Gabriel (Hetzel, illustré 1854)/Scène 5-5

Gabriel (Hetzel, illustré 1854)
GabrielJ. HetzelŒuvres illustrées de George Sand, volume 7 (p. 42-43).


Scène V.


ANTONIO, FAUSTINA, ASTOLPHE.
(Antonio, pâle et se tenant à peine, se présente devant eux au moment où ils vont sortir.)
FAUSTINA, jetant un cri et reculant effrayée.

Est-ce un spectre ?…

ASTOLPHE.

Ah ! le ciel me l’envoie ! Malheur à lui !…

ANTONIO, d’une voix éteinte.

Que dites-vous ? Reconnaissez-moi. Donnez-moi du secours, je suis prêt à défaillir encore. (Il se jette sur un banc.)

FAUSTINA.

Il laisse après lui une trace de sang. Quelle horreur ! que signifie cela ? Vous venez d’être assassiné, Antonio ?

ANTONIO.

Non ! blessé en duel… mais grièvement…

FAUSTINA.

Astolphe ! appelez du secours…

ANTONIO.

Non, de grâce !… ne le faites pas… Je ne veux pas qu’on sache… Donnez-moi un peu d’eau !…

(Astolphe lui présente de l’eau dans un verre. Faustina lui fait respirer un flacon.)
ANTONIO.

Vous me ranimez…

ASTOLPHE.

Nous allons vous reconduire chez vous. Sans doute vous y trouverez quelqu’un qui vous soignera mieux que nous.

ANTONIO.

Je vous remercie. J’accepterai votre bras. Laissez-moi reprendre un peu de force… Si ce sang pouvait s’arrêter…

FAUSTINA, lui donnant son mouchoir, qu’il met sur sa poitrine.

Pauvre Antonio ! tes lèvres sont toutes bleues… Viens chez moi…

ANTONIO.

Tu es une bonne fille, d’autant plus que j’ai eu des torts envers toi. Mais je n’en aurai plus… Va, j’ai été bien ridicule… Astolphe, puisque je vous rencontre, quand je vous croyais bien loin d’ici, je veux vous dire ce qui en est… car aussi bien… votre cousin vous le dira, et j’aime autant m’accuser moi-même…

ASTOLPHE.

Mon cousin, ou ma cousine.

ANTONIO.

Ah ! vous savez donc ma folie ? Il vous l’a déjà racontée… Elle me coûte cher ! J’étais persuadé que c’était une femme…

FAUSTINA.

Que dit-il ?

ANTONIO.

Il m’a donné des éclaircissements fort rudes : un affreux coup d’épée dans les côtes… j’ai cru d’abord que ce serait peu de chose, j’ai voulu m’en revenir seul chez moi ; mais, en traversant le Colisée, j’ai été pris d’un étourdissement et je suis resté évanoui pendant… je ne sais combien !… Quelle heure est-il ?

FAUSTINA.

Près de minuit.

ANTONIO.

Huit heures venaient de sonner quand je rencontrai Gabriel Bramante derrière le Colisée.

ASTOLPHE, sortant comme d’un rêve.

Gabriel ! mon cousin ? Vous vous êtes battu avec lui ! Vous l’avez tué peut-être ?

ANTONIO.

Je ne l’ai pas touché une seule fois, et il m’a poussé une botte dont je me souviendrai longtemps… (Il boit de l’eau) Il me semble que mon sang s’arrête un peu… Ah ! quel compère que ce garçon-là !… À présent je crois que je pourrai gagner mon logis… Vous me soutiendrez un peu tous les deux… Je vous conterai l’affaire en détail.

ASTOLPHE, à part.

Est-ce une feinte ? Aurait-il cette lâcheté ?… (Haut.) Vous êtes donc bien blessé ? (Il regarde la poitrine d’Antonio. À part.) C’est la vérité, une large blessure. Ô Gabrielle. (Haut.) Je courrai vous chercher un chirurgien… dès que je vous aurai conduit chez vous…

FAUSTINA.

Non ! chez moi, c’est plus près d’ici.

(Ils sortent en soutenant Antonio de chaque côté)