Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/X/1

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 468-505).
X.


DES LIEUX AFFECTÉS[1].


LIVRE PREMIER.


Chapitre premier. — Synonymie des mots partie et lieu. — Nécessité de reconnaître les affections de chaque partie pour diriger convenablement le traitement. — Galien étudiera cette question dans la Méthode thérapeutique ; il se propose ici d’enseigner la manière de reconnaître les lieux affectés. — Conditions exigées pour arriver à cette connaissance. — Elle se fonde sur la nature propre de la substance des parties ; — sur la nature des substances contenues dans certaines parties ; — sur la nature des excroissances ; — sur celle des corps étrangers ou des formations pathologiques. — Comment on doit s’y prendre pour reconnaître la cause d’un état pathologique local ; exemple pris dans les affections des voies urinaires. — Vanité des recherches d’Archigène sur ces questions. — Quelles sont les recherches auxquelles il faut se livrer pour trouver les lieux affectés, recherches qui sont le fondement de cet ouvrage.


Non-seulement les médecins modernes, mais encore un assez grand nombre de medecins anciens, appellent lieux (τόποι) les parties (μόρια) du corps humain, et ils s’efforcent d’en reconnaître les affections, attendu qu’il convient de varier le traitement suivant la diversité de ces lieux. Toutes les notions utiles que fournit, pour la guérison, un semblable diagnostic sont tracées dans notre ouvrage Sur la méthode thérapeutique (cf. part. VII, xiii). Notre unique but maintenant est d’examiner ici comment on reconnaît les parties affectées. Les parties superficielles tombent promptement sous les sens, en même temps que les formes des affections. Celles qui sont cachées profondément exigent un homme d’une intelligence exercée dans la science des fonctions et des utilités des parties, et non moins versé dans l’anatomie qui nous initie à cette science et qui nous apprend, outre beaucoup de choses, la propriété de la substance de chaque partie.

Ainsi il existe à la trachée-artère un corps cartilagineux nommé bronche[2], et dont ceux-là seuls qui l’ont examinée sont en mesure de connaître la substance. Quand donc il arrive que ce cartilage est expulsé par la toux, nous pensons qu’il existe au poumon un ulcère considérable, lequel résulte d’érosion ou de gangrène. Dans le cou tout entier, entre le pharynx et le poumon, se trouve un corps d’une nature semblable ; mais il ne saurait s’y former une si grave ulcération : l’animal succomberait auparavant. Au contraire, elle est possible dans le poumon, viscère si aisément gangrené par l’humidité, si facilement rongé par des humeurs pernicieuses et rempli de petites bronches. Il n’est pas possible, en effet, qu’une partie seule de ces bronches se gangrène, il faut que la bronche tout entière (anneau cartilagineux incomplet) soit rejetée, après la rupture des ligaments qui la rattachent aux bronches suivantes et qui sont affectés bien avant les bronches elles-mêmes. Celles-ci, en effet, sont cartilagineuses, dures et épaisses, tandis que les membranes qui les rattachent sont minces et sans force. Nous avons même vu une portion non petite de vaisseau (f. membr. canaliculée) rejetée en toussant, ce qui indiquait encore clairement aux personnes habiles en dissection, qu’elle venait du poumon. En effet, les vaisseaux de la trachée-artère du cou lui-même sont tous des vaisseaux capillaires, en sorte que non-seulement la nature propre, mais encore la grandeur de la substance montre souvent et sans obscurité quel est le lieu affecté. Ainsi encore, lorsqu’on voit dans une dyssenterie, parmi les déjections, une tunique d’intestin plus considérable, eu égard à la largeur et à l’épaisseur, que celles des intestins grêles, on conjecturera, non sans raison, que l’ulcération existe dans les gros intestins. Une fois, un jeune homme ayant expulsé, en toussant, une tunique épaisse et visqueuse, nous conjecturâmes que c’était le corps interne du larynx qui constitue l’épiglotte (cf. IV, xi med.). Le jeune homme fut donc guéri quand nous n’espérions pas beaucoup sa guérison ; mais il lui resta une altération de la voix. La nature propre de la substance distingue aussi les ulcères des reins de ceux de la vessie. Aussi Hippocrate a-t-il écrit dans ses Aphorismes (IV, 76 et 81 ; — voy. plus loin, livre VI, iii et iv) : « Les corps lamelloïdes rendus avec les urines indiquent une ulcération de la vessie, et les corps charnus une ulcération des reins. »

Parfois même les substances contenues dans certaines parties nous font connaître [en s’échappant] le lieu affecté. À Mitylène, un certain jeune homme fut blessé assez avant d’un coup d’épée au siége (périnée). Les trois premiers jours il resta sans manger ni boire ; le quatrième, après le pansement, il mangea et but, puis, au coucher du soleil, après un nouveau pansement, il rendit par sa blessure environ quatre pintes d’urine, n’ayant pas encore uriné du tout depuis qu’il avait été blessé. Il déclara alors qu’il était complétement débarrassé du poids qu’il sentait auparavant dans la région qu’on appelle le pubis (pubis et région sus-pubienne). Il est évident par là qu’il avait été blessé à la vessie. Il est évident aussi, s’il sort des excréments par la blessure, qu’un des intestins a été blessé. — D’un autre côté, s’il sort des aliments, cela indique une lésion de l’estomac[3]. — Une tumeur étant survenue à quelqu’un au-dessus de l’aine, et le médecin l’ayant incisée pour en faire sortir le pus, il s’en échappa de la matière fécale, ce qui indiqua clairement qu’il y avait un abcès au colon (cf. VI, v fine). — Un cas de la même espèce que ces derniers, c’est celui où l’air s’échappe par la blessure du thorax et où le sang jaillit de l’artère. Comme souvent le corps blessé est caché aux regards, ces circonstances fournissent un diagnostic exact. En effet, l’air en s’échappant du thorax, dans les expirations, indique la lésion de la membrane qui tapisse les côtes (plèvres) ; le sang, en jaillissant par saccades, annonce une rupture de l’artère. De plus encore, ce sang est plus chaud, plus ténu et plus jaunâtre que celui des veines. Ces circonstances offrent un diagnostic bien net. De même, si l’on voit s’échapper par la blessure l’épiploon ou quelqu’un des intestins, il faut que le péritoine soit déchiré. Si l’on voit sortir de la blessure l’extrémité d’un lobe d’un poumon, cela indique que le thorax a été ouvert ; il est indifférent de dire que la plèvre a été blessée, ou la cavité du thorax ouverte.

Le lieu affecté se reconnaît aussi parfois aux excroissances. Il existe, en effet, une substance particulière des excroissances, par exemple les fongus, dans les fractures de la tête, quand la méninge est affectée. Il existe une autre substance propre, quand c’est un os de quelque partie qui est affecté. De cette espèce est ce qu’on nomme croûte d’ulcère (ἐφελκίς ; voy. p. 491, note 1). Elle indique, en effet, une ulcération de la partie dont elle paraît avoir été détachée : ainsi elle indique celle d’un des organes urinaires, si elle s’échappe avec l’urine ; celle des organes respiratoires, si elle remonte pendant la toux ; de l’œsophage et de l’estomac, si elle est vomie ; de même encore, si elle sort avec les déjections alvines, elle annonce l’ulcération d’un des intestins.

Une autre espèce de diagnostic se tire de certains signes [qui se manifestent], quand quelque chose contre nature est renfermé dans une région avec laquelle elle est incompatible, par exemple une pierre dans les reins ou la vessie, du pus dans le thorax. À cette espèce appartient le caillot de sang, quel que soit le lieu qui le renferme, ou certaine humeur malfaisante engendrée dans le corps de l’animal ou introduite du dehors.

Ce fait a soulevé parmi beaucoup de médecins modernes une question sans utilité, il est vrai, pour la pratique de l’art médical, mais qui contient des vues spéculatives. Ils se sont demandé si de telles choses contre nature, engendrées en nous, rentrent dans le genre des lieux affectés, ou si, aucun lieu n’étant affecté, l’animal souffre seulement par la présence de cette cause contre nature. Qu’un tel problème soit inutile, comme je le disais, c’est ce qu’il est facile de reconnaître, en réfléchissant que l’utilité pour l’art résulte du diagnostic. Ainsi supposez une personne qui, depuis trois jours, n’a absolument pas uriné, est-ce que nous ne rechercherons pas immédiatement dans quelle partie du corps est la cause du mal ? Est-ce dans les reins, dans les uretères, dans la vessie ou dans l’urèthre ? Nous ne la chercherons certes pas dans le foie, le poumon, la rate, l’estomac et le cœur, ni dans quelque autre partie, parce qu’aucune de celles-ci n’est un organe urinaire. Mais si nous ignorions que la sécrétion de l’urine a lieu d’abord dans les reins, qu’ensuite l’urine arrive par les uretères dans la vessie, que de là elle est évacuée de la façon que nous avons indiquée dans nos discussions Sur les facultés naturelles (I, viii), nous ne pourrions rien découvrir de cela. Il ne suffira même pas d’aller jusque-là ; car il est préférable de rechercher, parmi les causes énoncées, quelle peut être la cause de la rétention d’urine.

Voici la route à suivre dans cette investigation : s’enquérir de tous les symptômes présents et passés, en examinant par soi-même les symptômes actuels, et en s’informant des symptômes passés, non-seulement auprès du patient, mais encore auprès de ses proches (voy. Hippocrate, Aph., I, 1). Qu’il existe, par exemple, une tumeur à la région nommée pubis, tumeur qui indique clairement que la vessie est remplie dans une certaine limite, et que l’émission de l’urine soit complétement supprimée, n’est-il pas évident qu’il faut ou que la puissance qui pousse l’urine au dehors soit abolie, ou que le conduit de l’urèthre soit obstrué ? On examinera donc d’abord si cette puissance peut être abolie, en se rappelant comment s’opère l’évacuation de l’urine chez les personnes bien portantes, et qui jouissent de leur volonté, le muscle qui entoure circulairement le col de la vessie cessant son action, tandis que la vessie elle-même agit. L’action du muscle dépend de notre volonté, celle de la vessie est involontaire et physique. En effet, nous avons démontré dans nos commentaires Sur les facultés naturelles, que dans presque toutes les parties du corps, il existe une faculté séparative des superfluités, faculté que tous les animaux possèdent incessamment, et dont ils font usage quand ils sont gênés par ces superfluités. Quand donc cette faculté vient à être atteinte, il en résulte parfois l’affection nommée ischurie. Mais si vous établissez le patient de façon que le col de la vessie soit dans une position déclive, et qu’avec vos mains vous pressiez la tumeur contre nature, l’urine sera expulsée. Si cet essai n’amène aucun résultat, il faut renoncer à l’idée que la cause du mal réside dans la paralysie, et supposer que l’urèthre est obstruée. En effet, la paralysie du muscle qui entoure l’urèthre produit, non pas l’ischurie, mais l’émission involontaire de l’urine (voy. Utilité des parties, V, xvi et Dissert. sur la physiol.).

De combien de modes le conduit du col de la vessie qu’on nomme urèthre peut-il être obstrué ? C’est ce que nous allons examiner immédiatement. Tous ces modes se réduisent à trois, ce me semble. Ou le corps de l’urèthre présente une tumeur contre nature si considérablement développée, que le conduit est bouché par elle ; ou quelque corps contre nature, soit charnu, soit calleux, pousse sur lui comme une excroissance, ou quelque matière intercepte le conduit. Le corps lui-même se gonfle en une tumeur énorme provenant d’une inflammation, d’un squirrhe, d’un abcès ou d’une tuméfaction quelconque. Une masse charnue s’élèvera sur le conduit, à la suite d’une ulcération ; il y naîtra lentement une substance engendrée petit à petit par une humeur épaisse et visqueuse ; le conduit pourra être obstrué par une pierre, un caillot, du pus ou une humeur épaisse et visqueuse. Il faut donc distinguer tous ces cas, en examinant non-seulement les symptômes actuels, mais encore les symptômes passés.

Supposez que le malade soit un enfant ayant offert précédemment les symptômes de la pierre : une urine aqueuse, chargée de dépôts sablonneux ; cet enfant se presse continuellement la verge, qui est flasque ou en érection sans motif ; puis une ischurie subite se déclare. D’après cela, on devra supposer, non sans raison, que le calcul est engagé dans le col de la vessie. Faites donc coucher l’enfant sur le dos, les jambes beaucoup plus élevées que le reste du corps, puis secouez-le en divers sens, de façon que la pierre tombe du conduit. Après ces manœuvres, dites à l’enfant d’essayer d’uriner. Si la tentative réussit et si l’urine est sécrétée, vous serez convaincu que vous possédez le diagnostic exact de la cause et, en même temps, que vous avez trouvé le mode de traitement. Si la rétention persiste, vous secouerez de nouveau plus fortement ; si après ces secousses, elle persiste encore, alors, avec l’instrument nommé cathéter, vous expulsez la pierre du col et vous rouvrez le passage à l’urine. Si, au contraire, les signes de la pierre ne paraissaient pas avoir précédé la rétention, et qu’il y eût écoulement de sang, il serait à présumer qu’un grumeau obstrue l’urèthre (cf. VI, iv). Il arrive aussi que, dans l’ulcération de la vessie, l’écoulement de sang ne l’a pas précédé, mais que le caillot s’est formé peu à peu. Il arrive encore que le sang, coulant par les uretères des reins dans la vessie, forme le caillot. En présence de telles conjectures, le cathéter est encore utile, comme aussi lorsqu’on suppose que du pus ou qu’une humeur épaisse et visqueuse obstrue le conduit.

Voici comment la connaissance des symptômes antérieurs nous conduira à une semblable conjecture. S’il y a eu précédemment une affection de la vessie ou des reins, qui puisse faire supposer qu’il s’est formé un amas de pus assez considérable pour obstruer vraisemblablement le conduit, vous conjecturerez que l’urine est arrêtée par cette cause. Vous jugerez de même encore si plus haut que les reins, il a existé précédemment, dans une autre partie, un ulcère dont la rupture a vraisemblablement fait passer le pus dans les reins. S’il n’y a aucun symptôme antérieur semblable, nous nous enquerrons du genre de vie que mène le malade. Est-ce un homme oisif, ou se nourrit-il de mets abondants qui engendrent des humeurs épaisses ou visqueuses ? De même, si nous pensons qu’une caroncule engendrée par une ulcération obstrue le canal de la vessie, nous tirerons cette induction des signes qui ont précédé l’ulcération et de la nature de l’urine évacuée par le cathéter. — Voici un cas semblable dont j’ai été témoin. L’introduction du cathéter produisit une sensation douloureuse à cet endroit du conduit où nous supposions l’existence antérieure de l’ulcération. La chair ayant été rompue par le cathéter, l’évacuation de l’urine fut suivie de la sortie de quelques gouttes de sang et des morceaux de chair.

Ces détails rentrent dans le plan de notre ouvrage. Quant à la question signalée tout à l’heure (p. 471, l. 23), il est déjà évident qu’elle est simplement spéculative, sans aucun intérêt pour la pratique de l’art. Ce qu’il y a d’utile pour la pratique, c’est de savoir que le conduit est obstrué par un caillot, si cela se trouve ainsi, ou par un calcul. Mais faut-il dire que l’état qui se produit est une affection du conduit, ou que la cause de l’ischurie réside dans le conduit ? C’est une de ces questions sans utilité pour la pratique. Je ne sais comment Archigène s’arrête longtemps sur de pareilles recherches, après avoir écrit sur ces sujets d’une façon si obscure qu’il n’est compris de personne.

Reprenant donc notre raisonnement, arrivons à déterminer comment, par les symptômes passés et présents, on reconnaît la cause de l’ischurie. Quelqu’un ayant été frappé violemment à la partie nommée périnée, une inflammation s’ensuivit. Il ne pouvait uriner, et sa vessie, manifestement pleine, était distendue et se dessinait dans son contour. Il ne nous parut pas convenable de faire usage du cathéter, qui aurait augmenté l’inflammation ; nous préférâmes faire des affusions d’eau chaude et d’huile. Au bout de trois heures de cette médication, voyant la tension très-diminuée, et la douleur, comme l’avouait le patient lui-même, un peu calmée, nous lui enjoignîmes d’essayer d’uriner. Quand il eut obéi, nous pressâmes avec une douce violence la vessie distendue, en la comprimant de haut en bas. Cela fait, le jeune homme urina.

Dans de semblables circonstances, nous diagnostiquons nettement la cause de la rétention, peu nettement dans certaines autres ; mais alors, nous mettons à profit la conjecture logique inductive, selon l’expression habituelle, conjecture tenant le milieu entre une notion exacte et une ignorance complète. Il n’est donc pas possible, pour toutes les maladies, de faire ce que les empiriques nomment des syndromes pathognomoniques (voy. les traités Sur les sectes) ; au contraire, ce qu’Érasistrate a coutume de dire est très-vrai : il faut exercer le raisonnement qui doit nettement distinguer non-seulement quelle est l’affection, mais encore quel est le lieu affecté. Mais pour l’exercer convenablement, on n’ira pas rechercher s’il faut dire que c’est le col de la vessie qui est affecté par l’obstruction que cause la pierre ou le caillot, ou que c’est la fonction qui est lésée, tandis que le col est exempt d’affection. Telles sont les questions que se pose Archigène, questions bien inutiles pour l’art.

D’autres, poussant plus loin la subtilité, prétendent que ce n’est pas la fonction même qui est lésée. En effet, disent-ils, cette fonction s’exécute par le relâchement du muscle constricteur du col de la vessie, par la contraction du col de la vessie sur l’urine qu’elle renferme, par la compression simultanée des muscles de l’hypogastre. Quand donc la vessie n’a éprouvé aucune lésion dans sa fonction, que la volonté imprime aux muscles les mouvements qu’il lui plaît, contractant les muscles supérieurs, relâchant le muscle du col, comment, disent-ils, supposerait-on encore avec raison que la fonction est lésée ? Ils sont donc contraints de dire que l’affection de l’ischurie provient, non pas d’une lésion de la faculté d’uriner, mais d’un empêchement survenu dans cette faculté, comme s’ils rendaient service à l’art médical en substituant au mot lésion le mot empêchement.

De semblables recherches, disais-je, sont spéculatives et exercent le raisonnement, sans aider ni au diagnostic des affections ni à la découverte des lieux affectés. Mais la recherche dont je parlais tout à l’heure rentre essentiellement dans le plan de notre présent ouvrage, et ce qui en ressort immédiatement, c’est qu’il faut apprendre d’abord exactement par l’anatomie quelle est la substance de chaque partie, ensuite qu’on doit connaître les fonctions des parties et les rapports que ces parties ont avec celles qui les avoisinent, rapport qui est compris sous le nom de position. La connaissance de l’utilité importe beaucoup aussi pour découvrir les lieux affectés. En effet, les fonctions sont les mouvements actifs des parties, les utilités résident dans toutes ces parties, même quand elles n’agissent pas. Ainsi, pour ce qui est de l’évacuation de l’urine, la fonction qui consiste à évacuer s’exerce par la contraction de la vessie, parfois avec le concours des muscles de l’hypogastre, quand l’urine est très-peu abondante ou que la vessie est sans force. Cependant toutes les autres parties sont utiles pour l’action. En effet, si la cavité de la vessie n’avait pas exactement la figure que nous lui connaissons, si son col n’était percé entièrement, et si les uretères n’avaient pas été insérés sur elle obliquement, c’est en vain qu’elle jouirait du mouvement péristaltique. C’est donc de la connaissance de ces faits que résulte le diagnostic des parties affectées en même temps que des affections qu’elles présentent, et non de la question de savoir s’il faut dire que l’affection réside ou non dans l’organe obstrué.

Il existe une question semblable à celle-ci, concernant les parties déjà affectées, mais n’ayant pas encore en elles une diathèse spéciale. On appelle diathèse spéciale celle qui persiste encore quand la cause qui l’a produite a cessé. D’après cette considération, quelques-uns disent que la tête n’est nullement affectée dans les céphalalgies qui proviennent de l’humeur bilieuse renfermée dans l’estomac. En effet, aussitôt que cette bile est vomie, la céphalalgie disparaît, tandis que si elle persiste après le vomissement, alors, disent-ils, c’est la tête qui est affectée. Ils le disent bien plus encore quand il survient aux yeux des symptômes semblables à ceux qu’entraînent les suffusions (cataractes), par suite de raccumulation d’une superfluité à l’orifice de l’estomac (voy. III, ix). Ce sont là, en effet, comme des ombres d’affections.

Nos devanciers, trop prolixes sur toutes les questions semblables, ont très-peu écrit sur le diagnostic des lieux affectes. Pour nous, nous suivrons une route opposée à ceux-ci ; exerçant, et pour ainsi dire façonnant, nos lecteurs attentifs à devenir habiles dans le diagnostic des parties affectées. Nous supposions tout à l’heure (p. 474-5) l’incapacité d’uriner résultant d’une distension de la vessie ; eh bien ! supposons maintenant la rétention d’urine survenue sans gonflement de la vessie. Il faut, dans une semblable ischurie, que les uretères et les reins soient obstrués. D’un autre côté, on doit examiner les symptômes antérieurs de l’ischurie, s’enquérir si les reins ont été affectés de la pierre, d’une inflammation ou de quelque autre maladie. Il faut encore rechercher la disposition générale du corps, afin de distinguer autant que le permet une conjecture fondée sur l’art, si c’est dans les reins mêmes qu’a pris naissance l’obstruction par suite de calculs ou d’humeurs épaisses, ou bien si c’est dans ce qu’on nomme les uretères, lesquels sont les conduits prolongés des reins dans la vessie. En effet, certains symptômes conduisent à un diagnostic parfait, ainsi que nous le disions tout à l’heure des symptômes qui manifestent clairement la propriété de la substance affectée. Certains autres sont sous la dépendance d’une conjecture logique inductive, et par cela même donnent lieu à de longues discussions, même quand on écarte les sophistes, comme dans le cas actuel nous avons mis dédaigneusement de côté, et sans hésiter, Asclépiade, lequel a écrit sur l’accumulation de l’urine dans la vessie, des choses étranges que nous avons réfutées ailleurs (Fac. nat., I, xiii et suiv.). Déjà tous les anatomistes ont condamné ce qui a été écrit sur l’âme dirigeante par ceux qui sont d’avis qu’elle réside dans le cœur (voy. III, v et suiv.) ; les partisans d’Archigène n’osant pas abjurer publiquement cette opinion et la voyant convaincue d’erreur par beaucoup d’autres arguments, et non moins encore par la guérison des gens atteints de phrénitis et de léthargus, tournent en tous sens leurs raisonnements, disant tantôt une chose, tantôt une autre, tout en n’éclaircissant rien du tout, comme cela se voit certainement dans le troisième livre d’Archigène Sur les lieux affectés. Nous avons parlé longuement de l’âme dirigeante dans les Commentaires sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (voy. Dissert. sur la philos. et la physiol.). Maintenant, supposant la question démontrée, nous passons en revue les parties affectées. Je vais commencer par la considération de ce qui est commun à tous les lieux affectés, ayant pour objet une recherche, non pas spéculative, mais pratique.


Chapitre ii. — Les fonctions sont nécessairement lésées quand les parties, siége et source de ces fonctions, sont affectées ; il y a toujours aussi affection de la partie où se manifeste un trouble de la fonction par une cause fixe ou transitoire ; le caractère de l’affection varie suivant la fixité et la nature de la cause qui lui a donné naissance. Exemples à l’appui. — Que les maladies, comme tout ce qui se forme, mettent un certain temps à se constituer. — Les maladies sont unes et identiques ; elles ne varient pas de nature, mais d’intensité ; car il en est qui existent très-réellement sans être pour cela appréciables aux sens et elles restent toujours ce qu’elles sont dès le principe. — Exemple tiré de l’action des gouttes d’eau sur un rocher. — Récapitulation : Le principe qui domine dans la recherche des lieux affectés, c’est celui-ci, qu’il n’y a point de lésion de fonction sans affection des parties.


Il existe une partie propre à chacune des fonctions du corps de l’animal, et qui donne naissance à cette fonction. La fonction doit donc être, lésée nécessairement, quand la partie qui l’engendre éprouve quelque affection. L’affection qu’elle contracte est parfois si facile à dissiper, qu’elle disparaît à l’instant avec la cause qui l’a occasionnée, et parfois si opiniâtre, si tenace, qu’elle persiste longtemps. Il arrive même parfois que la cause occasionnelle, en passant, produit, dans la partie, une affection sans fixité ; c’est elle qu’Archigène compare à une ombre d’affection. Ainsi, des images semblables à celles qui naissent dans les suffusions (cataractes), viennent troubler l’œil dans le cas où une superfluité ténue s’est accumulée à l’orifice de l’estomac. Certaines vapeurs, en effet, remontent de cette région aux yeux ; la faculté visuelle, en les rencontrant, est troublée par des images, comme dans les suffusions. Un pareil phénomène se produit surtout chez les personnes qui ont l’humeur des yeux parfaitement pure et la faculté visuelle très-sensible. Par la même raison, chez les personnes qui, au milieu d’une maladie, vont être prises d’hémorrhagie ou de vomissement prochain, il se manifeste parfois des symptômes semblables.

Voici ce qu’écrit à cet égard Hippocrate dans le Pronostic (§ 24) : « Quelqu’un, dans une fièvre qui n’est pas mortelle, accuse de la céphalalgie ou se plaint qu’une sorte de nuage noir lui passe devant les yeux ; si une douleur du cardia survient ensuite, un vomissement bilieux s’ensuivra. » — Un peu plus loin (ibid.) il ajoute : « Chez les individus qui, dans une fièvre de cette nature (fièvre tierce), souffrant de la tête, au lieu de nuage noir qui passe devant les yeux, éprouvent un obscurcissement de la vue, ou voient des étincelles, et qui, au lieu d’une douleur du cardia, ressentent une tension dans l’hypochondre gauche ou droit, sans douleur ni inflammation ; chez ceux-là on s’attendra à un écoulement sanguin par le nez, et non à un vomissement. » Telles sont les paroles d’Hippocrate. Il nous y enseigne que souvent des humeurs s’étant accumulées dans l’estomac, certaines images viennent troubler la vue ; mais s’il ne remontait absolument rien des humeurs aux yeux, il ne se manifesterait aucun symptôme semblable, comme il ne s’en manifesterait pas non plus si rien ne se portait aux conduits des oreilles ou du nez, ou au corps de la langue. Évidemment donc, il faut que les yeux participent en quelque chose à la diathèse de l’estomac, si l’animal doit avoir des erreurs dans la vue.

De même encore, lorsque Hippocrate dit (Aph., IV, 28) : « Les déjections bilieuses cessent quand survient la surdité, et la surdité cesse lorsque surviennent les déjections bilieuses, » quel est le commentateur assez frivole pour omettre, dans le discours, les affections des oreilles, et dire que si la bile, précédemment évacuée à travers le canal intestinal, remonte aux yeux, alors survient la surdité ? Il est donc toujours nécessaire de commencer par l’organe de la fonction lésée, puis de chercher quel est, dans cet organe, le mode de lésion, si elle a déjà une disposition à persister, ou si, étant déjà formée, elle n’est pas devenue persistante. Quand elle est en train de se former, il faut examiner si la cause générative de l’affection est renfermée dans la partie, ou si elle l’a traversée. Par exemple, si l’humeur cristalline s’est desséchée outre mesure, l’affection est enracinée dans la partie, et elle devient propre à sa substance. Mais si une humeur épaisse se rassemble à la pupille, la substance n’est pas encore lésée, bien que la cause du symptôme soit contenue dans l’œil ; elle ne fait que le traverser, quand une humeur en train de s’évaporer est contenue dans l’estomac. Cette idée que la partie est affectée dans le cas seulement où la diathèse de sa substance devient persistante, appartient aux gens qui veulent définir autrement que ne le comporte l’usage habituel, la signification des termes grecs.

Cependant, quand on ressent une douleur aiguë de l’intestin, la douleur étant fixée dans une partie et comme térébrante, comment oserait-on dire que l’intestin n’est nullement affecté ou que l’affection n’y réside pas ? Parfois, néanmoins, en un instant disparaissent ces douleurs par suite de l’évacuation d’une certaine humeur vitreuse. Certes, on ne peut supposer au mal d’autre cause que l’humeur évacuée. En effet, quand la douleur cesse immédiatement après l’évacuation de l’humeur, toute personne qui veut expliquer la cause de pareils phénomènes, est convaincue, par suite d’une certaine opinion conforme à la physique, et qui emporte de soi-même la conviction, que cette humeur est la cause de la douleur. En effet, telle ou telle affection naissant au contact d’une chose et cessant aussitôt après sa disparition, tous les hommes sont convaincus que cette chose est la cause de l’affection. C’est ainsi que nous sommes persuadés que le feu est la cause qui nous a brûlés, l’épée la cause qui nous a coupés ; de même pour chacune des autres causes. Nous devons donc penser que l’humeur évacuée a été cause de l’affection survenue, lorsqu’elle était renfermée dans la partie. A-t-elle incommodé le lieu, soit par une impression de froid excessif ou de chaleur, soit par une dyscrasie générale, soit en traversant les corps continus, où elle excite violemment la sécrétion, soit en produisant un vent flatulent capable de distendre la partie qui le renferme, soit en s’insinuant fortement comme un coin, soit en rongeant ou en mordant, cela ne ressort pas encore du soulagement que procure son évacuation ; nous ne savons qu’une chose, c’est qu’elle incommodait la partie où elle était renfermée. Non seulement donc il faut tenir une semblable humeur pour la cause de la douleur, mais encore il faut regarder la partie où elle était renfermée comme affectée dans le temps où elle souffrait de la présence de cette humeur.

C’est ainsi que nous disions encore que nous sommes affectés par la rencontre de quelques corps étrangers, soit qu’ils échauffent comme le feu, qu’ils refroidissent comme la neige, ou qu’ils fassent une contusion comme une pierre, l’affection cessant aussitôt que le corps est écarté, sans que personne prétende pour cela que la partie n’a pas été affectée, parce qu’aucune trace de l’affection n’est restée. Avertis que nous emploierons toujours dans ce sens le terme affection et le mot être affecté, prêtez donc votre attention à nos paroles, en y cherchant un enseignement utile pour le pronostic et la thérapeutique. Tantôt, en effet, l’affection naît d’une certaine cause, mais elle n’a pas contracté une diathèse persistante, si la cause vient à être écartée ; tantôt l’affection est déjà formée et se forme encore ; souvent aussi elle cesse de se former (reste stationnaire), lorsque la cause disparaît ; mais la diathèse est déjà persistante. Ainsi, dans la dyssenterie, l’humeur mordicante est cause de l’affection, d’abord en grattant et en raclant l’intestin, et dans la suite en l’ulcérant. Si donc, avant d’avoir ulcéré l’intestin, l’humeur cesse de couler, l’affection n’est pas encore une dyssenterie. Mais si l’intestin était déjà ulcéré, l’affection existante ne cesserait pas avec le flux d’humeur, et je ne m’embarrasserais nullement, dans le cas actuel, de cette espèce d’argument agaçant, qui marche petit à petit, et qu’on appelle sorite[4]. Cette espèce d’arguments présente, en effet, dans maintes circonstances de la vie, des difficultés exposées ou démontrées par les philosophes ou médecins venus avant moi. Il est donc inutile pour moi de les citer quand j’ai, dans cette partie même de l’art, à marquer les doutes. En effet, que les affections se développent dans un certain temps, c’est un des points incontestés ; mais, de même que, dans le temps qu’elle s’élève, une maison n’est pas encore absolument maison, et que tout l’assemblage qui doit la constituer n’est qu’une maison naissante, de même pour chacune des maladies, dans le temps qu’elle se forme, faut-il dire qu’elle se forme, mais n’existe pas encore ? C’est là une question digne d’examen.

La nature de toutes les choses qui se forment n’est pas la même : pour celles qui sont homoïomères (composées de parties similaires) et qui n’ont aucune forme nécessaire, dès le principe l’essence est la même ; pour celles, au contraire, qui ont des formes variées et qui ne sont pas homoïomères, l’essence spéciale peut être postérieure à la formation qui est en train de s’opérer[5]. En effet, dans une maison on ne voit pas se construire simultanément les fondements, les murs, le toit, les tuiles, les portes, les fenêtres, dont la réunion, faite d’une certaine façon, et l’assemblage en une seule figure compose la substance de la maison. Mais une maladie chaude ou froide, humide ou sèche, dès le principe, aussitôt que sont franchies les saines limites du tempérament, prend et conserve toujours dès le principe la même nature ; si, vu son peu d’intensité, elle échappe souvent à notre diagnostic, et si les malades ne s’en aperçoivent pas, elle a néanmoins une espèce particulière. C’est ainsi que l’inflammation, quelle que soit la partie du corps, ou très-grande ou très-petite, dans laquelle elle s’est fixée, est une affection une et identique, variant, non de figure, mais d’étendue. Que certaines affections puissent exister dans le corps sans être encore visibles, à cause de leur peu d’intensité, la preuve en est dans la goutte d’eau qui, avec le temps, creuse le rocher, et qui a donné lieu à ce vers cité à si juste titre :

La goutte d’eau finit, en tombant incessamment, par creuser la pierre[6].

Et cependant il ne suffit pas d’un, de deux, trois, quatre chocs de l’eau tombant sur le rocher, ni même de cent, pour rendre visible la cavité. D’ailleurs, il n’est pas possible que le premier coup n’ayant rien fait, le second fasse quelque chose ; car il aurait, relativement au rocher, le même résultat que le premier. Il faut donc, si la deuxième goutte doit agir sur le rocher, que la première l’ait modifié de manière qu’il ne soit pas reste absolument ce qu’il était dès le principe. En effet, s’il demeure entièrement le même, et si la goutte d’eau, principe agissant contre lui, reste également la même, il faut qu’après le second coup, comme après le premier, le rocher se maintienne sans être affecté. Si cela est vrai du second, c’est vrai aussi du troisième ; car le raisonnement est le même. Il en sera de même du quatrième, du cinquième et de tous les coups ultérieurs. En effet, tant que la même cause frappera le rocher qui reste inaltérable, elle ne fera aucun progrès. Que si, après mille coups, le creux du rocher paraît visible, il faut dire que chaque coup a opéré la millième partie de l’affection visible pour la première fois dans le rocher. Lors donc que les causes agissent contre le corps, la figure de l’affection est la même dès le principe, mais elle est invisible à cause de son peu d’intensité. De si petites affections disparaissent sur-le-champ, guéries par la nature, quand les causes générales sont écartées. Un secours étranger est nécessaire à celles-là seulement que la nature ne saurait vaincre à cause de leur gravité. Ainsi, d’après ce raisonnement, aussitôt que l’humeur mordicante a raclé l’un des intestins, bien que le résultat ne soit pas encore visible, cependant la diathèse existe dans l’intestin sous la forme de la dyssenterie. De même donc que, sans aucune médication, la nature guérit de petits ulcères comme on en voit souvent survenir, de même encore elle guérit les érosions des intestins. D’après cela il n’y a donc pas une vérité absolue dans cette proposition émise par quelques personnes, que de semblables symptômes ne laissent dans les corps aucune affection. Si cela était vrai, quand une notable douleur se fait sentir, les intestins étant rongés par l’âcreté des déjections, dans ce cas, du moins, il y aurait affection des intestins.

Nous observerons comme un principe élémentaire dans toute la suite du discours et nous donnerons comme première règle de la méthode, pour découvrir les lieux affectés, cette remarque, savoir : que jamais aucune fonction n’est lésée sans que la partie qui l’exécute soit affectée (voy. chap. vi). En effet, si dans cette partie il existe une douleur ou une tumeur contre nature, c’est nécessairement qu’elle est affectée, et à plus forte raison quand la fonction est lésée. Nous avons dit encore précédemment que la nature des excrétions nous sert à conjecturer quels sont les lieux affectés ; il est évident qu’on peut arriver de deux façons à cette conjecture, soit par la propriété de la substance expulsée, soit par les matières qu’elle renferme. Nous avons dit aussi que parfois il est possible, à l’aide des excroissances, de former une conjecture sur les lieux affectés. Ces choses rentrent dans l’espèce des symptômes ; elles offrent entre elles une grande variété, et nous en reparlerons plus tard.


Chapitre iii. — En combien d’espèces les affections et leurs causes doivent être divisées pour arriver au diagnostic des lieux affectés. — Des affections et des causes fixes ou passagères ; des affections sympathiques (secondaires) et des affections idiopathiques (primitives). — Nécessité de bien préciser le sens des mots techniques, car leur bon emploi touche au fond même des doctrines. — Y a-t-il ou non lésion de la coction eu égard aux diverses espèces de corruption des aliments.


Reprenons maintenant notre discours à son point de départ, en cherchant pour les parties à découvrir les signes qui indiquent les affections de chacune d’elles, soit qu’on les considère en qualité de substance spéciale, soit en qualité d’organe. Dans l’un et l’autre cas, nous séparons et distinguons des affections déjà formées celles qui se forment encore et n’ont pas une constitution fixe ; nous distinguons des causes contenues dans la partie même affectée celles qui ne font qu’y passer. Il est de toute évidence que des modes susdits il se formera quelques modes composés. Nous distinguerons aussi les affections survenues par sympathie, avec une autre partie, des affections idiopathiques ; car il est plus convenable de dire idiopathie, et non pas protopathie (comme c’est l’habitude des médecins), en opposant dans la classification l’affection sympathique à l’idiopathique. Voulant donner des dénominations justes, nous dirons que l’affection secondaire ou postérieure est opposée à l’affection primaire, tandis que l’idiopathie est opposée à la sympathie. Ainsi il peut arriver souvent qu’une même partie soit malade à la fois sympathiquement et idiopathiquement, lorsque dans la partie affectée sympathiquement s’est formée une diathèse permanente ; or nous ne dirons pas, dans ce cas, que l’affection est primaire, mais qu’elle est secondaire et idiopathique. Cela se voit clairement aussi dans les affections externes. C’est ainsi que, chez un individu pléthorique, un bubon énorme venant à naître à la suite d’un ulcère, tandis que l’ulcère se cicatrise, le bubon persiste, dégénérant soit en une inflammation suppuratoire, soit en une affection squirrheuse, que l’on appelle strumes. Personne ne verrait une protopathie dans de semblables maladies, précédées d’une autre affection sur laquelle elles se sont implantées. Les affections nées par sympathie peuvent passer à l’état d’idiopathie, comme si une protopathie s’était déclarée dès le principe.

Nous rappellerons utilement dans la circonstance actuelle ce que nous avons dit dans notre livre Sur les termes médicaux (ouvrage perdu) où nous traitions de leurs significations confondues à tort par un certain nombre de médecins et de philosophes modernes. En effet, le mot affection opposé au mot action est d’une utilité considérable ; car agir (ἐνεργεῖν) se dit d’une partie qui tient son mouvement d’elle-même ; être affecté πάσχειν) de celle qui tient son mouvement d’une autre. Or, le mouvement étant de deux sortes, altération et translation, quand l’altération arrive à une diathèse permanente, elle se nomme maladie attendu que la diathèse est alors un état contre nature. Mais par abus souvent aussi on nomme affection une semblable diathèse. En sorte que si l’on se conforme à la diction des Grecs on dira plutôt des parties où il existe des mouvements contre nature, qu’elles sont affectées, tandis que pour les parties qui ont des diathèses contre nature, si l’on veut s’exprimer régulièrement, on dira d’elles qu’elles sont malades plutôt qu’affectées ; par abus on dira non-seulement qu’elles sont malades, mais encore qu’elles sont affectées.

Je vais encore répéter ce que je ne cesse de dire : dans l’enseignement scientifique, le maître peut, comme il le veut, prononcer le mot et indiquer ce qu’il signifie, puis immédiatement passer à l’explication des choses. Pour moi, si je mentionne ici les significations, c’est que bien des gens, non contents de détourner le vrai sens des termes grecs, blâment encore ceux qui les emploient bien. Tels sont ceux qui prétendent dans les lésions d’actions que souvent les parties ne sont nullement affectées parce qu’elles n’ont pas encore contracté une diathèse durable, par exemple dans la céphalalgie qui résulte des humeurs contenues dans l’estomac. En changeant de raisonnement, si on voulait disputer sur les mots on les interpréterait plus exactement en disant que la tête est affectée quand elle éprouve une affection sympathique de l’estomac, et qu’elle est malade quand elle éprouve une affection idiopathique. On dirait encore que l’estomac lui-même est affecté quand il est incommodé par des humeurs pernicieuses, et qu’il est malade quand par dyscrasie propre, inflammation, ulcère, ou abcès, il se trouve dans un état contre nature. Que si l’on veut mettre encore plus de recherche et de dialectique dans l’emploi des mots, on dira tantôt que l’action de la coction est lésée en même temps que les aliments sont corrompus, et que, tantôt celle-là demeure intacte tandis que ceux-ci sont corrompus.

Il existe trois différences principales et comme fondamentales de l’altération des aliments, provenant, l’une des maladies propres à l’estomac, l’autre des humeurs pernicieuses qui s’y trouvent accumulées, et la troisième de la qualité des aliments[7]. Donc les aliments qui ont naturellement quelque chose de nidoreux, d’acide, de fétide ou une propension générale à se corrompre, et ceux qui sont amenés par leur mode de préparation à une disposition semblable, doivent évidemment se corrompre dans l’estomac, et pour cette raison l’on pourrait dire d’eux qu’ils sont incuits. Mais il naît un débat touchant l’affection causée dans cette circonstance par les aliments à la faculté coctrice (digestive) : quelques-uns disent que dans de mauvaises coctions semblables, cette action n’est nullement affectée, d’autres qu’elle est affectée. Il existe encore une troisième opinion où l’on prétend que de semblables aliments ne sont pas incuits, mais seulement qu’ils ne sont pas cuits, comme s’il ne revenait pas au même d’énoncer quelque chose au moyen d’une négation ou de la voix dite privative par les dialecticiens. Érasistrate, je crois, avait la même idée, quand il disait à propos des pépins du raisin, du sésame et de toutes les substances qui sortent du corps sans avoir subi aucune putréfaction ni transformation, qu’elles n’indiquent aucune incoction survenue dans l’animal, mais seulement qu’elles n’ont pas été cuites.

Chapitre iv. — Comment on reconnaît les lieux affectés au moyen des matières excrétées. — En prenant l’estomac pour exemple, si on a des rapports nidoreux ou acides, ou si on rend des matières non digérées, parce que ces rapports ou ces matières tiennent à la nature même des aliments, il est inutile de savoir si l’estomac et sa fonction sont ou non en bon état ; au contraire, si des rapports acides ou nidoreux ou tel autre accident du côté des voies digestives, ne sont pas expliqués par les aliments, il faut s’enquérir de la nature de la dyscrasie, de ses causes et de son siége, car c’est là la seule méthode qui permette d’asseoir un traitement rationnel.


Il convient donc de ne pas négliger ces questions ; mais en prêtant une exacte attention, il faut laisser à part tout ce qui ramène des discussions dialectiques et examiner avec soin tout ce qui conduit au diagnostic de la partie affectée. C’est le moyen de prévoir l’affection future et de guérir convenablement celle qui existe déjà. C’est ainsi encore que sans s’inquiéter de termes sujets à contestation, on retirera des choses l’utilité qu’elles présentent. Supposons qu’en se levant de bon matin on se plaigne de rapports nidoreux, ou exhalant quelque autre odeur, par exemple celle d’œufs frits ou une autre plus désagréable et fétide ; la personne qui éprouve des rapports nidoreux convient qu’après son souper elle a mangé d’un gâteau dont l’odeur est nidoreuse comme est celui qu’on compose avec de l’huile et de l’itrium (voy. Oribase, t. I, p. 562) ; une autre ayant mangé des œufs frits reconnaît que ses rapports en rappellent l’odeur ; une troisième a mangé beaucoup de raiforts qui communiquent à ses rapports quelque chose de nidoreux et de fétide. Tout le monde avoue que les aliments chez ces personnes n’ont pas été cuits (digérés) convenablement ; cependant, dans ce cas, l’estomac lui-même n’a été nullement affecté, et dans sa manière d’être il n’a pas failli à son action, non plus que quand on rend intacts les pépins de raisin. En effet, s’il eût été dans la nature de l’estomac humain de transformer les pépins de raisin, nous serions alors en droit d’accuser le corps même de l’estomac, et nous penserions qu’il est dans un état fâcheux. Mais comme il ne possède pas cette faculté et qu’un des caractères de la substance des grains de raisin, c’est de n’être pas digérés, on dira d’eux avec raison qu’ils n’ont pas été digérés, mais que le corps de l’estomac est dans son état normal, chose si utile pour les médecins à reconnaître et à distinguer. Mais faut-il dire que la fonction de l’estomac est lésée ou ne l’est pas dans de semblables circonstances, c’est une recherche superflue pour la pratique de l’art médical.

Supposons maintenant une personne ayant des rapports nidoreux, mais n’ayant mangé aucun aliment qui explique cette qualité des rapports ; nous dirons qu’elle a une chaleur ardente à l’estomac, puis nous déterminerons si cette chaleur résulte d’une dyscrasie du corps de l’estomac ou de la présence d’une quantité de bile jaune ou épanchée dans la cavité stomacale ou absorbée dans les tuniques du viscère de façon qu’il est difficile de la faire disparaître. Cependant nous ne nous en tiendrons pas là et nous rechercherons immédiatement si c’est du foie fonctionnant mal qu’une telle humeur provient, ou si elle découle du corps entier, ou encore si elle a pris naissance dans l’estomac même. En effet, ces distinctions sont très-nécessaires et réclament un homme d’une intelligence exercée, instruit des choses plutôt que des termes qui les désignent. Car si l’espèce de la corruption [nidoreuse ou acide] des aliments marque clairement la cause efficiente, il n’est pas également facile de trouver une indication bien précise de l’origine de cette cause.

Si les aliments deviennent nidoreux dans l’estomac, non par leur nature, la cause efficiente doit nécessairement être chaude ; s’ils s’aigrissent, elle doit être froide. Cependant il n’est pas encore évident si c’est une dyscrasie qui existe dans le corps de l’estomac, ou quelque humeur pernicieuse. Mais il faut le déterminer en donnant des aliments de la nature la plus opposée au mode de la corruption, par exemple, du pain et de l’alica (voy. Oribase, t. I, p. 559 et 619) contre les rapports nidoreux, du miel contre les rapports acides. Ensuite il faut examiner les matières vomies ou rendues par les selles et vérifier, si elles sont évacuées avec une humeur bilieuse et chaude chez celles-ci, pituiteuse et froide chez celles-là ; ou si, exemptes d’humeur, elles ont subi une légère transformation. En effet, s’il est survenu dans l’estomac même une dyscrasie par chaleur ardente, sans humeur, vous verrez le pain et le gruau rendus avec une très-légère transformation. Si c’est une humeur pernicieuse qui corrompt la nourriture, les aliments eux-mêmes paraissent imprégnés d’une humeur semblable et assez visiblement altérés par son action. Ces choses se distinguent beaucoup mieux par les vomissements, si le patient a une facilité naturelle à vomir ; mais forcer à vomir quand on ne le peut pas, n’est pas une chose convenable. Cela se passe ainsi quand l’humeur nuisible flotte dans la cavité de l’estomac ; si elle est absorbée par ses tuniques, alors de toutes façons il survient des nausées suivies d’une soif assez forte, principalement chez les gens d’un tempérament chaud, et une appétence pour les aliments chez les gens d’un tempérament plus froid. Il faut encore examiner si le foie est exempt d’affection ou s’il en ressent quelqu’une ; puis quelle est cette affection, si elle est chaude ou froide. Il en est de même pour la rate.

L’ensemble de toutes ces considérations, joint à la connaissance des boissons et des aliments qu’on a expérimentés, aidera à trouver exactement, non-seulement le lieu affecté, mais encore la nature de l’affection. Cette distinction est d’autant plus utile qu’elle sert de base au mode de traitement. Ainsi il faut toujours rafraîchir l’affection chaude en quelque région qu’elle se trouve. Mais jusqu’à quel point faut-il la rafraîchir, de quelle façon, avec quelle substance, c’est ce qu’indique le lieu affecté. Si donc il existe seulement une dyscrasie dans le corps même de l’estomac, en refroidissant la dyscrasie chaude et en échauffant la froide, vous soulagerez à l’instant le malade. Et dans votre conjecture vous n’aurez pas seulement une simple présomption, mais une certitude évidente, surtout si, par une expérience contradictoire, vous voyez l’état du patient amélioré par des médicaments et par un régime rafraîchissants, et empiré par des remèdes échauffants, ou en sens inverse, amélioré par des remèdes échauffants et empiré par des remèdes rafraîchissants. Si l’humeur se trouve renfermée dans les tuniques mêmes de l’estomac, les nausées ne seront pas suivies de vomissements, elles causeront seulement des tiraillements, mais n’évacueront pas l’humeur, comme il arrive quand celle-ci est renfermée intérieurement dans la cavité même de l’estomac ; les rapports seront aigres chez les uns, nidoreux chez les autres. Les uns seront soulagés par le médicament composé des trois espèces de poivres (long, noir et blanc), ou par quelque autre remède analogue avec adjonction d’eau ou de vin ; les autres par l’absinthe ou par les pilules d’aloès qu’on nomme aussi pilules amères (hiera piera). Si, dès le premier essai, l’emploi des médicaments appropriés procure un soulagement évident des effets produits par l’une et l’autre humeur, vous aurez déjà un diagnostic scientifique et un guide dans le traitement dont la continuation guérira le malade. Mais si, de l’emploi de ces médicaments ordinairement salutaires, il ne résulte que dommage dans l’un et l’autre état morbide, vous reconnaîtrez que votre diagnostic est erroné.

La plus solide connaissance de toutes les affections semblables, se trouve chez ceux qui savent exactement par quels remèdes chacune d’elles est guérie. C’est ainsi que j’ai guéri plusieurs personnes atteintes de ce qu’on nommait colique, avec le médicament à l’aloès, en conjecturant que les tuniques de l’intestin affecté étaient imprégnées de l’humeur mordicante ; et je leur faisais prendre cette potion parce que je savais fort bien qu’elle soulageait cette sorte d’affection. Comme elle les soulagea effectivement, persuadé que ma conjecture était fondée, je leur en fis prendre à plus haute dose. — Il est bon de raconter comment me vint une telle confiance. Je vis un homme dont le mal était irrité par les aliments et les remèdes, en un mot, par un régime échauffant, et, au contraire, soulagé par un régime dit succulent et adoucissant. D’un autre côté, je vis que l’abstinence l’incommodait. Quand je lui demandai quel caractère présentait sa douleur, il me répondit qu’elle était mordicante. Cette réponse augmentant ma confiance dans la justesse de mon diagnostic, j’osai lui donner le médicament amer. La vue du soulagement manifeste qu’il produisit chez le malade, me convainquit que j’avais exactement conjecturé le genre de son affection. — J’interrogeai un autre malade qu’irritaient les aliments de facile digestion, sur les symptômes antérieurs, et instruit que l’ingestion d’un purgatif l’avait amené à cet état, je lui demandai encore pour quel motif il avait fait usage de ce médicament. J’appris que c’était par suite de douleurs mordicantes et rongeantes, fixées depuis longtemps dans les régions de l’estomac. Conjecturant de là que l’intestin avait été lésé par le purgatif, qu’il y régnait un flux d’humeur, que recevant aisément les superfluités du foie, il les corrompait, je lui donnai des aliments difficiles à corrompre et astringents. Ses douleurs cessèrent et il n’eut plus d’évacuation, tandis qu’auparavant ses picotements étaient toujours suivis de déjections corrompues, en même temps que liquides et fétides. Ayant appris que les déjections n’avaient lieu que longtemps après les picotements, je conjecturai une affection des intestins supérieurs. De même, dans un cas différent, où le picotement était suivi d’une prompte déjection, je conclus à une affection des intestins inférieurs. Je guéris donc ce dernier par un lavement et l’autre par le régime alimentaire indiqué plus haut, sachant de science certaine, que les parties voisines de l’estomac sont soulagées plus promptement au moyen de ces aliments et des boissons administrés par le haut, et les parties rapprochées du fondement par les lavements.

(Il ne convient donc pas d’examiner simplement ce point seul : si c’est l’estomac ou l’un des intestins qui est affecté, mais encore quelle est l’affection ; il faut distinguer quels sont les signes propres des affections, et quels sont ceux des parties affectées. Ainsi pour l’estomac, l’apepsie est un symptôme, et la qualité nidoreuse ou aigre contractée par les aliments, révèle les affections de l’estomac et leurs causes. De même aussi pour l’intestin, l’époque des déjections, l’apparence des matières expulsées, les antécédents, l’effet des remèdes employés actuellement, indiquent simultanément et l’affection même et la partie où elle s’est formée. Supposez, en effet, une déjection renfermant soit des croûtes d’ulcères (ἐφελκίδεςfausse membrane ou partie même de la substance ulcérée. — Voy. p. 471, 548 ; VI, iv, et Dissert. sur la pathol.), ou des raclures de membranes, ou quelque matière sanguinolente, ou même toutes ces choses à la fois : l’intestin est ulcéré, on ne saurait en douter, mais l’ulcère se trouve-t-il dans les intestins grêles ou dans les gros intestins, c’est un point qui n’est pas encore évident et qu’éclairciront la forme des raclures, comme nous le disions tout à l’heure, et l’époque de la déjection et, en troisième lieu, le mélange de ces matières plus ou moins grand ou nul avec les excréments. En effet, les ulcérations des parties inférieures ne présentent aucun indice d’ulcères mêlés aux excréments. Les ulcérations situées un peu plus haut, en présentent, mais peu. Le mélange est plus prononcé dans les ulcérations supérieures, pour les intestins les plus élevés, le mélange des matières propres à l’ulcération avec les excréments est plus considérable encore.

Chapitre v. — Des rapports qui existent entre les signes indicatifs et les choses indiquées : ainsi la douleur, le siége du mal, la fonction lésée, les matières excrétées, les symptômes spéciaux mettent sur la voie des lieux affectés, et de la nature de l’affection.


Souvent un seul indice suffit pour découvrir à la fois le lieu affecté et la diathèse ou le lieu et la cause de l’affection. Ainsi encore l’indication des lieux se tire de la fonction lésée, des matières excrétées, du siége [de l’affection], de la nature de la douleur et des symptômes propres ; celle des affections est fournie par l’apparence des matières excrétées, par la nature de l’organe, par le caractère particulier de la douleur, et par les symptômes propres. Voici comment la lésion de la fonction indique la partie affectée : une personne présente un symptôme dans la fonction de la vue, nécessairement elle a une affection de l’œil, mais cette affection est-elle idiopathique ou sympathique, ou offre-t-elle à la fois ces deux caractères ? Cela demande un second examen. L’espèce des matières excrétées indique la région affectée comme nous le disions tout à l’heure, au moyen des parties de la substance de cette région et des matières qu’elle renferme. La position suffit encore pour indiquer la partie affectée. Ainsi une tumeur dure et circonscrite à l’hypochondre droit indique une affection, non pas de la rate, mais du foie. De même, circonscrite dans la région de l’hypochondre gauche, elle dénote une affection, non du foie, mais de la rate. Quand les matières expulsées sont identiques, le siége parfois indique la partie affectée. Ainsi un fragment de tunique membraneuse rejeté dénote l’existence d’une ulcération ; mais dans quelle partie se trouve-t-elle, c’est ce que vous apprendra le siége du mal. Cette membrane vomie, cela indique une affection de l’estomac ou de l’œsophage. C’est une affection du larynx, de la trachée-artère ou du poumon, si elle est rendue en toussant ; si elle est rejetée en crachant, c’est une affection du pharynx. Si elle est expulsée avec l’urine, c’est une affection de l’urèthre. Si elle est rendue par l’anus, c’est une affection d’un des intestins ; si c’est par le vagin, c’est une affection de l’utérus.

Que chacune des douleurs indique, d’après son siége, le lieu affecté, cela est de toute évidence. C’est de la même manière que s’opère la distinction au sujet des matières excrétées par les ulcères internes, et dont nous avons parlé plus haut (Voy. p. 491). S’il apparaît dans un vomissement des signes d’un ulcère, il faut examiner s’il existe une douleur dans les régions antérieures, à l’hypochondre, ou bien en arrière, dans la région moyenne du dos. On distinguera la douleur sentie en avant, dans l’estomac, de la douleur sentie en arrière dans l’œsophage. On distinguera également l’orifice de l’estomac, de sa cavité même, si les potions âcres ingérées provoquent un picotement, celle-ci à l’orifice de l’estomac ou plus bas, celle-là le long du thorax ; car toutes les affections de ce genre se distinguent par leur situation, comme d’autres par l’espèce de la douleur. Nous reparlerons plus longuement des douleurs dans le second livre (chap. ii et suiv.).

Maintenant il convient de citer quelque exemple de l’indication du lieu affecté, fournie par les symptômes propres. Nous signalions précédemment (chap. i) l’indication présentée par chacune des excroissances qui se forment sur les ulcères ; ajoutons maintenant les remarques suivantes : l’affection de l’orifice de l’estomac engendre des dégoûts et de l’anxiété ; l’atonie du foie donne lieu à des évacuations de matières semblables à des chairs lavées ; dans la péripneumonie les joues deviennent rouges. Les signes propres des affections elles-mêmes se trouvent encore dans les déjections : ainsi les fausses membranes dénotent une ulcération, les sédiments sablonneux, la pierre ; les matières semblables aux graines de citrouille, la présence d’un ver large (tænia).

Les lieux mêmes fournissent une indication de la maladie, car certains lieux sont seuls sujets à telle maladie, tandis que certains autres en sont seuls exempts. Ainsi, les yeux sont affectés de suffusion (cataracte) ; la pierre n’attaque que les reins et la vessie, et, à ce que l’on prétend, le colon. Les vers sont engendrés dans les intestins. En sens inverse, le cœur ne saurait être affecté d’un abcès, ni le poumon et les ligaments ressentir de la douleur.

L’affection est aussi indiquée, dans les cas suivants, par la spécialité des symptômes : dans les maladies de langueur, les ongles se recourbent ; un frisson sans motif, accompagnant la fièvre, est un signe d’une inflammation qui passe à la suppuration ; une langue noire indique une fièvre ardente. La couleur particulière au corps entier, variable, selon qu’elle provient du foie ou de la rate, ne saurait échapper à un œil exercé, non plus que celle produite par les hémorrhoïdes. Il existe très-peu de signes propres des affections mêmes qui n’indiquent pas le lieu affecte. En effet, les lésions de la fonction indiquent seulement la partie affectée ; les différences des lésions révèlent l’affection de la partie. Ce sont là les seuls signes propres aux affections, ceux qui surviennent d’une certaine façon accidentelle[8]. Cela sera expliqué plus clairement dans tout le courant de l’ouvrage. On y trouvera les signes communs à la fois à l’affection et au lieu affecté, ou à deux affections ou à deux parties.


Chapitre vi. — Une fonction peut être lésée sans que les organes soient affectés, mais seulement parce que la matière de la fonction ou n’arrive plus, ou arrive mal, ou arrive viciée à l’organe ; par exemple l’air pour la voix, l’influx nerveux pour les muscles ; diverses observations rapportées à ce propos par Galien. — De telles affections doivent être appelées plutôt sympathiques que celles qui se produisent dans une partie par suite de vapeurs ou d’humeurs qui viennent d’une autre partie. — Que le sentiment et le mouvement peuvent être lésés indépendamment l’un de l’autre. — Nécessité de connaître l’anatomie des nerfs et des muscles pour reconnaître et traiter les lieux affectés. — Importance qu’il y a à savoir la cause et le point d’origine des paralysies pour y porter un remède efficace (voy. III, xiv).


Pour le moment, je veux terminer ce livre, en ajoutant une considération sur les lieux affectés idiopathiquement et sympathiquement. Je rappelle d’abord, car cela a déjà été dit (ch. iii), qu’il était plus convenable d’appeler idiopathie l’affection nommée protopathie par les autres médecins. Il importe peu, du reste, qu’on l’appelle protopathie ; il vaut mieux ne pas discuter sur les mots et connaître les différences des choses. Quand l’intelligence est troublée par suite d’une affection de l’estomac, soit par des vapeurs, soit par des humeurs malignes qui remontent à l’encéphale, on ne saurait dire ni que l’encéphale est affecté primitivement, ni qu’il est complétement exempt d’affection, mais le mot sympathie exprime très-exactement ce que ces médecins eux-mêmes reconnaissent dans cet état. En effet, le terme sympathie n’indique pas l’absence complète d’affection, mais une affection commune avec une autre partie. Toutefois, il serait mieux et plus clair de dire que la partie sympathiquement affectée souffre par suite de l’affection d’une autre partie (affection consécutive).

Il est un fait que quelques médecins ont entrevu confusément comme en songe, et qu’ils n’ont pas retracé clairement, faute de le comprendre : ce fait, très-nécessaire au développement de mon sujet, je vais chercher à l’expliquer en partant des considérations suivantes : Certaines fonctions produites par une matière convenable reçoivent cette matière préparée par d’autres parties. Il arrive parfois, et naturellement, sans qu’il existe une affection particulière dans les organes propres de la fonction, que cette fonction est abolie faute de la substance qui la produit, comme cela se voit pour la voix ; [ainsi nous avons montré que, parfois, aucune affection n’existant dans les organes de la voix, il arrive que la voix est lésée faute de la matière dont elle se forme][9]. Il a été [également] démontré, dans notre traité Sur la voix, que l’exsufflation est la matière de la voix, et que les muscles intercostaux la produisent en contractant la poitrine[10]. Quand donc ces muscles n’agissent plus, l’animal devient aphone sans qu’il existe aucune affection dans les parties propres de la voix elle-même. Ces parties sont, pour les énoncer sommairement, tout le larynx, et, pour les énumérer, les trois cartilages du larynx et les muscles[11] qui les meuvent avec les nerfs issus de l’encéphale ; de plus encore, la glotte du larynx, qui est l’organe principal de la voix. En effet, cette glotte ouverte, et modérément contractée par les muscles, produit les sons, mais il n’est pas possible que ceux-ci se produisent, si le pneuma n’est fortement porté au dehors. C’est ce que font les muscles intercostaux.

Une personne étant tombée d’un lieu élevé et la partie supérieure du dos ayant porté contre terre, au bout de trois jours sa voix était très-faible, au quatrième cette personne était complétement aphone, de plus paralysée des jambes, sans aucune lésion des bras, et cependant exempte d’apnée et de dyspnée. Toute la partie de la moelle située au-dessous du cou ayant été paralysée, le thorax pouvait encore être mû par le diaphragme et par les six muscles élevés (scalènes, voy. Utilité des parties ; XII, viii et ix, p. 24 et 26), les nerfs de ces muscles venant de la moelle du cou, tandis que tous les nerfs des muscles intercostaux qui, nous l’avons démontré[12], produisent l’exsufflation, étaient affectés. Les médecins voulant donc tourmenter par un traitement inutile les jambes, parce qu’elles étaient paralysées, et le larynx à cause de l’affection de la voix, je les arrêtai et je donnai toute mon attention à la seule partie affectée. L’inflammation de la moelle disparut au bout de sept jours, et le jeune homme recouvrait la voix ainsi que le mouvement des jambes.

Une telle forme de la lésion serait désignée comme sympathique, à plus juste titre que quand la douleur produite dans la tête résulte de certaines humeurs contenues dans l’estomac. En effet, dans de semblables circonstances, quelque chose remonte à la tête ; mais, dans le cas que je viens de rapporter, aucun élément nuisible ne se porte aux jambes ; au contraire, elles sont privées de la faculté que leur communiquait précédemment la moelle. Pour le larynx, il n’est pas absolument privé de pneuma dans l’aphonie. En effet, par lui encore l’animal émet l’air, mais il est privé de l’exsufflation, qui est l’expulsion rapide de l’air abondant rejeté hors de l’animal à travers le larynx. J’abandonne à d’autres le plaisir de disputer sur les mots. II nous suffit à nous d’expliquer les choses que ces derniers ignorent complétement.

Autre est la douleur de tête produite par les humeurs de l’estomac, lesquelles, en remontant, échauffent, et à la fois distendent les parties de la tête ; autre est le trouble de la vue produit chez ceux qui ont devant les yeux les mêmes images que les individus affectés de suffusions (cataractes), les yeux n’étant dans ce cas ni échauffés ni distendus, mais seulement traversés par une vapeur ; autre encore est une affection qui consiste en la perte de la vue par suite de l’obstruction du canal qui descend de l’encéphale (nerf optique — cf. Util des parties ; VIII, VI et IX, VIII) ; autre, bien qu’analogue à cette dernière, est celle d’un individu qui a les jambes paralysées par l’inflammation de la moelle, ou chez qui, d’une autre manière, la voix est, soit éteinte, soit altérée. En effet, une faculté sans substance (la faculté d’innervation) trouve un obstacle à se rendre aux jambes ; pour les yeux, c’est une faculté avec substance (pneuma optique), faculté et substance qui, ni l’une ni l’autre, ne peuvent se rendre à leur destination ; pour le larynx, la quantité de matière qui doit y arriver n’y peut parvenir ; chez celui qui est devenu aphone par la perforation des muscles intercostaux, la matière de la voix est entièrement perdue. Le mode de paralysie du larynx, qui existe quand les nerfs phonétiques (nerfs récurrents) ont été coupés ou serrés par un lien, est le même que pour la paralysie des jambes dans les états de la moelle que nous venons de décrire. J’ai l’habitude d’appeler nerfs phonétiques ceux que j’ai découverts, mes maîtres ne connaissant que les nerfs accolés aux artères [carotides — nerfs laryngés supérieurs]. La perte de la voix suit donc également la lésion de ces nerfs ; mais parce que les nerfs propres du larynx appelés par moi nerfs récurrents, sont exclusivement destinés à la substance du larynx, tandis que les nerfs accolés aux artères se distribuent aussi à beaucoup d’autres parties, il n’existe pas de qualification plus convenable que celle de phonétiques pour les nerfs destinés aux organes régulateurs de la voix[13]. Du reste, le dommage éprouvé par les muscles du larynx est de même espèce qu’il y ait lésion des nerfs récurrents ou des nerfs accolés aux artères ; dans les deux cas, ils manquent de la puissance psychique sans laquelle ils ne peuvent être mus volontairement. L’incision des muscles moteurs de la glotte rend, il est vrai, l’animal complétement aphone, mais ce n’est pas absolument de la même façon, ni non plus d’une façon tout autre que quand les nerfs sont lésés. La lésion a cela de commun dans les deux cas que la glotte est privée de sa relation de continuité avec le principe moteur ; cela arrive, que ce soit les muscles ou les nerfs qu’on ait coupés ou liés, écrasés ou endommagés d’une autre façon quelconque. J’ai vu un cas où la réfrigération excessive des nerfs récurrents, résultant d’une opération du cou pendant l’hiver, lésa tellement la voix, qu’elle fut presque perdue. Ayant compris cela, je rétablis la voix par des médicaments chauds, en rendant aux nerfs leur tempérament naturel.

Si, dans les perforations du thorax, la voix se perd par défaut de matière, il en est de même quand vous coupez la trachée-artère tout entière. En effet, l’air n’arrive plus à l’organe propre de la voix. Un lien passé autour du cou produit un résultat identique, mais d’une façon différente. Ce lien ne rend plus seulement l’animal aphone, il l’étouffe en le privant de la respiration. La section de la trachée-artère trouble la voix, mais ne prive pas l’animal de la respiration. Les affections dites cynanches, et qui sont des inflammations des parties internes du larynx, privent de la respiration, comme la strangulation, en obstruant son canal. Aussi la cynanche est-elle essentiellement une affection propre à l’organe de la voix ; et en second lieu vient la lésion des muscles externes de cet organe[14]. Pour toutes les autres affections de la voix que nous avons mentionnées, ce ne sont pas des affections propres, mais plutôt des affections sympathiques.

Un médecin ayant à enlever des goîtres profonds du cou et craignant de trancher un vaisseau, n’employa pas le couteau pour couper les membranes[15], mais les divisa avec son ongle. Dans son ignorance il ne s’aperçut pas qu’il avait déchiré les nerfs récurrents, en sorte qu’il guérit bien l’enfant de ses tumeurs, mais le rendit muet. Un autre médecin faisant aussi une opération sur un enfant, le rendit également à moitié muet, un seul des deux nerfs étant lésé. Tout le monde trouvait étrange que ni le larynx ni la trachée n’étant affectés, la voix se trouvât lésée. Quand je leur eus montre les nerfs phonétiques, leur étonnement cessa.

Ainsi pour les parties où l’approvisionnement de la matière ou de la faculté est épuisé, on peut dire avec assurance que leur fonction est lésée, tandis que la partie qui produit cette fonction conserve son intégrité. Pour la partie lésée par des humeurs ou par des vapeurs venues d’un autre lieu, on ne dirait pas avec raison qu’elle est exempte d’affection. On dirait avec tout autant de vraisemblance qu’une partie privée de matière ou de faculté est lésée, si recevoir une matière ou une faculté rentrait dans sa manière d’être naturelle. Donc il résulte de cette argumentation à deux tranchants, que l’examen des problèmes dialectiques est inutile et sans aucun résultat pour le diagnostic ou le traitement des affections, et aussi pour le pronostic.

Remarquez maintenant comment, négligeant ces problèmes, j’exposerai le traitement trouvé, par la connaissance du lieu affecté. Une personne ayant un médicament appliqué sur trois doigts de la main, déclarait que depuis trente jours déjà elle avait perdu le sentiment de ces doigts, leur mouvement étant demeuré intact, et qu’elle n’avait éprouvé aucun soulagement des médicaments employés. Je ne négligeai pas ici la méthode que j’ai coutume de suivre en pareil cas. J’appelai le médecin qui l’avait traité pour ses doigts, et lui demandai quels médicaments il avait employés. Trouvant les médicaments convenables, je cherchai pourquoi le malade n’en avait éprouvé aucun soulagement et l’interrogeai sur les symptômes antérieurs. Il me répondit que son mal n’avait été précédé ni d’une inflammation, ni d’un refroidissement, ni de coups, mais que la sensibilité avait disparu peu à peu. Étonné, je lui demandai s’il n’avait pas reçu un coup dans une partie située plus haut que le siége de son mal. Il me dit qu’il n’en avait pas reçu au bras, mais qu’il avait été frappé à la partie supérieure du dos. Je lui demandai encore comment et quand il avait été frappé. Sur sa réponse qu’allant à Rome il était tombé d’un char peu de temps avant que ses doigts commençassent à être affectés, je conjecturai qu’à l’endroit où le nerf sort après la septième vertèbre cervicale, quelque partie enflammée par suite du coup avait contracté une diathèse squirrheuse. Telle fut ma réflexion, car je savais de science certaine par l’anatomie, que les cordons nerveux paraissent avoir, quand ils s’échappent du cerveau [ou de la moelle], une circonscription propre[16], comme cela a lieu pour les vaisseaux, de telle sorte que vous croiriez que chaque nerf, comme chaque vaisseau [ne forme qu’un canal], ne constitue qu’un cordon unique, mais [je savais aussi que] dès leur origine ils sont [composés de filets] nombreux, tous pressés et attachés par des enveloppes communes issues des méninges (névrilème). Ainsi la portion inférieure du dernier des nerfs sortis du cou va aux petits doigts (nerf cubital) en se distribuant au derme qui les entoure et de plus à la moitié du doigt médius. Ce qui semblait le plus étonnant aux médecins, c’est que la moitié du médius paraissait affectée. Ce fait même me confirma dans l’idée que cette partie-là seule du nerf avait souffert, qui, se détachant du tronc à l’avant-bras, aboutit aux doigts indiqués. Faisant donc enlever le médicament appliqué sur ses doigts, je le disposai précisément à cette partie de l’épine où se trouvait l’origine du nerf affecté. Et ainsi il arriva, chose qui sembla étonnante et extraordinaire à ceux qui la virent, que les doigts de la main furent guéris par les médicaments appliqués sur le rachis (cf. III, ii, iii)[17].

Une fois l’affection entièrement disparue, les médecins cherchèrent quelle pouvait être la diathèse des nerfs dans laquelle il arrive que le mouvement des membres est conservé, tandis que le sentiment est aboli. Pour moi, je leur dis, ce qui a été déjà énoncé par plusieurs autres médecins, que la sensation consiste dans une impression subie et le mouvement dans une action, que par conséquent il faut de la force pour mouvoir et que, pour sentir, la moindre faculté suffit[18]. Ce raisonnement leur ayant paru juste, eh quoi ! leur dis-je, n’avez-vous pas parfois vu le contraire, le sentiment conservé et le mouvement aboli ? Tous déclarant n’avoir jamais vu ce cas, à l’exception d’un seul qui prétendit en avoir vu un ; il cita le nom du malade et offrit de fournir des témoins. Ce fait parut en contradiction avec ce qui a été dit sur les parties douées de mouvement, mais non de sentiment. Sous ce rapport, en effet, il est tout à fait impossible que le sentiment étant aboli, les parties soient encore mues volontairement. On me demanda l’explication des deux phénomènes. Elle est claire pour ceux qui connaissent l’anatomie des nerfs. La voici : tout mouvement volontaire est exécuté par des muscles. En effet, il n’est aucun nerf qui par lui-même, et sans un muscle, exécute une semblable fonction dans les parties de l’animal ; mais c’est par l’intermédiaire des muscles qu’il accomplit tous les mouvements dits volontaires. Les muscles eux-mêmes arrivent aux parties qui doivent être mues parfois directement, parfois par l’intermédiaire de tendons nommés par quelques-uns aponévroses. À cette espèce appartiennent aussi les tendons qui meuvent les doigts, arrondis comme sont ceux qu’Hippocrate a appelés τόνοι (voy. Articul., § 50 et 59 et Épid. II, iv, 2). Si donc les nerfs des muscles sont affectés, les doigts perdent le mouvement ; si ce sont les nerfs qui arrivent au derme le sens du toucher est altéré. Dans les paralysies des membres entiers, le principe commun étant affecté, mouvement et sentiment sont également abolis. On ne peut découvrir le lieu primitivement affecté à cause de la multitude des nerfs lésés, que si on connaît exactement leurs principes communs que j’ai décrits dans l’Anatomie des nerfs, personne avant moi n’ayant exposé nettement cette anatomie, mais tous ayant commis des erreurs plus ou moins grandes. Ainsi donc celui-là seul qui est versé dans cette connaissance, peut exactement juger à quelle vertèbre la moelle est affectée ; si elle l’est tout entière ou dans un de ses côtés. En effet, il arrive que l’affection existe seulement dans sa partie droite, l’autre partie n’en éprouvant aucune. Ou bien au contraire, celle-ci est restée exempte de l’affection qui a seulement attaqué la partie gauche. Dans ce dernier cas, toutes les parties du côté gauche du corps sont paralysées, celles du côté droit demeurant exemptes d’affection. Parfois, au contraire, ce sont seulement les parties droites qui sont affectées et paralysées. Quand l’affection occupe, non pas la moelle elle-même, mais une seule racine d’un nerf, il en résulte une paralysie des parties où le nerf se distribue. Parfois il arrive que deux ou trois seulement des cordons nerveux sont affectés, la moelle étant exempte de lésion. Telle était l’affection de celui qui avait toutes les autres parties du bras paralysées au point de ne plus sentir ni se mouvoir et qui avait conservé le sentiment dans les trois doigts seulement. Un autre avait conservé non-seulement le sentiment, mais aussi les mouvements des muscles dans lesquels se distribue le nerf qui sort après la septième vertèbre. Un autre, à la suite d’une chute violente, n’eut de paralysés que les muscles qui reçoivent des ramifications de ce nerf. Ce même individu perdit le sentiment dans les parties seules du derme qui reçoivent les ramifications du susdit nerf.

Ainsi donc quiconque veut reconnaître au niveau de quelle vertèbre réside l’affection, si elle occupe un seul nerf ou la moelle épinière, doit être exercé dans la dissection des nerfs, observant une méthode commune dans tous les cas, celle qui consiste à examiner les muscles paralysés en même temps que la partie du derme qui a perdu le sentiment. En effet, si la moelle tout entière est affectée au niveau d’une vertèbre, toutes les parties inférieures sont paralysées. Si elle est lésée d’un côté, l’autre côté demeurant non affecté, la paralysie attaquera seulement les parties situées du même côté. Si la racine d’un nerf est lésée, les autres parties sous-jacentes affectées n’éprouveront aucune lésion, la paralysie n’attaquera que les parties dans lesquelles se distribue le nerf. Si vous connaissez exactement ces rapports, vous ne tourmenterez plus les membres paralysés en négligeant le rachis ; mais c’est en vous occupant de celui-ci, que vous guérirez le lieu affecté. Ainsi encore si le nerf est affecté, non pas au rachis, mais après sa sortie du rachis, vous le reconnaîtrez par les muscles et le derme. Vous le reconnaîtrez aisément dans le derme qui tombe sous le sens de la vue, et dans les muscles vous le reconnaîtrez à la perte de leurs fonctions. Vous devez donc être exercé dans l’anatomie des muscles et savoir de quelle fonction chacun d’eux est l’organe. De cette façon seulement, vous pourrez distinguer dans quelles parties la fonction est abolie, tandis que leur substance n’éprouve aucune affection, dans quelles parties cette abolition de la fonction est précédée par une maladie se formant ou déjà formée. Vous savez que les espèces de maladies et leurs différences ont été décrites par moi dans un autre livre qui a pour titre De la différence des maladies, de même que j’ai écrit un autre ouvrage Sur la différence des symptômes. De plus, j’ai composé deux ouvrages particuliers Sur les causes des maladies et des symptômes, le premier en un livre Sur les causes des maladies, le second en trois livres Sur les causes des symptômes. Toutes ces notions doivent être familières à celui qui veut aisément découvrir et distinguer la cause, l’affection et le lieu affecté. Car on ne saurait tout apprendre avec des syndromes, bien que ce soit l’opinion des empiriques (voy. sur le concours de symptômes, les traités Des sectes). Celui qui connaîtra exactement les symptômes antérieurs et actuels et abordera, ainsi préparé, la méthode thérapeutique découvrira la partie affectée en même temps que la diathèse, Cela importe surtout pour les parties situées dans la profondeur du corps, comme je le démontrais tout à l’heure à propos des parties qui perdent le sentiment ou le mouvement.

Peut-être ne sera-t-il pas hors de propos de citer quelques exemples en détail : un flux de ventre involontaire survint chez un enfant de six ans à peu près, par une paralysie soudaine du muscle du fondement. Un symptôme semblable se présenta aussi chez un vieillard. Chez un autre enfant encore, de quatorze ans environ, se déclara un flux de ventre involontaire accompagné de douleurs dans la vessie, et chez un autre de rétention d’urine. Chez un autre, il y avait émission involontaire d’urine ; chez un autre émission d’urine et de matières fécales. Il faut donc dans tous les cas semblables rechercher les symptômes antérieurs. En effet, ces accidents sont précédés nécessairement d’un refroidissement ou de coups sur le rachis. Le refroidissement ne lèse que le muscle affecté ; les coups en lèsent généralement plusieurs. En effet, il est très-rare qu’un seul muscle soit affecté par les coups reçus au rachis, les nerfs issus de la moelle se distribuant dans plusieurs muscles. Quand le muscle lui-même est affecté par le coup, si l’inflammation est négligée et devient squirrheuse, il en résulte une paralysie de ce muscle. Ce cas est rare. Mais souvent le refroidissement lèse un muscle, principalement les muscles superficiels du fondement, soit qu’on se soit assis sur une pierre froide, soit qu’on ait séjourné trop longtemps dans l’eau froide. Telle fut l’affection éprouvée par un enfant qui, après avoir pêché dans la rivière, fut pris d’une affection à la vessie et au fondement. Le même accident survint à des personnes qui avaient nagé dans l’eau froide. Il convient de guérir de pareilles affections en appliquant des remèdes chauds sur les lieux affectés. Si c’est un des nerfs issus de la moelle qui est lésé, c’est au rachis qu’il faut porter les remèdes. Souvent encore, à la suite de chutes faites d’un lieu élevé, l’inflammation gagne plusieurs parties et atteint non-seulement les muscles, mais encore la vessie. Dans ce cas il y a rétention d’urine, parce que la vessie elle-même est affectée. Dans certains cas il y a non-seulement suppression d’urine, mais encore rétention complète des excréments à cause de l’affection des intestins. En effet, de même que l’affection des muscles nuit aux fonctions volontaires, de même celle des intestins et de la vessie nuit aux fonctions naturelles, puisque le contenu est expulsé par leur contraction.


Chapitre vii. — De la différence qui existe entre les organes physiques et les organes psychiques. — Conséquences qui en découlent pour les affections dont ils peuvent être atteints.


Il existe en ce point une différence capitale entre les organes physiques et psychiques, s’il a été démontré que dans les organes physiques la faculté de la fonction est innée et que dans les organes psychiques elle découle du principe, comme la lumière du soleil. Il en est de chacun des organes physiques comme de la pierre d’aimant qui renferme en elle la faculté par laquelle elle attire le fer, en sorte que si la substance de ces organes était immuable, ils n’auraient aucun besoin d’artères ni de veines. Mais comme ils ont besoin d’être nourris et de conserver l’équilibre de leur chaleur naturelle, pour cette raison ils ont aussi besoin de veines et d’artères. Les muscles, pour conserver leur substance, ont également besoin, comme les organes physiques, d’artères et de veines ; mais n’ayant pas un principe inné de sentiment et de mouvement, pour cette raison ils ont toujours besoin de nerfs qui le leur fournissent, comme le soleil verse la lumière à tous les êtres qu’il éclaire ; c’est pourquoi il arrive seulement aux parties douées de sentiment et de mouvement que parfois, sans être aucunement lésées, elles perdent néanmoins leur fonction. Cependant cela n’arrive pas ordinairement aux organes physiques ; mais [presque] toujours ces organes sont affectés avant que la fonction soit lésée. Tous les organes psychiques ont aussi une économie physique ; ils ont donc besoin eux aussi du secours des artères et des veines pour conserver leur substance. Vous devez, en conséquence, examiner et déterminer avant tout quels faits surviennent dans les organes considérés comme psychiques ou comme physiques ; comme physiques, par exemple : l’altération résultant du contact des corps voisins ; comme psychiques, le sentiment qu’ils éprouvent de l’altération. Un fait semblable se produit souvent dans les yeux. Les vapeurs remontant de l’estomac les altèrent d’une façon générale, cependant les yeux ne ressentent pas tous une altération aussi légère, à moins qu’ils n’aient une faculté sensible exquises. J’appelle exquise (ἀκριβής) celle qui distingue les moindres sensations.







  1. Pour la traduction de ce traité , j’ai eu constamment sous les yeux la collation d’un précieux manuscrit du xive siècle appartenant à la bibliothèque Bodleienne (Canonic., n° 44). Ce manuscrit contient de nombreuses scholies marginales que j’ai publiées en grande partie dans mes Notices et extraits des manuscrits, p. 105 et suiv. — Les commentaires sur ce traité ne sont que des amplifications qui n’éclaircissent aucun des passages obscurs. Dans ceux d’Agric. Ammonius et de Th. A. Veiga , j’ai trouvé quelques renseignements historiques utiles. — En lisant ce traité il ne faut pas oublier que Galien a en vue plutôt le diagnostic rationnel ou médiat, que le diagnostic physique ou direct, ou encore immédiat.
  2. Galien appelle ici trachée-artère la trachée proprement dite et les bronches. Quant au mot βρογκίον, il s’applique seulement aux anneaux cartilagineux qui constituent la partie solide des bronches.
  3. Cf. Galien, Comment. In Aph., VI, 18.
  4. Sans doute quelques médecins demandaient combien il fallait de gouttes d’humeur mordicante pour constituer la dyssenterie ; comme certains dialecticiens demandaient, en faisant une espèce de raisonnement appelé sorite, combien il fallait de grains de blé pour faire un tas ; si on répondait par exemple cent, ils demandaient si le chiffre quatre-vingt-dix-neuf formerait aussi un tas, et ainsi de suite. — Voy. Prantl, Geschichte der Logik ; t. I, p. 54.
  5. Ainsi il suffit d’une parcelle d’os (partie homoïomère, selon Galien) pour constituer un os ; mais une parcelle de foie (partie anhomoïomère) ne suffit pas pour qu’on dise d’elle que c’est le foie, puisque cette parcelle ne suffit pas pour remplir les fonctions qui constituent l’essence du foie.
  6. Choerili Fragm., n° 9, ed. Dühner. — Cf. Ovide, Ars amandi, I, 475.
  7. Toutes ces questions seront traitées dans les Dissertations sur la pathologie générale, et sur l’hygiène.
  8. Par exemple quand les ongles se recourbent dans la phthisie, etc. — Après cela vient une phrase qui ne se relie en aucune façon, ni à ce qui précède, ni à ce qui suit, et qui paraît évidemment déplacée, soit qu’elle appartienne réellement à Galien, soit qu’il s’agisse d’une glose marginale. Je l’ai reportée dans le chapitre suivant, entre deux crochets, là où elle paraît le mieux s’encadrer.
  9. Voy. note de la p. 499.
  10. Voy. note 3 de la page 466 du tome I.
  11. Les textes manuscrits et imprimés portent les trois muscles ; évidemment il y a là une erreur de copiste, car Galien connaissait très-bien tous les muscles intrinsèques et extrinsèques du larynx (Voy. Util. des parties, VII, xi et xii). Plus bas (et ainsi dans tout le cours du chapitre) on lit également épiglotte là où il faut manifestement glotte (voy. Util, des parties, VII, xiii ; t, I, p. 493).
  12. Dans le traité Sur la production de la voix. Voy. t. I, p. 465-6.
  13. Tout ce passage est fort altéré dans les éditions et dans mon manuscrit. J’ai pu lui rendre son vrai sens, je le crois du moins, à l’aide de quelques corrections.
  14. Ainsi la cynanche est une affection idiopathique, tandis que celle des muscles externes est un intermédiaire entre les affections idiopathiques et les sympathiques.
  15. μήλῃ dans les éditions, σμίλῃ dans le manuscrit.
  16. C’est-à-dire, ne former qu’un cordon simple et unique.
  17. La même observation se retrouve dans le livre III, ch. xiv. Cf. aussi IV, v.
  18. Le mouvement qui a besoin d’une action très-forte pour s’exercer, exige l’intégrité de la faculté des nerfs, et ne supporte aucune lésion, tandis que le sentiment qui ne réclame pas une grande force, peut être conservé, lors mème qu’une partie de la faculté du nerf est compromise. — Voy. IV, vii, fine.