Gérardmer à travers les âges/partie2

(p. 102-158).

L’histoire de la formation territoriale de Gérardmer est très curieuse en raison même de la nature du sol à l’origine de son occupation.

Les premiers habitants de Gérardmer vivaient exclusivement du produit de leur pêche ou de leur chasse ; dès que la population augmenta, les conditions de l’existence se modifièrent rapidement ; la vie un peu sauvage du chasseur et du pêcheur fut remplacée par les mœurs pastorales. Trop à l’étroit dans leurs chétives habitations, les premières générations de Géromhèyes songèrent à défricher les terres incultes et à élever, hors de l’agglomération principale, des granges, sortes d’habitations rustiques très sommaires, où ils pouvaient loger le peu de foin qu’ils récoltaient et abriter leurs bestiaux.

Ils s’adressèrent à cet effet, soit au receveur général de Lorraine, soit aux officiers des grueries d’Arches et de Bruyères, desquelles dépendait le ban de Gérardmer[1]. Ces derniers, pensant agir dans l’intérêt du domaine, leur firent des concessions de terres moyennant des redevances proportionnées à la quantité qui leur était abandonnée. C’était ce qu’on appelait des acensements.

Premiers acensements

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Ces premières concessions n’avaient pas eu lieu, parait-il, avec assez de discernement ; aussi eurent-elles pour résultat la dégradation des forêts, et elles ne rapportèrent pas au fisc tout le profit qu’il pensait en retirer.

Afin de remédier à cet état de choses, les régents de Lorraine, pendant la minorité de Charles III, se réservèrent à eux-mêmes ou déléguèrent à la Chambre des Comptes le pouvoir d’accorder des acensements. C’est ainsi qu’on trouve au Trésor des Chartes, dans les lettres-patentes, un grand nombre d’actes d’acensements. Nous en citons un in extenso pour faire voir dans quels termes ils étaient conçus et quelle situation ils créaient aux censitaires.

Ascensement par Jehan Piérot de Giraulmeix.

Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont, baron de Mercueur, ayant la tutelle et administration des biens et pays de nostre nepveu… Charles… Sçavoir faisons comme cy-devant, par abus, les recepveurs et officiers de cestuy duché de Lorraine, à cause que n’estait leur charge, aient faict plusieurs laix et assencements de forests, lieux vagues, tant pour labouraige que praierie et permis, à ceste fin, plusieurs essarts, à la grande ruyne des bois et forests de nostre dict nepveu, permectans aux assenceurs plusieurs libertez, aussi à la grande diminution des droictures et redebvances que annuellement y pouvaient estre actenuz, et ce à si moindre et non compétente redebvance, que facilement l’abus se est trouvé et démonstré par noz très-chers et féaux conseilliers les sieurs de Bassompierre, bailly des Vosge, et de Neuflotte, messire Domque Champenois, que pour ce y avons commis et député, et lesquelz ont veu et revisité la plupart d’iceulx lieux et réduicts et remis les choses à reigle, voir encor à beaucoup moindre pris que l’on en eust bien trouvé. Ayans esgard aux labours qu’en assertant (essartant) iceulx assenseurs puellent (peuvent) avoir employé, et sans toucher au laix que feux, de bonne mémoire, les ducs progéniteurs de nostredict nepveu en ont faiz cy devant, voulans y donner meilleur ordre, et, pour la seureté des preneurs, en faire lettres et témoingnaiges, leur avons faict nouveaulx assencemens par les manières et conditions cy-après déclairées. Pourquoi, nous, ce que dict est considéré et désirans l’augmentation du domaine de nostredict nepveu, avons à Jehan Demenge Pierot et ses parsonniers (ses proches, ses héritiers) assencé… la grainge Pierot du Vinat (Vinot), avec le prey a l’entour, qui contient environ seize charées de foing, séant au lieu dict sur Rougimont, joignant devers le dessoubz aune rains du dict Rougimont… pour le pris de deux frans et demy… pour la moictié, et l’aultre moictié à l’église Sainct Pierre de Remiremont, et deux frans d’entrée pour une fois… moyennant qu’ilz y pourront prendre lieu et place pour y vacquer et faire prey pour cinquante charées de foing, pourveu qu’il n’y ait bois vif et portant paixon (poix)… à condition qu’ilz y pourront tenir vacheries, loger et gésir leur bestial et norris et avoir le pasturaige d’iceluy esdicts bois et forests et montaignes à l’environ… comme aultres ayans semblables ascensemens… que furent faictes et données à Nancy, le dix-huictiesme jour de Juillet l’an mil Ve cinquante-deux[2].

Les acensements faits par les officiers et receveurs du duché de Lorraine dont parlent les premières lettres-patentes, sont rappelés, en ce qui concerne la prévôté de Bruyères, dans les comptes de cette prévôté pour les années 1539, 1540 et 1576.

Les comptes de 1576 renferment quatre chapitres ainsi intitulés :

1) Aulcuns assencemens faictz par feu George des Moynes, luy vivant receveur général de Lorraine (1501-1538), de l’advis de Messieurs du Conseil et des Comptes ;

2) Assencemens faictz par les receveurs particuliers, que les détenteurs suppliant demeurer au contenu de leurs lectres, laissées soulz le bon plaisir de Monseigneur de Vaudémont, tuteur ;

3) Nouveaux assencemens faictz par les sieurs de Bassompierre et Neuflotte, en l’an 1547, renouvellés par Monsieur le Président et Jacques Vyon de Montenoy, auditeur (des Comptes) en l’année 1554.

4) Aultres nouveaux assencements faictz par Messieurs les Présidents de Lorraine, Mre Claude Mengin, et Jacques Vyon de Montenoy, auditeur en l’année 1554[3].

Des chapitres semblables à ces deux derniers se trouvent dans les comptes du domaine d’Arches pour l’année 1573, avec un « rôle des assencemens faicts en 1565 ».

En 1580, les habitants de Gérardmer avaient fait de nouveaux acensements et bâti des granges sans payer de redevances ; le duc de Lorraine, d’un commun accord avec les dames de Remiremont, fit arpenter tous les acensements du ban de Gérardmer qui étaient tant sous la prévôté d’Arches que sur celle de Bruyères. Il fut convenu entre les habitants et les envoyés du duc et du Chapitre que pour les acensements faits depuis 1540, par le receveur général de Lorraine, George des Moynes, la redevance serait de 4 deniers par jour de terre et 12 gros par jour de surcroît ; pour les acensements faits de 1541 à 1569, 2 gros par jour, 18 gros d’entrée, 3 années d’arrérage, et 5 sols par borne. Enfin, 9 gros par grange érigée sans permission et 2 francs d’entrée[4].

La superficie des terres[5] mises en valeur était à cette époque de 74 jours 2 ornées 16 verges 2 pieds trois-quart payant une redevance annuelle de 3 gros par arpent, ce qui fait, pour la part du roi, 3 francs 1 gros 7 deniers, plus 25 francs comme moitié du droit d’entrée et des bornes ; en outre, 26 jours et demi qui donnent un cens annuel de 3 francs 3 gros 12 deniers (part du duc) et 50 francs de droit d’entrée (part du duc)[6].

En 1615, les habitants de Gérardmer se plaignirent au duc[7] de « la diminution de leur vaine pasture », par suite des nombreux acensements. Ils sollicitèrent la faveur d’être préférés à un particulier qui voulait obtenir à son profit le paquis de 80 jours situé entre Granges et Gérardmer[8]. Le duc Henri II leur accorda la préférence demandée moyennant « une redevance annuelle et perpétuelle de 200 francs, plus 25 francs de droit d’entrée », dont moitié au duc et moitié à l’église Saint-Pierre de Remiremont ; à la condition en outre :

Que les habitants jouiront de ces biens en commun, aultant le pauvre que le riche et le riche que le pauvre, à l’usage et commodité du pasturage libre et ouvert à leur bestail, et sans qu’il deust estre loisible a leurs doyen, procureur et commis d’en vendre ou transporter, moins s’approprier chose aucune en particulier ou à autre usage que la dicte pasture commune.

Les terres ainsi acensées furent reconnues et arpentées de nouveau[9], et, par une déclaration de 1628, le cens établi pour ces terres variait de 2 fr. à 3 fr. le jour, d’après la nature du terrain (pré ou champ) et la présence ou non d’une grange.

La Chambre des Comptes de Lorraine, dans une déclaration en date du 10 Mars 1631[10] ; fit aux habitants de Gérardmer l’acensement de 415 jours 4 ornées 7 pieds trois-quart de terrain dont ils pourront disposer à leur gré, « fermer et convertir en nature de preys, vendre, etc. », sous la condition de payer un cens fixé pour chacune des pièces de terre, compris entre 3 et 4 gros par jour, avec un droit d’entrée de pierres bornes, qui s’élevait de 15 à 20 francs.

Ces terrains furent distribués et abornés par les gruyer et contrôleur d’Arches et de Bruyères, chacun pour leur gruerie respective[11].

Le 20 Janvier de l’année suivante, les dames Catherine de Mailly et Philippe du Hautoy, « grandes aulmosnières » en l’église Saint-Pierre de Remiremont, écrivirent aux habitants de Gérardmer, au nom des Dames du Chapitre, en leur acensant la part des 415 jours ci-dessus qu’elles possédaient par moitié avec S. A. R., moyennant un cens annuel et perpétuel d’un gros par jour de surcroîts et d’usurpations, et 50 francs d’entrée ; 3 gros par arpent pour les autres jours, et 100 francs d’entrée comme pour la portion appartenant au duc.

État de la propriété territoriale à Gérardmer en 1631

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Les actes d’acensement de 1631-32 sont de la plus haute importance. Ils contiennent, en effet, l’état nominatif des propriétaires terriers avec la désignation des lieux-dits où étaient situées les propriétés, la contenance des terres acensées et leurs impositions.

Ils relatent un acensement fort important qui eut lieu en 1612 et se montait à 1.620 jours de terrain[12]. Le total des acensements reconnus en 1631 était de 3.150 jours (630 hectares), se décomposant ainsi :

Acensements de 1612 : 1.620 jours. – De 1616 : 85 jours et demi. – De 1621 : 106 jours et demi. – Sur les Chaumes (Fachepremont. – Saint-Jacques. – Grouvelin) et leurs répandizes : 1.338 jours.

Ces terrains appartenaient à environ 300 propriétaires ; les plus grands tenanciers parmi eux, étaient :

T. Viry, qui possédait 62 jours trois-quart à Celley. – J. Hannezo, 54 à Noir-Ruz. – D. Pierrat, 48 à Corxart derrière la mer.

Nous donnons, par lettre alphabétique, la liste des lieux-dits qui, à cette date, payaient l’impôt foncier ; nous donnons entre parenthèses l’orthographe actuelle.

Ez Bas-Ruz (Les Bas-Rupts). – L’Endroict-des-Bas-Ruz. – Badon. – Ez Beuliart (Le Beillard). – Bas-du-Page. – Bas-des-Bas-Ruz (Rupts). – Basse-de-Celley (Collet). – Basses-Feignes. – Côté-de- Bresson (au Bresson). – Basse-du-Haut-Rang. – Basse-Cochonprey (Kichompré). – Les Blanches-Hutts (?) – Les Berloquez (Bloquez). – Les Bas de la mer (inusité). – La Breuchatte. – La Breuche-de– l’Air (La Broche-du-Lard). – La Broche-du-Pont. – Celay, Celley (Cellet). – La Couleure. – Corxart (Corsaire). – Le Cresson. – La Croisatte (Croisette). – Ez Cuves (aux Gaves). – La Creuse. – Derrière-le-Haut. – Id. la Voye. – Id. Longemer. – Id. la mer (le Lac). – Id. le Menne-Roche (inusité). – Id. le Chemin-de-la-Poussière (?) – Dessus-le-Corxart (Corsaire-du-Dessus). – Id. la Breuche. – Envers-des-Filles (Fies). – Id. du Rupt, de Fourgotte (Forgotte). – Id. Estang (Étang). – Id. Longemer. – Du Ruz (?) – Fany (Phény). – Fouchez-du-Corsaire (?) – Framont (Frémont). – Faing-Levey (Faing–Lové). – Id. la Grüe (Grue). – Goutte-des-Saps. – Id. du Poncey (Poncés). – Id. Chauvinie (Choine). – Des Ruaux (Airian). – Id. Saulx (Saps). – Id. de la Montagne (de la Montée). – Id. du Tot (du Tour). – Gouttes-Riedolz (Gouttridos). – Id. derrière le Trexault-du-Xattel (Derrière-le-Xetté). – Id. de la Haute-Rayez (de la Rayée). – Id. Scherwane (?) – Id. de la Morte-Femme. – Id. du Roullier. – Id. de Lancelot. – Putte-Goutte (Peute). – Grande-Basse. – Id. Breuche (Broche). – Ez Grèves (?) – Le Haut-Surceneulx (Surceneux). – Id. de Badon. – Id. de la Poussière. – Id. de la Rayée. –Id. Pergis. – Les Hautes-Feingnes (Feignes). – Id. Vannes. – Les Hauts-Ruz (Rupts). – Housseramont – Nouveau lieu. – Noire-Ruz (Rupt). – Pierre-Charlemagne. – Plain-des-Vannes. – Plain pay (?) – Le Poilueux-la-Chèvre (le Poly), – La Poussière. – Au Poirel (au Haut-Poirot). - Pré-Ruz (du Ruisseau). – Id. Ferry. – Id. de la Voye. – Longemer. – La Mer (le Lac de Gérardmer). – Ez Mareilles (à Mérelle). - Les 4 Feingnes (Faignes). – Ramberchamp. – Ez Royes (les Royes). – La Roye-du-Cresson. – Roche-Logue (?) – Rayatz-de- Reylgotte (Rayas de Relles-Gouttes). – Rang-du-Lancelot. – Id. du Bay (Rein-du-Beau). – Reylgotte (Relles-Gouttes). – Ruz-de-la- Poussière (Ruisseau). – Id. de Creuse-Goutte. – Id. de Reylgotte. – Surceneulx : Hans, Jacot, Marion, le Bridelot (devenus Surceneux ou Cerceneux). – Sur les Roches-l’Urson. – Les Vazenés. – Voye-du-Veltin (Valtin). – Id. du Ruz. – Du Cerlieu (au Clair-Lieu). – Id. des Hauts-Ruz. – Id. du Beuliart. – Id. du Cresson. – Vieille-Grange. – Ez gras Voizonnels (?) – Xtels (Xtés). – Xarts des bras de la mer (inusité). – Au Xetty (le Xetté). – Xonruy (Xanrupt). – Rondfaing (?).

Soixante-quinze ans après (1706), les habitants de Gérardmer obtinrent un nouvel acensement de 300 jours de terre dont 134 appartenaient au duc seul ; le reste était indivis entre le duc et le Chapitre de Remiremont. Le cens annuel et perpétuel était de 6 gros par jour de terrain plus un droit d’entrée de 70 francs (une fois payé).

La commune fut jalouse de conserver ses droits terriers ; des particuliers ayant voulu usurper des acensements, elle demanda et obtint (1707) la confirmation de ses droits antérieurs. En 1709, le Cerceneux-Marion fut acensé pour 1.200 francs.

Les registres terriers[13] du xviiie siècle (1727, révisés en 1730) constatent une rapide augmentation des terres acensées ; le total, qui monte à 5.841 jours et demi environ, a presque doublé dans un siècle.

Il est vrai qu’il faut déduire de ce chiffre les 300 jours possédés par le seigneur de Martimprey[14] et qu’il y avait eut l’acensement de 300 jours de terre, en 1706 ; mais en ajoutant ces 600 jours au total des acensements de 1631, on reste encore bien au-dessous du chiffre total de 1730. C’est que, indépendamment des acensements concédés officiellement par la Chambre des Comptes, il se produisait incessamment des usurpations en « surcroît » que les arpenteurs constataient dans leurs pieds-terriers.

Les 5.841 jours et demi (1.168 hectares) se décomposent en :

[h]

Terrains sur la prévôté d’Arches, nûmenta 1.736,5 jours
communsb 2.113
prévôté de Bruyères, divers 1.697
Seigneur de Martimprey 294
a Au duc seul.
b Au duc et au Chapitre.

Les propriétaires de ces terrains sont moins nombreux qu’au siècle précédent : 282 seulement ; par contre les domaines familiaux se sont étendus ; ainsi nous relevons, parmi les marquants :

J. Houot, au Raing-Brice, du Balliard : 179 jours dont 2 pour un estang (étang).

Un groupe de propriétaires au Belliard :

V. Viry. – N. Fleurence. – Coanus. – J. Martin. – N.-J. de Franoult. – J. Tisserand et L.-J. Claude : 204 jours ; enfin le Sr Paxion possédait, à la pointe de Rougimont, 63 jours.

Le pied terrier de 1631 ne signale qu’un seul propriétaire étranger à Gérardmer : feu J. Thierry, curé de Coursieux (Corcieux). Un article de 4 francs est rapporté sur lui :

Pour le droit qu’iceluy auroit dit avoir d’un nommé J. Chaussatte pour posséder le lac et ruisseau, dit vulgairement Retournemer, et user de la pesche d’iceluy à leur volonté, mais comme il est voyable que cela n’estoit qu’au bon plaisir de Son Altesse et sur aulcune considération de la personne du dit feu sieur curé, et estant que présentement il se pourroit faire beaucoup plus grand proffit desdits lac et ruisseau en dépendant, la présente remontrance en a esté dressée à ce sujet.

Un siècle après, les nouveaux possesseurs de terre étrangers à Gérardmer étaient plus nombreux. Outre le seigneur de Martimprey, J. François, escuyer, et son gendre, le Sr A. Brégeot, seigneur de Couture, capitaine de S. A. R., il y avait comme propriétaires terriers n’étant pas du pays :

La dame de Gelnoncourt. – Le Sr Masson, d’Épinal. – Damoiselle Catherine de Vienville. Le Sr Masson, de Remberviller (Rambervillers). – J.-B. Fleurence, de Munster. – F. Phulpin, de Vaumecourt (Vomécourt). – J.-N. Doridant, escuyer, gruyer, de Bruyères. – Christine des Champs, de La Poutroye. – Le Sr de Bouzainville, seigneur de Vaudeville. – Le Sr Le Comte, prévôt gruyer de Darney.

Un demi-siècle s’écoula avant que les habitants de Gérardmer eussent à solliciter de nouveaux acensements. Ils se contentèrent, en 1777, de demander à être maintenus dans la possession des héritages dont ils étaient détenteurs. La Cour des Comptes rendit à ce sujet 5 arrêts conformes, les 27 et 31 Janvier, 28 et 30 Avril et 3 Mai. Les 4 premiers ne concernent chacun qu’un seul particulier, le dernier en concerne 237. Il y avait donc à la fin du xviiie siècle 238 propriétaires terriers possédant une superficie de 6.000 jours de terre (1.200 hectares).

En 1731, il y avait, d’après le pied terrier, 5.841 jours, soit 1.168 hectares.

Malgré ces nombreux acensements, il restait encore bien des terres à utiliser ; c’est dans ce but qu’une ordonnance royale du 27 Juillet 1821 autorisa la concession, au profit de 913 détenteurs, d’environ 192 hectares de terrain pris parmi les pâquis communaux et les terres vagues. D’autres terrains de même nature, hérissés de rochers et de blocs de granit, sans aucune utilité et d’aucun rapport, furent défrichés par les habitants, qui, à force de peines, sont parvenus à rendre à l’agriculture plus de 138 hectares d’un sol qui semblait toujours perdu pour elle[15].

Dépenses pour les acensements

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Les acensements occasionnaient des frais considérables à la communauté. Celui de 1706 seul coûta près de 7.000 francs. Nous donnons ci-après le détail[16] des principaux articles de dépenses, pour faire ressortir en outre la lenteur de la procédure et les précautions minutieuses dont s’entouraient les censitaires.

Pour un premier voyage à Lunéville par Me Gérard, tabellion au dit Gérardmer, pour présenter requête à S. A. R. demandant les 300 jours (6 jours y furent employés), 42 francs.

Honoraire de Cl. Gérard, à raison de 3 francs 6 gros par jour, 21 francs.

A Me Petit Didier, avocat à la Cour, pour l’adresse de la requête. 3 francs six gros.

Au Sr Marchis, pour retirer la requête décrétée au Conseil de Mme A. R., 3 livres 12 sols, faisant 8 francs 5 gros.

Pour un deuxième voyage du tabellion à Gircourt, afin de présenter au seigneur Ht de Gircourt la requête de Mme A. R., qui chargeait ce seigneur de visiter l’emplacement le plus convenable à l’acensement sollicité, 15 francs 2 gros.

Dépenses faites à la taverne de Gérard Michel par le Sr Doridant, gruyer de Bruyères, délégué du comte de Gircourt (3 jours), 65 francs 6 gros.

Pour 3 journées de vacation au Sr Doridant, 44 francs 4 gros.

Pour les journées des maire, jurés et 3 hommes qui assistèrent le sieur Doridant dans ses opérations, 27 francs.

Pour un deuxième voyage à Lunéville fait par le tabellion et G. Michel, afin de présenter à Mme A. R. l’avis du seigneur de Girecourt (7 journées et dépens), 107 francs 10 gros.

Au Sr Marchis, greffier du Conseil, pour retirer la requête décrétée et renvoyée aux seigneurs de la Chambre des Comptes, 8 francs 5 gros.

Au même, pour sollicitation et adresse de la requête, 14 francs.

Pour le voyage à Nancy des mêmes délégués, pour présenter la requête à la Chambre des Comptes, 4 journées et dépens, 84 francs.

Au Sr Petit Didier, avocat, pour sollicitation et présentation de la requête, il fut payé 17 francs 6 gros.

Pour les publications faites, 3 dimanches consécutifs, par les sergents de Corcieux, Granges et Gérardmer, dépense, 35 francs.

Pour l’adjudication faite par le sieur Doridant et son greffier Ranfaing (elle dura 3 jours), il fut payé au dit gruyer de Bruyères 70 francs.

Pour les dépenses faites chez le tavernier Michel par les sieurs Gruyer, Ranfaing, les maire et jurés, au cours de l’adjudication, 60 francs 8 gros.

Pour le voyage à Nancy du tabellion Gérard et de Michel afin d’obtenir le contrat de l’acensement des 300 jours de terres adjugées (12 jours), 189 francs.

Pour écritures au sieur Petit Didier, avocat, 35 francs.

Pour les droits des seigneurs de la Chambre (du secrétaire, minute, grosse, sceau et parchemin du contrat), coût : 137 francs.

Pour la délivrance et l’expédition du contrat il fut payé au sieur Godbillot et à son clerc, 16 francs 4 gros.

Pour un voyage à Bruyères des mêmes Gérard et Michel afin d’informer le sieur Doridant qu’il était chargé, avec un arpenteur juré, de faire la délivrance des 300 jours acensés, il fut payé pour journées et dépens, 14 francs.

Pour la délivrance et l’arpentage des terres il fut payé, pour 24 jours (6 livres par jour), au sieur Doridant, au sieur Ranfaing et à Antoine, arpenteur juré : Au sieur Doridant, 336 francs. – Vacations au sieur Ranfaing, 221 francs. Id. Anthoine, 224 francs.

Pour les dépenses faites au logis du sieur Michel par les sieurs Doridant, Ranfaing, Anthoine, les maire et jurés de la Commune, pendant le temps de la livraison des terres, 661 francs.

Pour l’expédition de la grosse et copie du verbal de la livraison et arpentage des 300 jours, il a été payé à Ranfaing, 23 francs 4 gros.

Enfin il a été payé à divers particuliers qui ont assisté les gruyers et arpenteurs la somme de 136 francs pour journées faites par M. Martin, lieutenant de maire ; Me Gérard, tabellion ; Michel, tavernier ; et les particuliers : Denis, Gegoult, Bresson, Gley, Pierrot, Denyot, Viry.

Abornements

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Les terres acensées étaient abornées avec attention. Pour chaque pierre borne on payait 3 gros 12 deniers. Les rapports des gruyers disent à ce sujet[17] : « Nous avons aborné sur roches de pierres, plantées avec témoins desoub (dessous), soit en charbon, petits cailloux et pièces de pots de terre, sur toutes lesquelles bornes il y a Croix de Lorraine empreinte dessus ; celles faites dans les coings de chaque endroit, livrés doubles avec allignement, les autres dans les milieux aussi allignantes. »

Outre ces bornes solidement plantées, il y avait des repères sur des « pierres froides », roches massives marquées également de la Croix de Lorraine[18].

Granges et maisons d’habitation

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Les premiers habitants de Gérardmer n’avaient pour demeure que des hangars couverts en planches qui servaient de remises pour le bétail et les fourrages ; ces remises ou granges étaient élevées partout où il avait un paquis à proximité. Peu à peu le montagnard embellit sa grange, la rendit plus hospitalière, mieux abritée contre les intempéries, il en fit une ferme. Ces progrès furent lents ; car dans la première moitié du xviie siècle, sur 176 habitations qui existaient à Gérardmer, en dehors des chaumes, on comptait encore 164 granges et seulement 12 maisons.

En compulsant attentivement les listes des propriétaires terriers pour 1631, nous avons pu retrouver l’emplacement de ces habitations.

Il y en avait 15 à La Poussière. – 12 au Beuliart. – 11 ez Bas-Ruz – 10 au Hault du Fany (Phény). – 9 à Badon. – 8 à la Breuche du Pont. – ez Gouttes Riedol. – Derrière Longemer. – 7 à Xonruït (Xonrupt). – 6 ez Quatre-Feignes. – Au Corxelaire de la Mer (Corsaire). – 5 ez Rayez (Rayée). – Framont. – Hauts-Ruz. – 4 Noire Rue. – Relles Gouttes. – 3 Plain des Vannes et Hautes Vannes. – Goutte des Saps. – Celley. – 2 sur les Bras de la Mer (du Lac). – Au Cresson. – Derrière la Mer. – Envers du Ruz de Fourgotte. – Goutte Derrière. – Goutte Schewaine. – Hautes-Feignes. – Au Poirel (Poirot). – Au Plain de Xetty. – Les Poucés. – Le Pollueux La Chèvre (Le Poly). – Rond-faing. – Surceneulx de Badon. – Trexault du Xattel. – Enfin une seule aux Bloquez. – À la Breuche des Hauts Rupts. – Aux Basses Feignes. – À Creuse Goutte. – Devant Housseramont. – À l’Envers de l’Estang. – Au Faing Levey (Faing Lové). –. À la Goule des Ruaux (G. Airian). – Goutte de la Montée. – Goutte du Tot (du Tour). – Aux Hautes Royes. – Au Haut Pergis. – À Mareilles (Mérelle). – Au Pré Paris. – Au Pré Ferry. – Au Rang du Bay. – À la Roye du Cresson. – À la Goutte du Roulier. – Au Rang du Pré Mengin. – Au Surceneulx Marion. – À la Voye du Clerlieu. – À la Voye du Valtin. – Au Vinot. – Le Moulin du Ruisseau de la Mer et celui du Rupt de Fourgotte.

Depuis cette époque, pour construire des habitations, il fallait obtenir l’autorisation de la communauté. Par une résolution de 1713[19] :

Les maire et jurés étant assemblés pour régir les affaires de la communauté, ont résoult (résolu) et terminé que sur ce plusieurs particuliers estaient dans le dessein de bastir des maisons et logements sur les paquis communaulx où bon leur semblent (sic), au dessus desdites maisons et logements, il leur conviendrait encore prendre du terrain aux environs pour jardinage, ce qui porterait un notable préjudice à la dite communaulté, tant par rapport au pasturage que pour ce que la communaulté paye un cens considérable à S. A. R. et au Chapitre de Remiremont et par conséquent il est absolument nécessaire d’empêcher lesdits particuliers et autres qui seraient dans les desseings de faire de nouveaux bastiment sur lesdits pacquis communaulx, et de se pourvoir où il appartiendra contre ceux qui vouldraient entreprendre des bastiments.

Le mouvement de bâtisse s’accentua dès le commencement du xviiie siècle. Par une ordonnance de 1719[20], le duc Léopold accorda aux habitants de Gérardmer la franchise pour bâtir, à la condition « qu’on bâtira des maisons solides, à chaux et à sable, logeables et non autrement. »

Aussi les granges se transformèrent-elles rapidement en maisons ; le pied-terrier de 1727-1731 enregistre sur Gérardmer 44 granges seulement et 248 maisons ; le progrès avait donc été remarquable dans moins d’un siècle.

Dans le dernier tiers du xviiie siècle (1760-1780), on comptait environ 30 granges et 720 maisons, soit 750 habitations.

Le recensement de 1789 accuse un total de 956 habitations, comprenant 236 maisons éparses et 720 agglomérées. La statistique de l’an IX (1800) prouve que le mouvement s’accentue ; il existe à cette date 1.028 maisons, dont 771 agglomérées et 257 éparses (fermes).

La statistique de 1891 donne les chiffres suivants : maisons, 1223 (dont 52 vacantes) ; logements, 1718 (dont 32 vacants), ateliers et magasins, 171.

Le nombre des maisons n’a augmenté que de 200 dans xixe siècle ; les nouvelles constructions se sont élevées principalement sur le coteau des Xettes, près du Lac et sur le Boulevard qui est actuellement le plus beau quartier de Gérardmer.

Les habitants de Gérardmer qui voulaient bâtir ou empiéter sur le terrain communal, étaient obligés de soumissionner sur un registre spécial[21], intitulé : « Soumissions pour bâtir sur le terrain communal ». Il contient :

L’État des soumissions des pauvres particuliers et habitants de la paroisse de Gérardmer, qui ont construis chacun un petit logement et masure sur les terrains communaux dépendante de la dite communauté, sur l’agraiement des voisins résidant chacun proche de leurs petits logements, et aussi par l’agraiement des officiers de la dite communauté, auxquels ils n’entreprendronts aucun procès mal fondé contre les officiers et habitants de la dite communauté, les dits habitans suplians jouirons de leurs petits logements pendant leurs vie et celles de leurs femmes ainsi qu’elle se contienne, et après leurs décès seulement qu’elles ne subsisteronts à leurs enfants et autres particuliers, qu’en passant chacun des nouvelles soumissions, et jusqu’au bon plaisir des officiers et habitants de la dite communauté, qu’ils ne seront aucunement en droit de les vendres n’y louer que ce qui se peut enlever, c’est-à-dire que le terrain à eux accordé sera toujours à la communauté, et lesdits habitants laisserons passer et repasser librement les bestiaux aux environs de leurs logemens, ni qui leur soit fait aucun tord ni même aux habitants qui leurs soient préjudiciables. C’est pourquoi ils en veuillent aujourd’hui en faire la reconnaissance par devant leurs maires, cindic et jurés de la dite communauté de Gérardmer, comme n’ayant aucun bien ny logement à eux en propre. C’est pourquoi ils on crullent faire aujourd’hui leurs reconnaissances par devant les Srs maires, cindic et jurés de la dite communauté, ainsi que plusieurs en ont déjà fait et passés de soumissions.

Il y avait en tout, tant sur le terrain communal que sur les lieux vagues et proches des montagnes (Phény, etc.) 103 soumissionnaires.

Dès 1788[22] le droit de bâtisse était gratuit pour les pauvres gens à la condition de faire la soumission : « de ne point s’approprier le dit terrain sur lequel on leur permettait de construire leurs baraques, mais au contraire de le rendre libre à la première réquisition de la Communauté. »

Les empiètements des particuliers sur le terrain communal pour constructions ou cultures furent la source de nombreux conflits entre la commune et les usurpateurs. De 1688 à 1757 nous avons relevé une douzaine de poursuites judiciaires exercées par la commune contre les habitants qui s’appropriaient indûment du terrain communal ; la procédure, en pareil cas, était assez compliquée : l’administration communale adressait, aux officiers en la juridiction commune de Remiremont, une supplique où elle exposait ses griefs et sollicitait l’autorisation d’assigner l’usurpateur. Cette autorisation était généralement accordée ; l’assemblée communale désignait un avocat et les débats avaient lieu devant les juges qui rendaient un jugement motivé ; copie de ce jugement était transmise aux archives communales. Le coût des papiers timbrés, des expéditions, des frais d’avocat, variait de 25 à 30 francs.

Pour éviter ces tracas et ces dépenses, la Communauté se procura l’autorisation de faire démolir les maisons des particuliers sises sur le terrain communal (1757). Cette mesure sévère ne suffit pas toujours à empêcher les usurpations, comme on va le voir dans le chapitre suivant.

Procès entre la communauté et les particuliers

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La communauté pour défendre ses droits en matière de propriété territoriale, ne craignit pas d’intenter un procès aux usurpateurs quand les voies judiciaires habituelles ne suffisaient pas à leur faire lâcher prise.

Nous allons résumer l’histoire des procès de ce genre qui eurent lieu dans le cours du xviiie siècle.

Le premier en date fut intenté à Joseph Simon, qui avait clos « un terrain communal en nature de meix (jardin) devant la maison située au centre du village[23]. »

Les maires et jurés de la communauté qui avaient pris une résolution concernant la fermeture des portions de terrain communaux loués aux habitants de Gérardmer, s’adressèrent au prévôt d’Arches pour obtenir le droit de poursuivre Simon.

La décision du prévôt ne parut pas suffisamment sévère à l’égard de l’usurpateur ; aussi les édiles de Gérardmer interjetèrent-ils appel de la sentence du prévôt d’Arches devant le tribunal de Remiremont. Simon fut condamné aux frais et dépens et dut enlever la clôture du terrain communal (1706).

La communauté obtint également gain de cause dans le procès qu’elle intenta, peu d’années après (1713-1704) à Nicolas de La Levée de Xonrupt.

Ce dernier se refusait à acquitter le reliquat du droit de cens pour des terrains qui lui avaient été concédés aux deux cantons du Page et de la Basse Charbonnière.

Le reste de son droit s’élevait à 87 francs qu’il prétendait esquiver par droit d’ancienneté[24].

Mais l’administration communale veillait ; le procès dura deux années et finalement les La Levée furent contraints à payer les 87 francs ci-dessus, « dans les 24 heures, sous le préjudice d’une amende de 10 francs, pour chaque jour de retard. »

Plus d’un demi-siècle s’écoule sans contestations nouvelles ; il en survint une autre (en 1771-72) au sujet d’une baraque sise sur le terrain communal[25]. Cette baraque, laissée vide par la mort de son propriétaire, fut occupée sans formalités par un nommé Valentin Jacquel.

Malgré les nombreux avertissements de la communauté, le sieur Jacquel persista à occuper cette construction dont le fonds était revendiqué par la municipalité. Par un arrêté du Procureur du Roi au bailliage de Remiremont, la communauté fut autorisée à démolir la baraque occupée par le sieur Jacquel.

Ce dernier en réédifia une autre sur le même emplacement et assigna la communauté en demande de dommages-intérêts.

La communauté eut encore gain de cause. Jacquel fut condamné aux frais et dépens, la communauté fut autorisée à faire démolir sa baraque ; enfin le défendeur reçut la défense de bâtir à nouveau sous peine d’emprisonnement.

Le procès coûta cher à l’usurpateur ; le mémoire des frais de la communauté se monte à 106 livres (dont 46 au Procureur communal et 40 de frais divers) ; le dossier compte 5 pièces parchemin et 35 pièces papier.

Mais ce procès et tous les précédents furent éclipsés par l’important différend qui survint à la fin de ce siècle, entre la communauté et Gabriel Paxion.

Ce procès dura 5 années (1781-1786) ; le dossier volumineux qui s’y rattache[26] renferme 4 pièces parchemin, 129 pièces papier et un plan ; la lecture de ces documents est des plus intéressantes. Elle met en relief la physionomie caractéristique d’un montagnard instruit et intelligent qui tint hardiment tête à toute la municipalité dans des circonstances très désavantageuses pour lui.

Voici quelle fut l’origine du procès.

Il était d’usage, comme le dit Paxion, que les propriétaires de terrain construisaient sur le communal une « rabaissée », mais sans aliéner les droits communaux et le fonds, et sans pouvoir bâtir maisons ou agrandissements sur l’emplacement de cette rabaissée. Il y avait, en 1780, plus de 50 constructions analogues.

En 1778, Paxion avait acheté, sise en face de la maison communale, une maison, de laquelle dépendait une rabaissée, séparée par la route, et située également devant la maison communale. Il releva et agrandit cette rabaissée.

Aussitôt la communauté se plaignit vivement et le procès commença, car le contrat de la vente faite à Paxion portait que « quant au hallier (la rabaissée en question), la venderesse ne vend que les droits qu’elle y a ». Or, ces droits que la dite « venderesse » Valentin tenaient de feu son mari Demangeat, étaient les droits d’usage précités.

Une plainte faite au nom des principaux habitants de Gérardmer fut adressée à l’Intendant pour obtenir la démolition de la rabaissée de Paxion.

Ce dernier se défendit par une lettre qui montre combien il était instruit pour l’époque.

Laissons-lui la parole :

Ce jourd’hui, 10 Octobre 1781, le soussigné Gabriel Paxion, négociant à Gérardmer, ayant eu communication d’un placet présenté contre lui a Mgr l’Intendant, par une partie de la communauté de Gérardmer, à l’effet de fournir des réponses, aura l’honneur d’observer, que pour mettre Mgr en état de prononcer avec connaissance de cause, il est intéressant de lui remettre sous les yeux les moyens dont se servent ceux qui se pourvoient contre lui.

Ils ont exposé par le placet qu’ils ont adressé à Mgr, que le comparant s’avisant de construire une rabaissée très considérable, au milieu du village, ce qui portait un préjudice considérable à la communauté et donnait atteinte à ses droits en favorisant les autres particuliers à suivre ses traces ; voilà les seules raisons consignées dans le placet qu’ils ont présenté pour que le comparant fut obligé à démolir sa rabaissée.

Si le comparant parvient à démontrer, comme il s’en flatte, que cet exposé de partie de la communauté est contraire à la vérité, qu’il ne peut résulter aucune espèce d’inconvénient de, l’existence de cette rabaissée, il y a lieu d’espérer de la justice et de l’équité de Mgr qu’ils seront déboutés de leur demande.

Un fait constant et qui ne peut être révoqué en doute, c’est que le comparant n’a pas fait un nouvel œuvre ; il y a eu de tout temps une rabaissée dans l’emplacement ou il l’a rebâtie aujourd’hui ; les propriétaires de la maison qu’il habite ont toujours joui d’une rabaissée en cet endroit ; le comparant n’a fait que la relever, la rendre un peu plus commode ; comment concilier, dans cette circonstance, le langage actuel de cette partie de la communauté avec son silence depuis longtemps ; si cette rabaissée porte un si grand préjudice, pourquoi ne se sont-ils pas pourvus plus tôt pour la faire démolir? pourquoi les offusque-t-elle seulement depuis que le comparant la possédé, et comment pourrait-elle porter préjudice à la communauté dans ce moment puisqu’elle ne lui en a pas porté depuis le temps qu’elle existe? Le terrain sur lequel elle est située est spatieux et vaste, il n’est d’aucune utilité à la communauté, elle n’en tire aucun parti, ce n’est ni l’endroit du marché, ni la route ; c’est un terrain absolument abandonné dont la communauté ne peut tirer aucune espèce d’avantage. S’il était vrai que cette rabaissée portât préjudice, cette partie de la communauté qui en poursuit la destruction aurait dû spécifier comment et en quoi ; mais dans l’impossibilité de le caractériser, elle se contente de dire vaguement que cela porte préjudice, ce qui prouve la fausseté de son allégation.

On insiste en disant que cette rabaissée porte atteinte aux droits de la communauté en favorisant d’autres particuliers à suivre ses traces. Ce nouveau moyen est aussi absurde qu’il est contraire à ce qui se pratique ; il est en effet d’un usage ancien et constant dans le village de Gérardmer, que chaque propriétaire de maison, possède à sa proximité une rabaissée sur le communal, il est sans exagération (on le porte en fait) plus de cinquante particuliers qui en jouissent paisiblement, sans jamais avoir été inquiétés, et qu’on laisse tranquils (sic).

Par quelle fatalité arrive-t-il que le comparant est le seul poursuivi, c’est cependant un citoyen qui doit mériter la reconnaissance de sa communauté ; il fait un commerce assez étendu ; il procure à ses cohabitants la vente de leurs denrées en les conduisant chez l’étranger ; il est de notoriété que la famille Paxion fait un commerce de plus de cinq cent mille livres par année, et c’est contre cet homme que l’on s’acharne, on ne veut pas qu’il ait une rabaissée, et on en laisse tranquillement jouir les plus médiocres habitants, ceux qui contribuent le moins aux charges publiques. Ce procédé est d’autant plus odieux qu’il est de toute évidence qu’il ne peut résulter aucun avantage à la communauté de la destruction de sa rabaissée ; si quelque particulier se présentait pour y bâtir une habitation, si la communauté, avait besoin de ce terrain pour y bâtir un édifice, y établir un marché, le comparant atteste, que sans difficultés, il consentirait à la destruction de sa rabaissée ; il a fait des offres et il réitère qu’il se soumet à l’abandonner à la première occasion que cet emplacement pourra être de quelque utilité ; est-il rien de plus raisonnable? et dans la circonstance peut-on exiger quelque chose de plus juste?

Le comparant vient de mettre sous les yeux de Mgr la vérité la plus exacte, si cependant il pouvait rester quelque doute dans son esprit à cet égard, il le supplie d’approfondir les faits et d’ordonner que Monsieur son subdélégué se transporte sur les lieux pour vérifier et s’assurer de l’état des choses aux frais de ceux qui en auront imposés.

Le comparant a avancé que le parti formé contre lui n’était composé que d’une partie de la communauté et il le prouve puisque soixante-dix voix ont opinés en sa faveur contre soixante-cinq ; par ces considérations le comparant espère de la justice et de l’équité de Mgr qu’il déboutera la partie de la communauté qui s’est pourvue de sa demande, et il redoublera ses vœux pour la conservation et la prospérité des jours de sa grandeur.

Néanmoins, par décision du 19 Décembre 1781, Paxion fut condamné:

À démolir et raser sa rabaissée qu’il a construit sur les terrains communaux, et ce dans la huitaine, sinon ledit temps passé, autorisons les suppliants à la faire démolir à ses frais ; voire, en outre, ordonnons que ledit terrain restera libre au profit de ladite communauté, et le condamnons aux dépens[27] sans préjudice à tous autres droits actions.

Paxion ne se tint pas pour battu ; il interjeta appel devant le Parlement de Nancy. Cet appel lui fut accordé, et la cour rendit un arrêt par lequel elle ordonna qu’il serait tiré « une carte topographique du hallier dont il s’agit. »

Cette carte fut faite avec un soin et une justesse d’exécution remarquables pour l’époque. Nous en donnons ci-dessous une reproduction en mettant vis-à-vis la situation actuelle des lieux (portion de la Grand’rue).

La procédure recommença à Nancy : ce fut une série d’assignations, lettres, requêtes en nombre considérable. La communauté se fit défendre par un procureur au Parlement de Nancy, Me Jacquinet, et elle sut intéresser son défenseur à sa cause. Elle recourut même aux petits présents, car dans une lettre de 1782, Me Jacquinet écrivit au maire : « Je vous remercie du très beau poisson que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser. »

D’ailleurs, tous les chefs de la municipalité s’occupèrent chaleureusement de l’affaire. Il y a nombre de lettres des maires, syndics et jurés, adressées tant a Me Jacquinet qu’à celui qui prit l’affaire en mains après lui, Me Driant, également procureur à Nancy.

L’arrêt définitif de la cour, confirmé par décret du roi le 3 Mars 1786, fut identique dans ses conclusions à celui du tribunal de Remiremont.

La communauté fit mettre en adjudication le projet de démolition de la rabaissée de Paxion, le 9 Mars 1786, et un reçu de J.-B. Chipot, charpentier à Gérardmer, se montant à 15 livres 10 sols, constate la démolition de cette construction qui avait fait tant de bruit.

À titre de conclusion, il nous a paru intéressant de relever les principales dépenses supportées par la commune dans ce long procès :

{|

|align="center"|1 |Voyages et consultations à Remiremont, Nancy, etc. |align="right"|212 fr. |- |align="center"|2 |Honoraires aux avocats, huissiers, procureurs, notaires |align="right"|373 |- |align="center"|3 |Enquête et contre-enquête |align="right"|162 |- |align="center"|4 |Confection de la carte (plan ci-contre) |align="right"|211 |- |align="center"|5 |Frais d’écriture et de placets |align="right"|77 |- |align="center"| |Total |align="right"|1.035 fr. |}

Quand on voit ce chiffre vraiment considérable pour la partie gagnante, on comprend que ce n’est pas d’aujourd’hui que les procès sont ruineux.

Le tableau de ce peintre représentant deux plaideurs qui sortent du tribunal l’un sans vêtements, l’autre avec une seule chemise, était un tableau d’actualité, même au siècle dernier.

1782. Facsimile d’une « carte topographique » dressée, en août 1782, par le sieur Stevenel, géomètre, lors du procès intenté au sieur Gabriel Paxion pour construction d’un « halier » sur le terrain communal. (Archives communales antérieures à 1789. F.F.VIII.).
Renvoy. – a) premier état du halier suivant l’indication des maires, sindics et élus dont il ne reste aucun vestige. Les quatre piquets marqués par le plan ont été plantés par les indicateurs. – b) Second état dudit halier dont il en reste deux bouts de poteaux coupés près de terre et emplacement de deux autres, ponctués comme il se voit dans la figure entre les lignes ponctuées rouge. – c) État actuel du dit halier, construit en charpente, surmonté par des montants et sablières, lequel est revêtu en planches, avec deux portes sur la rue, une opposée à celle à deux vantaux et un escalier, lequel halier a hauteur de 16 pieds 4 pouces, depuis le sol jusqu’au dessus de la panne faîtière. Nota. – Toutes les dimensions sont mesures du Roy.

1892 – Principale rue de Gérardmer. Nous donnons, ci-dessous, d’après le plan au 1/2000e dressé, pour le centre de Gérardmer, par M. Félix Martin, maire, la même superficie de terrain que celle figurée dans le plan de 1782, soit cent dix ans plus tôt. L’échelle du plan est ramenée à la première, soit environ 1/684.

Chaumes

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On désignait autrefois sous le nom de chaumes les vastes pâturages situés au sommet des monts qui séparent les Vosges de l’Alsace ; les chaumes ou monts chauves (en latin calvi montes), auraient, au dire de plusieurs historiens, donné leur nom à un des grands pagi de la période gallo-romaine, le Calvomontensis pagus (Chaumontois), lequel s’étendait depuis les montagnes des environs de Gérardmer jusqu’au confluent de la Meurthe et de la Moselle, à deux lieues environ au-dessous de Nancy. On a vainement cherché à établir quel avait été le chef-lieu de ce vaste territoire ; il n’y a eu jusqu’à présent, à cet égard, que des hypothèses plus ou moins fondées, plus ou moins admissibles.

Dans la suite des temps, la dénomination primitivement réservée aux montagnes et aux pâturages qui les couvrent, fut donnée aux métairies ou chalets qu’on y éleva. On en compte cinq sur le territoire de Gérardmer : Balveurche ou Balvurche, le Chitelet ou Haut-Chitelet, Fachepremont, Grouvelin et Saint-Jacques.

Le premier écrivain qui en parle est Thierry Alix, président de la Chambre des Comptes, dans son Dénombrement du duché de Lorraine, rédigé en 1594, dont un chapitre : « Discours sommaire des haultes chaulmes, noms et gistes d’icelles. »

Les chaulmes, dit-il (ainsy appelées de toute ancienneté), sont fort haultes montagnes dans le mont des Vosges, qui bornent et font séparation du duché de Lorraine d’avec les comtez de Bourgogne et de Fevrette, des Vaulx d’Aires, de Sainct-Emery, de Moustier (Munster), d’Orbey et de la plaine d’Aulsais (Alsace), ez sommetz desquelles sont de fort beaux gazons et riches pâturages qui ne manquent en fontaines, les plus belles et abondantes qui se puissent désirer. Elles ont, esté tenues et possédées, à tiltre d’admodiation et de précaire, l’espace de deux cent soixante-dix ans, sans aulcune discontinuation ny interruption, par les habitants de Moustier ou val Sainct—Grégoire, jusques à l’an 1571, qu’elles ont esté tirées de leurs mains et laissées pour 25 ans aux habitants de Gérardmer, la Bresse et aultres subjects de son Altesse, qui y tiennent et nourissent grand nombre de bestail rouge, dont ils font grands et nottables proffictz, et en reconnaissent Son Altesse, de plus du décuple par chacun an que ne faisaient les estrangers…

Suit l’énumération des chaumes des prévôtés de Saint-Dié, de Bruyères et d’Arches ; ces deux dernières n’en contenaient pas moins de 23, ayant un plus ou moins grand nombre de gîstes[28], parmi lesquelles cinq que l’on peut reconnaître sous leurs anciennes dénominations, comme étant celles qui existent encore sur le ban de Gérardmer : Bellefirst (Balveurche), Schliechtli (Chitelet), Vespremont (Fachepremont), Groulin alias Gravel (Grouvelin), Sainct-Jacques alias Jorbsperg (Saint-Jacques).

Elles sont représentées à peu près avec ces mêmes noms sur une vue perspective coloriée, grossièrement faite, mais fort curieuse, et qui peut bien être contemporaine du dénombrement. On y voit figurés notamment : Gérardmer et son lac ; celui de Longemer avec la chapelle et l’ermitage de Saint-Barthélémy, le lac de Retournemer et, à la partie supérieure, le Hohneck ou Hault de Chaulmes, avec la Vologne qui en descend sous forme d’un ruban d’azur[29].

On ne connaît pas les actes primordiaux en vertu desquels les pâturages des chaumes avaient été amodiés aux habitants de Munster ; le plus ancien titre que l’on possède est un accord fait entre eux et ceux de Giralmeix, le 22 avril 1495, touchant le pâturage et le passage de leurs bêtes en certains endroits de leurs territoires respectifs. Les parties contractantes attachaient, paraît-il, beaucoup d’importance à cet accord, puisqu’il fut passé « par et en présence » de Thomas de Pfaffenhoffen, Sénéchal de Lorraine, et Evrard d’Haraucourt, bailli de Nancy, conseillers du duc René II[30].

Des lettres patentes du duc Antoine, dès le 16 Avril 1526 et 1er Juin 1543, portant prolongation de l’amodiation du pâturage des chaumes aux habitants de Munster, nous apprennent qu’elle leur était faite moyennant une redevance annuelle de 100 florins d’or du Rhin.

Le 24 Juin 1564[31], par un acte passé avec la communauté de Moustier (Munster) le duc Charles cède à cette ville en « gaige » (gage) le grand pâturage appelé les Hautes-Chaumes avec leurs dépendances, sans aucun cens ni redevances, jusqu’au remboursement d’une somme de 2.500 écus soleil (d’or) ; valant 10.000 francs de Lorraine, prêtée au duc par les maire, bourgeois, conseil et communauté entière de la ville de Moustier.

Les habitants de Gérardmer, La Bresse, Le Valtin, ayant constamment des difficultés avec ceux de Munster au sujet du pâturage des hautes chaumes, le duc accorda aux premiers le droit de rachat des chaumes en versant les 10.000 francs qu’il devait à la communauté de Munster et en réservant pour lui la faculté de rachat pour la même somme[32] (Octobre 1571).

Par suite d’une transaction de 1579, les Dames de Remiremont cédèrent et abandonnèrent au duc de Lorraine et à ses successeurs leurs droits sur les différentes chaumes amodiées jusqu’alors par les habitants de Munster, moyennant une rente annuelle et perpétuelle de 400 francs, plus la moitié des fromages qui se font en un jour sur les dites chaumes vers la saint Jean-Baptiste[33].

Le 16 Mai 1580[34], le duc de Lorraine Charles III admodia aux habitants de Gérardmer le pâturage des Hautes-Chaumes pour l’espace de vingt-cinq années moyennant un loyer annuel de 2.400 francs. En outre ils avaient « volontairement quitté au duc la somme de 10.000 francs pour laquelle ils tenaient les dites Chaumes à titre de gaigière (gageure). »

Ces chaumes comprenaient :

1) Pour la prévôté d’Arches :

Vespermun (Fachepremont) ; Joserperg, alias Saint-Jacques ; Groulin (Gouvelin) ; Fischern, alias Champy ; Brambach ; Achliechté (Chitelet) ; Schmalgurtel (Schmargoutte) ; Breiztsossern ; Firstum ; Rotenbach (Rotabac) ; Altemberg ; Pétershutt ; Wintheraw, alias Grand-Ventron ; Wintherster ; Forgoutte (Forgotte) ; Feyling, alias Drumont ; ez Neuweldet, alias ès Nœufs-Bois.

2) Pour la prévôté de Bruyères :

Fouyer, alias Sechirmsberg ; Gauritz, alias Leuversgoutte ; Byeberriedt (Belbriette) et Bellfirst (Balveurche).

3) Pour la prévôté de Saint-Dié :

Sourichamp (Serichamp).

Le 23 Août de la même année[35] (1580), les habitants de Gérardmer cédèrent à ceux de La Bresse « leurs bons voisins et bons amys » les chaumes de moitié : « Fischern » alias Champy ; Brambach, Altenberg, Pétershutth, Vinterhan alias Grand Ventron et Winthersé « avec leurs répandises, appartenances et dependances » moyennant le loyer annuel de 600 francs, plus la moitié des fromages qui se font en un jour et la somme de 2.500 francs une fois payée, faisant le quart de 10.000 francs prêtés au duc de Lorraine[36].

Par lettres patentes du 3 Mars 1603, Charles III amodia de nouveau le grand pâturage des Chaumes aux habitants de Gérardmer et la Bresse pour ving-cinq années, à commencer à la Saint-Georges 1605, moyennant une redevance annuelle de 2.500 francs payable à la Saint-Martin d’hiver, plus 6.000 francs pour une fois à titre de droit d’entrée[37].

Le l5 Avril de la même année survint un accord entre les habitants de Munster et ceux de Wo11 et Gérardmer. Ce traité[38], entièrement inédit, est un parchemin de 58 centim. sur 35, écrit en ancien hoh deutsch. Les 37 lignes qu’il renferme ne forment qu’une seule phrase très embrouillée, très difficile à traduire. Nous donnons entièrement l’analyse de ce document qui jette un jour nouveau sur ce point de l’histoire des chaumes pour Gérardmer[39].

Lettres réversales pour les communes de Woll[40] et Gérardmer

Nous, maire et conseiller de la ville du Saint-Empire, Munster, dans la vallée de Saint-Grégoire, reconnaissons publiquement par la présente et faisons savoir à tous par cet écrit (lettre) ce qui suit : Nos ancêtres et nous, avons reçu en location de la très honorée maison de Lorraine le pâturage appelé Haute-Chaume, ainsi que les versants et montagnes y attenant, et cela de temps immémorial et pendant des centaines d’années, par bail de 90 en 20 années, pour une redevance annuelle, le tout du sérénissime prince et seigneur Charles, duc de Calabre, de Lorraine, Bar et Gueldre, marquis de Pont-à-Mousson, comte de la province de Vaudémont, de Blankenbourg, de Zutphen, notre digne seigneur, de la 64e année (1564), jusqu’à la 71e (1571). Ensuite nos honorables et chers voisins de Gérardmer et consorts nous ont loué pour y faire pâturer notre bétail de la dite (15) 71e année jusqu’à la (15) 80e, et de la dite (15) 80e année jusqu’à l’année 1604 inclusivement, quelques montagnes : Schlictel (Chitelet), Schmalgurtel Schmalgurt, Breitsosser (Breitzûzen), Furstniss (Ferchmuss), Rothenbach, Forgott[41], Feyline (Drumont) et Neuwelden (Neuf-Bois). Comme la dite ville libre (de Munster) a loué tout le pâturage appartenant aux prieurés d’Arche, de Burcers et de Saint-Didold, le 3 Mars 1603, les 2 communes de Voll et Gérardmer ont gracieusement loué les susdites montagnes pour une période de 25 ans à la ville libre de Munster contre paiement d’un intérêt annuel de 2.800 francs, monnaie de Lorraine, payable le jour de la Saint-Martin, et elles ont consenti aussi a nous céder à bail avec les dites montagnes les sommets qu’ils ne veulent pas conserver ou dont ils ne veulent pas se servir.

À la date d’aujourd’hui, les 2 communes de Woll et Gérardmer se sont engagées, elles avec nous et nous avec elles, à nous laisser occuper, utiliser, à notre plus grand profit, avec tout notre bétail, comme détenteurs après convention les pâturages des 8 montagnes ci-dessus indiquées, savoir : Schlichtel, Schmalgurtel (etc.), ainsi que les endroits que nous pourrions défricher et approprier après désignation et entente. Le tout pour 95 années successives qui doivent commencer le jour de la Saint-Georges de la prochaine année 1605. Il est cependant entendu que les habitants de Woll et Gérardmer ont le droit de faire pâturer sur une des 3 montagnes Schlichtel, Firstnin et Rottenbach, chaque année alternativement, ou chaque année sur la même montagne, 40 pièces de bêtes à cornes ou autre bétail, droit qu’ils se réservent dans leur lettre d’investiture. Par contre nous nous engageons à verser annuellement à la Saint-Remy, le 1er Octobre ou au plus tard 8 jours après, pour toute la concession, en mains sures, à nos propres frais et risques, au maire et délégués de Voll et de Gérardmer, 1.400 francs en monnaie de Lorraine, ainsi que 5 francs de frais, de plus nous leur livrerons honnêtement, selon le vieil usage, les fromages d’un jour. Pour droit d’entrée nous nous engageons à payer à ceux les habitants de Woll et de Gérardmer, 3.000 francs en monnaie de Lorraine, la première moitié immédiatement, la seconde, 8 jours avant la Saint-Georges de l’année précitée 1605. Le tout a fait l’objet d’un contrat ou bail de location rédigé ici et muni du sceau du château de Brucers portant la date du mardi 15 Avril 1603.

Ce à quoi nous nous sommes engagés et ce que nous avons promis pour nous, nos descendants et notre commune bourgeoisie urbaine et suburbaine, nous le reconnaissons par la présente, et sur notre honneur, en bonne foi et conscience, nous occuperons et utiliserons, avec notre bétail, les 8 montagnes sus-désignées : Schlichtel, Schmalgurtel, été, de même que celles qui après entente ultérieure auront été appropriées au pâturage par nous et les nôtres, comme il est indiqué dans le contrat.

Pour cela, nous payerons, à titre d’entrée, 3.000 francs, ainsi qu’il est indiqué, à savoir immédiatement la première moitié, et l’autre à la Saint-Georges de la prochaine année 1605 ; puis 1.400 francs d’intérêt annuel le 1er jour d’Octobre ou au plus tard huit jours après, sans compter les fromages annuels d’un jour. Le tout devra être livré honnêtement et à nos frais, risques et périls, entre les mains des délégués de Gérardmer. De plus, nous nous engageons, en dehors de notre domaine, à ne casser, couper ou abattre aucun morceau de bois, à ne nous prêter à aucune complicité qui aurait pour but d’être préjudiciable aux propriétés de Gérardmer, mais au contraire, à les protéger et les préserver comme notre meilleur patrimoine, et à rendre ces pâturages, après les vingt-cinq ans écoulés, en bon état. En somme (nous promettons) de faire et de remplir tout ce à quoi nous oblige notre contrat de location. Nous avons ordonné à tous nos bourgeois et sujets[42] d’accomplir rigoureusement toutes nos obligations, et nos biens et ceux de nos descendants (de même pour Gérardmer), ne doivent être protégés et défendus par n’importe quelles libertés, grâce, droit, tribunaux ecclésiastiques ou laïques, lois d’État, de pays ou de cité, associations, sociétés, commandement, défense, dédommagement, coutumes, ni aide du pape, de l’empereur, du roi, de l’électeur, des princes, villes ou pays, contre les inventions qu’on pourrait imaginer contre ce contrat.

Nous rejetons entièrement et à bon droit toutes les exceptions et subterfuges ; toutes les ruses sont entièrement exclues de ce contrat. Comme vrai et meilleur témoignage de ceci, nous avons mis et attaché notre sceau secret de la ville pour engager chrétiennement nous, nos descendants et notre commune bourgeoisie. Donné et passé le mardi 15 Avril 1603, après la naissance de notre cher Seigneur et Sauveur J.-C.

Quelques années après, les habitants de Gérardmer et ceux de la Bresse se plaignirent à S. A. R., en qualité de fermiers des chaumes, des nouveaux acensements accordés « sur les répandizes d’y celles ». Le duc s’empressa de faire droit à leur réclamation (1614).

La location des chaumes de Belbriette, Balveurche, Grouvelin, Fachepremont et Saint-Jacques, eut lieu à Remiremont (1626), par un Commissaire de la Chambre des Comptes. Les habitants de Gérardmer se rendirent locataires pour un canon annuel de 1.495 francs plus la somme de 3.495 francs une fois payée pour droits d’entrée. L’amodiation avait lieu pour 15 années[43].

L’année suivante, les chaumes furent abornées[44] et délimitées ainsi que le constatent divers procès-verbaux faits par Ph. de Bourgogne conseiller d’État.

Pendant les guerres du xviie siècle, les chaumes des prévôtés d’Arches, Bruyères, Saint-Dié, demeurèrent vagues, sans rapporter aucun profit, et remplies de broussailles, comme le constate une mention du compte de la recette d’Arches pour 1661.

Cependant elles furent remises en valeur sur la fin du siècle. Dès 1672, les habitants de Gérardmer, La Bresse, Le Valtin, rétrocédèrent à ceux de Munster, une partie des hautes chaumes pendant tout le temps qu’il plairait au duc de Lorraine, moyennant un cens annuel « de huit vingts dix (170) escus d’or et les fromages de la Saint-Jean-Baptiste. »

En 1680, le canon annuel des habitants de Gérardmer fut fixé à 12.000 francs par année pour 5 années et à 10.500 francs seulement pour la première (impôt des 6 deniers pour franc et dixième pot de vin).

Les locataires, ayant payé « en plus 620 escus blancs » pour les « frans vins », réclamèrent contre les fermiers qui voulaient en outre leur faire payer 1.500 francs pour parfaire à 12.000 francs, les 10.500 francs de première année de location.

Ils prétendirent en outre qu’ils n’avaient pas joui des chaumes pendant les 3 mois réclamés en trop.

Il faut croire que les guerres de l’époque épuisaient le trésor ducal, car malgré la légitimité de la réclamation des habitants de Gérardmer, le duc les condamna à payer 700 francs sans compter les frais et dépens de la procédure[45].

Dix-huit ans plus tard il fut question de réaffermer les chaumes ; la Communauté ayant appris que 3 particuliers (Gérard, Jn Michel de Gérardmer, Moris Moris du Val de Munster, Gérard Abel de la Bresse) avaient fait mise et étaient sur le point de sous-louer les domaines de Gérardmer avec les 5 chaumes, elle s’y opposa énergiquement et prit une délibération motivée à ce sujet (1698)[46].

Elle réitéra ses doléances deux ans plus tard (1700) et s’opposa à l’acensement de Belbriette par Valentin Valentin, doyen du ban[47].

Cette même année, d’après les ordres du duc Léopold, les chaumes furent visitées par Claude Vuillemin, contrôleur de gruerie, demeurant à Bruyères. Le procès-verbal de visite constate qu’il y avait 5 chaumes dépendant de Gérardmer : celles de Groulin (Grouvelin), Saint-Jacques, Feschepremont (Fachepremont), Bebriette (Belbriette) et Belfurt (Balveurche). Il constate en outre qu’il n’existait sur aucune d’elles des traces de haras ni d’anciens bâtiments, mais seulement une ou plusieurs baraques pour loger le bétail. Après avoir décrit la chaume de « Belfurt » il ajoute : « Il y a une fontaine dite vulgairement la Fontaine de Charlemagne, autrement la Fontaine de Son Altesse, qui confine en cet endroit, la Lorraine et l’Alsace ». Cette fontaine est également figurée sur la carte des chaumes, mais à une grande distance de Bellefirst ; elle y est appelée Hertzogin brünn, la Fontaine de Son Altesse, et forme un ruisseau qui descend au village de La Bresse[48].

Un état de 1729[49] fait connaître les redevances de deux des chaumes de Gérardmer ; celle de Grouvelin était louée 450 francs par an (le propriétaire était le comte de Viermes) ; elle payait aux fermiers du domaine un impôt de 300 francs par an. La chaume de Belbriette n’était louée que 250 francs ; mais elle payait aux fermiers 450 francs par an.

Vers le milieu du xviiie siècle (1756), les officiers des maîtrises d’Épinal et de Saint-Dié prétendirent enlever aux troupeaux des chaumes le parcours sur les répandises, et aux locataires le droit de prendre du bois dans les rapailles, sous prétexte de les mettre en coupes réglées.

Les marcaires des chaumes s’empressèrent de soumettre le différend au roi Stanislas. Ce dernier – qui fut vraiment pour les habitants de Gérardmer le « bon roi » Stanislas – confirma, par une ordonnance de 1756, les anciens privilèges des fermiers des chaumes pour le pâturage de leurs troupeaux dans les répandises, et le droit de vaine pâture dans les bois de sapins. De plus, les marcaires pouvaient prendre « les bois et branches viciés, les vieux bois gisants, les chablis abandonnés, pour leur chauffage et la cuite de leurs fromages. »

Il leur était défendu « d’abattre aucun arbre vif », et s’ils avaient besoin de bois d’œuvre, il leur en était délivré par les officiers de la Maîtrise, sur la présentation d’un devis de construction ou de réparation[50].

Le Conseil royal des finances et commerce prescrivit en outre l’abornement et la reconnaissance des chaumes.

Les chaumes continuèrent à être amodiées au profit du domaine, et entretenues à ses frais jusqu’à la Révolution. Elles furent alors vendues comme biens nationaux et devinrent des propriétés particulières, que leurs possesseurs afferment ou exploitent eux-mêmes.

Les difficultés ne furent pas aplanies pour cela ; les officiers municipaux de Gérardmer imposèrent au sieur Weber de Munster, propriétaire de la chaume du Sistelet (Chitelet) « cy-devant domaniale » un impôt foncier de 600 livres par année.

Le propriétaire de la chaume de Montabey, Marc Spenlé de Breitenbach (Alsace) fut imposé à 100 francs (foncier) plus à 100 autres francs pour droit de « vaine pâture, et abreuvoir » ; cette dernière somme était versée au Bureau des pauvres.

Malheureusement pour la caisse municipale de Gérardmer, Spenlé n’était pas décidé à supporter sans réclamation une taxe foncière aussi élevée. Il fit demander à Remiremont un extrait de la matrice cadastrale concernant Gérardmer et comme la municipalité, n’avait pas porté sur la matrice les impôts perçus sur les chaumes, elle fut sur le point d’être poursuivie ; mais l’agent national de Remiremont, D. Paxion qui était originaire de Gérardmer, s’empressa de prévenir ses concitoyens, et, en les engageant à rembourser les sommes indûment perçues, il leur évita un procès onéreux.

À la même époque les habitants de la Bresse eurent des contestations avec les fermiers de Saint-Jacques au sujet d’un bois limitrophe. Le maire de la Bresse invita la municipalité de Gérardmer à se rendre à Grosse Pierre pour établir la démarcation.

Une contestation de ce genre arrivait en même temps aux édiles de Gérardmer : les citoyens Weber et Jaglé, propriétaires du Chitelet et de Montabey, se plaignaient que les « marquars » d’Alsace limitrophes au ban de Gérardmer se hasardaient à aller pâturer sur les répandises de leurs chaumes en se basant sur une amodiation qui leur aurait été faite par les habitants de Gérardmer, au mépris des conventions.

La municipalité de Gérardmer avisa au plus pressé. Elle envoya une députation à Munster afin de jeter les bases d’un arrangement relatif au parcours des répandises et paquis situés sur les confins des deux communes.

Un procès-verbal de 1795 relate les conditions dans lesquelles furent délimitées les chaumes sur les confins des deux communes. L’opération eut lieu sur le terrain en présence de :

1 – Baumgarten et Ruland, officiers municipaux de Munster. – M. Frisch et M. Frisch, le jeune, experts.

2 – A. Paxion et J.-B. Gérard, commissaires nommés par le Directoire du district de Bruyères.

Ces magistrats étaient les arbitres ; sont comparus devant eux :

1 – J. Michel, maire de Gérardmer. – J.-B. Fleurance. – J.-N. Gegout. – F. Etienne, officiers municipaux. – J. Saint-Dizier, procureur de la commune, et A. Viry, secrétaire-greffier.

2 – J. Weber. – J. Spenlé. – J. Yacle, propriétaires voisins.

Une « pierre froide » marquée M (Munster). – G (Gérardmer). – B (La Bresse), indiquant la séparation des 3 bans, fut placée à la hauteur du Hirtzenbühl.

De là, en suivant la crête de la montagne et la fonte des neiges[51], on plaça des bornes numérotées de 1 à 10 (sauf la borne 7 qui était mal placée et fut supprimée).

Les arpenteurs-jurés trouvèrent en toises de 6 pieds, mesure de France, les dimensions suivantes :

Des bornes Nos 1 à 10 : 620 toises.
Le toisé, refait à nouveau avec extrêmement de soin, porte: 1.563 mètres[52]

De plus une « pierre froide », ainsi que toutes les autres, élevée hors de terre d’environ 3 pieds à peu près, à trois angles, marquée d’une croix de Lorraine d’un côté du dessus, sur les autres côtés d’un I et d’un P, fut placée au lieu dit « Haut-Wasse » pour faire la séparation des territoires de Munster, Le Valtin et Gérardmer. C’est depuis la même époque (1797), que la police des « Hautes-Chaumes » et du « Bas-Chitelet » fut faite aux frais des propriétaires par un garde-champêtre de Munster, dont la nomination était soumise à l’agrément des municipalités de Gérardmer et Munster. Depuis 1794, les propriétaires des chaumes Jean et André Spenlé, Thiébaut Schwartz, Marc Spenlé de Milbach, et Mathieu Braesch de Sulzeren, s’étaient engagés à payer à la commune de Gérardmer, au lieu de la taxe arbitraire que celle-ci leur imposait précédemment, la somme de 150 francs pour indemnité de la contribution foncière, somme fixée par le contrôleur d’Épinal.

Le différend des habitants de La Bresse avec les fermiers de Saint-Jacques existait toujours ; en 1804 ; les premiers renouvelèrent la lettre qu’ils avaient adressée en 1793 à la municipalité de Gérardmer. Après de longs pourparlers et bien des démarches qui n’aboutirent pas et furent l’objet de vives récriminations de la part des habitants de Munster[53] </ref>, rendez-vous fut pris à la marcairie du Haut-Chitelet, le 18 Septembre 1707,. à 9 heures du matin, par les maires de La Bresse, Gérardmer, Munster. En leur présence on replaça, au lieu précédemment fixé, une borne triangulaire séparatrice des trois communes[54].

Forêts

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Comme Gérardmer était à l’origine un pays couvert de forêts, les habitants se procuraient à leur guise le bois dont ils avaient besoin, soit pour construire leurs demeures, soit pour clore leurs paquis, soit pour étendre leurs pâturages, soit enfin pour se chauffer.

Les premiers habitants qui élevèrent des granges dans les éclaircies, furent amenés peu à peu à agrandir leur domaine aux dépens de la forêt ; la communauté s’approprie de la sorte les portions de forêts qui enclavaient les granges disséminées dans la montagne. Cette anticipation qui n’est sanctionnée par aucun texte mais qui existait de « temps immémorial » disent les plus anciens documents concernant les forêts, a été sans aucun doute le droit du premier occupant.

Ces forêts communales étaient désignées sous le nom de « Bambois » ou de « Rapailles » celles qui devinrent dans la suite propriétés indivises entre S. A. R. et les Dames du Chapitre prirent successivement le nom de « Hauts-Bois », « Forêts Domaniales », « Forêts Royales ».

Dès 1576, les officiers de la gruerie d’Arches firent l’abornement des Bambois et leur séparation d’avec les Hauts-Bois ; cet abornement fut renouvelé en 1626[55] par :

D. Coutret, maire de Gérardmer ; V. Viry ; D. Cugnin ; J. Mourel et V.-J. Martin, commis audict lieu. En la prière et requeste des juriez (jurés) et des habitans, ils se sont transportez sur les lieux ou sont les Bambois, pour les visiter et les mieux aborner qu’ils n’ont esté précédemment, afin de les mieux garder que l’on n’a faict du passé.

Ces Bambois étaient situés à La Croisette, Xonrupt, au Surceneux-de-la-Ville, à La Peute-Goutte, à l’Envers-de-l’Estang, à La creuse, à Chacou, aux Poncés, Derrière la mer, au Béliard.

Le procès-verbal d’abornement se termine ainsi :

Et pour ceulx qui ont des héritaiges qui sont enclavez dedans les dictz bambois, qu’il se trouve estre grandement nédessaire d’y avoir du bois pour la closture de leurs dictz héritaiges, il leur en sera libvrer (livré) à leur frais par les hommes qui en auront la charge, au meilleur mesnage[56] (de la meilleure manière) qu’il leur sera possible, et ne sera permis aux destenteurs des susdictes pièces d’en prendre autrement non plus que les autres sur peines (sous peine) d’en encourir telle amende et interrest (dommages et intérêts), que les autres.

Le document que nous venons d’analyser est un des plus anciens de la municipalité de Gérardmer ; il établit d’une façon formelle l’existence des forêts communales.

Ces forêts furent abornées définitivement par le gruyer d’Arches (1629), qui constate, en maints endroits, que les rapailles « sont très belles ».

Semblables opérations de reconnaissance et d’abornement eurent lieu en 1703 par la municipalité et les gruyers. Il fut, à ce propos, prescrit aux habitants de Gérardmer d’établir une « tranchée et de marquer les bois, de distance en distance », pour faciliter la reconnaissance des bornes séparatives.

Trente-sept ans plus tard (1740), les habitants de Gérardmer

furent en contestation avec ceux de La Bresse, au sujet de la forêt située à proximité de la chaume de Grouvelin.

Les habitants de Gérardmer s’opposaient à l’usurpation que tentaient leurs voisins au sujet des droits d’usage et de vaine pâture sur la chaume susdite.

Chacune des parties adverses fournissait à l’appui de ses prétentions une série de documents qui remontaient au début de leurs localités respectives[57].

Pendant la fin du xviiie siècle, les forêts de Gérardmer furent arpentées à maintes reprises ; citons les procès-verbaux d’abornement de 1755-56 (forêts nûment au roi et indivis (maîtrise d’Épinal) –  de 1763 et 64 (aménagement) – de 1777-78-80 (forêt royale dite des nùment).

La plupart de ces documents ont été éparpillés au moment du procès de 1850-54. Il ne reste aux archives que le plan de l’abornement de 1756, le procès-verbal de 1778-80 (2), et le plan des Rapailles de la maîtrise de Saint-Diez que nous reproduisons ci-contre[58].

Depuis la réunion de la Lorraine à la France, après la mort de Stanislas Leckzinski (1766), les forêts de Gérardmer appartenant au duc de Lorraine, firent retour à la couronne et devinrent royales. Biens nationaux dès 1792, ces forêts furent déclarées biens de l’État.

Les forêts communales de Gérardmer furent de nouveau arpentées et délimitées d’avec les forêts royales (29 Mai 1823 – 20 Mai 1830) ; et en 1836, la forêt de Neyemont et de Lenvergoutte fut également délimitée.

Depuis la fin du xviiie siècle, les habitants de Gérardmer exerçaient leurs droits d’usage dans la forêt des Rapailles (Nord de Gérardmer, du Belliard à Neyemont), sans l’intervention des officiers de gruerie.

Ils usèrent des forêts à leur guise, et de 1831 à 1854, ils firent de nombreuses ventes de bois ; malheureusement ils omirent de verser au Trésor le tiers denier stipulé par les titres : c’est ce qui causa leur perte.

Dès 1850, l’État, par le domaine, intenta une instance en revendication de la forêt des Rapailles. Le procès dura jusqu’en 1854 et fut perdu par la commune (arrêt de la Cour de Nancy du 24 Novembre 1854 – confirmé par la Cour de Cassation le 5 Décembre 1855).

L’État, en devenant propriétaire, s’engageait à supporter les droits d’usage concédés à la commune de Gérardmer, et pour l’affranchir des charges dont elle était grevée, il ordonna, dès 1862, un projet de cantonnement qui fut accepté en 1865. Le procès-verbal d’aménagement, fait en 1868 par MM. Lecomte, sous-inspecteur des forêts, et Gilbert, garde général-adjoint, est un travail d’une haute valeur et une source précieuse de renseignements[59].

Depuis cette époque, les forêts communales de Gérardmer furent réduites à une superficie de 948 hectares 35 ares, se décomposant en deux parties : l’une (massif principal), est située au Nord du village ; elle comprend 894 hectares 67 ares ; l’autre, située au Sud, est formée de diverses parcelles dont la superficie s’élève à 53 hectares 68 ares.

En 1789, d’après la statistique de la propriété, les forêts communales avaient une superficie de 6.000 jours, soit 1.200 hectares, non compris la forêt des Rapailles. Les forêts domaniales (nationales à l’époque), occupaient 20.000 jours, soit 4.000 hectares.

Actuellement la superficie des forêts de l’État s’élève à 4.674 hectares en nombre rond.

Administration des forêts, police des forêts

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Pour faciliter l’intelligence des questions forestières, nous allons expliquer sommairement en quoi consistait autrefois l’administration des forêts.

Les forêts de Gérardmer dépendaient des grueries de Bruyères et d’Arches.

Les grueries étaient des sortes de Chambres des Comptes en nombre égal à celui des prévôtés. Les officiers de gruerie s’appelaient des gruyers, du mot allemand gruen ou groen (vert), à cause de la couleur adoptée, depuis un temps fort reculé, pour le costume des agents.

Les gruyers veillaient à la garde des bois compris dans leurs circonscriptions et en tiraient tout le profit possible pour le domaine. Ils étaient en outre des officiers comptables, chargés des recettes et dépenses concernant les forêts.

Cette charge, instituée dès 1464, était importante, car les gruyers avaient sous leurs ordres des lieutenants chargés de faire la délivrance des coupes des bois, les acensements, les abornements et délimitations des forêts, et de percevoir les revenus du domaine.

En 1698, le duc Léopold supprima les grueries et attribua aux prévôts les fonctions de gruyers ; trois ans plus tard (1701), il y eut pour le domaine ducal 5 commissaires généraux, et Gérardmer dépendit du commissariat d’Épinal.

Les commissaires généraux supprimés en 1727, furent remplacés par les grands gruyers, maîtres et réformateurs des Eaux et Forêts de Lorraine, dont les offices étaient héréditaires.

Stanislas, en 1747, établit 15 maîtrises des Eaux et Forêts, dont les offices furent ceux des grueries qu’il supprima.

Enfin dès 1756, il y eut un grand maître enquêteur et général réformateur des Eaux et Forêts du domaine. Les forêts de Gérardmer furent placées sous les maîtrises d’Épinal et de Saint-Dié.

La police des forêts était faite par les gardes forestiers communaux dans les Rapailles, et par le forestier royal, dans les forêts domaniales.

Dès 1569, les habitants de Gérardmer avaient été astreints à nommer des forestiers pour la garde de leurs bois, ils présentaient ces forestiers aux gruyers d’Arches et de Bruyères pour en prendre le serment. Les amendes imposées aux délinquants appartenaient au duc pour les .

La création des deux forestiers coûtait à la communauté deux escus et deux fromages par an[60].

Les comptes des commis et des syndics relatent, à diverses époques, l’acquittement de cette taxe qui fut promptement portée à un taux notablement plus élevé ; elle fut de 31 francs 6 gros en 1710 (prix de 8 fromages)[61], de 70 francs en 1713-1731, de 50 francs 9 gros en 1735, « sans compter les fromages », pour le seul forestier, sur la gruerie d’Arches ; la taxe tomba à 7 livres 15 sols en 1781[62].

Dès le début, il n’y avait qu’un forestier communal (1705)[63] ; il y en eut 2 dès 1709[64] – 3, dès 1784 ; en 1792, il y avait 9 gardes nationaux[65], et à partir de l’an X, 7 forestiers communaux, payés à 30 francs l’un par année. Pendant la Révolution, ces agents cumulèrent leurs fonctions avec celles de gardes-champêtres ; en raison de la difficulté qu’ils avaient de s’acquitter de leur mission, ces fonctionnaires touchaient des appointements que ne dédaignerait pas plus d’un préposé ; en l’an III, Haxaire, garde-forestier national, toucha, pour une année de traitement, 1.320 livres 18 sous 8 deniers, et Viry, pour l’an IV, reçut 520 livres 17 sous 8 deniers.

Indépendamment de ces forestiers, il y avait un garde-chasse spécial auquel la commune devait une redevance annuelle en nature (sous forme de fromage).

Dès le commencement du xviiie siècle, la commune de Gérardmer avait son marteau particulier qui servait aux forestiers pour la délivrance des bois. Un article de dépense inscrit au compte des commis (1711), rapporte :

Le déboursé d’un louys d’or à Mr Doyette, substitut de la prévosté d’Arches, de 6 livres au sieur de Leymont, greffier, de 5 livres 16 sols à Gérosme Julien, forestier à Vagnez, pour honoraires d’estre venus enfermer le marteau de la communauté[66].

Depuis l’institution des maîtrises, les officiers royaux s’étaient emparés des marteaux de la communauté et les avaient mis sous clefs. La commune réclama ses marteaux (1790) et demanda qu’il en fût délivré un à chacun des 9 gardes nationaux ; la requête fut accueillie favorablement.

La proximité des forêts aurait rendu les délits fréquents si les habitants de Gérardmer n’avaient eu toutes les facilités d’obtenir du bois quand il leur en fallait. Pour une période de 25 années (1758-1783), il n’y eut que 51 délinquants, ce qui représente une moyenne annuelle de 2 délinquants.

L’amende et les dommages-intérêts s’élevèrent à 2.378 francs, ce qui donne par délinquant de 46 à 47 francs, somme importante pour l’époque.

Droits d’usage-affouages

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Dans une requête de 1567, adressée au duc de Lorraine, les habitants de Gérardmer rappellent :

Que de temps immémorial ils ont eu dans les bois de S. A. la liberté de couper et prendre des bois pour leurs usages et deffruits, tant pour bâtiment, chauffage que cloison des héritages, et qu’ils tiennent ou reprennent de vous ou de vos officiers par acensement.

Ils demandaient la confirmation de leurs droits.

Le duc de Lorraine répondit favorablement ; il enjoignit aux gruyers d’Arches et de Bruyères de délivrer « aux habitants et manans de Girarner » les bois qui leur étaient nécessaires, à prendre « par dessignals ez montaignes et lieux proches de leurs grainges », en y employant en premier lieu le bois mort et qui ne porte profit, et assurant le surplus « aux lieux et bois des grueries moins dommageables[67] ».

Deux ans plus tard, le duc Charles permit aux habitants des bans de Gérardmer et Vagney de prendre dans leurs forêts tout le bois qui leur est nécessaire ; il leur permit de faire des fouillies (essarts) dans les forêts, d’y faire pâturer leur bétail, à la réserve de certains cantons mis en ban, pour lesquels il fallait payer au duc une redevance de 4 gros pour chaque pied de bois de sapin de 4 bûches et au-dessus, de 4 gros pour un sommier de 3 pieds et au-dessus, de 3 gros pour un sommier de 20 pieds, et de 2 gros pour les pennes, les chevrons. Les amendes perçues pour délits forestiers revenaient pour les au duc, l’autre tiers à la communauté[68].

Dans le milieu du xviie siècle, les habitants de Gérardmer furent troublés dans leurs anciennes coutumes par le gruyer de Bruyères. Ils se plaignirent à S. A. R. et à la Chambre des Comptes et obtinrent le maintien de leurs droits d’usage (1664).

Peu d’années après (1668), pendant les guerres qui désolèrent la Lorraine, les habitants de Gérardmer furent obligés de s’expatrier et « d’aller chercher à gagner leur pauvre vie » ; pendant leur absence, les bois communaux s’étant remplis de bois et de rapailles, ils demandèrent l’autorisation d’essarter et couper ces rapailles. L’autorisation leur fut accordée (1668)[69].

En 1686, nouvelle confirmation des droits d’usage. Les habitants de Gérardmer (ainsi que ceux des bans de Vagney, Moulin, Tendon) avaient le droit de prendre dans les bambois dépendant de la communauté, tout le bois qui leur était nécessaire ; il était défendu de les troubler dans leur possession, sous peine de « 500 livres d’amende, dépens, dommages et intérêts[70] ».

Cette ordonnance n’empêcha pas les habitants de Gérardmer d’être inquiétés par le procureur du roi ; aussi fallut-il, pour les maintenir dans leurs droits, une ordonnance d’Antoine de Bault, maître particulier de la maîtrise des Eaux et Forêts d’Épinal (1689)[71].

Les habitants de Gérardmer avaient donc le droit d’affouage dans les forêts royales, sous la seule redevance de payer 9 francs à l’officier de gruerie qui faisait la marque des bois, et 6 francs à son greffier (arrêt du Conseil d’État de 1691, signé à Versailles).

La Chambre du Conseil des Eaux et Forêts de Lorraine porta à 2 francs « par usager » (par affouagiste), la taxe de l’affouage. Le montant de cette redevance se partageait par moitié entre S. A. R. et le Chapitre de Remiremont (1703)[72].

Les pauvres ne payaient pas le droit d’affouage et les veuves n’en acquittaient que la moitié.

Les affouagistes devaient en outre payer 8 gros par ménage pour vacations, marque, etc., dont 3 gros aux forestiers, le reste aux officiers des Eaux et Forêts. L’affouage, qui était indépendant de la délivrance de bois dans les Bambois, allait jusqu’à 12 cordes de bois, mesure du pays.

La taxe fut perçue jusqu’en 1789 ; elle ne fut pas versée depuis cette époque jusqu’au 27 prairial, an VII. L’administration forestière voulut alors faire payer les arriérés et rétablir la taxe, ce qui rencontra une vive opposition et de pressantes réclamations de la part des habitants.

L’arrêt de 1703, dont la teneur était si favorable aux habitants de Gérardmer, ne fut pas exécuté sans bien des tiraillements.

L’année suivante, Lassaux, procureur de S. A. R. à la gruerie de Bruyères, infligea aux habitants de Gérardmer deux procès-verbaux : l’un de 40 francs d’amende, pareille somme de dommages-intérêts et dépens (17 francs 4 gros 8 deniers) ; l’autre :

De 25 francs, pareille somme de dommages-intérêts et dépens, parce que les représentants de la communauté n’avaient pas voulu désigner les particuliers qui usaient de bois coupés sans marque[73].

La communauté interjeta appel de cette condamnation devant la Chambre des Communautés à Nancy ; ce fut en vain ; les habitants de Gérardmer se virent contraints à payer l’amende et les frais du procès ; de plus, le même procureur de Bruyères les condamna à une nouvelle amende de 2 francs et aux frais du procès (17 francs 8 gros 8 deniers).

Dès lors les relations furent tendues entre les habitants de Gérardmer et les officiers de la gruerie de Bruyères[74]. Ces derniers faisaient des procès et infligeaient des amendes « très grosses, pour de petits bois rabougris de la grosseur de lattes, ou pour des traîneaux pris en haut de la côte pour descendre plus facilement avec chariot dans le village. »

Le garde-marteau, André, ne faisait la marque des affouages que quand bon lui semblait ; aussi les habitants durent-ils se pourvoir auprès de Humbert de Girecourt, commissaire général, réformateur des Eaux et Forêts, à Épinal, qui leur donna gain de cause. Il ordonna aux officiers de la gruerie de Bruyères de marquer, dans la huitaine, les affouages des habitants de Gérardmer (1704)[75].

Le sieur André, on le conçoit aisément, fut vexé de cette décision, et quand les maire et jurés lui en donnèrent une copie, « il la cassa en plusieurs pièces, apparemment par un mépris formel ». Toutefois, il se rendit à la montagne avec les autres officiers de la gruerie ; mais malgré les prières de ces derniers, jointes à celles des habitants de la montagne, présents en grand nombre, il ne voulut pas marquer de bois de chauffage.

Devant ce mauvais vouloir manifeste, les habitants de Gérardmer se refusèrent à payer le droit d’usage. Ils proposèrent, dans leur procès-verbal du 27 Octobre 1704, de demander au sieur André des dommages-intérêts, pour leurs journées perdues en Juillet-Octobre, et pour leur manque de bois à la veille de l’hiver.

Ils s’adressèrent de nouveau à la Chambre des Comptes qui, par son arrêt du 22 Décembre 1704, maintint les habitants dans leur droit d’affouage et leur accorda 15 cordes de bois par ménage, au lieu de 12, avec le bois nécessaire pour clore leurs héritages et édifier leurs bâtiments, « quand il s’agit d’une maison entière ». Dans ce dernier cas la charge à payer était de 6 gros pour chaque pièce principale ; 2 gros pour les petites pièces comme chevrons, etc.

La délivrance de bois pour bâtiments avait aussi lieu en cas d’incendie ou de réparations pour agrandissements ; mais elle n’était faite que sur un devis de charpentier indiquant le volume de bois nécessaire, à charge par le destinataire de justifier que l’emploi du bois délivré était bien réservé à la construction[76].

Le duc Léopold, mis au courant de la juste réclamation des habitants de Gérardmer confirma l’arrêt de la Chambre des Comptes, et ordonna la citation à la Cour du sieur André ; il ordonna également, peu après, la mise en réserve du 1/4 des forêts (1708), afin d’en assurer le repeuplement et la régénération.

Stanislas, pour arrêter des abus qui s’étaient introduits dans l’administration des forêts, prit un arrêté de réformation adressé au grand maître de la maîtrise d’Épinal. L’arrêté, en date du 10 Mars 1764, dit qu’il sera délivré dans plusieurs forêts de la montagne :

Le bois nécessaire au chauffage et aux réparations dans la forme ainsi qu’il s’est pratiqué jusqu’à ce jour, aux habitants de Gérardmer au nombre, d’environ 800, à 40 de La Bresse et à 20 de Cornimont ; dans la forêt de Gérardmer il sera délivré du bois de chauffage et de réparation aux mêmes habitants de Gérardmer et à environ 20 de La Bresse.

Les forêts furent abornées et fossoyées, 1/4 mis en réserve, le droit de vaine pâture dans les parties réservées était retiré aux usagers ; il était de plus défendu aux officiers des maîtrises chargés de visiter les bois, de délivrer aux habitants « aucun bois pour la construction et la réparation que sur la production des devis en bonne forme, et aucun pour les couvertures de bâtiments, sauf aux habitants à se pourvoir de chaume ou paille[77]. »

La suppression du droit de vaine pâture dans les forêts était désastreuse pour les habitants de Gérardmer ; la situation déplorable qui leur était faite par l’arrêté du 10 Mars est dépeinte dans les doléances qu’ils adressèrent à la Chambre des Comptes en demandant que cet arrêt ne fut pas exécuté.

Ils montraient que leur pays, couvert de rocs, est stérile ; qu’ils n’ont d’autre ressource que l’élevage et la vente du bétail, et que le cantonnement des portions réservées aux forêts diminue l’étendue de leur pâturage ; que n’ayant ni paille, ni chaume, ni branches pour couvrir leurs cabanes, ils sont bien heureux de pouvoir obtenir des bardeaux dans leurs forêts communales. Jusqu’alors leur pauvreté même et la difficulté de leur existence leur avaient fait accorder des privilèges de la part des ducs de Lorraine, c’est ce qui les engageait à s’adresser au Roi avec confiance, dans l’espoir que le décret serait rapporté.

Mais Louis xv, gendre de Stanislas défunt, était un prince indigne qui ne songeait qu’aux plaisirs et spéculait honteusement sur le peuple. Il n’entendit pas la plainte de ces pauvres montagnards vosgiens qui habitaient un pays si déshérité par la nature. Il ordonna que l’arrêt de 1764 fût exécuté « selon sa forme et sa teneur[78] ». Il permit seulement aux habitants de Gérardmer d’obtenir « la délivrance des bois nécessaires pour couvrir leurs maisons », et maintint le droit de vaine pâture « dans les répandises de leur ban. »

L’administration forestière ayant ordonné en 1780 une coupe extraordinaire sur 2.309 arpents (environ 461 hectares), l’assemblée municipale s’y opposa énergiquement.

Le texte de la délibération[79] qu’elle prit à ce sujet, est si intéressant que nous n’avons pu résister au désir de le citer au moins partiellement, car il montre, sous une forme polie, l’énergie toute vosgienne avec laquelle les montagnards savaient au besoin défendre leurs intérêts.

L’Assemblée municipale… estime qu’il est de l’intérêt de la communauté de s’opposer à cette vente, parce que les habitants de la dite communauté ont le droit incontestable d’avoir dans les forêts dont s’agit les bois nécessaires, soit pour chauffage, maronnage, bâtiments, fontaines, clôtures d’héritages et autres ; ils ont également le droit d’y envoyer leurs bestiaux pour pâturer.

Après avoir rappelé les titres qui confirment leurs droits d’usage, l’Assemblée ajoute :

Il n’y a aucun doute que la communauté ne soit fondée à s’élever contre une vente aussi désastreuse. Les réclamations sont d’autant plus puissantes que cette vente parait être faite contre le règlement des Eaux et Forêts : par ce règlement il ne doit se faire aucune coupe ny ventes extraordinaires sans les ordres express du souverain. Or il ne parait pas qu’un arrêt du Conseil ait autorisé la vente considérable dont s’agit. Elle a donc été faite contre la loi, elle est donc nulle.

Ce moyen de nullité acquerra la plus grande force s’il est prouvé que l’intérêt public soit sacrifié ; or, nous posons en fait que nos forêts, depuis l’établissement des scieries, sont tellement dégradées que Messieurs les Officiers de la Maitrise peuvent à peine délivrer les bois de soumission qu’on leur demande, et que déjà ils ont été obligés de supprimer des scieries.

Si cette vente avait lieu, que deviendraient donc les habitants de Gérardmer. Cette communauté composée de plus de 5.000 âmes[80], n’a aucune espèce de ressources que dans le bétail et dans le commerce, soit en vaisselle de bois, soit en sabots. Ne pouvant plus suivre leur commerce, forcés de vendre leur bétail, et notamment ceux qui ont affermé les Chaumes de Bebriette, Balveurche, le Haut et Bas-Chitelet, qui ont droit de parcours dans les forêts dont s’agit, ils seraient donc dans la dure nécessité de même qu’un grand nombre d’habitants, de quitter le sol ingrat qui les a vu naître, pour aller traîner une vie languissante sur un sol étranger[81].

Si ces moyens d’opposition ne suffisaient pas, nous pourrions ajouter que les intérêts mêmes du roi se trouveraient singulièrement lézés. La communauté de Gérardmer paye annuellement 24.593 livres 5 sols au cours du royaume ; il est évident qu’un grand nombre de particuliers étant obligés de faire des émigrations, cette même communauté ne pourrait plus satisfaire à ses charges annuelles.

Tous ces différents motifs, et beaucoup d’autres que nous ne rapportons pas ici, sont d’une trop haute importance pour ne pas être approfondis. Nous sommes donc bien fondés à croire que le Bureau du District voudra bien les appuyer de tout son zèle et de tout son crédit près de la Commission intermédiaire[82].

Indépendamment des délivrances de bois pour affouages et bâtiments, l’administration forestière délivrait facilement des arbres sur pied pour les travaux communaux.

Ainsi en 1730, lors de la construction de l’église, la communauté obtint la délivrance de 500 pieds de bois sur la gruerie de Bruyères, 300 sur celle d’Arches, 250 sur celle de Saint-Dié, tant de sapin que de hêtre.

À la même occasion, S. A. R. accorda 1.050 pieds de bois qui furent répartis par portions égales sur les trois grueries ci-dessus, le plus à portée de Gérardmer[83].

Le relevé des délivrances de bois pour affouages et bâtiments donne, pour la période 1780-1790, une moyenne annuelle de 4 arbres par affouagiste.

Essarts

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Les habitants de Gérardmer avaient, dès l’origine, la plus grande latitude pour couper les arbres et broussailles dans les terrains vagues : c’était ce qu’on appelait essarter. Les terrains ainsi préparés étaient mis en état de culture et entourés de petits murs de pierres ou enclos de jeunes arbres : c’étaient les essarts. Ce mot essarts, comme nous l’avons vu précédemment se retrouve dans un grand nombre de noms de lieux du pays ; ainsi Xard-Pierrat, Xettes, Xetté.

Dans la suite, le nombre de ces terrains clos ayant augmenté, considérablement, le pâturage des bestiaux en fut gêné ; la commune interdit l’établissement de nouveaux essarts sans soumission préalable à la salle communale et elle fit enregistrer ceux qui existaient[84].

En 1780, il y avait 725 individus possédant 1.218 essarts reconnus, pour lesquels ils avaient soumissionné.

Il y eut plusieurs fois des réclamations de la communauté contre ceux qui établissaient de ces essarts ; ainsi en 1785 les nommés Gaspard et Tisserant s’avisèrent de construire de nouveau un essart au milieu « d’un coteau où le bétail passe et repasse ». L’année suivante, un nommé C. Pierrat se rendit coupable du même méfait ; en 1788, ce fut un cultivateur de Xonrupt, qui s’avisa « de labourer et fermer un essart sur le terrain communal, en un lieu visiblement préjudiciable et absolument nuisible au passage et parcours des bestiaux du canton. »

Ces particuliers durent ouvrir les propriétés qu’ils avaient anticipées, et laisser le parcours libre au bétail.

= Administration municipale =


  1. De 1594 à 1710, Gérardmer fut sous la dépendance du bailliage de Vosges et de la prévôté d’Arches ; mais une partie de son territoire relevait de la prévôté de Bruvères.
  2. Trésor des Chartes, d’après H. Lepage.
  3. D’après H. Lepage.
  4. Archives communales D.D.I.
  5. Pied terrier de Géramer dressé en 1598 par Jean Bardin et Charles Rennel. D.D.I.
  6. Archives communales, D.D.I.
  7. Id.
  8. Ce paquis avait été disputé par Gérardmer et Granges. Un long procès avait eu lieu entre les deux communes à ce sujet. Le duc Henri II accorda la mitoyenneté (1611) et condamna chacune des communes à moitié des frais du procès (600 francs en tout).
  9. Par les commis du sieur Nas Georgel, admodiateur de la recette du domaine de Bruyères.
  10. Archives communales, D.D.I.
  11. Procès-verbaux des 24 Juillet et 9 Septembre 1631.
  12. Le jour valait 10 omées, soit 20 ares 40, environ un cinquième d’hectare.
  13. Archives communales, D.D.7. Ils ont été dressés par Philippe-Amé Doyette, substitut d’Arches.
  14. Anobli depuis 1615, mais il ne pouvait enlever aux habitants de Gérardmer leurs droits d’usage pour la pâture et les forêts.
  15. D’apèrs H. Lepage.
  16. Extrait du compte dressé par les maires et jurés. Archives communales D.D.1.
  17. Procès-verbal d’abornement de 1631. Archives communales D.D.I.
  18. Les chaumes étaient séparées par des bornes spéciales. V. art. Chaumes.
  19. Archives communales D.D.I.
  20. Archives communales A.A.I.
  21. Archives communales D.D.I.
  22. Registre des délibérations. Archives communales B.B.II.
  23. Archives communales F.F.IX. 1 pièce parchemin, 15 pièces papiers.
  24. Id. F.F.IX.
  25. Id. F.F.VII.
  26. Archives communales F.F.VIII.
  27. Pour la communauté: 77 livres.
  28. Constructions destinées à abriter les bestiaux, « chacune giste est de quarante bestes rouges » (Alix).
  29. Trésor des Chartres. Layette Chaumes, 1. D’après H. Lepage.
  30. D’après H. Lepage.
  31. Archives communales D.D.II.
  32. Trésor des Chartres. Layette Chaumes, 1. D’après H. Lepage.
  33. Cette transaction n’empêcha les Dames de se croire lésées. En 1596 le duc Charles III reconnut : « qu’il y avait eu des empiétements sur les droits ». Il leur accorda 100 francs de plus de redevance et décida que les chaumes seraient abornées et leur étendue limitée au pied des côtés de leurs montagnes et cent pas plus avant sur le plain à deux pieds l’un mesure du pays. Archives communales D.D.II.
  34. Archives communales D.D.II.
  35. Archives communales D.D.II. Ils sous-louèrent aussi aux religieux de Pairis (val d’Orbey).
  36. Archives communales D.D.II.
  37. Archives communales D.D.II.
  38. Archives communales. Pièce non classée.
  39. Nous devons la traduction de ce parchemin à l’obligeance et aux connaissances spéciales de notre collègue et ami M. Eschenbrenner, Professeur d’Allemand à l’École primaire supérieure de Gérardmer ; qu’il reçoive ici l’expression de nos sincères remercîments. L. G.
  40. Woll est bien La Bresse ou plutôt un écart de Le Bresse. Au XIVe siècle, les Alsaciens appelaient le village Woll, sans doute de Vologne, en Alsacien Voln. Il est probable que Woll devait être l’agglomération primitive de La Bresse. Il était situé dans la vallée des Feignes-sous-Vologne, en bas du Chemin-des-Marchands (par le lac Machais et 1e Rothenbac). Il ne faut pas oublier l’importance des étymologies alsaciennes dans la région de Gérardmer, — La Bresse, — Le Valtin (voir l’article Chaumes).
  41. Ou Forgotte, Forgeotte. Il ne s’agit pas ici de la section de Gérardmer (centre) qui porte le même nom, mais d’une chaume située entre Bussang et Ventron. (Consulter, pour plus amples détails. l’excellent ouvrage Topographie ancienne du Département des Vosges, du Dr Fournier, ouvrage cité.)
  42. On voit que les bourgeois de Munster avaient des sujets. Les termes du contrat rappellent du reste l’organisation féodale (investiture, etc.)
  43. Archives communales D.D.II.
  44. Id.
  45. Archives communales D.D.II.
  46. Idem B.B.I.
  47. Id.
  48. D’après Lepage.
  49. Archives communales D.D.II.
  50. Idem.
  51. Pour reconnaître la ligne de faîte.
  52. Nous avons cité des chiffres, car ils ont servi de base au tracé de la frontière allemande, depuis le Haut-Chitelet jusqu’aux Feignes-de-Charlemagne. – Un Français, un Vosgien surtout, ne se rappelle jamais sans un patriotique regret, que ces bornes sont remplacées par d’autres, sur lesquelles il n’y a plus que les deux initiales : F. (France) et D (Deutschland).
  53. Le maire de Munster, Hartmann, ancêtre du créateur de la route de Munster à la Schlucht, reprocha vivement à la municipalité de Gérardmer d’avoir manqué au rendez-vous sur la chaume du Chitelet, tandis que ses concitoyens avaient affronté la pluie et le mauvais temps pour s’y trouver à l’heure fixée. Les habitants de La Bresse eurent à se plaindre pour des faits analogues.
  54. Tous les documents postérieurs à 1789 concernant les chaumes se trouvent dans une liasse de papiers divers non classés.
  55. Archives communales D.D.III.
  56. Mesnage ici à le sens de verbe ménager, faire des dépenses aussi petites que possible.
  57. La polémique prit une extension considérable ; il est bien regrettable que les documents fassent défaut pour relater entièrement cette discussion entre les deux communes.
  58. NdÉ: dans cette édition, le plan se situe en tête de ce chapitre.
  59. Nous lui avons emprunté les notions historiques qui concernent le procès de 1850-54.
  60. Archives communales D.D.III. Supplique au comte de Carlinford (1698).
  61. Archives communales C.C.V.
  62. Idem, C.C.V.
  63. J. Pierrot.
  64. Remy (gruerie d’Arches). – Pierrat (gruerie de Bruyères).
  65. Haxaire, tissier à La Haie-Griselle. – Pierrel, marcaire à Liézey (maîtrise de Saint-Dié). – Gegout et Didier, marcaires à Creuse-Goutte (maîtrise d’Épinet), et Viry, marcaire aux Bas-Rupts (1791). – D’après les registres de délibérations postérieures à 1789.
  66. Archives communales C.C.V.
  67. Archives communales D.D.III.
  68. Archives communales D.D.III.
  69. Idem.
  70. Idem.
  71. Idem.
  72. Archives communales, D.D.III.
  73. Idem.
  74. À rapprocher ce passage avec celui qui concerne la fête patronale à la chapelle de Longemer.
  75. Archives communales, D.D.III.
  76. Cet usage se maintint jusqu’en 1854.
  77. Archives communales D.D.III.
  78. Idem.
  79. Archives communales B.B.III.
  80. La statistique de 1780 n’accuse que 4.062 âmes.
  81. Cette idée, qui est exprimée d’une façon toute poétique, montre l’attachement des habitants de Gérardmer à leurs montagnes.
  82. Ont signé : Colin, président de l’assemblée municipale ; Lasausse, greffier ; Paxion, syndic ; N. Viry, Garnier, J.-B. Viry, Chipot, Simon, Grossire, députés.
  83. Archives communales D.D.V.
  84. Délibération prise par les maire, syndic et jurés en 1767. Les terrains essartés s’appelaient aussi fouilles ou fouilliee.