Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\CL24

Texte établi par Henri ClouzotLarousse (Tome IIITexte sur une seule pagep. 126-128).

COMMENT NOUS DESCENDÎMES AU PORT DES LYCHNOBIENS[1] ET ENTRÂMES EN LANTERNOIS.

Sur l’instant entrâmes au port de Lanternois. Là sur une haute tour reconnut Pantagruel la lanterne de la Rochelle, laquelle nous fit bonne clarté. Vîmes aussi la lanterne de Pharos, de Nauplion et d’Acropolis en Athènes, sacrée à Pallas. Près le port est un petit village habité par les Lychnobiens, qui sont peuples vivants de lanternes, comme en nos pays les frères briffauts[2] vivent de nonnains, gens de bien et studieux. Démosthènes y avait jadis lanterné. De ce lieu jusques au palais fûmes conduits par trois obéliscolychnies[3], gardes militaires du havre, à hauts bonnets comme Albanais, esquels exposâmes les causes de nos voyage et délibération[4], laquelle était là impétrer de la reine de Lanternois une lanterne pour nous éclairer et conduire par le voyage que faisions vers l’oracle de la Bouteille. Ce que nous promirent faire, et volontiers, ajoutants qu’en bonne occasion et opportunité étions là arrivés, et qu’avions beau faire choix de lanternes lorsqu’elles tenaient leur chapitre provincial.

Advenants au palais royal, fûmes par deux lanternes d’honneur, savoir est la lanterne d’Aristophanes et la lanterne de Cléanthes, présentés à la reine, à laquelle Panurge, en langage lanternois, exposa brièvement les causes de notre voyage, et eûmes d’elle bon recueil[5], et commandement d’assister à son souper, pour plus facilement choisir celle que voudrions pour guide. Ce que nous plut grandement, et ne fûmes négligents bien tout noter et tout considérer, tant en leurs gestes, vêtements et maintien qu’aussi en l’ordre du service.

La reine était vêtue de cristallin[6] vierge, par art de tauchie[7] et ouvrage damasquin, passementé de gros diamants. Les lanternes du sang étaient vêtues aucunes de strain[8], autres de pierres phengites[9] ; le demeurant était de corne, de papier, de toile cirée. Les falots pareillement, selon leurs états d’antiquité de leur maisons. Seulement j’en avisai une de terre comme un pot, en rang des plus gorgiases[10]. De ce m’ébahissant, entendis que c’était la lanterne d’Épictétus, de laquelle on avait autrefois refusé trois mille drachmes.

J’y considérai diligentement la mode et accoutrement de la lanterne polymixe, de Martial, encore plus de l’icosimixe, jadis consacrée par Canope, fille de Tisias. J’y notai très bien la lanterne pensile, jadis prise de Thèbes au temple d’Apollo Palatin et depuis transportée en la ville de Cyme Aolique par Alexandre le Conquérant. J’en notai une autre insigne, à cause d’un beau floc de soie cramoisine qu’elle avait sur la tête. Et me fut dit que c’était Bartole, lanterne de droit. J’en notai pareillement deux autres insignes, à cause des bourses[11] de clystère qu’elles portaient à la ceinture, et me fut dit que l’une était le grand et l’autre le petit Luminaire des apothicaires.

L’heure du souper venue, la reine s’assit en premier lieu, conséquemment les autres selon leur degré et dignité. D’entrée de table toutes furent servies de grosses chandelles de moule, excepté que la reine fut servie d’un gros et raide flambeau flamboyant de cire blanche, un peu rouge par le bout ; aussi furent les lanternes du sang exceptées du reste, et la lanterne provinciale de Mirebalais, laquelle fut servie d’une chandelle de noix, et la provinciale du bas Poitou, laquelle je vis être servie d’une chandelle armée[12]. Et Dieu sait quelle lumière après elles rendaient avec leurs mècherons ! Exceptez ici un nombre de jeunes lanternes, du gouvernement d’une grosse lanterne : elles ne luisaient comme les autres, mais me semblaient avoir les paillardes[13] couleurs.

Après souper nous retirâmes pour reposer. Le lendemain matin la reine nous octroya le choix d’une de ses lanternes pour notre conduite, telle qu’il nous plairait. Par nous fut élue et choisie la mie du grand M. P. Lamy, laquelle j’avais autrefois connue à bonnes enseignes. Elle pareillement me reconnaissait, et nous sembla plus divine, plus hilique[14], plus docte, plus sage, plus diserte, plus humaine, plus débonnaire et plus idoine qu’autre qui fût en la compagnie pour notre conduite. Remerciants bien humblement la dame reine, fûmes accompagnés jusqu’à notre nef par sept jeunes falots baladins, jà luisant la claire Diane.


  1. Qui vivent aux lanternes
  2. Frères lais quêteurs.
  3. Phares.
  4. Résolutions.
  5. Accueil.
  6. Cristal.
  7. Damasquine.
  8. Faux diamant.
  9. Pierres transparentes.
  10. Pimpantes.
  11. Étuis.
  12. Armoriée.
  13. (Équivoque avec les pâles).
  14. Favorable.