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Entres mur el palaz ac un plan gent
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128. Entre le mur et le palais, sur une terrasse, il y a des perrons cimentés avec art, ornés d’une décoration d’animaux [1] figurés en mosaïque avec un or resplendissant. Le pavement était de marbre[2]. Au milieu il y avait un pin qui protégeait contre la chaleur. Là soufflait un air doux qui embaumait plus qu’encens ni piment[3]. D’une pente sort une fontaine ; il y avait un cerf (?) d’or [de la bouche ?] duquel jaillissait l’eau. L’entrée de ce lieu est interdite aux hommes de basse condition. C’est là que Charles Martel tint son parlement avec son conseil principal, tout secrètement. Don Fouque lui a dit ce qu’il pensait, puis est parti avec les siens sans qu’il y ait eu congé donné ni demandé. Il se rend à Saint-Eloi où l’attendent plus de sept cents des barons de la terre. L’abbé Joffroi prit le premier la parole : « Que feras-tu de tes hommes[4] ? il faut y pourvoir. Partiront-ils ou resteront-ils ici ? — J’y ai pourvu au mieux que j’ai su », dit Fouque. « Je ne veux pas qu’ils perdent honneur ni chasement[5], mais que ceux qui ne possèdent ni terre ni tenure, aillent trouver Fouchier, mon parent, qui fera riche jusqu’au plus pauvre d’entre eux. » Sur le champ plus de quatre cents lui prêtent serment, dont pas un ne lui fit défaut, pour or ni pour argent, puis chacun va s’armer. Aimon le comte les guida jusqu’à ce qu’ils fussent en sûreté. |
Saimes les gida her ſi fera hui Treis gonfanons petis e un gant crui
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129. Aimon les a guidés hier, ainsi fera-t-il aujourd’hui : il eut sous sa sauvegarde Fouque et Fouchier et cinq cents chevaliers ; ils traversent le pont de Loire....[6] Ils laissent de côté la vallée et le Pui Monlui, et, lorsqu’ils arrivèrent au gué de Saint-Ambrui[7], Fouque regarda amont....[8] ; il vit une enseigne blanche dans le bois...[9], trois petits gonfanons et [il entendit] un grand cliquetis [d’armes] : ce sont mille chevaliers qui marchent à la suite de Milon d’Alui. Fouchier eut envie de se mesurer avec eux. |
Folchers a dan folcon le pres a dir
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130. Fouchier dit à don Fouque et à Aimon de Bel-Aïr : « Je viens de voir cinq gonfanons sortir d’un bois. Il y a derrière mille chevaliers, selon mon estime : c’est un puissant vassal du roi qui va le servir. Si vous vouliez me le permettre, j’essaierais de vous les déconfire. — C’est une grande folie que je vous entends dire, » répond Aimon ; « vous êtes sous ma sauvegarde pour votre protection, et je ne dois pas non plus faillir à Charles, mon seigneur. Si vous êtes cinq cents, ils sont un millier d’hommes tels qu’il n’y en a pas en toute France de meilleurs : deux chevaliers peuvent bien venir à bout d’un seul, le prendre et le tuer s’il veut se défendre. » — « J’en ai tel dépit », dit Fouque, que j’en soupire ! » Fouchier ne put supporter cette honte : il s’éloigna avec les siens et se rendit à son château, à Mont-Espir[10], qui est à l’extrémité de la Bourgogne sur le pui de Mir. Il ne craint duc ni comte à l’attaque ; de là il guerroiera contre Charles. Fouque se rend à Bel-Aïr, un château où Aimon le fait servir. |
A bel air ſen torne folche la nuic
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131. Fouque arrive à la nuit à Bel-Aïr ; personne ne se refuse à le servir. Les hanaps remplis tenaient un muid. Les lits ne furent ni pauvres ni vides ; les couettes[11] étaient de paile[12]. Ils reposèrent jusqu’au moment où le soleil parut sur la montagne ; ils se chaussèrent et se vêtirent comme damoiseaux bien appris ; ils font mettre les freins et les selles piquées d’or cuit. Ils chevauchent ensemble le long d’un bois[13] en suivant le cours d’eau qui descend du pui de Buic. Fouque et les siens s’en vont ainsi à Roussillon. |
Eſuos a roſſillon uengut folcon E cuit bien que les tieus ſor uos meſſon
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132. Voici Fouque arrivé à Roussillon : il descendit à l’orme en dehors auprès du perron. Cent chevaliers accourent à l’envi, prenant sa rêne, son étrier, son bon cheval. Le comte entre au moûtier, fait sa prière, puis, s’éloignant des autres, va trouver Girart qui conversait avec Amadieu et Boson. Ceux-ci se levèrent et lui souhaitèrent la bienvenue. Mais Girart se hâte de parler : « Neveu, avons-nous bon accord du roi Charles ? — Par mon chef ! » dit Fouque, a pour cela, non ! Je lui ai offert le droit de ta part, en sa demeure ; il n’en veut rien prendre, il le méprise. Mais je lui ai reproché la trahison par laquelle il a fait parjurer tant de riches barons[14]. Je crois bien que cet été il fera la moisson sur vos terres[15] : vous n’avez bois ni vigne qu’il ne coupe, ni fossé, ni motte, ni vaste donjon dont il ne convertisse en charbon les charpentes les plus élevées. Mande tes amis et tes hommes, semons-les de t’aider dans ta guerre contre Charles qui veut te déshériter sous un prétexte. Je lui ai juré la bataille en Vaubeton, et lui et ses barons m’en ont engagé leur foi, et l’ont acceptée avec cette condition que le vaincu prendra le bourdon et passera la mer. — Je le trouve bon », dit Girart, « par Dieu du ciel ! Sous peu de jours j’aurai tant de compagnons qu’ils seront cinq cent mille dans la plaine, et, s’il veut la bataille, je la lui donnerai ! » |
Li baron del caſtel com ont auit
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133. Les barons du château, quand ils ont entendu que don Fouque est venu, sont arrivés. Et je vous dirai quels ils étaient, si je ne les oublie pas : c’étaient Bernart, Gilbert, Boson, et Elin et Oudin, tout dispos, Artaut, Grimau d’Oitran[16], hommes choisis. Ils ont fait de Landri de Nevers leur guide. Ils furent dix barons de telle puissance que le plus pauvre d’entre eux avait à lui cinq cents chevaliers. Le comte entra en la chambre, se plaça sur un tapis, et leur parla avec décision. |
Segnor de toz conſelz ne quer mais un
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134. « Seigneurs, de tous les partis à prendre, je n’en veux qu’un : c’est que chacun mande [ses hommes] par sa terre, sans rechigner. Charles va fondre sur nous : nous n’avons bois ni vigne qu’il ne coupe, fossé ni motte qu’il ne détruise. » Le premier qui parla ce fut Guillaume d’Autun : « Mande tes amis et tes hommes partout où tu en as. — J’ai envoyé un messager à mon père, à Besalu, qui convoquera tous ceux de Val de Dun, le Bergadan [17], la Cerdagne et Montcardon[18], Purgele[19], et Ribagorza et Barcelone. De ce côté-ci [des Pyrénées], j’ai appelé mon oncle, don Odilon qui tient toute la Provence jusqu’à Toulon[20], Arles, Forcalquier et Embrun, les vallées de la Maurienne et d’Anseün[21]. Trois lundis ne seront pas écoulés que cinq cent mille hommes seront assemblés. Charles de Mont-Laon[22] aura bataille. » |
Bien ſabei diſt girarz fei qe uos dei Quim uuelt deſirecar per anelei
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135. « Par la foi que je vous dois », dit Girart, « je savais bien que je n’aurais de la part du roi ni accord, ni droit, ni bienveillance. Cest pourquoi j’ai choisi cinquante messagers. J’ai fait prévenir mes amis, comme je devais le faire ; j’ai mandé mes hommes, les appelant, au nom de la foi jurée, à m’aider dans ma guerre contre le roi qui veut me déshériter contre tout droit. Même à Montbéliart j’ai envoyé Joffroi, Hugue[23] mon chambellan et Amanfroi, pour qu’Auchier[24] et le comte Guinart viennent à moi, avec tous les marquis de la vallée de Cabrars[25], aussi loin que s’étend la montagne couverte de neige. Ce sont de bons chevaliers de toute manière ; nous aurons deux cent mille hommes et plus, je crois. Charles de Saint-Remi[26] en aura bataille ». Et Fouque répondit : « Dieu le veuille ! Que celui-là soit un lâche qui reculera, et moi que je sois un couard prouvé si j’entends à aucune négociation, dès l’instant que je n’ai pu trouver merci auprès de Charles ! » |
Perdut i ai diſ folche car bien ou ſei
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136. — « J’y ai perdu », dit Fouque, « je le sais bien, mille chevaliers chasés[27] que j’ai dans la terre de Charles], et, si nous obtenons un accord, je les recouvrerai, mais toutefois, je ne manquerai pas à Girart, tant que je vivrai. — Beau neveu, » dit Girart, « je ferai la guerre, mais tu ne perdras pas là-bas autant que je te rendrai ici : je te donnerai un pan de mon duché ». Et Fouque répondit : « Je ne l’accepterai pas. Ce n’est pas un ami, mais un homme mauvais, celui qui prent, comme un usurier, terre, château ou maison à son seigneur, mais il doit l’aider fidèlement avec les siens[28]. Une fois la paix faite, s’il prend le prix de ses services, je ne saurais l’en blâmer. » Tandis que Girart parle, voici venir Elinei : « Sire, je viens de Gascogne où j’étais allé. Je vous amène Senebrun de Saint-Ambroise [29], avec vingt mille Gascons, selon mon estime. Les Navarrais et les Basques et ceux d’Agenais sont vingt mille aussi... Chacun porte trois dards et un épieu. Je les ai menés au bois de Vaubeton. — J’y consens », dit Girart, « et je l’ordonne. Charles de Saint-Remi en aura bataille. » |
Mentre girarz paraule deſcharans
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137. — Tandis que Girart parle des Escuariens[30] qui portent quatre dards en leurs mains [31] et sont plus rapides que cerf en la plaine, voici un autre messager qui n’est pas un homme de rien, mais un chevalier vaillant, preux et sûr : Girart [dit-il], votre père vient avec les Catalans ; ils sont plus de cent mille par ces plaines. — Par Dieu ! » dit Girart, « je suis sauvé : mon armée reçoit des renforts des pays les plus éloignés. Raimon, mène-les-moi dans Sivrans [32], lieu noble, fort et antique ; il ne leur manquera ni viande, ni vin, ni pain. Charles en aura bataille à bref terme. » |
Mentre li cons grarz les arbers tence
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138. Tandis que Girart s’occupe des logements, voici venir Rigaut[33] qui tint Argence[34] : « Girart, j’ai à vous annoncer une nouvelle qui vous fera plaisir : voici votre oncle Odilon amenant avec lui la Provence. Ils sont soixante mille, n’en doutez pas, chacun portant haubert, heaume et connaissances[35]. Ils jurent le Dieu incarné qu’ils ne laisseront en France cette.....[36]. — Par Dieu ! » dit Girart, « voilà qui me plaît ! Quand le roi a dédaigné mon droit, et traité avec mépris mon neveu, il a fait une faute. Dieu veuille que je l’en voie repentir ! » |
De laiude girart ne ſa lon dire
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139. Ce qu’il vint à Girart de secours, on ne le saurait dire, ni les messagers qu’il lui plut d’envoyer, ni l’étendue de la terre qu’il avait à gouverner. De la frontière d’Allemagne jusqu’aux ports[37] d’Espagne et de Cize[38] il ne reste chevalier...[39] Auchier et le comte Guinart vinrent au conseil, avec eux plus de vingt mille Allemands. Les Roussillonais vinrent aussi, disposés à vaincre, et Girart les accueillit tout joyeux et remercia Dieu et saint Basile[40]. Voilà des gens qui en la bataille feront un grand massacre. |
La gerre de girart ne mut ꝑ ſorsz
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140. La guerre de Girart ne fut pas entreprise après qu’on eut consulté le sort[41] : d’Allemagne jusqu’aux golfes de Provence, du port de Mont-Joux[42] jusqu’à celui d’Aspe[43], arrivent les barons ; pas un ne retourne en arrière. Mais si grand est l’effort de Charles, qu’on tenterait vainement de le savoir et de le dire ; ils sont en Orlenois, par les plaines et les champs cultivés ; ils passent le Berri et le val de Borz[44]. Charles ne les laissera pas longtemps, en repos : il marche sur Girart, à droit ou à raison ; il chevauche vers Vaubeton, où il y eut tant de morts, qu’on en fit une montagne plus élevée que n’est Niort[45]. |
Ml’t par ſunt gēt li plan de uaubetun Aiqui uerraz drecar tant gonfanun
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141. Vastes sont les plaines de Vaubeton : elles s’étendent bien sur quatre lieues tout d’une traite, sans mauvais passage, marais, bois, ni herbage : seule, la rivière d’Arsen[46] les divise. Charles Martel chevauche jusqu’à Avalon, croyant prendre le château, mais il n’en fut rien. En un pui est Fouchier le marquis, avec lui mille vaillants chevaliers ; il crut pouvoir faire du butin sur l’ost [de Charles], mais il n’en fut rien, car le roi et ses barons en furent informés. Le roi mande à ceux qui étaient restés à l’ost, qu’aucun chevalier ne se mette à la poursuite de Fouchier[47]. Là-dessus Fouchier s’en va vers Roussillon. Il rencontra Drogon et Odilon, le premier était père de Girart, l’autre de Fouque ; puis Guillaume[48] et Rainaut qui tenait Mâcon. Ils entrent par l’une des extrémités dans Vaubeton. Là vous eussiez vu dresser tant de gonfanons, tant d’enseignes variées et tant de penons, que l’espace qu’ils occupent a plus de sept lieues. Vous eussiez dit, en les voyant en plaine, que jamais en ce monde il n’y eût tant d’hommes assemblés. |
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142. Ce fut un lundi, à l’aube du jour, au temps où les près fleurissent, où les bois se couvrent de feuilles. Charles fait sonner à la fois trente cors d’ivoire, pour faire connaître aux barons qu’il pense à livrer une bataille rangée. L’ost se rassemble et se met en marche. Les vagues de la mer sont moins pressées que les enseignes que vous eussiez vu flotter au vent. Charles les dirige vers Vaubeton, où se livra la bataille forte et amère : celui qui y tomba ne put se relever, ni plus jamais revenir à sa demeure. |
Leſtors fu forz e ferz com auirez
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143. La bataille fut forte et fière, comme vous entendrez : vous pouvez le demander aux prêtres et aux clercs qui en perdirent leurs dîmes légitimes. Du côté de Charles, furent le comte Joffroi[49], Aimon, Aimeri et Andefroi[50], et Helluin de Boulogne[51] et le fort Chapois[52], vingt mille Bavarois et Allemands[53] dont l’oriflamme était portée par le duc Godefroi. Les Aquitains formèrent cette fois l’avant-garde. Le duc Gui de Poitiers, guerrier choisi, à la tête de vingt mille Aquitains [54] qui lui sont fidèles, fut fait le chef (?) de l’avant-garde de Charles. Celle de Girart était formée par vingt mille Desertains du Pui de Trez[55] ; parmi eux, pas un couart ni un lâche. Là où les avant-gardes se rencontrèrent, la mêlée fut telle qu’on n’en verra jamais de plus grande. |
Li dux gui de peitiers ne ſentre uis
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144. Le duc Gui de Poitiers ne recule pas. Suivi de vingt mille Aquitains, sans plus, armés de hauberts et de heaumes luisants, il ne cherche pas à éviter l’avant-garde de Girart. Je vous dirai d’abord qui la commandait. C’étaient Pons, Ricart[56], Coine[57], Joan Chatuis[58] et le marquis Amadieu de Val de Clus[59]. Chacun commande à quatre mille hommes montés[60]..... Je serai bien étonné s’il n’y a pas lance brisée. |
Li marches amadieus ꝗ fu taurinſ De ſeſpade li branz uielz acerinſ
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145. Le marquis Amadieu était seigneur de Turin, Mont-Jarnes [61], Mont-Joux[62] et le chemin, Aoste, Suse, Mont Cenis[63]. Il avait, le palatin, sept comtes avec lui. Il était cousin germain de Girart et son allié. Il était grand et beau de corps, et encore fort jeune. Il montait un bai à longs crins ; la lame de son épée était ancienne, sur son écu était représentée une couleuvre. Il vit l’enseigne de Charles par une saussaie ; il sortit du rang et s’écria : « Y a-t-il un vassal [64] qui soit prêt à se mesurer contre un autre ? » Le duc Gui de Poitiers était là tout près ; il avait de si bonnes armes, le poitevin, qu’on n’en aurait pas fait le compte en deux jours. Le cheval qu’il montait n’était pas un roncin[65]. Il s’élance hors du rang plus vite qu’un faucon de montagne. Ils se précipitent l’un contre l’autre par la plaine, ils se frappent sur les écus neufs de Beauvais[66] : cuir, bois, colle, vermillon, sont tranchés. De part et d’autre, les hauberts doubles sont faussés ; ils se portent les lances dans...[67] ; et se renversent mutuellement sur la route. Vous eussiez vu mille jeunes guerriers galoper à la rescousse. |
Lai o li dui marches ionguent deuant
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146. Là où les deux marquis joutèrent, l’écu ne leur valut pas un gland, ni le haubert un bliaut[68]... L’un pousse sa lance à travers l’autre jusqu’auprès du gant[69]. Leur vie est finie ; c’est l’affaire de quiconque les a aimés de les retirer de la mêlée. Viennent à la rescousse ceux que la chanson va vous faire connaître. Pons frappa Arluin[70], Gilbert[71] Armant, Coine frappa Gérome[72], Rogier[73] Deitrant[74], Ricart Aelart, Garin, Guintrant, Jehan Freelent, Arpin Berlant puissant marquis de Mons et de Brabant. De tous ceux-là il n’en resta pas deux debout. Leurs compagnies chevauchent, sans qu’un seul homme reste en arrière : ils chargent au galop, la lance baissée, et là où ils se rencontrèrent, il y eut grand fracas. Vous auriez vu trouer les écus, les pans des hauberts, les côtés, les flancs, les poitrines. Les lances brisées, on tire les épées avec lesquelles on fend les heaumes flamboyants. Le sang et la cervelle se répandent à terre. Il y en a tant d’abattus à la renverse ou sur le côté, que vingt mille chevaux de prix vont sans cavaliers, traînant leurs rênes entre leurs pieds. Il n’y a là personne pour les prendre ou les demander. Charles voit que son avant-garde diminue, Girart que la sienne subit de fortes pertes. Ils ont, l’un et l’autre, tant perdu qu’ils n’ont pas lieu de se vanter. |
Carles a dous eſchieles e girarz dez
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147. Charles a douze échelles[75] et Girart dix, chacune de vingt mille combattants ; ceux qui sont légèrement armés vont les premiers, comme vous savez. Hoël[76], à la tête des Bretons, forme son échelle auprès d’un fossé. Du côté de Girart sont les Gascons. Senebrun, de Bordeaux, vassal choisi, leur crie : « Gascons, chargez ! C’est pour votre seigneur que vous combattez : vous serez sauvés si vous y restez[77]. » Et Hoël dit aux siens : « Frappez ! ce sera lâcheté si vous êtes repoussés ; » et ils répondent : « Vous dites bien. » Les Bretons crient Malo ! les Gascons Biez[78] ! À l’abaisser des lances tous se taisent : ils se frappent par les écus qu’ils mettent en pièces ; le bruit des lances qui se brisaient semblait une tempête. « Ah Dieu ! » dit Girart, « tiens-moi en paix ! Je ferais de bon cœur droit au roi. » Et Charles dit aux siens : « Levez les mains, invoquez et répétez les noms de Dieu[79], qu’il nous donne de vaincre l’orgueil de nos ennemis. Nous sommes plus nombreux qu’eux, et nous les vaincrons bien si vous voulez. » |
Li breton el gaſcon ſunt per egance
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148. Les Bretons et les Gascons sont face à face. Leurs lignes se joignent sans broncher. Vous auriez vu tant d’écus, tant de lances se briser, tant de guerriers tomber de cheval ! C’est au moment où on tira l’épée qu’il y eut un tumulte : on fend hauberts et heaumes. Plus de sept mille restèrent sur le champ de bataille. Maint chevaux de prix s’enfuirent, qui ne furent jamais recouvrés par leurs maîtres. Les Bretons et les Gascons, je le dis avec confiance, n’auront reproche en nul lieu en France. |
Li goz el prouencal uinrent enſens
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149. Les Bigots et les Provençaux vinrent ensemble. Ils sont du côté de Girart, sur deux lignes. Du côté de Charles, sont les Normands et les Picards[80], tous vaillants et nobles guerriers. Les lignes se joignent, sans qu’un seul recule. Vous verriez trouer écus et jaserans[81], et tant de têtes tomber avec le heaume. Plus de dix mille restèrent...[82], par les puis, les plaines, les...[83]. Charles en fut dolent, le roi de Reims ; Girart, s’assombrit et soupira. Il pria Dieu qui nous racheta, disant : « Sire, en ce jour aide-moi, que je ne perde rien ! » |
As uos ꝑ mi leſtor le uiel draugon E a ceinte leſpade de marmion
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150. Voici parmi la mêlée le vieux Drogon, le père de Girart, l’oncle de Fouque. Il montait un cheval bai...[84] et avait revêtu un haubert sorti de la forge d’Espandragon[85], que jamais arme n’avait faussé ; son heaume...[86] lacé étincelait d’or et de pierreries. Il avait ceint l’épée de Marmion[87], et portait écu et lance à gonfanon. Il vint à petits sauts par le champ ; à le voir retenir doucement son cheval on reconnaissait un baron. Il cria au roi : « Je ne refuse aucun chevalier ! » Voici le duc Thierri devant Charles : « Sire roi, connaissez-vous ce bourguignon ? — Non, » dit le roi. — « C’est Drogon, le vieux de Roussillon, le père de Girart, l’oncle de Fouque : jadis il m’enleva ma terre, et sept ans j’ai été proscrit dans les bois[88] ; tenez-moi pour couart et lâche, puisqu’il me demande bataille, si je ne la lui donne ! — Je vous le permets, » répond Charles, vous n’avez que trop tardé à vous venger. Je veux voir cette bataille sans remise. » |
Veis uos lo duc teiri del renc parcit |
151. Voici le duc Thierri sorti du rang, piqué des paroles du roi : il était monté sur un cheval almoravide, et avait son corps couvert de bonnes armes ; il vint à petits sauts par le pré fleuri, suivi de ses hommes. Thierri s’écrie : « Allons, vieux hibou moisi[89] ! vous avez donc renoncé à la chevalerie, qu’on vous voit enfoui parmi les vôtres ? » Et Drogon répondit : « Me voilà tout prêt ; je n’aime pas ceux qui me menacent (?). » Il pique le cheval qui bondit. Voilà les deux chevaux près l’un de l’autre. Ils se férirent de telle manière que leurs écus sont brisés et les haubercs faussés et défaits. Voilà Drogon du coup mort et fini[90], avec une aune de la lance de frêne dans le corps, la pointe et le gonfanon sortant de l’autre côté. Thierri se détourna heureusement : il eut son écu et son hauberc cousus ensemble par la lance de Drogon, mais Dieu le protégea, et il ne fut pas touché en chair. Drogon se retire vers les siens qui sont désolés, et voici Thierri hors de la rivière et dans la plaine[91]. Leurs échelles se joignent avec tant d’ardeur que vous eussiez vu trouer les écus, ouvrir les poitrines, couper les têtes armées du heaume, abattre pieds, poings, oreilles. La claire eau de l’Arsen en était couverte, et devint rouge du sang des morts. Les hommes de Drogon avaient bien disposé leur attaque. Si leur seigneur n’était mort, ils étaient sauvés ! Thierri se voit perdu : de vingt mille hommes, il ne lui en reste pas mille. |
Manſel e angeuin e toloigiaz
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152. Manceaux, Angevins et Tourangeaux[92] étaient auprès de Charles au nombre de vingt mille. Les blancs hauberts vêtus, les heaumes lacés, la tête baissée, ils marchent disposés au combat, ardents comme des veautres tenus en laisse. Le comte Joffroi leur seigneur les guide. Ils traversent les gués de l’Arsen ; après eux passe Charles avec ses barons. Girart, tout entier au deuil de son père, n’en sait encore rien, lorsque Fouque lui parle en homme sensé : « Par Dieu ! Girart, laissez le deuil, puisque le duc est absous et communié : quand ce sera possible, vous le vengerez ! » Alors, il monte à cheval, et, s’appuyant sur une lance neuve, il se tourne vers les siens, et leur dit : « Faites paix ! Seigneurs francs chevaliers, écoutez-moi. Quand vous serez dans la mêlée, frappez, tuez, renversez tout, jusqu’à ce que vous ayez traversé les rangs ennemis, et alors retournez tous ensemble sur eux : Prouesse vaut mieux que lâcheté ! » Et ses hommes répondent : « Qu’avez-vous à nous prêcher ! Mais allons les attaquer de toutes parts. » Alors la bataille devint acharnée. |
Bos e folche e ſeigins e li mellor
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153. Boson, Fouque et Seguin et les plus vaillants furent plus de vingt mille à la charge. Vous auriez vu briller tant d’or et tant d’argent, étinceller tant d’acier et de vernis[93] et tant de lances aiguisées ornées d’une flamme[94], tant de damoiseaux habiles à l’attaque ! Ensuite[95] sont venus d’autres combattants[96], Pons, Ricart, Coine, les guerriers. Girart chevauche avec ardeur ; Odilon, son oncle, le suivait à courte distance. Dans cette arrière-garde ils étaient, je vous le garantis, soixante mille combattants, qui savent pousser à fond une attaque. Chacun, voyant son ennemi, lui court sus et le porte à terre. Girart chevauche avec fureur contre Charles Martel l’empereur. Charles vient à lui fièrement. Voilà une première rencontre qui sera douloureuse. |
Lai o leſ oſ ſencontrent ac un plan bel Nen i a un trop uiel ne barbuſtel
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154. Là où les armées se rencontrèrent il y avait une belle plaine ; on n’y voyait ni fossé, ni barrière, ni bois, ni ramée. Les Angevins marchent les premiers avec les Manceaux, le comte Joffroi d’Angers et les Tourangeaux. Girart a vingt mille hommes en un corps. Il n’y en a parmi eux un seul trop vieux ni imberbe[97]. Boson, Fouque et Seguin en tiennent la tête, les uns crient Valée[98] ! les autres Rossel[99] ! le plus grand nombre poussent le cri de Charles Martel. Tout ainsi que le faucon fait sa pointe quand il se jette sur l’oiseau, tout de même les jouvenceaux se précipitent les uns sur les autres. Il n’y a si fort écu qui ne soit brisé, ou fendu ou percé ou écorné, roide lance de frêne qui ne se rompe, ni si fort haubert qui ne soit décloué. Vous verriez tant de douleurs nouvelles, tant de cuisses tomber avec le trumeau, tant de pieds, de poings, tant de coudes ! Il est resté plus d’hommes sur le champ de bataille, qu’il n’y en a de vivants ou de morts dans Bordeaux. Celui qui se retira de ce massacre, eut Dieu et saint Gabriel pour protecteurs. |
Bien ferirent manſel e angeuin
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155. Bien frappèrent les Manceaux, les Angevins, les Tourangeaux, les Flamands de Baudouin[100]. Les hommes de Girart ne le leur cèdent en rien : Boson, Fouchier, Fouque, Seguin conduisent leurs enseignes à travers le bois de frêne. Le bois dont je vous parle est un bois où les frênes avaient pour fleurs des pointes d’acier, des enseignes de cendé et d’aucassin[101], des gonfanons ornés d’orfrois et fraîchement teints en pourpre, dont tant de nobles vassaux reçurent le coup fatal. Girart eut la rage au cœur : il mit pied à terre sous un pin, et ficha son enseigne près d’un bloc de marbre ; c’était une ruine antique du temps du vieux Douvin[102], qui eut jadis un château construit sur la rivière et entouré d’eau. Louis[103] le détruisit un jour quand il le déposséda de cette terre[104]. Girart monte sur la ruine du grant Douvin : dans sa colère il maudit le roi Charles : « Ah ! roi, Dieu te confonde, cœur de mâtin ! » |
De les ires que a fu pres eſtaus E uinrent tot enſanz lonc unes uaus
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156. Excités par Girart, ses hommes résistèrent de pied ferme sans qu’aucun d’eux reculât. Écoutez ! Voici l’arrière-garde des Provençaux qui passent auprès de Girart par un pré : ils sont soixante mille, tous à cheval. Don Odilon les conduit, le riche captal, en la mêlée qui fut forte et fière. De lances et d’épées ils frappent des coups mortels, tellement que les hommes de Charles ont reculé de plus d’une portée de flèche. Thierri dit à Charles : « Nous ne sommes plus de force égale : Donnez-moi trente mille hommes des plus solides. Par eux le bien triomphera du mal. » Et le roi lui donne les Bavarois et les Tiois : on ne saurait trouver plus ardents au combat. Thierri, duc royal, porta l’enseigne. Tous ensemble s’avancèrent, le long d’un vallon. C’est aujourd’hui que les braves se feront connaître. |
Deſertant per lo camp a grant gazil
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157. Les Désertains font par le champ un grand massacre ; ils vont par la mêlée comme un tourbillon. Don Odilon vint chevauchant par un chaume. Jamais vous ne vîtes vieillard savoir aussi bien se retourner et porter des coups. Boson, Fouque et Seguin furent ses fils ; ils sont venus devant lui, les trois damoiseaux, vêtus de hauberts noirs comme du charbon[105] : Odilon jure Dieu et saint Ostril[106] que s’il trouvait un lâche parmi eux, il le ferait moine en un moûtier. Tandis qu’il les exhorte, sans qu’aucun dise mot, voici venir Thierri de Mont-Causil[107] avec les Bavarois et les Allemands[108]. Ils courent les frapper, et les nôtres[109] courent sur eux. Il n’y a écu de tremble ni de tilleul, bleu, jaune, vert, gris ni vermeil, que les grosses lances de frêne ne mettent en pièces, haubert qui ne soit rougi du sang qui s’échappe à flots du corps des vaillants guerriers. Mais c’est quand on tira l’épée que le péril devint grand : on tranche les hauberts, les heaumes têtes et chevelures, yeux et bouches, nez et sourcis, pieds, poings, oreilles[110]. Homme couard et lâche n’y voudrait être pour toute la richesse qu’il y ait jusqu’à Gazil[111]. |
Danz euldeles uient poignant ꝑ caumeſc
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158. Odilon vint chevauchant par un chaume. Vous ne vîtes oncques vieillart si remuant, ni si ardent à faire chevalerie. Devant lui il vit venir un fort tiois appelé Arluin de Val-Landesc[112] ; il était sénéchal du roi, à la plus haute table ; je m’étonne d’où il a pu avoir une telle dignité. Don Odilon le frappe sur l’écu : le haubert ne lui valut pas un....[113] pour empêcher la lance avec le gonfanon de passer d’outre en outre. Il fut abattu à la renverse du bai maure, et se laissa tomber de telle façon que cent chevaux lui passèrent sur le corps (?). Jamais je n’ouï parler d’une lutte aussi acharnée, de tant de combats corps à corps livrés en un champ. De tant d’hommes tombés aucun ne se releva plus. |
Folchers uenc apoignant ō facebele E ſe il la demande uez li molt bele
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159. Fouchier vint éperonnant sur Facebelle, un cheval rapide de Compostelle. Il avait revêtu un haubert étincelant qui pesait moins qu’une gonelle ; le guerrier qui l’a sur le dos ne craint pas d’affronter la mort. Fouchier vint chevauchant par le pré (?)[114], cherchant l’occasion d’un exploit chevaleresque. Et s’il la demande, il l’aura belle. Voici au devant de lui Rotrou, le seigneur de Nivelle[115] : il frappe Fouchier sur la targe aux rayons d’or, la lui fend et en enlève un côté, mais le haubert est si fort qu’il ne rompt point. Fouchier le frappe à l’estomac, lui perce le cœur sous la mamelle et le jette à bas de sa selle. Puis il crie aux siens : « Frappez ! qu’aucun des hommes du roi ne nous échappe ! » |
Bauduins (li) flamens ueit de foucart
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160. Baudouin le flamand voit comme Fouchier leur a abattu Rotrou, le vaillant comte ; il court férir Conon, guerrier lombard né dans le désert de Brun-Essart ; il lui donna sur l’écu un tel coup qu’il en enleva un quartier et que la lance passa d’outre en outre. Il l’abattit mort du cheval gris. Ah Dieu ! quelle perte pour Girart ! Voici qu’alors arrive Fouque, mais il est venu trop tard ; pourtant il le vengera. |
Folche uenc apoignant ꝑ la beſoigne
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161. Fouque vint en galopant à la rescousse ; il ne poursuivit pas Baudouin, qui se déroba, n’ayant pas honte de fuir. Il frappa Helluin de Boulogne, et lui porta un tel coup sur la targe cerclée d’or qu’il lui faussa le blanc haubert et le jeta mort de son cheval gris. Les hommes de Cologne chevauchent en bataille, Charles vient avec ses Saxons, ceux de Trémoigne[116]. Ceux-là feront une lutte acharnée. |
Vuildres uint a girart ml’t fort lenfeindre
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162[117]. Odilon vint à Girart pour l’animer : « Par ma foi, cher neveu, tu as un cœur bien timide ! C’est Charles, que je vois descendre de la montagne ! Fouque et les siens veulent l’attendre ; mais, si nous n’allons à son secours, nous serons battus. » Et Girart répondit : « Merci, cher sire ; je considérais le lieu où je veux les prendre. Ils ne se formeront plus en ligne, car je vais en finir avec eux. » Il descendit du perron[118], prit ses armes, sonna un cor d’ivoire pour avertir les siens, et chevaucha devant tous avec l’air d’un guerrier qui va au combat. |
Er cheuauge girarz a ſes amis Soz les helmes enbruns dardit enclis
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163. Or chevauche Girart avec ses amis, avec des compagnies venues de pays éloignés. Ils ne portent en bataille ni vair ni gris, mais des bliauts foncés et festonnés, et par dessus du fer et de l’acier qui reluit, de l’azur et du vernis qui resplendit[119]. C’est Girart, Fouque, Boson, toujours prêt, Pons, Ricart, Coine et Otoïs. Ils sont quatre cent mille, le bref[120] le dit, endurcis et ardents au combat, la tête inclinée sous le heaume. Ils attendent que Charles les attaque, et ainsi fera-t-il avant peu, ils le savent bien. Du haut d’une colline, près d’une brèche, descend Charles Martel de Saint-Denis, avec lui les Bavarois, les Saxons, les Letis[121], les Allemands, les Lorrains, vaillants. Thierri, duc marquis, portait leur enseigne. Il les conduit par la campagne fleurie, et tel était leur nombre que l’homme le plus habile n’aurait su l’estimer. À l’abaisser des lances, il n’y eut pas un mot de prononcé, mais onques depuis lors il n’y eut tel deuil. |
Lai u ſentrecontrerent aiquil dui renc
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164. Là où les deux lignes se rencontrèrent, pas un ne retint frein ni étriers, et on frappa pour de bon. Fouque et le comte Girart étaient au premier rang, avec eux les Allemands et les Désertois, ceux de Montbéliart et de Vaubenc, Renier et Oudin les fils d’Ardenc. C’est maintenant que frappent Provençaux, Viennois, Navarrais, Aragonais....[122], et de l’autre part Bavarois, Saxons, ceux de Cologne, Normands, Français, Flamands ; ils frappent devant eux comme ils se trouvent ; l’écu ne vaut pas pour celui qui le porte une pelure d’oignon (?), car celui qui échappe à l’un est repris par l’autre. Là meurent par l’épée tant de vaillants combattants, tant de nobles guerriers ! là tombèrent tant d’hommes dont pas un ne se releva, ni jamais ne se relèvera jusqu’au jour du jugement pour lequel je me prépare ! |
Leſtors fu fors e ferſ cū auez dir
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165. La bataille fut forte et fière, comme vous l’entendez. Les compagnies se précipitent les unes sur les autres et se massacrent ; puis elles commencent à se lasser et à mourir, les las se reposent, les frais entrent dans la lutte. Girart leur crie d’attaquer, et Charles encourage les siens.... Hé Dieu ! ils sont destinés à rester sur le terrain ! De terres étrangères ils sont venus mourir. |
Vnſ que fuſt faiſ leſtors de uaubetun
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166. La bataille de Vaubeton avait été prédite cent ans d’avance en un vieil écrit[123]. La cinquième partie des hommes y reçut martyre sans jugement[124]. Contre chaque captal il y a un baron : voici le duc Thierri contre Odilon, et don Seguin le fils de celui-ci contre Aimon, contre Auchier Aimeri, le seigneur de Noion, contre le comte Guinart, le brabançon qui était duc de Bavière. On aurait plus tôt fait d’aller à Rome, au pré de Néron[125], que de compter seulement les barons. C’est entre eux une lutte à mort. |
Euldeles ueit de teiri qui fait tau tort
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167. Odilon voit Thierri qui a tué son frère (Drogon)[126] : il ne remet pas sa vengeance, il se tourne de son côté et d’un coup de lance le jette à bas du cheval gris ; puis il crie son enseigne : « Dunort ! Dunort ! cherchez maintenant qui vous emporte ! » |
Leſtors quauez auit amenteuer
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168. La bataille dont vous venez d’entendre le récit eut lieu pendant les plus longs jours de mai, et dura jusqu’au coucher du soleil. Voici Thierri remonté sur son cheval noir ; il va frapper Odilon avec une telle force, qu’il lui perce l’écu et la cuirasse[127]. Le fer [de la cuirasse] ne peut résister à l’acier, et le bois de la lance ressortit de l’autre côté. Jeté à bas de son cheval noir, Odilon ne vécut que cinq jours. Les siens piquent des deux pour l’aller secourir, mais par la volonté de Dieu un orage éclata, fort, fier, horrible et redoutable. Charles vit son enseigne brûler et Girart la sienne tomber en charbon. À la vue de ces signes que Dieu leur manifeste, ils arrêtent le combat. |
La nuiz lor eſt uengude e iors failliz Raioſtent lor conpaignes qant iorſ clarciz
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169. La nuit est venue, le jour est fini, le ciel est sombre et rembruni. Dieu leur montra un miracle qui fut un avertissement[128]. Des flammes descendirent du ciel entr’ouvert : le gonfanon de Girart en fut tout brûlé, et aussi celui de Charles qui était orné d’or[129]. La chair tremblait aux plus hardis et la terre s’agitait sous leurs pieds. « C’est la fin du monde ! » se disait-on l’un à l’autre. Le comte Girart fut saisi de frayeur, et Charles, au milieu des siens, était tout troublé. Les deux armées se séparent, et dès lors il ne fut plus question de se battre. Toute la nuit on resta [de part et d’autre] le haubert vêtu. Quand le jour parut, au contentement de tous, vous auriez vu la terre jonchée d’écus bombés, de blancs hauberts, de heaumes ornés d’or resplendissant, de cristaux et d’améthistes, un tel enchevêtrement de lances avec les gonfanons ! Le champ de bataille était couvert et sanglant des guerriers morts étendus par les prés fleuris. Boson, Fouque, Girart reformèrent leurs compagnies, lorsqu’il fit jour. |
Luns de p̃mers iraz parlet dauiz
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170[130]. L’un des premiers parla[131], plein de colère, David, frère de Helluin qui tenait le Ponthieu ; il était comte de Valençon [132] et de Vautriz[133] : « Ha ! roi séparé de Dieu, comme tu es plein de malédiction ! Par ton orgueil tu nous a réduits à l’état de serfs, et toi-même tu t’es ruiné et tu nous as trahis. Girart le comte n’est pas encore en fuite : avant qu’il soit vaincu et déconfit, plus de monde encore périra, j’en suis assuré. Vous avez laissé tant des vôtres sur le champ de bataille que jamais le deuil de leur perte ne s’effacera. J’y ai perdu mon frère[134] et mes deux fils : les voilà morts sous Cauiz[135] ; et, pour ma part, j’ai dans le corps deux pointes dont aucun médecin ne saurait me guérir. Et pourtant, si je ne craignais d’être raillé, je serais d’avis qu’on demandât un accord au nom de l’âme des barons qui ont succombé. » Au conseil proposé par lui, cent des meilleurs barons furent réunis. |
Premiers diſt galeranz qui tec ſenliz
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171. Le premier qui prit la parole fut Galeran de Senlis : Roi, puisque c’est toi qui es cause de tant de douleurs, de pertes, de lamentations, crois en tes barons, tes amis jurés : qu’un accord soit fait avec le comte [Girart]. » Et Charles jura par la Mère de Dieu, qu’il aimerait mieux être enterré que de demander un accord qui serait sa honte, « Car si Girart me refusait par rancune, alors je serais honni et avili. — Sire, si Girart refuse comme tu dis, c’est de son côté que sera le tort et que le droit aura été mis en oubli. Tu auras accompli notre désir ; dès lors nous t’aiderons de bon cœur et celui qui mourra pour toi n’aura pas succombé pour une mauvaise cause[136]. » La démarche fut adoptée et le messager choisi : ce fut Tibert de Vaubeton, le vieillard gris, qui parlait bien et sagement. Il avait jugé selon le droit en mille causes, sans avoir été contredit ni démenti une seule fois. C’est lui qui fournira le message. Mais, quoi qu’il advienne de l’accord, Vaubeton ne demeure pas moins couvert de morts, et cent mille dames sont veuves de leurs maris. |
Tieber(z menet a ſei garnir de bl)aiue
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172. Tibert mena avec lui Garnier de Blaye, cousin germain de Girart et fils d’Araive[137], mais il était homme lige de Charles pour le fief de son aïeul. Monté sur un cheval gascon, il passa par-dessus les corps de mille damoiseaux frappés par l’épée, et parla à Girart en homme sage. |
Eſtait girarz iraz e peſencoz Garners premers parlet cō dozelz proz
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173. Girart était debout, triste et soucieux, quand il vit devant lui les deux messagers. Garnier parla le premier en preux damoiseau : « Girart, fais droit et prends-nous[138]. » Et le comte répondit plein de colère : « Je vous en jure le Père glorieux, que si un autre que vous m’était venu apporter ce message, je lui aurais fait couper pied ou poing. Il m’a tué mon père, ce roi...[139], et maintenant il me propose un un accord si désavantageux[140], sur le champ même où j’ai éprouvé une telle perte ! Mais avant [que j’y consente], l’un de nous s’en retournera plein de honte ! » |
Er paraule tiebers apres garner
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174. Or parle Tibert après Garnier, en baron qui cherche la paix ; il s’abstient de toute parole orgueilleuse ou blessante : « Girart, prends conseil avec les tiens. Je vois ici Fouque, ton conseiller, Landri et Henri et don Auchier. Hé ! francs chevaliers, inspirez -lui de bons sentiments envers le roi, car si le tort reste de votre côté, à nous l’avantage ! — Il faut prendre conseil, » dit Landri. « Là-bas sur la rive, au pied d’un arbre, gît blessé depuis hier le comte Odilon. Onques ne vis-je baron si entendu, si sage, si preux, si bon guerrier. Comte, va lui demander conseil, et ce qu’il te dira fais-le volontiers. » |
Girarz uait conſel querre a uuidelon Ja ne ſeras retaz de meſpreſon
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175. Girart va demander conseil à Odilon : avec soi il mena Gilbert et don Fouque, Landri et Henri et don Guigue. En bas, sur la rive, en un champ, gît Odilon sur un paile de ciclaton ; il prie qu’on lui donne l’ordre de saint Benoît[141], lorsque viennent ses fils et les barons, et Girart qui s’agenouille et lui dit : « Oncle, je te requiers conseil, donne-le-moi bon, et tel qu’il ne m’apporte point honte ni déshonneur. Charles me propose accord et pardon : il m’a envoyé Tibert de Vaubeton, et mon cousin Garnier le fils Aimon. — Beau neveu, j’en rends grâces à Dieu : c’est une bonne parole, et sans reproche puisque Charles en a eu la première pensée. Accorde-toi de bonne grâce, sans débat. — Moi ! comment aimerais-je un roi aussi félon, quand il a pour conseiller Thierri qui m’a tué mon père, le duc Drogon, et toi aussi ! Jamais je ne ferai hommage à Charles de rien qui soit mien, sinon qu’il me fasse de bonnes conditions et chasse Thierri de son royaume ! — Je ne te ferai pas un long sermon, » dit Odilon, « si tu veux suivre mon conseil, tu ne seras pas blâmé ni accusé de trahison envers ton seigneur lige ; et après ma mort, crois mon fils Fouque, qui ne te donnera que de bons conseils. |
Ja nen crerai conſel que lon men die
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176. — Je ne croirai conseil que l’on me die, si d’abord Charles ne chasse Thierri et les siens ; si ensuite il ne me fait droit de sa trahison quand, à tort, il a pris et saisi ma terre, tué mon père, détruit mes gens. S’il ne me fait un tel accord, jamais il ne sera mon seigneur ni moi son homme ! |
Euldres qant laui ſi ſen aire
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177. — Neveu, » répond Odilon attristé, « tu as peu de sens et fol jugement. Depuis que Dieu mis en croix reçut le martyre, on n’a point vu si grand malheur arriver par un homme, ni journée si meurtrière. Tu en as [sur la conscience] un péché plus grand que je ne saurais le dire, qu’on ne pourrait le conter, que clerc ne saurait l’écrire. Tu ne peux nier ni escondire[142] que tu sois l’homme lige de Charles ni qu’il soit ton seigneur. Tu ne peux donc le défaire en bataille sans forfaire ton fief. Maintenant vous ne m’entendrez plus parler de ce sujet. Je désire l’ordre de saint Benoît et de saint Basile ; pensez-y. » Girart l’entend, de douleur il soupire. |
Segnor ce diſt girarz nen ſai concort
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178. — Seigneurs », dit Girart, « je ne sais que faire. Comment m’accorder avec le roi de France, qui m’a enlevé ma terre et tué mon père ? » Gale de Niort répondit le premier : « Que Charles fasse droit le premier, lui qui a le tort de son côté, d’après le jugement du comte de Montfort ou d’un autre baron qui ne soit pas partial envers lui[143]. S’il refuse, c’est qu’il dédaigne ton amitié. » |
Er paraule landris de ſon eſtage Bien paraule iſt om dient li ſage
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179. Alors se leva et parla Landri : « Gale, ce que vous dites semble folie. Tous les sages de Rome et de Carthage, les sept juges...[144] ne pourraient juger le droit[145] pour de telles pertes. Jusqu’à la mer, il n’y a baron chevalier d’aucune famille qui n’ait perdu quelqu’un des siens. Mais puisque Dieu nous mit dans l’esprit l’idée d’un accord (?) la faisant apparaître par des signes visibles[146], puisque Charles te demande ton amitié par ses messagers, gardons-nous de répondre une parole hautaine, dure, outrageante. Girart est devenu son homme lige, je fus présent à l’hommage, quand il prit de lui en fief sa terre héréditaire. Il reçut alors amitié et seigneurie[147]. Que maintenant le comte rentre dans son hommage, que le roi lui rende toute sa terre dans les conditions qui furent réglées lors du mariage[148]. — Voilà bien parlé, » dirent les sages, « c’est un homme de grand sens et de courage. » |
Girarz ot de barons quil fu blaſmez
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180. Girart entend qu’il est blâmé par ses barons, et voit que son oncle est irrité. Il se place debout auprès de lui : « Oncle, merci pour Dieu ; ne vous irritez pas. Je ferai vraiment cet accord, puisque vous le voulez. — C’est bien, » dit le comte ; « or garantissez-moi que vous ne vous dédirez pas de votre promesse. Boson, Fouque et Seguin, avancez ; jurez-moi cette promesse ; faites entrer dans le serment Gilbert de Senesgart et aussi Bernart mon plus jeune fils. Gardez-le moi bien et entretenez-le. Chers fils, observez toujours mesure et sens ; aimez votre seigneur, portez-lui foi ; ainsi vous ne perdrez de votre vie aucun de vos biens. Allez, comte, mandez au roi que vous lui rendrez tout ce que vous avez à lui ; accordez-vous avec lui, servez-le ; ce sera votre profit, votre prouesse, votre prix. » |
Girarz part de conſel li cons iraz
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181. Girart quitte le conseil, plein de dépit. Voici les messagers qui, d’un autre côté, viennent à lui. « Sire, vous manderez à Charles ce que bon vous semblera. — Je ferai vraiment accord, puisqu’on me le conseille, mais je vous jure Dieu et ses bontés, que je ne serai pas son fidèle, ni lui mon ami, si avant tout le duc n’est mis en dehors de l’accord, de façon qu’il n’ait[149] plus aucun lien d’amitié avec lui ! |
Grant tort ſen ot li reis e ſei franceis
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182. « Le roi et ses Français ont eu un grand tort, à Orléans, quand j’y envoyai des messagers[150]. On ne m’a accordé ni droit ni loi[151]. Sans que je lui aie refusé de faire droit, ni fait aucun tort, il a occupé ma terre et mon pays, tué mon père, saisi mon fief. Mais puisque mon oncle Odilon le désire, et que les barons de mon pays l’approuvent, je ferai vraiment un accord, pourvu que le duc [Thierri] n’y soit pas compris. » Les messagers retiennent cette parole et s’en vont là où était le roi, ayant autour de lui ses barons et ses marquis. Thierri d’Ascane s’y trouvait, tout blessé qu’il était. Il est, entre tous, le plus sage et le plus courtois, et, quand il parle, on l’écoute avec respect. Les messagers descendent là, et Charles les interroge : « Dites ce qu’il en est ? » |
Segner ce diſt tieberz com dome irat
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183. « Sire, » dit Tibert, parlant comme un homme attristé, « sans qu’il t’eût fait tort ni refusé le droit, tu as occupé sa terre ; tu lui as tué son père à grand péché, blessé à mort Odilon, son oncle ; toutefois, pour l’amour de Jésus qui fait partie de la Trinité, qui nous a fait paraître des signes éclatants, pour se conformer aux conseils de ses barons, il consentirait à ce que tous les torts fussent pardonnés. Là dessus tous[152] étaient d’accord, mais, par une dernière parole, il a ajouté une dure condition, jurant Dieu de majesté qu’il ne sera jamais ton fidèle ni ton privé, si avant tout le duc [Thierri] n’est excepté de l’accord, de façon qu’il n’ait plus amitié avec toi. |
Par mon cap diſt li reis ne ꝑ can uei
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184. — Par mon chef ! » dit le roi, « pour rien au monde, je ne voudrais avoir commis une telle injustice, que le duc ait guerre sans moi ! » Et Thierri répondit : « Sire, merci ! Ne plaise à Dieu, le grand roi, que jamais personne fasse guerre à cause de moi ! Il y a cent ans que je suis né, et plus je crois[153] ; j’ai le poil blanc comme neige. Chassé de France à grand tort, j’ai traversé un bras de mer, et sept ans je suis resté en exil à Mont-Caucei[154]. J’y retournerai, avec la permission du roi, lui laissant mes trois fils, Aimon, Aimeri et Andefroi. Quand Girart sera réconcilié avec le roi, mes amis et seigneurs, priez-le pour moi, car je veux me mettre entièrement à sa merci. » |
C Carles qant lauit a grāt dolor
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185. À ces mots, Charles éprouva une grande douleur : Mes comtes, mes fidèles et mes comtors[155], évêques, abbés, docteurs, qui avez à me défendre, moi et mon royaume, par la foi, par l’amour que vous me devez, donnez aujourd’hui à votre seigneur un conseil qui le sauve du déshonneur. Je ne faillirai pas au duc, à aucun jour ; je ne voudrais pas le faire à l’égard du moindre de ceux qui ont combattu avec moi. » Et le duc répondit avec une grande douceur : « Ne plaise à Dieu, au Rédempteur que pour moi nos hommes soient en lutte avec les leurs. Avant que le duc [Girart] fît la guerre à l’empereur, ses ancêtres me voulaient grand mal, et maintenant ses fils, je le vois, m’en veulent plus encore. » |
Gralerans de ſenlis premierement Car compre co quen a e car ou uent
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186. Galeran de Senlis tout le premier parla au roi avec sagesse : « Charles, je sais que Dieu veut l’accord ; tu as vu que pendant la bataille il l’a fait paraître, lorsqu’il a dirigé sur nous le feu ardent. Tant de barons sont restés [dans la bataille] morts et sanglants que la France ne s’en relèvera pas de ton vivant. Mais fais au duc des conditions convenables, car celui qui à tort guerroie longuement, y trouve rarement son bénéfice et souvent sa perte. Ce qu’il obtient, il l’achète cher et le vend de même. Pour une fois qu’il monte, il descend deux. Rendez donc au comte son chasement. — Faites, » dit Charles, « à votre volonté, mais ce me sera une grande douleur si Girart ne lui pardonne son ressentiment[156]. » |
En autre plait en uolt li reis carchar
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187. Le roi voulut chercher un autre arrangement ; il s’efforça d’accorder le duc et le comte, mais Girart n’y voulut aucunement consentir, non plus que Boson d’Escarpion, ni Seguin. Le duc prit congé et se mit en route. Là vous auriez vu tant de barons pleurer pour lui ! Il me faut maintenant parler bref. Évêques et pairs, à force de parlementer, réussirent à faire désarmer les compagnies et à décider Girart à se mettre aux pieds du roi. Ils l’amenèrent à jurer son hommage, à renoncer à toute rancune, à donner le baiser de paix [à Charles]. Ils firent pardonner la rancune des morts[157], mettre en liberté les vivants qui étaient prisonniers. On réunit les évêques et les abbés et on leur confie la garde du champ de bataille, le soin d’enfouir les morts, de guérir les blessés. Il reste là tant de francs barons étendus morts, que la douleur s’étend au loin. Leurs amis auront assez à pleurer et dames et damoiselles à se lamenter. |
Ainc de forcor bataille naui retraire
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188. Jamais je n’ouïs parler de plus forte bataille, car il n’y en eut telle depuis que Dieu s’incarna. Fouque et Girart y perdent chacun son père. Maintenant nous n’avons pas à parler des morts : à Dieu les âmes, au suaire les corps ! Quant la guerre finit, Girart fit faire de moutiers je ne sais combien, qu’il remplit de moines et de reliques. Girart retourne chez lui, à Roussillon ; Fouque et ses frères s’en vont en Provence ; Charles le roi revient en France. |
De draugon ne re(m)az fiz ke girarz
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189. De Drogon il ne resta d’autres fils que Girart, d’Odilon, plusieurs et de vaillants : ce furent Boson et Seguin ; Fouque et Bernart, et don Gilbert, le comte de Senesgart. Et si Thierri s’en va [en exil] à cause d’eux, et pour [assurer] la paix, voulant la fin de la guerre, il ne doit pas être appelé félon ni couard. On pria tant les comtes[158], des deux côtés, que Girart lui assigna un terme de cinq ans. Par suite [de cette convention] le comte fut plus tard appelé traître : et pourtant il agit sans détour ni ruse, mais Boson d’Escarpion se conduisit comme un chien[159], ainsi que don Seguin son frère, lui et Fouchier. |
Gilberz tint ſeneſgarz e mon targon E ſegins la contat de beſencon
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190. Gilbert tint Senesgart et Montargon, et Seguin le comté de Besançon, et don Boson la terre[160] d’Escarpion, et Bernart le comté de Tarascon[161], et Fouque le duché de Barcelone, Aoste et Suse et Avignon : le tout venait de la terre du vieux Drogon[162], et Girart de Roussillon en était le seigneur suzerain. Mais païens et Esclavons lui en ont enlevé plus de quatre journées tout environ. Lorsqu’ils ouïrent la douleur et la rumeur de la lutte qui eut lieu à Vaubeton, où moururent comtes et barons, ils passèrent les ports [des Pyrénées] sans obstacle, et vinrent jusqu’à la Gironde tout d’une traite. Pour demander du secours sont venus quatre Gascons : deux vont à Girart et à Fouque, les autres deux en France au roi Charles. Le roi est à Paris, en son donjon, en un palais qui fut au roi Francion[163]. Là il demande conseil au sujet du roi frison qui lui a déclaré la guerre[164], ainsi que les Saxons. Les messagers descendent tous au perron ; ils entrent là où Charles se tient, et lui disent des nouvelles qui ne lui plaisent guère. |
Premieres ou dis uns cons danſ anſeis
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191. Le premier parla un comte, don Anséis : « Ah ! Charles Martel, comme tu as mal fait lorsque, en Vaubeton, tu as livré bataille et tué Drogon, ton baron. Tu as cru gagner en puissance, et tu t’es affaibli ! Nous avons perdu les marches que le duc [Drogon] avait conquises[165] : d’un côté, te sont venus les Almoravides, et, de l’autre, te font la guerre Saxons et Frisons. Si Girart ne te vient en aide, tu es pris. » Et le roi, de tristesse devint sombre. |
Premers parlet tenarz qui tint girūde
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192. Ensuite par la Ernaut[166], qui tint Girone : « Sire roi, votre amour ne m’est pas profitable. Là-bas, du côté de l’Espagne, tu m’as placé en bordure : je suis assailli par les païens du monde entier. Je ne puis voler en France, je ne suis pas une hirondelle, et je n’ose sauter en la mer : elle est trop profonde. Que Jésus confonde tout votre secours ! Je ferai hommage à Girart, par Dieu du monde ! » Et le roi ne trouve rien à lui répondre. |
Anſeis de narbone parlet com bar Mes portes mont fait claure e fort trar
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193. Anséis de Narbonne[167] parla en baron : « Sire roi, aucun de nous ne te devrait aimer. Croyez-vous que mal agir vous fasse aimer ? Nous ne sommes pas des Anglais d’outre-mer[168] ! Quand tu alas en Espagne à la tête de ton armée, où je portai ton enseigne pour guider, tu m’as laissé dans le pire lieu que tu as pu trouver, à Narbonne, me chargeant de te la garder. Là m’assaillent les païens d’outre-mer : ils m’ont fait clore et terrasser mes portes[169]. Vous n’auriez pas été assez preux, assez fort guerrier pour venir de France me secourir. Je me tiendrai avec Girart, si Dieu me protège ! » Et le roi fut si affligé qu’il ne sut que faire, mais il demande son cheval et monte. |
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194. Là-dessus, Charles est monté pour porter secours. Jamais un roi n’eut si grande valeur. Il envoya ses messagers tout à l’entour, et manda ses barons et ses vavasseurs. En quatre jours, il en eut quinze mille, qui se joignirent à lui à Tours. Il envoya pour Girart en ce besoin. Ce fut orgueil, félonie et malveillance que sans lui il commença la grande bataille, et pourtant Girart en eut l’honneur. |
Eſ prins lōs iors de mai ke tans aunde
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195. Ce fut dans les brillants et longs jours de mai, à la belle saison, que Charles livra bataille près de la Gironde aux païens d’Esclaudie[170], une gent blonde ; il y avait aussi des Africains, noirs comme l’hirondelle. Seguran de Syrie, à qui est Mappemonde[171], conduit cette gent que Dieu confonde ! De ces païens mauvais il y a un tel nombre que Charles n’y voudrait pas être pour le monde entier. Il ne trouve personne qui réponde au cri de son enseigne, quand le comte Girart débouche de Vaupréonde, portant lance acérée et targe ronde. Sa première échelle et la seconde abordent ensemble l’ennemi. Alors la bataille fut si acharnée, que l’eau est rouge du sang qui coule vers la mer[172]. |
Ainc ne uiſtes nul rei quaiſi rancur
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196. Jamais vous ne vîtes roi aussi désolé, quand Girart le comte aborda l’ennemi. Jamais je ne vis baron si preux, si dur, ni si grande prouesse de comte. Tout le jour ils se battent jusqu’à la brune. À la nuit tombante[173], les Turcs sont vaincus, les païens et les Africains du roi Seguran, et aucun n’échappa sinon par la fuite. |
La bataille eſt uencue el camp finaz Si ne reſte en uos la mauuaiſtaz
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197. La bataille est gagnée et la lutte terminée et Girart est revenu du combat, avec lui mille chevaliers de ses privés, qui ont perdu leurs lances, et ébréché leurs épées ; ils les portent nues, ensanglantées ; elles ne rentreront au fourreau qu’après avoir été lavées, fourbies avec un linge et essuyées. Par le conseil de Fouque, qui est plein de sagesse, le butin entier fut présenté à Charles, et celui-ci dit : « Comte Girart, prenez le tout, et le distribuez à ceux de vos hommes que vous aimez le mieux. Par vous, comte, je serai estimé, respecté, craint et redouté, et, à moins que vous ayez du ressentiment pour moi, je vous aimerai plus qu’homme au monde. — Et moi de même, » dit Girart, « s’il vous plaît. » Leur amitié n’eût jamais été rompue, sans Boson d’Escarpion, qui les a divisés. Ce fut son malheur et son péché, car par suite il en mourut, et Girart le comte fut deshérité, son château détruit et ruiné. |
Tan bien reſte girarz li cons au rei
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198. Si grande était l’amitié de Girart et du roi, que celui-ci l’emmena avec lui en France à Saint-Remi. Il lui dit tous ses secrets, tant il l’aime et se fie à lui. Désormais Girart peut faire en France le tort et le droit. Il n’y a si puissant homme, dès qu’il s’élève contre lui, qui n’ait forfait sa terre et son pays : on la donne à Girart le riche marquis. Le comte fait à son gré justice de tous, |
Tan bien reſtent enſanz li cons el reis
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199[174]. Le comte et le roi sont si bien ensemble qu’il n’y a baron en France ni en Vermandois, en Berry ni en Auvergne ni en Forez, s’il a commis tort ou déloyauté envers Charles, qui n’ait forfait sa terre et son pays. On la rend à Girart le riche marquis. Ainsi dura bien leur entente soixante mois, sans que Girart fît au roi rien qui lui pesât ; bien au contraire il se battit pour lui contre trois païens, et lui soumit de vive force Raimbaut le frison[175]. Le terme est arrivé qu’il a imposé à Thierri[176] et Charles lui demanda merci pour son duc. Et Girart lui pardonne tout ce qu’il a forfait. Alors, sans retard, fut mandé Thierri à Saint-Denis en France ; Girart y fut. Ce fut un malheur pour le duc, d’être retourné en son pays, il en mourut par un véritable meurtre ; et ce fut félonie et déloyauté. |
Carles mandet ſa cort e fu bien granz
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200. Charles manda sa cour, et elle fut grande : composée de barons lorrains, allemands, tiois, de français, de normands. Thierri d’Ascane, revenu de l’exil[177], y était, le sage, le droiturier, le vieillard aux cheveux gris, qui jamais n’avait prononcé un jugement injuste, à son escient, ni reçu de loyer la valeur d’une paire de gants. Il était accompagné de ses deux enfants : Girart les prit pour ses hommes et ses recommandés. Ce jour-là Boson les occit en traître. Ainsi recommença l’inimitié et la lutte et la guerre mortelle pires qu’avant. |
Li dux teiris repaire del lonc eſcil
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201. Le duc est revenu du lointain exil, du sommet de la montagne de Mont-Causil[178]. Charles manda sa cour à Méravil [179]. Boson et Seguin et leurs damoiseaux s’y rendent : si les pères ont eu guerre, les fils l’auront à leur tour. Boson coupa la tête à Thierri, et par là recommença la guerre. Mille hommes en moururent en une plaine, et dix charretées de lances en furent brisées en une mêlée, et Charles en fut poursuivi à travers un champ : sans le château de Roussillon, il était mort[180]. |
Qui auez la gerre e la tencon
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202. Vous avez ouï la guerre de Charles et de Girart de Roussillon, comment Boson d’Escarpion la causa en donnant asile au marquis Fouchier qui enleva les chevaux de Charles[181], sous Montargon, quand le roi était au siège de Roussillon ; vous avez entendu celle de Thierri le duc, le riche baron, de la bataille de Vaubeton où il tua Drogon et Odilon, l’un père de Girart, l’autre de Fouque ; ses enfans[182] furent bons chevaliers, et tels [d’entre eux] qui étaient [au temps de la bataille de Vaubeton] de jeunes hommes, ont grandi et sont maintenant chevaliers. À un lundi de Pâques, ils rencontrent Thierri à la cour du roi Charles : pourquoi mentirais-je ? ils le tuèrent. |
|
203. Ce fut à unes Pâques, ce m’est avis, que Charles tint cour plénière à Paris. Thierri, le duc d’Ascane, y fut occis. Boson d’Escarpion lui mit sa lance dans le corps, vengeant ainsi son père et son oncle. Ainsi recommença la guerre qui, depuis ce jour, ne put être terminée par un accord. |
Ce fu a un deluns prin ior ſemane
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204. Ce fut un lundi, le premier jour de la semaine. Charles tint sa cour, grande et puissante, à Paris, en sa salle qui est vaste et ancienne. Après avoir mangé, le roi fait la sieste. Les damoiseaux vont jouter à la quintaine, aval, sous la cité, auprès de la source. Entre eux s’éleva une dispute, ils tuèrent Thierri, le duc d’Ascane : Don Boson d’Escarpion, qui tint Jordane[183], lui enfonça sa lance par les entrailles, lui et tels soixante autres desquels aucun ne s’en vante. Le duc ne vécut pas jusqu’au lendemain au jour ; mais ensuite Hugues de Monbrisane le vengea, par le conseil de Gautier, le fort, de Brane[184]. Cette vengeance ne fut point accomplie d’une façon honteuse, mais en champ de bataille, où vous auriez vu plus de mille hommes par la plaine frappés au cœur ou à la tête. |
Soz paris la citat en cambon Ꝑ co renchet taus gerre dunt fins ne fon
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205. Sous Paris, en un champ, une quintaine fut établie par trahison. C’est Boson et Seguin de Besançon qui la firent. Les fils de Thierri, tout jeunes gens, y vont, l’un portant une badine, l’autre un javelot. Ils se rendent vers la mesnie que Dieu puisse maudire ! Boson enleva à chacun la tête sous le menton. Pour cela recommença une guerre qui ne fut point terminée par un accord, jusqu’à tant que Boson d’Escarpion fut tué, Charles pourchassé par une plaine, et Girart expulsé de sa terre, obligé, par la suite, de porter du charbon dans les bois. |
Li fil teiri lai portent uerges pelades
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206. Les fils de Thierri portent là des badines pelées[185] ; la mesnie de Boson des targes roées ; sous leurs gonelles ils ont des broignes safrées[186]. Ils dressèrent leurs embûches à Saint-Germain [187]. Là ils leur ont coupé la tête, et pour cela recommencent les guerres si acharnées, que cent mille hommes sortirent de leurs pays[188], et seulement des chefs il y eut cinq cents charretées, par suite de quoi la contrée est dévastée et réduite en désert. |
Li fil teiri lai portent bliaus fronciz
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207. Les fils de Thierri portent là des bliauts froncés, ceux de la mesnie de Boson ont revêtu sous leurs gonelles des hauberts forts et à triple maille. Ceux qu’ils vont prendre en trahison se rendent à la mesnie. Boson coupa à chacun d’eux la tête, puis, le parjure, il tua sans risque leur père, le duc Thierri d’Ascane. |
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- ↑ Ob art de bestiaire Oxf., a obra bestiaria P. (v. 1536). Il y a
abondance de textes et de monuments qui constatent l’emploi de
représentations d’animaux dans la décoration. Ainsi dans Floire et
Blancheflor, 1re version, edit. Du Méril, p. 23 :
N’a sous ciel beste ne oisel
Ne soit assis en cel tombel,
Ne serpent qu’on sache nomer,
Ne poisson d’iaue ne de mer.Cf. la 2e version, ibid., p. 167.
- ↑ D’après P. (v. 1538) ; la leçon d’Oxf., de clarematre vitre m’est obscure.
- ↑ Ne pas perdre de vue que le piment est une boisson épicée et sans doute parfumée.
- ↑ Les hommes qui dépendaient de son fief d’Orléans, voy. § 116.
- ↑ Je conserve les expressions du texte sans pouvoir déterminer le sens précis de chacune d’elles, sans même pouvoir affirmer que l’auteur ait entendu désigner par honneur et par chasement deux sortes de bénéfices. L’un et l’autre en effet sont concédés à titre viager, du moins à l’origine. La différence est que le casamentum est toujours une concession de terre, tandis que l’honor est une concession quelconque, celle d’une dignité par exemple.
- ↑ Oxf. lan peregui. P. lonc le regui (v. 1566).
- ↑ Ambrui pour la rime, comme plus haut (v. 1564) Folcui pour Folchier. Il se peut que ce soit Saint-Ambroix, cant. de Charost, arr. de Bourges, village situé sur l’Arnon, affluent du Cher. On a vu plus haut, § 104, qu’à l’aller Fouque était passé par Bourges.
- ↑ Oxf. per plan sarcui, P. pel pla savui (v. 1560).
- ↑ Oxf. deiui, P. de lui (v. 1569) ; p.-ê. pour dejus ?
- ↑ Nom qui figure encore dans les Enfances Ogier, v. 1506.
- ↑ « Les rideaux », selon P. (v. 1600).
- ↑ Étoffe de soie (maintenant poële, avec un sens plus restreint).
- ↑ D’après P. (v. 1604) : je n’entends pas, Oxf. dolonc biuic.
- ↑ Voy. § 120.
- ↑ Cf. § 127.
- ↑ Guinans d’Oltran P. (v 1640).
- ↑ Vergedaigne, cf., p. 48, n. 1.
- ↑ Molgradun P. (v. 1656).
- ↑ Cf. p. 48, n. 2.
- ↑ Tonun Oxf., Diiun P. (v. 1659) ; il y a Tolon dans Oxf., § 98, (ci-dessus, p. 48, n. 7).
- ↑ Auceün P. (v. 1661). Ce semble être la forme masculine du nom d’Anseüne sur lequel nous avons divers témoignages, voy. Romania, IV, 191.
- ↑ Laon. Ce surnom, si fréquent dans certaines chansons de geste, est ici exceptionnel. Cependant le roi est représenté au v. 5383, comme séjournant à Laon ; cf. aussi § 86.
- ↑ Ugon Oxf., Bego P. (v. 1673).
- ↑ Aucers Oxf., Augiers P. (v. 1674), mais plus loin (v. 1736) Auchiers.
- ↑ Chambrai P. (v. 1675).
- ↑ On a vu que Reims et Saint-Remi étaient l’un des séjours favoris de Charles (§§ 1, 88, 91, 95, 98}.
- ↑ Cf. § 116.
- ↑ C’est le même sentiment qui, dans le Charroi de Nîmes, conduit Guillaume à refuser l’offre que lui fait le roi Louis d’un quartier du domaine royal.
- ↑ Le même qui est nommé plus loin (§ 147) Senebrun de Bordeaux.
Il existe sur ce personnage une légende latine que M. Rabanis a
publiée d’après trois mss. des archives municipales de Bordeaux, à
la suite de sa Notice sur Florimont, sire de Lesparre (Bordeaux,
1843, p. 102-14). Ce sont trois copies (elles ont en général les mêmes
fautes) d’un même original. La même légende a été rééditée d’après
l’une de ces copies dans le t. I des Archives municipales de Bordeaux.
(Le Livre des Bouillons, Bordeaux. 1867, in-4), p. 474-83. D’après
ce récit, Vespasien donne pour femme à son second fils, nommé Senebrun,
Galienne, fille de l’empereur Titus. Ce Senebrun est roi de
Bordeaux, il a sept enfants entre lesquels il partage son royaume.
Longtemps après, à une époque indéterminée, un autre Senebrun,
descendant du fils de Vespasien, se rend au Saint Sépulcre, où il se
signale par ses exploits contre les Sarrazins. Fait prisonnier, il est
envoyé au Soudan. Celui-ci le fait combattre, par manière de passe-temps,
avec l’un de ses plus redoutables guerriers nommé Eneas. Senebrun
sort vainqueur de la lutte. Là-dessus, la fille du Soudan, Fenice,
devient amoureuse de lui et songe à le délivrer. Le Soudan, qui
voudrait amener Senebrun à renier la foi chrétienne, ne trouve rien
de mieux que de charger sa fille de ce soin. Naturellement les deux
jeunes gens s’engagent à la première entrevue, et, profitant d’une absence
du Soudan, ils s’enfuient à Damiette (? dans le texte Danatham).
Là ils se marient, Fenice ayant, au préalable, reçu le baptême et
changé son nom pour celui de Marie ; puis ils partent pour Acre
(Athon dans le texte, lisez Accon) d’où ils se rendent à Bordeaux en
passant par Marseille. Senebrun trouve en arrivant que ses frères se
sont partagé sa terre, d’où une guerre bientôt suivie d’un arrangement.
Les deux époux ont un fils, Gaufridus, qui fut évêque de Bordeaux.
La légende se termine par le récit de miracles et de fondations
pieuses, notamment de la fondation de l’église de Souillac en Médoc.
M. Rabanis dit, à la p. 6 de la Notice précitée, que cette légende fut « sans aucun doute imaginée et répandue par la naïve ignorance de nos aïeux à l’époque de la plus grande splendeur de la maison de Lesparre, au temps de Senebrun IV et de Florimont son fils, et par conséquent entre les années 1324 et 1394. » Puis, p. 101, il lui paraît que « d’après le style et les idées elle peut être rapportée au xve siècle. » Cela fait supposer que les mss. (sur lesquels M. Rabanis ne s’explique pas autrement) ne sont que du xve siècle. J’en connais un du xive dans la bibliothèque du comte d’Ashburnham. On y lit à l’explicit cette note qui ne manque pas d’intérêt :
« Hanc ystoriam invenit magister Vitalis de Sancto Severo, canonicus Sancti Severini Burdegalensis, gallice scriptam in cronicis ecclesie Viennensis, quam transcripsit et per ipsum transcriptam postmodum invenit eam magister Ar. de Listrac, in abbacia S. Dominici Exiliensis, Burgensis dyocesis (S. Dominique de Silos, dioc. de Burgos), in principio cujusdam libri phisice. »
Je n’ai aucun renseignement sur Vidal de Saint-Sever ni sur Arnaut de Listrac (il y a deux Listrac dans la Gironde). Quant à la rédaction latine de la légende de Senebrun, elle peut fort bien n’être pas antérieure au xive siècle, mais les chroniques françaises de l’Église de Vienne dont il est fait mention dans la note précitée (et sur lesquelles d’ailleurs je ne sais rien) sont vraisemblablement plus anciennes. En outre, il me paraît que ces chroniques elles-mêmes ont dû emprunter leur récit à un ancien poëme, à une chanson de geste perdue, qui ne peut guère avoir été composée plus tard que la première moitié du xiiie siècle. Cette jeune fille Sarrazine qui s’éprend d’un chevalier chrétien est un type commun à une quantité de chansons de gestes. C’est l’Esclarmonde d’Huon de Bordeaux, la Floripes de Fierabras, la Maugalie de Floovant. D’ailleurs on voit par le passage de Girart de Roussillon qui a donné lieu à cette note que Senebrun n’était pas inconnu à notre ancienne épopée.
- ↑ D’Escharans Oxf., dels Esquartans P. (v. 1708). Mon interprétation n’est pas très-sûre : 1° parce qu’on n’a aucun exemple aussi ancien, à beaucoup près, du nom escuarien ; 2° parce que escharans pourrait être identifié avec scarani, dérivé de scara, mais ce mot ne paraît se rencontrer qu’en Italie et à une époque peu ancienne (voy. Du Cange) et avec le sens de brigands. Ici ce qui est dit des Escharans convient parfaitement aux Navarrais et aux Basques mentionnés plus haut.
- ↑ Plus loin encore (P. v. 4568) le dard est représenté comme étant l’arme principale des Basques. Giraut le Cambrien, décrivant les armes des Irlandais, dit qu’ils portent une courte lance et deux javelots, « in quibus et Basclensium morem sunt imitati », Topographia Hibernica, iii, 10 (collection du Maître des Rôles, V, 151). L’agilité des Basques est constatée dès l’antiquité, voy. Bladé, Étude sur l’origine des Basques, p. 227.
- ↑ Sic Oxf., Surras P. (v. 1717).
- ↑ G. P. (v. 11722).
- ↑ Vengence Oxf., Vergensa P. (v. 1722). La terre d’Argence, nom que je substitue à ces deux formes pour moi inintelligibles, était sur la rive droite du Rhône, en face Tarascon et Arles.
- ↑ Signes distinctifs placés sur l’écu ; c’est la première forme des armoiries. Cette expression se trouve déjà dans Rolant, v. 3090.
- ↑ Este pience Oxf., le vers manque dans P.
- ↑ Les passages des Pyrénées.
- ↑ Sire Oxf. et P. ; sans doute la vallée de Cize, « vallée qui comprend la commune de Saint-Jean-Pied-de-Port en entier et la commune de Suhescun, » P. Raymond, Dict. topogr, des Basses-Pyrénées. Ce sont les ports de Sizre, mentionnés dans Rolant (vv. 383, 719 2939), voy. P. Raymond, Revue de Gascogne, X (1869), 365 ; G. Paris, Revue critique, 1869, II, 173, Gautier, Chanson de Rolant, édition classique (1875), p. 418.
- ↑ De grant ausire Oxf. et P. (v. 1735).
- ↑ Ce saint est amené ici par la rime.
- ↑ Ne mut per sorz Oxf., no moc per sort P. (1742). Je ne me rends pas bien compte de ce que peut être une guerre mogude per sort, et par conséquent je ne suis pas assuré du sens que j’ai adopté.
- ↑ Voy. p. 4, n. 1.
- ↑ La vallée d’Aspe, Basses-Pyrénées, l’un des passages les plus
fréquentés au moyen âge entre la France et l’Espagne. On lit dans
Aiol (v. 9563) :
Guerpissent les pors d’Apes, si tienent ceus de Sire.
- ↑ Val de Borz Oxf., le vers manque dans P. Ce ne peut être Bourges, appelé Beorges (Oxf.) aux §§ 104, 105.
- ↑ Niort est là pour la rime ; si c’est bien du chef-lieu des Deux-Sèvres qu’il s’agit. Cette ville n’est point sur une hauteur, non plus que Niort, Aude, cant. de Belcaire.
- ↑ Arsanz Oxf. (mais Arsem, en rime, § 126), Arcen P. (v. 1756).
- ↑ La tentative de Fouchier et les mesures prises à l’encontre par le roi ne sont pas contées clairement. L’auteur veut dire, ce semble, que Fouchier, profitant de l’absence de Charles qui s’était dirigé vers Avalon dans l’espoir de s’en emparer par surprise, fit une attaque feinte sur le camp ennemi, afin de provoquer une sortie de la part de ceux qui le gardaient, de les entraîner à sa suite tandis qu’une troupe apostée aurait pillé le camp laissé sans défense. C’est pourquoi Charles donne des ordres pour interdire toute sortie.
- ↑ Guillaume d’Autun ? Cf. §§ 77, 86.
- ↑ Joifroi d’Angers, cf. p. 41, n. 4.
- ↑ Voy. § 107.
- ↑ Voy. p. 59, n. 3.
- ↑ Capez Oxf., Capes P. (v. 1791), dans une rime en ez où e répond généralement en français oi.
- ↑ « Allemands » est pris en son sens propre (Alemanni), les populations germaniques de la Suisse et de la Souabe.
- ↑ « Aquitains » n’est pas très-sûr. Ici et au § suivant il y a dans Oxf. Agiant, dans P. (vv. 1790 et 1801) Gaines. Gui de Poitiers qui les conduit pourrait bien avoir été introduit ici par souvenir de Gui-Joifroi, duc de Guienne et comte de Poitiers de 1058 à 1087.
- ↑ Trez Oxf., Tres P. (v. 1796) serait probablement en français Trois ; voir sur les Desertois ou Desertains p. 40, n. 1.
- ↑ Déjà mentionnés ensemble aux §§ 72 et 93.
- ↑ Déjà mentionné au § 73.
- ↑ Joans quartus P. (v. 1805).
- ↑ Cf. p. 34, n. 5.
- ↑ Par conséquent en tout vingt mille cavaliers, nombre égal à celui de leurs adversaires.
- ↑ Monjarnes Oxf., il y a par erreur dans P. Moncenis (v. 1810), lieu qui reparaît à sa vraie place, au vers suivant. « Mont Jarnes » serait-il le mont Genèvre, par où on passe de Briançon dans la vallée de la Dora Riparia ?
- ↑ Le Grand Saint-Bernard, cf. p. 4, n. 1.
- ↑ Monz Senins Oxf., Moncianis P. (v. 1811). La plus ancienne mention du Mont Cenis est du viiie siècle, voy. E. Desjardins, Géographie de la Gaule Romaine, I, 82, n. 5.
- ↑ Au sens ancien, guerrier.
- ↑ Cheval de trait.
- ↑ P. molt voluntis, v. 1827, mauvaise leçon. Il est souvent question des écus « biauvoisins » dans les chansons de geste ; voy. Aliscans, éd. Guessard, v. 5156 ; Auberi, éd. Tobler, p. 177 ; Saxons, I, iii.
- ↑ Per les seïns Oxf., saïs P. (v. 1829) ; est-ce saginum ?
- ↑ Escharamant Oxf., escariman P. (v. 1834). Le sens de ce mot, qui se rencontre souvent en anc. fr., principalement sous la seconde de ces deux formes comme épithète de bliaut ou de paile, ne m’est pas connu.
- ↑ Ils se percent de part en part, de telle sorte que la main gantée qui tenait la lance se trouve tout près du corps de l’adversaire.
- ↑ Arlion P. (v. 1841), c’est peut-être le Helluin qui paraît déjà aux §§ 114 et 143, ou est-ce l’Arluin du § 158 ?
- ↑ Gibers Oxf., mais c’est probablement Gilbert de Senesgart, voy. §§ 75-6, 78-9.
- ↑ Giroine ou Girome Oxf.
- ↑ D’après P. (v. 1842), Oxf. Roge. Dans cette série de noms, réunis deux à deux, il faut sous-entendre « frappe » après le premier nom de chaque couple. Cela est plus clair dans le texte où les sujets sont pourvus de l’s qui marque le nominatif.
- ↑ Doltran P. (v. 1842).
- ↑ Corps de troupes formé en bataille.
- ↑ Hoël de Nantes figure dans le Pseudo-Turpin, dans Ogier (v. 5934, 6509, etc.), dans Gaidon, v. 1237, etc.). Il y a au xe siècle un comte de Nantes ainsi appelé, et au xie un duc de Bretagne.
- ↑ C’est l’extension de l’idée régnante au moyen âge que les croisés mourant pour le service de Dieu étaient infailliblement sauvés.
- ↑ Breton crident Maslou Oxf. (crido en aut P. est la correction
d’un copiste qui ne comprenait pas). Ce cri des Bretons est mentionné
dans la dissertation de Du Cange sur le Cri d’armes (Du
Cange Henschel, t. VII, Dissertations, p. 51 a). C’est Saint-Malo, cf.
Ogier, v. 12694 :
Et Saint-Malo (escrie) hautement Salemons.
Et dans Aspremont (ms. Barrois, Ashburnham Place, fol, 129 v°) :
La ont Breton lor enseigne escriée :
C’est S. Merloz de Bretaigne la lée.Cf. encore Rou, 7845 (où Pluquet a imprimé Maslon au lieu de Maslou) ; Saxons, I, 195, Beuve de Commerci, éd. Scheler, v. 3775, etc.
Quant au cri des Gascons, je ne l’entends point.
- ↑ Les noms, allusion à des prières contenant l’énumération des divers noms que Dieu reçoit dans les livres sacrés. L’une de ces pièces, contenant « les 72 noms de Dieu, comme on les dit en hébreu, en latin et en grec », est mentionnée dans Flamenca, v. 2286-90 ; cf. la note de mon édition, p. 316-7 ; voir aussi Revue des sociétés savantes, 2, III (1860), 660-1, et la longue pièce des cent noms de Dieu, par Ramon Lull (édit. Rosello. p. 201).
- ↑ Poerens Oxf., Pohorenxs P. (v. 1898). L’accord des deux mss. empêche de corriger Loerens. Il s’agit vraisemblablement de ceux du pays de Poix, en anc. fr. Pohiers, nom remplacé depuis le xive siècle environ par celui de Picards, dont l’étymologie reste encore douteuse. Voy. Du Cange Poheri, et, avec précaution, Gachet, Gloss. du chevalier au Cygne, Phohier.
- ↑ Voy. p. 51, n. 1.
- ↑ Oxf. per uns uslens, que je n’entends pas ; P. (v. 1904) mort e sanglens, leçon claire, mais qui a tout l’air d’une correction de copiste.
- ↑ Per rodens ?
- ↑ Oxf. Godemucon, P. (v. 1911) qu’ac de Muco.
- ↑ Ce nom, qui fait penser à l’Uter Pandragon des chroniques galloises, est peut-être corrompu. Le vers manque dans P.
- ↑ De baraton ?
- ↑ Marbio P. (v. 1917.)
- ↑ Voy. ci-dessus §§ 101 et 112.
- ↑ Oxf. veil chaumesit, P. (v. 1938) vilh cau musit. Une interprétation toute différente de ce passage, mais évidemment fautive, a été donnée par M. Bartsch, voy. Romania, IV, 131. M. Chabaneau (Rev. des langues romanes, VIII, 228, prend chau ou cau pour caput, « tête blanche », mais cau, de caput, serait une forme bien exceptionnelle dans ce texte.
- ↑ Pas tout à fait mort, car on va le voir s’en retourner avec ses hommes.
- ↑ Il avait, paraît-il, traversé la rivière d’Arsen, après son combat singulier avec Drogon.
- ↑ Toloignaz Oxf., plus loin, § 155, Toloignac, P (v. 1966) Toronjatz.
- ↑ Le vernis des boucliers.
- ↑ M. à m. d’une fleur d’or, aurieflor.
- ↑ En apres P. (1999), je n’entends pas E non prenc Oxf.
- ↑ À traduire littéralement, nous aurions ici des « combattants » (feridor) et, au début du §, des « hommes qui commencent l’attaque » (comensador). Mais il ne faut pas chercher un sens précis dans des expressions appelées par la rime.
- ↑ Barbustel (P. v. 2017), ainsi traduit Raynouard, Lex. rom., II, 185.
- ↑ Valée ou Valie est le cri bien connu des Angevins : voy. Du Cange, dissertation xi (à la suite du Glossarium, éd. Didot, VII, ii, 52 a, ; cf. Rou, v. 4666, Gaidon, v. 2692, 2939, 4983, le troubadour Marcabrun, dans l’Archiv de Herrig, LI, 32 b, etc. C’est un nom de lieu, comme tous les cris d’armes : Valeia, dans les Chroniques des comtes d’Anjou, édit. de la Soc. de l’Hist. de France, pp. 88, 91. Dans Renaut de Montauban, édit. Michelant, p. 142, le duc Gefroi d’Angers a parmi ses troupes « cinq cens archiers de Valie ». M. C. Port veut bien m’écrire à ce sujet « que la Vallée, comme on disait autrefois, ou Vallée de Beaufort, comme on dit aujourd’hui, comprend tout le val de la rive droite de la Loire, depuis les confins de la Touraine jusqu’aux Ponts-de-Cé. C’est un pays, non pas « voisin », comme le dit Du Cange (loc. cit.), mais à peu près de tout temps dépendant du comté d’Anjou. »
- ↑ Ce cri m’est inconnu.
- ↑ Six comtes de Flandre ont porté ce nom du ixe au xie siècle.
- ↑ De cendaz e d’aucassin, Oxf. ; le vers manque dans P. ; le cendat, en français cendé, est une étoffe de soie, voy. Du Cange, cendalum, cendatum, Diez, Wœrt., I, zendalo. L’aucassin était aussi une étoffe de soie : alchaz est cité par Du Cange d’après une ancienne charte écrite en Espagne, et expliqué par l’arabe khazz, « sericum grossius. » C’est proprement la soie écrue.
- ↑ Un perrun d’anti tans del viel elfin, Oxf., la leçon de P. est visiblement corrompue ; plus loin Girart puie au perrun le grant douuin Oxf., ... lo gran devi P. (v. 2047). Le viel elfin du premier vers et le grant douuin du second désignent vraissemblablement le même personnage, mais je n’oserais dire qu’il s’agisse, comme le suppose M. Chabaneau (Revue des langues romanes, VIII, 229) d’un dauphin : ce mot, en tant que titre féodal, n’apparaît pas avant 1140 (voy. Du Cange, delphinus) et l’origine en est incertaine. L’allusion que renferme ce passage m’est tout à fait obscure.
- ↑ Celui de qui il est question aux §§ 101 et 107 ?
- ↑ D’iquel aisin Oxf. ; aisin peut signifier « ainsi », mais je ne sais si ce ne serait pas un dérivé de agicis, aicis, qui paraît avoir été dans le midi l’équivalent de vicaria, voy. Du Cange, aiacis.
- ↑ Cum de faizil, Oxf. (e de fesil P. 2075 est corrompu) ; c’est sans doute le même mot que le fr. fraisil, résidu de forge, dont l’origine n’est pas connue, car fractilhum, proposé par M. Littré, est inadmissible, comme l’a dit avec raison M. Scheler. Du reste, l’r est sans doute d’introduction récente, car faisi, fesi existe dans divers patois du Nord et même dans des textes anciens. Voy. Du Cange, fasilia ; Hécart, Dict. rouchi, fasi.
- ↑ Saint Austregesil, archevêque de Bourges (viie siècle). Ce nom vient ici pour la rime.
- ↑ Ce surnom doit venir d’une terre éloignée possédée par Thierri, ou peut-être qu’il avait simplement habitée. Plus loin, § 201 (P. v. 2702), nous le verrons revenir de Mont-Causil où il avait passé un temps d’exil. C’est sans doute le même lieu que le Moncausei où une première fois il s’était réfugié (ci-après § 184).
- ↑ Les mêmes qui viennent d’être appelés « Tiois ».
- ↑ « Les nôtres » ce sont les hommes de Girart.
- ↑ Il y a plusieurs énumérations de ce genre dans le poême de la croisade albigeoise.
- ↑ Est-ce Gaza, modifié pour la rime ? tro a Caumil P. (v. 2093).
- ↑ Arlio de Valendesc P. (v. 2098).
- ↑ Beresc Oxf., varesc P. (v. 2102), « chaume », selon Raynouard, Lex. rom., III, 423, d’après cet unique exemple, explication sans valeur.
- ↑ Verzele Oxf., varela P, (v. 2115), cf. Du Cange, verceillum.
- ↑ Rotrieu que tenc Niela P. (v. 2118.)
- ↑ Nom qui reparaît dans plusieurs chansons de geste ; c’est Dortmund, en Westphalie.
- ↑ Laisse qui manque dans P.
- ↑ Voy. § 155.
- ↑ Le fer et l’acier des hauberts, l’azur et le vernis des boucliers.
- ↑ La chronique, l’histoire.
- ↑ Les Leutiz, ou Lutiz qui figurent dans Rolant, v. 3205, dans Gormont, v. 444, et ailleurs ; ce sont les Wilzes, habitants des bords de l’Oder ; voy. G. Paris, Romania, II, 331-2.
- ↑ E li Rossenc Oxf., Rochenc P (v. 2177.)
- ↑ Interprétation aventurée ; les deux mss. sont d’accord et le mot à mot serait : « Avant que fut faite la bataille de Vaubeton, elle avait été prêchée (ou plutôt, selon P., il avait été prêché) cent ans dans le vieux sermon. » Qu’est-ce que cela veut dire ?
- ↑ Jutgamen no P. (v. 2201) ; la leçon d’Oxf., qui substitue fon à no, ne me paraît pas donner un sens bien clair ; p.-ê. « ce fut un jugement », c.-à-d. une bataille considérée comme jugement de Dieu ?
- ↑ Le Berlant du § 146 ?
- ↑ Voy. § 151.
- ↑ Le texte (el cuir d’azer) n’est pas très clair, azer ne peut ici signifier « acier » ; il s’agit sans doute d’une broigne, cuirasse en cuir, revêtue d’écaillés de fer imbriquées.
- ↑ Ici commence le ms. de Londres (L.).
- ↑ Cette description, où on peut reconnaître les effets exagérés du
phénomène connu sous le nom de feu Saint-Elme, fait penser au
songe de Charlemagne, dans Rolant, vv., 2532 et suiv. :
Carles guardat amunt envers le ciel,
Veit les tuneires e les venz e les giels,
E les orez, les merveillus tempiers,
E fous e flambe i est apareilliez,
Isnelement sur tute sa gent chiet,
Ardent ces hanstes de fraisne et de pumier,
E cil escut jesqu’as bucles d’ormier..... - ↑ Les §§ 169, 170 et 171 ne forment par la rime, qu’une seule tirade, que je coupe en trois, me conformant aux divisions marquées dans les mss. par l’emploi de grandes capitales.
- ↑ Dans l’armée de Charles.
- ↑ Il y a un lieu du nom de Valençon, dans le Pas-de-Calais, com. de Preures, arr. de Montreuil-sur-mer.
- ↑ Voltriz P. (v. 2261).
- ↑ Helluin de Ponthieu, voy. § 161.
- ↑ Leçon d’O. L. ; ce nom paraît déjà au § 113 ; P. (v. 2270) causitz.
- ↑ Non er peritz ; il y a là une idée religieuse : perir indique la mort de l’âme, voy. Du Cange peritio ; mourir pour une bonne cause était assimilé au martyre ; voy. p. 83, n. 3.
- ↑ Plus loin, § 175, « Garnier le fils d’Aimon ».
- ↑ À titre d’ôtages.
- ↑ Reis de soudoz Oxf., reis de sotos L., rei dissopdos P. (v. 2314), je ne sais ce que cela veut dire.
- ↑ Remarquons pourtant que les messagers de Charles n’ont indiqué aucune condition.
- ↑ On sait combien était fréquent l’usage de revêtir l’habit monastique au moment de la mort. Sainte-Palaye a recueilli à cet égard divers témoignages dans ses Mémoires sur l’ancienne chevalerie, note 12 de la cinquième partie (édit. Nodier, I, 385-6).
- ↑ Terme juridique, sans équivalent dans la langue actuelle, qui signifie se justifier d’une accusation par l’une des preuves judiciaires en usage, Escondire a été vers le xve siècle corrompu, par suite d’une fausse étymologie en « éconduire », et a pris peu à peu, depuis lors, le sens de « conduire au-dehors » indiqué par l’étymologie qu’on lui supposait.
- ↑ Qui nel deport, cf. Du Cange deportare 1.
- ↑ Ne li set jugeor del ren deufrage Oxf., vers passé dans L. et dans P.
- ↑ Le texte (P. 2395) varie selon les mss., mais je pense être dans le sens. Juger le droit (cf. p. 45, n. 3), c’est prononcer la compensation, l’indemnité due pour un méfait. L’orateur veut dire que pour un désastre aussi grand, il n’y a pas de compensation possible.
- ↑ La tempête qui interrompit la bataille.
- ↑ C’est-à-dire, si j’entends bien, il entra alors dans l’amitié et dans la seigneurie de Charles.
- ↑ Ce passage et plusieurs autres (par ex. les paroles de l’oncle de Girart, § 177) sont en contradiction avec ce qui est dit au commencement du poëme des conditions obtenues par Girart lorsqu’il consentit à faire avec le roi l’échange de leurs fiancées respectives, voy. §§ 31 et 33.
- ↑ Le texte permet de traduire « que je n’aie », la première et la troisième personne étant identiques au singulier du subjonctif présent, mais le sens est déterminé par la fin du § 183.
- ↑ §§ 117 et suiv.
- ↑ Ne dreiz ne leis ; le second de ces deux termes s’emploie souvent, de même que le premier, au sens d’amende, compensation, voy. Du Cange, lex, IV, 89 c.
- ↑ Tous les conseillers de Girart.
- ↑ Il faut se souvenir qu’au moyen âge il est rare qu’on sache exactement son âge.
- ↑ Cf. p. 90, n. 3.
- ↑ Voy. p. 11, n. 1.
- ↑ Son ressentiment à lui Girart ; j’emploie « pardonner » dans le sens ancien, « faire grâce de ».
- ↑ Feide, voy. faida dans Du Cange ; c’est le sentiment d’inimitié que fait naître dans une famille le meurtre d’un de ses membres. Si la faida n’est pas pardonnée, c’est-à-dire si ceux chez qui elle est née n’y renoncent pas, soit spontanément, soit à la suite d’un accord, d’un plaid (placitum), des représailles pourront être exercées et la guerre se perpétuera. C’est la vendetta corse.
- ↑ Girart et ses cousins.
- ↑ Gaignarz, rattaché à tort par Raynouard, Lex. rom., III, 449, à gazanh, et conséquemment entendu au sens de « pillard ». L’opinion de M. Scheler qui rattache ce mot à gaignon, mâtin, chien de garde, est au moins très probable (Bueves de Commarchis, note sur le v. 3529).
- ↑ Ici et plus bas je traduis onor par « terre ». C’est le terme le plus vague et, par conséquent, celui qui rend le mieux l’expression du texte.
- ↑ Terascon Oxf., Tarascon L., Tarasco P. Ces formes excluent Tarragone. Il ne peut être question de Tarascon-sur-Rhône qui n’a jamais été le chef-lieu d’un comté ni même d’une seigneurie, non plus que Tarascon-sur-Ariège.
- ↑ Il semble qu’ici le nom de Drogon ait été, par une erreur commune à nos trois mss., substituée celui d’Odilon. En effet, c’est d’Odilon leur père et non de Drogon leur oncle, que Gilbert, Séguin, Bernart et Fouque avaient dû hériter. En outre, les terres nommées ici appartiennent (sauf Barcelone dont la mention est à la vérité inexplicable) à la région des Alpes, tandis que les possessions de Drogon étaient en Espagne ; voy. §§ 99, 134, 137.
- ↑ Personnage fabuleux duquel, selon la légende de l’origine troyenne des Francs, ceux-ci auraient tiré leur nom ; voir Frédégaire, dans Ruinart, Gregorii Turon. opera, pp. 549, 705.
- ↑ Raimbaut, roi de Frise : voir ci-après § 199. Il est le héros de traditions qui ne nous sont parvenues que fort incomplètes, voy. G. Paris, Hist. poétique de Charlemagne, p. 293.
- ↑ Cf. § 99.
- ↑ D’après P (v. 2591) ; Tenarz, Oxf. et L., ne me rappelle rien. Ernaut de Girone, au contraire, est un personnage épique qui figure comme héros principal dans un poëme latin dont un notable fragment, mis en prose, nous a été conservé : le fragment de la Haye ; voy. G. Paris, Hist. poét. de Charlem., p. 84. Le même personnage est mentionné par occasions en diverses chansons de geste, par ex. dans Aliscans, éd. Guessard et de Montaiglon, vv. 2140, 4135, 4933, dans Gaufrei, v. 114, etc. ; voy. aussi mes Recherches sur l’épopée française, p. 24 et 25 (ou Bibl. de l’École des chartes, 6, III, 62). La leçon Ernaut étant adoptée, il devient nécessaire de traduire le Gironde du texte par Girone, et non, comme plus haut, § 190 par Gironde.
- ↑ Anséis est, comme Ernaut, un personnage épique (voir mes Recherches, p. 25, note 2), mais, d’après la chanson qui porte son nom, c’est l’Espagne, et non Narbonne, qui lui est confiée par Charlemagne. Le discours qui est ici placé dans la bouche d’Anséis conviendrait donc mieux à Aimeri de Narbonne, héros bien connu des chansons françaises de Guillaume au court nez. La leçon Anseïs (qui manque au ms. P. où on lit simplement Ducs de Narbona, v. 2599), semble la répétition du nom du comte Anséis que nous venons de voir parler le premier dans le conseil de Charles. Je suis donc porté à croire, contrairement à ce que j’ai dit dans mes Recherches (l. l.), qu’on peut corriger « Aimeri de Narbonne », quoique plus loin (ms. de Paris v. 4193 et 4222) Aimeri figure au nombre des vassaux de Girart, et non, comme ici, parmi ceux de Charles.
- ↑ C’est-à-dire : nous ne sommes pas, comme les Anglais, protégés par la mer contre les Sarrazins.
- ↑ En cas de siège, on obstruait les portes par des terrassements, voy. Du Cange terratus. Cette opération fut faite en 1202 par les habitants de Mirebeau, assiégés par le roi Jean-sans-Terre, Bouquet, XVIII, 95) ; en 1340 par ceux de Tournai qu’assiégeait Édouard III, voy. Froissart, éd. Luce, II, 232.
- ↑ L’Esclaudie est mentionnée, d’une façon fort peu précise, dans
Ogier, v. 12020, et dans la Prise de Rome, v. 76 (Romaina, II, 7).
Dans ce dernier texte il est dit de Laban, père de Fierabras :
L’Arabie tient tote desque la Rouge mer,
Et Aufrike et Europe, Esclaudie sa pier.Est-ce le pays des Esclaus ou Esclavons (cf. § 190) ? l’épithète « blonde » serait en faveur de cette interprétation. L’Esclaudie est souvent nommée dans un poëme moins ancien, le Chevalier au cygne, éd. Reiffenberg, vv. 9425, 10054, 11690, 14621, etc. Dans le même poëme est indiqué un fleuve d’Esclaudie qui serait voisin d’Ascalon, vv. 21764, 33234. Un fabuleux roi d’Esclaudie est mentionné dans le Bastart de Bouillon, v. 3043,
- ↑ Fist la pennunde Oxf., est évidemment corrompu ; fist Mapemonde L., n’est pas clair ; je suis P. (v. 2626) cui er Mapmonda, leçon qui n’est pas non plus bien satisfaisante.
- ↑ C’est d’après P. (v. 2635) l’eau de la Gironde.
- ↑ D’après P. (v. 2641) ; « à l’aube apparaissante » Oxf. L.
- ↑ Cette laisse et la précédente, l’une en ei et l’autre en eis, devaient originairement n’en former qu’une.
- ↑ Rabeu le freis Oxf., Robrieu lo fres Paris, manque dans le ms. de Londres. L’identification que je propose, Rambaut de Frise (voyez ci-dessus, p. 106, note 1), est conjecturale.
- ↑ Le terme de cinq ans dont il a été parlé plus haut, § 189.
- ↑ Cf. § 112.
- ↑ Cf. plus haut, § 184.
- ↑ Merevil Oxf. L., Meravil Paris ; je ne sais quel est ce lieu : je ne trouve rien qui s’en rapproche dans la liste des palatia regia de Du Cange. P.-ê, est-ce un nom commun, « à merveille », une cour merveilleusement nombreuse ?
- ↑ Ceci fait allusion à un fait de guerre qui sera conté plus loin (P. V. 5841 et suiv.).
- ↑ Cf. ci-dessus § 59. Toutefois, dans ce passage, il est simplement conté que Fouchier, ayant enlevé à Charles des chevaux et divers objets précieux, mit son butin en sûreté à Escarpion, le château de Boson ; mais il n’est nullement dit que cette circonstance ait été la cause de la guerre, qui était déjà commencée avant cet épisode. Le poète dit seulement que ce fut là une action qui porta malheur à Girart.
- ↑ Les enfants de Thierri, cf. §§ 112 et 200.
- ↑ Leçon de L. et de P. (v. 2744) ; Cordane Oxf. ; je ne saurais identifier ce nom.
- ↑ C’est ce que nous verrons plus loin (P. v. 6302). Le nom de « Monbrisane » semble mis ici pour la rime, car il ne reparaît pas dans le récit de la mort de Boson. Il n’est pas question, non plus, dans ce récit de Gautier de Brane (de Braine ?).
- ↑ Verges peladas ; c’est un symbole de paix, de même que les verges blanches citées par Du Cange sous virga.
- ↑ Colorées en bleu avec du safre (oxide de cobalt).
- ↑ Saint-Germain-des-Prés.
- ↑ Appelés par le service militaire.