Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 2 - §4

§ IV. — Tracé de l’aqueduc de La Brévenne.

De L’Orgeolle à Montromand. — L’aqueduc de La Brévenne, qu’on est convenu d’appeler ainsi parce qu’il captait, non pas précisément les eaux de cette rivière, mais celle d’une partie de ses affluents, a son origine dans la vallée de L’Orgeolle, au lieu dit Monoison, sur la commune d’Aveize. Ce point est à quatre kilomètres environ de Sainte-Foy-l’Argentière, en remontant la route nationale no 89, de Lyon à Bordeaux, qui descend des hauteurs d’Iseron et de Duerne, et en face de la borne kilométrique 34, mais de l’autre côté de L’Orgeolle, c’est-à-dire sur la rive gauche de ce ruisseau. On ne peut se tromper sur l’emplacement de la prise d’eau, qui occupait une sorte d’esplanade au bas d’un escarpement, sur le flanc de la vallée, exactement à la cote d’altitude 616[1]. L’eau y jaillit de tous côtés à travers de nombreux éboulis qui proviennent sans aucun doute, ainsi qu’il sera expliqué plus loin, d’un réseau de galeries de captage effondrées. À quelque distance en contrebas, on distingue, bien que masqué par des broussailles, le specus de l’aqueduc, où de l’eau vient encore s’engager, mais pour se répandre un peu plus loin dans la prairie par les brèches qui se sont ouvertes. Dès ce point de départ, le canal a la forme voûtée en plein cintre qu’il présentera partout. Il va vers l’amont de la vallée, et par conséquent se rapproche peu à peu du ruisseau. À deux ou trois cents mètres de la prise d’eau, il passe sous l’un des bâtiments de la ferme appelée Le Moulin de L’Orgeolle, et à cinq cents mètres plus loin il atteint le ruisseau, un peu plus haut que le petit hameau de La Mure. Là, L’Orgeolle est franchie par un ponceau, dont les fondations pourraient bien être précisément celles qui soutenaient l’aqueduc autrefois. Les ouvrages de prise d’eau, barrage, conduits souterrains, qui devaient être établis là pour entraîner une partie des eaux du ruisseau, n’ont pas laissé de traces apparentes; mais ils ne doivent pas être complètement détruits, car on dit qu’en temps de crues abondantes, le canal laisse échapper, plus bas sur la rive droite, de l’eau qui serait en quantité suffisante pour faire tourner un moulin.

Sur cette rive droite, il fait quelques détours le long d’une côte assez abrupte avant d’atteindre la route nationale qui le coupe suivant un angle très aigu, au point précis où s’embranche sur cette route le chemin conduisant au hameau de Montfort, à 750 mètres au delà de la borne kilométrique 33. La cote d’altitude est 614,63 au radier du canal, que l’on aperçoit sur ce chemin à 10 mètres de la route.

Après ce point, l’aqueduc continue à se diriger vers l’ouest, jusqu’au débouché de la vallée de L’Orgeolle dans celle de La Brévenne, et prend alors la direction nord-est, après un angle assez aigu. On domine de haut cette large vallée et les clochers pointus de ses villages disséminés à diverses altitudes. C’est Sainte-Foy d’abord, puis Saint-Genis-l’Argentière. On passe dans le haut du domaine de La Valsonnière, situé sur cette dernière commune. Là, dans un bois, à gauche et en contre-bas d’un chemin auquel l’aqueduc a servi presque continuellement de soutien,
Fig. 10. — Coupe de l’aqueduc à La Valsonnière.
s’ouvre un trou béant par lequel on peut s’y glisser. On pourrait même s’y engager assez loin sans la crainte du manque d’air et des éboulements. Mais en restant à quelques mètres de l’ouverture, on peut suffisamment observer le mode de construction et les dimensions du canal. La voûte est formée de larges dalles assez grossièrement taillées en voussoirs. Elles ne sont reliées par aucun enduit, mais l’extrados est revêtu d’une gaine de mortier qui rend sa surface à peu près unie, et dont quelque peu a coulé dans les interstices. L’épaisseur de la voûte (fig. 10) est de 0m,45, sensiblement la même à la clef et aux naissances. L’intrados est également garni d’une croûte de mortier qui porte l’empreinte des couchis sur lesquels s’appuyait la voûte en construction; il en résulte un profil intérieur polygonal ; le mortier s’est glissé dans les joints des couchis, et les raies longitudinales formées par ces bavures font une saillie très nette. La largeur du canal entre les piédroits revêtus de leur enduit lisse est de 0m,60, et la hauteur sous clef, depuis le radier, 1m,57. L’épaisseur des piédroits est sensiblement la même que celle de la voûte, avec tendance à la dépasser extérieurement d’un ou deux centimètres. Au-dessous des piédroits est une substruction d’un mètre de haut à peu près, qui fait, des deux côtés et en dehors, une saillie de 0m,15. Ce massif est creusé en son milieu sur une profondeur de 0m,40 et sur une largeur variable, au moins égale à l’intervalle des piédroits ; dans cet évidement est tassé le béton qui soutient le radier; l’épaisseur de la couche de ciment qui constitue celui-ci et qui revêt aussi les piédroits jusqu’à la naissance de la voûte est de 0m,03[2].

A cent mètres plus loin, le chemin commence à descendre, et l’on retrouve l’aqueduc de l’autre côté. On parvient à le suivre à travers les bois grâce aux traces rencontrées de distance en distance; tantôt c’est la voûte dont la saillie se dessine par un bombement continu du sol, tantôt c’est un trou étroit qui permet de passer le bras et de palper la courbure intérieure, tantôt c’est la paroi en ciment qui, sur une certaine longueur, garnit le talus de quelque sentier. Il m’a été possible de suivre ainsi le tracé dans tous ses détours, et de constater, à l’aide de la mire et du niveau, qu’il suivait une pente régulière, sans aucune des anomalies qu’on avait cru rencontrer d’après l’examen d’une carte mal cotée, au-dessus du hameau de La Chapelle et au bois des Cures[3].

Ces versants aux mille replis sont sillonnés par un grand nombre de ruisseaux que franchissait l’aqueduc et dont il devait recueillir les eaux au passage. Aucune trace bien apparente ne peut se reconnaître, soit des ponts sur ces petites vallées, soit des chambres ou rigoles de captage. Quelques indices seulement, dont il sera parlé au chapitre concernant les prises d’eau, peuvent faire supposer la façon dont ces captages s’opéraient. De Montromand à Chevinay. — Après s’être engagé profondément dans une gorge dominée par les hauteurs de Duerne, le canal revient sur les bords de la grande vallée, au-dessus du village de Montromand, et accompagne dans ses détours le chemin vicinal no 25 qui conduit à Iseron. Il le coupe au delà de Montromand, vers l’endroit appelé Gigandon, entre les cotes 600 et 595. On en voit quelques traces dans le talus, puis de l’autre côté de la route, au-dessus de la ferme du Treuil. Il fait un coude brusque au-dessus du hameau de La Barge, traverse un ruisseau très encaissé et s’engage dans la jolie vallée des Aguettants, où l’eau perce en abondance dans le creux d’une vaste prairie, vers le niveau même où l’aqueduc faisait son contour. En suivant ce niveau, on passe aussitôt après au hameau de La Maillardière, et l’on arrive au col de Noyery, vers La Croix-de-Ville, entre le crêt de Monclay et le crêt de Montrosier ; le niveau de l’aqueduc étant à quelques mètres au-dessous de la ligne de faîte de ce col, il doit le franchir par un souterrain de quelque trente ou quarante mètres de long, dont on n’aperçoit d’ailleurs ni l’entrée ni la sortie. On se retrouve alors sur le versant direct de la vallée de La Brévenne, au-dessus du hameau de Pomeyrieu, où l’on est déjà sur la commune de Courzieu.

Après avoir enfoncé une pointe aiguë dans un creux de vallée où une source se dissimule sous un épais couvert de ronces où devait se trouver quelque dispositif de captage, l’aqueduc passe au-dessous de la croix du Banchet et dessine une boucle arrondie pour contourner le crêt de Monclay. On le retrouve au-dessous de la ferme de La Verrière, dans le fond du vallon de Sotizon, puis à un kilomètre plus loin, au-dessus du hameau de ce nom, à l’endroit où un chemin qui monte, partant de Sotizon, se croise avec le chemin vicinal de Courzieu à Iseron ; on y voit, sur plusieurs mètres de longueur, une tranchée longitudinale de l’aqueduc, montrant un des piédroits intact, revêtu de son enduit lisse, et prolongé par la coupe verticale du radier; cette coupe fait voir nettement la ligne de séparation de la couche de ciment avec la masse de béton qui est au-dessous, épaisse de 0m,40.

Entre La Verrière et Sotizon a lieu une première chute d’altitude assez considérable, qui, sur cet espace d’un kilomètre, abaisse le niveau de l’aqueduc de la cote 590 à la cote 563. (V. le profil en long Pl. IV.)

Un parcours de quatre à cinq kilomètres sépare Sotizon du hameau de Lafont, au-dessus du village de Courzieu Dans cet intervalle, on peut voir le canal ouvert et y pénétrer comme à La Valsonnière, au lieu dit Chapon, au bas du hameau de Biternay, où sa ligne, très apparente, forme la limite entre les héritages qu’il traverse. Ici, la largeur est un peu plus considérable, et atteint 0m,78, tandis que la hauteur sous clef, un peu plus forte aussi, est de 1m,65.

A Lafont, le canal passe sous plusieurs maisons, notamment au coin de l’écurie Guerpinier, où j’ai pu relever encore ses dimensions, qui ne différent pas des précédentes.

De Chevinay au col de Mausouvre. — Du territoire de la commune de Courzieu, l’aqueduc passe sur celui de Chevinay, où se trouve un des accidents les plus intéressants du tracé. C’est ici, en effet, que vont commencer les fortes dénivellations. (V. Pl. IV.) On avait eu jusqu’alors avantage à maintenir le niveau élevé, qui permettait un développement moindre, offrait la possibilité de profiter des cols au lieu de suivre tous les contours des montagnes, et une facilité plus grande pour le captage des eaux au voisinage de leurs sources, presque toutes situées dans les régions supérieures. Or, c’est justement à cause de l’existence de sources nombreuses aux abords de Chevinay, beaucoup au-dessous du niveau conservé jusque-là, qu’on fut conduit à abaisser celui-ci avant d’y être contraint par le relief du sol. En bas du lieu dit Vernay, que domine le mont Châtel, un fond de vallée, élargi en forme de cirque, réunit plusieurs petits cours d’eau qui sillonnent les pentes environnantes, tandis que des sources claires y jaillissent de toutes parts ; le tout forme le ruisseau du Pleinet. Les ingénieurs romains chargés de pourvoir d’eau la ville de Lyon n’eurent garde de laisser échapper cet important surcroît qui s’offrait et firent descendre leur aqueduc au niveau voulu pour le capter. Ces captages n’ont pas plus laissé de traces visibles en cet endroit que l’aqueduc lui-même, mais nous aurons l’occasion d’étudier bientôt la façon dont on peut se les représenter.

Entre Le Vernay (radier le long du chemin vicinal n°24) et le premier point visible au-dessous du cirque dont il vient d’être question, j’ai mesuré exactement la dénivellation, qui est. de 73m,55. Cet endroit, en face du village de Chevinay, qui se voit à trois ou quatre cents mètres de l’autre côté du Pleinet, est à l’altitude de 480 mètres, et se nomme Les Thus[4], mot qui désigne les ruines mêmes de l’aqueduc. Quoi qu’il en soit de l’origine de ce vocable bizarre, les thus de Chevinay présentent un aspect digne d’attention : ils forment sur près de cinq cents mètres une longue bande de maçonnerie à découvert, servant de soutènement au chemin qui conduit à Saint-Pierre-la-Palud. Ce massif est effondré en maint endroit par où l’intérieur du canal est accessible. Les intervalles couverts servent aux habitants de Chevinay pour y remiser leurs instruments de travail, leur bois de chauffage, etc. On peut donc ici mesurer facilement toutes les dimensions : la hauteur et la largeur sont pareilles sensiblement à celles qui ont été relevées à Biternay, soit 0,79 de largeur entre les parois lisses pour 1m,69 de hauteur sous clef. Mais il y a quelques différences avec le profil de La Valsonnière en ce qui concerne les garnitures de béton et de ciment (fig. 11). Le béton, au lieu de former simplement la semelle du radier, se prolonge aussi dans l’épaisseur des piédroits, et le revêtement superficiel en ciment est plus mince. Enfin, la voûte est moins épaisse que les piédroits, et l’extrados est protégé par une enveloppe de maçonnerie qui le surmonte de quelques centimètres et fait de l’ensemble un massif rectangulaire.

Au delà des Thus, sur la commune de Saint-Pierre-la-Palud, l’aqueduc se voit au-dessus du hameau du Mas, près de l’endroit où la route venant de Pollionnay rejoint celle qui conduit à Sain- Bel. Il fait ensuite une double boucle, franchit le col de Marmion, au-dessous du crêt de même nom, et arrive sur la commune de Sourcieux. Entre Les Thus et Marmion, dans un certain espace que je ne saurais préciser[5], a lieu une nouvelle chute d’altitude, si bien que la cote, qui était de 480 aux Thus, n’est plus à Marmion que d’environ 450.

Après avoir passé au hameau du Crêt, et avoir dessiné un large demi-cercle autour d’un vaste mamelon où il est visible au lieu dit Le Jeannot, le canal s’enfonce ensuite dans la gorge
Fig. 11. — Coupe de l’aqueduc près de Chevinay (aux Thus).
de Mercruy, où il recueillait certainement de nouveaux apports. Un peu plus loin, il passe près de la cave de la maison Boissel, situé au carrefour que forment deux chemins, l’un qui vient du hameau Le Crêt, précédemment cité, l’autre qui monte sur les hauteurs de Mercruy et qu’on appelle chemin de Chuollet ; dans le premier, on peut voir l’extrados de la voûte, dans le second, un ruban du radier.

Mais bientôt ces hauteurs des monts du Lyonnais s’abaissent, et leur masse se rétrécit suffisamment pour permettre à l’aqueduc de passer sur leur versant opposé sans être obligé d’aller jusqu’à leur extrémité, au-dessus de L’Arbresle. Ce passage a lieu au col de Mausouvre, à la cote 435, au-dessus de Lentilly. Contrairement à ce qu’a pensé M. Gabut, un passage souterrain ne fut ici nullement nécessaire ; les dénivellations précédentes ont, au contraire, été calculées de manière à atteindre ce col exactement au niveau de sa ligne de faîte ; les indications des cultivateurs qui ont découvert le canal en plusieurs endroits vers le point de passage m’ont permis de déterminer ce dernier avec la plus rigoureuse précision. L’aqueduc est donc là, comme ailleurs, en simple tranchée couverte, le sommet de la voûte n’étant qu’à un mètre ou un mètre cinquante au-dessous du sol.

Du col de Mausouvre au Rafour. — La vallée de La Brévenne est désormais derrière nous, de l’autre côté des montagnes. Nous allons descendre rapidement vers le plateau lyonnais. Entre Mausouvre et le domaine de Chantemerle, le canal a été découvert en de nombreux points, que séparent des chutes de quelques mètres, et le niveau dans cet intervalle s’abaisse en tout de vingt mètres environ. Sur les terres de Chantemerle, on peut suivre sur plus de cent pas l’extrados de la voûte qui forme corniche le long d’un chemin sensiblement en palier. Plus bas, à La Rivoire, le canal se voit très nettement dans la cave de la maison Charmillon ; on y constate les mêmes dimensions qu’aux thus de Chevinay. Le niveau est descendu à 390. Laissant Lentilly au nord, le canal oblique alors sensiblement vers l’ouest, et à deux kilomètres après La Rivoire, est visible au-dessous du hameau de La Chaux, au lieu dit Cauquit, à droite et à gauche du chemin de Roy, qui va du Bricollet au bois Signel. Le nivellement, effectué par rapport à la cave Charmillon, m’a donné en ce point la cote 347. Nous sommes donc encore descendus de 43 mètres et, en tout, depuis Mausouvre, de près de 90 mètres sur moins de trois kilomètres.

On voit, d’après la carte d’Artaud (Pl. 1), que Delorme a cru à l’existence d’un siphon joignant le hameau de La Chaux au

AQUEDUC DE LA BRÉVENNE

Fig. 12. — Restitution par Flacheron du pont-siphon de l’aqueduc de La Brévenne, à Grange-Blanche.
Fig. 13. — Alignement des piles.
Fig. 12. — État actuel des piles du pont de Grange-Blanche par rapport au monument resitué (Modification d’un dessin de M. Gabut).
plateau de Salvagny. C’est une erreur, qui a été commise aussi par Flacheron. Rien ne justifie l’hypothèse d’un siphon. L’aqueduc franchissait la dépression, très allongée entre ces deux points, probablement d’abord par quelques arcades, aujourd’hui disparues, ensuite sur un long massif de substructions qui s’étendait en ligne droite, en diminuant progressivement de hauteur sur la terrasse légèrement inclinée dite des Grandes-Terres. Cette épaisse muraille existe encore sur près de 200 mètres de longueur, dissimulée dans un épais taillis. Longtemps respectée, elle se morcelle et s’abaisse à présent de jour en jour, car les gens du pays se sont avisés d’y prendre les matériaux de construction dont ils ont besoin. On peut la suivre encore jusqu’à la hauteur de la borne kilométrique 38 de la route nationale n°7, de Lyon à Roanne, qui lui est ici à peu près parallèle, à deux ou trois cents mètres au nord, et qui, à partir de cette borne, descend vers le bas de Lentilly. L’aqueduc, dont la pente est en sens inverse grâce à ses substructions, rentrait sous terre non loin de là, en tranchée couverte, en se maintenant un peu plus bas que le bord du plateau de Salvagny. Continuant en ligne droite, il passe au-dessous et au sud du village de La Tour-de-Salvagny, vers le hameau de La Pussetière, où on le voit dans la cour de la maison Pitrat.

À partir de là, Flacheron a perdu sa trace ; ayant cru le reconnaître dans la gorge de La Beffe, au-dessous du hameau de ce nom, il l’a prolongé du côté de Tassin, et a supposé le point de départ du siphon sur les confins des communes de Tassin et de Charbonnières ; il fait d’ailleurs aboutir ce prétendu siphon au réservoir des Massues, qui est, en effet, le terme du siphon authentique de Grange-Blanche.

Le tracé réel est celui-ci. Après avoir traversé la route nationale au-dessous et à l’est de La Tour-de-Salvagny, à deux cents mètres à peine de ce village, par un redressement vers le nord-est, l’aqueduc continue dans cette direction vers La Brochetière, sur la commune de Dardilly ; puis, se retournant au sud-est, passe aux hameaux du Clair et de La Crépillière, au-dessous de Dardilly-Le-Haut ; après avoir côtoyé le flanc de la colline sur l’arête de laquelle sont bâtis les deux Dardilly, il profite d’un col avant Dardilly-le-Bas pour passer de l’autre côté de cette arête, et, après un rebroussement vers le nord qui l’amène jusqu’au Dodain, il fait là un nouveau contour en sens inverse pour gagner Les Bruyères. De là, en droite ligne nord-sud, il descend sur Ecully en se maintenant sur le plateau, et, un peu avant ce village, arrive au lieu dit Le Rafour, section B, parcelle no 396 du cadastre. Là se trouvait le réservoir de chasse d’un siphon qui, franchissant le ruisseau des Planches sur un pont à hautes arcades, aboutissait de l’autre côté de la vallée à un réservoir de fuite (fig. 16), dont le rampant et la substruction sont encore debout dans l’enclos d’une propriété privée, au-dessous du Point-du-Jour, au lieu dit Les Massues, anciennement Le Massut, dénomination provenant sans doute de cette massive construction.

Siphon de Grange-Blanche. Arrivée à Lyon. — Le réservoir de chasse a disparu sans laisser la moindre trace. Mais on ne peut guère l’imaginer ailleurs qu’au Rafour d’Ecully, eu égard à la position de ce point par rapport aux arcades; il est exactement dans leur alignement; par rapport au relief du sol, il est au bord de la déclivité ; enfin, par rapport à l’altitude du réservoir de fuite, qui est à la cote 287, Le Rafour offre la cote 305, c’est-à-dire la hauteur voulue pour que la pression soit suffisante.

Le pont à siphon passait au-dessus du ruisseau des Planches, au lieu de Grange-Blanche, à peu près en face de la station d’Ecully-La-Demi-Lune, du chemin de fer de Lyon à Montbrison. La ligne des piliers restés debout sert de limite aux propriétés Barrier et Récamier. C’était un ouvrage des plus considérables et des plus imposants ; moins paré et moins élégant que le pont de Beaunant, dont il sera parlé plus loin, il avait encore plus de longueur et d’élévation, bien que le siphon par lui-même fût moins long et moins plongeant. Mais, outre que ces ruines sont dissimulées par les hauts arbres qui les environnent, ce qui subsiste représente à peine la vingtième partie de la construction intacte. Vers 1825, on voyait encore debout les trois arcades principales, celles du thalweg, qui reposaient sur un massif percé d’une arche. Le pont était donc à deux étages, mais sur une très faible longueur. Ces trois arcades se sont écroulées en 1826 ; un dessin de Chenavard, reproduit par M. Steyert[6], fait voir l’aspect que présentait leur ensemble. Il n’en reste plus rien aujourd’hui, pas même les tronçons du massif qui les soutenait et qu’a pu voir encore Flacheron. Cet architecte a dessiné une reconstitution fort vraisemblable de l’ensemble du monument (fig. 12 et 13)[7]. Une seule erreur, légère, y est à relever, consistant dans la substitution de trois arches de base à l’arche unique, vue et représentée par Chenavard. Flacheron a également pris soin de faire un nivellement depuis la Saône jusqu’au ruisseau, à son passage sous le pont; d’après cette opération, le point en question est à 32m,10 au-dessus de la Saône, à l’étiage, dont la cote d’altitude est 162 mètres. La hauteur du tablier du pont au-dessus du ruisseau étant estimée à 22 mètres, nous arrivons à 216m,10 pour la cote de niveau de
Fig. 15. — Détail d’une pile au pont-siphon de Grange-Blanche.
ce tablier ; et Le Rafour étant à 305 mètres, la charge au bas du siphon était donc de 89 mètres en nombre rond.

La distance des piles qui se dressent encore sur la rive gauche du ruisseau est de 4m,25, représentant l’ouverture des arcades latérales ; les arcades centrales étaient beaucoup plus ouvertes, soit de 8m,81, d’après le dessin de Flacheron (fig. 12). La largeur du pont, donnée par la dimension transversale des piles, était de 8m,15; et quant à la longueur, qu’on ne peut déterminer avec une certitude complète, elle dépassait 200 mètres.

Les vestiges actuels, tous sur la rive gauche, se réduisent à dix tronçons inégaux de piles, dont le plus éloigné du thalweg devait appartenir à la seconde à partir de la culée. En comptant ces tronçons par ordre depuis celui-ci (fig. 12 et 14), on distingue facilement les quatre premiers, qui s’élèvent à des hauteurs variant de deux à cinq mètres ; le sixième se réduit à une fondation au ras du sol ; le huitième et le neuvième se sont écroulés du côté de l’amont de l’aqueduc et gisent en masses informes qui permettent encore cependant de les distinguer l’un de l’autre ; le septième est dans un état comparable à celui des quatre premiers. Mais deux seulement, le cinquième et le dixième, se dressent encore bien nets jusqu’à leur sommet, c’est-à-dire jusqu’à la naissance des arceaux. Le dixième surtout (fig. 15) produit un bel effet par sa puissante masse et son élévation. Il repose sur un reste de soubassement.

Fig. 16. — Réservoir de fuite du siphon de l’aqueduc de La Brévenne, aux Massues.

On trouvera reproduite (fig. 14), à côté du dessin tel quel de Flacheron, une vue de la disposition actuelle de ces ruines superposée à ce même dessin dans lequel l’étage du bas doit être supposé un peu différent, c’est-à-dire avec une seule arche, conformément au croquis de Chenavard. On voit qu’il devait y avoir vingt-cinq arcades, sans compter l’arche inférieure. L’intérieur des piles est une maçonnerie de blocage, établie suivant le procédé qui sera décrit; le parement est fait de petits matériaux rectangulaires de 0m,15 à 0m,20 de largeur sur 0m,05 à 0m,10 de hauteur.

Après leur passage sur ce pont, les tuyaux de conduite remontaient le long de la pente en face d’Ecully et se dirigeaient en obliquant un peu à l’ouest, vers le réservoir des Massues, peut-être en faisant un coude à un endroit donné, comme l’indique la carte d’Artaud, peut-être par une série de coudes moins accusés. Du réservoir lui-même (fig. 16), précédé de quatre arcs rampants, il ne reste que le radier, autour duquel on a élevé un petit mur à hauteur d’appui pour en faire une terrasse-belvédère. On ne voit donc pas la trace des trous par où venaient déboucher les tuyaux. Le mode de construction du massif de support est pareil à celui du pont-siphon.

Ce réservoir de fuite n’était pas à la fois un réservoir de distribution. Il était suivi d’arcades sur lesquelles les eaux continuaient leur cours en canalisation libre. D’après Flacheron comme d’après la carte d’Artaud, elles s’en allaient à un autre réservoir du côté de Trion. Cette question sera reprise au chapitre de la distribution.

  1. J’ai opéré le nivellement en partant de la gare de Sainte-Foy-l’Argentière, dont la cote est 424m,30.
  2. Une partie seulement de ces mesures a été relevée à La Valsonnière, où l’on ne voit pas les fondations. Elles ont été complétées sur les vestiges visibles en différents autres points du parcours.
  3. Gabut, Revue du Lyonnais, loc. cit.
  4. Cette dénomination n’est pas spéciale aux ruines de Chevinay : on dit un peu partout dans la région thus ou trou de Sarrasin, indifféremment. Thus est donc peut-être une simple corruption patoise du mot trou. D’autres assignent à ce mot des origines plus lointaines et plus arcanes. Je n’aborderai pas la discussion.
  5. Ce doit être peu après Le Mas, car cette chute devait avoir pour but de capter, au fond de l’étroite vallée où se dessine cette longue boucle rentrante qui fait suite à la boucle saillante du Mas, une série de sources dont les eaux sont actuellement recueillies dans un grand bassin réservoir établi par la Compagnie de Saint-Gobain, pour l’approvisionnement d’eau de ses usines à Saint-Pierre-la-Palud. Ce bassin est précisément vers le point de rebroussement de l’aqueduc.
  6. Ouvr. cité, p. 224
  7. Il le considérait, ainsi qu’il a été dit plus haut, comme le pont-siphon de l’aqueduc du Mont-d’Or.