Charpentier (p. 138-141).
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XXIX.


Par une soirée de mars, la mère et le fils Jupillon causaient, au coin du poêle de leur arrière-boutique.

Jupillon venait de tomber au sort. L’argent que la mère avait mis de côté pour le racheter avait été mangé par six mois de mauvaises affaires, par des crédits à des lorettes de la rue, qui avaient mis un beau matin la clef sous le paillasson de leur porte. Lui-même, en mauvaises affaires, était sous le coup d’une saisie. Dans la journée, il était allé demander à un ancien patron de lui avancer de quoi s’acheter un homme. Mais le vieux parfumeur ne lui pardonnait pas de l’avoir quitté et de s’être établi : il avait refusé net.

La mère Jupillon désolée se lamentait en larmoyant. Elle répétait le numéro tiré par son fils ;

— Vingt-deux ! vingt-deux !… Et elle disait : — Je t’avais pourtant cousu dans ton paletot une araignée noire, velouteuse, avec sa toile !… Ah ! j’aurais bien plutôt dû faire comme on m’avait dit, te mettre ton béguin avec lequel on t’a baptisé… Ah ! le bon Dieu n’est pas juste !… Et le fils de la fruitière qui en a eu un de bon !… Soyez donc honnête !… Et ces deux coquines du 18 qui lèvent justement le pied avec mon argent !… Je crois bien qu’elles m’en donnaient de ces poignées de main… Elles me refont de plus de sept cents francs, sais-tu ? Et la moricaude d’en face… et cette affreuse petite qui avait le front de manger des pots de fraises de vingt francs… ce qu’elles m’en emportent encore, celles-là ! Mais va, tu n’es pas encore parti, tout de même… Je vendrai plutôt la crèmerie… je me remettrai en service, je ferai la cuisine, je ferai des ménages, je ferai tout !… Pour toi, mais je tirerais de l’argent d’un caillou !

Jupillon fumait et laissait dire sa mère. Quand elle eut fini : — Assez causé ! maman… tout ça, c’est des mots, fit-il. Tu te tourmentes la digestion, ce n’est pas la peine… Tu n’as besoin de rien vendre… t’as pas besoin de te fouler… je me rachèterai et sans que ça te coûte un sou, veux-tu parier ?

— Jésus ! fit Mme Jupillon.

— J’ai mon idée.

Et après un silence, Jupillon reprit : Je n’ai pas voulu te contrarier, à cause de Germinie… tu sais, lors des histoires… t’as cru qu’il était temps de me la casser avec elle… qu’elle nous ferait des affaires… et tu l’as flanquée à la porte, raide… Moi, ce n’était pas mon plan… je trouvais qu’elle n’était pas si mauvaise que cela pour le beurre de la maison… Mais enfin, t’as cru bien faire… Et puis, peut-être, au fait, tu as bien fait : au lieu de la calmer, tu l’as chauffée pour moi… mais chauffée… je l’ai rencontrée une ou deux fois… elle est d’un changé… Elle sèche, quoi !

— Mais tu sais bien, elle n’a plus le sou…

— À elle, je ne dis pas… Mais què que ça fait ? Elle trouvera… Elle est encore bonne pour 2,300 balles, va !

— Et si tu es compromis ?

— Oh ! elle ne les volera pas…

— Savoir !

— Eh bien ! ça ne sera qu’à sa maîtresse… Est-ce que tu crois que sa Mademoiselle la fera pincer pour ça ? Elle la chassera, et puis ça restera là… Nous lui conseillerons de prendre l’air d’un autre quartier… voilà… et nous ne la verrons plus… Mais ce serait trop bête qu’elle vole… Elle s’arrangera, elle cherchera, elle se retournera… je ne sais pas comment, par exemple, mais tu comprends, ça la regarde. C’est le moment de montrer ses talents… Au fait, tu ne sais pas, on dit que sa vieille est souffrante… Si elle venait à s’en aller, cette bonne demoiselle, et qu’elle lui laisse tout le bibelot, comme ça court dans le quartier… hein ? m’man, ça serait encore pas mal bête de l’avoir envoyée à la balançoire ? Il faut mettre des gants, vois-tu, m’man, quand c’est des personnes auxquelles il peut tomber comme ça quatre ou cinq mille livres de rente sur le casaquin…

— Ah ! mon Dieu… qu’est-ce que tu me dis ! Mais après la scène que je lui ai faite… oh ! non, elle ne voudra jamais revenir ici.

— Eh bien ! moi je te la ramènerai… et pas plus tard que ce soir, fit Jupillon en se levant, et roulant une cigarette entre les doigts : — Tu sais, dit-il à sa mère, pas d’excuses, c’est inutile… Et de la froideur… Aie l’air de la recevoir seulement pour moi, par faiblesse… On ne sait pas ce qui peut arriver ; faut toujours se garder à carreau.