Gabriel (Hetzel, illustré 1854)/Scène 5-6

Gabriel (Hetzel, illustré 1854)
GabrielJ. HetzelŒuvres illustrées de George Sand, volume 7 (p. 43-44).


Scène VI.

Une petite chambre très-sombre.


GABRIEL, MARC.

(Gabriel en costume noir avec son domino rejeté sur ses épaules. Il est assis dans une attitude rêveuse et plongé dans ses pensées. Marc au fond de la chambre.)

MARC.

Il est deux heures du matin, monseigneur, est-ce que vous ne songez pas à vous reposer ?

GABRIEL.

Va dormir, mon ami, je n’ai plus besoin de rien.

MARC.

Hélas ! vous tomberez malade ! Croyez-moi, il vaudrait mieux vous réconcilier avec le seigneur Astolphe, puisque vous ne pouvez pas l’oublier…

GABRIEL.

Laisse-moi, mon bon Marc ; je t’assure que je suis tranquille.

MARC.

Mais si je m’en vais, vous ne songerez pas à vous coucher, et je vous retrouverai là demain matin, assis à la même place, et votre lampe brûlant encore. Quelque jour, le feu prendra à vos cheveux… et, si cela n’arrive pas, le chagrin vous tuera un peu plus tard. Si vous pouviez voir comme vous êtes changé !

GABRIEL.

Tant mieux, ma fraîcheur trahissait mon sexe. À présent que je suis garçon pour toujours, il est bon que mes joues se creusent… Qu’as-tu à regarder cette porte ?…

MARC.

Vous n’avez rien entendu ? Quelque chose a gratté à la porte.

GABRIEL.

C’est ton épée. Tu as la manie d’être armé jusque dans la chambre.

MARC.

Je ne serai pas en repos tant que vous n’aurez pas fait la paix avec votre grand-père… Tenez ! encore !

(On entend gratter à la porte avec un petit gémissement.)
GABRIEL, allant vers la porte.

C’est quelque animal… Ceci n’est pas un bruit humain.

(Il veut ouvrir la porte.)
MARC, l’arrêtant.

Au nom du ciel ! laissez-moi ouvrir le premier, et tirez votre épée…

(Gabriel ouvre la porte malgré les efforts de Marc pour l’en empêcher. Mosca entre et se jette dans les jambes de Gabriel avec des cris de joie.)

GABRIEL.

Beau sujet d’alarme ! Un chien gros comme le poing ! Eh quoi ! c’est mon pauvre Mosca ! Comment a-t-il pu me venir trouver de si loin ? Pauvre créature aimante !

(Il prend Mosca sur ses genoux et le caresse.)
MARC.
Ceci m’alarme en effet… Mosca n’a pu venir tout seul, il faut que quelqu’un l’ait amené… Le prince Jules est ici ! On frappe en bas… (Il prend des pistolets sur une table.)
GABRIEL.

Quoi que ce soit, Marc, je te défends d’exposer ta vie en faisant résistance. Vois-tu, je ne tiens plus du tout à la mienne… Quoi qu’il arrive, je ne me défendrai pas. J’ai bien assez lutté, et, pour arriver où j’en suis, ce n’était pas la peine. (Il regarde à la croisée.) Un homme seul ?… Va lui parler au travers du guichet. Sache ce qu’il veut ; mais, si c’est Astolphe, je te défends d’ouvrir. (Marc sort.) Qui donc t’a conduit vers moi, mon pauvre Mosca ? Un ennemi m’aurait-il fait ce cadeau généreux du seul être qui me soit resté fidèle malgré l’absence ?

MARC, revenant.

C’est monsieur l’abbé Chiavari, qui demande à vous parler. Mais ne vous fiez point à lui, monseigneur, il peut être envoyé par votre grand-père.

GABRIEL, sortant.

Plutôt être cent fois victime de la perfidie que de faire injure à l’amitié. Je vais à sa rencontre.

MARC.

Voyons si personne ne vient derrière lui dans la rue. (Il arme ses pistolets et se penche à la croisée.) Non, personne.