée par Oxf. à cet endroit, j’ai écrit Renier.
- ↑ Sic Oxf. et P. (v. 4384).
- ↑ Ce nom, qui a son utilité dans les rimes en enc, figure déjà au § 109, mais s’appliquant à un autre personnage.
- ↑ Je ne suis pas en état d’expliquer ce cri de guerre ni le précédent.
- ↑ C’est ainsi que Raynouard, V, 60, traduit roden (P. v. 4396)
- ↑ Au sens de troupe rangée en bataille.
- ↑ Il y a dans les mss. neps (neveu).
- ↑ P. (v. 4299) : Adonc es orgolhos i afermatz, mais mieux dans Passy : Donques es plus segurs e plus menbraz. Le vers manque dans Oxf.
- ↑ Métaphore empruntée au jeu d’échecs.
- ↑ Cette laisse et la suivante manquaient originairement dans Oxf., soit que le copiste de ce ms. les ait omises, soit qu’il ne les ait pas trouvées dans la leçon qu’il transcrivait. Plus tard elles ont été ajoutées sur deux feuillets qu’on a insérés après le feuillet 86 et qui, par suite, portent les nos 87 et 88. Placés comme ils sont, ces deux feuillets coupent en deux la laisse 325. Si on les avait placés après le folio 85, ils auraient coupé la laisse 322, et se seraient ainsi trouvés plus près de leur véritable place. Mais l’erreur n’est pas accidentelle ; celui qui a fait cette addition a voulu qu’elle se plaçât entre les tirades 323 et 324, ce qu’il a indiqué en écrivant le premier des vers ajoutés, au haut du fol. 86 v°, au-dessus de la tirade 324. L’écriture de ces deux feuillets est italienne, comme celle de tout le ms., mais d’une époque beaucoup plus récente, de la fin du xive siècle, ce semble. Ce qui est notable c’est que, dans ces deux feuillets additionnels, l’ordre des deux tirades est interverti : 321 vient avant 320, particularité qui s’observe aussi dans le fragment de Passy (II). C’est la leçon de ce fragment que je suis de préférence pour ces deux tirades. Cette leçon est apparentée de très près à celle d’Oxf., mais plus correcte.
- ↑ Il y a ici dans Oxf. et II un vers, Aimon et Andefrei Gilbert et Gui, qui manque dans P. Les deux premiers de ces noms ne peuvent guère être que ceux de deux neveux de Thierri (voy. §§ 107 et 213), qui étant ennemis déclarés de Girart ne peuvent figurer ici. Je suppose donc qu’ils ont été introduits par erreur, amenés par le nom d’Aimeri qui précède, nom qui sans doute désigne ici Aimeri de Narbonne (voy. § 319), mais qui est aussi celui d’un neveu de Thierri.
- ↑ Je traduis ici un vers, nécessaire au sens, qui ne se trouve que dans mon fragment : Se vos hui me failliez, vez me honi.
- ↑ Proverbe bien connu dont les exemples abondent au moyen âge ; voy. Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 282, 485 ; cf., pour le provençal. Bartsch, Denkmæler, p. 12, v. 3-4 ; p. 33, v. 23.
- ↑ Les gaite-vi, frag. de Passy (gardeni, pour garde-vi, dans Oxf.) mot à mot, ceux qui guettent le vin, rappellent les fainéants que le troubadour Marcabrun flétrit en plus d’une de ses pièces, qu’il appelle corna-vi, bufa-tizo, etc. Voy. Romania, VI, 122, n. 4.
- ↑ Douteux : P. (v. 4403) d’Orlem, Oxf. d’Arle, où la dernière lettre, qui ne peut guère être qu’un n, manque, le bord extérieur du feuillet étant déchiré.
- ↑ Oxf. Baiart que (q barré) fas. Le vers manque dans P.
- ↑ Ab armas dans les deux mss., mais la rime ?
- ↑ Folras P. (v. 4411).
- ↑ D’après P. (v. 4414), Oxf. Cleopas. Ce nom semble emprunté à quelque tradition antique.
- ↑ « Du vieux Troas », selon P. (v. 4415). Je n’ai pas réussi à trouver d’où a été tiré ce nom.
- ↑ Je n’entends pas ne sis lavas Oxf. ; la leçon de P. (v. 4417) n’es mia gas est visiblement refaite.
- ↑ Ce saint n’a été choisi que pour la rime.
- ↑ Leur parent, voy. § 212.
- ↑ Cf. ci-dessus la p. 156, n. 4.
- ↑ Ici se ferme la lacune de L. ; voir ci-dessus, p. 157, n. 6.
- ↑ Ceci est en contradiction avec le récit du meurtre de Thierri, tel qu’il a été fait plus haut dans une série de tirades consécutives (§§ 200-8). On ne voit pas que Fouchier ait pris part à cet acte de trahison.
- ↑ L’endroit où on appuyait le bouclier ? soz la poger (l’apoger ?) Oxf., le pogier L ; la leçon de P. (v. 4442) lo polchier est corrompue ; cf. plus haut, p. 128, n. 3, et plus loin, § 334 l’apogail Oxf.. lo pogalh P. (v. 4501), le pogail, L.
- ↑ D’une guerre privée.
- ↑ « Cent, » selon Oxf. ; le vers manque dans L.
- ↑ Cet Olivier, de qui Pierre de Mont-Rabei tenait ses armes, a déjà été mentionné aux §§ 245 et 246.
- ↑ Ci-dessus §§ 282-3.
- ↑ Qui ornait le centre du bouclier.
- ↑ Vers qui n’est que dans P. (v. 4494).
- ↑ Mont Saint-Droin L., le vers manque dans P.
- ↑ Le haubert couvrait le cou et une partie du visage.
- ↑ Un Raimon Borel fut comte de Barcelone de 992 à 1018 ; voy. l’Art de vér. les dates, II, 292 ; P. de Bofarull, Condes de Barcelona vindicados, I, 197.
- ↑ Doltrans P. (v. 4533-5). Sans doute le Doitran qui figure au § 252, parmi les hommes de la mesnie de Girart.
- ↑ Teoïn Oxf., tenoï P. (v. 4542). Enterin L. (non pas osterin comme dans l’édition) est une correction de copiste.
- ↑ Cf. p. 77, note 1.
- ↑ Le vers est complété par cette cheville que fest (que fit) Ginarz Oxf., Gimarz ou Gunarz L., Gaigartz P. (v. 4570). Ce fabricant de heaumes ne m’est pas connu d’ailleurs.
- ↑ Le texte, et par suite le sens, est douteux. Oxf. ajoute : « et j’aurai ma terre quitte et en paix. »
- ↑ C’étaient donc des cercueils de pierre.
- ↑ L’évêché de Cornouailles en Bretagne, chef-lieu Quimper.
- ↑ M. à m. « Que Dieu ne me donne pas relief d’une autre serviette (toaille) ». Je suppose qu’il y a ici une allusion à l’usage d’accorder à celui qui avait servi à table, en certaines grandes occasions, le relief de la table. Dans Huon de Bordeaux, vv, 256-68, le relief du duc Seguin, pour servir à la table de Charlemagne à Pâques, à la Pentecôte et à Noël, est estimé à trois mille livres. Le relief consistait ordinairement en pièces de vaisselle, particulièrement en un hanap, voir l’extrait des Assises de Jérusalem cité dans Du Cange sous grasala. Les témoignages abondent sur ce point. Lors de la consécration de l’évêque d’Angers, Guillaume le Maire (1291), un seigneur s’empara, en vertu d’un droit traditionnel, des bassins d’argent et des serviettes dont l’évêque s’était servi pour se laver les mains au moment du repas. (Mélanges historiques [2esérie], II, 256, dans les Documents inédits.) Cela rappelle et explique le « relief de touaille »dont il est ici question.
- ↑ Ces paroles doivent être placées dans la bouche de l’abbé breton.
- ↑ C.-à-d. qu’il le tienne de moi.
- ↑ Voy. p. 75, note 2.
- ↑ Faute pour Tolsanz, Toulousain ? P. (v. 4033) cosen, la leçon de Hofmann, cosin, est une mauvaise correction. — Guillaume n’est pas sûr.
- ↑ Lieu apparemment propre aux embuscades, puisqu’il est mentionné dans les mêmes circonstances au § 214, où je l’ai appelé, d’après L., Clarençon, Ici encore L. porte Clarencon, mais Clarenton est assuré par l’accord d’Oxf. et de P. (v. 4661).
- ↑ Bourbon l’Archambaut ?
- ↑ « Senebrun et Corbaron » P. (v. 4666).
- ↑ Corbero P. (v. 4667).
- ↑ Girarz L. (p. 350), Aimes P. (v. 4668).
- ↑ Arlio P. (v. 4675).
- ↑ Interprétation non moins douteuse qu’au § 72. Oxf. lo pont desgarz, L. le pont de Gart, P. (v. 4699) los ponts dels gartz.
- ↑ Corbigny, abbaye bénédictine (diocèse d’Autun), fondée, en 864, en l’honneur de saint Léonard ; voy. Gall. Christ., IV, 475. S. Léonard était décédé à Vendœuvre (Sarthe), et son corps fut transféré à Corbigny vers 877 (AA. SS., oct. VII, 47 a).
- ↑ Voy p. 34, n. 2.
- ↑ Cesart L., Censart Oxf. ; le vers manque dans P. Je pense que c’est une allusion au meurtre de César.
- ↑ Le marquis Fouchier, pour la rime, comme plus loin § 382.
- ↑ « Pour ce est li fous qu’il face la folie », Le Roux de Lincy, Livre des Proverbes, I, 243.
- ↑ Encore ici « neveu » au lieu de cousin, comme p. 161.
- ↑ Voy. ci-dessus §§ 260, 261, 266.
- ↑
Qui de loinz garde de près s’esjoïst.
Ce dist li vilains.(Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 465 ; cf. p. 388 : Qui de longe providet de prope gaudet).
- ↑ Vers qui n’est que dans P. (v. 4748), Boson et Seguin sont coupables du meurtre de Thierri et de ses fils (voy. §§ 201 et suiv.) ; quant à Fouchier, il a joué un vilain tour à Charles, sans provocation (§ 216).
- ↑ Cf. §§ 213-5. Hugues n’est pas mentionné parmi ceux qui prirent part à cette tentative.
- ↑ On sait que telle était la fonction primitive de l’écuyer, comme du reste l’étymologie l’indique.
- ↑ Ils passent la Loire à Nevers ; et la Saône à Châlon.
- ↑ Ou Muçon ; Val Muso P. (v. 4765).
- ↑ Oxf. Girunde lo traverse naus e nodon, L. (p. 353) Gironde a traverseie o ben (non pas bon) noon, P. (v. 4768) Gironda lor traversa nac e dordon. Ces leçons paraissent diversement corrompues.
- ↑ Le vicomte de Dreux, déjà mainte fois mentionné.
- ↑ Cf. le commencement de la tirade précédente.
- ↑ Voir p. 53, n. 2 et 70 n. 4.
- ↑ Tenir un vassal, au sens féodal, être son suzerain.
- ↑ Le droit.
- ↑ Voy. p. 64, n. 3,
- ↑ Ici s’ouvre dans L. (p. 355) une lacune de plus de 1700 vers (=P. 4852-6570).
- ↑ Ici, dans Oxf., deux vers dont le premier peut se traduire ainsi : « Si nous n’avons pas fait de cercueils plombés », mais le second, probablement corrompu, est pour moi inintelligible : Mais vos ne meses un en vas nentrunc. Il doit y avoir une allusion aux cercueils faits par ordre de Charles, §§ 344-5 ; trunc, tronc d’arbre creusé, serait synonime de vas.
- ↑ Cf. § 107.
- ↑ Le vase, c’est Girart ; la plante, c’est la trahison.
- ↑ Écorce, vigne sauvage, sont appelées ici par la rime (uche) qui ne fournit qu’un très petit nombre de mots et, par suite, amène l’auteur à des associations d’idées singulières.
- ↑ Des mar el fois Oxf., de mar au fois P. (v. 4874) de la mer jusqu’à Foix ?
- ↑ Le sens du second hémistiche e tuit li trois Oxf., e toh lhi trois P. (v. 4878), m’échappe complètement.
- ↑ Sur lequel les chevaliers essayaient leur adresse, voy. p. 1, n. 2.
- ↑ Voy. § 348.
- ↑ Le texte paraît pas susceptible d’une autre interprétation, et pourtant ces paroles du roi sont en contradiction avec celles du § 360.
- ↑ Par cette expression Charles veut dire à la fois que Girart a commis envers lui un acte de trahison, et que cet acte est prouvé de telle sorte, qu’en droit, sinon en fait, Girart appartient à Charles, qui a droit d’en prendre la vengeance qu’il lui plaira.
- ↑ Celui où fut décidé l’envoi de Pierre de Mont-Rabei.
- ↑ Voy. p. 99, n. 1.
- ↑ Voy. p. 64, n. 3.
- ↑ C’est la première fois que paraît dans le poëme ce nom de lieu. Le grief même que le roi fait ici valoir contre Girart n’a jamais été ainsi formulé. On a vu au contraire, § 228, l’un des hommes du roi poser en fait, sans être contredit, que Girart n’avait pas donné asile au meurtrier de Thierri.
- ↑ Ici le roi fait allusion, non plus au meurtre de Thierri, mais au vol commis par Fouchier (voy. § 216). Déjà, § 228, le roi a accusé Girart d’avoir donné asile à Fouchier, quoique le récit n’en dise rien.
- ↑ Par le duel.
- ↑ Mont-Erbei P. (v. 4950). Aucun de ces deux noms n’est mentionné à l’endroit où il est parlé de cette embuscade, § 215.
- ↑ En Gascogne, voir § 352.
- ↑ Saint-Lambert de Liège ?
- ↑ Sont obligés de rester enfermés dans les lieux fortifiés.
- ↑ Oxf. correil, P. (v. 4991) torrel, qui n’a pas de sens.
- ↑ De sang.
- ↑ Tilleul (teil) n’est ici, bien entendu, que pour la rime.
- ↑ Oxf. Mont Moureil, P. (v. 4999) Mont Aurel.
- ↑ En Sival dans les deux mss. ; voir plus loin, p. 189, n, 3. Il s’agit donc d’une bataille aramie, c.-à-d. dont le lieu et la date sont convenus d’avance, comme la bataille de Vaubeton (voy. § 126), mais il est singulier que ce rendez-vous n’ait pas été indiqué dans la scène qui précède.
- ↑ Voir § 356.
- ↑ Nous avons déjà vu ce nom mentionné au § 167 comme étant le cri de guerre d’Odilon, l’oncle de Girart. Ce doit être un lieu situé entre le Rhône et les Alpes, limites entre lesquelles s’étendaient les possessions d’Odilon (voir la fin du § 99).
- ↑ Ancien Aventicus ou Aventica, maintenant Wiffisbourg, canton de Vaud ; voy. Longnon, Géogr. de la Gaule au vie siècle, p. 224.
- ↑ A Clausa al port Oxf., la leçon de P. (v. 5012) entro al port, est corrompue. Il y a dans les Alpes de nombreux passages appelés Cluse ou La Cluse. Remarquons que les menaces du roi sont loin d’avoir eu cette précision.
- ↑ Sur les différentes manières de consulter les sorts au moyen âge, voy. Du Cange, Sortes sanctorum. M. Roquain, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, XLI (1880) 465-74, et M. Chabaneau, Revue des langues romanes, 3e série, IV, 167-78, ont publié deux textes, l’un latin, intitulé sortes apostolorum, l’autre provençal, qui contiennent des réponses, généralement assez vagues, aux questions de ceux qui cherchaient à connaître l’avenir, M. Chabaneau a rassemblé, p. 161, note, plusieurs textes empruntés aux auteurs latins du moyen âge et à la littérature provençale sur l’usage de consulter les sorts. Cette liste pourrait être notablement augmentée. Pierre de Vaux-Cernai raconte que Simon de Montfort avait consulté les sorts, un ouvrant au hasard le psautier, avant de se rendre à la croisade contre les Albigeois (fin du chap. xvii). Dans Flamenca (vv. p. 2300), Guillaume de Nevers interroge l’avenir de la même manière lorsqu’il se prépare à séduire l’épouse d’Archambaut. Dans Girart de Roussillon, l’usage de consulter les sorts est si bien admis que lorsqu’une guerre est entreprise sans qu’on l’ait fait, l’auteur a soin de le mentionner ; voy. §§ 140 et 383.
- ↑ Il faut entendre « l’hommage ».
- ↑ On verra au § suivant que le conseil se tenait à cheval en présence des troupes.
- ↑ Cinq, selon P. (v. 2028). Je ne vois pas à quel événement il est fait ici allusion.
- ↑ Le cri de guerre des troupes royales en tout pays, voy. le texte de Mathieu Paris, cité dans Du Cange, V, 560 b. Un érudit a jadis réuni de ce cri de guerre plusieurs exemples, sans paraître se rendre compte de ce qu’il signifiait ; voy. Jahrbuch f. roman, u. engl. Literatur, II, 120.
- ↑ Je conserve l’expression de l’ancien français, qui, naturellement, ne peut trouver d’équivalent en français moderne. Le demaine est un terme assez vague qui désigne l’homme libre dépendant directement du seigneur, dominius.
- ↑ Voy. p. 11, n. 1.
- ↑ Ce sont pourtant les Gascons, non les Provençaux, qui (ci-dessus, § 332) ont fait défection.
- ↑ On a vu au § 107 que Thierri avait eu quatre femmes, dont la dernière était sœur d’un roi Louis, de même au § 101 ; au § 112, cette quatrième femme est sœur de Charles-Martel ; ici il est question d’une sœur des comtes Henri et Auberi. La femme désignée dans le présent §, comme celle désignée aux §§ 107 et 112, est mère des enfants tués par Boson. Il y a donc contradiction entre ces divers passages.
- ↑ Sorte de tente.
- ↑ Guinars P. (v. 5066), ce qui fausse le vers ; au § 398, le même ms. (v. 5268) porte Guinarmartz ;. Le nom de Guihomart, conservé par Oxf., est un souvenir du chef breton Wihomarchus qui lutta contre Louis le pieux (Einhardi Annales, ad ann. 822 et 825 ; cf. A. de Courson, Cartul. de Redon, p. xxiii).
- ↑ Salomon de Bretagne figure parmi les vassaux de Charlemagne en plusieurs chansons de geste. Voy. les témoignages rassemblés par M. Joüon à la table de son édition du roman d’Aquin, sous ce nom.
- ↑ Voy. p. 149, n. 4.
- ↑ L’Aimenon, hôte de Pierre de Montrabei (§§ 155-8), ou Aimon de Bourges appelé quelquefois, Aimenon ; cf. p. 131, n. 5.
- ↑ Celui qui figure déjà en compagnie de Gace, au § 352, probablement le comte Hugues des §§ 328, 338-40.
- ↑ Bernart P. (v. 5086) ; de même au § 398.
- ↑ Pour Fouchier, comme au § 349.
- ↑ De Mont-Rabei.
- ↑ Le comte Auberi du § 310.
- ↑ Voy. p. 157, n. 1.
- ↑ Cela veut dire que la mêlée fut si générale que les combattants n’avaient pas le loisir de choisir leurs adversaires et devaient accepter même les moins dignes. Les Gascons et les Lombards (par cette désignation on entend les Italiens) ne passaient pas, au moyen âge, pour être très loyaux ni très vaillants. Voir, pour les Lombards, les textes réunis par M. Fr. Michel, Guerre de Navarre, p. 484, et par M. Tobler, Zeitschrift für romanische Philologie, III, 100-1 ; pour les Gascons, voir ci-dessus, § 877.
- ↑ Cela veut dire, je suppose, que l’on se battit avec acharnement, sans tenir compte des usages généralement observés dans les combats.
- ↑ Cf. p. 183, n. 4.
- ↑ Sivaus Oxf., Sivax P. (v. 5100) ; Sival au cas régime, §§ 375 et 390. C’est, selon M. Longnon (Géographie de la Gaule au vie siècle, p. 577), Civaux, Vienne, arr. de Montmorillon, canton de Lussac, village situé, en effet, sur la Vienne, et près duquel existent de nombreux sarcophages de pierre où l’imagination populaire voyait la trace d’une bataille sanglante. Civaux est à 27 kil. environ du S.-E. de Poitiers. On verra au § 398 que le lieu de la bataille n’était pas éloigné de cette ville.
- ↑ Bégon était tombé de cheval en même temps que Pierre.
- ↑ « Deux siens guerriers » P. v. 5129.
- ↑ Ce qui est entre [] manque dans Oxf. (P. vv. 5159-67).
- ↑ Landri de Nevers.
- ↑ Comme Rolant à Roncevaux.
- ↑ Du Cange, sous Kyrie eleison, et dans sa onzième dissertation (du cry d’armes), éd. Henschel, p. 47 b, cite des textes qui établissent l’usage de chanter le Κύριε ἐλέησον au commencement du combat. La plupart de ces textes se rapportent à l’ancienne histoire d’Allemagne.
- ↑ Branderoc P. (v. 5199).
- ↑ Il tomba, non qu’il fut mauvais chevalier, mais en punition de ses péchés.
- ↑ D’après P. (v. 5247) ; dans Oxf. Girarz. C’est le comte Achart dont la mort est rapportée à la fin de ce §.
- ↑ Bernart, P. (v. 5249), comme au § 382.
- ↑ De Girart, je suppose. Le vers est obscur.
- ↑ Enseigne où était peint cet animal fabuleux ; voy. Du Cange, draco.
- ↑ Boscartz, P. (v. 5257).
- ↑ Dans le sens ancien, serviteur du rang le plus infime.
- ↑ D’après P. (v. 5269), je n’entends pas la leçon d’Oxf. E Aurei de Bretaigne.
- ↑ Oxf. « leurs Escobarts » ; ce qui conduirait à entendre escobart comme un nom commun, désignant une sorte de troupe, et non plus comme nom ethnique. Le passage où on a vu, ci-dessus § 72, figurer les Escobarts, peut s’accommoder de l’une ou de l’autre de ces deux interprétations.
- ↑ Le comte Guinart, qui va être nommé, et qui figure au § 317 comme seigneur de Montbéliart.
- ↑ Agartz, P. (v. 5274). Il paraît, au § 275, en compagnie des mêmes personnages. Il est alors appelé Acart dans Oxf., Anchart dans P. (v. 3671).
- ↑ On a vu, § 390, que la bataille avait eu lieu un samedi.
- ↑ Gras est-il un adjectif ? Cet évêque n’est pas différent de l’évêque Brocart du § précédent.
- ↑ Il se parle à lui-même, selon l’usage des gens du Midi.
- ↑ À Rome.
- ↑ D’après P. (v. 5309) ; Oxf. « le Poitou et l’Auvergne « , ce qui est absurde.
- ↑ Tué par Pierre de Mont-Rabei, § 334.
- ↑ C’est la première fois qu’il est question de ce personnage qui ne doit pas être confondu avec le Berengier du § 246.
- ↑ Seulement dans P. (v. 5317).
- ↑ Voy. § 391.
- ↑ Voy. § 396.
- ↑ L’abbaye de Charroux, fondée à la fin du viiie siècle (Gall. Christ.,
II, 1277-8), passait pour avoir reçu, lors de sa fondation, un morceau
du bois de la Croix et un fragment de la couronne d’épines, sans parler
du reste ; voy. le Tabularium Carrofense, dans Besly, Hist. des
comtes de Poictou, p. 151. D’après une autre tradition un des clous du
crucifiement aurait été placé à Charroux par Charles le Chauve. Fauchet,
Œuvres, 1610, fol. 563 v°, cite ces deux vers du roman perdu
de Doon de Nanteuil :
Par la foi que je doi la couronne et le clou
Que dans Challes li chaux aporta a Charrou. - ↑ Oxf. e mel san rou ; P. (v. 5336) e mes en rou.
- ↑ Voy. § 347.
- ↑ Oxf. Nens et Genval ; P. (laissé en blanc par M. Hofmann, v. 5362, mais lu par M. Fr. Michel, p. 160), Ties e Geval.
- ↑ Ce nom n’est peut-être ici que pour la rime. Il y a, du reste, un grand nombre de lieux ainsi nommés dans l’Ouest.
- ↑ C.-à-d. par crainte d’un traitement impitoyable.
- ↑ Sans doute Bourbon-l’Archambaut.
- ↑ Dun et Verdun-sur-Meuse.
- ↑ Sans doute Vaucouleurs, Meuse, mais Montbrun ?
- ↑ L’enseigne est à la fois le drapeau et le cri de guerre.
- ↑ L’enseigne et le cri de guerre étaient liés à la possession d’une terre. Le cri était le nom même de cette terre.
- ↑ Pour poursuivre Girart.
- ↑ La bravade consiste à avoir dressé les tentes, au lieu de rester sous les armes.
- ↑ À l’armée royale.
- ↑ Vaucouleurs ; cela résulte du § 414.
- ↑ Cet épisode a été mentionné, sans indication de source et comme historique, par M. Ch. de Beaurepaire, dans son Essai sur l’asile religieux, dans la Bibl. de l’Éc. des Ch., 3, V, 164-5.