Gaspar Ruiz et autres récits/Il Conte

Traduction par Philippe Neel.
Gaspar RuizGallimard (p. 289-310).
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IL CONTE
CONTE PATHÉTIQUE

« Vedi Napoli e poi mori. »


C’est au Musée National de Naples que nous liâmes conversation pour la première fois, dans les salles du rez-de-chaussée où se trouvent les fameuses collections des bronzes d’Herculanum et de Pompéi, merveilleux legs de l’art antique dont la furie catastrophique d’un volcan nous a conservé la délicate perfection.

C’est lui qui m’adressa la parole, par-dessus le célèbre Hermès au repos que nous regardions chacun de notre côté. Il me dit, sur ce morceau parfaitement admirable, des paroles justes. Rien de profond. Son goût était plus naturel que cultivé. Il avait évidemment vu dans sa vie bien des choses belles, et savait les apprécier sans user du jargon du dilettante ou du connaisseur. Race détestable. Il parlait en homme du monde intelligent, sans aucune pose.

Nous nous connaissions de vue depuis quelques jours. Dans l’hôtel, bon, sans rien d’extraordinairement « dernier cri », où nous logions tous les deux, je l’avais vu traverser le vestibule pour entrer ou sortir. Il m’avait fait l’effet d’un client connu et honoré. Le salut de l’hôtelier était cordial dans sa déférence, et il y répondait avec une courtoisie familière. Les domestiques l’appelaient Il Conte. Il y eut un jour des discussions autour d’un parasol, — instrument de soie jaune doublé de blanc, — que les garçons avaient trouvé à la porte de la salle à manger. Le portier chamarré d’or le reconnut, et je l’entendis ordonner à l’un des grooms de l’ascenseur de courir le porter au Conte. Peut-être était-il le seul comte résidant à l’hôtel, ou peut-être sa fidélité à la maison lui valait-elle la distinction d’être le comte par excellence.

Après notre entretien de la galerie des Maîtres, — dont, entre parenthèses, il m’avait dit n’aimer guère les bustes et les statues d’empereurs romains, aux traits trop vigoureux et trop prononcés pour son goût, — après notre causerie de la matinée, je ne crus pas indiscret, le soir, devant la salle à manger très pleine, de lui demander à partager sa petite table. À juger de la douce urbanité de son assentiment, il ne tint pas non plus ma présence pour importune. Son sourire était très attrayant.

Il dînait en smoking, gilet de soirée, et cravate noire. Le tout de coupe parfaite et pas trop neuf, comme il convient aux vêtements de ce genre. Matin ou soir, il était toujours très correct dans sa mise. Je suis certain que toute son existence était correcte, ordonnée et conventionnelle, et que nul événement frappant n’en avait troublé le cours. Ses cheveux blancs, rejetés en arrière d’un front élevé, lui donnaient un air d’idéaliste, d’imaginatif. Sa lourde moustache blanche, soigneusement taillée et brossée, prenait, en son centre, une teinte jaune d’or qui n’était pas déplaisante. Des bouffées subtiles d’un parfum excellent et de bons cigares (odeur bien remarquable, en Italie) me parvenaient par dessus la table. Ce sont ses yeux qui accusaient le plus son âge. Ils étaient un peu las, sous les paupières fanées. Il devait avoir soixante ans, ou un peu plus. Il était communicatif. Je n’irai pas jusqu’à dire bavard, — mais nettement communicatif.

Il avait tâté de divers climats, me dit-il ; d’Abbazia, de la Riviera, d’autres endroits encore, mais le seul climat qui lui convînt vraiment était celui du golfe de Naples. Les anciens Romains qui étaient experts dans l’art de la vie, savaient bien ce qu’ils faisaient lorsqu’ils bâtissaient leurs villas sur ces rives, à Baïes, à Vico, à Capri. Ils venaient demander la santé à ce golfe, et emmenaient avec eux, pour charmer leurs loisirs, leur suite de mimes et de joueurs de flûte. Il estimait que les Romains des hautes classes devaient être fort prédisposés à de douloureuses affections rhumatismales.

C’est la seule opinion personnelle que je lui aie entendu exprimer. Elle ne reposait sur aucune érudition spéciale. Il ne savait rien de plus des Romains que ne doit en savoir un homme du monde un peu instruit. Il parlait par expérience personnelle, pour avoir lui-même souffert d’une dangereuse et pénible affection rhumatismale, jusqu’au jour où il avait trouvé le soulagement dans ce coin particulier de l’Europe méridionale.

C’est trois ans auparavant qu’il y était venu pour la première fois, et depuis, il était toujours resté fidèle aux rives du golfe, soit dans un des hôtels de Sorrente, soit dans une petite villa louée à Capri. Il possédait un piano, quelques livres, et nouait des relations passagères d’un jour, d’une semaine, d’un mois, parmi le flot des voyageurs d’Europe. On le voyait se promenant dans les rues ou les ruelles, bientôt familier aux mendiants, aux boutiquiers, aux bambins, aux gens de la campagne, causant aimablement par-dessus les murs avec les contadini, et rentrant dans son hôtel ou sa villa pour s’asseoir au piano et « se faire un peu de musique », avec sa blanche chevelure retroussée et sa grosse moustache militaire. Quand il éprouvait un besoin de distractions, Naples était tout près, avec sa vie, son mouvement, son animation.

— Il faut un peu de plaisir pour se bien porter, disait-il ; des mimes et des joueurs de flûte, en somme. Seulement, à l’inverse des grands de l’ancienne Rome, il n’avait aucune affaire d’État pour l’arracher à ces sages délices. Il n’avait pas d’affaires du tout. Sans doute, n’avait-il, de sa vie, jamais eu d’affaires sérieuses à régler. Il menait une existence douce, avec des joies et des chagrins réglés par le cours de la Nature : mariages, naissances, morts, réglés par les usages de la bonne société, et protégés par l’État.

Il était veuf, mais pendant les mois de juillet et d’août, il se risquait à franchir les Alpes pour faire un séjour de six semaines chez sa fille mariée. Il me dit son nom : c’était celui d’une famille très aristocratique. Elle possédait un château en Bohême, je crois. C’était là le détail le plus précis que je pus obtenir sur la nationalité du comte. Il est étrange qu’il ne m’ait jamais dit son nom. Peut-être pensait-il que je l’avais lu sur la liste des pensionnaires de l’hôtel. A vrai dire, je n’avais jamais eu cette curiosité. En tout cas c’était un bon Européen, — il parlait quatre langues, à ma connaissance, — et un homme bien pourvu. Il ne possédait pourtant pas une grosse fortune. Être excessivement riche eût été évidemment pour lui une sorte d’inconvenance, une chose outrée et voyante. Manifestement aussi, il n’avait pas fait lui-même sa fortune. On n’acquiert pas une fortune sans une certaine âpreté. C’est affaire de tempérament. Sa nature était trop polie pour la lutte. Dans le courant de la conversation, il fit un jour une allusion toute fortuite à sa propriété, à propos de cette douloureuse et inquiétante affection rhumatismale. Il avait imprudemment prolongé une fois son séjour au nord des Alpes jusqu’à la mi-septembre, et avait dû rester alité pendant trois mois, dans sa maison de campagne solitaire, sans autre compagnie que celle de son valet de chambre et du ménage des gardiens du domaine. Il ne tenait pas là « maison ouverte », comme il le disait, et avait seulement voulu y passer une couple de jours, pour causer avec son intendant. Il se promettait de ne jamais plus commettre à l’avenir pareille imprudence. Les premières semaines de septembre le trouvèrent sur les rives de son golfe bien-aimé.

On rencontre parfois, en voyage, des solitaires de cette espèce, dont la seule occupation semble être d’attendre l’inévitable. Morts et mariages ont fait la solitude autour d’eux, et l’on ne peut vraiment blâmer leurs efforts pour rendre l’attente aussi douce que possible. Comme il me le disait : — A mon âge, l’absence de douleur physique est chose fort importante.

Qu’on ne se le représente pas, pourtant, comme un hypocondriaque tâtillon. Il était beaucoup trop bien élevé pour être « fâcheux ». Il savait voir les petites faiblesses de l’humanité, et les considérer d’un œil bienveillant. C’était un compagnon d’après-dîner aimable et enjoué, et de commerce facile. Nous avions passé ensemble trois soirées, quand je dus quitter Naples pour rejoindre un ami qui venait de tomber sérieusement malade à Taormina. N’ayant rien à faire, il Conte vint m’accompagner à la gare. J’étais assez inquiet, et son oisiveté était toujours prête à prendre une forme bienveillante. Ce n’était pas du tout un indolent.

Il inspecta le train pour me chercher une bonne place, puis resta sur le quai à bavarder doucement. Il me déclara que j’allais lui manquer, et me fit part de son intention d’aller, après dîner, au jardin public, la Villa Nazionale. Cela l’amuserait d’entendre de bonne musique, et de regarder la meilleure société. Il y aurait beaucoup de monde, comme toujours.

Je crois voir encore son visage éclairé par un sourire cordial, sous la lourde moustache, et le regard doux de ses yeux las. Quand le train s’ébranla, il me souhaita d’abord : — Bon voyage, en français ; puis, voyant mon inquiétude, m’encouragea en son anglais très correct et un peu emphatique : — Tout ira pour le mieux..., pour le mieux... vous verrez !

La maladie de mon ami ayant pris un tour décidément favorable, je rentrai à Naples dix jours plus tard. Je ne puis dire que j’eusse beaucoup pensé au Conte pendant mon absence, mais en entrant dans la salle à manger, je le cherchai à sa place habituelle. Je pensais qu’il avait pu retourner à Sorrente, à son piano, à ses livres et à sa pêche. Il était grand ami des bateliers, et pêchait souvent à la ligne, de leurs barques. Mais je distinguai tout de suite sa tête blanche entre toutes les autres, et perçus de loin quelque chose d’insolite dans son attitude. Au lieu de se tenir droit et de regarder autour de lui, avec son urbanité ordinaire, il s’affalait sur son assiette. Je restai quelque temps devant lui avant de lui voir lever des yeux un peu égarés, si la correction de son esprit me permet d’employer un terme aussi fort.

— Ah ! c’est vous, cher monsieur, me dit-il. J’espère que tout va bien ?

Il se montra très aimable sur le compte de mon ami. Il était toujours aimable, d’ailleurs, de cette amabilité des gens dont le cœur est sincèrement humain. Ce soir-là, pourtant, il l’était avec effort. Ses tentatives de conversation aboutissaient à de longs silences. Je m’avisai qu’il pouvait avoir été indisposé. Mais sans me laisser formuler de question, il murmura :

— Vous me voyez bien attristé.

— J’en suis fâché, dis-je. Vous n’avez pas reçu de mauvaises nouvelles, j’espère ?

Il me remercia de l’intérêt que je lui témoignais. Non, Dieu merci, il n’avait pas reçu de mauvaises nouvelles.

Non. Il resta coi, comme s’il avait retenu son souffle. Puis, se penchant un peu en avant, il me confia, avec un accent singulier d’embarras apeuré :

— La vérité, c’est que j’ai été la victime d’une très.., très... comment dire ?... d’une abominable aventure !

L’énergie d’une telle épithète avait de quoi surprendre chez ce raffiné aux sentiments policés et au vocabulaire châtié. Le mot « déplaisant » m’eût paru bien suffisant pour s’appliquer à la pire des épreuves que pût subir un homme de son espèce. Et une aventure, encore ! C’était incroyable. Mais la nature humaine aime à s’abandonner aux pires imaginations, et j’avoue que je le regardai à la dérobée, non sans me demander dans quel pétrin il avait pu se fourrer. Il me suffit d’un instant, cependant, pour chasser mes indignes soupçons. Il y avait, chez ce vieillard, une élégance de nature qui me fit repousser l’idée de toute histoire douteuse.

— C’est très sérieux, très sérieux, reprit-il, nerveusement. Je vous raconterai cela après dîner, si vous me le permettez.

J’exprimai mon acquiescement par une légère inclinaison, sans plus. Je voulais lui faire comprendre que je ne le croyais pas lié par cette promesse, s’il en jugeait autrement tout à l’heure. Nous parlâmes de choses et d’autres, avec une impression de malaise toute différente de nos anciens entretiens coulants et enjoués. Je vis trembler légèrement la main qui portait à sa bouche un morceau de pain, et ce symptôme me stupéfia, étant donné ce que je connaissais de l’homme.

Au fumoir, il n’usa pas de réticences. A peine avions-nous pris nos places accoutumées, qu’il se pencha sur le bras de son fauteuil, et me regarda fixement dans les yeux.

— Vous vous souvenez, commença-t-il, du jour de votre départ ? Je vous avais dit mon intention, d’aller, le soir, écouter la musique à la Villa Nationale.

Je me souvenais. Son vieux visage, si beau et si frais pour son âge, si calme de n’avoir pas subi les marques de dures épreuves, prit un instant un air égaré. Ce fut bref, comme l’ombre d’un nuage qui passe. Je fixai sur lui un long regard, en avalant une gorgée de café noir. Il commença son récit, avec une précision systématique et un ordre serré, pour ne pas laisser sans doute l’émotion le troubler.

En quittant la gare, il avait pris une glace et lu le journal dans un café. Puis il était rentré à l’hôtel pour s’habiller et manger de bon appétit. Après le dîner, il s’attarda dans le hall, où il y avait des tables et des chaises, à fumer son cigare ; il parla à la petite fille du Primo Tenore du théâtre de San Carlo, et échangea quelques mots avec « l’aimable dame » qui était la femme du Primo Tenore. Il n’y avait pas de représentation ce soir-là, et ces gens allaient comme lui à la Villa Nazionale. Ils sortirent de l’hôtel. Très bien.

Au moment de suivre leur exemple, — il était déjà neuf heures et demie, — il se souvint qu’il avait une assez grosse somme dans son portefeuille. Il entra au bureau, et en déposa la majeure partie entre les mains du caissier. Ceci fait, il prit un carozella, et se fit mener à la mer. Il quitta sa voiture, et entra à pied à la Villa, par le bout du Largo de Vittoria.

Il me regardait fixement. Et je compris combien il était impressionnable. Le moindre fait, le moindre événement de cette soirée restait gravé dans sa mémoire comme s’il eût été doué d’une signification mystique. S’il ne me dit pas la couleur du cheval qui tirait le carozella et l’aspect du cocher, ce fut, de sa part, simple omission, due à une agitation qu’il contenait avec courage.

Il était donc entré à la Villa Nazionale par le bout du Largo de Vittoria. La Villa Nazionale est un jardin public dont les pelouses, les fourrés et les corbeilles de fleurs s’étendent entre les maisons de la Riviera di Chiaja et les eaux de la baie. Des allées d’arbres plus ou moins parallèles s’étendent sur toute sa longueur, qui est considérable. Du côté de la Chiaja, des tramways électriques courent tout près des grilles. Entre le jardin et la mer s’allonge l’élégante promenade, route large bordée d’un parapet bas, sous lequel la Méditerranée déferle avec des murmures assoupis, quand le temps est doux.

La vie nocturne se poursuit tard à Naples, et la large promenade était sillonnée d’un brillant essaim de lanternes de voitures, qui avançaient par paires, les unes doucement, les autres très vite, sous la ligne mince et immobile des lampes électriques qui dessinent le rivage. Un autre essaim brillant, un essaim d’étoiles, surplombait ce coin de terre bourdonnant de voix, encombré de maisons, étincelant de lumières, et dominait, au loin, les ombres plates de la mer silencieuse.

Les jardins eux-mêmes sont assez faiblement éclairés. Notre ami s’avançait dans l’ombre tiède, les yeux fixés sur une bande de lumière lointaine qui s’étendait sur presque toute la largeur de la Villa, comme si l’air eût brillé là de sa propre lumière, dans un froid éblouissement. Derrière les troncs noirs et les masses sombres, cet endroit magique laissait échapper des lambeaux de douces mélodies, coupées de bruyants éclats de cuivre, de brusques fracas métalliques, et de coups sourds et vibrants.

A mesure que le Comte s’avançait, tous ces bruits se fondaient en une savante mélodie dont les phrases harmonieuses et suaves dominaient un tumulte étouffé de voix et le vacarme des pas sur le gravier de la clairière. Une foule énorme, plongée dans un bain de fluide rayonnant et subtil, que les globes lumineux déversaient sur elle, se pressait par groupes autour de la musique. Des centaines d’autres auditeurs, assis sur des chaises, en cercles plus ou moins concentriques, accueillaient imperturbablement les grandes vagues qui allaient se perdre dans l’ombre. Le Comte se mêla à la foule, et se laissa, avec un plaisir paisible, entraîner par elle. Il écoutait et regardait les visages. Tous ces gens appartenaient à la bonne société ; c’étaient des mères avec leurs filles, des groupes de famille, des jeunes gens et des jeunes femmes, qui causaient, souriaient, s’adressaient des signes de tête. Beaucoup de jolis visages et beaucoup de jolies toilettes. Il y avait évidemment nombre de types divers : vieux beaux ostentatoires à moustaches blanches, hommes gros ou décharnés, officiers en uniforme, mais ce qui dominait, c’était le type du jeune Italien du Sud, avec son teint clair et mat, ses lèvres rouges, sa petite moustache de jais, et ces yeux noirs mouillés, si prodigieusement éloquents dans la tendresse ou la colère.

Le Comte se retira un peu à l’écart, et s’assit, devant le café, à une petite table, en face d’un jeune homme de ce type parfait. Notre ami prit une limonade. Le jeune homme regardait d’un air maussade son verre vide. Il leva un instant les yeux pour les abaisser aussitôt. Son chapeau était tiré en avant, « comme ceci... »

Le Comte fit le geste d’un homme qui enfonce son chapeau sur son front, et poursuivit :

— Je me dis : il est triste ; il y a quelque chose qui ne va pas. Les jeunes gens ont leurs ennuis. Je ne m’occupe pas de lui, bien entendu. Je paie ma limonade et je m’en vais.

En se promenant à portée de la musique, le Comte crut voir à une ou deux reprises le jeune homme errer seul dans la foule. Leurs yeux se croisèrent une fois. Ce devait être le même jeune homme, mais il y en avait tant d’autres de ce type, qu’il ne pouvait en être certain. Au surplus, il n’avait de ce visage remarqué que la maussaderie prononcée.

Bientôt, las de cette impression d’étouffement que l’on éprouve dans une foule, le Comte s’écarta de la musique. Une allée, très sombre par contraste, offrait, de façon tentante, ses promesses de solitude et de fraîcheur. Il s’y engagea, et s’avança jusqu’à ce que le bruit de l’orchestre ne lui parvînt plus que fort assourdi. Il revint alors sur ses pas, pour s’éloigner ensuite à nouveau. Il recommença plusieurs fois le même manège, avant de s’apercevoir qu’un des bancs était occupé.

C’était à mi-chemin entre deux réverbères, et il faisait assez sombre. Le vieillard vit pourtant que l’homme avait reculé sur une extrémité du banc. Les jambes allongées, il croisait les bras sur sa poitrine, et laissait tomber sa tête en avant. Il ne bougeait pas, comme s’il se fût endormi, mais lorsque le Comte passa devant lui, il avait changé d’attitude. Il se penchait en avant, les coudes aux genoux, et roulait une cigarette. Il ne leva pas les yeux.

Le promeneur tournait le dos à la foule. Il revint lentement. Je me le représente, goûtant pleinement, bien qu’avec sa placidité ordinaire, le parfum de cette nuit méridionale et les sons de la musique délicieusement adoucis par la distance.

Il allait, pour la troisième fois, passer devant l’homme toujours penché en avant, les coudes aux genoux, dans une attitude d’abattement. Dans la demi-obscurité de l’allée, son col haut et ses manchettes mettaient de petites taches de blancheur vive. Le comte le vit se lever brusquement, comme pour s’éloigner, puis tout à coup, sans presque qu’il s’en fût aperçu, l’homme se dressa devant lui et lui demanda, d’une voix sourde et douce, si le Signore voudrait avoir l’amabilité de lui donner un peu de feu.

Le Comte répondit par un « certainement » poli, et abaissa les mains pour explorer les deux poches de son pantalon et y chercher des allumettes.

— J’abaissai les mains, fit-il, mais je ne les mis pas dans mes poches. Je sentis une pression, là...

Il mettait le bout de son doigt sur la pointe du sternum, à l’endroit précis du corps que choisissent les gentlemen du Japon pour commencer l’opération du hara-kiri, forme de suicide que commande le déshonneur ou tout outrage irréparable à des sentiments délicats.

— Je regarde, poursuivit le Comte d’une voix apeurée, et qu’est-ce que je vois ?... Un poignard ! un long poignard !

— Vous n’allez pas prétendre, m’écriai-je avec stupeur, que vous ayez été ainsi assailli dans la Villa, à dix heures et demie et à vingt pas d’une foule !

Il hocha la tête à diverses reprises en me regardant avec des yeux très grands.

— La clarinette achevait son solo, affirma-t-il solennellement, et je vous assure que j’entendais la moindre note. L’orchestre attaquait un fortissimo, et l’individu, roulant des yeux et grinçant des dents, sifflait avec un accent d’affreuse férocité : « Taisez-vous ! Pas de bruit, ou... »

Je ne revenais pas de mon étonnement.

— Quelle espèce de poignard était-ce ? demandai-je stupidement.

— Une longue lame. Un stiletto. Peut-être un couteau de cuisine. Une longue lame étroite. Elle luisait. Et ses yeux brillaient aussi, comme ses dents blanches. Je les voyais. Il avait une mine féroce. Je me dis : « Si je le frappe, il va me tuer ! Comment lutter dans ces conditions ? Il avait son couteau et j’étais sans arme. J’ai près de soixante-dix ans, vous savez, et c’était un jeune homme. Il me sembla même le reconnaître. Le jeune homme maussade du café, celui que j’avais croisé dans la foule. Je n’en étais pas certain, cependant. Il y a tant de gens comme cela, dans ce pays. » La détresse de cette minute se reflétait encore sur le visage du vieillard. Évidemment, il devait avoir été paralysé par la stupeur. Mais ses pensées restaient extrêmement actives et envisageaient toutes les possibilités atroces. L’idée lui vint de lancer un vigoureux appel. Il n’en fit rien, cependant, et la raison de son abstention me donna une bonne idée de sa lucidité. Il comprit en un clin d’œil que rien n’empêchait l’autre de crier aussi.

— Ce jeune homme aurait pu jeter son poignard et prétendre que c’était moi l’agresseur. Pourquoi pas ? Il aurait pu affirmer que je l’avais attaqué. Pourquoi pas ? C’était une réponse incroyable à une histoire impossible. Il aurait pu dire n’importe quoi, lancer contre moi une accusation infamante, que sais-je ? A juger de son costume, ce n’était pas un bandit ordinaire. Il semblait appartenir à la meilleure société. Qu’aurais-je dit ? Il était Italien, je suis étranger. Évidemment, j’ai mon passeport et me serais adressé à mon consul... Mais être arrêté la nuit et traîné au poste de police comme un criminel...

Il frémissait. Il était dans sa nature de reculer devant le scandale plus que devant la mort. Et certainement, pour bien des gens, une telle histoire serait toujours — étant donné certaines particularités des mœurs napolitaines — bien sujette à caution. Le Comte n’était pas un imbécile. Sa foi dans la respectabilité placide de la vie ayant subi cette rude secousse, il croyait tout possible à l’avenir. L’idée lui traversa en même temps la tête que ce jeune homme pouvait n’être qu’un fou furieux.

Cette supposition commença à éclairer pour moi son attitude en cette circonstance. Son excessive délicatesse de sentiments lui suggérait que la frénésie d’un énergumène ne saurait causer de blessure d’amour-propre. Pourtant cette consolation devait lui être refusée. Il insistait sur la façon sauvage et abominable dont le jeune homme roulait ses yeux luisants et faisait grincer ses dents blanches. La musique, dans un unisson solennel de tous ses trombones, jouait une marche lente, délibérément rythmée à coups de grosse caisse.

— Qu’avez-vous donc fait ? demandai-je avec vivacité.

— Rien, répondit le Comte. J’ai laissé mes mains bien tranquilles et j’ai déclaré tout doucement au bandit que je n’allais pas faire de bruit. Il a grondé comme un chien, puis a dit, d’une voix normale :

— Vostro portofolio.

— Alors, naturellement... poursuivit le Comte... et depuis ce moment il mima toute la scène. Sans me quitter des yeux, il fouillait la poche intérieure de sa veste, en tirait un portefeuille et le tendait... Mais le jeune homme appuyait toujours sur le couteau et refusait d’y toucher.

Il obligea le Comte à sortir lui-même l’argent, le prit dans la main gauche et fit signe à sa victime de remettre le portefeuille en place. Tout cela s’accompagnait d’un trémolo adouci de flûtes et de clarinettes et d’une note plaintive des hautbois. Le « jeune homme », comme l’appelait le Comte, se plaignit : « C’est bien peu de chose !»

— La somme était médiocre, en effet, reprit le Comte, 340 ou 360 lires, à peine. J’avais laissé mon argent à l’hôtel, vous le savez. Je lui affirmai n’avoir rien de plus sur moi. Il hocha la tête avec impatience, et reprit :

— Vostro orologio.

Le Comte fit le geste de tirer sa montre et de la détacher. Le hasard voulait qu’il eût laissé chez un horloger, pour un nettoyage, son précieux chronomètre d’or habituel. Il portait, ce soir-là, à une gourmette de cuir, une montre de bazar qu’il emportait dans ses expéditions de pêche. En voyant l’instrument, l’élégant bandit eut un clappement de langue méprisant, comme ceci : « Tse ! » et l’écarta avec un geste d’impatience. Comme le Comte remettait dans son gousset la montre dédaignée, l’autre demanda en pesant avec une insistance menaçante sur l’épigastre de sa victime, en manière de réminiscence :

— Vostri anelli.

— Une de mes bagues, m’expliqua le Comte, m’a été donnée il y a bien des années par ma femme ; l’autre est un cachet de mon père. Je dis : « Non, cela, vous ne l’aurez pas ! »

Ici, le Comte reproduisit le geste correspondant à cette déclaration, en serrant ses mains l’une contre l’autre et en les pressant contre sa poitrine. Geste touchant dans sa résignation. « Cela vous ne l’aurez pas ! » insista-t-il avec fermeté, et il ferma les yeux s’attendant — je ne sais si j’ai le droit de raconter qu’un aussi vilain mot sortit de sa bouche — s’attendant à se sentir — j’hésite vraiment à le dire — éventré par un coup de la longue lame aiguë, traîtreusement appliquée au creux de sa poitrine, siège, chez tous les humains, des sensations d’angoisse.

De grandes vagues d’harmonie passaient sur le jardin.

Tout à coup, le Comte se sentit délivré du cauchemar de l’horrible pression. Il ouvrit les yeux. Il était seul. Il n’avait rien entendu. Il est probable que « le jeune homme » était parti à pas feutrés, depuis quelques instants, mais que le sentiment de l’atroce sensation avait persisté chez le Comte, bien que la lame ne pesât plus sur sa poitrine. Une faiblesse l’accabla. Il eut juste le temps de s’avancer jusqu’au banc. Il lui semblait qu’il avait retenu très longtemps son haleine. Il s’affala, tout pantelant du choc de la réaction.

L’orchestre exécutait, avec une admirable bravoure, un finale échevelé qui se termina en un grand éclat de cuivre. Le vieillard entendit un son confus et éloigné, comme si ses oreilles avaient été bouchées, puis perçut les claquements de mille paires de mains comme une averse de grêle passant dans le lointain. Le profond silence qui s’établit le rappela à lui.

Un tramway, pareil à une longue cage de verre avec des gens assis la tête en pleine lumière, courait vivement à soixante pas de l’endroit où il avait été assailli. Puis une seconde voiture passa, et une autre encore, en sens inverse. Le public se dispersait et s’éloignait du kiosque à musique, pour s’engager dans l’allée par petits groupes bavards. Assis très droit, le Comte essayait de songer avec calme à ce qui venait de lui arriver. La laideur de cet attentat lui coupa de nouveau le souffle. Autant que j’en puis juger, il était écœuré de lui-même. Je ne veux pas dire de sa conduite. Évidemment, si je devais me fier à la mimique qu’il m’en avait donnée, sa conduite avait été parfaite, tout simplement. Non, ce n’était pas cela. Il n’avait pas honte. Il était écœuré d’avoir été l’objet d’un pareil mépris, plutôt que du vol même. Sa placidité avait été lâchement secouée. C’en était fait du regard bienveillant et serein qu’il avait, toute sa vie durant, jeté sur le monde.

Pourtant, à ce moment encore, avant que le fer n’eût pénétré trop loin, il put encore, à force de raisonnement, retrouver une équanimité relative. Et à mesure que s’apaisait son agitation, il prit conscience d’une faim violente. Oui, il avait faim ; l’émotion lui avait donné une véritable fringale. Il quitta son banc, marcha quelques minutes et quittant les jardins, se trouva devant un tramway arrêté, sans savoir très bien comment il était arrivé là. Il entra dans la voiture par une sorte d’instinct somnambulique. Il eut la chance de trouver dans la poche de son pantalon une piécette de cuivre pour le conducteur. Le tramway s’arrêta, et, en voyant en descendre tous les occupants, il descendit aussi. Il reconnut la Piazza San Fernandino, mais ne s’avisa évidemment pas de prendre un fiacre pour se faire conduire à l’hôtel. Il restait ahuri sur la Piazza, comme un chien perdu, songeant vaguement à la meilleure façon de se procurer sans retard quelque chose à manger.

Tout à coup, il se souvint de sa pièce de vingt francs. Il m’expliqua qu’il avait conservé cette pièce d’or française depuis trois ans. Il la gardait sur lui comme une sorte de réserve en cas d’accident. On peut toujours se faire vider les poches, ce qui n’a d’ailleurs aucun rapport avec un vol effronté et insultant.

L’arche monumentale de la galerie Umberto se dressait devant lui, au sommet d’un noble escalier de pierre.

Il en gravit les marches sans perdre de temps et se dirigea vers le café Umberto. Toutes les places de la terrasse étaient occupées par des consommateurs. Mais comme il voulait manger, il pénétra dans le café, que des piliers carrés, garnis de glaces sur toutes leurs faces divisaient en plusieurs parties. Le Comte s’assit sur une banquette de peluche rouge et attendit son rizotto en s’adossant à l’un des piliers. Et son esprit revint à son abominable aventure.

Il pensait au jeune homme élégant et maussade, dont le regard avait croisé le sien dans la foule, près du kiosque à musique, et qu’il considérait, dans son for intérieur, comme son voleur. Le reconnaîtrait-il s’il le voyait ? Probablement. Il n’éprouvait d’ailleurs aucun désir de le revoir. Le mieux était pour lui d’oublier cet épisode humiliant.

Le Comte tournait des yeux impatients vers le rizotto attendu, lorsque brusquement, à sa gauche, contre le mur, il aperçut le jeune homme. Il était assis seul à une table, avec une bouteille d’un vin ou d’un sirop quelconque devant lui, et une carafe frappée. Ces joues lisses et olivâtres, ces lèvres rouges, cette petite moustache de jais au pli agressif, ces beaux yeux noirs un peu lourds et bordés de longs cils, cette expression particulière de mécontentement cruel que l’on n’observe que sur certains bustes d’empereurs romains, c’était lui, sans aucun doute. C’était un type banal, pourtant. Le Comte détourna vivement les yeux. Ce jeune officier qui lisait son journal, là-bas, avait la même mine. Et deux jeunes gens qui jouaient aux dames, un peu plus loin, ressemblaient aussi...

Le Comte baissa la tête avec la terreur secrète d’être éternellement hanté par la vision de cet individu. Il se mit à manger son rizotto. Tout à coup, il entendit le jeune homme, à sa gauche, interpeller le garçon avec un accent de colère.

A cet appel, le garçon de sa table et deux autres serveurs encore, qui baguenaudaient dans une tout autre partie de la salle, se précipitèrent vers lui avec une vivacité obséquieuse qui n’est pas la caractéristique ordinaire des garçons du café Umberto. Le jeune homme murmura quelques mots, et l’un des garçons, se dirigeant rapidement vers la porte la plus proche, cria dans la galerie : — Pasquale ! Eh ! Pasquale !

Tout le monde connaît Pasquale, le vieux bonhomme râpé qui se glisse entre les tables pour offrir aux clients du café, cigares, cigarettes, boîtes d’allumettes et cartes postales illustrées. C’est, à plus d’un titre, un aimable forban. Le Comte vit le vieux coquin grisonnant et hirsute entrer dans le café, l’éventaire pendu au cou par une courroie de cuir, et, sur un mot du garçon, se précipiter de son pas glissant vers la table du jeune homme. Celui-ci voulait un cigare que Pasquale lui offrit servilement. Le vieux colporteur allait sortir, lorsque le Comte, obéissant à une impulsion subite, lui fit signe de rester.

Pasquale s’approcha avec un sourire de familiarité déférente, qui se combinait de façon singulière à l’expression de cynisme scrutateur de ses yeux. Il posa sa boîte sur la table, et en leva le couvercle sans mot dire. Le Comte choisit une boîte de cigarettes, et poussé par une curiosité apeurée, demanda, avec autant de calme qu’il le put :

— Dites-moi donc, Pasquale, qui est ce jeune homme assis là ?

L’autre se pencha, d’un air mystérieux, par-dessus la table :

— Ce jeune homme, Signor Conte, répondit-il en arrangeant activement et sans lever les yeux de ses articles, ce jeune homme est un Cavalière d’une très bonne famille de Bari. Il étudie à l’Université, et c’est le chef, — capo, — d’une association de jeunes gens, — de très gentils jeunes gens...

Il s’arrêta, et avec un mélange de discrétion et d’orgueilleuse expérience, souffla le mot explicatif de « Camorra » avant d’abaisser son couvercle. — Une Camorra très puissante, murmura-t-il. Les professeurs eux-mêmes la respectent fort... Una lira e cinquenti centesimi, Signor Conte...

Notre ami paya de sa pièce d’or. Tandis que Pasquale lui rendait sa monnaie, il vit que le jeune homme sur lequel il venait de tant apprendre en si peu de mots surveillait l’opération du coin de l’œil. Après que le vieux vagabond se fut éloigné en saluant, le Comte régla le garçon et resta immobile. Un engourdissement l’accablait.

Le jeune homme paya aussi, se leva et traversa la salle avec l’intention apparente de se mirer dans la glace encastrée dans le pilier le plus proche de la place du Comte. Il était tout en noir, avec un nœud de cravate vert sombre. Le Comte leva les yeux, et fut effrayé de voir l’autre fixer sur lui un regard oblique et cruel. Le jeune « Cavalière » de Bari, (à croire Pasquale, mais Pasquale est naturellement un menteur fieffé), continuait d’arranger sa cravate et de mettre son chapeau devant la glace, tout en parlant juste assez haut pour se faire entendre du vieillard. Il parlait entre ses dents, avec l’expression du mépris le plus insultant, et sans cesser de regarder droit dans le miroir.

— Ah ! Alors vous aviez de l’or sur vous, vieux menteur, — vieux birba, vieux furfante ; allez, nous nous retrouverons.

L’infernale malice de son expression s’évanouit comme par enchantement, et il sortit tranquillement du café, le visage impassible et sombre.

Le pauvre Comte, après avoir rapporté ce dernier épisode, se renversa tout tremblant dans son fauteuil. Son front ruisselait de sueur. Il y avait, dans cet outrage prémédité, une insolence gratuite qui m’effarait comme lui. L’effet qu’il pouvait produire sur la délicatesse du Comte, je ne puis même essayer de l’imaginer. Je suis certain que, s’il n’avait été trop raffiné pour faire une chose aussi odieusement vulgaire que de mourir d’apoplexie dans un café, il aurait eu, du coup, une attaque fatale. Toute ironie à part, j’eus bien de la peine à dissimuler l’étendue de ma commisération. Il répugnait à tout sentiment excessif, et ma sympathie était sans limites. Je ne fus pas surpris d’apprendre qu’il venait de passer la semaine au lit. Il s’était levé pour prendre ses dispositions et quitter à jamais l’Italie du Sud.

Or, le pauvre homme était convaincu de ne pouvoir vivre une année sous un autre climat. Tous mes arguments restèrent sans effet. Ce n’était pas lâcheté de sa part malgré ce qu’il me dit :

— Vous ne savez pas ce que c’est qu’une Camorra, mon cher Monsieur ; je suis une victime désignée.

Il n’avait pas peur des menaces, mais sa dignité était salie par un outrage odieux. Il ne pouvait le supporter. Nul gentleman japonais blessé dans son sentiment expressif de l’honneur n’eût mené avec une plus ferme résolution les préparatifs du hara-kiri. Retourner dans son pays, c’était un véritable suicide pour le pauvre Comte.

Il y a un dicton de l’orgueil napolitain, fait je suppose à l’usage des étrangers : « Voir Naples, et puis mourir. » « Vedi Napoli, e poi mori. » C’est un mot d’excessive vanité, et tout excès était odieux à la modération policée du pauvre Comte. Pourtant, à la gare où je l’avais accompagné, je songeai qu’il montrait une fidélité singulière à l’esprit d’orgueil de ce proverbe. « Vedi Napoli... » Il avait vu Naples ! Il l’avait vue avec une netteté stupéfiante... et maintenant il s’en allait vers son tombeau. Il y courait par le train de luxe de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, via Trieste et Vienne. Au moment où les quatre longues voitures sombres sortaient de la gare, je levai mon chapeau, avec le sentiment solennel de payer un ultime tribut de respect à un convoi funèbre. Le profil du Comte, déjà très vieilli, s’éloignait dans une immobilité de pierre, derrière la vitre lumineuse ! Vedi Napoli e poi mori !