Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/IX

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 398-467).
IX.


DE LA MEILLEURE SECTE, À THRASYBULE[1].


Chapitre premier. — Qu’un théorème scientifique doit être vrai, utile, et en relation avec les principes posés.


Chaque théorème en médecine, et en général tout théorème, doit d’abord être vrai ; en second lieu utile, enfin en relation avec les principes posés ; car c’est d’après ces trois conditions qu’on juge de la légitimité d’un théorème ; par conséquent, si l’une d’elles lui fait défaut, on ne pourra pas l’appeler proprement un théorème. Puisque les arts sont composés de théorèmes, et que la qualité de ces théorèmes n’est pas indifférente, mais qu’en premier lieu les notions résultant de l’expérience doivent former un ensemble, et, en second lieu, tendre vers un but utile, il est nécessaire que chaque théorème soit vrai, utile, et qu’il ait une certaine relation, non-seulement avec les principes posés, mais encore avec les autres théorèmes. Tout théorème, en tant qu’il tombe dans le domaine de la conception, doit être vrai, car il n’y a pas de conception pour des choses fausses. En tant qu’on se propose un but profitable à fa vie, chaque théorème doit être utile et nécessaire. Il faut chercher l’ensemble des perceptions claires, eu égard à l’harmonie réciproque des théorèmes et au principe posé ; en effet, de même qu’on se représente l’ensemble des sujets sous la domination d’un chef, ainsi le théorème doit être ramené au principe posé ; voilà pourquoi tout théorème doit être vrai, utile et conséquent ; Si on juge tout théorème scientifique par ces trois conditions, il est évident qu’elles serviront également à juger tout théorème de médecine ; mais comme on ne sait pas toujours ni quelle est la vérité, ni comment la discerner, et que l’utile et le conséquent ne sont pas non plus toujours faciles à saisir, il faut avant tout enseigner les moyens de reconnaître et de juger le vrai, l’utile et le conséquent.

Chapitre ii. — Manière de reconnaître l’exactitude et la légitimité d’un théorème.


Le vrai se juge par la concordance de la proposition émise avec les principes. Mais comme le principe tantôt se révèle aux sens, et tantôt s’y dérobe, et que, parmi les choses accessibles aux sens, les unes se comprennent par elles-mêmes, par exemple le blanc et le noir, d’autres ne se comprennent pas d’elles-mêmes, mais à l’aide d’intermédiaires, par exemple les choses qu’on reconnaît au moyen des signes ; enfin que, parmi les choses dérobées aux sens, quelques-unes sont évidentes, et on les appelle ainsi, par exemple 2 fois 2 font 4, tandis que d’autres réclament une démonstration, par exemple la chose dont on peut bien ou mal user, et le reste, il faut toujours rapporter les propositions et le théorème à l’espèce de sujet, auquel se rapportent la proposition et le théorème. S’il s’agit d’une chose accessible aux sens, on confrontera le raisonnement ou le théorème avec cette chose ; si, au contraire, c’est d’une chose cachée aux sens qu’il est question, il faut voir si elle est en concordance avec un principe inaccessible aux sens. Les moyens de juger les choses apparentes (phénomènes), et les choses cachées sont différents. Les phénomènes compréhensibles par eux-mêmes se jugent par les sens, comme le blanc et le noix. Il faut donc se moquer des médecins qui ont essayé de juger les phénomènes, non par les sens, mais par une espèce, de démonstration. Par exemple Asclépiade, à propos des membranes attachées au cœur, entrant dans de grandes discussions, soutient qu’Érasistrate se trompe parce que Hérophile, qui avait beaucoup disséqué, n’avait pas vu ces membranes, tandis que lui Asclépiade pouvait, comme il convient, aller à la recherche des phénomènes, se prononcer sur le fait lui-même, et ne pas refuser sa croyance à des opinions vraies. Donc, les moyens de juger les phénomènes compréhensibles par eux-mêmes sont les sens, ainsi que je l’ai dit ; quant aux phénomènes qui ne se comprennent pas par eux-mêmes, mais à l’aide d’un intermédiaire, ils se jugent par une observation comparée : je veux parler des phénomènes qui se révèlent par les signes. Quant aux choses inaccessibles aux sens, comme elles sont de nature très diverse, les moyens de les juger sont aussi très-différents. Parmi les choses qui ne tombent pas sous les sens, comme les unes sont manifestes, par exemple : il est impossible qu’un même homme soit à la fois à Athènes et en Égypte, et que d’autres se comprennent par la démonstration, les choses manifestes se jugent par le sens commun, et celles qui se comprennent par la démonstration se jugent par leur conformité avec les choses reconnues généralement comme vraies. D’un autre côté, le discernement de ce qui est conforme est multiple, car la conformité se juge, soit par rapport aux phénomènes, soit par rapport aux choses évidentes, soit enfin par rapport aux choses prouvées. Nous avons donc exposé comment il faut juger si une chose est vraie et donné les moyens qui conduisent à ce jugement.


Chapitre iii. — Comment on juge qu’un théorème est utile. — Les phénomènes ne sont pas le principe de l’art, mais le principe de l’invention des théorèmes sur lesquels l’art repose.


Il convient de parler maintenant du théorème, eu égard à son utilité : l’utilité d’un théorème se juge par son rapport avec le but de l’art. Il faut d’abord qu’il puisse être conçu, car s’il est impossible comme celui-ci : la bile du centaure guérit l’apoplexie, il est inutile, puisqu’il ne peut pas se concevoir. En second lieu, la perception d’un théorème ne doit pas être du domaine du vulgaire, mais seulement des gens de l’art ; aussi déclarons-nous dans l’erreur ceux qui pensent que les phénomènes sont le principe de l’art ; en effet, l’art n’est pas plus constitué par le phénomène que la transmission de l’art ne prend son point de départ dans les phénomènes, car personne ne transmet les phénomènes, mais on transmet les théorèmes qui reposent sur les phénomènes, et qui, eux-mêmes, ne sont pas accessibles aux sens. On regardera donc avec raison ces théorèmes comme le vrai fondement de l’art, je veux dire les théorèmes déduits des phénomènes ; c’est-à-dire on admettra que le principe de la transmission de l’art découle des phénomènes. Si quelqu’un soutenait que les phénomènes sont le principe de l’art, il professerait, sans s’en douter, qu’il n’y a point de différence entre l’art et l’absence de l’art, car la perception des phénomènes étant la même pour le vulgaire et pour l’artiste, il est évident que l’artiste ne s’élève en rien au-dessus du vulgaire ; et même il n’y aura plus d’artiste, puisque dans cette supposition, pour l’un comme pour l’autre, la perception est la même et se rapporte aux mêmes choses. On peut donc, à juste titre, appeler les phénomènes le principe de l’invention des théorèmes ; mais ces phénomènes ne sont pas le principe de l’art. De même on dirait que les traces sont le principe de la découverte du lièvre, mais personne ayant le sens commun ne les appellera le principe du lièvre, car le lièvre n’est pas formé de traces. Ainsi on désignera à bon droit les phénomènes comme le principe de l’invention des théorèmes, attendu que c’est en partant de ces phénomènes et en les rassemblant, que les fondateurs de l’art l’ont constitué ; mais les phénomènes ne sont pas les principes de l’art, car il faut rapporter les principes à la qualité de la chose dont ils sont les principes ; donc il convient que les principes de l’art ne soient pas évidents pour les gens du vulgaire ; car tous les arts ne sont pas clairs pour eux [et à plus forte raison les principes de ces arts] ; ensuite les principes de l’art s’enseignent et les phénomènes ne s’enseignent pas ; voilà pourquoi on aurait tort de dire que les phénomènes sont le principe de l’art.


Chapitre iv. — Sur quoi reposent les théorèmes et comment on les établit. — Exemples de diverses espèces de théorèmes.


Les théorèmes reposent en effet ou sur les phénomènes ou sur les choses qui se perçoivent par un intermédiaire, ou sur ce qui a été démontré auparavant, ou sur les choses évidentes, et cela à peu près de cette façon : par exemple, sur les phénomènes : quelqu’un observe plusieurs individus morts d’une blessure au cœur, il recherche la cause de la mort, et trouve, par le raisonnement, que la mort n’est le résultat ni d’un défaut de force, ni d’un manque de moyens curatifs, mais qu’elle est survenue à cause de l’importance de l’utilité de cette partie ; il reconnaît en conséquence que la vie ne saurait se conserver sans la fonction de cette partie et sans le service que le corps en retire. Coordonnant par le raisonnement ce qu’il a trouvé par les phénomènes, il fait le théorème suivant : Si quelqu’un est blessé au cœur, il mourra. Donc ce que par le raisonnement on a trouvé être la conséquence des phénomènes, et qu’on énonce d’une manière générale, est un théorème. Les théorèmes reposent plus particulièrement sur les phénomènes ; ainsi, dans la phlegmasie, on déduit le théorème suivant des phénomènes : Si quelqu’un a une phlegmasie, il existe une tumeur rénitente qui amène une douleur pulsative. Par conséquent, les phénomènes sont le commencement de la découverte des théorèmes, et les théorèmes trouvés comme conséquence des phénomènes sont le principe de la constitution de l’art. C’est de cette façon que les théorèmes se fondent en quelque sorte sur les phénomènes. — Ils sont déduits de la manière suivante des choses qu’on perçoit clairement au moyen d’un intermédiaire : Si quelqu’un présente tels et tels symptômes, il a une pléthore sanguine. Le foie ou les reins ou quelque autre organe sont malades s’ils présentent tels ou tels symptômes. — Les théorèmes se basent de la manière suivante sur les choses prouvées auparavant : On admet comme prouvé qu’il existe une coction, que les matières soumises à la coction se fondent et deviennent liquides, et qu’ensuite elles sont distribuées à travers le corps, et que les malades ont besoin d’aliments qui n’exigent pas un grand travail d’assimilation. On fonde sur ces données le théorème suivant : Tout régime humide convient aux fébricitants (Aph., I, 16). — Les théorèmes se fondent sur les choses évidentes de la manière suivante : Tout excès est ennemi de la nature (Aph., II, 51) ; — ni la plénitude, ni la faim, ni aucune autre chose n’est bonne si elle dépasse les bornes de la nature (Aph., II, 4) ; — quand la plénitude engendre la maladie, l’évacuation la guérit (Aph., II, 22). Comme ces deux termes sont évidents, à savoir que, dans les deux premières propositions, les choses dont il s’agit sont au-dessus des forces de la nature, et dans la dernière que la cause étant enlevée le mal cesse de se produire, il en résulte la formation des théorèmes dont je viens de parler.

Tout théorème est général et inébranlable. Ils se trompent donc ceux qui soutiennent que l’art est conjectural, par la raison que les théorèmes seraient également entachés de conjectures ; car on ne dit pas que l’art est conjectural à cause des théorèmes, puisqu’ils sont inébranlables, mais à cause de la pratique et de l’intervention des médecins ; en effet, comme les résultats de cette intervention sont douteux, ils rendent l’art conjectural ; tandis que les théorèmes de tous les arts sont également solides et inébranlables ; mais puisque tous les arts n’ont pas de résultats certains, quelques arts ont reçu l’épithète de conjectural ; ce sont, comme je l’ai dit, les arts dont les résultats sont douteux. Comme j’ai avancé que l’utilité d’un art se jugeait d’après son rapport avec le but, il est nécessaire d’indiquer le but de l’art, afin que, ce but étant manifeste, nous sachions également avec évidence à quoi il faut se référer pour juger de l’utilité des théorèmes.


Chapitre v. — Des différentes espèces d’arts d’après la fin qu’ils se proposent.


Parmi les arts, les uns produisent ce qui n’existe pas, par exemple l’art de construire un vaisseau ; les autres conservent ce qui est produit, comme l’art de gouverner un vaisseau ; d’autres font l’un et l’autre, par exemple l’architecture. Dans les arts qui produisent, ou dans ceux qui apprennent à conserver, il n’y a qu’une manière d’atteindre le but ; par conséquent le discernement de ce qui est utile est simple ; mais dans les arts qui produisent et qui conservent, ce n’est pas chose aussi facile ; car il ne faut pas regarder comme inutile ce qui ne tend pas à la conservation ; ou doit au contraire s’attacher à savoir si cela contribue en quelque chose à la production de ce qui n’existait pas auparavant. Or la médecine est un art qui apprend à produire et à conserver, mais il ne faudrait pas en conclure que la fin de cet art est double : produire ce qui n’existait pas, c’est-à-dire la santé, et la conserver quand elle existe. Quelques personnes disent en effet : si la médecine produit et conserve la santé par les mêmes théorèmes, elle aura une double fin. Si donc, ce n’étaient pas les mêmes théorèmes qui conduisent à deux fins, les fins étant différentes, les arts eux-mêmes seraient différents, et il y aurait deux médecines ; mais puisque les théorèmes sont les mêmes et que les buts sont différents, un même art aurait donc deux buts ! Car personne n’ignore que le but de l’art est un, c’est-à-dire la santé, et que la fin de l’art est également une, c’est-à-dire obtenir la santé, mais que les moyens d’y arriver sont différents[2] ; par conséquent, ni le but ni la fin ne changent d’après la manière dont la santé existe. Connaissant en effet les choses capables de nuire, nous produisons la santé en les supprimant, ou bien nous la conservons en les évitant. Il faut donc juger de l’utile en médecine en examinant tantôt ce qui contribue à produire la santé, tantôt ce qui contribue à la conserver.


Chapitre vi. — Comment on juge qu’une chose est conséquente à une autre.


Quelques-uns pensent que la conséquence se juge par la coexistence, ignorant que beaucoup de choses coexistent sans qu’on observe aucune conséquence entre elles ; ainsi nous disons que le jour existe, et que la respiration existe en même temps ; mais il n’y a pas de conséquence entre ces deux faits. Donc la conséquence ne se juge pas par la coexistence ; mais si une chose étant supprimée, une autre est nécessairement supprimée en même temps, et si une chose étant donnée, une autre est donnée en même temps, il faut admettre que l’une est la conséquence de l’autre. En général, celui qui porte un jugement sur les choses unies par connexion (c’est-à-dire qui ne se tiennent pas par un lien naturel et nécessaire), doit se servir de l’épicrise[3], dans le cas où il faut porter un jugement sur la conséquence. Il y a quelques propositions qui, pour être jugées, exigent nécessairement la considération de la conséquence. On pourrait peut-être rechercher si cela contribue en quelque chose à l’appréciation des théorèmes médicaux ; car il ne sert à rien de savoir si un théorème utile (c’est-à-dire pouvant servir à la santé) et vrai est médical (c’est-à-dire se rapportant directement à la médecine) ou non ; mais il faut s’attacher tout autant à ce qu’il soit conséquent.


Chapitre vii. — Des trois sectes médicales. — Principes qui leur sont communs.


Comme on juge de tout raisonnement et de tout théorème à l’aide de ces trois choses (utilité, vérité, conséquence), et qu’il y a trois sectes en médecine, la rationnelle (dogmatique), l’empirique et la méthodique, recourons à ces trois criteria pour examiner les sectes, afin de donner notre assentiment à la meilleure. Il est nécessaire d’exposer d’abord ce qu’elles ont de commun, puis ce qui appartient en propre à chacune d’elles ; nous établirons ensuite notre jugement (voy. note du dernier chap.). Voici donc ce que ces trois sectes ont de commun : Que les phénomènes sont utiles ; qu’il y a des théorèmes ; que l’analogisme, l’observation (τήρησις), l’histoire, le passage du semblable au semblable sont mis à contribution ; que l’histoire est confuse [par elle-même], que les instruments ne doivent pas être acceptés par tradition[4], qu’il y a certains modes d’administrer les remèdes ; que certaines choses sont comprises les unes par les autres ; que dans les mêmes circonstances il faut agir de la même manière ; qu’on conserve la santé et qu’on guérit les maladies par addition et par soustraction[5] ; qu’il faut éviter l’usage des choses nuisibles pour conserver la santé et chasser les maladies ; que l’expérience a de la puissance et qu’elle sert à apprécier ce que sont les substances alimentaires ou médicamenteuses, car elle fait connaître les substances nutritives ou non nutritives, évacuantes ou délétères.


Chapitre viii. — Principes propres à chacune des trois sectes. — L’utilité des phénomènes est reconnue par chacune des sectes, seulement elles ne sont pas d’accord sur la manière de les considérer.


Les empiriques s’en tiennent à ces opinions communes ; ils soutiennent qu’on trouve par l’expérience, non-seulement les facultés des médicaments, mais aussi à quoi les médicaments eux-mêmes sont utiles. Les méthodiques, à côté des points de doctrine professés par toutes les sectes et que nous venons d’énumérer ; en émettent un de plus que les empiriques. Ils disent, en effet, que la connaissance des facultés des médicaments est la seule chose utile qu’on puisse tirer de l’expérience, car on ne peut pas apprendre directement par l’observation pure ce qui convient dans tel ou tel cas, de telle sorte que cette convenance est pour eux déduite [par indication] de certains états qui se révèlent à l’observation (c’est-à-dire les communautés des maladies ; le laxum et le strictum).

Les dogmatiques tiennent le milieu entre ces deux opinions ; ils n’admettent pas avec les empiriques que l’utilité d’un médicament est toujours déterminée par l’observation ; ils ne disent pas non plus avec les méthodiques qu’elle se trouve toujours par l’indication, mais ils sont d’avis que c’est tantôt par l’observation, par exemple les contre-poisons, ou les médicaments contre les animaux venimeux, tantôt par l’indication, dans les cas où on peut trouver la cause. Par conséquent les méthodiques sont d’accord avec les dogmatiques en ce qu’ils pensent que l’emploi opportun d’un médicament peut être déduit de l’indication, mais ils diffèrent en ce qu’ils dérivent cette indication de sources différentes, car les méthodiques admettent que l’indication des remèdes utiles se tire de certains états évidents qui fournissent l’indication ; les dogmatiques, au contraire, pensent que l’indication ne se déduit nullement de ce qui est apparent, mais de choses dérobées aux sens. Comme ils admettent en effet que les indications se tirent des causes, et que les causes, en tant que causes, ne sont pas appréciables aux sens, il est clair que pour eux les indications ne viennent pas des phénomènes, et ils disent que les phénomènes conduisent à l’intelligence de ce qui peut fournir les indications. Les empiriques sont à leur tour d’accord avec les dogmatiques lorsqu’ils soutiennent que l’indication du traitement convenable n’est fournie par aucun phénomène.

Il est un autre point sur lequel tous les médecins sont d’accord, c’est que les phénomènes sont utiles. Les empiriques disent qu’ils sont utiles pour observer sur eux, attendu qu’on observe le traitement sur un certain nombre d’entre eux et qu’on est à même, par leur intermédiaire, de saisir ce qui peut indiquer[6]. Les méthodiques disent que les phénomènes servent à quelque chose, puisqu’ils peuvent indiquer l’utilité d’un médicament. Il y a de nouveau cela de commun entre les méthodiques et les empiriques qu’ils ne dégagent des phénomènes rien de caché d’où ils tirent l’indication du traitement convenable. Les empiriques ont cela de commun avec les dogmatiques qu’ils tirent de l’observation des phénomènes la notion du traitement convenable.

Les dogmatiques et les méthodiques ont cela de commun qu’ils font servir les phénomènes à saisir quelque chose d’utile. Les méthodiques disent donc que la notion du traitement convenable est saisie à l’aide des phénomènes ; les dogmatiques, au contraire, soutiennent qu’on peut trouver par les phénomènes ce qui peut fournir l’indication du traitement convenable, mais non le traitement lui-même.

À ceux qui pensent qu’on peut découvrir le traitement opportun à l’aide des causes évidentes, comme par exemple lorsqu’il s’agit d’une esquille, il faut dire que le traitement n’est pas déduit de la présence de l’esquille, en tant que phénomène, mais en tant que cause ; la cause, en tant que cause, n’est pas accessible aux sens, mais on la perçoit au moyen des symptômes. Si un grain de sable, ou une esquille, touchant la surface du corps, ne détermine pas de douleurs et ne cause en nous aucune sensation, nous ne nous en apercevons pas ; car la cause de quelque chose n’est pas un agent quelconque ; tout ce qui est cause [ne] se revèle [pas] comme cause, attendu que les choses qui ont un certain rapport de relation avec d’autres, ne sont pas accessibles aux sens parce qu’elles ont ce rapport ; mais les choses elles-mêmes qui sont dans ce rapport sont accessibles aux sens, comme un père, un fils, un frère et de semblables choses se montrent chacune pour eux ; mais le rapport avec d’autres choses n’est pas évident (cf. fin du ch. xxvi)[7].


Chapitre ix. — Discussion contre les empiriques d’abord, et ensuite contre les méthodiques, sur la source des indications thérapeutiques. — Les choses qui se dérobent aux sens sont nécessaires pour trouver ces indications. — La nature de l’affection ne suffit pas non plus pour les déterminer.


Maintenant que nous avons traité des divers criteria de raisonnement et que nous avons exposé les opinions communes et particulières à chaque secte, il est nécessaire de déterminer la valeur de chacune d’elles et de s’attacher ensuite à la meilleure doctrine. Les empiriques et les méthodiques, en opposition avec les dogmatiques, soutiennent que la compréhension des choses inaccessibles aux sens est inutile, car on ne tire rien d’utile pour le traitement de cette connaissance. Les dogmatiques répondent séparément à chaque secte : aux empiriques, ils opposent que les phénomènes ne suffisent pas pour en tirer par leur observation l’indication du médicament convenable, car on a aussi besoin des choses cachées et c’est de là en effet que l’on tire l’indication du traitement : la preuve c’est que vous, empiriques, vous n’observez pas le traitement sur tous les phénomènes, mais seulement sur certains d’entre eux, comme si les phénomènes sur lesquels vous l’observez renfermaient en eux quelque chose de plus [que les autres] et qui n’apparaît pas aux sens ; s’il en est ainsi, les choses cachées sont utiles. Ou bien les phénomènes, envisagés comme phénomènes, doivent servir à la découverte de l’indication, et dans ce cas tous seront utiles, ou bien ils n’y serviront pas tous, et par conséquent ne seront pas tous utiles. Dire que tous les phénomènes sont utiles, n’est pas acceptable ; s’ils ne sont pas tous utiles, il est nécessaire que ceux qui le sont aient quelque chose de plus que leur manifestation sensible. La compréhension de ce quelque chose appartient au raisonnement et non aux sens, or c’est par le raisonnement que les choses cachées sont connues ; donc le raisonnement et les choses cachées sont utiles.

Si les phénomènes, comme phénomènes, ne diffèrent pas les uns des autres, il est évident que tous, autant qu’il est en eux, se comportent semblablement eu égard à l’observation ; en sorte qu’on devrait invoquer les plus petites particularités passées et présentes. Mais si cela n’est pas possible (en effet qui a jamais fait porter l’observation sur la couche, sur le lit où repose le malade et sur des circonstances semblables ?) il est évident que l’observation ne repose pas sur les phénomènes, en tant que phénomènes, car elle s’exercerait également sur tous, mais qu’elle tient compte encore de quelque autre chose qui n’a pas d’existence sensible ; s’il en est ainsi, la considération des choses cachées est utile. Mais comment reconnaître, disent les dogmatiques, sur quels phénomènes l’observation peut s’exercer et sur quels elle ne le peut pas ? Il n’est pas facile, en effet, d’arriver à cette connaissancepar les phénomènes eux-mêmes, en tant que phénomènes, autrement le vulgaire saurait aussi bien que les médecins sur quels phénomènes l’observation doit s’exercer ; alors notre expérience ne différerait pas de leur inexpérience. Mais s’il n’est pas donné à tout le monde de savoir à première vue sur quels phénomènes il faut faire porter l’observation, et au contraire si l’observation rationnelle est uniquement à la portée des gens de l’art, la détermination du traitement convenable n’est pas basée sur l’observation des phénomènes, en tant que phénomènes. En effet, qu’on doive baser l’observation sur tel phénomène et non sur tel autre, c’est une chose cachée et non pas évidente pour les sens ; il est donc tout à fait utile de savoir cela ; donc aussi les choses cachées sont utiles. Comme les empiriques disent en outre qu’il faut faire porter l’observation sur certaines choses passées, de même que sur certaines choses présentes (pour cette raison ils s’occupent scrupuleusement des phénomènes passés) ; mais que déjà les sujets présents d’observation sont infinis et qu’il est impossible d’observer ce qui est infini, la méthode d’observation des empiriques est impossible.

Aux méthodiques, qui regardent les phénomènes comme indiquant le traitement convenable, les dogmatiques font les objections suivantes : les phénomènes sont saisissables par eux-mêmes, par conséquent ils se découvrent au vulgaire ; d’un autre côté, puisque les communautés indiquent le traitement, et que la notion du traitement qu’on en tire se présente en même temps que les phénomènes indicateurs, les communautés donneront des indications au vulgaire, et vous ne différerez alors en rien de lui. Que les indications du traitement à suivre ne sont pas tirées des affections, on peut le démontrer de la manière suivante : la même affection ayant son siége dans des parties différentes, comme l’inflammation des yeux, du foie, de l’orifice de l’estomac, on aura besoin d’un traitement différent et non du même ; car l’opium convient à l’inflammation des yeux, tandis qu’il faut d’autres remèdes contre celle du foie et de l’orifice de l’estomac ; l’huile est nuisible aux yeux enflammés, tandis qu’elle adoucit l’inflammation des autres parties. Il est donc manifeste que l’indication du traitement ne se tire pas des affections, car on devrait employer le même traitement pour toutes les affections semblables, si l’affection était la source des indications du traitement utile. On peut aussi réfuter, comme il suit, l’opinion des méthodiques : la même affection siégeant au même en droit, on aura besoin d’un traitement différent d’après la différence de la cause ; ainsi dans l’ischurie, si c’est de la pierre qu’elle dépend, nous recourons au lithotome ; si c’est de l’abondance d’urine, au cathéter ; si c’est de l’inflammation, aux cataplasmes. Or, si les indications du traitement utile dépendaient de l’affection, on emploierait un traitement unique et toujours identique lorsque 1" affection est la même ; mais on n’emploie pas le même traitement bien que l’affection soit la même, donc les indications du traitement utile ne se tirent pas des affections.


Chapitre x. — De l’indication, de l’observation, de l’analogisme et du passage du semblable au semblable, comme moyens de trouver le traitement convenable.


Maintenant que ces principes ont été sommairement exposés, il importe de dire ce que c’est que l’indication et comment on déduit le traitement convenable de l’indication ; ce que c’est que l’observation, et comment on base le traitement convenable sur cette observation ; ce que c’est que l’analogisme, et comment on en déduit le traitement. Parmi les phénomènes, les uns sont perceptibles par eux-mêmes, comme le blanc et le noir ; les autres par une observation médiate : tels sont ceux qu’on constate à l’aide de signes. De même, la connaissance du traitement convenable se tire le plus ordinairement de l’indication, car la notion du traitement se présente à l’esprit en même temps que le signe indicateur, et on n’a pas besoin de raisonnement. Voilà pourquoi les animaux sans raison évitent l’excès du chaud et du froid, et en général tout ce qui peut leur nuire ; le moyen de salut se présentant à eux en même temps que le mal. Si une esquille ou quelque autre chose a été enfoncée dans la chair, personne ne s’avise de recourir au raisonnement pour retirer le corps étranger ; par conséquent, ce qui a lieu pour les choses que leur évidence fait accepter de tout le monde (car notre intelligence donne, à cause de l’évidence, son assentiment à tout ce qui est au-dessus de la démonstration), arrive également pour ce que fournit cette espèce d’indication. Il y a donc une certaine correspondance de l’indication avee les phénomènes et les choses évidentes. En effet, lorsque le moyen de traitement se présente à notre esprit en même temps que se montre l’action nuisible, nous ne nous servons ni d’observation mediate, ni de raisonnement, attendu que les choses nuisibles elles-mêmes indiquent quel traitement il faut suivre. L’observation a une certaine correspondance avec ce qui est saisi par les signes ; car, de même que nous arrivons, disons-nous, à la connaissance par l’observation médiate, de la même manière nous arrivons à la détermination par l’observation du remède convenable ; en effet, dans certains cas qui se sont présentés très-souvent de la même manière, l’observation conduit au traitement utile sans qu’on saisisse les causes productrices, par exemple l’emploi du pourpier dans l’agacement des dents ; ici la cause prochaine ne nous révèle rien, et le traitement utile n’est pas non plus trouvé par le raisonnement. Pour ceux qui ont pris de la jusquiame, ou quelque poison semblable, le traitement est déduit d’abord de la cause et du lieu. Ainsi on emploie d’abord le vomissement, parce que la cause indique l’expulsion du poison, et que le lieu montre la manière de l’enlever. Quand plus tard [le poison ayant disparu], on ignore la cause [de la diathèse qu’il laisse après lui] on a recours au vin et au lait dont l’emploi est sanctionné par l’observation.

Quand on ignore la cause, et qu’en même temps il n’y a pas eu d’observation antérieure directe, on se sert de l’analogisme pour arriver au traitement, si toutefois le cas est très-semblable par les symptômes à ceux qu’on a déjà observés, car il est impossible, dans de telles circonstances, de saisir le traitement par l’indication, attendu qu’on ignore la cause et qu’il n’y a eu aucune observation directe. On est donc obligé de prendre en considération la similitude des symptômes, et ainsi on passe du semblable au semblable. Exemple : quelqu’un ayant été mordu par un hémorrhoüs (animal indéterminé) est atteint d’une hémorrhagie ; si on ignore la cause de cet accident, et si en outre on n’a pas observé de cas semblable, on a recours au traitement mis en usage contre les hémorrhagies traumatiques. C’est à peu près de cette manière que les médecins de Cnide essayaient de traiter la suppuration du poumon en faisant usage du passage du semblable au semblable. Comme tout ce qui est dans le poumon est rejeté par la toux, ils tiraient au dehors la langue et versaient dans la trachée une liqueur propre à exciter une forte toux, afin de faire rejeter le pus par un mouvement semblable à la toux naturelle. Donc l’analogisme se base sur le passage du semblable au semblable ; c’est en raisonnant par analogie que nous passons du semblable au semblable.

Les empiriques se servent autrement, et par un procédé différent du nôtre, du passage du semblable au semblable, car ils disent que ce passage s’opère d’un moyen de traitement à un autre moyen de traitement, ou d’une maladie à une autre maladie ; d’un moyen de traitement à un moyen de traitement de la manière suivante : quand les mêmes phénomènes accompagnent l’emploi de deux moyens de traitement, alors on opère le passage du semblable au semblable ; ainsi on passe d’une pomme à une nèfle. Mais nous leur dirons que le passage, tel qu’ils prétendent l’opérer, est impossible ; car est-ce en se servant du raisonnement ou de l’observation qu’ils opèrent ce passage ? S’ils répondent : c’est au moyen de l’observation, nous objecterons que le fait et la connaissance du fait est une observation et non un passage du semblable au semblable ; s’ils prétendent que c’est par le raisonnement, nous leur demanderons si c’est en prenant tous les symptômes, ou seulement quelques-uns en considération, qu’ils passent du semblable au semblable ; s’ils disent que c’est en invoquant tous les symptômes, nous leur répondrons qu’on ne saurait rien trouver qui soit semblable à une autre chose sous tous les rapports, car les choses qui ne diffèrent en rien l’une de l’autre sont identiques et non pas semblables. S’ils se contentent de la ressemblance de quelques symptômes, nous leur demanderons : Est-ce d’après la ressemblance de forme, de couleur, de dureté ou de mollesse, du goût, de la bonne odeur, ou est-ce d’après quelque autre considération qu’ils jugent de la ressemblance ? S’ils répondent que c’est d’après le goÙt ou d’après toute autre chose, il est évident qu’ils seront forcés d’avouer qu’ils connaissent les choses utiles par la manière dont elles sont utiles, et, par conséquent, les choses nuisibles par la manière dont elles sont nuisibles. En effet, les choses utiles sont utiles par leur opposition avec les choses nuisibles qui causent la maladie. Si donc on choisit la nètle dans le cas de dyssenterie, parce qu’elle a le même goût que la pomme, il est clair qu’elle agit par une qualité sapide, et comme cette qualité est évidemment l’astringence, on comprend en même temps que les choses nuisibles ont la qualité ou la vertu opposée [à celles des choses utiles]. Si ces moyens de traitement sont opposés à une cause saisissable, il est clair encore que les choses cachées sont également saisissables et qu’il est utile de les connaître.


Chapitre xi. — Continuation du même sujet.


On vient d’exposer comment on arrive au traitement convenable par l’indication, maintenant on va donner une esquisse de l’indication, de l’expérience, de l’analogisme. L’indication est la compréhension de l’utile se présentant en même temps que la compréhension du nuisible, sans observation [antérieure] ni raisonnement ; l’expérience est la compréhension et le souvenir d’une chose vue souvent de la même manière. On peut dire aussi : il y a indication lorsque la compréhension du traitement convenable coincide avec la compréhension des phénomènes, sans démonstration ni observation comparée. L’expérience est l’observation et le souvenir d’un fait qu’on a vu souvent et de la même manière. L’observation réitérée est la même chose que l’expérience. L’analogisme est la comparaison et la compréhension des choses qui soulagent par leur ressemblance.

Puisque nous avons exposé les unes après les autres les opinions propres à chaque secte, nous dirons maintenant les arguments qu’on a opposés à chacune d’elles, c’est-à-dire aux empiriques et aux méthodiques. Les procédés propres aux empiriques sont les suivants : l’observation du traitement convenable sur le concours de symptômes ; l’histoire ; le passage du semblable au semblable, tel qu’ils l’entendent, car les dogmatiques se servent aussi du passage du semblable au semblable, mais d’une autre manière ; nous indiquerons plus tard la différence.


Chapitre xii. — Exposition et réfutation des principes des empiriques. — L’observation déductive, en ce qui concerne les symptômes, est impossible sans le raisonnement pour trouver le traitement utile.


Celui qui contredit les empiriques doit réfuter de deux manières l’observation du traitement sur le concours de symptômes, car l’observation des facultés [des médicaments] est commune à toutes les sectes, mais l’observation sur les symptômes est propre aux empiriques. En effet, il faut ou supprimer cette observation comme tout à fait impossible, ou accorder qu’elle est possible, mais seulement avec l’intervention da raisonnement. Et d’abord, on démontrera de la manière suivante que cette observation sans l’intervention du raisonnement est impossible. Les empiriques conviennent qu’ils n’observent pas le traitement sur tous les symptômes qui se présentent ; ainsi ils affirment par exemple qu’ils ne l’observent pas sur la qualité d’être jaune ou blanc, ou camus, ou aquilin, bien qu’ils tiennent un certain compte de la différence des couleurs, comme chez les ictériques, ou de la forme, comme dans les cas de fractures et de luxations, mais non pas des qualités que nous venous d’énumérer.

De même, disent-ils, que ceux pour qui le traitement se déduit de l’indication, ne soutiennent pas que tout sert à l’indication (car, suivant les méthodiques, quelques-uns des phénomènes fournissent des indications, mais non pas tous, et, suivant les dogmatiques, il en est ainsi pour quelques-unes des choses cachées), de même les empiriques prétendent que l’observation ne se base pas sur tous les symptômes, mais seulement sur quelques-uns, car ils croient que ni tous les symptômes passés, ni tous les symptômes présents ne sont utiles à l’observation. Par exemple, un individu a été mordu par un chien enragé, l’empirique, en arrivant, s’enquiert seulement si le chien était enragé, mais il n’analyse aucun des autres symptômes passés ; il en est de même pour les symptômes présents : il ne s’occupe pas, par exemple, de savoir si les cheveux sont lisses ou crépus naturellement. Il n’est donc pas superflu de leur demander la cause pour laquelle ils n’observent pas le traitement sur tous les symptômes, mais sur quelques-uns seulement, tandis que les symptômes, aussi bien ceux sur lesquels porte l’observation, que les autres qui sont [regardés comme] inutiles, ne diffèrent en rien, en tant que phénomènes. Qu’ils nous apprennent donc ce qui leur indique quels sont les symptômes utiles. Est-ce un phénomène ou une chose cachée ? S’ils répondent que c’est un phénomène qui leur fait distinguer les symptômes utiles sur lesquels doit porter l’observation, nous leur opposerons que ce phénomène, en tant que phénomène, ne diffère en rien des symptômes inutiles ; s’ils disent au contraire que c’est quelque chose de caché qui leur indique les symptômes utiles, ils avoueront que les choses cachées sont utiles pour l’observation des symptômes. Mais les choses cachées ne se comprennent par nul autre moyen que par le raisonnement. Par conséquent ; si l’observation des choses cachées sur le concours de symptômes est utile, et si ces choses ne se comprennent par nul autre moyen que par le raisonnement, il est clair que l’observation est impossible sans le raisonnement ; c’est donc par cette argumentation que vous forcerez les empiriques de convenir que le raisonnement est utile à l’observation.

Ils répondent en disant qu’ils ont appris par l’expérience quels sont les symptômes utiles, et que l’observation leur a enseigné également de quels symptômes il faut tenir compte et de quels il ne faut pas s’occuper. La réponse à cette objection est courte : puisque les symptômes dont on ne doit pas tenir compte dans l’observation sont innombrables, il était impossible d’arriver, pour chacun de ces symptômes, à savoir qu’il ne faut pas baser l’observation sur eux ; car il est impossible de faire porter l’observation sur l’infini. Enfin, traqués de toutes parts, il ne leur reste plus d’autre ressource que de dire qu’ils tirent au sort les symptômes sur lesquels il faut baser l’observation et ceux qu’ils doivent omettre. Qu’y a-t-il de plus ridicule qu’une pareille manière de procéder ? Nous voici arrivés à la fin de cette discussion.


Chapitre xii. — L’observation déductive qui repose sur le concours des symptômes est impossible.


Je vais démontrer par ce qui suit que l’observation du traitement sur le concours des symptômes est impossible. Les empiriques disent donc que l’observation porte non sur un ou deux symptômes, mais sur un très-grand nombre, particulièrement sur ceux qui se montrent le plus souvent et qui se présentent de la même manière. Quand on leur demande s’ils basent le traitement convenable sur l’observation des symptômes de même espèce, ils sont forcés de répondre par l’affirmative ; car si, d’après tels symptômes, ils constatent de la fièvre ou de l’inflammation, et d’après tel autre une évacuation de bile par les vomissements ou par les selles, ils ne pourront pas observer le même traitement [quoique les symptômes soient de la même espèce][8] ; ils ne diront donc certainement pas qu’il suffit que les symptômes soient les mêmes eu égard à l’espèce, mais encore qu’ils doivent être en nombre égal ; en effet, si les symptômes sont les mêmes, mais si tous, ou du moins la plupart, ne coexistent pas, le concours est changé, et il faut avoir recours à une autre observation de traitement, attendu que l’observation doit se faire sur les mêmes espèces et sur des nombres égaux. Nous allons rechercher maintenant comment tout le traitement se change par l’addition ou par l’absence d’un symptôme : il existe pour l’inflammation un traitement fondé sur l’observation ; si donc vous supprimez un symptôme de l’inflammation, par exemple la douleur, le traitement doit changer également, car au lieu de l’inflammation simple il y aura un squirrhe ; alors le même traitement ne convient plus. C’est ainsi que le traitement se change par l’absence d’un symptôme. Il se change de la manière suivante par addition : si à l’inflammation s’ajoute de la fièvre ou de la syncope, par cette addition dans les symptômes le concours devient autre, et on emploie un traitement différent. Mais il ne suffit pas que les symptômes soient les mêmes quant à l’espèce et égaux en nombre, il faut que leur intensité ne soit ni en excès ni en moins, car le traitement varie aussi suivant l’intensité des symptômes. Ainsi nous ne pratiquons pas la suture pour les plaies superficielles, et personne n’emploiera la diète dans ce cas ; s’il y a au contraire une grande plaie, nous recourons à la diète, à la saignée, aux aiguilles et à de semblables moyens.

Mais il ne suffit pas que les symptômes soient les mêmes eu égard à l’espèce, qu’ils soient en nombre égal et d’une semblable intensité, on doit encore considérer le temps ; car, au début des maladies, on emploie d’autres remèdes qu’au summum ; en effet, dit Hippocrate (Aph., II, 29) : « Si au commencement des maladies vous croyez devoir mettre quelque humeur en mouvement, faites-le ; mais au summum tenez-vous tranquille. » Ainsi, au commencement de l’inflammation nous employons les répercussifs, plus tard nous appliquons des cataplasmes, qui peuvent disperser les humeurs d’où naît l’engorgement. Il faut encore considérer dans l’observation l’ordre des symptômes, attendu que le concours change d’après l’ordre, et par cette raison le traitement est nécessairement changé, car vous ne traiterez pas de la même manière ceux qui ont d’abord du délire et ensuite de la fièvre, et ceux qui ont d’abord de la fièvre et ensuite du délire ; attendu que les maladies deviennent ou pernicieuses ou non pernicieuses, d’après l’ordre des symptômes, comme la terminaison le démontre. Ainsi la fièvre qui succède au spasme, non-seulement est exempte de danger, mais résout la maladie ; tandis que le spasme qui succède à la fièvre est pernicieux (Aph., I, 26). Comme le concours des symptômes se change d’après leur ordre, ainsi que cela se voit par la terminaison, on est forcé d’avouer que le traitement est également différent. Donc, puisque les symptômes doivent être les mêmes, eu égard à l’espèce, égaux en nombre, semblables en intensité, et qu’ils doivent aussi apparaître dans le même temps et suivant le même ordre, pour que l’observation soit légitime, et qu’il est impossible que, dans toute la vie, toutes ces conditions se trouvent réunies, non pas chez plusieurs, mais seulement chez deux malades, il est clair que l’observation portant sur le concours des symptômes est impossible.

On pourra montrer de la manière suivante qu’il est impossible que toutes les conditions énumérées se rencontrent ensemble chez toutes, ou même chez plusieurs personnes. Les maladies diffèrent suivant la cause et les lieux affectés, suivant l’âge, les habitudes, l’intensité des symptômes, la nature des individus, les saisons et les localités ; or, il est impossible de rencontrer deux hommes qui se ressemblent sous tous ces rapports ; voilà pourquoi l’observation du traitement sur le concours de symptômes est impossible. Et lors même qu’on trouverait deux malades qui n’offrent aucune différence, l’observation serait encore impossible, puisqu’elle doit se faire sur plusieurs.

Mais, disent les empiriques, comment démontrez-vous votre propre doctrine ? Il leur semble, en effet, qu’il nous est impossible de faire porter notre observation aussi bien sur les symptômes que sur les forces, car c’est par l’observation qu’on a appris la faculté purgative de l’hellébore et le traitement de ceux qui sont blessés par les animaux venimeux ; de même, dans l’agacement des dents, on ne sait pas la cause, mais on a observé que le pourpier le guérissait. Il faut leur répondre que nous déterminons l’utilité des symptômes par leur relation avec le but, et que nous jugeons de l’utilité [d’un traitement] par l’usage. Recueillant donc tous les symptômes et ceux qui sont produits par les causes, comme la pesanteur, et ceux qui dépendent des lieux, comme la dyspnée, et ceux qui dépendent de l’état des forces, comme la lipothymie, nous trouvons que tous ceux-là sont utiles et que les autres sont inutiles. Puis donc que nous avons déterminé les symptômes utiles par leur relation avec le but, nous regardons tous ceux qui dépendent de la cause, des lieux affectés, ou des forces comme utiles, et ceux qui n’en dépendent pas, comme inutiles.

Lors même que nous ne saisirions ni les causes productives de la maladie, ni les lieux affectés par la faculté que nous avons, comme je l’ai dit, de distinguer les symptômes utiles des inutiles, et lors même que nous ne pourrions pas faire porter notre observation sur ce qui cause la maladie, comme sur les causes et les lieux affectés, nous avons d’autres ressources ; par exemple si, dans le cas où le sang gêne, nous ne voyons pas que c’est le sang qui produit la maladie, prenant notre point de départ dans la pesanteur qui se révèle comme symptôme, nous constatons que la cause de la gêne est la pesanteur, et nous pouvons ainsi établir notre observation d’après les symptômes. De même dans la dyspnée, ne sachant pas si c’est l’estomac, ou le poumon, ou le foie, ou le diaphragme, ou quelque autre partie dont l’affection produit ce symptôme, mais certains seulement qu’il s’agit d’une affection locale, nous pouvons établir notre observation d’après les symptômes comme d’après le síége même du mal. Les symptômes qui ne se rapportent ni aux lieux, ni à la cause, ni à la force, nous les tenons pour superflus.

Il faut apprendre aux empiriques d’après quel principe nous observons l’utilité ou l’inutilité des symptômes, en leur disant que nous observons les symptômes eu égard aux espèces seules[9], uniquement dans les circonstances où il n’y a aucune utilité à considérer les forces, l’intensité, l’ordre, le temps, ni quelque autre particularité analogue ; comme dans l’agacement des dents, on déduit l’emploi du pourpier. — Qu’est-ce donc qui nous empêche, répondront-ils peut-être, d’observer de la même manière [dans tous les cas] ? — Vous observez comme nous, leur répondrons-nous, dans les cas où il est utile de prendre les [seules] espèces en considération ; mais dans tous les autres cas, [où nous devons tenir compte du temps, de l’intensité et des forces], il n’y a plus d’accord entre nous. — S’ils nous objectent : la morsure de l’hémorrhoüs est suivie de plusieurs symptômes et vous ne déduisez rien de leur observation. Certainement si, leur répondrons-nous ; seulement notre observation ne porte pas sur les symptômes, mais sur la cause procatarctique (occasionnelle) ; nous cherchons les symptômes afin d’arriver à la compréhension des causes occasionnelles sur lesquelles nous ferons porter notre observation. En effet, ignorant la cause [prochaine] et n’ayant pas de traitement basé sur l’indication, nous faisons porter l’observation sur les causes occasionnelles.

Nous tenons compte non-seulement des causes, mais aussi des parties affectées ; par exemple nous déduisons quelque chose de l’observation de l’affection du foie ou de la rate. Si les empiriques disent : chacune de ces affections est-elle suivie d’un symptôme ? nous leur répondrons qu’il n’y a pas seulement un symptôme, mais plusieurs. Nous nous occupons de ces nombreux symptômes avec un grand scrupule, non pour tirer parti de tous, mais pour saisir ceux sur lesquels nous basons notre déduction. Chez les hépatiques, nous reconnaissons que le foie est affecté, et c’est sur cela que nous basons l’observation qui conduit au traitement ; il en est de même pour les autres maladies. Le plus souvent l’observation déductive est basée sur la cause procatarctique, car l’emploi du pourpier ne se déduit pas de l’agacement des dents, mais de l’affection qui est causée par les substances acides ou fortement astringentes ; par conséquent le pourpier n’est d’aucune utilité quand les dents sont agacées par une fluxion, ou par un vomissement, ou parce que l’on scie quelque chose. Recherchant donc d’abord la cause qui a produit l’agacement, nous mettons cette notion à profit de la manière qui a été dite. Les moyens qu’on emploie dans ce cas ne sont pas dirigés contre les causes occasionnelles, car elles n’existent plus, mais contre les causes prochaines. Voilà ce qu’on pourrait opposer avec raison contre la méthode qui consiste à observer le traitement sur le concours des symptômes. Il faut demander en outre aux empiriques comment ils observent le temps de l’emploi des moyens de traitement, ou leur quantité, ou le temps de donner les aliments, ou leur quantité.


Chapitre xiv. — Que l’histoire telle que l’entendent les empiriques est inutile.


Je vais montrer maintenant que l’histoire, telle que les empiriques l’entendent, est à la fois inutile et impossible. Ils se servent de l’histoire par la raison suivante : souvent il survient certaines maladies pour lesquelles ils n’ont point encore trouvé de traitement basé sur l’observation ; en conséquence, afin d’avoir dans ce cas un secours à portée, et de n’être pas réduits à attendre la terminaison naturelle, ils se servent de l’histoire. Ils y ont recours, non-seulement dans ce but, mais aussi dans celui de rendre l’enseignement moins long, car il est suivant eux impossible que celui qui apprend rencontre tous les symptômes, et qu’il fasse lui-même l’observation sur tous. Ils disent par conséquent que l’histoire est utile à l’exercice de la médecine, pour qu’on ne reste pas élève toute sa vie, et qu’on puisse un jour appliquer l’art soi-même. L’histoire se rapporte soit aux choses présentes, comme :

Ils tuent les hommes, le feu dévore les villes (Iliad., ix, 593) ;

soit aux choses passées :

Les Curètes se battaient ; les Étoliens qui combattaient de pied ferme, (Ib., 529),

mais jamais aux choses futures, car

Il viendra un jour où la sainte Ilion périra (Ib., iv, 164),

n’est pas de l’histoire ; c’est plutôt de la prédiction. Les empiriques se servent le plus souvent de l’histoire qui se rapporte au passé, car ils disent qu’elle est la narration des choses qui ont été observées souvent de la même manière. On leur objectera que si tout ce que raconte l’histoire était vrai on aurait raison de l’accepter pour juge ; mais comme il n’en est pas ainsi, il faut trouver un criterium de l’histoire par lequel nous distinguerons la vérité du mensonge ; car, non-seulement les médecins n’ont pas les mêmes opinions sur les mêmes choses, mais ils professent encore des opinions contraires ; les uns, en effet, traitent les fébricitants par la diète, et ne donnent pas même de l’eau ; d’autres prescrivent de la ptisane depuis le commencement, d’autres prennent le plus grand soin que le malade n’avale pas d’orge. Petronas donnait de la viande de porc rôtie et du vin noir (foncé) peu trempé ; il faisait vomir, et donnait de l’eau froide à boire autant qu’on voulait. Apollonius et Dexippe, auditeurs d’Hippocrate, proscrivaient non-seulement le vin, mais encore l’eau ; ils faisaient de petites coupes en cire, dont douze étaient contenues dans la sixième partie d’un cotyle (demi-centilitre), et donnaient deux ou trois de ces petites coupes à boire au malade. Puisqu’il y a tant de contradictions, comment se passer d’un criterium de l’histoire ?

Ayant donc contraint les empiriques de convenir qu’il ne fallait pas accepter l’histoire sans la juger, car nous montrerons que de cette manière elle est inutile, nous leur demanderons s’ils jugent l’histoire par le raisonnement ou par l’expérience. Mais ils ne peuvent pas le faire par le raisonnement, puisqu’ils le rejettent ici et dans tout autre cas où il s’agit de comprendre et de juger toutes choses de ce genre-là. Or, ils disent que le traitement convenable est compris par l’expérience, il faut par conséquent qu’il soit jugé aussi par l’expérience ; car ce qui arrive pour les autres cas doit arriver également dans celui qui se présente actuellement. Ainsi, quelqu’un raconte que la neige refroidit : pour que cette histoire soit jugée, il faut se servir des mêmes moyens dont l’historien s’est servi. Le dogmatique pourra donc juger une histoire d’après la cause ; car si quelqu’un raconte que chez un homme dont les vaisseaux étaient distendus et qui était alourdi, une hémorrhagie survenant a dissipé le malaise et la lourdeur, le dogmatique juge de la réalité de ce fait en se reportant à la cause qui produit les symptômes, et en examinant si l’hémorrhagie est capable de s’opposer à cette cause ; comme il trouve que la pesanteur et la distension viennent de la pléthore, et que l’hémorrhagie diminue cet état, il comprend que l’histoire est vraie, et il n’a pas besoin d’autre chose pour la juger. Dans le cas où on ne saisit pas la cause, c’est l’expérience même qui juge l’histoire. Par exemple, si on raconte que le pourpier dissipe l’agacement, on se sert de l’expérience pour juger le fait. Il est donc nécessaire que l’empirique juge aussi l’histoire par l’expérience ; mais si l’expérience juge l’histoire, l’histoire devient nécessairement superflue et inutile.

À cela quelques empiriques répondent : Nous jugeons l’histoire en faisant attention au degré de confiance qu’on doit avoir dans l’observateur. Si nous leur demandons alors comment ils jugent de ce degré de confiance, puisqu’on raconte tantôt des choses vraies, tantôt des choses fausses, dans un sens ou dans un autre, ils nous disent : Lorsque l’observateur ne raconte pas par passion de la gloire, ou par attachement à des dogmes, ou par amour de la controverse, alors nous tenons ce qu’il raconte pour vrai. On répliquera d’abord que l’observateur peut être trompé, sans qu’aucune des circonstances précédentes intervienne. Ce qu’il raconte est-il donc vrai, parce que lui n’a apporté ni passion de la gloire, ni attachement aux dogmes, ni amour de la controverse ? En second lieu, quand les empiriques se croient fondés à regarder l’observateur comme un médecin sage, renonçant à juger l’histoire, ils jugent la sagesse d’un homme ; un pareil jugement est du ressort des philosophes et non des médecins. D’ailleurs, par quel moyen décider qu’un observateur n’a été mû ni par la passion de la gloire, ni par l’attachement aux dogmes, ni par amour de la controverse ? En outre, pour juger du degré de confiance, les empiriques emploient un moyen qu’eux-mêmes rejettent ; car, en disant qu’il faut croire un observateur quand il ne raconte ni par amour de la gloire, ni par amour de la controverse, ils expliquent les causes pour lesquelles il faut croire un observateur. Ainsi, la recherche des causes, lors même qu’elle ne serait pas utile à autre chose, serait au moins utile à cela. Nous-mêmes nous ne faisons pas autre chose, et nous disons qu’il faut s’occuper beaucoup du pourquoi, ce que les empiriques eux-mêmes paraissent faire lorsqu’ils jugent l’histoire. Mais nous, nous nous servons du pourquoi, et en général de la cause, pour juger les choses qu’on raconte, tandis qu’ils l’emploient pour juger du caractère de l’historien. Or, porter un jugement sur le caractère, n’est pas l’affaire des médecins, mais des philosophes.

En outre, les empiriques ajoutent encore ce qui suit pour prouver l’inutilité de juger l’histoire par l’expérience : lorsque quelqu’un raconte que Crète est une île, vous comprenez qu’il en est ainsi quoique vous n’ayez jamais vu l’île de Crète par vos propres yeux ; de même, suivant eux, nous n’avons pas besoin de juger l’histoire par l’expérience lorsque plusieurs sont d’accord sur les mêmes choses, mais nous avons confiance dans l’opinion du grand nombre. À cela, nous répondons : Nous croyons ce qu’on nous raconte par rapport à l’île de Crète, c’est-à-dire qu’elle existe, parce que nous prenons notre point de départ dans les raisons probables suivantes : qu’on est venu de Crète ici, qu’on est allé d’ici en Crète, et que nous avons des amis crétois auxquels nous écrivons et qui nous écrivent également des lettres, puisque tous les hommes sont d’accord sur ce point, même les gens les plus ennemis entre eux. Mais pour les faits médicaux, on n’est presque d’accord sur rien ; quoique les médecins soient en très-petit nombre par rapport à tout le genre humain, non-seulement ils ne sont pas d’accord, mais ils ont les opinions les plus opposées, comme nous l’avons montré tout à l’heure. Voilà donc pourquoi on a besoin d’un criterium pour juger l’histoire médicale.

Les empiriques soutiennent encore que parmi les choses compréhensibles quelques-unes se comprennent par les sens, par exemple, la rougeur ; d’autres en frappant l’attention, comme sont celles qui se comprennent à l’aide de certains signes, mais qu’aucune ne se comprend par l’indication ou par quelqu’un des moyens qu’ils ont rejetés. Cependant, puisqu’on comprend que l’île de Crète existe, il est clair, ou que les empiriques ne savent pas que Crète existe, ou, s’ils le savent, qu’il y a une troisième manière de comprendre. Ceci suffit pour montrer que l’histoire qu’ils vantent partout est inutile.


Chapitre xv. — Continuation du même sujet. — L’histoire, comme la comprennent les empiriques, est impossible.


On prouvera en peu de mots qu’il est impossible d’arriver à instituer le traitement utile par l’histoire. En effet, comme nous avons montré dans ce qui précède que l’observation du traitement doit se faire sur des symptômes qui non-seulement appartiennent à la même espèce et existent en même nombre, mais encore ont la même intensité, et apparaissent à la même époque, et qu’il est impossible de noter tous ces symptômes avec toutes ces circonstances sans tenir compte des buts (affection, lieu affecté, état des forces), il est clair que l’histoire est impossible. Comme il a été démontré que le traitement diffère d’après l’intensité, le temps d’apparition et l’ordre des symptômes, et que de plus nous avons établi par les mêmes raisons l’impossibilité d’instituer le traitement sur l’observation du concours des symptômes, on arrive, par les mêmes arguments, à prouver qu’il n’est pas possible de faire une histoire, car il n’est jamais possible de faire une observation [à la manière des empiriques], et jamais possible d’enregistrer ce qui n’a pas été observé[10].


Chapitre xvi. — Comment les empiriques entendent le passage du semblable au semblable.


Maintenant il faut parler du passage du semblable au semblable. Voilà les raisons pour lesquelles les empiriques avaient besoin de ce passage : comme le nombre des cas sur lesquels l’observation devait porter était très-grand et presque infini, que le nombre des moyens de traitement était également infini, et qu’il était impossible à qui que ce soit d’observer tous ces cas, ou du moins la plupart, ils eurent besoin de l’histoire et du passage du semblable au semblable. De plus, lorsque les dogmatiques leur font cette objection : Les hommes de l’art se proposent avant tout d’avoir sous la main une grande quantité de moyens thérapeutiques ; mais vous, en observant un à un les moyens de traitement sur chaque cas, vous arriverez à la disette ; ou si vous êtes obligés d’observer plusieurs moyens de traitement sur un seul cas, vous ne pourrez jamais vous servir de votre art. Vous remarquerez, répondent-ils, que nous nous servons du passage du semblable au semblable, ce qui nous fournit un grand nombre de moyens de traitement ; par exemple, si un individu sujet aux vertiges est pris d’une hémorrhagie après une chute, et qu’il soit guéri de sa maladie, nous partons de ce fait que nous avons observé pour user de la saignée dans un autre cas semblable. D’abord, on pourrait demander aux empiriques comment ils ont compris que l’homme sujet aux vertiges a été guéri par l’hémorrhagie et non par la chute, mais il ne faut pas les prendre à partie sur ce point avant d’avoir établi de combien de manières ils passent du semblable au semblable. Or, ils disent qu’ils passent d’un médicament à un médicament, d’une partie à une autre, ou d’une affection à une autre affection ; d’un médicament à un médicament lorsqu’ils emploient des nèfles au lieu de pommes dans la dyssenterie ; d’une partie à une autre, lorsque, ayant observé ce qui arrive pour une partie nerveuse ou musculeuse, ils passent, par exemple, de la cuisse au bras ; d’une affection à une affection lorsqu’ils transportent le traitement expérimenté contre l’hémorrhagie à la morsure de l’hémorrhoüs. C’est de cette manière qu’ils se servent du passage du semblable au semblable.


Chapitre xvii. — Réfutation des procédés dont les empiriques se servent pour passer du semblable au semblable.


Il convient donc de demander aux empiriques d’abord, quant aux moyens de traitement, comment ils se servent de ce passage du semblable au semblable. Est-ce parce qu’ils font attention à la ressemblance que les médicaments ont entre eux, eu égard à leur propriétés ou à leurs qualités apparentes ? Par exemple, lorsqu’ils remplacent la pomme par la nèfle, regardent-ils ces deux fruits comme identiques, à cause de leur astringence, ou parce que tous deux sont ronds, et que tous deux se ressemblent par la couleur et au toucher ? S’ils disent qu’ils passent du semblable au semblable en prenant en considération la propriété, c’est-à-dire l’astringence, ils avouent qu’ils recherchent les causes de l’astringence d’où dépend la puissance médicatrice des remèdes efficaces. Et certes, en même temps que l’on comprend l’action des moyens utiles, on comprend aussi celle des moyens nuisibles. Mais il leur faut chercher encore autre chose, car il ne suffit pas de savoir que ces fruits sont astringents, attendu qu’il y a beaucoup de substances qui sont astringentes et qui ne produisent pas le même effet. Ainsi les battitures de cuivre sont astringentes et détergent les parties. Si l’on a reconnu que le poivre fait du bien parce qu’il échauffe, on comprend en même temps que ce qui nuit dans le même cas, nuit parce qu’il refroidit.

Si les empiriques disent qu’ils choisissent les moyens semblables en faisant attention à la similitude des qualités extérieures, nous leur demanderons s’il faut que toutes ces qualités soient identiques pour prendre la ressemblance en considération ; mais il est impossible qu’il y ait des médicaments dont toutes les qualités soient identiques, car alors ils seraient les mêmes, et non pas semblables. Ils répondront sans doute qu’ils font attention à la similitude de certaines qualités. Nous leur demanderons alors : Passez-vous du semblable au semblable en tenant compte de la plupart des qualités, ou de la moitié, ou seulement d’un très-petit nombre ? Si un petit nombre de qualités suffisait, presque tous les moyens se ressembleraient, car tous se ressemblent sous certains rapports. S’il faut faire attention à la moitié, ou à un plus grand nombre, pourquoi, leur dirons-nous, n’employez-vous pas dans l’hémorrhagie le chevelu de l’ail ou de l’oignon, comme vous employez celui du poireau, car ces parties se ressemblent par la plupart de leurs qualités. Pourquoi dans les engelures n’employez-vous pas le raifort, de même que vous employez le navet ? Pourquoi dans les affections de l’orifice de l’estomac ne recourez-vous pas au suc de centaurée ou de marrube, à défaut de celui d’absinthe. En effet, ces médicaments ne diffèrent presque pas. Pourquoi, dirons-nous encore, n’employez-vous pas chez les hydropiques le navet au lieu du raifort ? En un mot, il faut rechercher un remède semblable à un autre, et qui ait quelque chose de contraire aux symptômes observés. Nous demandons aux empiriques si, à cause de la seule ressemblance, il faut recourir aux mêmes moyens dans les mêmes cas, et s’ils jugent uniquement de cette ressemblance par les sens, comme c’est leur doctrine. On emploiera la même argumentation pour les autres espèces de passages du semblable au semblable.

Il faut, en effet, prouver maintenant aux empiriques qu’ils ne peuvent passer ni des symptômes aux symptômes, ni des affections aux affections ; car, leur dirons-nous, ferez-vous attention à la ressemblance des symptômes, eu égard à l’état des forces ? Ils répondront que non, car ils ne s’inquiètent pas des forces, mais de la ressemblance sensible. — Passez-vous donc du semblable au semblable quand les symptômes se ressemblent par le plus grand nombre des qualités, ou par la moitié ? Mais le squirrhe et l’inflammation se ressemblent quant à la plupart des qualités ; cependant ils réclament un traitement opposé, et qui ne se ressemble d’aucune façon. La hernie, les tumeurs scrofuleuses ; l’œdème, le meliceris ont entre eux beaucoup d’analogie ; cependant leur traitement est bien différent. Ensuite ceux qui crachent du sang par suite d’une rupture ont des symptômes presque semblables à ceux qui ont une hémoptysie par suite d’érosion ou d’anastomose, et certes le même traitement ne convient pas dans tous ces cas. C’est ainsi qu’on peut prouver que le passage du semblable au semblable, opéré à la manière des empiriques, est impossible.


Chapitre xviii. — Les dogmatiques se servent aussi du passage du semblable au semblable, procédé qu’ils appellent analogisme, mais d’une tout autre manière que les empiriques.


Nous voici arrivés maintenant au moment de montrer comment les dogmatiques peuvent se servir du passage du semblable au semblable. Quelques-uns ne nomment pas cela passage, mais analogisme ; car ils disent que l’expression passage du semblable au semblable est propre aux empiriques, et qu’eux appellent analogisme la méthode qui se rapproche du passage du semblable au semblable, méthode à laquelle, disent-ils, les dogmatiques ont recours. Mais ne disputons pas avec ceux qui changent les noms ; nous démontrons la chose elle-même, et chacun sera libre de l’appeler comme il voudra. Nous disons donc que les symptômes dépendent, les uns des causes, les autres des lieux affectés, ceux-ci des forces, ceux-là des malades eux-mêmes. Le dogmatique distingue tous ces symptômes, discerne ceux sur lesquels on doit faire porter l’observation et ceux qu’il faut négliger ; il ne s’inquiète donc pas de ceux qui n’ont aucune utilité pour le traitement, qu’ils existent ou qu’ils n’existent pas. Si le concours semble changer en quelque chose par rapport aux symptômes inutiles, ils déduisent le même traitement, comme si le concours était resté le même, tandis que l’empirique, qui fait porter l’observation sur le concours en bloc, et qui n’a pas la faculté de discerner les symptômes, doit employer un traitement différent, si un symptôme quelconque manque ou s’ajoute, comme si le concours était changé, car il ignore que le concours change véritablement par l’addition ou l’absence de certains symptômes, comme dans l’inflammation, dans le squirrhe, dans l’œdème, dans la hernie, tandis que dans d’autres cas il n’en est pas ainsi, par exemple, dans l’opisthotonos et dans l’emprosthotonos, l’inflammation paraît n’être pas la même ; mais comme c’est un symptôme qui dépend du malade et non pas de la cause, ni de la partie, ni de l’état des forces, on emploie le même traitement.

L’empirique ignore aussi ce fait, que le concours restant le même, il faut quelquefois ne pas recourir au même traitement. Voici un exemple : dans l’hémoptysie par rupture, par anastomose ou par érosion, les symptômes sont égaux en nombre et semblables ; la toux est entièrement la même ; la quantité de sang rejeté est la même aussi, et tous les autres symptômes se ressemblent ; cependant on a recours à un traitement différent, car le dogmatique, connaissant les symptômes utiles et ceux qui ne le sont pas, prescrira les mêmes moyens de traitement, bien que le concours paraisse souvent différent au vulgaire. Par exemple, les malades qui sont appelés opisthotoniques, ou emprosthotoniques, ou tétaniques, paraissent présenter un concours de symptômes différents. Mais le dogmatique, sachant que la pléthore est la cause de la maladie, que cette maladie est une affection des muscles, et que le résultat est le même, c’est-à-dire une inflammation, usera du même traitement, car il fera uniquement attention aux autres symptômes dont j’ai parle, et laissera de côté celui qui tient au malade comme inutile, car le fait d’être tendu en arrière ou en avant, ou tout droit, est un symptôme qui tient au malade ; il ne faut donc pas plus s’en préoccuper pour le traitement que de l’écoulement des larmes. Si le concours semble être le même, mais non eu égard à la cause reconnue, il emploie un traitement différent, comme chez ceux qui rejettent du sang par érosion ou par rupture. En effet, le dogmatique distinguant les symptômes dans leur relation avec ce qui indique le traitement utile, séparant les symptômes utiles [des inutiles], et employant les moyens qui peuvent s’opposer à ces symptômes, il usera souvent du même traitement, bien que le concours semble différent ; au contraire, il se servira souvent d’un traitement différent quand le concours semble être le même, car la thérapeutique est un symptôme pour ceux qui savent s’opposer aux causes, productrices des symptômes. Le dogmatique saisit donc chacun des moyens qui peuvent s’opposer aux causes morbifiques, et n’ignore pas contre quels symptômes chacun de ces moyens est capable de s’opposer, parce qu’il établit, comme nous l’avons dit, une division dans le concours. L’empirique, au contraire, basant le traitement sur l’observation en bloc du concours, ne peut pas savoir contre quels symptômes chacun des moyens est capable de s’opposer. Cette ignorance le met dans l’impossibilité de se servir du passage du semblable au semblable, car il avouera lui-même qu’il ne sait pas comment ce qui soulage procure le soulagement.


Chapitre xix. — Comment les dogmatiques distinguent les symptômes qu’il est utile d’observer de ceux dont il est inutile de tenir compte.


Comment donc, dira-t-on, le dogmatique distingue-t-il les symptômes utiles des symptômes inutiles ? C’est, répondra-t-on, par leur relation avec le but qui indique ; car, sachant que certains symptômes révèlent les buts qui indiquent le traitement convenable, et que d’autres ne sont pas de cette espèce, il observe les symptômes utiles et laisse les autres de côté. En saisissant les symptômes utiles, il acquiert en même temps la faculté de passer du semblable au semblable. Quelquefois il ne change pas tout le traitement, mais seulement une partie. De même, en effet, qu’il subdivise le concours, il subdivise également le traitement, et il sait quels moyens thérapeutiques s’opposent aux symptômes qui proviennent des causes, et à ceux qui dépendent de la partie affectée et des forces ; car reconnaissant que tel symptôme tient aux causes, tel autre à la partie affectée, tel autre aux forces ; sachant, de plus, que l’espèce du moyen de traitement est réglée par la cause, le mode d’application par la partie affectée et la mesure par les forces, autant qu’on peut le déterminer ici, quand la cause reste la même et que les symptômes qui révèlent la cause se montrent, mais que le lieu et les forces ne sont pas les mêmes, il emploiera le même genre de traitement, mais il ne l’appliquera pas au même endroit et dans la même mesure ; si, au contraire, la cause n’est pas la même, tandis que l’endroit et les forces n’ont pas changé, il n’emploiera pas le même genre de médicaments, mais il l’appliquera de la même manière et dans la même mesure. Puis donc que le dogmatique est en état de diviser le concours et le traitement, il peut, dans les concours qui se ressemblent, transporter avec chance de succès certaines parties du traitement d’un cas à un autre, suivant que cela lui paraît convenable.

L’empirique, au contraire, ne se soucie ni de la cause, ni des symptômes qui révèlent la cause, le lieu affecté ou les forces : aussi ne pourra-t-il pas faire la même chose, et par conséquent il ne peut pas se servir non plus du passage du semblable au semblable, car il ignore en quoi les concours se ressemblent. Il ne peut pas non plus subdiviser le traitement, et appliquer le moyen capable de s’opposer aux symptômes actuels, car s’il dit qu’il peut faire cela, c’est-à-dire établir des divisions dans les symptômes qui constituent les concours et dans le traitement, et s’il sait par quoi le traitement fait du bien ou nuit dans chaque cas, il avoue qu’il reconnaît des causes occultes ; et, s’il en arrive là, il est obligé de confesser qu’il faut emprunter les moyens de traitement à l’indication.


Chapitre xii. — Résumé de la réfutation des empiriques.


Les trois procédés fondamentaux de la secte des empiriques, l’observation, l’histoire, le passage du semblable au semblable, étant donc impossibles, nous avons montré que l’observation est inutile sans le raisonnement et qu’elle est impossible par elle-même. Elle est inutile, parce qu’on a besoin de raisonnement pour discerner d’après quels symptômes il faut baser le traitement utile, car les empiriques eux-mêmes sont d’avis qu’il ne faut pas tenir compte dans l’observation de tous les symptômes passés ou présents qu’offre le malade. Elle est impossible, parce que le nombre des symptômes étant considérable, on ne peut pas, en réalité, les rencontrer tous de telle façon qu’ils forment deux fois le même concours, j’entends l’espèce des symptômes, leur nombre, leur intensité, leur ordre, le temps de leur apparition et les autres conditions analogues, qui toutes doivent être les mêmes. L’histoire est superflue, car elle juge par l’expérience la valeur des faits racontés ; elle est impossible, attendu qu’elle ne peut tenir compte ni de l’intensité des symptômes, ni de l’ordre de leur apparition, considérations sans lesquelles on ne peut arriver au traitement opportun. Nous avons combattu le passage du semblable au semblable, par cela même que nous avons montré qu’il faut nécessairement le baser sur le discernement des actions médicamenteuses utiles ou nuisibles.


Chapitre xxi. — Réfutation des méthodiques par les empiriques et par les dogmatiques. — Principes du méthodisme qui sont communs avec ceux des autres sectes.


Puisque nous avons réfuté sommairement les empiriques, nous devons nous adresser maintenant aux méthodiques. Celui qui veut les réfuter doit concéder ce qui est commun aux diverses sectes, et réfuter ce qu’il y a de particulier dans celle des méthodiques. Les empiriques donc, quand ils réfutent les méthodiques, cherchent à démontrer l’impossibilité d’arriver au traitement par l’indication ; nous, au contraire, nous conviendrons avec eux que le traitement peut être fourni par l’indication, mais nous ne leur accorderons pas que l’indication est fournie par les phénomènes. Nous leur accordons encore que l’indication d’un ou de plusieurs remèdes n’est pas fournie par les symptômes, mais nous n’admettons pas que les symptômes sont tout à fait inutiles ; car il nous semble que les symptômes nous révèlent souvent ce qui peut fournir l’indication du traitement, mais qu’ils sont par eux-mêmes tout à fait inutiles à cette indication.

Voilà quels discours tiennent à peu près les méthodiques. Ils disent : Quand les symptômes sont les mêmes et que les affections dont ils dépendent sont différentes, nous n’employons pas le même traitement, comme dans la phrénitis qui dépend du resserrement et dans celle qui dépend du relâchement ; au contraire, quand les symptômes sont différents et que les affections sont les mêmes, nous employons le même traitement, comme dans la pleurésie et la phrénitis, si elles dépendent toutes les deux du resserrement. Puisque nous employons un traitement différent quand les symptômes sont les mêmes, et aussi quelquefois un même traitement quand les symptômes sont différents, il en résulte que les symptômes sont tout à fait inutiles pour le traitement ; car, en supprimant les affections, on supprime les symptômes, et tant que la maladie persiste les symptômes persistent. Par cette raison, disent-ils encore, les affections sont utiles à considérer, puisque l’existence et la disparition des symptômes sont liées à l’existence ou à la disparition des affections. Les symptômes sont inutiles, attendu qu’ils n’ont aucune espèce de force par eux-mêmes ; s’ils indiquent quelque chose, ajoutent-ils, ils n’indiquent rien d’utile, mais plutôt quelque chose de nuisible : par exemple, la chaleur dans la fièvre indique de refroidir, ou, par Jupiter ! de donner à boire ; ou bien l’envie de prendre du vin ou de se baigner indique de donner du vin ou de conduire au bain. Puis donc que les symptômes n’indiquent rien, ou rien d’utile, mais plutôt quelque chose de nuisible, nous repoussons les symptômes et nous acceptons les affections comme pouvant indiquer le traitement.

Ils posent encore les questions suivantes, afin de démontrer que les symptômes ne sont pas utiles pour indiquer les moyens convenables de traitement : Si la même affection ne peut pas indiquer un traitement opposé, et si les individus qui éprouvent du malaise par suite de resserrement ou de relâchement ont besoin d’un traitement opposé, il en résulte que l’indication du traitement ne se tire pas du malaise. On peut retourner contre eux cet argument, et démontrer que de cette manière-là l’affection n’indique pas non plus le traitement ; si les individus qui ont le corps resserré par le froid ou par la corruption (?) ont besoin d’un traitement différent, et si la même chose ne peut pas indiquer un traitement différent, le resserrement n’indique pas le traitement.

Les méthodiques posent encore les questions suivantes : Si des choses différentes ne peuvent pas indiquer le même traitement, et si la fièvre et la toux indiquent quelquefois la même chose, il est clair que l’indication ne se tire pas de la fièvre ni de la toux. Nous rétorquerons ainsi leur argument : Si les individus resserrés ou relâchés par la bile ont besoin du même traitement, et si des états différents ne peuvent indiquer le même traitement, il est clair que ce ne sont pas le resserrement et le relâchement qui indiquent le traitement utile. Voilà à peu près ce que débitent les méthodiques pour établir que les symptômes sont inutiles.


Chapitre xxii. — La considération des symptômes est utile pour trouver le traitement convenable. — Les méthodiques sont contraints de le reconnaître malgré eux.


Nous établirons d’abord que les méthodiques eux-mêmes reconnaissent par leur manière d’agir que les symptômes ne sont pas tout à fait inutiles ; nous montrerons, en exposant la doctrine des dogmatiques, l’utilité qu’on tire des symptômes. Que les méthodiques regardent la considération des symptômes comme utile pour le traitement, cela me paraît résulter évidemment de ce qui suit : ils sont d’avis de faire coucher dans l’obscurité les individus pris de délire de quelque manière que ce soit, que ce délire tienne au relâchement ou au resserrement, car ils croient que la lumière augmente le délire ; au contraire, ils prescrivent de ne pas faire coucher les léthargiques dans l’obscurité, que cette maladie tienne au resserrement ou au relâchement, car ils pensent que l’obscurité favorise l’assoupissement. Pourquoi donc, disons-nous, si les symptômes n’indiquent rien, faites-vous coucher dans l’obscurité ceux qui ont du délire par resserrement, bien que l’obscurité augmente le resserrement, et pourquoi, au contraire, faites-vous coucher à la lumière les léthargiques par relâchement, bien que la lumière augmente le relâchement ? Dans ce cas, en effet, vous paraissez négliger entièrement les maladies pour ne tenir compte que des seuls symptômes. Comment ces choses, qui ont une telle efficacité qu’elles obligent de négliger non-seulement le but qu’on se propose, mais même de faire le contraire de ce que le but indique, seraient-elles inutiles, car le resserrement donne l’indication de relâcher ? Ceux qui renferment les délirants dans l’obscurité ne relâchent pas, mais resserrent, au contraire, tandis que le relâchement fournissait l’indication de resserrer ; ceux qui exposent les léthargiques par relâchement à la lumière augmentent par ce moyen même le relâchement.

Les méthodiques répondent à cela : Nous employons ce moyen, non parce que le symptôme indique, mais parce qu’il contre-indique, et qu’il empêche d’employer ce que le but indique ; en effet, ils appellent contre-indiquants les symptômes qui indiquent à la vérité ce qu’il est utile de faire, mais qui ne permettent pas de faire ce qu’indique la maladie. À cela nous répliquons que si les contre-indiquants sont inutiles [pour le traitement de l’affection elle-même], les forces, qui souvent ne permettent pas d’employer les moyens qu’indique le but, seraient également inutiles ; mais il faut prendre en considération les forces, quoiqu’elles contre-indiquent, parce qu’il en ressort quelque chose d’utile pour le traitement. Puis donc que vous regardez les forces qui contre-indiquent comme utiles, il est en même temps nécessaire d’admettre que les symptômes sont également utiles. En outre [en s’en tenant à leur principe], les méthodiques emploient l’obscurité d’une manière ridicule chez les phrénétiques, car si l’obscuríté augmente le resserrement et que l’accroissement du resserrement augmente le délire, attendu que les symptômes augmentent et diminuent avec l’affection, ils font précisément le contraire de ce qu’il faut faire. En augmentant la maladie, ils augmentent en effet en même temps le délire : voilà ce qu’il y avait à dire par rapport aux symptômes.


Chapitre xxiii. — Les affections n’indiquent pas le traitement, cela est démontré par les raisons mêmes dont les méthodiques se servent dans le but d’établir que les symptômes sont inutiles pour trouver le traitement.


Quant à la question de savoir si les affections indiquent le traitement convenable, ainsi que le croient les méthodiques, nous prouverons qu’elles n’indiquent pas le traitement, et cela par les mêmes raisons dont ils se servent pour essayer de montrer que les symptômes sont inutiles. Nous disons, en effet : quand les affections sont les mêmes, mais que les causes sont différentes, nous n’employons pas le même traitement ; en effet, l’ischurie est une affection déterminée ; mais si elle est causée par un calcul, nous pratiquons la lithotomie ; si elle tient à l’inflammation, nous appliquons des cataplasmes ; si elle dépend de la distension exagérée de la vessie, nous employons le cathéter, ou, comme le prescrit Érasistrate, nous plaçons le malade sur les genoux et nous touchons l’extrémité de l’urèthre avec de l’aphronitre[11], et le reste. Si l’indication du traitement convenable se tire de l’affection, l’affection étant la même, il y a les mêmes indications d’un même traitement : or, elles ne sont pas les mêmes ; par conséquent les maladies n’indiquent pas ; et encore, si les indications étaient fournies par les maladies[12], les maladies différentes ne fourniraient pas la même indication. Au contraire les causes étant les mêmes, mais les affections étant différentes, nous employons le même traitement. Le choléra et l’ictère sont des affections différentes (les méthodiques l’avoueront presque eux-mêmes), parce que la première est un resserrement et la seconde un relâchement ; cependant nous employons dans les deux cas l’évacuation. Puisque les manifestations de maladie disparaissent avec les causes et qu’elles se montrent tant que les causes subsistent, puisque nous employons, quand les causes sont différentes, un traitement différent quoique les affections soient les mêmes, tandis que si les causes sont les mêmes nous employons le même traitement, quoique les maladies soient différentes ; nous devons donc rechercher les causes, les affections et les parties affectées.

On peut démontrer la même chose de la manière suivante : la même affection, comme le resserrement, est engendrée par des causes différentes ; en effet, le feu resserre la surface des parties qu’il vient frapper ; il en est de même pour le froid ; et bien que l’affection soit la même, nous employons un traitement différent en raison de la différence des causes ; car nous guérissons le resserrement produit par le feu au moyen d’affusions et de cataplasmes propres à enlever les escharres, et nous traitons le resserrement par l’action du froid, à l’aide de fomentations, de raclures de navets et de moyens semblables. Si les méthodiques objectaient que dans les deux cas nous employons le même traitement, c’est-à-dire le relâchement, nous leur répondrions : Si le traitement ne diffère en rien, nous ne commettrons pas de faute en les substituant l’un à l’autre : nous emploierons pour celui qui a souffert du feu les mêmes moyens de fomentation que pour celui qui a souffert du froid ; nous appliquerons des cataplasmes à celui qui a souffert du froid, et nous le traiterons par des médicaments propres à enlever les escharres ; mais nous n’agissons pas ainsi, car il en résulterait du dommage. D’où il suit, par conséquent, qu’on ne peut pas dire que c’est le même traitement dans les deux cas. Remarquez encore que la même cause produit des affections différentes, car les uns sont affectés d’inflammation par la pléthore, or l’inflammation est un resserrement ; les autres ont des hémorrhagies, or l’hemorrhagie est un flux ; mais le traitement ne change pas d’après la différence des affections ; en effet, dans les deux cas, l’évacuation, étant opposée à l’affection, guérit ; car, les méthodiques l’avouent eux-mêmes, les indications ne doivent pas se tirer des causes efficientes, mais des effets produits.

Les méthodiques admettent bien la considération des affections, en tant que causes, puisqu’elles produisent les symptômes ; seulement ils disent qu’elles ne fournissent pas d’indications comme causes, mais comme communautés. Rien n’empêche, ajoutent-ils, de regarder la même chose tantôt comme cause, tantôt comme communauté, tantôt enfin comme une autre chose ; par exemple : une pomme affecte le goût, la vue et le toucher ; quand nous disons qu’elle est douce, nous ne disons pas cela en tant qu’elle affecte le toucher ; ainsi rien n’empêche les affections d’être les produits d’une chose et de produire une autre chose ; mais quand nous disons qu’elles indiquent, nous ne disons pas qu’elles indiquent comme produit, ou comme facteur, mais comme communauté. De même donc que les méthodiques disent que les symptômes n’indiquent aucun traitement utile parce que les mêmes symptômes sont produits par des causes différentes, et des symptômes divers par les mêmes causes, de même, en voyant que les mêmes affections sont produites par des causes différentes, et des affections diverses par les mêmes causes, nous disons que les causes sont inutiles pour indiquer le traitement convenable ; si ce qui est un indiquait toujours la même chose, nous emploierions toujours le même traitement dans l’ischurie. Comme ils prétendent aussi que la rougeur n’indique rien, pensant qu’elle est de l’espèce des produits ; de même nous dirons que les affections sont inutiles pour l’indication, parce qu’elles sont tantôt de l’espèce des causes et tantôt de l’espèce des produits.

Toutefois on pourrait leur objecter : la rougeur n’indique-t-elle pas qu’elle doit être enlevée ? car on saisit par son intermédiaire une communauté, puisqu’on l’observe dans plusieurs cas différents ; en effet la communauté est l’identité dans la multiplicité ; par conséquent, si elle indique et si elle est commune à beaucoup de cas, pourquoi déduisez-vous les indications thérapeutiques non de cette rougeur, et de semblables symptômes qui se montrent avec évidence, mais des affections, le resserrement et le relâchement n’étant pas du tout accessibles aux sens ni à la démonstration ? Car il est tout à fait ridicule de dire d’une affection qui ne se révèle pas aux sens, que c’est une affection[13].

Si donc le resserrement et le relâchement étaient seuls des communautés, on aurait quelque apparence de raison en disant qu’eux seuls indiquent ; mais comme les symptômes sont également communs à plusieurs affections, pourquoi l’indication du traitement convenable ne se tire-t-elle pas également des symptômes ? Les méthodiques répondent : Comme les symptômes ne sont pas liés à l’affection directement, et qu’ils ne sont pas indispensables au médecin, nous les rejetons. Quand les affections sont les mêmes et que les symptômes sont différents, nous employons le même traitement ; et quand les affections sont différentes, nous recourons à une médication différente, comme cela a été démontré ailleurs. C’est pourquoi, répliquerons-nous, voyant arriver pour les affections la même chose que ce que vous avez observé pour les symptômes, nous rejetons maintenant les affections comme inutiles, car il est même superflu de démontrer encore ici l’inutilité de la compréhension de l’affection, attendu qu’il suffit, pour le traitement, de saisir la cause, de reconnaître l’endroit affecté et la mesure des forces, et il est inutile de s’enquérir encore si c’est un relâchement ou un resserrement ; mais nous parlerons de cela plus tard, quand nous expliquerons sous quel rapport il est utile de prendre en considération l’affection (voy. la note du dernier chap.).

Chapitre xxiv. — Les affections n’indiquent pas le traitement, mais elles indiquent seulement qu’elles doivent être éloignées et supprimées.


Disons toutefois aux méthodiques que les affections n’indiquent pas ce qu’il faut faire, mais seulement qu’elles doivent être éloignées et supprimées ; or c’est précisément ce qu’on désire. Il est clair pour le vulgaire et même pour les animaux sans raison que les affections indiquent leur suppression et que la santé indique la conservation de cet état. Mais les hommes de l’art ne s’enquièrent pas de cette indication ; ils cherchent à connaître par quels moyens s’opèrent la suppression des affections et la conservation de la santé, par conséquent ils ont besoin de quelque chose qui leur indique les moyens convenables spéciaux, ceux à l’aide desquels on peut obtenir la santé ou la conserver ; car les hommes de l’art se distinguent du vulgaire en saisissant ce qui indique les moyens de traitement particulier pour chaque cas. Si l’indication des moyens convenables se tirait des affections, ceux qui en sont atteints sauraient par quels moyens il faut se procurer la santé ; ils l’ignorent, mais ils savent quelle indication fournit l’affection ; en effet, comme elle indique la suppression, ils envoient chercher les médecins qui peuvent supprimer les affections.


Chapitre xxv. — Ce sont les causes et non les affections qui indiquent les moyens de traitement ; ces moyens mêmes le prouvent.


On peut aussi reconnaître par les moyens thérapeutiques employés que ce ne sont pas les affections, mais les causes qui indiquent le traitement, car les moyens thérapeutiques s’opposent aux causes efficientes et à ce qui est en voie de formation. Ainsi l’évacuation s’oppose à la plénitude, mais non pas à une affection, par exemple à l’inflammation ou à la fièvre ; la pléthore étant supprimée par l’évacuation, on supprime en même temps l’affection causée par la pléthore. Puisque l’affection est supprimée en même temps que la cause, le traitement n’était donc pas dirigé contre l’affection. On peut encore connaître, en comparant les symptômes produits par la pléthore et par l’évacuation, que le moyen de traitement était dirigé contre la cause, car la pléthore cause de la pesanteur par la surabondance ; et l’évacuation, en diminuant la surabondance, enlève la pesanteur ; en second lieu, la pléthore distend les vaisseaux, l’évacuation les affaisse. Vous trouvez également que les autres moyens de traitement sont dirigés contre la cause et qu’aucun ne l’est contre l’affection. On apprendra encore par là que si le resserrement et le relâchement n’indiquent pas un remède, mais plutôt une affection ; et si le relâchement est opposé au resserrement, le resserrement n’indique pas l’évacuation, mais le relâchement ; de même le relâchement indique le resserrement. Donc, ce que nous employons, ce n’est pas l’affection qui l’indique, tandis que les causes nuisibles indiquent leur contraire ; or, nous employons ce qu’elles indiquent[14]. Par conséquent ce ne sont pas les affections, mais les causes qui indiquent le traitement convenable. Nous avons donc suffisamment démontré que les symptômes ne sont pas tout à fait inutiles, que les affections ne sont pas capables d’indiquer le traitement convenable, mais que ce sont les causes qui l’indiquent.


Chapitre xxvi. — Pour les méthodiques, la médecine est la connaissance des communautés apparentes. — Que leurs communautés ne sont pas apparentes par elles-mêmes, et qu’on n’en peut pas tirer directement l’indication des moyens de traitement.


Maintenant il faut examiner si les communautés, que les méthodiques prennent pour point de départ, sont apparentes ou non, et si les indications peuvent se tirer de ces communautés ou non. Définissant la médecine d’après les principes de leur secte, ils disent qu’elle est la connaissance des communautés apparentes ; ils ne prennent pas le mot apparent dans le sens de perceptible aux sens, car aucune diathèse n’est accessible aux sens, mais ils appellent apparent ce qui se comprend par soi, lors même que ce n’est pas une chose sensible ; car, pour eux, apparent et évident sont à peu près synonymes. Par conséquent, celui qui les combat doit nécessairement montrer qu’ils ne savent pas faire usage des mots grecs. Mais pour que nous ne semblions pas tenir aux mots, nous leur céderons leur apparent, tel qu’ils l’emploient, et nous montrerons que les communautés ne se comprennent pas d’elles-mêmes. Et d’abord, nous leur ferons voir que Thessalus, le chef de leur secte, expose les signes des communautés comme étant des choses qui ne se comprennent pas naturellement par elles-mêmes. Ainsi, chez le malade, on peut, dit-il, reconnaître le resserrement, parce que le corps transpire difficilement ; de la même manière, il expose quelques signes du relâchement. Peut-être répondront les méthodiques, vous parlez contre un homme et non contre notre doctrine. Laissant donc Thessalus de côté, nous démontrons ce que nous nous étions proposé ; par conséquent nous employons d’abord un argument commun, pour les deux diathèses, afin de montrer qu’elles ne sont pas apparentes et qu’elles ne se comprennent pas par elles-mêmes ; ensuite nous prouverons, pour chaque diathèse en particulier, qu’elle ne se comprend pas par elle-même.

Les méthodiques avouent eux-mêmes que toute condensation des corps, ou que toute rétention d’excrétion n’est pas un resserrement. Ainsi, les paysans ont le corps plus dense que les autres individus, cependant ils ne sont pas dans un état de resserrement. La rétention des flux habituels n’est pas non plus un resserrement. En effet, quand l’évacuation habituelle aux femmes est empêchée par la grossesse, c’est la rétention d’une excrétion habituelle, mais non pas un resserrement. Ensuite, toute raréfaction du corps ou toute excrétion n’est pas un relâchement, car les enfants, les femmes et les hommes qui vivent mollement sont naturellement d’une complexion peu dense, et l’évacuation des excréments est une excrétion et non pas un relâchement. — Les méthodiques ne diront pas non plus que les évacuations critiques, par exemple les déjections alvines, l’excrétion des urines, les sueurs, les hémorrhagies sont des relâchements, car ils devraient en ce cas s’opposer à ces excrétions. Puis donc que toute condensation et toute rétention n’est pas un resserrement, et que toute raréfaction et toute excrétion n’est pas un flux, il est clair qu’il est impossible de reconnaître le relâchement et le resserrement en faisant attention uniquement aux symptômes, mais qu’il faut les discerner par d’autres moyens. De même, en effet, qu’on ne peut pas déterminer par eux-mêmes, pour les symptômes autres que le resserrement et le relâchement, s’ils sont selon la nature ou contre la nature, mais qu’il faut recourir à autre chose, de même le resserrement et le relâchement ne se reconnaissent pas par eux-mêmes.

Ce que je viens de dire sera éclairci de la manière suivante : les symptômes conformes à la nature ont beaucoup de ressemblance avec les symptômes contre nature, car les mêmes symptômes sont naturels pour certains individus, tandis que pour d’autres ils sont contre nature ; par exemple, la couleur noire contre nature est semblable à la couleur noire naturelle : pour nous elle est contre nature, pour les Indiens elle est naturelle. Les positions contre nature sont semblables aux positions selon la nature, car les uns ont les articulations plus saillantes que les autres. Le nez effilé, les yeux creux sont des symptômes de mort chez les uns et sont une disposition naturelle chez les autres. Le mouvement et le repos, s’ils se font volontairement, sont selon la nature ; quand ils sont involontaires, ils sont contre nature. Il est clair par là qu’en faisant attention uniquement aux symptômes, il est impossible de discerner ce qui est selon la nature de ce qui est contre nature, mais que dans quelques cas il faut examiner la cause qui les produit. Par exemple, dans le mouvement, il faut rechercher s’il est volontaire ou involontaire ; de même pour la couleur, comme elle tient aux humeurs, et que le sang se traduit par la couleur, il faut examiner si le sang est dans un état normal : vous le verrez par son utilité, car si le sang remplit sans empêchement toutes ses autres fonctions, et qu’il ne cause en outre ni distension ni pesanteur, vous direz que la couleur est selon la nature. Quant à la position, vous comprenez si elle est selon la nature par l’usage du membre, comme chez ceux qui ont des luxations. Certaines choses sont jugées être selon la nature suivant le lieu où elles se présentent. De même, la condensation et la raréfaction sont selon la nature chez les uns, et contre nature chez les autres ; car la condensation selon la nature chez les vieillards serait contre nature chez les enfants. Chez les enfants la raréfaction est naturelle, tandis qu’elle est contre nature chez les vieillards. Quelques-uns ont aussi le corps dense par suite de leur genre de vie, comme les paysans ; d’autres à la suite de quelque accident ; cependant ils sont dans leur état normal. Par conséquent il n’est pas possible de comprendre les diathèses en faisant simplement attention à la condensation ou à la raréfaction du corps ; c’est en les rapportant à quelque autre cause qu’on discerne si elles sont selon la nature, ou si ce sont des affections.

Les méthodiques disent qu’on distingue les symptômes selon la nature des symptômes contre nature par la modération ou l’exagération. En effet, quand le corps se trouve dans un état modéré de condensation ou de raréfaction, l’individu est sain ; mais quand l’une de ces choses, en s’augmentant, a dépassé l’état naturel, il est clair que l’individu est nécessairement malade. On doit leur répondre que la juste mesure et l’excès sont différents d’après la diathèse. D’ailleurs, si on admet que les affections se distinguent par l’exagération, on convient par cela même qu’elles ne se comprennent pas par elles-mêmes. — On peut encore dire que la juste mesure et l’excès ne sont pas apparents et se comprennent par les effets. Si le résultat est bon, il y a mesure exacte, s’il est mauvais, il y a excès. Comment donc, lorsque cette juste mesure et cette exagération ne sont pas accessibles aux sens, ce qui est révélé par eux le serait-il ? Et même, quand la juste mesure et l’excès se jugeraient d’après le degré de forces, l’excès ne serait pas apparent, car les forces ne sont pas apparentes. Or, si l’excès n’est pas apparent, les communautés ne sont certainement pas apparentes non plus, car elles sont aussi une espèce d’excès.

Il faut dire encore aux méthodiques qu’il n’y a aucune chose selon la nature ou contre nature qui n’apparaisse, mais qu’il n’apparaît pas qu’elles sont selon la nature ou contre la nature[15] ; car la douleur et les autres choses de cette espèce qui sont contre nature apparaissent, mais il n’apparaît pas qu’elles sont contre nature. Les médecins veulent comprendre, non pas ce que sont les choses, mais si elles sont contre nature. En effet, un nez effilé ou des yeux creux sont apparents pour tout le monde, mais le médecin sait seul s’ils sont selon la nature ou contre nature ; car les médecins diffèrent en cela du vulgaire, qu’à l’aide de ce qui apparaît ils peuvent saisir quelque chose de caché que le vulgaire ne peut pas comprendre. Or, comme être contre nature n’est pas une chose apparente, et que les communautés sont contre nature, il est évident qu’elles n’apparaissent pas [en tant que contre nature]. Un homme quelconque a-t-il jamais envoyé chercher un médecin parce qu’il était gêné par une condensation ou une raréfaction exagérée ; cela est digne de remarque. Mais si personne ne perçoit les communautés par les sens, comment est-il raisonnable de dire qu’elles sont apparentes ? Et si les communautés n’apparaissent pas, comment les méthodiques professent-ils que l’art et la connaissance des communautés sont apparents ?


Chapitre xxvii. — Ce que c’est que le resserrement pour les méthodiques, et s’il se comprend par lui-même.


Maintenant nous traiterons en particulier de chacune des diathèses, et nous devons parler d’abord du resserrement. Les méthodiques disent donc que le resserrement est la condensation et la rétention des matières qui doivent être excrétées ; or les matières retenues sont nécessairement ou utiles, ou nuisibles, ou indifférentes ; si elles sont utiles, il est déraisonnable de les évacuer, si elles sont indifférentes, il n’y a pas d’affection ; il reste donc à dire qu’il y a resserrement quand les matières retenues sont nuisibles ; mais ce qui fait du mal est une cause, par conséquent on comprend le resserrement par l’intelligence préalable des causes ; en effet, pour savoir qu’il y a resserrement, il faut reconnaître d’abord que les matières retenues sont nuisibles ; mais la connaissance des causes arrive en même temps que la compréhension des choses nuisibles, ou plutôt la connaissance des choses nuisibles est la compréhension même des causes ; à leur tour les choses nuisibles qui sont des causes ne se comprennent pas par elles-mêmes [en tant que causes]. En conséquence, non-seulement le resserrement mais encore les choses par lesquelles on le saisit, ne sont des faits apparents.


Chapitre xxviii. — Ce que c’est que le relâchement, et s’il se comprend par lui-même. — Hippocrate et Érasistrate avouent ne pas pouvoir distinguer le flux de la colliquation ; prétention ridicule des méthodiques, qui prétendent reconnaître certainement le flux contre nature du flux naturel.


Les méthodiques définissent le relâchement, en disant que c’est une raréfaction démesurée des corps (des parties) et une excrétion des matières qui devaient être retenues. Nous avons démontré qu’une raréfaction démesurée ne se comprend pas par elle-même. Mais d’où comprend-on que la matière à évacuer doit rester dans le corps ou non ? car cela ne se comprend pas par soi-même. Il est clair que le relâchement ne se comprend pas non plus par lui-même, car pour reconnaître le relâchement, il faut déterminer d’abord ce qui est normal, et on arrive à cette détermination par l’usage, et on connaît l’usage par les produits ; comme à son tour le flux ne se reconnaît que par plusieurs intermédiaires, lesquels ne se comprennent pas par eux-mêmes, comment serait-il donc raisonnable de dire que le flux apparaît ? Peu s’en faut même que la chose regardée justement par les dogmatiques comme très-difficile à comprendre, ne soit considérée comme très-apparente par les méthodiques ; car ce qu’ils appellent relâchement ne diffère que par le nom de ce que les anciens nomment colliquation (συντήξις). Les anciens croyaient que la différence entre la colliquation et l’excrétion était si difficile à établir, qu’Érasistrate avoue franchement que c’est là la chose la plus difficile à discerner ; voici ses paroles : « Il est tout à fait difficile de discerner l’excrétion et la colliquation. » Hippocrate s’en rapporte, pour les distinguer, à cette circonstance que l’évacuation est bien ou mal supportée. « Si les malades, dit-il, sont purgés comme ils doivent l’être, cela leur fait du bien et ils le supportent facilement (Aph., I, 2). » Ainsi, tandis que de deux médecins anciens qui luttent pour le premier rang, mais qui sont d’accord pour avouer que l’excrétion se distingue difficilement de la colliquation, l’un ne donne aucun signe de l’évacuation et indique seulement la difficulté de la distinction, et l’autre fait dépendre la distinction d’une règle difficile à saisir, les méthodiques sont d’avis que cette distinction est évidente.

Quant à la perspiration insensible, comment diront-ils qu’ils y reconnaissent le relâchement ? Ils ne peuvent pas dire que c’est au moyen de l’affaissement (σύμπτωσις), attendu que l’affaissement ne s’observe pas seulement chez les individus qui ont une évacuation par relâchement, mais aussi quand les menstrues sont retenues par le resserrement. De même la tuméfaction ne se montre pas seulement par suite de resserrement dans le cas de rétention des matières qui doivent être évacuées, mais aussi dans le cas de flux, lorsque les liquides atténués sont répandus et distendent le corps. On verra par ce qui suit que l’affaissement perceptible aux sens et le relâchement ne sont pas la même chose : si l’affaissement est accessible aux sens et si la tuméfaction est le contraire de l’affaissement, et si une chose est opposée seulement à une autre, le contraire du relâchement sera, non pas la tuméfaction, mais le resserrement. S’ils disent que la tuméfaction est la même chose que le resserrement, il faut leur montrer la contradiction des définitions ; car ils professent que le resserrement est un foulement et une constriction des corps, donc le resserrement est un foulement et une constriction des corps, et la tuméfaction est la fusion et la distension des corps. Or les corps se distendent ou par la pléthore ou par la fusion ; il est clair par conséquent que le gonflement et le resserrement ne sont pas la même chose. Si les méthodiques conviennent que l’affaissement est autre chose que le relâchement, et le gonflement autre chose que le resserrement, et s’ils disent que les communautés ne se comprennent pas, ils confessent que les diathèses se comprennent par un intermédiaire et non par elles-mêmes, puisqu’ils les reconnaissent au moyen de l’affaissement et du gonflement, qui sont des choses différentes des diathèses.


Chapitre xxix. — C’est à tort que les méthodiques pensent reconnaître le relâchement par certains signes extérieurs.



Quelques-uns disent que chez les individus qui s’épuisent par la perspiration insensible aux sens, ils constatent le relâchement par le fait que les corps sont mous, sans résistance et énervés. Si donc les corps sont durs et fortement tendus, nous ne devrons pas dire qu’il y a flux, les méthodiques doivent nécessairement le reconnaître. En conséquence, s’il se présente quelques-uns de ces malades dont parle Hippocrate (Progn., § 2), qui, par l’excès de la privation d’aliments, sont parvenus au point d’avoir la peau dure et fortement tendue et de présenter les autres symptômes propres aux individus épuisés par la perspiration, emploierons-nous dans ce cas-là le traitement propre à ces derniers malades, ils sont obligés d’en convenir. Comment donc le flux se reconnaît-il par la raréfaction ? car quoiqu’il y ait tension considérable et dureté il n’en existe pas moins un flux ?

Chapitre xxx. — Les communautés, lors même qu’elles seraient apparentes, n’indiqueraient rien d’utile pour le traitement.


Maintenant on démontrera par les arguments suivants que les communautés, lors même qu’elles sont apparentes, n’indiquent rien d’utile ; car, dirons-nous aux méthodiques, il ne revient pas au même que les communautés elles-mêmes indiquent, ou que les moyens d’indication soient saisis par l’intermédiaire des communautés. Les méthodiques disent donc que les communautés elles-mêmes indiquent ; mais nous, nous disons que l’intelligence des communautés est utile pour la connaissance de ce qui peut fournir les indications particulières ; les théorèmes étant, pour ainsi dire, des communautés, fournissent l’intelligence des cas particuliers. En effet, dans cet aphorisme (I, 3) : « Les lassitudes spontanées annoncent les maladies, » nous comprenons la relation des cas particuliers des lassitudes spontanées avec la pléthore ; il faut rapporter en effet dans le cas cité le mot maladie à la pléthore. La compréhension de l’universel fournit donc l’intelligence du particulier qui peut indiquer le traitement utile.


Chapitre xxxi. — Utilité des théorèmes dogmatiques qui correspondent, en quelque sorte, aux communautés méthodiques. — Manière de constituer ces théorèmes.


Il ne faut pas croire que nous supposons pouvoir, au moyen des théorèmes, saisir directement ce qui indique le traitement convenable, car les théorèmes ne révèlent pas les choses cachées dont on a besoin comme moyen d’indication pour le traitement ; ils enseignent seulement la relation des choses cachées avec les choses apparentes. Nous apprendrons plus exactement l’utilité des théorèmes si nous appliquons ce que nous venons de dire à l’aphorisme (I, 3) : « Les lassitudes spontanées indiquent les maladies. » Que la lassitude soit spontanée, c’est ce que le vulgaire sait, car c’est une chose évidente. Que la lassitude spontanée révèle la pléthore, c’est ce que le vulgaire ignore, car c’est une chose cachée, tandis que les gens de l’art le savent, parce qu’ils ont saisi par le théorème la relation entre la spontanéité et la pléthore. En effet, en prenant son point de départ dans la relation de la lassitude spontanée avec la pléthore, le médecin qui veut faire le théorème, comprenant que la lassitude spontanée est un produit de la pléthore, a constitué en effet le théorème. Comme il sait qu’il existe une différence capitale dans les causes, que les unes sont en dehors de nous et les autres dans le corps lui-même, il regarde comme nécessaire, lorsqu’il n’existe pas de cause externe, que nous ne souffrions pas par autre chose que par une cause qui réside dans le corps ; mais comme dans le corps les choses qui produisent la pesanteur, la produisent par surabondance de matière, de sorte que si la mesure est convenable elle ne produit ni pesanteur ni inconvénient, le médecin réunit ces données en un raisonnement et fait le théorème suivant : les lassitudes spontanées indiquent la pléthore ; car c’est en partant des mêmes raisonnements d’où est parti pour le former celui qui constitue le théorème, qu’il montre l’utilité du théorème : or le théorème révèle la règle générale, c’est-à-dire que là où il y a lassitude spontanée il y a toujours pléthore ; cependant le théorème ne lui a pas fait saisir la pléthore, mais la relation entre la lassitude et la pléthore, et c’est à l’aide de cette relation qu’il a saisi la pléthore. Le médecin saisit par conséquent, pour ainsi dire, la pléthore par la lassitude, et c’est au théorème qu’il doit de l’avoir saisie par ce moyen. En examinant les autres théorèmes, nous découvrirons qu’ils ont la même utilité. Nous pensons donc que la compréhension de l’universel et, pour ainsi dire, du commun, est utile.


Chapitre xxxii. — Que les communautés n’indiquent pas les moyens de traitement. — Discussion sur la manière dont les méthodiques entendaient le mot communautés. — Que les méthodiques n’ont pas que deux communautés.


Les méthodiques pensent que les communautés elles-mêmes indiquent le traitement convenable, car ils disent que le resserrement indique qu’il faut relâcher, et que le relâchement réclame un traitement astringent ; ils admettent en outre que les autres communautés (voy. la fin du chap.) indiquent différentes autres choses apparentes dont nous parlerons. Nous prouverons par ce qui suit que les communautés n’indiquent pas. Les moyens de traitement font disparaître ce qui doit être enlevé pour que les malades deviennent bien portants ; l’indication du traitement convenable se tire des choses que les moyens de traitement enlèvent principalement ; or les moyens de traitement enlèvent principalement les causes spéciales, et s’ils enlèvent les causes, ils enlèvent en même temps les maladies ; par conséquent les causes spéciales indiqueraient le traitement convenable, et ce ne sont pas les communautés, comme communautés, qui l’indiquent. Si les moyens de traitement suppriment ce qui a indiqué, les communautés seront supprimées par les moyens de traitement employés dans chaque cas particulier, et la communauté étant enlevée [chez un malade], tous ceux qui étaient malades en même temps par la même communauté deviendront bien portants sans qu’aucun périsse par elle, car si ce qui indique est supprimé, et si les communautés indiquent, il est clair que les communautés seront supprimées. À cela les méthodiques nous répondent : nous soutenons qu’une communauté est une et la même, non parce qu’elle forme [comme vous paraissez nous le faire dire] un corps continu et qu’on observe ensuite sur plusieurs individus, mais en tant qu’elle est une même espèce ; car de même qu’on appelle l’humanité une communauté, bien que ce ne soit pas un corps unique et observé ensuite chez tous les hommes. mais une similitude dans plusieurs, c’est de même, ajoutent-ils, qu’il faut se représenter la communauté [médicale]. Lors donc, continuent-ils, qu’un homme meurt, cette humanité que nous voyons en tous n’est pas morte en même temps, mais il n’y a de mort que l’humanité d’un seul individu ; de même la communauté partielle étant enlevée, la communauté générale n’est pas enlevée ; il n’y a de détruit que la communauté partielle. Il faut leur répondre que si les communautés indiquent le traitement utile à titre de communauté, l’humanité qui est une communauté indiquerait quelque chose d’utile, mais l’humanité n’indique rien, donc aucune autre communauté n’indiquera le traitement utile. Ensuite, si la communauté est une similitude dans plusieurs individus, et si les communautés indiquaient en tant que communautés, le malaise et la rougeur que l’on observe dans plusieurs maladies indiqueraient quelque chose d’utile : or ils n’indiquent rien du tout, par conséquent les autres communautés n’ont aucune nature indicative.

Il faut demander encore aux méthodiques si les communautés sont des affections ou non ; si ce sont des affections, on leur demandera comment personne ne les a jamais senties ; au contraire, on s’aperçoit par la souffrance de la fièvre, de l’inflammation, de la pesanteur, de la distension, et c’est ce qui engage à faire venir le médecin. Mais jamais personne n’a ressenti le relâchement et le resserrement, ni, par Jupiter, n’a envoyé chez le médecin parce qu’il était gêné par un resserrement ou un relâchement démesurés. Si ce ne sont pas des affections, comment disent-ils que les indications se tirent des affections, puisque le resserrement et le relâchement ne sont pas des affections ? Ensuite il faut aussi leur objecter que si les communautés avaient une nature indicative, la communauté des communautés indiquerait plus que toutes les autres, car il y a entre le resserrement et le relâchement une certaine similitude par laquelle ces deux états sont des communautés ; mais cette communauté n’indique rien du tout, donc les autres n’indiquent rien non plus [par leur nature].

Mais les méthodiques disent qu’il n’y a pas seulement deux communautés, qu’il y en a plusieurs, les unes dans le régime, l’autre dans la chirurgie ; dans le régime, le resserrement, le relâchement et l’intensité [qui résulte de la complication de ces deux communautés]. Ils reconnaissent quatre temps dans les maladies : le début, l’augment, le summum et le déclin, puis l’aigu, le chronique, le redoublement et la rémission. Ils distinguent en chirurgie ce qui est étranger par sa nature, par l’endroit, par le temps et beaucoup d’autres choses (cf. sectes aux étud., ch. vi). Mais il ne convient pas de chicaner pour le moment sur les buts qu’ils ont admis dans la chirurgie, car ceux qu’ils ont introduits pour la diététique suffisent à établir ce que nous voulions prouver.


Chapitre xxxiii. — C’est pour subvenir aux besoins de la pratique que les méthodiques ont ajouté des communautés secondaires aux deux principales.


Les méthodiques ont intercalé les communautés susdites parce qu’ils étaient gênés dans l’application pratique ; comme ils étaient en effet conduits par leur système sur les buts à employer indifféremment tout moyen resserrant dans un cas quelconque de flux et tout moyen de relâchement dans un cas quelconque de resserrement, et qu’ils ne trouvaient rien qui indiquât la différence des moyens réclamés [dans les cas spéciaux], ils ont inventé ces communautés additionnelles, pour trouver d’après leurs différences les traitements divers. Ils disent par conséquent que ces communautés-là indiquent les différences des médicaments ; car on trouvera que le traitement est différent d’après la réunion de telles ou telles de ces communautés.


Chapitre xxxiv. — Que l’intensité des communautés n’indique pas quel doit être le degré d’énergie des médicaments.


Nous montrerons qu’aucune des choses énumérées ne peut indiquer le traitement, et d’abord que la grandeur (l’intensité) des communautés n’indique pas la grandeur (l’énergie) des médicaments ; vous allez L’apprendre immédiatement par ce qui suit : Nous n’avons pas besoin d’une énergie quelconque dans les moyens de traitement (car tous les moyens de traitement ont une certaine énergie), mais d’une énergie déterminée. Or l’intensité des communautés qui indiquait, n’indiquera pas [une certaine] énergie de tel ou tel médicament, mais simplement une énergie quelconque ; et, comme je viens de le dire, on n’a pas besoin simplement de l’énergie quelconque des médicaments mais d’une certaine énergie déterminée ; en effet, si nous tenons compte simplement de l’énergie, nous emploierons indifféremment tous les médicaments, car on se représente tous les médicaments comme ayant une certaine énergie, et nous nous abandonnerons à l’arbitraire, ce qui est déraisonnable. Si, au contraire, tandis que l’intensité des communautés indique l’énergie quelconque des médicaments, les méthodiques ont recours à des médicaments d’une énergie déterminée, ils n’emploieront pas ce que le but indique, car le but indique en général l’énergie, tandis qu’eux emploient un médicament d’une énergie déterminée. Ils diront peut-être : nous n’employons pas l’énergie parce qu’elle est quelque chose de particulier, mais en tant que communauté ; or il arrive que l’énergie est la même [en tant que communauté] en général et en particulier. Nous leur objecterons que si la communauté indique, ce qu’elle indique ne doit pas, dans les cas particuliers, rester dans le vague, puisqu’une certaine énergie est inhérente à tout médicament ; on peut transporter le même raisonnement [à toutes les] communautés[16].

Chapitre xxxv. — Distinction que les médecins ont faite des espèces de temps pour les maladies et les moyens de traitement.


Maintenant nous montrerons que les temps n’indiquent pas le traitement convenable ; mais, avant de nous occuper de ce sujet, il convient de discourir un peu sur la différence des temps ; or, pour les médecins, il y a deux différents temps : les temps des maladies et ceux des remèdes, car par là le traitement deviendrait évident. Ils disent que les temps [des maladies] sont les mouvements des causes. Il y a quatre différents mouvements : le début, l’augment, le summum, le déclin : ce sont là les noms des temps. Ils disent encore que les temps des moyens de traitement sont les temps opportuns pour les employer ; les temps opportuns sont ceux où ce qui exige l’emploi des moyens de traitement existe et où rien de ce qui est un empêchement n’existe.


Chapitre xxxvi. — Suivant les méthodiques, comme les temps de la maladie et ceux du traitement coexistent, ils sont par conséquent identiques au fond.


On croit généralement [parmi les méthodiques] que les temps des moyens de traitement et ceux des maladies ne diffèrent pas au fond, mais seulement par l’idée, qu’on s’en fait, car on dit que le temps des moyens de traitement et celui de la maladie coïncident. En effet, quand la maladie est arrivée à un certain temps, celui du moyen de traitement est également trouvé. On peut, disent aussi les méthodiques, nommer la même chose de différentes manières en la rapportant à tel objet ou à tel autre ; une même route est appelée tantôt montée et tantôt descente eu égard à la situation relative des gens qui montent ou qui descendent ; il en est de même pour les temps, car le temps de la maladie et celui du moyen de traitement sont les mêmes. Aussi on peut dire soit temps de la maladie, en rapportant le temps au mouvement de la cause, soit temps du moyen de traitement, en le rapportant à l’opportunité de l’emploi de ce moyen. Il arrive donc, ajoutent les méthodiques, que ces deux temps coexistent et qu’il est impossible de proposer un temps ou moyen de traitement sans un temps de la maladie.

Chapitre xxxvii. — Réfutation des opinions émises par les méthodiques dans le chapitre précédent.


Nous leur répondrons donc que si les temps des moyens de traitement et des maladies sont les mêmes, et s’ils ne diffèrent pas au fond, il fallait qu’à chaque temps de maladie répondît un temps de traitement. Mais nous n’appliquons pas des moyens de traitement à toute époque de la maladie ; car, dit Hippocrate [Aph., II, 29] : « Dans les commencements des maladies, si vous jugez convenable de mettre quelque chose en mouvement, faites-le ; si la maladie est à son summum, il est préférable de laisser tout en repos. » Par conséquent, les temps des maladies et ceux des moyens de traitement ne sont pas les mêmes. Souvent aussi nous employons les moyens de traitement, comme les purgations et les saignées, quand il n’existe pas de maladie, mais quand on craint qu’il n’en survienne. Ainsi encore, les chirurgiens emploient la saignée chez les malades à qui ils ont fait l’opération de la hernie quand ils leur paraissent replets ; Hippocrate (Aph., I, 3) conseille de diminuer sans retard l’embonpoint porté à l’excès : or cette diminution s’opère par les moyens de traitement. Si donc, au temps du summum des maladies, ce n’est pas le temps de l’administration des moyens de traitement, et s’il en existe au contraire un temps quand il n’y a pas de maladie, il est clair que ces deux temps ne diffèrent pas seulement par l’idée [qu’on s’en fait], mais aussi par le fond. De plus, dans un seul temps de maladie, on peut trouver plusieurs temps opportuns pour les moyens de traitement ; par exemple dans le déclin d’une maladie on emploie des lavements, des onctions, des cataplasmes et la nourriture : il y a un temps particulier pour chacun de tous ces moyens. Quelquefois aussi nous choisissons le même moyen de traitement dans plusieurs temps de la maladie, car on emploie la saignée dans le commencement et dans l’augment des maladies. On voit par là qu’il y a quelque différence fondamentale entre les deux temps dont nous parlons. Outre ce que nous venons de dire, il faut aussi savoir qu’il y a quatre temps dans les maladies, le début, l’augment, le summum et le déclin ; mais ce ne sont pas là des temps pour les moyens de traitement, car ni le début, ni l’augment, ni le summum, ni le déclin ne sont des temps pour les moyens de traitement. Ensuite on peut déterminer le temps des maladies, aussi bien les temps généraux que les temps particuliers (c.-à-d. la subdivision des temps principaux en temps secondaires). Quant aux moyens de traitement, les temps généraux peuvent être déterminés, mais non pas les temps particuliers, par la raison suivante : les temps des maladies, aussi bien les généraux que les particuliers, se distinguent par un critérium qui est toujours le même, et ce critérium peut être déterminé ; au contraire, les temps des moyens de traitement ne se déterminent pas par le même critérium, et il n’est pas possible de déterminer le critérium des temps particuliers. Nous allons montrer maintenant comment il en est ainsi : les temps des maladies se distinguent par un certain mouvement de la cause, et il y a un début, un augment, un summum et un déclin que nous appelons les temps des maladies, et qui sont les noms de ce certain mouvement de la cause : quand le mouvement qui n’existait pas auparavant chez nous commence à se former, et qu’en se formant il nous tourmente, nous appelons un tel mouvement un commencement de maladie ; si le mouvement grandit et fait des progrès, nous l’appelons augment ; si l’accroissement s’arrête [à son plus haut degré], nous l’appelons summum ; si le mouvement diminue, on l’appelle déclin. Puis donc que les noms des temps sont les mêmes, aussi bien pour la maladie en général que pour chaque paroxysme, et que les criteria restent les mêmes, car on les trouve d’après un certain mouvement de la cause, il est clair qu’on peut déterminer les temps dans les deux cas ; car nous appelons déterminer une chose, par exemple, les causes, les lieux affectés, et ainsi de suite, quand les buts (σκοποί) à l’aide desquels on saisit les particularités peuvent être déterminés. Il est évident que les temps des maladies ne sont pas des durées[17] et que les temps ne sont pas saisis par la durée, ni les temps des maladies en général, ni ceux des paroxysmes partiels ; cela est évident par ce fait que la durée n’est pas la même pour tous les temps et que cependant on les appelle toujours temps. On voit ensuite manifestement que les temps des maladies et ceux des paroxysmes particuliers diffèrent entre eux par ce fait que, durant un même temps de la maladie prise dans son entier, il se passe plusieurs temps de paroxysmes particuliers ; en effet, dans le commencement de l’invasion d’une maladie un paroxysme particulier commence, augmente, arrive à son summum et décline ; et quand la maladie, prise dans son entier, arrive déjà à son summum, un paroxysme particulier peut commencer. Nous venons de dire, par conséquent, comment les deux espèces de temps des maladies peuvent être déterminées ; nous allons montrer maintenant comment il n’est pas possible de déterminer les deux espèces de temps des moyens de traitement.


Chapitre xxxviii. — Que les temps des moyens particuliers de traitement ne peuvent pas être détermínés par les temps des maladies.


Les temps des moyens de traitement ne sont pas saisis par le mouvement et l’essence de la cause, car dans ce cas on emploierait toujours la même chose, par exemple les saignées dans tout commencement de la maladie ; et celui qui disait (Aph., II, 29) : « Au début des maladies mettez en mouvement si vous le jugez convenable, mais au summum laissez tout en repos, » ne prenait pas son point de départ dans le temps pour choisir les moyens de traitement, car il savait que dans les commencements de maladie les forces ne sont pas épuisées et que par conséquent elles n’empêchent pas l’emploi des moyens de traitement, mais qu’au summum de la maladie elles étaient déjà affaissées et ne permettent pas le mouvement des moyens de traitement. Hippocrate ne prenait donc pas son point de départ dans le temps, mais dans les forces, pour déterminer l’emploi des moyens de traitement. On ne trouve pas non plus, comme quelques-uns le croient, le temps des moyens de traitement par la durée des temps des maladies, car cette durée étant très-différente, il n’est pas facile de dire ce qu’elle indique en tant que durée fixe[18]. Les temps des moyens généraux de traitement sont déduits de la présence des circonstances qui exigent leur emploi, ce sont les causes ; et de l’absence des circonstances qui peuvent l’empêcher, c’est l’affaissement des forces. Les temps des moyens particuliers du traitement ne se déduisent pas seulement de ces choses, mais encore de quelques autres qu’il est impossible d’énoncer, car c’est surtout dans la rémission qu’on emploie les moyens de traitement, puisque ce qui exige leur emploi existe et que les forces le supportent ; or la durée de la rémission n’est pas la même chose chez tous ; mais admettons qu’elle soit de six heures ; quel moment dans ces six heures prendrons-nous pour employer le moyen de traitement particulier, puisque tous les malades ne sont pas dans le même cas ? Supposons que les circonstances exigent la saignée et que les forces ne s’y opposent pas, dans quelle mesure faut-il employer la saignée ? Puis, tantôt il convient de donner après la saignée quelques aliments, parce que le malade ne supporte pas l’abstinence ; tantôt l’abstinence est utile, tantôt encore les malades auront besoin de sommeil avant la saignée ; d’autres réclameront quelque autre chose, toutes particularités qu’il est impossible de determiner. Donc, au milieu d’une telle variété, quelle partie de l’heure établira-t-on comme le temps opportun pour l’emploi des moyens de traitement en général chez tous les malades, ou quel but déterminera-t-on pour en déduire le temps particulier ? Cela ne peut pas se dire, car les symptômes sont différents chez les divers malades. Puis donc que la durée des rémissions dans lesquelles nous employons les moyens de traitement n’est pas la même pour toutes les rémissions, que les circonstances, ainsi que les symptômes, sont différentes, et que, d’après chacune de ces choses, il y a un changement dans le temps du traitement particulier, il est clair qu’il est impossible d’assigner un but d’après lequel on déduirait ce traitement ; mais le médecin, prenant son point de départ dans la présence des circonstances qui exigent les moyens de traitement, dans l’absence de celles qui peuvent l’empêcher et dans l’appréciation raisonnée des moyens de traitement qu’on devra employer plus tard, en déduira approximativement le temps des médicaments particuliers. Les buts ne diffèrent donc jamais au fond. Puisque ces buts dont on déduit les temps généraux des moyens de traitement se déterminent, mais que ceux dont on déduit les temps particuliers ne sauraient être déterminés, on a raison de dire que les temps généraux des moyens de traitement se déterminent, mais non pas leurs temps particuliers. Ceci étant devenu clair, la différence entre les temps des maladies et les temps des moyens de traitement deviendra également évidente par là, car s’ils ne différaient pas par le fond, les deux temps des moyens de traitement pourraient être déterminés de la même manière que ceux des maladies ; mais comme les buts dont on déduit les temps sont très-différents, il est clair que les temps diffèrent également entre eux ; de même, en effet, que les temps des maladies diffèrent par le fond de ceux des temps des moyens de traitement, de même ces temps différeraient eux-mêmes vraisemblablement par le fond. Voilà ce qu’il fallait savoir préalablement sur les temps.


Chapitre xxxix. — Raisons par lesquelles les méthodiques se croyaient en droit de prendre en considération les temps des maladies pour régler le traitement. — Réfutation par le témoignage même d’Hippocrate.


Les méthodiques croient, pour la raison suivante, que les temps [des maladies] indiquent [le traitement convenable] : voyant que tous les temps ne conviennent pas pour l’emploi des aliments ou des moyens de traitement, mais que dans certains temps ces choses sont employées avec fruit, que dans d’autres au contraire elles sont nuisibles, ils ont pensé que cela résultait de la différence des temps ; d’où ils ont conclu qu’il existe des signes pour administrer la nourriture et des temps pour les moyens de traitement. Thessalus a été également induit en erreur par Hippocrate, lequel dit (Aph., I, 8) : « Quand la maladie est au summum, il est nécessaire d’employer un régime très-exigu.[19] » Or il croyait qu’Hippocrate prenait son point de départ dans le temps pour déterminer la quantité des aliments, et il n’a pas compris ce que le médecin de Cos se proposait. Ce n’est pas en prenant le temps pour point de départ qu’il réglait ainsi l’alimentation, mais il déduisait du temps la mesure des forces, et des forces la qualité des aliments ; il nous rend évidente cette manière de voir par ce qu’il ajoute immédiatement après : « 11 faut calculer si les forces du malade suffiront. » En effet les temps empêchent souvent d’employer ce que les forces exigent, mais jamais le temps n’indiquera ce qu’il faut faire.

Chapitre xxxl. — Que les contre-indiquants ne sont pas des buts, comme le pensent les méthodiques[20] ; par conséquent les temps qui empêchent d’agir dans tel ou tel sens ne sont pas des buts.


Si ce qui exige quelque chose est le but de la chose exigée, ce qui nous empêche d’employer cette chose exigée ne saurait être un but. Pour cette raison les temps qui nous empêchent quelquefois d’employer la chose exigée ne sauraient être des buts ; car si on admettait que toutes les choses qui empêchent (contre-indiquants) sont des buts, on serait forcé de dire que les forces [opprimées] sont un but de l’évacuation (c.-à-d. une contre-indication de l’indication), aussi bien que la timidité du malade, le père ou le maître ; car toutes ces causes peuvent souvent empêcher d’employer l’évacuation dans le cas de pléthore : les forces qui ne permettent pas la soustraction, aussi bien que le malade qui ne la souffre pas à cause de sa timidité, le père qui l’empêche ou le frère ou le maître. De même donc qu’un homme raisonnable ne peut pas appeler ces choses-là des buts, de même aussi nous n’appellerons pas but le temps, parce qu’il nous empêche souvent d’employer les moyens de traitement ou les aliments. Par conséquent, diront les méthodiques, Hippocrate avait tort d’écrire (Aph., I, 8) : « Si dans le commencement des maladies vous croyez devoir mettre quelque chose en mouvement, faites-le ; mais au summum des maladies il faut laisser tout en repos. » Nous leur répondrons qu’il n’a pas mal dit, car ce n’est pas en prenant le commencement comme but qu’il juge devoir employer des moyens de traitement au commencement des maladies ; mais il conclut du commencement que les forces ne sont pas encore diminuées, et il conjecture qu’elles peuvent supporter la soustraction ; le summum des maladies suppose. au contraire l’affaiblissement des forces, car au summum les causes sont puissantes et les forces abattues. Voilà pourquoi il est d’avis de se tenir tranquille. On croira peut-être qu’il serait raisonnable d’enlever les causes des maladies au summum, quand elles sont le plus puissantes. S’il était tout à fait sans inconvénient d’employer les moyens de traitement [dans ce temps-là], cette proposition serait vraie, mais il n’en est pas ainsi, car d’abord les moyens de traitement usent nécessairement les forces, parce que tous sont contre nature ; et, en second lieu, parce qu’ils endommagent les parties saines, ils se joignent aux causes morbifiques, et pendant qu’ils enlèvent les causes, ils produisent un amoindrissement tout aussi bien des parties saines que des parties malades.


Chapitre xli. — Que les médicaments n’agissent que par l’intervention de la nature.


D’abord il ne faut pas ignorer l’essence des médicaments et leur utilité, car les médicaments ne sont pas capables de supprimer les causes par eux-mêmes, mais ils ont besoin que la nature leur vienne en aide ; ils donnent seulement pour ainsi dire l’impulsion et le point de départ à la nature ; quant au reste, la nature le fait par elle-même. Aussi, lorsque les forces sont intactes, elle supporte même les effets nuisibles des médicaments, et tolère sans grand inconvénient la suppression (diminution) de ce qui lui est propre (c’est-à-dire des parties saines), et elle peut expulser ce qui lui cause du dommage ; mais quand les forces sont opprimées, ce qui est ordinairement le cas au summum des maladies, la nature est plus lésée par les moyens de traitement qu’on emploie ; elle s’affaiblit par la suppression de ce qui lui est propre, succombe davantage sous l’action des causes, et ne peut en aucune façon expulser ce qui rend malade. Quand la nature, malgre tous les efforts qu’elle fait, ne peut pas expulser ce qui lèse, elle est considérablement affaiblie par ses efforts mêmes. Voilà pourquoi Hippocrate dit (loc. cit.) : « Si on veut mettre quelque chose en mouvement, qu’on le fasse au commencement des maladies et qu’on se tienne tranquille au summum. »


Chapitre xlii. — Que ce ne sont pas les forces qui indiquent par elles-mêmes, et qu’elles ne sont pas des buts pour les moyens de traitement.


On croira peut-être d’après cela que les forces suggèrent le traitement utile ; mais on va apprendre pourquoi les forces n’indiquent aucun moyen de traitement : si les forces, quand elles sont suffisantes, indiquent un moyen de traitement, chez les gens bien portants elles indiqueront aussi un moyen de traitement, attendu que dans ce cas elles sont suffisantes ; or chez les gens bien portants elles n’indiquent pas de moyen de traitement : donc les forces étant modérées chez les malades n’indiquent pas non plus de traitement utile. Puisque, dans le cas où la force indique, ce qui réclame un remède manque, nous n’employons pas de moyen de traitement, il est évident que la force n’indique aucun traitement utile, car il faut que le but soit indiqué par des choses présentes. Les forces peuvent empêcher d’employer les moyens exigés, comme je viens de le dire, mais elles ne sont pas le but du moyen de traitement.


Chapitre xliii. — Que ce ne sont pas les diverses périodes de la maladie qui indiquent l’alimentation et le traitement.


Les temps sont dans un même rapport avec les aliments que les forces avec les médicaments. Le rapport qui existe entre les médicaments et les causes qui en exigent l’emploi existe également entre les aliments et les forces ; l’augment dans les maladies montre que ce sont les forces et non pas les temps qui exigent la diminution des aliments : voilà pourquoi nous donnons peu d’aliments aux convalescents, manière d’agir qui est exigée par les forces. Si l’augment indiquait la diminution dans la quantité des aliments, il faudrait permettre aux convalescents de se gorger de nourriture, car le motif qui indique une petite quantité des aliments venant à manquer, il serait ridicule d’employer ce qui n’est pas indiqué. Cependant les méthodiques disent que le début indique l’abstention, d’où il résulte que nous devrions employer l’abstinence depuis le début jusqu’à l’augment chez tous les malades, même chez ceux qui ont l’alphé et la leucé. Si la période du début se prolonge, l’individu soumis à un tel régime tombera dans la consomption. Mais, nous diront-ils peut-être, pourquoi, par exemple, au début, ne donnez-vous pas d’aliments aux péripneumoniques et à ceux qui ont une autre maladie aiguë du même genre, quoique les forces soient suffisantes pendant cette période ? Parce que, leur répondrons-nous, le temps nous empêche de donner les aliments quoique les forces l’exigent. Le temps n’indique donc pas l’abstinence, mais il ne nous permet pas d’employer ce qu’exigent les forces, de sorte qu’on n’aurait pas tout à fait tort de dire qu’il est indicateur du contraire. De la même manière les autres temps empêchent ou permettent d’employer les moyens exigés selon que les forces sont plus ou moins changées pendant leur durée, mais elles-mêmes n’indiquent aucun traitement. Quand les méthodiques disent que le summum exige une alimentation très-modérée et le déclin une alimentation plus variée, il faut leur demander comment ils se serviraient des buts. S’il y a deux malades dont l’un a une péripneumonie au déclin et l’autre une ophthalmie qui marche vers le summum, oseraient-ils donc donner aux péripneumoniques des aliments plus abondants et plus variés qu’à celui qui est affecté d’une ophthalmie ? mais ils n’oseraient le faire. S’il en est ainsi, il est clair que la variété et la quantité des aliments ne sont pas déduites du temps, mais du degré des forces.


Chapitre xliv. — Que d’après leurs doctrines les méthodiques étaient forcés d’avouer que les mêmes périodes des maladies, en tant que périodes, paraissent indiquer des traitements différents.


On demandera encore aux méthodiques comment ils croient que les temps de la maladie indiquent tantôt la quantité et tantôt la qualité des aliments. De même ils sont d’avis tantôt qu’elle indique une différence dans le médicament, tantôt qu’elle l’exige ; en effet, quand ils prétendent que l’augment exige une alimentation peu abondante, le début une alimentation plus libérale, et le déclin une alimentation plus variée, ils disent que les temps des maladies indiquent la qualité et la quantité des aliments. Quand ils soutiennent que le début indique qu’il faut empêcher la maladie d’augmenter, l’augment qu’il faut resserrer ou relâcher sans retard, le summum qu’il faut commencer à apaiser le trouble causé par la maladie, et le déclin qu’il faut concourir à la solution, ils avouent que les temps exigent une différence dans les moyens de traitement. Comment ne serait-il pas absurde de dire que la même chose, quoiqu’elle ne subisse aucun changement, indique deux choses différentes ? Ils répondront peut-être à cela que, selon les dogmatiques, la même chose donne également des indications différentes, car la bile par sa présence indique qu’elle doit être enlevée quand elle nuit. On leur répondra que la bile indique seulement qu’elle doit être supprimée, mais il y a plusieurs méthodes de suppression : car nous l’enlevons ou nous la transformons par le mélange. Ensuite, dirons-nous, la bile donne une indication différente suivant les circonstances, car elle indique qu’elle doit être enlevée parce qu’elle appesantit, et elle indique le mélange parce qu’elle est irritante. Comment les temps qui ne présentent aucune différence semblable exigeraient-ils des moyens de traitement différents, on ne saurait le dire.


Chapitre xlv. — Que les temps des maladies ne sauraient prescrire d’indications, pas plus pour la quantité ou la qualité des aliments que pour le traitement.


On peut apprendre par ce qui suit que le temps n’indique ni la quantité ni la qualité des aliments ; il est nécessaire que ce qui indique le genre indique en même temps la quantité, car chacune des choses qui indiquent, si elles ne présentent pas de différence, indique le genre de la chose indiquée [également sans différence]. Quand elle subit un changement, elle indique une chose spéciale appartenant au même genre. Puis donc que les forces indiquent le genre d’aliment, elles indiqueront également la quantité et la qualité ; car sans distinction elles indiquent le genre d’aliment ; quand elles acquièrent quelque chose de spécial, elles indiquent une chose spéciale dans le même genre. Il semble qu’Hippocrate prend également les forces pour but de la qualité des aliments quand il dit (Aph., I, 14 ) : « Ceux qui sont dans la croissance ont le plus de chaleur innée, par conséquent ils ont besoin de la plus grande quantité d’aliments, sinon le corps se consume. » II est clair qu’il déduit également la quantité de l’aliment du changement dans les forces, car il dit quelque part (De l’aliment) : « Les aliments ne doivent pas être variés pour les jeunes gens qui ont atteint l’apogée de leur vigueur, mais ils doivent être variés dans l’extrême vieillesse. » II est manifeste, par les passages cités, que les forces, quand elles n’ont rien de spécial, réclament le genre d’aliments, et quand elles offrent des caractères particuliers, la qualité et la quantité. De plus, si les temps des maladies indiquent la qualité et la quantité des aliments, ils l’indiquent en vue de leur conservation ou en vue de leur suppression ; car ce qui indique, indique ou sa conservation ou sa suppression. Si, par conséquent, les temps indiquent la quantité et la qualité des aliments en vue de leur conservation, comment ne serait-il pas ridicule de dire qu’on donne telle ou telle quantité ou qualité d’aliments pour conserver les temps des maladies ? Si ces temps indiquent en vue de leur suppression, il faut que la quantité ou la qualité des aliments présente quelque opposition avec les temps, car il n’y a que les contraires qui suppriment leurs contraires ; or ni la quantité ni la qualité ne sont contraires aux temps, ni au début, ni à l’augment, ni au summum, ni au déclin ; car la même chose ne saurait être contraire à plusieurs à la fois : une même chose unique ne peut naturellement être contraire qu’à une autre chose unique.

Nous montrerons de la même façon que les temps des maladies n’indiquent pas la différence des moyens de traitement ; en effet, si les temps ne fournissent pas d’indication ni pour leur conservation ni pour leur suppression, parce qu’une chose unique ne saurait être contraire à plusieurs à la fois, et qu’il n’existe pas d’autres indications, il est clair que les temps n’indiquent aucun traitement utile ; mais si on fait attention à la nature de ce qui est contraire, on saura qu’ils ne sont pas même contraires, car les contraires sont les choses qui, dans le même genre, sont le plus éloignées les unes des autres, or le temps ne rentre pas dans le même genre que la quantité de l’aliment. Nous avons donc suffisamment prouvé qu’on ne saurait déduire des temps ni la qualité ni la quantité des aliments, ni les différences des moyens de traitement.


Chapitre xlvi. — Que le début n’indique pas qu’il faut empêcher la maladie de s’augmenter, puisque, dans certains cas, le début et le summum coincident.


Nous montrerons maintenant que le début n’indique pas qu’il faut empêcher la maladie de s’augmenter, ce qu’il indique d’après l’opinion des méthodiques ; en effet, comme il y a beaucoup de maladies dont le summum coïncide avec le début, par exemple l’apoplexie et quelques autres affections aiguës, quelle indication pourrait-on dire que le début fournit dans de pareilles affections ? Il n’indiquera pas qu’il faut empêcher la maladie de s’augmenter, car la circonstance que le summum de la maladie coïncide avec le début montrera que le début n’indique rien dans ces maladies, ou qu’il indique quelque autre chose, mais non pas d’empêcher la maladie d’augmenter. II serait très-ridicule, quand on connaît le but (c’est-à-dire, l’intermédiaire entre l’indication et l’indiquant), de dire qu’il n’indique rien. S’il indique quelque autre chose, et non pas ce qu’il indique d’après les méthodiques, ils disent donc à tort que le début exige qu’on empêche la maladie de s’augmenter.


Chapitre xlvii. — Que toutes les maladies ne passent pas par les quatre périodes, que par conséquent les temps ne peuvent pas les indiquer, comme le prétendent les méthodiques. — Sur ce point leur doctrine est encore infirmée par ce fait que le début coexiste avec la diathèse et qu’ainsi il ne doit pas seul indiquer.


Cette erreur est venue aux méthodiques de ce qu’ils ont pris pour leur point de départ une autre fausse supposition : croyant que toutes les maladies passent par les quatre périodes, ils ont pris cela comme un principe vrai et ont pensé qu’il devait nécessairement en résulter que le début des maladies exigeait qu’on les empêchât de s’augmenter, et ils perdirent de vue que toutes les maladies n’ont pas un début, un augment, un summum et un déclin ; car quelques maladies aiguës, comme l’apoplexie, arrivent à l’acmé dès l’invasion, et les maladies qui sont jugées perdent un des temps, c’est-à-dire le déclin, car les crises jugent les maladies à leur summum. On peut aussi résoudre (juguler) les maladies à l’aide des médicaments lorsqu’elles vont encore en augmentant, et retrancher ainsi les autres temps. Si donc il est possible d’évacuer la matière morbide et de dissoudre au début la maladie par les médicaments, comment les méthodiques savent-ils que le début indique qu’il faut l’empêcher d’augmenter et non pas plutôt de la diminuer ou de la supprimer ? S’ils disent que ce n’est pas le début mais la diathèse qui indique la diminution et la suppression des maladies, pourquoi, leur répondrons-nous, n’employez-vous pas ce que la diathèse indique, mais ce que le début indique ? Ce qui est indiqué par le début s’accomplit également par ce qui est exigé par la diathèse, puisque celui qui diminue ou supprime la maladie empêche en même temps l’augment d’avoir lieu. Ils diront peut-être que la communauté du début, étant plus prochaine, oblige d’employer ce qu’elle indique, puisqu’elle montre immédiatement ce qu’il faut faire, mais que la diathèse, en exigeant la suppression des maladies, n’indique pas par quel moyen il faut obtenir ce résultat. Mais [répondrons-nous] les moyens par lesquels, ou le parquoi il faut réprimer l’augment des maladies dont le début indique d’empêcher l’aggravation, sont déduits d’autre chose. De même la diathèse indique seulement la suppression des maladies ; mais les moyens par lesquels il faut atteindre ce but, doivent être, ce semble, déduits d’autre chose. Voilà pourquoi il est meilleur d’employer non pas seulement le début, mais aussi la diathèse comme buts.

Ensuite il faut dire aux méthodiques que tout début vous paraît être une certaine complication (ἐπιπλοκή) car deux communautés coexistent, le début et la diathèse, et chacune de ces communautés indique une chose différente[21]. Mais le début vous paraît être une communauté plus immédiate et plus nécessaire ; voilà pourquoi vous y faites particulièrement attention. Il est donc évident par cela que toutes les affections sont des complications de communautés, attendu que toute affection arrive en un certain temps (période dans le sens pathologique). Ce n’est pas seulement le temps qui est une communauté, mais aussi la diathèse. Vous agissez donc mal en pensant que les affections sont une seule complication et en ne disant pas que toutes les affections sont des complications (le temps et la diathèse).


Chapitre xlviii. — Que les resserrants, en s’en tenant à la doctrine des méthodiques, ne devraient pas être employés indistinctement au début de toutes les maladies.


Voici encore un dogme ridicule dans la doctrine des méthodiques : c’est qu’il faut toujours resserrer au début des maladies. Ce dogme doit son origine aux raisons suivantes : plusieurs inflammations sont arrêtées au début par les resserrants et les répercussifs. Mais, selon eux, toute inflammation est un resserrement ; il semblerait donc absurde que le resserrement fût combattu par les resserrants ; et quand nous leur disons que c’est par la répercussion des humeurs nuisibles que nous faisons disparaître l’inflammation, ne pouvant pas méconnaître les phénomènes, ils soutiennent néanmoins qu’il faut toujours traiter le début par les moyens resserrants ; car, ajoutent-ils, nous ne répercutons par les causes, mais nous resserrons pour rendre les corps moins sensibles à l’action des causes, attendu que le resserrement et la constriction rendent les corps résistants aux maladies et empêchent la maladie d’augmenter[22]. En effet, ce n’est pas seulement, prétendent-ils, par l’amoindrissement des maladies qu’on empêche l’augment, mais en rendant les corps résistants. À cela il faut leur répondre qu’il est impossible par l’augmentation des choses nuisibles de rendre les corps moins sensibles ; mais ce qui importe surtout, c’est de rendre les corps insensibles avant qu’ils soient malades ; car nous avons besoin de cet endurcissement pour que la maladie ne se développe pas ; mais quand les corps sont déjà affectés, il faut opérer la suppression de ce qui les affecte. Puisque le resserrement est une augmentation de densité et un empêchement à la perspiration, et que les resserrants rendent la surface du corps plus dense, en même temps qu’ils mettent aussi obstacle à la perspiration, il est manifeste que les resserrants contribueront à l’augmentation d’une maladie par resserrement plutôt qu’ils ne s’y opposeront, de sorte que l’intensité à laquelle la maladie arriverait en passant régulièrement par les périodes qui lui sont propres, elle l’acquiert au début par l’emploi des médicaments. Il me semble aussi que les méthodiques emploient le contraire de ce qui est exigé par le début. Cette période en effet indique ce qui empêche la maladie de s’augmenter, et précisément la qualité des moyens employés par les méthodiques paraît favoriser l’augment. Donc, de deux choses l’une, ou bien il faut considérer le début comme indiquant mal, ou reconnaître que les moyens de traitement ne sont pas employés pour le bien.


Chapitre xlix. — Dans quel sens les resserrants sont employés avec avantage au début des inflammations. — Que les méthodiques n’ont pas compris le rapport qui existe entre la qualité du début et celle de la diathèse.


Tout le monde conviendra qu’au commencement des inflammations on emploie avec avantage les moyens resserrants, mais il est convenable de demander aux méthodiques la raison de ce fait, car c’est une chose risible, comme nous venons de le démontrer, de dire que la résistance des corps aux maladies est produite par les resserrants. Qu’ils apprennent donc de nous que les resserrants diminuent et résolvent les maladies en répercutant les humeurs nuisibles et en les transportant dans d’autres lieux non affectés. On peut encore dire ce qui suit pour prouver que le début n’indique pas les médicaments qui empêchent l’augmentation des maladies : ils parlent contre eux-mêmes s’ils disent que ces médicaments sont les resserrants ; le début des maladies possède, ou non, une certaine qualité[23] ; mais il serait ridicule de dire que le début n’a aucune qualité, attendu qu’il ne tomberait pas sous les sens s’il n’avait point de qualité. Ainsi donc ou la qualité du début est différente de la qualité de chaque espèce de diathèses, ou bien la qualité du début ne diffère pas de celle de la diathèse. Si la qualité du début diffère, il se révèle une autre communauté que la maladie, communauté que les méthodiques ont passée sous silence ; si, au contraire, la qualité du début reste la même que celle de la diathèse, pourquoi n’employons-nous pas au début le traitement relâchant contre le resserrement, et le traitement resserrant contre le relàchement ? car il est déraisonnable de s’opposer au début d’une autre façon [que contre la maladie], comme s’il n’avait pas la même qualité que la maladie même dont il est le début.


Chapitre l. — Que ce n’est pas par le resserrement et la dureté que les corps sont soustraits à l’action des maladies.


On pourra apprendre par ce qui suit qu’il est ridicule de penser que les corps deviennent résistants aux maladies par le traitement astringent, traitement qui les rend denses et qui les foule. Si la condensation, la contraction et la dureté étaient des causes de résistance aux maladies, les individus atteints de phlegmasie, de squirrhe, ou ceux qui ont la peau dure et tendue par suite d’une extrême abstinence, seraient plus à l’abri que les personnes saines, car ces personnes ont le corps plus mou et plus raréfié, et cela d’autant plus qu’elles sont en meilleure santé. Si le degré de résistance se jugeait encore par la dureté, on serait porté à croire que les vieillards, qui sont plus durs que les enfants, sont aussi plus résistants. En effet, si les vieillards possèdent naturellement la résistance que les méthodiques se vantent de donner artificiellement, comment ne seraient-ils pas plus à l’abri des maladies que les jeunes gens ?


Chapitre li. — Comment il faut juger de la résistance des corps aux maladies, et comment il faut l’obtenir.


Les méthodiques ne savent pas comment il faut reconnaître qu’un homme est endurci contre les maladies ; voilà pourquoi ils ne pourront pas non plus produire [artificiellement] cet endurcissement. Il ne faut pas en effet juger de l’endurcissement du corps comme de celui d’une pierre, du fer, du bois ou de semblables substances, par la dureté et la mollesse ; mais par le fait que ces corps sont capables de remplir leurs fonctions sans obstacle. Celui par conséquent qui veut produire artificiellement un tel endurcissement ne doit pas s’enquérir comment il rendra le corps dur, mais comment les facultés des parties augmenteront et comment les parties rempliront sans empêchement leurs fonctions[24].






  1. J’ai tiré grand profit, pour ce traité, de la collation intégrale d’un très-bon manuscrit du xiiie siècle, appartenant à la bibliothèque Laurentienne de Florence (Plut. 74, cod. 3).
  2. L’unité de l’art se tire de l’unité du but ; Or, la santé conservée ou recouvrée est le but de la médecine, comme la maison à restaurer ou à construire est le but de l’architecture.
  3. C’est-à-dire d’un jugement postérieur, qui détermine si la liaison est bien établie entre les choses.
  4. Οὐ παραδεκτέα τὰ ὄργανα. Je ne me rends pas bien compte ni du sens général de ce membre de phrase, ni du sens particulier du mot ὄργανα. Peut-être faut-il supprimer la négation, ou plutôt ajouter sans contrôle, en supposant qu’ὄργανα signifie soit les moyens de traitement, soit les méthodes pour trouver la vérité ? — Quant à l’expression ἱστορία ἄκριτος, il faut sans doute entendre que les faits enregistrés par l’histoire n’ont de valeur que s’ils sont reconnus vrais, classés et distingués les uns des autres, par le raisonnement disaient les dogmatiques, par l’observation ou par l’expérience disaient les empiriques. — Voy. ch. xiv et xv.
  5. On verra par la suite de ce traité que cela n’est pas vrai pour les empiriques, attendu qu’ils ne tiennent compte que du fait, et non de son explication ; peu leur importe de savoir s’il faut ajouter ou soustraire, il leur suffit de reconnaître qu’un remède a bien ou mal agi dans un cas donné pour l’administrer dans un cas semblable.
  6. La prétention des empiriques était d’observer le traitement en même temps queles phénomènes ; par exemple, observer un pleurétique c’était en même temps observer la saignée qui doit le guérir. Ils évitaient l’idée de raisonnement jusque dans les mots ; ils évitaient le mot indication ἔνδειξις. À cette expression consacrée par les dogmatiques, ils avaient substitué τήρησις ἐπὶ τοῖς φαινομένοις ou ἐπὶ ταῖς συνδρομαῖς, où l’on trouve presque toujours l’idée de traitement liée à celle de phénomènes. Il faut tenir grand compte de cette explication dans tout le cours de ce traité, en ce qui concerne les empiriques.
  7. C’est-à-dire, on voit bien l’homme qui est frère, mais on ne voit pas qu’il est frère ; en d’autres termes, la relation de fraternité n’est pas évidente.
  8. C’est-à-dire : il y aura autant de maladies que de symptômes.
  9. C’est-à-dire les catégories de symptômes qui se rapportent à une même maladie ; par exemple, tous les symptômes qui se rapportent à la fièvre. Voy. plus haut, le commencement du chapitre.
  10. Ici j’ai suivi le manuscrit, dont les leçons sont seules acceptables.
  11. Voy. Oribase, VIII, {{sc[xv}}, t. II, p. 189.
  12. Ici le manuscrit corrige très-notablement le texte imprimé, en ajoutant tout un membre de phrase qui avait disparu par suite d’un ὁμοιοτέλευτον. Voici ce membre de phrase : οὐ γίνονται δὲ· [οὐκ ἄρα τὰ πάθη ἐνδείκνυται· ἔτι εἰ ἀπὸ τῶν παθῶν αἱ ἐνδείξεις γίνονται], οὐκ ἀν τὰ διαφέρ. κ. τ. λ..
  13. Ici les éditions et mon manuscrit sont altérés ; mais on arrive au vrai sens en combinant les deux textes, qui chacun contiennent un des éléments de la leçon.
  14. Ici j’ai dû m’écarter du texte pour trouver un sens raisonnable à cette phrase.
  15. Ici il a fallu faire quelques corrections aux textes imprimés et manuscrits, pour trouver un sens logique. — Voy. aussi p. 408 et note 1.
  16. Voy. sur l’énergie absolue et relative des médicaments la Dissertation sur la thérapeutique.
  17. C’est-à-dire des périodes de nombres fixes.
  18. Ainsi, que la durée soit de 4 jours, ou de 6 jours, cela ne fournit pas une indication speciale. Du reste, dans les textes imprimés ou mss. la phrase est assez obscure.
  19. Voy. aussi tout le traité Du régime dans les malad. aiguës.
  20. Ici il y a querelle plutôt de mots que de choses. — Galien ne veut pas qu’on appelle buts les contre-indiquants.
  21. Pour la fin de ce chapitre, j’ai suivi le manuscrit.
  22. Au lieu d’ἅψασθαι (morbis corripi) des éditions, je lis αὔξασθαι avec mon ms. et conformément à la suite du raisonnement.
  23. Je crois que ces deux membres de phrase sont corrompus ou mutilés ; je les ai traduits littéralenent, n’ayant trouvé aucune correction plausible.
  24. Ce traité finit si brusquement, qu’il paraît avoir été mutilé dans les mss. qui nous l’ont transmis. Si de plus, on se reporte au chap. vii, p. 405, et à la fin du chap. xxiii, p. 437, on verra que notre traité ne renferme ni le jugement que Galien promet, ni une certaine discussion qu’il annonce.